Kenya-kakamega

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REPORTAGE

La dernière forêt tro Meshak Agweyu (avant-dernier à droite) avec sa famille. Signe de richesse, il a épousé trois femmes.

A l’orée de la forêt, l’entrée du futur parc à serpents, destiné à montrer aux habitants l’utilité des reptiles.

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picale du Kenya Une vache attend devant l’église pentecôtiste Kasali. De nombreuses Eglises protestantes sont présentes à Kakamega.

Kakamega, à l’ouest du Kenya, est le dernier îlot kenyan de la forêt tropicale humide qui couvrait l’Afrique de la Guinée équatoriale à l’océan Indien. Après des décennies de déforestation et d’agressions, les habitants se sont organisés pour protéger ce trésor écologique tout en assurant le développement économique de la région. Un reportage (texte et photos) de Clément Girardot

Benjamin Okalo président de KEEP, parle de sa forêt avec passion.

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REPORTAGE

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enjamin Okalo est intarissable sur sa forêt. L’esprit vif, il peut sillonner les yeux fermés ce sublime labyrinthe vert qui a bien failli disparaître. Cela fait 25 ans que ce guide parcourt ce microcosme où l’homme est si minuscule face à la nature: ici, les arbres peuvent atteindre 30 mètres de haut et ils abritent un écosystème unique. La réserve nationale de Kakamega est la dernière forêt équatoriale du Kenya: un trésor écologique de 240 km2 situé à l’ouest du pays, à proximité de l’Ouganda. Cette zone luxuriante recèle la plus grande biodiversité du pays: plus de 500 espèces animales dont une bonne partie est endémique. 7 espèces de singes, 300 d’oiseaux et 40 de serpents sont les hôtes de ces bois Point de contrôle où l’on dénombre aussi plus de à l’entrée de 350 sortes d’arbres. Ici, tout la réserve de semble n’être que luxe, calme et Kakamega. volupté; mais le cri rauque du Les gardes résinge bleu vient sortir le visiteur priment sévèrede sa rêverie pour lui rappeler la ment le pillage de la forêt.

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fragilité de cette forêt tropicale dont la sauvegarde est cruciale pour lutter contre le changement climatique. Dix fois plus grande en 1918, la forêt de Kakamega a été grignotée par la population locale. «En 1995, j’ai pensé qu’il fallait donner un rôle à la communauté de Kakamega pour en finir avec les activités illégales comme la coupe de bois, déclare Benjamin Okalo, président de KEEP, le programme d’éducation environnementale de Kakamega. Si nous n’avions rien fait, la forêt aurait disparu en l’espace de vingt ans.» KEEP, né cette année-là, veut sensibiliser les habitants à la préservation de leur environnement et développer des activités économiques respectueuses de la nature. CATASTROPHE IMMINENTE L’ouest du Kenya est densément peuplé: 240’000 habitants vivent autour de la forêt, constituant autant de destructeurs potentiels.

La pauvreté, le chômage et la surpopulation ont poussé beaucoup de riverains à s’en prendre à la forêt pour survivre: ils s’y approvisionnent en bois pour se chauffer ou fabriquer du charbon. Les petits agriculteurs – qui possèdent des terrains d’une surface inférieure à 0,5 hectares – sont les plus dépendants de la forêt. «Avant, j’allais dans la forêt pour pouvoir nourrir ma famille, raconte Maridah Khalawa, mère de cinq enfants. Aujourd’hui, je suis trop occupée par le travail dans les champs de thé et d’ocimum (plante médicinale).» Les autorités comptent aussi sur la peur du gendarme pour empêcher les prélèvements illégaux. Les contrôles des garde-forestiers sont réguliers et les peines dissuasives: 75 francs ou 3 mois de prison pour qui coupera du bois dans la forêt. Mais la répression à elle seule ne résout pas les problèmes et exclut les populations locales des politiques de conservation. En février


d’un terrain de recherche particulièrement riche, les touristes d’un espace de grande beauté et l’Etat d’une partie des revenus touristiques nationaux».

Le soleil se lève chaque jour à 5h50 sur la forêt équatoriale de Kakamega.

