Humanitaires et partenaires : nouvelles donnes ? La parole aux partenaires

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synthèse forum [tables rondes du 5 juin 2010]

© Steven Wassenaar

Humanitaires et partenaires : nouvelles donnes ?


« La parole aux partenaires »

tables rondes Médecins du Monde 5 juin 2010

Table ronde n°1 ................................ p.3 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

Table ronde n°2 ................................ p.10 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ? Témoignages d’associations partenaires serbe, guinéenne, bengalie et française

Table ronde n°3................................. p.17 Quelle indépendance politique pour les associations partenaires israélienne, polonaise, guatémaltèque, uruguayenne et française ?

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Synthèse - Tables rondes « La parole aux partenaires » - 5 juin 2010 - Médecins du Monde


Table ronde n°1 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

Présentation de la table ronde

Table ronde

En trente ans d’existence, Médecins du Monde a profondément modifié le regard qu’elle porte sur sa propre action. Cette table ronde permettra à plusieurs organisations partenaires de Médecins du Monde de présenter les projets qu’elles ont conduits dans cette philosophie.

La table ronde était modérée par François MABILLE, professeur-chercheur en relations internationales, Université Catholique de Lille.

L’association DUGA a été créée en 1995 en Bosnie, à l’initiative de Médecins du Monde. Au départ, elle soutenait les jeunes traumatisés par la guerre d’exYougoslavie, et elle accompagne désormais les jeunes issus des minorités dans leur intégration au sein des systèmes éducatifs et associatifs. DUGA intervient aussi auprès du gouvernement grâce à ses actions de plaidoyer, elle contribue ainsi au renforcement de la société civile bosniaque. MCWAK (Maternity and Child Welfare) est née en 2000 afin de pérenniser un projet initié par Médecins du Monde. Une fois indépendante, l’association a signé avec MDM un contrat de partenariat technique, grâce auquel Médecins du Monde l’a aidée à se structurer et à définir sa stratégie. Même si MCWAK garde la responsabilité de conduire ses propres projets, Médecins du Monde l’accompagne parfois dans ses demandes de financements internationaux. Depuis 37 ans, l’association Amel agit dans le contexte très complexe du Sud-Liban. Elle a survécu à la disparition du mouvement politique dont elle était au départ une émanation. Elle affiche désormais un positionnement original et très respecté à l’international, de par son indépendance vis-à-vis de tout parti ou de toute confession. Depuis sa création, Amel a créé plus de 150 hôpitaux de campagnes. L’Association Ibuka aide la société rwandaise à surmonter le traumatisme du génocide de 1994. Elle soutient les victimes dans leurs demandes de justice, accompagne la cohabitation et intervient auprès des jeunes issus du climat de violence. Médecins du Monde l’a aidé à se structurer et à définir des actions pertinentes afin de gérer au mieux ce traumatisme profond. Ibuka France contribue à ce travail et faisant entendre la « voix de la diaspora ». Elle est un intermédiaire précieux qui tempère les décisions d’Ibuka Rwanda et accompagne les partenaires français dans leur compréhension de la situation locale.

Bernard GRANJON,

ancien Président de Médecins du Monde Il serait difficile de résumer en peu de temps l’action que conduit Médecins du Monde depuis trente ans. Quelques grandes lignes se dégagent néanmoins. L’Association est née de deux épisodes conflictuels : son opposition à la Croix-Rouge, lors de la guerre du Biafra, et l’exclusion de Bernard Kouchner de l’association Médecins sans Frontières. Un conflit met toujours aux prises deux adversaires, dont chacun tente de prendre le dessus sur l’autre. Agissant toujours dans des situations conflictuelles, Médecins du Monde a cherché dès son origine à s’arroger, dans le cadre de l’action humanitaire, une position de supériorité, ainsi qu’à appliquer le principe du « devoir d’ingérence ». Ce principe est en réalité une résurgence du mythe d’Antigone, selon lequel la morale doit se situer au-dessus des lois. Médecins du Monde s’est d’emblée démarquée des associations charitables : son objectif était d’abord d’imposer le respect des droits de l’homme. Mais, comme le disait Hannah Arendt, « Toute idéologie est par nature dominatrice ». L’ingérence est aussi, par certains aspects, une forme de domination. Un ancien premier ministre centrafricain me livrait récemment, à propos de l’épisode de l’Arche de Zoé, une réflexion très éclairante. Il estimait que le phénomène le plus marquant du vingtième siècle était bien la fin du colonialisme. Celui-ci est intervenu dans les années soixante, au moment même de la naissance du concept de l’ingérence, qui aurait alors pris le relais d’un modèle politique devenu obsolète. Je souscris totalement à cette analyse : l’ingérence est pour moi l’expression d’un complexe de supériorité, dont je pense que Médecins du Monde a d’ailleurs longtemps souffert. Nous avons trop longtemps cru détenir la vérité, et nous avions tendance à imposer celle-ci, dans une logique d’action verticale. Progressivement, Médecins du Monde est devenu

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Table ronde n°1 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

plus modeste. L’Association a adopté un engagement sincèrement citoyen et une logique horizontale, dont le partenariat est l’expression la plus forte. En Turquie, nous travaillons depuis plus de dix ans avec des associations locales : si nous nous associons à ces efforts, nous laissons désormais l’initiative aux acteurs locaux. C’est là désormais la nouvelle philosophie de Médecins du Monde. Une mission réussie doit s’inscrire dans une logique durable et perdurer au-delà de notre engagement. Une mission réussie est reconnaissable à ce que l’on y apporte autant qu’à ce que l’on en reçoit.

François MABILLE

La question de la philosophie politique sous-jacente à l’action de toute association est essentielle. Par ailleurs, sans doute faut-il s’interroger davantage sur les relations entre les notions d’ingérence et de partenariats. L’opposition des logiques horizontale et verticale est un autre point important.

Anka IZETBOGEVIC,

représentante de DUGA, association bosniaque La Bosnie-Herzégovine n’est vieille que de quinze ans. Ce pays a connu la guerre, mais aussi, fort heureusement, Médecins du Monde. Je me réjouis de fêter aujourd’hui, en même temps que les trente ans de Médecins du Monde, nos quinze ans de collaboration. Médecins du Monde a soutenu un groupe de professionnels bosniaques afin qu’ils puissent s’exprimer et contribuer au mieux au développement et à la mobilisation de la société civile. En 1995, une équipe de Médecins du Monde a proposé à des spécialistes bosniaques de la santé mentale de créer à Sarajevo un centre d’accueil pour les jeunes traumatisés. Il s’agissait d’identifier les services les plus adaptés à ce public. Cinq ans après, l’association DUGA a été créée avec l’ambition de davantage contribuer au développement de la société civile bosniaque et à la participation citoyenne. La Bosnie reste confrontée à une crise à la fois économique et politique : il est absolument nécessaire de davantage mobiliser les citoyens sur les sujets de l’éducation, notamment. Dans ce cadre, DUGA aide les enfants défavorisés à participer à la vie associative et à mieux s’intégrer dans le système éducatif. Pour cela, l’Association forme des enseignants et collabore avec les autorités en charge de l’Education ou de la Santé. Certains prônent aujourd’hui l’abandon des logiques humanitaires. Nous nous efforçons effectivement de mobiliser les autorités pour qu’elles s’impliquent davantage.

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DUGA souhaite développer la participation citoyenne et l’égalité des chances. L’exclusion sociale est un sujet très préoccupant. DUGA cherche à favoriser l’épanouissement de tous les enfants et adolescents en leur donnant la parole. En Bosnie, le système éducatif peut avoir un effet répressif, notamment vis-à-vis des enfants en difficulté ou des minorités. Médecins du Monde nous a aidés à organiser notre effort de lutte contre les discriminations et de défense des droits de l’enfant. Cette année, DUGA mènera une campagne en partenariat avec l’Unicef et la Fondation Soros. A l’occasion des prochaines élections, nous inciterons les candidats à mieux prendre en compte les questions de l’enfance, de l’accès aux soins et de respect des normes internationales dans ces domaines, en prévision d’une prochaine intégration européenne.

François MABILLE

Médecins du Monde sait donc aussi être acteur du changement social au-delà de nos frontières. DUGA conduit une action qui s’inscrit dans un rapport subtil au politique, et ce à travers trois axes : la défense des droits des minorités, la contribution aux politiques publiques de la santé et de l’éducation, et une action sociale touchant à la nature de l’Etat bosniaque.

Yaseen MALIK,

représentant de MCWAK, association pakistanaise L’association MCWAK était au départ, en 1997, un groupe informel de médecins locaux rassemblés autour d’un projet de Médecins du Monde. MCWAK agit dans des zones désertiques du Punjab, au sud du pays. Au départ, notre groupe de médecins s’appelait la World Healthcare Society. Nous avons adopté notre nom actuel en 2000, au moment de la création officielle de l’association. En 2004, nous avons signé un contrat de partenariat technique avec Médecins du Monde pour un projet d’hôpital rural. C’est un projet type que nous avons reproduit dans plusieurs lieux, afin de toucher les quatre millions de personnes qui constituent notre population cible. MCWAK organise des partenariats public-privé, grâce à des soutiens gouvernementaux mais également grâce à d’autres partenaires associatifs. Ces derniers fournissent le matériel nécessaire aux hôpitaux et veillent ensuite à sa bonne utilisation. Sur des projets organisés par l’ONU ou OXFAM, notamment alimentaires, MCWAK s’associe à d’autres associations ainsi qu’au gouvernement.

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Table ronde n°1 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

La gouvernance de MCWAK est structurée autour d’une assemblée générale, d’un comité exécutif, d’un bureau, d’un président et d’un directeur. La plupart de ses projets portent sur la santé, l’éducation ou les activités de plaidoyer. Le gouvernement, compte tenu des moyens dont il dispose, est toujours un partenaire important. MCWAK conduit des initiatives novatrices. Celles-ci sont évaluées de manière annuelle. Nous avons ainsi ouvert un centre de formation des sages-femmes. Médecins du Monde participe régulièrement aux opérations d’évaluation ou à la définition de nos stratégies. Ce soutien est très important pour notre confiance, notamment lorsque nous devons aller défendre nos projets devant des instances internationales.

