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Le Noumatrouff 76-78, Renaud Sachet

MUNDANEUM

Par Valérie Bisson

DANS LA LIGNÉE DE LA DEUXIÈME ÉDITION DES UNIVERSITÉS D’ÉTÉ DU FANZINE AU CONFORT MODERNE DE POITIERS QUI A EU LIEU CET ÉTÉ, RENAUD SACHET, ARTISAN DE FANZINES DEPUIS L’ÂGE TENDRE, SE PENCHE D’ENCORE PLUS PRÈS SUR LE SUJET EN ORGANISANT UNE RÉTROSPECTIVE DU FANZINE MUSICAL DES ANNÉES 1990 À 2020 À LA MÉDIATHÈQUE OLYMPE-DEGOUGES. L’OCCASION DE REVENIR SUR CE QUI EXISTE ENVERS ET CONTRE TOUT.

Années 1990-2001. Guiding Star, Super G, Scool ! et Tchatchouka, Renaud Sachet

Comment t’est venue l’idée d’une telle exposition ?

J’ai recommencé à écrire et éditer des fanzines en 2018, Langue Pendue d’abord, puis Groupie en 2020 pendant le premier confinement, les deux sont très liés puisqu’ils parlent de musique en français. J’ai proposé cette exposition à la médiathèque Malraux avant le Covid et cette idée a été reprise pour les Médiathèques en débat. Pour moi, cela a été l’occasion de me replonger dans les fanzines du début des années 90, ceux que je lisais et aussi ceux que je fabriquais, je me suis dit que ça pouvait être un fil, cette histoire particulière des fanzines musicaux entre les années 1990 et 2020.

Années 1990. Happy, Frédérick Paquet / Bonjour chez vous, Jacques Speyser / Anorak City, Fabien Garcia / Onion’s Soup, Martial Solis

— La marge, c’est ce qui fait tenir ensemble les pages du cahier. —

J.-L. Godard

Comment s’organise l’exposition ?

Il y aura entre 120 à 150 fanzines proposés à la lecture, ils seront consultables dans une sorte d’espace-salon, on ne souhaitait pas les garder sous vitrines. C’est mon fonds personnel et j’ai récupéré aussi des archives chez des copains. Il y a un fonds de fanzines graphiques à la médiathèque Malraux au Centre de l’illustration, on en présentera qui ont un lien avec la musique et je serai sur place deux heures par jour pour guider et proposer des cheminements à travers la collection ; il y aura aussi la projection du passionnant documentaire Fanzinat de Laure Bessi, Guillaume Gwardeath et Jean-Philippe Putaud-Michalski qui revient, par de multiples interviews, sur la scène du fanzine en France, avec un focus particulier sur les années 80 et 90. Il y aura aussi un concert de Joni Île dont j’ai édité une K7 ainsi qu’un atelier fanzine animé par Papier Gâchette. J’ai tiré le fil de tout l’environnement du fanzine des années 90, ceux qu’on s’échangeait par courrier, qui étaient influencés par la presse, les fanzines anglo-saxons

Années 2020. Coolax / Le Gospel, Adrien Durand / Wi-Fi, Adèle Duhoo / Labels pop moderne, Section 26

et Les Inrockuptibles bien sûr, Bernard Lenoir à la radio, autant de phares pour toute une génération. Il y avait aussi tout un environnement de presse alternative qui naissait, Ritual, Another View, L’Indic, Magic… Je tire le lien jusqu’à aujourd’hui. En refaisant un fanzine en 2018, j’ai reconnecté avec des jeunes ou des gens de mon âge qui continuent à écrire et à fabriquer.

En tant qu’acteur, artisan de cette pratique, et amateur, voire collectionneur, quel regard portestu sur cette impulsion d’autodétermination

nécessaire au geste simple du « faire soi-même » ? Arrivé à Strasbourg en 1989, j’allais rue des Juifs faire mes photocopies, j’y passais mes après-midis avec mes sacs remplis de journaux, et je découpais, collais, je jouais sur les différents formats. On ajustait la mise en page de façon très patiente et on venait ensuite avec notre maquette, puis on sortait le fanzine, 20 exemplaires qu’on distribuait aux copains et par la poste… On avait un rapport actif à ce qu’on faisait, on était investis à notre passion qui nous permettait d’échanger des infos sur la musique, notre truc. Le fanzine ne s’arrête évidemment pas à la musique, il y a des graphzines, les fanzines politiques… Le fanzine, c’est avant tout un espace de liberté, une marge, on y est actif. On est vivants, on peut y exprimer ce qui nous agite.

Tu te souviens de ce qui te motivait ?

Je ne pouvais pas simplement être spectateur, j’avais besoin d’être en lien avec ce que j’aimais. Il y a aussi la notion de partage, avec cet objet, on

Années 2020. Langue Pendue 1, 5, 6 et 7, Renaud Sachet Années 2020. Groupie 5, Renaud Sachet

cherchait le contact avec ceux qui avaient le même centre d’intérêt, une sorte de réseau avant l’heure. Les gens avec qui je suis en contact aujourd’hui sont ceux que j’ai rencontrés à l’époque ; Frédérick Paquet ou Martial Solis qui ont des magasins de disques à Paris et Bordeaux, les membres de Section 26, les organisateurs de concert… Cela permettait d’entrer en contact et d’échanger avec des gens passionnés par la même chose que toi. Il y avait vraiment cette idée de réseau social, un jeu d’échange d’adresses, de contacts dans toute l’Europe. Il y avait toujours une partie annuaire à la fin du fanzine. Avec ce réseau, arrivaient aussi des choses concrètes, les concerts, les groupes, les interviews, c’était ce qu’on appelait un peu avec dérision « l’Internationale Pop ».

Le fanzine, tu es tombé dedans quand tu étais petit ?

Évidemment, cette pratique est très liée à l’adolescence, mais peut-être aussi à la magie des possibles du monde de l’enfance. Quand j’ai commencé à écrire pour Section 26, j’avais une série qui s’appelait Papivole qui reprend des entretiens de plein de gens qui travaillaient pour la presse musicale, des photographes, illustrateurs, maquettistes, journalistes, et j’y raconte comment mon premier rapport à la musique est passé par l’écrit : mon frère lisait Best et Rock & Folk, mon père m’achetait le NME et le Melody Maker et comme la musique n’était pas facilement accessible à l’époque, la presse parlait de tellement de choses que notre curiosité musicale passait d’abord par la lecture, il fallait d’abord s’imaginer la musique ! Au lycée, je faisais un fanzine qui s’appelait Everyday Is Like Sunday, d’après un titre de Morrissey, et j’y écrivais sur les disques. Il y avait aussi un air du temps punk mais pas très politisé, plutôt dans le sens du geste romantique et de l’imitation, cela me donnait une légitimité pour faire, ma façon à moi d’être punk.

— MÉDIATHÈQUES EN DÉBAT, du 13 au 24 novembre, dans les médiathèques de Strasbourg et de l’Eurométropole www.mediatheques.strasbourg.eu exposition de fanzines du 19 au 29 novembre à la Médiathèque Olympe-de-Gouges, à Strasbourg concert de Joni Île le 19 novembre à la Médiathèque Olympe-de-Gouges — FANZINAT, sortie le vendredi 7 octobre projection-rencontre le 26 novembre à la Médiathèque Olympe-de-Gouges www.fanzinat.fr

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