Carnet de route
epuis 10 ans, l’Opération Sourire mène une mission de chirurgie réparatrice en Mongolie. Cette mission, organisée au sein de l’hôpital des brûlés à Ulaan Baatar, vise plus spécifiquement la prise en charge des séquelles de brûlures. La mission combine des interventions chirurgicales spécialisées et un apport de formation théorique et pratique pour l’équipe médicale locale. Depuis 2004, une équipe de rééducation (ergothérapeute et orthésiste) est intégrée à l’équipe médicale expatriée. Elle a
pour objectif d’insister auprès de leurs homologues locaux sur l’importance de la rééducation des patients. Elle les forme aussi à la fabrication d’attelles, au travail sur l’appareillage et à la technique de la pressothérapie. Chaque année, deux missions permettent ainsi la prise en charge d’une soixantaine de patients. Récit d’une semaine de mission avec les équipes de Médecins du Monde, par Flora Barré.
samedi 25 avril Le jour le plus long ous sommes à l’aéroport d’Oulan-Bator, il est 11h et personne n’a vraiment dormi depuis la veille. En arrière-plan des collines arides à perte de vue. Tandis qu’au premier plan se succèdent terrains vagues, bâtiments décrépis, yourtes et bétail. En entrant dans Oulan-Bator, le tissu urbain devient plus dense, on aperçoit de grands bâtiments hérités de l’époque soviétique, le centre ville commence à voir pousser quelques gratte-ciel stylisés, et partout des grues, des chantiers de construction, des échafaudages… L’équipe médicale mongole nous accueille très chaleureusement. La dernière mission date de décembre, chacun reprend ses marques, demande des nouvelles. Les accolades ne durent qu’un temps, le samedi après-midi est consacré aux consultations pour établir le
programme opératoire de la semaine. Le bouche-à-oreille a bien fonctionné, la rumeur de la venue d’une équipe médicale française s’est répandue et les patients – qui portent bien leur nom – attendent dans le couloir d’être examinés. Ils viennent quelquefois de loin, et continueront d’arriver tout au long de la semaine, nous les croiserons dans les couloirs pour une consultation express. Malgré 24 heures sans sommeil, l’équipe fait le tour des services et voit une soixantaine de patients en 3 heures : une grand-mère en habit traditionnel -le dèl- accompagne sa petite-fille de 13 ans brûlée aux deux bras ; un homme de 46 ans, ancien pilote d’avion montre une escarre dans la fesse, opérée en janvier la plaie ne cicatrise pas. Une nécrose à la cheville, une fillette de 2 ans brûlée au thorax et au cou, un moignon douloureux, une fracture ouverte… Il faut donner un avis et faire des choix rapidement : on peut faire quelque chose ou non, opérer cette semaine ou non.
dimanche 26 avril Au bloc ! e matin, départ à l’hôpital pour 8h avec Anne-Marie. En tant qu’anesthésiste, elle arrive toujours avant les chirurgiens pour ouvrir le bloc, préparer les seringues, endormir le patient et lui poser électrodes, tensiomètre et perfusion. Avec elle, Otran, infirmière anesthésiste. Elles commencent à bien se connaître toutes les deux, c’est la sixième fois qu’elles travaillent ensemble et cette formation « derrière l’épaule » porte ses fruits. C’est maintenant l’anesthésiste française qui est souvent derrière, vigilante et concentrée. C’est ensuite au tour des infirmières de bloc d’entrer en scène. Tout le matériel doit être prêt et à disposition des chirurgiens, qui une fois
habillés et leurs gants stériles enfilés, ont besoin de tout à portée de main, ou que les infirmières soient en mesure de leur fournir ce dont ils ont besoin rapidement. Place enfin aux chirurgiens. Didier et Cécile sont dans le bloc 1 : ils s’apprêtent à opérer une fillette de 6 ans, qui a un pouce surnuméraire. En face, au bloc 2, Shishke, jeune chirurgienne mongole, opère avec Delphine. Dans les deux salles, les chirurgiens mongols et les internes sont là, autour de la table d’opération et ne perdent pas une miette des interventions. Il n’y a pas de salle de réveil, et pour éviter toute complication respiratoire, les patients sont gardés au bloc sous la surveillance de l’anesthésiste jusqu’à ce qu’ils reprennent leurs esprits. Le dosage doit être au plus juste pour que le patient se réveille peu de temps après l’opération et libère le bloc ; régulation d’autant plus difficile que le gaz utilisé n’est pas très précis. Ce temps de latence permet une petite pause en salle de repos pour les chirurgiens.