François MABILLE

MCWAK conduit des actions très variées. C’est là un bon exemple de la manière dont un projet, ou une initiative, peut entraîner une modification des structures et leur intégration au sein d’un réseau de partenaires. On touche ici à la question importante des relations entre acteurs privés et publics.

Kamel MOHANNA,

représentant d’Amel, association libanaise Amel est une ONG libanaise non confessionnelle. En tant que telle, son existence au Liban peut sembler contradictoire. Pour ma part, j’ai suivi la création de Médecins du Monde depuis son début, et j’ai été témoin de sa rupture avec Médecins sans Frontières. Plus tôt, j’avais participé aux évènements de 1968, en tant que membre actif de cette gauche radicale dont Mao et Che Guevara étaient les idoles. J’ai aussi travaillé en tant que médecin volontaire auprès des Palestiniens. Des rumeurs de ma mort ont circulé à de nombreuses reprises, et un journaliste avait à ce moment voulu raconter mon histoire. Trente ans après, ma biographie, L’épopée des choix difficiles, a finalement paru. Effectivement, décider de créer au Liban une ONG non confessionnelle, refuser l’inféodation aux partis politiques, ce sont bien là des choix difficiles. Les sollicitations ont pourtant été nombreuses. On m’a parfois offert jusqu’à plusieurs millions de dollars. Désormais, Amel joue au Liban un rôle de catalyseur. Elle est très respectée dans le monde arabe et au plan international. Cela a exigé des sacrifices, notamment financiers : j’estime que ceux qui travaillent dans l’humanitaire doivent souffrir pour mieux ressentir le besoin des autres.

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C’est par son travail que, chaque jour, une ONG prouve son existence ’’.

Amel est une émanation du Mouvement national libanais. Avant, je travaillais dans les camps palestiniens, où j’ai rencontré Bernard Kouchner. Celui-ci s’étonne souvent que j’aie toujours refusé toute charge ministérielle. Amel a été fondée après la première invasion israélienne du Sud-Liban. C’est toutefois au moment de la deuxième invasion, en 1982, qu’elle s’est développée. Nous avons alors mis en place des hôpitaux de campagnes, avec le soutien de Médecins du Monde. A ce moment, le Mouvement national, son parti d’origine, a disparu. Amel a pourtant survécu. Notre région souffre de plusieurs maux : absence de vision stratégique, règne de la critique non constructive et de l’esprit de division, hiérarchisation excessive et mentalité du « tout ou rien »… Face à tout cela, Amel adopte une pensée positive et un optimisme permanent. « La critique est facile, mais l’art difficile ». Amel se place résolument du côté de l’art. L’humanitaire souffre d’une technicisation excessive. Il faut revenir à un humanitaire de l’engagement. Aujourd’hui, l’engagement et le professionnalisme s’opposent quotidiennement. Il n’est pas possible de rémunérer un médecin venant participer à une réunion, comme certaines règles l’exigent pourtant. C’est donc l’engagement qu’il faut privilégier avant tout. De la même manière, les appartenances politiques s’effacent toujours derrière la qualité du travail. C’est par son travail que, chaque jour, une ONG prouve son existence. C’est là la philosophie d’Amel. Nous encourageons aussi les échanges de jeunes : ceux-ci permettent de dissiper des préjugés souvent ancrés très profondément dans les mentalités. Au Liban, le changement est difficile. Durant mes 37 années d’engagement, j’ai ouvert près de 150 centres dans mon pays. Je m’y sens pourtant toujours étranger, parce que je refuse toute inféodation. L’humanitaire doit toujours tenir compte des savoirfaire locaux. Même sans intervention humanitaire, la vie s’organise toujours. Il faut donc éviter toute

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Table ronde n°1 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

logique néocoloniale, qui peut parfois même contaminer les acteurs locaux. Le partenariat doit chercher à concilier savoir-faire et savoir-être. Les rencontres sont essentielles : nous avons tous les jours à apprendre des gens autour de nous. Il faut aussi responsabiliser les acteurs, pour que chacun devienne, à son échelle, un leader de l’action humanitaire. L’engagement doit être la valeur fondamentale de l’humanitaire.

François MABILLE

Amel possède un positionnement politique très particulier dans le cadre libanais et elle affiche une forme d’exception culturelle. Ce témoignage interroge aussi sur la légitimité de l’engagement humanitaire et le choix de vie qu’il constitue. L’engagement ministériel est en France une question sensible. En temps de crise, lorsqu’un renouvellement de l’Etat s’impose, le milieu associatif est souvent sollicité. Ses membres se sont souvent opposés au pouvoir précédent. De telles ponctions risquent toutefois de priver ce milieu de ses forces vives.

Marcel KABANDA,

représentant d’Ibuka France, association rwandaise La collaboration d’Ibuka et de Médecins du Monde s’est tissée avec en toile de fond l’histoire du génocide de 1994. Ibuka entretient la mémoire des victimes, soutient les rescapés et cherche à obtenir justice. Médecins du Monde était au Rwanda pendant les fait. Au moment de sa création, Ibuka travaillait avec s de nombreuses ONG et bailleurs de fonds ainsi qu’avec l’Etat rwandais sur les thèmes du logement, de la santé et de l’éducation. Elle ne possédait toutefois pas de ressources financières et agissait avant tout en tant que porte-parole des populations victimes. Ibuka s’est rapprochée de Médecins du Monde à partir de 2004. Elle a alors recentré son action sur le traitement de la gestion des traumatismes mentaux, parfois plus profonds que les traumatismes physiques, dont beaucoup, dix ans après les faits, avaient été surmontés. C’était là un enjeu important pour la population rwandaise : sans un accompagnement adapté, il existait un risque que les rescapés restent à l’écart du mouvement de reconstruction de la société.

cohabitation des rescapés et des anciens bourreaux soit possible. Désormais, ces procès arrivent à leur terme. Notre engagement devra donc se recentrer sur la gestion de la vie réelle, sur les collines, mais aussi sur l’accompagnement des enfants nés du viol, désormais des adolescents en quête de vérité. En 2004, le dispositif mis en place réunissait Ibuka Rwanda, Ibuka France et Médecins du Monde. Un comité de pilotage se réunissait régulièrement pour chercher à optimiser le fonctionnement du dispositif. Ibuka France agissait comme un intermédiaire, capable de comprendre la situation mais dont l’éloignement géographique lui garantissait un certain recul et devait le prévenir de toute décision radicale. Ibuka France incarnait, en quelque sorte, la voix de la diaspora, pour aider les partenaires français à mieux comprendre la situation. Ce positionnement peut générer une certaine frustration, tant il est éloigné du terrain et de l’action. Nous nous y tenons toutefois grâce à un levier puissant : celui de l’amitié. L’humanitaire doit certes évoluer : il doit revenir vers l’humanité.

François MABILLE

Le témoignage d’Ibuka dresse un constat paradoxal : c’est vers la France, pays incapable de travailler sur sa propre mémoire, que cette association s’est tournée afin de traiter ses traumatismes. Il existe en effet différents régimes de la mémoire. La France, contrairement à d’autres pays, a toujours privilégié le temps long. Cette collaboration est toutefois une occasion pour la France de réviser ses pratiques. La question du traumatisme se gère nécessairement dans le temps long. Enfin, la situation d’un membre de la diaspora n’est pas aisée. Dans les années 70, les membres de la diaspora sud-américaine ont largement contribué, par leurs actions de plaidoyer, à la prise en compte de la situation de leur pays. Ce mouvement a profondément modelé la notion de partenariat humanitaire, pour lesquels des intermédiaires sont indispensables. Le rôle des diasporas est trop souvent minoré ou réduit à son aspect économique, alors qu’il est en réalité bien plus important.

Médecins du Monde a alors proposé à Ibuka un accompagnement institutionnel et pratique, afin de mettre en place un dispositif de traitement des traumatismes psychologiques. A cette époque, le mouvement des procès « gacacas » exigeait un accompagnement particulier, afin que la nouvelle

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Table ronde n°1 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

Interventions de la salle Un participant Il semble nécessaire d’évoquer le rôle de la France dans le génocide du Rwanda : ce serait là un premier pas vers un nouveau régime de la mémoire. Médecins du Monde s’honorerait d’initier ce travail. La France a aussi exporté les pratiques de torture qu’elle appliquait en Algérie dans de nombreux autres pays. Les militaires responsables de ces opérations ont créé de nouvelles Villa Susini à Buenos Aires ou à Santiago du Chili… Récemment, l’ancien député britannique Galloway commençait une conférence en affirmant l’importance de la solidarité internationale. C’est là l’esprit qui doit nous animer. Dans cette optique, Médecins du Monde doit s’engager afin de rompre le blocus de Gaza. Il n’est pas acceptable d’abandonner 1,5 million de personnes à un sort indigne de l’humanité. Enfin, il faut en finir avec le complexe du sauveur. Aider les autres, c’est s’aider soi-même. L’inverse est également vrai. Nous pourrions aussi, un jour, solliciter à notre tour cette solidarité. Ruchama MARTON, représentante de l’association israélienne PHR Au Proche-Orient, ce sont bien les ONG qui assument la représentation de l’Etat palestinien. Le Hamas à Gaza et l’autorité palestinienne en Cisjordanie s’occupent respectivement de leur région. Seules les ONG maintiennent le lien étatique et assurent l’existence d’un cadre national. Les Israéliens ont adopté un mode de décision unilatérale. Le pouvoir politique se coupe petit à petit de la société civile israélienne. Peut-être a-t-on même atteint un point de non-retour : le pouvoir se dispense désormais de la caution démocratique. Cela remet en cause tout le travail des ONG qui, depuis 1992, tentent au contraire de rapprocher pouvoir politique et société civile dans la région. Kamel MOHANNA, représentant d’Amel, association libanaise Le Liban accueille 400 000 Palestiniens. La stabilité de notre pays est directement liée à la question palestinienne. Toute solution qui n’offrira pas de solution juste aux Palestiniens ne sera pas acceptable. Les accords d’Oslo n’ont pas été appliqués. Au MoyenOrient, la crédibilité de l’Occident décroît. Mahmoud Abbas souhaite la paix : il faut en témoigner. La question palestinienne est aussi la première source du terrorisme internationale. Sans solution juste, la situa-