2003, des scientifiques françaises tiraient la sonnette d’alarme: «Si rien n’est fait, la situation sera bientôt catastrophique. D’une part, l’augmentation inexorable de la pauvreté conduira très pro-

bablement à la disparition des agriculteurs les plus pauvres, forcés à l’exode rural. D’autre part, la forêt de Kakamega ne cessera de diminuer en volume, privant les scientifiques

ALTERNATIVES AU PILLAGE KEEP met l’accent sur l’éducation populaire pour changer les mentalités et s’attaque aux causes économiques de la déforestation sauvage: «Notre but est que les gens gagnent plus d’argent pour qu’ils ne viennent plus chercher leurs revenus dans la forêt, affirme Benjamin Okalo. La monoculture du maïs ne va pas aider les paysans à sortir de la pauvreté, c’est pour cela qu’il faut proposer des alternatives!». Depuis 1984, la forêt est protégée des défriches illégales par une zone tampon, une ceinture de plantations de thé qui a le dou-

La flore de Kamamega est très riche. De nombreuses espèces sont endémiques.

Ce jeune guide de KEEP s’engage pour protéger un site unique.

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Enfants transportant de la canne à sucre. Cueilleuse de thé. Activité éreintante, la cueillette du thé nécessite une importante main-d’œuvre qui vit en bordure de la forêt.

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ble mérite de stopper l’extension des habitations et de nécessiter une importante main-d’œuvre. Parmi les autres activités alternatives, la culture de la plante médicinale Ocimum kilimandscharicum est la plus lucrative; elle est distillée sur place dans une usine pour produire une huile essentielle commercialisée sous le nom de Naturub. «Je gagne beaucoup d’argent avec cette plante, raconte fièrement Meshak Agweyu, 50 ans. Avec l’argent récolté, j’ai pu construire une nouvelle maison.» Surtout, il ne se rend plus dans la forêt pour voler du bois, lui qui a été arrêté à de nombreuses reprises. L’ocimum est une variété indigène de lavande qui peut être récoltée tous les trois mois sans être replantée; elle pousse aussi à l’état sauvage dans la forêt. Ce projet, lancé avec 50 paysans en 2000, bénéficie aujourd’hui à 500

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personnes à Kakamega. Il est notamment soutenu par l’ONG suisse Biovision. DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCOTOURISME La forêt recèle un autre trésor bien caché: les papillons. 400 espèces sont représentées à Kakamega. Dans une clairière se dresse la ferme de KEEP où sont élevés des dizaines de papillons multicolores sous un immense filet. «Les papillons se développent très vite, note Benjamin Okalo. Ils pondent beaucoup d’œufs et les chrysalides se vendent de 2 à 10 dollars l’unité.» Les clients sont des chercheurs, des collectionneurs ou, plus original, des couples qui souhaitent effectuer un lâcher de papillons pendant leur cérémonie de mariage. Des projets d’apiculture, d’arboriculture et d’élevage de vers à soie sont aussi développés par

KEEP. Benjamin Okalo place beaucoup d’espoirs dans le développement de l’écotourisme. A cet effet, un petit village de bandas (huttes traditionnelles) a été construit au cœur de la forêt pour accueillir les voyageurs de passage. En lisière, le rutilant «parc à serpents» n’attend plus que l’arrivée prochaine des reptiles pour ouvrir ses portes. Une tour d’observation en bois se dresse au milieu de la forêt. De son sommet, on peut constater la lente avancée du mur de végétation sur la savane voisine. Sans doute le fruit du colossal travail entrepris depuis quinze ans par Benjamin Okalo et ses collègues de KEEP pour préserver la forêt de Kakamega: «Le changement a été rapide, confiet-il. Maintenant la communauté locale et les paysans sont unis pour sauvegarder ce trésor écologique». /// Clément Girardot


Certains arbres culminent à plus de 50 mètres. Avec ses cinq niveaux de végétation, la forêt de Kakamega est unique. A droite: Linet, 19 ans, travaille depuis un an à la distillerie d’ocimum.

SOUDAN ÉTHIOPIE Lac Turkana

REPÈRES O U G A A D

KENYA

SOMALIE

N

Kakamega Vic Lac to ria

Nairobi TANZANIE Mombasa

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océan Indien

© Bernard Plader

Superficie: 582’640 km2 Population: 39 millions d’habitants Capitale: Nairobi Langues officielles: anglais, swahili Indépendance: le 12 décembre 1963 du Royaume-Uni Système politique: république. Président: Mwai Kibaki. Premier ministre: Raila Odinga Religions: chrétiens, musulmans, animistes. La première culture vivrière est le maïs, qui couvre 62% des terres cultivables. Le sorgho, les pommes de terre, les haricots, les arachides et le tabac sont également cultivés sur les hauts plateaux, principale région agricole. La principale culture commerciale est le thé. L’industrie des fleurs coupées représente 15% des exportations. Le Kenya est le premier fournisseur de roses de l’Union européenne.

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