lundi 27 avril L’acte chirurgical ne fait pas tout n bruit de machine à coudre. C’est la première chose qu’on entend quand on entre dans la salle de rééducation. Incongru peut-être, mais surtout nécessaire depuis qu’Alain a ramené de Lyon un rouleau de 30 kg de Lycra®, tissu extensible avec lequel on confectionne des vêtements sur mesure. Ces « compressifs » permettent de minimiser les cicatrices de brûlure en créant une sorte de massage permanent sur la peau. Les infirmières rééducatrices mongoles sont en train de coudre un vêtement pour une fillette brûlée sur le dos, les fesses et les cuisses. Elle est tombée dans une marmite de thé. A l’angle de la pièce, une « machine à masque », qui réchauffe des matériaux en thermoplastique. Elle permet de modeler des masques comme son nom l’indique, mais également des attelles. Au centre de la pièce, un amas de mousse, utilisée pour repositionner les malades alités. Pour compléter ce petit atelier, Alain s’est fait une sorte d’établi dans un coin, où il fabrique une orthèse plantaire : une
sculpture de liège, qui, collée à la semelle permet une rééducation permanente du pied. Elle est destinée à Zolboo, 5 ans, qui habite une yourte avec sa famille dans la province de Dornogobi, à 500 km d’Oulan Bator. Il s’est brûlé avec la bouilloire. Cette salle de rééducation est un petit monde à part. Les patients viennent de l’hôpital ou de l’extérieur, tout le monde s’active dans cette fourmilière. Alors qu’en France, la rééducation est une spécialité à part entière, en Mongolie, une infirmière se spécialise en deux mois après un stage de massages et d’acuponcture. Mais au fur et à mesure des missions, infirmières et médecins rééducateurs se perfectionnent, et dorénavant le matériel est utilisé même en l’absence de l’équipe française.
mardi 28 avril Transmission de pansée ors des précédentes missions, l’équipe française ne comprenait pas d’infirmière de service. Mais de même qu’une opération peut se révéler inefficace sans rééducation, il s’est avéré nécessaire d’améliorer la prise en charge des pansements. C’est l’objectif d’Anne, infirmière cadre à Marseille qui renoue ici avec la pratique. Chaque matin elle visite un nouveau service. Ce matin nous sommes au service de post-chirurgie. Alors qu’en France, les pansements se font souvent en chambre, ici ce sont les malades qui défilent dans la salle de soins. La salle est très propre, mais le matériel rudimentaire et l’installation spartiate. Les patients sont assis sur les barreaux d’un tabouret
renversé sur le côté, et, une fois de plus, je suis impressionnée par l’absence totale de prise en charge de la douleur. Tout est fait à vif. Anne est arrivée avec un peu de matériel (des compresses, des pansements au charbon actif absorbants, des pinces à enlever les agrafes, du tulle gras), qui semble améliorer l’ordinaire, et on dispose de kétamine au cas où ce serait trop douloureux. Les patients se suivent et ne se ressemblent pas : un adolescent qui a une mauvaise fracture suite à une chute de cheval, une femme qu’il va falloir amputer d’un pouce qui s’est pris dans le moteur d’une machine à hacher la viande, un accidenté de la route qui a un fixateur externe sur la jambe et un énorme trou dans le mollet, une jeune fille qui a eu une greffe de peau sur le pied…
mercredi 29 avril Une folle journée à bloc Ce qui est important c’est de travailler dans une ambiance sereine et silencieuse », déclare en souriant Delphine qui essaie de couvrir le bruit des marteaux sur les bombonnes à oxygène. Ces bombonnes d’1,50 m semblent venir d’un autre âge et l’embout en est quelquefois tellement rouillé qu’on voit un chirurgien avec sécateur et marteau s’échiner à les faire fonctionner. C’est ce qui se passe, à quelques pas de Delphine qui est en train d’opérer le thorax d’un petit garçon. L’opération de ce garçon était programmée pour la veille, mais ses parents l’ont fait manger le matin pour empêcher l’anesthésie : une superstition mongole veut que le mardi soit un jour qui porte malheur. Comme toujours on s’adapte et il est opéré aujourd’hui. Une radio déverse des chants mongols et cette impression de temps suspendu est amplifiée par l’horloge arrêtée au-dessus de la petite table. Au vestiaire, il est invariablement 11h50, comme il est 15h15 en salle de soins.