tion ne progressera pas. La région subit une pression intenable. Médecins du Monde doit également témoigner et affirmer le droit des Palestiniens à un Etat. Les juifs sont nos frères : ils sont mentionnés parmi les 18 communautés de la constitution libanaise. Il n’est pas possible de faire de l’humanitaire sans afficher un positionnement clair sur la question palestinienne. Une participante Le concept de séparation, très enraciné dans la société israélienne, est au cœur du problème palestinien. Toutes les formes de séparation sont dangereuses. Enfant, dans les années cinquante, mes parents m’emmenaient à Gaza, qui était alors une agréable station balnéaire. Désormais, les Israéliens et les Palestiniens ne se rencontrent plus et ne se parlent pas davantage. Cette situation génère de la peur et de la haine. Les jeunes Palestiniens et Israéliens âgés de 20 à 30 ans ne se sont jamais vus ailleurs que sur un champ de bataille. Médecins du Monde devrait lutter contre ces séparations dans leurs aspects pratiques, et chercher à créer de nouvelles passerelles. Barbara TEN KATE, responsable de la mission Pakistan Pour Médecins du Monde, assister la création d’une ONG locale au Pakistan a été une très belle aventure. Ce type de projet exige un engagement de long terme, afin que les différentes phases puissent se succéder : élaboration du projet par Médecins du Monde et identification des partenaires locaux, développement institutionnel de la structure locale, et enfin maintien d’un soutien technique. Pour réussir, une période de dix ans est sans doute nécessaire. Marcel KABANDA, représentant d’Ibuka France, association rwandaise La France possède sans doute un régime de mémoire particulier. Si un Etat ou un Gouvernement peut avoir conduit des actions condamnables, il faut toutefois le distinguer de la société civile, avec qui il reste possible d’établir des passerelles. Ibuka France a donc souhaité utiliser les relations de confiance qu’elle a développées avec les acteurs de la société civile française pour rapprocher celle-ci de la société rwandaise. De tels mouvements peuvent ensuite influencer certaines politiques : l’interpellation de la société civile a certainement influencé l’Etat au moment où celui-ci façonnait son nouveau modèle. Médecins du Monde doit-elle demander des comptes à l’Etat français ? C’est là une responsabilité qui échoit à la société civile tout entière, et Médecins du Monde peut y contribuer à sa manière.

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... l’action humanitaire s’appuie sur le partenariat pour dépasser son cadre et contribuer, plus largement, à la rénovation des solidarités civiles ’’.

Nous sommes une ONG non confessionnelle. Les démocraties occidentales se disent laïques. Elles semblent pourtant obsédées par les questions ethniques ou religieuses. Dans nos collaborations avec nos partenaires occidentaux, c’est souvent nous qui insistons pour que nos actions valorisent non pas les mosquées, mais les municipalités. Les politiciens cherchent toujours à alimenter les divisions pour mieux régner. Nous menons nous aussi des politiques, mais celles-ci ne visent que le bien de l’être humain, indifféremment de ses appartenances, au Liban ou ailleurs. Anka IZETBOGEVIC, représentante de DUGA, association bosniaque La société civile doit participer à l’élaboration des plans stratégiques nationaux de leur pays. Avec cette participation, nous défendons aussi l’égalité des chances et la mobilisation des citoyens. Nous nous mettons en capacité de proposer des actions dans le cadre de ces plans.

Par ailleurs, je n’ai jamais été en Palestine. Je ne connais cette situation qu’à travers les médias. Il est néanmoins certain que la méconnaissance des populations entretient toujours la peur et la haine. La création d’un Etat palestinien serait donc favorable aux Palestiniens, mais aussi aux Israéliens. Dans la situation actuelle, chacun est menacé. L’Etat d’Israël n’est pas en paix. Ce n’est pas dans la tension que des nouvelles passerelles pourront être créées. Par ailleurs, je m’interroge sur le positionnement des associations Amel et DUGA qui, tout en étant membres de la société civile, sont aussi très impliquées politiquement. Kamel MOHANNA, représentant d’Amel, association libanaise Tout est politique. Il faut ensuite distinguer la politique politicienne conduite par les élus de la politique au sens noble. Au Liban, Amel contribue à changer la politique et la culture du pays. Chaque centre ouvert par Amel entraîne un phénomène d’essaimage : d’autres ONG, liées à d’autres partis, s’inspirent de nos actions pour agir à leur tour. Il n’y a pas de démocratie sans développement. Le Liban connaît une situation très déséquilibrée entre le Centre et les régions. Notre action est bien politique : son but est néanmoins le bien public. Les ONG doivent convaincre les politiques de reconnaître leur existence et leur indépendance. La société civile refuse que ses représentants soient inféodés aux partis.

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Bernard GRANJON La désoccidentalisation ne suffit pas. Il faut privilégier la proximité. Sous ma présidence, Médecins du Monde s’est souvent opposé au Gouvernement français, notamment au sujet de l’opération Licorne. L’Association s’appuyait sur des liens étroits avec la société civile qui lui permettait d’envisager plus rationnellement la situation. C’est la proximité qu’il faut développer : le partenariat n’est que l’une de ses déclinaisons. Elle exige aussi une certaine modestie. Les associations portent des programmes très ambitieux et dotés de moyens très importants, qui les éloignent nécessairement de la population. Médecins du Monde est une association soignante : c’est là une grande chance. Dans certaines conditions, comme en Palestine, il n’est toutefois plus possible d’exercer cette mission. L’Association devra formuler une position très nette : face à des traitements inhumains, et la torture administrative à la française en est une forme, le soin devient impossible. Les soignants doivent dénoncer les situations intolérables qui compromettent la bonne réussite des actions de soin. Un participant Il est frappant de constater que, dès que l’on tente de décrire le partenariat des associations locales avec Médecins du Monde, on revient très rapidement à la complexité des contextes locaux. De la même manière, l’action humanitaire s’appuie sur le partenariat pour dépasser son cadre et contribuer, plus

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Table ronde n°1 Naissance et évolution de quatre associations partenaires de Médecins du Monde au Rwanda, au Pakistan, au Liban et en Bosnie

largement, à la rénovation des solidarités civiles. Le partenariat, en cristallisant les notions de solidarité et de proximité, ramène l’action humanitaire à sa plus pure essence. Une participante Je ne crois pas que conduire des projets ambitieux nous éloigne des populations. Tous les coordinateurs de l’Association peuvent témoigner que les projets les mieux dotés comportent toujours des volets communautaires. C’est actuellement le cas au Zimbabwe. Kamel MOHANNA, représentant d’Amel, association libanaise Pendant la guerre du Liban, j’étais responsable du Comité des disparus, que l’on estime aujourd’hui à 17 000. A l’époque, l’enlèvement d’un occidental entraînait un véritable déchaînement médiatique. Aujourd’hui encore, ces 17 000 disparus restent pourtant inconnus. Le phénomène de deux poids/ deux mesures garde donc une certaine vérité.

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ? Témoignages d’associations partenaires serbe, guinéenne, bengalie et française

Présentation de la table ronde Les usagers sont souvent les meilleurs experts de leur propre situation. Ils possèdent une expérience très importante que les associations doivent chercher à valoriser, autant pour améliorer la qualité de leurs actions que pour favoriser la réinsertion. A travers les exemples des toxicomanes serbes, des détenus guinéens ou de paysans bengalis démunis, des associations partenaires de Médecins du Monde témoignent du rôle que les usagers peuvent jouer à leurs côtés. A Belgrade, en Serbie, l’association VEZA conduit un programme de réduction des risques liés à la toxicomanie, en proposant notamment une action favorisant l’accès à des seringues propres. VEZA réalise des actions de formation auprès de populations variées, toxicomanes mais aussi acteurs des services publics. En associant des usagers à ses actions, l’Association a acquis une meilleure notoriété auprès de sa population cible, et elle a ainsi pu développer ses projets. VEZA contribue ainsi à améliorer la prise en compte des risques liés à l’usage de drogue. Le Bangladesh subit régulièrement de graves catastrophes naturelles. L’association GK Savar agit dans le delta du Bengale auprès des populations paysannes les plus démunies. Plutôt que le microcrédit, peu adapté aux projets des plus pauvres, elle a mis en place un dispositif de crédit saisonnier permettant aux éleveurs et agriculteurs de financer leur activité. Ce dispositif implique notamment des femmes qui contribuent à améliorer la situation de la région. L’association KAD tente d’améliorer la situation sanitaire catastrophique de la prison de Kindia, en Guinée. Elle a notamment mis en place des comités de concertation réunissant détenus, gardiens et autorités afin d’identifier les besoins basiques de la prison et d’y répondre. KAD associe ainsi les détenus à la gestion de la vie de la prison. En plus de différentes activités génératrices de ressources, certains détenus sont aussi formés aux premiers secours, et deviennent à leur tour des agents soignants entre les murs pénitentiaires. L’association Bus 31/32 mène, dans la région de Marseille, une action de réduction des risques liés à l’usage des drogues. Pour être efficace, dans un

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domaine aussi sensible, l’action des associations doit nécessairement s’appuyer sur des « professionnels d’expérience », ces acteurs qui participent, après en avoir été bénéficiaires, au travail associatif. Ceux-ci possèdent une expérience irremplaçable, qui renforce à la fois la compétence des acteurs associatifs et la qualité de leurs prestations. Table ronde La table ronde était modérée par Bruno SPIRE, président d’AIDES.

Bruno SPIRE

L’association AIDES regroupe des personnes « séroconcernées », soit infectées par le VIH ou préoccupées par ses risques. Depuis plusieurs années, Médecins du Monde a contribué à la mise en place de nombreuses associations d’usagers. Nous tenterons ici de mieux saisir la place des usagers ainsi que de faire le point sur les attentes de ces partenaires vis-à-vis de Médecins du Monde.

Tatjana STAMATOVIC,

représentante de VEZA, association serbe L’association VEZA lutte contre les risques liés à la drogue à Belgrade, en Serbie. Ce programme a été créé avec l’aide de Médecins du Monde. Dès l’origine, un expert a participé à la définition d’une stratégie et à la réalisation d’un bilan de la situation. Ce travail a permis de mettre en lumière la situation très marginalisée des toxicomanes en Serbie. Après un accord avec le ministère de la Santé, le programme a été lancé dès juillet 2002. Une fois l’équipe créée, le travail a commencé en décembre 2002, en association avec les pharmaciens. Il s’agissait de permettre aux toxicomanes d’avoir accès à des seringues propres. Certaines pharmacies, notamment publiques, refusaient parfois de vendre ce type de produit, puisqu’elles estimaient ainsi cautionner l’usage de drogues. L’Association a aussi utilisé une camionnette afin de conduire des opérations de sensibilisation sur le terrain et d’informer les toxicomanes quant aux lieux où ils pouvaient trouver des seringues propres.

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ?

Entre 2004 et 2007, Médecins du Monde nous a aidés à créer un groupe d’utilisateurs pour l’entraide. Ce groupe a publié une plaquette d’informations, et il a aussi conduit des actions ciblées sur les toxicomanes Roms, dont la situation était particulièrement grave : parmi cette population, 70 % des toxicomanes sont VIH positifs. Un programme « Roms » a finalement été mis en place : en plus d’équipements mis à disposition, un centre ambulant permettait de répondre aux besoins d’hygiène courants ainsi que de réaliser des tests de dépistage. Le programme « Réduction du partage des seringues » a ensuite été repris par une association de toxicomanes. VEZA a largement contribué à la prise en compte de cette préoccupation, avec le soutien de Médecins du Monde. VEZA a également renforcé sa capacité de rayonnement. L’Association a conduit des enquêtes sur l’utilisation des drogues, notamment dans les lieux de sortie nocturnes. Des actions de sensibilisation et de prévention ont aussi été organisées.

Dusan MIHAJLOVIC,

représentant de VEZA, association serbe Depuis 2006, VEZA bénéficie de plusieurs financements internationaux. De nouveaux centres ont été ouverts à Belgrade, et l’activité de l’unité mobile a été renforcée. VEZA a également mis en place un programme de formation, à destination des paysans, des policiers, des médecins ainsi que de diverses populations. En 2006, VEZA a travaillé avec 1 000 personnes. Ce chiffre atteint désormais 2 000 personnes, soit un chiffre très satisfaisant. L’activité de plaidoyer fait partie de l’activité quotidienne de VEZA. L’Association lutte contre les discriminations. Depuis l’an dernier, VEZA compte neuf assistantes sociales, qui interviennent auprès des populations Roms mais également des transsexuels et des prostituées, soit de toutes les populations fortement discriminées. VEZA a également signé des conventions avec différents ministères. Aujourd’hui, les responsables serbes ont reconnu l’utilité de notre programme. VEZA a été invitée à étendre ses actions de formation aux cliniques publiques : c’était la première fois qu’une ONG recevait une telle invitation. Notre équipe s’agrandit progressivement, et elle attire même de plus en plus de jeunes.

Zafrullah CHOWDHURY,

représentant de GK Savar, association bengalie Le Bangladesh compte 145 millions d’habitants, dont 80 % de musulmans, 15 % d’hindous et 5 % de

chrétiens. Presque tous parlent une langue unique, le bengalî. Chaque communauté possède toutefois des difficultés particulières. Le Bangladesh entretient avec ses voisins des relations troublées. Son approvisionnement en eau dépend de la Chine et de l’Inde. Ce dernier pays, jadis très protecteur, s’est peu à peu désintéressé de notre pays, qui connaît régulièrement des épisodes d’inondations ou d’ouragans, même si les famines deviennent plus rares. Les associations telles que Médecins du Monde nous ont en effet aidés à modifier nos comportements. 20 millions de personnes vivent dans le delta du Bengale. Même si tous parlent la même langue, plusieurs communautés cohabitent. Chacune possède ses propres classes sociales, qui sont toujours très clivantes. Le Bengale est un fleuve très puissant, générateur d’une érosion très importante : les terres sont régulièrement submergées, avant de réapparaître quelques années plus tard. Les individus vivant dans ces zones perdent alors toutes leurs possessions, avant de réaménager ces espaces une fois la décrue venue. Ces populations vivent dans une

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Il convient effectivement d’abandonner tout complexe de supériorité : sans cela, nos partenariats ne pourront pas fonctionner ’’.

lutte constante, sans électricité, sans accès à des centres de santé, à des écoles ou à des systèmes de traitement des eaux usées. GK Savar fait de son mieux pour améliorer la vie de ces populations. Tous vivent dans l’espoir de récupérer les terres qu’ils ont perdues. Si le microcrédit est très développé au Bangladesh, la population la plus pauvre n’y a toutefois pas accès, et il est très difficile de financer les investissements dont cette population aurait besoin. Le microcrédit apparaît davantage comme un moyen de pérenniser le capi-

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ?

talisme. Les intérêts sont souvent très élevés, et les échéances sont dues chaque semaine. Ce système exclut donc d’emblée les pêcheurs ou les agriculteurs, dont les revenus sont étalés sur une saison. Pour cette raison, les ONG n’ont que très peu investi dans cette région.

les plafonds sont effondrés, les fils électriques à nus. Il règne dans les bâtiments une telle obscurité que certains détenus perdent la vue. D’autres puisent leur eau au fond d’un trou où arrive, entre autres, l’eau des sanitaires. La KAD a notamment permis d’alimenter la prison en eau de ville.

Finalement, un dispositif de crédit saisonnier a été mis en place. Il vise les populations les plus pauvres. En l’absence d’accès à l’électricité, il a permis de financer des dispositifs photovoltaïques. Dans cette région, quelques investissements très simples permettraient de totalement bouleverser la situation. Pour 60 000 euros, il serait possible de mettre en place des centres de santé et un système de crédit saisonnier. Médecins du Monde serait-elle prête à nous financer ? Un tel engagement permettrait d’entériner notre partenariat dans une relation de pairs. Il convient effectivement d’abandonner tout complexe de supériorité : sans cela, nos partenariats ne pourront pas fonctionner.

Née en juin 2001, l’Association intervient dans les champs de la santé, de l’hygiène, de l’environnement, de l’alphabétisation et de la réinsertion. A la suite de Médecins du Monde, elle forme les détenus aux premiers soins. La situation de certains, dont un condamné à perpétuité, a ainsi pu largement progresser. La cellule de concertation procède à l’évaluation des besoins de la prison en produits de première nécessité : savons, ampoules… Des cours sont proposés en anglais, en français ou en arabe, conformément aux souhaits des détenus.

Cellou BALDE,

représentant de KAD, association guinéenne La Guinée, indépendante depuis 50 ans, n’a rencontré Médecins du Monde que dans les années 1990, au moment où cette association était sollicitée pour juguler un épisode infectieux dans la prison de Kindia. Cette prison était jusqu’alors interdite aux étrangers. Après le départ des médecins, l’épidémie a néanmoins rapidement repris et Médecins du Monde est à nouveau intervenue. Lors de ces deux épisodes, l’association a constaté le caractère dramatique de la situation de la prison et a souhaité mettre en place une structure pérenne en ses murs. Une ONG très structurée, dotée d’un Conseil d’administration, d’un Bureau exécutif et d’une cellule de concertation a alors été montée. Cette organisation devait assurer une transparence totale, tant vis-à-vis des détenus que des gardiens ou de l’autorité publique. Une fois la structure mise en place, Médecins du Monde lui a apporté une subvention. Il convient aujourd’hui de dresser le bilan de ce partenariat. Les autorités sont très satisfaites de l’action conduite à Kindia, et elles nous ont donc autorisés à diffuser plusieurs clichés de la prison. La prison de Kindia a été construite en 1918. Pendant longtemps, l’Etat n’a pas investi dans l’entretien des lieux et les murs sont devenus noirs de crasse, et même poisseux au toucher. Les prisonniers sont entassés dans des cales. La région est sujette à de fortes inondations, et la dalle supérieure du bâtiment menace de céder bientôt. Dans nombre de cellules,

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La prison connaît un problème de malnutrition grave. Comment soigner un homme affamé ? La prison de Kindia reçoit des détenus de tout le pays. Aucun établissement ne possède d’organisation comparable et les prisonniers malades y sont envoyés sans tenir compte de nos capacités d’accueil. Pour les cas les plus sérieux, KAD propose des régimes adaptés. Il faut aussi ajouter que, à chaque mouvement social, l’Etat envoie un surcroît de prisonniers qui complique encore davantage la situation. KAD a installé des fours grâce auxquels les détenus produisent leur propre pain. Un atelier de couture permet de générer certains revenus, grâce au concours de l’ambassade d’Allemagne. KAD facilite aussi la réinsertion des anciens détenus en les aidant après leur libération. Le partenariat avec Médecins du Monde a été très fructueux : cette association nous a accompagnés dans notre projet, nous a soutenus financièrement et orientés vers d’autres soutiens, tout en respectant notre indépendance. Ce modèle de partenariat mérite d’être imité.

Béatrice STAMBUL,

représentante de Bus 31/32, association marseillaise L’association Bus 31/32 a longtemps affrété le bus collecteur de seringues de la région de Marseille. Bus 31/32 était au départ une fille, et est désormais une sœur de Médecins du Monde. L’Association s’est particulièrement efforcée d’impliquer les usagers dans son action : cette participation apparaît essentielle dans le domaine de la réduction des risques. Il y a dix ans disparaissait Mohamed Hamla, premier « professionnel d’expérience » de Médecins du Monde, par opposition aux profession-

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ?

nels diplômés. Mon expérience de la réduction des risques m’a convaincue de la nécessité, lorsque l’on souhaite travailler pour les autres, de travailler avec eux. La compétence d’un médecin reste inutile si elle ne rencontre pas la compétence du patient. Psychiatre de formation, c’est aux contacts des usagers que j’ai découvert le monde de la drogue. Partout dans le monde, les actions de réduction des risques doivent passer par le respect des savoirs et s’intégrer dans les structures communautaires. La devise du réseau international des usagers de drogue résume bien cela : « Nothing about us without us ». Médecins du Monde s’est engagée depuis sa création dans des programmes de santé communautaire. Elle a toujours choisi de travailler avec les usagers. Cette démarche a changé ma vie. Elle permet de travailler de manière plus humaine, mais aussi plus efficace. Il faut reconnaître l’expertise des usagers sur leur propre situation. Travailler au contact des associations d’usagers est donc absolument indispensable : on ne peut pas travailler autrement.