Les deux blocs sont propres, et si on a l’impression qu’il y a peu de matériel, l’essentiel semble y être. De toute façon, pour Didier, « un bon chirurgien n’a pas besoin de beaucoup : un porte-aiguille, une paire de ciseau, un bistouri, une pince et ça suffit pour opérer ; en France, on a une débauche de matériel ». L’interprète passe d’une pièce à l’autre, Paulette, l’infirmière de bloc également. « Du 2.0 pour un surjet ! », lance Delphine un badigeon de bétadine à la main.
jeudi 30 avril Vous avez dit ergothérapie ? ette nuit une yourte a brûlé, la mère a pu échapper des flammes, mais le père et le nourrisson sont entre la vie et la mort. L’équipe va voir comment les médecins mongols ont traité l’urgence. J’apprendrai juste avant de partir que le père a succombé à ses brûlures. Pour l’heure, j’accompagne Pascale dans son travail d’ergothérapeute. « L’ergothérapie, c’est arriver à rendre les gens autonomes avec le handicap qu’ils ont. Sur la mission, j’interviens dans la continuité de ce que font les chirurgiens : ils opèrent et moi je fais des appareillages et des « pressothérapies » pour améliorer le potentiel fonctionnel de chaque patient ». C’est ainsi qu’elle a rencontré Nyamdorj, immobile dans son lit. Comme tous les patients ici, il a apporté ses draps et fourni le matériel pour les pansements et les soins. Il est à l’hôpital depuis 40 jours, l’interprète me dit qu’il coud le fer, il
doit être soudeur. Il stockait son matériel dans une yourte a côté de son lieu de travail quand un moteur plein d’essence a explosé. La moitié de la yourte a pris feu. Brûlé sur tout le torse et les deux bras, il a subi une greffe la semaine précédente et n’ose pas bouger. Pascale propose de lui confectionner « des mousses » (découpées dans un matelas mousse) pour ouvrir le creux axillaire et lui permettre de cicatriser en position ouverte, afin d’éviter une rétraction. « En Mongolie, ils ne font pas de mouvement, ils ont très peur de l’infection, donc plus vite ils cicatrisent mieux c’est », mais leur handicap n’en sera que plus grand. Elle lui propose des exercices pour amplifier un peu ses mouvements et lui fabrique une fourchette spéciale avec un long manche pour qu’il puisse manger seul. Quelques jours plus tard, il avoue être soulagé de ne plus avoir besoin de quelqu’un en permanence…
Mortalité infantile : 39 °/00* Espérance de vie : 65,9* PIB/Habitant ($) : 2 107*
La Mongolie a la plus faible densité de population au monde : 1,9 hab/km².
La population de la Mongolie s’élève à environ 2 800 000 habitants. Près d’un tiers des habitants vit dans la capitale Oulan-Bator. *Source : Rapport sur le développement humain 2007, PNUD
ondée en 1989, la mission de chirurgie réparatrice, l’Opération Sourire répond à des besoins spécifiques de réparation physique au niveau du visage, d’un membre ou du corps entier.
L’Opération Sourire a un double objectif : Réaliser des interventions chirurgicales qui apportent des améliorations remarquables pour les patients tant du point de vue physique que social. Ils retrouvent un visage normal ou la fonctionnalité de leurs membres. La réparation physique favorise également l’intégration sociale des personnes qui, pour la plupart, vivaient « cachées » à cause de leur différence.
La formation du personnel local et l’échange de pratiques occupent une place privilégiée dans nos missions. L’apprentissage se fait de façon pratique, en assistant aux interventions et ensuite y participant, ou théorique à travers les cours dispensés par les acteurs de l’Opération Sourire. Entre les passages des équipes, des échanges réguliers se font avec les chirurgiens locaux référents afin de les soutenir dans leurs activités. En 2009, les équipes de l’Opération Sourire en provenance de France, d’Allemagne et du Japon ont réalisé 22 missions dans 8 pays : Bangladesh, Bénin, Cambodge Madagascar, Mali, Mongolie, Niger et Tchad. 873 patients ont pu être opérés grâce à l’investissement de 105 bénévoles. Depuis la création de la mission Opération Sourire en 1989, 7 493 patients ont été opérés.
Rédaction : Flora Barré Crédits photos : David Delaporte, Isabelle Eshraghi, Catherine Henriette Editions : Médecins du Monde - juin 2010 Maquette : Aurore Voet
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