Bruno SPIRE

AIDES cherche aussi à impliquer les usagers dans l’action. Dès notre fondation, nous avons adopté pour principe de ne jamais créer d’antennes à l’étranger, ni d’envoyer des « missionnaires » en expatriation : nous voyions dans cela une pratique trop proche de la colonisation. AIDES n’est pas non plus un bailleur de fonds, même si elle aide ses partenaires à obtenir des financements. AIDES cherche donc à transmettre l’expertise qu’elle a accumulée en France vers des associations partenaires existantes dans d’autres pays, sur demande de ceux-ci. AIDES est ouverte à toute forme de partenariat : le seul critère réside dans l’engagement dans la lutte contre le Sida et les hépatites. AIDES cherche ensuite à renforcer les compétences des associations, en termes de connaissances scientifiques, de gestion comptable ou de gouvernance associative. Certains partenaires sont depuis devenus des acteurs majeurs de l’accès au soin, tel Arcade au Mali. Ces actions sont conduites dans le cadre du réseau Afrique 2000 rassemblant des associations de tailles variées. Il convient de respecter l’autonomie des partenaires en adoptant une position modeste. Notre objectif est en même temps de contribuer à la transformation sociale : pour cela, il faut exprimer un positionnement politique fort au niveau international. Au sein du réseau Afrique 2000, nous côtoyons des partenaires qui ne partagent pas du tout nos préoccupations en

termes de plaidoyer ou de défense des minorités : nous espérons toutefois les voir réviser ce positionnement à notre contact. Le réseau Afrique 2000 est un réseau dit « bas seuil », soit très accessible. AIDES a aussi souhaité développer un réseau « haut seuil », réunissant des associations engagées au niveau international dans des activités de plaidoyer. La Coalition PLUS réunit quatre structures fondatrices au Maroc, au Mali, en France et au Québec dans un objectif politique de plaidoyer. AIDES aide également ses associations partenaires à réunir les critères d’adhésion à cette nouvelle structure.

Interventions de la salle Un intervenant de Médecins du Monde La relation d’AIDES et Médecins du Monde est maintenant beaucoup plus qu’un simple partenariat. Les trois intervenants ont bien décrit les relations de leurs associations avec notre structure. Nous leur apportons du savoir-faire, ils nous offrent du savoir-être. Certains nous accompagnent aussi dans d’autres pays pour y développer de nouveaux programmes, comme en Afghanistan, en Tanzanie ou en Birmanie. Souvent, ces projets restent toutefois à l’initiative de Médecins du Monde. Nous sommes donc aussi prêts à entendre les propositions que vous nous soumettrez. Dusan MIHAJLOVIC, représentant de VEZA, association serbe Nous avons toute sorte de besoins. La Serbie affiche un retard très important, même par rapport aux autres pays de la région. Sur le terrain, beaucoup d’organisations restent invisibles, malgré leur discours. Tatjana STAMATOVIC, représentante de VEZA, association serbe VEZA doit encore renforcer son organisation pour être davantage opérationnelle et initier de nouveaux programmes. Notre prochain objectif est de sensibiliser les populations vivant en dehors de Belgrade. Cela exige toutefois une organisation très structurée. Médecins du Monde nous a aidés à mettre en place une clinique suivant 200 patients dépendants à la méthadone. Ce sont pourtant 5 000 personnes qu’il faudrait traiter. Le programme actuel est d’une grande qualité, mais il est trop restreint. Nous sou-

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ?

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La santé ne peut être conçue indépendamment de l’engagement de ses bénéficiaires ’’.

haiterions donc ouvrir de nouveaux centres et le concours de Médecins du Monde serait précieux. Nous aimerions également ouvrir des espaces réservés aux toxicomanes, afin d’éviter que ceux-ci ne s’injectent en pleine rue, devant des enfants. Cela soulève néanmoins d’importantes difficultés juridiques. Cellou BALDE, représentant de KAD, association guinéenne En 2005, Médecins du Monde a identifié la Guinée comme pays prioritaire. Malgré cela, l’Association n’y est toujours pas intervenue, en dehors de la prison. La population guinéenne n’est pas capable de se soigner, malgré l’existence d’infrastructures de soin. L’intervention de Médecins du Monde serait donc tout à fait nécessaire. Zafrullah CHOWDHURY, représentant de GK Savar, association bengalie L’implication de Médecins du Monde devra être durable. Son engagement sur un nouveau projet, à hauteur de 3 dollars par habitant, nous permettrait de développer des écoles, un réseau électrique photovoltaïque et ainsi d’assurer l’indépendance de la région. La question de l’accès aux soins est essentielle : il faut augmenter la disponibilité des médicaments et réduire leur coût. En même temps, au Bangladesh aussi, la toxicomanie se développe. L’épidémie de VIH est bien contenue, car des moyens sont mobilisés sur ce thème. En revanche, il est très difficile de traiter les enfants atteints, par exemple, de pneumonie.

Quel a été le rôle du pôle plaidoyer de VEZA dans la modification du positionnement gouvernemental sur le sujet de la toxicomanie ? Par ailleurs, le Bangladesh possède une expertise très forte en matière de réduction des risques liés aux catastrophes naturelles. Nous avons beaucoup à apprendre sur ce sujet. Un intervenant L’action conduite en Guinée est remarquable. Ce programme pourra être étendu à d’autres prisons, notamment à Conakry, ou encore aux établissements traitant de santé mentale. Enfin, il était intéressant de constater que le microcrédit peut avoir des effets pervers. Dusan MIHAJLOVIC, représentant de VEZA, association serbe Le pôle plaidoyer constitue l’une des activités les plus récentes de l’Association. Il n’aurait pas été pertinent de conduire des campagnes sans les asseoir sur une certaine notoriété. Le problème de la toxicomanie grandit néanmoins, et la population s’y sensibilise. Les conditions étaient donc favorables à de nouvelles actions dans ce domaine. Une stratégie nationale VIH a donc été élaborée. Nous travaillons sur une nouvelle version pour la période 2010-2015, en concertation avec d’autres ONG. Zafrullah CHOWDHURY, représentant de GK Savar, association bengalie Le microcrédit impose des taux très élevés, de 35 à 40 %. Ce dispositif n’a pas permis de créer le moindre hôpital ni la moindre école. Il n’a servi qu’à créer de nouvelles banques, et les fonds mobilisés n’ont jamais atteint les plus pauvres. Les paysans n’obtiennent leur récolte qu’une fois par saison, et ils ne peuvent pas rembourser des échéances hebdomadaires. Le crédit saisonnier paraît donc préférable : sur cette activité, notre taux de recouvrement atteint 98 %. Le microcrédit ne saurait donc être considéré comme un outil de lutte contre la pauvreté. Cellou BALDE, représentant de KAD, association guinéenne En Guinée, nous n’avons pas mis en œuvre de programme de santé mentale. Nos priorités portent sur la santé maternelle et infantile. Souvent, les praticiens réalisent les césariennes gratuitement, mais le traitement postopératoire est ensuite très coûteux.

Une intervenante

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ?

Zafrullah CHOWDHURY, représentant de GK Savar, association bengalie Nos trois organisations sont très différentes, et sans doute Médecins du Monde possède-t-elle vis-à-vis de chacune une approche différente. Au Bangladesh, cependant, il semble nécessaire d’agir à plus long terme. Un programme pilote ne serait pas suffisant. Une intervenante Le Bangladesh et la Serbie connaissent des problèmes qui iront sans doute en s’aggravant. En Serbie, le gouvernement devra adopter des politiques visant spécifiquement à réduire la prévalence de la toxicomanie, sans toutefois créer de nouvelles inégalités sociales. Au Bangladesh, le changement climatique entraînera une intensification des catastrophes naturelles et imposera le déplacement de millions de personnes. Il semble effectivement que le microcrédit ne serve que la cause de l’individu : il alimente donc les divisions. En Egypte, le microcrédit favorise le commerce, mais pas la production. Une intervenante Dans le sud, les bénéficiaires d’actes de soin deviennent de plus en plus des co-prestataires de ces actions, et ils s’impliquent également davantage dans leur gouvernance. Qu’en est-il en France, notamment avec les populations Roms ou sanspapiers ? Un intervenant de Médecins du Monde Les trois associations intervenantes constituent trois exemples différents de modes de participation communautaire. Les programmes s’appuient sur les populations qu’ils ciblent. Vos discours démontrent bien que la réduction des risques est une préoccupation universelle. Sur le terrain, certains arguent souvent du contraire. Une fois appropriée par les usagers, la démarche de réduction des risques peut transformer les pratiques sociales. La santé ne peut être conçue indépendamment de l’engagement de ses bénéficiaires. Un intervenant La participation des malades du Sida ou des toxicomanes a toujours été très enrichissante. Comment utiliser cette expérience pour étendre ces pratiques à de nouvelles populations ?

Tatjana STAMATOVIC, représentante de VEZA, association serbe Selon l’UNICEF, 70 % des toxicomanes atteints du VIH avaient été contaminés en utilisant des seringues usagées. La consommation de drogue augmente dans le monde entier. Il faut donc protéger les toxicomanes en comprenant leurs besoins. Il convient de bien distinguer la lutte contre la toxicomanie de la lutte contre ses risques. A Belgrade, beaucoup de personnes, y compris des médecins, accusent VEZA de favoriser la toxicomanie. Notre association ne porte pas de jugement : elle ne cherche qu’à limiter les risques liés à l’addiction. Zafrullah CHOWDHURY, représentant de GK Savar, association bengalie Il est vrai que le microcrédit ne profite jamais à des investissements productifs. Par ailleurs, au Bangladesh, la pauvreté est telle et le système éducatif si faible que le développement de la toxicomanie semble très probable. Malgré tout cela, le Bangladesh est le seul pays qui parviendra à atteindre ses objectifs du millénaire avant 2015. Notre action est donc efficace et nous demandons donc des investissements encore plus importants. Un intervenant de Médecins du Monde Comment intégrer les usagers dans la gouvernance de nos projets ? En France, de nombreuses associations ont mis en place des initiatives de ce type. A Marseille, un centre autogéré par des sans-domicilefixe atteints de psychose a été créé, avec l’accompagnement de Médecins du Monde. En Amérique latine, cette préoccupation est aussi très prégnante. Cette réflexion devra aussi avoir lieu en France. Il est nécessaire, pour entrer dans une relation d’égal à égal, de concilier les deux méthodes de l’objet/ sujet, où la cible de l’action participe à celle-ci, avec la posture de réduction des risques qui reconnaît l’expertise des patients sur leur propre situation. Ces questions sont pertinentes sur l’ensemble de nos secteurs d’activité. Cellou BALDE, représentant de KAD, association guinéenne Dans la prison de Kindia, la cellule de concertation est composée de détenus et de gardes pénitentiaires. Cette équipe visite l’ensemble des cales de détention pour recenser les besoins et les cas de maladies. Le Bureau exécutif décide ensuite de l’attribution des moyens. Dans le cadre des activités génératrices de revenus,

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Table ronde n°2 Quand les bénéficiaires deviennent des acteurs : comment agir au mieux ?

les détenus évaluent également les besoins nécessaires à leur production et les soumettent au Bureau exécutif. L’association soutient ensuite les prisonniers au moment de leur réinsertion. Un intervenant La démarche participative possède aussi ses limites. Il ne faut pas réduire la compétence des patients à un savoir profane dont la gouvernance ne tiendrait pas compte. Au Québec, des associations s’appuient sur une organisation très forte, avec des usagers très impliqués, mais leur impact sur la société, en termes d’évolution législative, reste marginal. La participation des usagers ne contribue alors qu’à la qualité des actions, mais non à la transformation sociale. Jean-Pierre LHOMME, président de l’association française GAIA La question de la place de la personne et de sa reconnaissance dans la pratique des médecins est essentielle. La démarche de réduction des risques peut s’appliquer à toutes les thématiques, et notamment à la vie carcérale ou à la prostitution. Cette démarche consiste avant tout à associer les usagers dans la définition des actions qui les concernent. Un intervenant Douze ans durant, Médecins du Monde a été proche de l’Ejército de Liberación Nacional, mouvement zapatiste mexicain. Nous partagions au départ une même préoccupation pour la défense des droits des Indiens des régions du Sud. Ce partenariat a néanmoins été très complexe, et s’apparentait à certains égards à un rapport de force, dans lequel les zapatistes pouvaient décider unilatéralement des modifications de programme, nous imposant ainsi des négociations délicates avec les bailleurs de fonds. Les zapatistes abusaient largement de leur connaissance de la population et d’une langue que nous ne maîtrisions pas. Ils nous imposaient leurs caprices. Les actions aboutissaient, mais toujours au terme d’un processus très complexe. Dusan MIHAJLOVIC, représentant de VEZA, association serbe La façon dont nous avons impliqué les usagers dans notre dispositif a aussi contribué à mieux nous faire reconnaître, notamment auprès des toxicomanes.

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Un intervenant La participation des usagers ne doit servir qu’à améliorer la qualité des programmes, mais aussi influer les politiques conduites au niveau national. Ce sont en effet les usagers qui doivent ensuite porter notre combat sur la scène politique, en s’appuyant sur leur légitimité. Comment favoriser cette montée en puissance ? Cellou BALDE, représentant de KAD, association guinéenne Pour l’heure, les détenus guinéens peuvent au mieux devenir des interlocuteurs, mais non pleinement des acteurs politiques. Dusan MIHAJLOVIC, représentant de VEZA, association serbe Nous menons actuellement une campagne dans une certaine indifférence. En Serbie, il nous est difficile de faire accéder nos usagers aux réunions ministérielles. Ils peuvent toutefois formuler des propositions, mais celles-ci sont rarement adoptées. Zafrullah CHOWDHURY, représentant de GK Savar, association bengalie Les femmes que nous formons savent bien que discuter avec un ministre ne mène à rien. Elles se concentrent donc sur des actions concrètes. Le Bangladesh a affirmé dès 1970 la nécessité de confier davantage de responsabilités aux femmes. Celles-ci se sont depuis engagées dans un grand effort de plaidoyer. Une intervenante Il ne faut pas seulement impliquer les usagers mais, de manière plus ambitieuse, contribuer au renforcement de la société civile et la constitution d’associations de bénéficiaires. Ceux-ci deviennent toutefois rarement des interlocuteurs du pouvoir. Le positionnement de ces associations est en effet ambigu, puisqu’elles regroupent souvent des personnes considérées comme des délinquants. Médecins du Monde doit avant tout contribuer à la structuration de ces mouvements associatifs, même si elle ne partage pas leurs objectifs, dans une logique d’« empowerment ».

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Table ronde n°3 Quelle indépendance politique pour les associations partenaires israélienne, polonaise, guatémaltèque, uruguayenne et française ?

Présentation de la table ronde Dans un monde globalisé, les politiques nationales restent influentes. Elles dictent notamment les conditions dans lesquelles interviennent les organisations humanitaires. Entre volonté d’indépendance et nécessité d’intégrer le jeu politique afin de contribuer efficacement au changement social, plusieurs organisations partenaires de Médecins du Monde présentent leur point de vue et partagent leurs expériences. En Israël, l’association PHR (Physicians for Human Rights), est confrontée à un Etat violent, n’hésitant pas à diffuser des discours propagandistes. Son positionnement radical la conduit à se placer dans une logique d’opposition, dans laquelle elle dénonce systématiquement les mensonges de l’Etat. Si cette indépendance fait d’elle une association pleinement responsable, PHR voit actuellement ses financements et ses conditions de travail menacés. La Nobody’s Children Foundation est née d’une ancienne mission de Médecins du Monde. Elle intervient auprès des enfants maltraités et a participé, dès sa création en 1991, à l’émergence d’une société civile post-soviétique en Pologne. Malgré les obstacles d’un pouvoir autoritaire et d’une société traditionnellement conservatrice, la Fondation promeut les droits de l’enfant. Ses moyens sont néanmoins limités, et seul le Gouvernement dispose des moyens de conduire les actions nécessaires à l’échelle du pays. La Fondation se situe donc dans une logique de coopération et d’influence du pouvoir en place. L’Association AMES défend les droits des femmes au Guatemala. Si elle maintient une indépendance financière totale vis-à-vis du Gouvernement, l’Association participe régulièrement au dialogue politique et contribue aux projets de loi. De manière générale, AMES favorise la participation des femmes au dialogue politique sur leurs lieux de vie ou de travail. Ces négociations multipartites ,réunissant patrons, syndicats et Etat, contribuent à faire progresser les droits humains au Guatemala. Et ces droits sont bien incompressibles ! L’exemple d’Iniciativas Sanitarias illustre l’importance du rapport au politique. Longtemps, cette association uruguayenne est restée cantonnée à une position de résistance face un gouvernement

conservateur. Elle militait alors pour les droits des femmes et tentait de réduire le taux très élevé de mortalité maternelle que généraient des pratiques d’avortements illégaux. Un climat favorable lors des dernières élections laisse envisager une possible légalisation de l’avortement. Son ancien directeur a même rejoint le Ministère de la santé, preuve d’une modification profonde du point de vue gouvernemental sur le combat de cette association. Enfin l’association Gaïa Paris rassemble deux anciennes missions de Médecins du Monde impliquées dans la réduction des risques liés à la toxicomanie à Paris. Pour cette structure modeste, le concours étatique était indispensable. Son rapprochement du Ministère a néanmoins réduit ses marges de manœuvre, notamment en matière d’innovation. C’est désormais en partenariat avec des structures plus importantes, comme Médecins du Monde, que Gaïa mène ses actions les plus novatrices.

Table ronde La table ronde était modérée par Michel WIEVIORKA, sociologue français et administrateur de la fondation Maison des Sciences de l’Homme.

Michel WIEVIORKA

J’ai eu par le passé l’occasion de travailler aux côtés de Médecins du Monde. L’engagement de cette association et la qualité des données qu’elle produisait sur le sujet du Sida, que la recherche en sciences humaines était jusqu’alors incapable de traiter, m’avaient beaucoup impressionné. Le thème de l’indépendance politique des associations est essentiel. Si la globalisation économique est indéniable, ce mouvement ne s’est pas étendu au domaine des droits de l’homme. Les Etats et leurs frontières existent toujours, et chaque pays présente des situations différentes, qui modifient les conditions d’intervention des associations. L’indépendance apparaît comme une forme de pureté, mais elle peut aussi avoir un coût. Tandis que certains Etats peuvent parfois soutenir les ONG, d’autres freinent leur action. Nos différents témoins exposeront ici les relations de leurs associations avec le pouvoir politique.

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Table ronde n°3 Quelle indépendance politique pour les associations partenaires israélienne, polonaise, guatémaltèque, uruguayenne et française ?

Ruchama MARTON,

représentante de PHR, association médicale israélienne

Une organisation œuvrant dans le domaine des droits de l’homme est, par définition, une organisation politique radicale. L’association PHR est une structure non partisane, même si son engagement est bien politique dans la mesure où elle souhaite initier un changement social et lutter contre l’oppression des Palestiniens et de toutes les minorités. Un groupe radical travaille toujours en dehors du consensus. Pour PHR, c’est un choix assumé, même s’il n’est pas aisé. Depuis 22 ans, PHR a pu maintenir son positionnement radical tout en rassemblant juifs et Palestiniens, femmes et hommes. Nous consacrons beaucoup de temps à nous comprendre les uns les autres. Nous préférons la discussion au vote : si elle exige au départ davantage de temps, il s’avère à long terme plus fructueux de convaincre ses partenaires que d’imposer l’avis de la majorité. Notre positionnement est différent de la très puissante Israël Medical Association. Une organisation radicale cherche à comprendre les racines du mal pour mieux les combattre. C’est à cela que nous consacrons tous nos efforts. Il serait sans doute plus populaire de conduire des actions humanitaires traditionnelles. La lutte radicale est en effet un combat de longue haleine. Une organisation médicale radicale doit donc combiner une action humanitaire avec une action politique. L’association PHR cherche aussi à diffuser un discours alternatif à la propagande gouvernementale. Le pouvoir israélien affirme par exemple que les ambulances palestiniennes transportent des combattants, afin de légitimer ensuite les attaques visant ces véhicules. Nous dénonçons toujours ces propos via nos porte-parole officiels. Nous refusons même le lexique utilisé par le Gouvernement pour désigner ce que nous appelons « le territoire palestinien occupé ». Notre positionnement évolue donc en permanence entre coopération et auto-ségrégation. Du fait de notre proximité, il nous faut veiller en permanence à bien maintenir notre indépendance vis-à-vis du régime. Couper tout contact avec le pouvoir nous placerait dans une situation d’isolement d’où nous ne serions plus capables d’impacter la situation politique. Intégrer une majorité ou un consensus rassure toujours. Cela entraîne aussi une dilution des responsabilités : entrer dans un rapport hiérarchique, c’est abandonner une partie de son pouvoir. Dans

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une organisation, l’individu omet les finalités de son action pour se concentrer sur l’exécution. L’indépendance est donc essentielle. PHR souhaite conserver son positionnement radical tout en continuant à contribuer au changement social. Actuellement, en Israël, PHR est agressée de toute part. Les partis, ONG et médias de droite reçoivent des financements du monde entier et diffusent leur discours. Les arrestations se multiplient. Nos convois ne peuvent atteindre Gaza. L’Association est même accusée de trahison, et ses financements sont menacés. Depuis juillet 2009, PHR est la cible de nombreuses accusations visant à décourager ses donateurs. Elle a donc besoin de soutien. Nombre de ses militants sont en prison pour des motifs futiles. Le monde doit être mieux informé de la situation israélienne.

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Il est important de reconnaître le travail de chaque organisation, de la société civile ainsi que celui de l’Etat. C’est en appréciant le rôle de chacun que l’on peut s’unir pour porter des projets efficaces ’’.

Maria KELLER HAMELA,

Nobody’s Children Foundation, association polonaise La Nobody’s Children Foundation a succédé à une mission de Médecins du Monde qui recevait les enfants victimes de sévices. Créée en 1991, juste après l’effondrement du bloc soviétique, notre association souhaitait également contribuer à la reconstruction de la société civile. A l’époque, l’Etat percevait toutefois les ONG comme des éléments perturbateurs, et ce malgré leur forte audience. Une de nos pédiatres avait par exemple invité Danièle Mitterrand à visiter notre association, à l’occasion d’une visite officielle de celle-ci en Pologne. Malgré la réprobation du Gouvernement, Madame Mitterrand est pourtant venue apporter son soutien à notre action.

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Table ronde n°3 Quelle indépendance politique pour les associations partenaires israélienne, polonaise, guatémaltèque, uruguayenne et française ?

Même en matière de droits des enfants, le contexte politique joue toujours un rôle. Un parlementaire jugeait ainsi que son père, en le battant, avait contribué à sa bonne éducation. La Pologne est aussi à la fois un ex pays communiste et une société très catholique, où les droits de l’enfant et de la famille peuvent entrer en contradiction. La défense des droits de l’enfant apparaît ainsi, du point de vue des familles, comme une forme d’ingérence. Selon la Fondation, la protection de l’enfance passe aussi par des actions de prévention primaire. La Fondation a énoncé plusieurs règles de base concernant ses relations au politique. Ses membres ne doivent appartenir à aucun parti, faute de devoir se retirer de la gouvernance de la structure. En matière de financement, les aides étatiques ne doivent pas dépasser une certaine part du budget. Notre rôle consiste à initier des actions et à demander le changement. Nous n’avons toutefois pas les moyens de conduire nos projets sur l’ensemble du territoire : cela est de la responsabilité du Gouvernement, et il est donc bien nécessaire de travailler avec lui afin de l’orienter vers des actions pertinentes. Récemment, le Gouvernement s’est entièrement approprié un projet initié au départ par la Fondation. C’était là un vrai motif de satisfaction puisqu’il contribuait directement au bien être de nombreux enfants. Nous avons aussi fait évoluer le point de vue des enfants : ceux-ci refusent désormais des pratiques que leurs aînés considéraient, dix ans plus tôt, comme normales.

Michel WIEVIORKA

Combattre pour les droits de l’homme, au-delà de l’aide à apporter aux individus, c’est aussi influencer l’Etat, par une attitude de coopération ou de résistance, pour contribuer au changement social. Les dynamiques apolitiques ne sont donc pas suffisantes.

Rosa ESCOBAR,

représentante d’ AMES, association guatémaltèque Le Guatemala est un pays très inégalitaire et la majorité de sa population est extrêmement pauvre. AMES a été créée en 1986 dans le cadre du Mouvement autonome des femmes. Au départ, l’association ne possédait que ses rêves : par son travail et son engagement, elle a néanmoins pu grandir. Elle a aussi bénéficié de la solidarité et de la générosité d’une femme qui lui a confié un apport initial de 1 000 dollars. Le miracle s’est poursuivi et AMES a ensuite gagné une voiture lors d’une loterie. Elle a acquis ses autres ressources en vendant des vêtements, et AMES a pu commencer à agir tout en restant indépendante du Gouvernement. L’Association porte un projet révolutionnaire, au sens

où il ambitionne de changer la société : présente aux niveaux national et international, elle lutte contre les violences faites aux femmes et pour l’établissement de l’égalité des sexes. AMES favorise la participation politique des femmes, dans une logique d’« empowerment ». Les femmes guatémaltèques ne pourront vivre dignement que lorsque leurs droits seront pleinement reconnus. Pour être efficace, AMES s’appuie sur une réelle autonomie économique et politique. Ses outils de suivi lui offrent une vision intéressante de la situation. Elle ne reçoit aucun financement gouvernemental afin de garder son indépendance. AMES lutte encore pour renforcer l’accès des femmes aux soins ou aux méthodes de prévention sexuelle. L’Etat reconnaît le travail très concret que conduit AMES. L’association participe activement au dialogue politique et nous sommes toujours force de proposition pour les projets de loi qui nous concernent. Notre indépendance nous permet enfin de dénoncer librement toutes les pratiques auxquelles nous sommes opposés. Tout en chérissant notre indépendance, nous estimons néanmoins important de participer aux protocoles de discussion. Sans cela, il serait impossible de faire entendre notre voix. Si nos membres gardent leur liberté de conscience, aucune appartenance politique ou religieuse ne vient influencer notre fonctionnement. Il est important de reconnaître le travail de chaque organisation, de la société civile ainsi que celui de l’Etat. C’est en appréciant le rôle de chacun que l’on peut s’unir pour porter des projets efficaces. Nous tentons, avec d’autres organisations, de formuler des propositions unifiées, avant de coordonner notre action avec l’Etat. Nous avons aussi mis en place des instances de négociation dans les usines, tout en affichant le principe selon lequel les droits de l’homme ne doivent pas être négociables. Cette expérience nous permet de mieux suivre les évolutions juridiques internationales et leur application. Il était nécessaire, pour aboutir, de rassembler dans la discussion l’Etat, le patronat et les syndicats. Médecins du Monde est aussi intervenue, à côté d’autres associations, pour coordonner notre action. Leur intervention a été très importante puisque les Etats sont toujours sensibles à la pression exercée par les acteurs internationaux.

Michel WIEVIORKA

Cette intervention soulève une question importante : comment négocier le non négociable ? Il existe effectivement une tension au cœur de l’action associative,

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entre la nécessité de participer à un processus et la volonté de fondamentalement le modifier.

Cecilia STAPFF,

représentante d’Iniciativas Sanitarias, association uruguayenne L’association Iniciativas Sanitarias est née en 2001. Elle rassemble différents professionnels de santé préoccupés par le niveau du taux de mortalité maternelle en Uruguay. Celui-ci s’explique en partie par des pratiques d’avortements illégaux. Nous avons d’abord développé une stratégie de réduction des risques visant les avortements les moins sûrs, dans le respect des valeurs de professionnalisme et de confidentialité ainsi que des droits humains.

La légalisation de l’avortement a été évoquée en Uruguay pour la première fois dans les années 90. En 2004, l’arrivée d’un médecin à la tête d’un gouvernement progressiste a laissé un temps espérer une évolution législative, mais le Président s’est opposé au projet de loi en 2004, puis à nouveau en 2008. En réponse à cela, plusieurs professionnels ont rassemblé différentes structures afin d’élaborer une stratégie de réduction des risques. Bénéficiant d’un appui institutionnel fort, ce document est ensuite devenu un guide clinique à destination des femmes en situation de grossesse non désirée. Un centre a été établi dans l’hôpital Maria Rosa, établissement gynécologique de référence, avec le concours de médecins professeurs de l’Université, d’où nous avons pu conduire notre politique. Nous avons aussi tenté d’en mesurer les résultats.

de favoriser la reconnaissance de l’indépendance des femmes. Désormais, notre ancien directeur a rejoint le Ministère de la Santé, où il gère les programmes liés à ces thématiques. C’est là un atout important pour nos actions. La dépénalisation de l’avortement constitue désormais notre première priorité. Notre association a aussi entamé avec Médecins du Monde un nouveau partenariat ouvrant de nouvelles perspectives d’avenir. Nous espérons étendre notre travail à d’autres régions du monde et renforcer nos liens avec le Ministère. Grâce à notre action, entre autres, la mortalité maternelle pour cause d’avortement en Uruguay est désormais nulle.

Michel WIEVIORKA

Ce témoignage illustre bien la façon dont une orientation gouvernementale peut influencer l’action des associations. L’idée selon laquelle les droits de l’homme surplombent de très haut la politique est bien obsolète. L’engagement politique est indispensable.

Jean-Pierre LHOMME,

Président de Gaïa Paris, association parisienne Gaïa Paris gère deux établissements médico-sociaux issus de deux missions de Médecins du Monde. Le premier coordonne le premier programme français d’échange de seringues, et le second gère le Bus méthadone, au rôle très important dans le cadre de la problématique de la substitution.

D’un point de vue politique, l’opposition du Président nous a conduits à distinguer les textes favorables à la dépénalisation de l’avortement de ceux décrivant les actions de réduction des risques. Celles-ci ont pu être incluses dans une loi portant sur la santé des femmes. La stratégie définie en 2008 est donc désormais inscrite au sein de la loi. En mars 2010, le nouveau Président a affirmé qu’il ne s’opposerait pas à la légalisation de l’avortement, suscitant alors un vaste débat public. Iniciativas Sanitarias rencontre au quotidien de très nombreuses femmes. Les motivations pour lesquelles elles souhaitent interrompre leur grossesse sont multiples. Notre préoccupation est d’abord d’ordre sanitaire, et non moral, et aucun de nos praticiens ne se permet donc de juger ces raisons. La participation du corps médical offre d’ailleurs à Iniciativas Sanitarias une réelle crédibilité. L’Association tente aussi de définir de nouvelles normes pour la pratique médicale, de rétablir une certaine justice dans la relation médecin/patient et

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L’idée selon laquelle les droits de l’homme surplombent de très haut la politique est bien obsolète. L’engagement politique est indispensable ’’.


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Nos échanges avec l’Etat ont été essentiels : notre action est désormais inscrite dans la Loi de santé publique, au titre de l’effort de réduction des risques liés à l’usage de drogues. Ce travail de négociation nous a parfois placés dans des situations complexes. Nous avons toujours respecté les valeurs de Médecins du Monde, notamment du point de vue financier puisque nos subventions étatiques n’ont jamais constitué plus de la moitié de nos ressources. Notre action est désormais cadrée par les critères définis par le référentiel de la Loi. Notre action portait à la fois sur les deux champs de la santé publique et de la santé individuelle : sur ce dernier volet, nous avons plus de mal à faire valoir notre point de vue. Il est en effet plus difficile pour une association isolée de développer des pratiques innovantes. En réponse à cela, nous développons actuellement une convention pour l’éducation à l’injection avec Médecins du Monde. Dans le domaine de la toxicomanie, la DGS et le Ministère de la santé ont posé de nouvelles contraintes budgétaires. Dans un souci d’optimisation des moyens alloués, les pouvoirs publics ont initié un mouvement de fusion des associations, afin de réduire le nombre de leurs partenaires. Ce mouvement compromet encore notre spécificité et notre désir d’innovation. La relation avec l’Etat est donc nécessaire : elle garantit la pérennisation et la prise en compte durable de nos actions. Dans le même temps, ce rapprochement soulève forcément des difficultés. Il y a là une question de positionnement de curseur : il faut à la fois se prémunir d’un fonctionnement évoluant dans le seul cadre stérile de la santé publique et éviter d’être réduit à une « expérience-caution » de l’Etat. Le professionnalisme apparaît comme le meilleur rempart contre ces deux menaces. Notre travail auprès de nos bénéficiaires nous a aussi protégés contre l’influence de l’Etat.

Interventions de la salle Un intervenant Le Gouvernement guatémaltèque est parfois violent. Comment gérer une relation sur laquelle plane toujours l’ombre de la violence ? Par ailleurs, la situation en Uruguay semble s’être largement améliorée. Comment Iniciativas Sanitarias entend-elle porter son action vers les pays voisins, comme le Pérou ? Rosa ESCOBAR, représentante d’ AMES, association guatémaltèque La Guatemala a connu de nombreux changements gouvernementaux. Désormais, il est devenu possible d’évoquer les droits de l’homme sans être directement menacé. Si la répression est moins ouverte, elle existe néanmoins toujours. Les chefs d’entreprise sont eux aussi très violents. La menace est constante. Cecilia STAPFF, représentante d’Iniciativas Sanitarias, association uruguayenne La légalisation de l’avortement élargirait l’accès des femmes aux traitements. Concernant le Pérou, des accords avec des organisations locales ont déjà été conclus. Notre stratégie est en effet compatible avec tous les cadres juridiques. Une intervenante La relation d’une ONG à l’Etat est nécessairement complexe. Quelle est la situation de Médecins du Monde en France, sur des questions telles que les Roms ou les demandeurs d’asile ? Un représentant de Médecins du Monde Plusieurs membres de Médecins du Monde se sont déjà exprimés sur ce point. Historiquement, l’Association a eu avec l’Etat un rapport de co-construction. Nous avons participé à l’élaboration des lois Aubry contre l’exclusion ainsi qu’à leur déclinaison. Ce positionnement a pu découler d’un positionnement politique favorable, à l’époque. En 2010, les contextes politiques et humanitaires ont changé. Sur le sujet des Roms, Médecins du Monde se trouve en situation de résistance : pour la première fois de son histoire, un procès a été ouvert à l’encontre de l’Association pour occupation illégale d’un terrain à Bobigny. Médecins du Monde assume et revendique malgré tout ce positionnement. Nous

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La problématique sanitaire possède un certain atout : elle permet de dépasser les appartenances religieuses ou communautaires ’’.

avons aussi rejoint le collectif des Délinquants solidaires, aux côtés du Secours Catholique ou de la Fondation Abbé Pierre, dans l’espoir de faire évoluer la situation des demandeurs d’asile. Médecins du Monde se trouve donc dans une position de résistance, tout en continuant à développer des politiques médicales innovantes. Sa relation à l’Etat me semble donc parvenue à maturité. Cecilia STAPFF, représentante d’Iniciativas Sanitarias, association uruguayenne Quelles stratégies les associations mettent-elles en place face aux populations victimes de répression ? Rosa ESCOBAR, représentante d’ AMES, association guatémaltèque Nous appliquons aux femmes vulnérables des processus particuliers. Le temps et un soutien psychologique peuvent ensuite leur permettre de témoigner de leur expérience. Nous tentons aussi de les rencontrer sur leur lieu de travail ou leur lieu de vie. Une intervenante L’opinion publique peut-elle contribuer à surmonter une opposition gouvernementale ? Maria KELLER HAMELA, Nobody’s Children Foundation, association polonaise Il est nécessaire de faire exister les lois dans le cadre politique existant. On constate, dans le même temps, une évolution des mœurs : les châtiments corporels

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sont de moins en moins acceptés en Pologne. Ces évolutions ne sont néanmoins possibles que sur le temps long. Cecilia STAPFF, représentante d’Iniciativas Sanitarias, association uruguayenne L’opinion publique en Uruguay a aussi évolué. La problématique sanitaire possède un certain atout : elle permet de dépasser les appartenances religieuses ou communautaires. La question de la santé et celle de la mortalité touchent tout le monde. Michel WIEVIORKA Il faut en effet conjuguer action humanitaire et sociale à l’intérieur de la société. En Israël, ces questions deviennent toutefois très complexes : le problème est à la fois politique et social, interne et international. Ruchama MARTON, représentante de PHR, association médicale israélienne A Gaza, ces questions prennent en effet une acuité particulière. Il s’agit sans doute du contexte le plus complexe au monde. A Gaza, chaque enfant est sensible à la situation politique. Une action de traitement « post-traumatique » n’aurait pas de sens : nous sommes en plein dans le traumatisme. La crise est là. Les détonations et le passage des avions supersoniques rythment les jours. Les menaces sont constantes, et elles proviennent à la fois de l’air, des mers et du sol. Les écoles, les hôpitaux et les maisons sont détruits. Tous les enfants sont forcément affectés par cette situation, de même que leurs parents. La plupart des pères n’ont pas d’emploi et s’accusent de ne pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, ce qui augmente encore leur désespoir et leur colère. Pour eux, la vie à la maison est un enfer sans espoir : il n’y a ni argent, ni emploi, ni formation. Ce contexte est naturellement générateur de violence. Sans doute des interventions de santé mentale pourraient-elles être bénéfiques. Actuellement, Gaza est certainement le territoire où l’aide humanitaire est la plus nécessaire. Les hommes pensent souvent ne pas avoir besoin de soutien psychologique, mais ce n’est pas le cas. Toute la population, hommes comme femmes et enfants, a besoin d’aide. L’unique Institut de santé mentale présent à Gaza est impuissant face à l’ampleur de la tâche. L’aide de Médecins du Monde serait donc

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très appréciée. Le gouvernement affirme que cette situation a commencé en 2007, mais elle est en réalité intolérable depuis 2005, et elle a toujours été très difficile depuis 43 ans.

Jean-Pierre LHOMME La relation d’une ONG à l’Etat est toujours déterminante quant à ses orientations. Les droits de l’homme sont universels : ils valent pour tous les Etats et tous les genres.

Ruchama MARTON, représentante de PHR, association médicale israélienne Médecins du Monde devra notamment user de son influence auprès du gouvernement français. La décision d’apporter une aide humanitaire est nécessairement politique : il s’agit d’une prise de position par rapport aux victimes. Le soutien américain à Israël est l’un des premiers moteurs du fondamentalisme dans la région. Il faut absolument briser ce cercle de la violence. Le Hamas et les autres groupements violents ont émergé dans ce contexte. Chaque attaque envers la Palestine crée de nouveaux fondamentalismes. Cecilia STAPFF, représentante d’Iniciativas Sanitarias, association uruguayenne La discussion autour de ces questions doit se prolonger. Il faut promouvoir nos actions, communiquer autour d’elles, pour attirer encore davantage de femmes et encore mieux les connaître. Maria KELLER HAMELA, Nobody’s Children Foundation, association polonaise Il faut être très vigilant quant à notre indépendance. Les politiques et les gouvernements changent, mais l’Etat demeure. Il faut réussir à définir un positionnement idéal entre indépendance et capacité à impacter significativement la société. Ruchama MARTON, représentante de PHR, association médicale israélienne PHR n’a jamais accepté de subventions israéliennes. Le Gouvernement nous a proposé beaucoup d’argent pour que nous nous occupions de travailleurs immigrés : cela nous aurait toutefois détournés de notre vocation première. Il tente désormais de nous interdire l’accès à Gaza. L’entrée d’un médecin sur le territoire occupé est maintenant punie de trois ans d’emprisonnement. PHR est une organisation mixte, réunissant hommes et femmes dans un combat féministe. Parmi les réfugiés, les femmes occupent sans doute les positions les plus vulnérables.

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Document rédigé par la société Ubiqus – Tél. 01.44.14.15.16 – http://www.ubiqus.fr édition : Médecins du Monde / septembre 2010

www.medecinsdumonde.org


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