journal bimensuel
JAA 1001 LAUSANNE / PP JOURNAL
n°23 • du 24.08 au 07.09.2012
un vendredi sur deux
POLITIQUE . CULTURE . SOCIÉTÉ
4.50 chf – 3.80
Rentrée: un retour par les cols
Au-delà des sublimes paysages «carte postale», les grands cols alpins donnent matière à réflexion sur le rapport de la Suisse au temps, au sacré, à la nature et à son histoire nationale. Voyage à travers un archipel d’altitude et de solitude. pages 4 à 6 COL DU GRIMSEL (BE), JUILLET 2012
© NICOLAS BRODARD / JUILLET 2012
Une année après la rédaction de la cité Un cycle s’achève. Avec son prochain numéro, le vingt-quatrième, La Cité boucle un an de publication et fête son premier anniversaire. Une année, c’est l’occasion pour l’équipe du journal de remercier de tout cœur celles et ceux qui sont la raison d’être de ce projet: nos lectrices et nos lecteurs. C’est en leur, votre, compagnie que nous souhaitons célébrer cet événement, lors d’une série de rencontres qui auront lieu à Neuchâtel, du 5 au 8 septembre. Dès ses débuts, le projet de La Cité s’est voulu un espace de débat et de critique ouvert, œuvrant à la circulation des idées, du savoir et de la culture. Dans cet esprit, nous organisons une table ronde autour d’un sujet crucial: l’avenir de la presse écrite en Suisse et ailleurs. Cette fête d’anniversaire est surtout l’occasion d’engager un débat avec nos lectrices et nos lecteurs sur le
projet de La Cité. Quel bilan tirer de cette première année d’existence? Et quels sont les défis qui attendent ce journal? C’est autour de ces questions que nous souhaitons discuter dans une atmosphère sereine d’échange et de critique constructive. La volonté d’innover dans l’exercice du journalisme – par une alliance entre les journalistes, les universitaires et les créateurs visuels – est depuis toujours au cœur du projet de La Cité. Il nous a donc semblé naturel d’accompagner cet événement par une exposition des œuvres des dessinateurs et artistes qui collaborent régulièrement avec ce journal, «des artistes dans la presse» qui, numéro après numéro, enrichissent nos pages et façonnent le «visage» de La Cité. Une année après, notre vocation reste inchangée. Nous espérons que vous serez nombreux pour fêter ensemble le premier anniversaire du journal et, surtout, pour continuer à dialoguer avec nous.
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Du 24 août au 7 septembre 2012 LA CITÉ
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LA CITÉ Du 24 août au 7 septembre 2012
grand angle
grand angle
col du grimsel (be), juillet 2012
col du grimsel (be), juillet 2012
La Suisse par les cols alpins, voyage à travers un archipel d’altitude et de solitude Situés au cœur de l’Europe, les grands cols alpins suisses attirent de nombreux vacanciers durant la pause estivale. Au-delà des sublimes paysages «carte postale», ils donnent matière à réflexion sur le rapport de la Suisse au temps, au sacré, à la nature et à son histoire nationale. texte Clément Girardot photos Nicolas Brodard
L
a Suisse, l’été, l’appel des sommets se fait à nouveau sentir. Après l’accalmie printanière, les touristes reviennent. Depuis la plaine, routes et chemins de fer sillonnent dans les vallons puis zigzaguent ou tourbillonnent quand la pente se raidit. Les plus pressés sont déjà engouffrés dans les bouchons du Gothard pour rejoindre les rivages sudistes, alors que les plus montagnards restent quelques jours ou plus, en se plaignant des tarifs prohibitifs. Certains s’adonnent à un rite quasi immuable depuis l’apparition du tourisme moderne au XIXe siècle: la conquête des cols alpins. Dès l’antiquité, ces lieux inhospitaliers ont vu défiler les marchandises transitant entre le Nord et le Sud de l’Europe. Privés progressivement de cette fonction de passage commercial par des tunnels routiers et ferroviaires de plus en plus longs, il sont toujours là en-haut: Grimsel, Furka, Splügen, Saint-Bernard, San Bernardino, Bernina... comme un club privé d’anciens gentlemen ouvert aux quatre vents du tourisme estival après la solitude hivernale. En moto, à vélo, en camping-car, en side-car, en bus ou en automobile, tous les moyens sont bons pour atteindre les sommets goudronnés de la Suisse. Et si ces lieux communs et insolites révélaient une part de l’identité helvétique? Cet archipel d’altitude a ses singularités, son architecture, sa sociologie, son économie, mais chaque ascension est unique et réserve son lot de surprises.
Les récentes discussions autour de la construction d’un deuxième tube sous le Gothard ont mis la question du transit alpin au cœur du débat politique. Mais grimper au sommet du col, c’est choisir un trajet plus lent pour remonter un peu dans le temps, dans un passé idéalisé, un passé multiple et aggloméré où des reliques de chaque époque sont méticuleusement consérvées telles des madeleines de Proust collectives. La compagnie touristique Historische Reisepost propose chaque jour de rejoindre Airolo depuis Andermatt en cinq heures de trajet. Pour 680 francs par personne (repas compris), une ancienne diligence postale passe le Gotthard par la route pavée construite en 1830, toujours bien entretenue pour le plaisir des nostalgiques et des curieux. à la recherche du temps perdu Dans une version un peu plus moderne et économique, il est possible de gravir la quasi-totalité des grands cols en bus postal. La plupart sont modernes mais de rares véhicules Saurer RH sont toujours en circulation. La version miniature est en vente dans les magasins de souvenirs. D’autres autocars déversent par vague les touristes étrangers qui mitrailleront avec exhaustivité le décor alpin en quelques minutes avant de faire les cents pas sur le parking. Le paysage invite pourtant à la lenteur et à la méditation: les neiges éternelles, des pics acérés,
des petits lacs à l’eau cristalline où flottent parfois des icebergs. Une vision idyllique de la Suisse que viennent chercher les touristes. Les cols évoluent dans une certaine atemporalité même si l’abandon et la ruine guettent les bâtiments non entretenus. Au col de la Maloja, dans les Grisons, le classieux Hôtel-restaurant Maloja Kulm du XIXe siècle est désormais fermé. Mais de l’autre côté de la route une Suisse miniature s’est mise en branle. Un petit drapeau helvétique flotte dans le ciel d’azur. La pelouse est parfaitement tondue, chaises longues et tables en bois sont impeccablement disposées à proximité d’un minichalet qui ravitaille en rivella et saucisses grillées les voyageurs fatigués. Gletsch est un minuscule pâté de maisons logé entre les cols de Grimsel et de la Furka, c’est un point historique du transit alpin dont le nom signifie glacier. Le village est une halte pour de nombreux touristes mais l’ambiance hors-saison doit se rapprocher des villages fantômes du far-west traversés par un chemin de fer. Des voitures anciennes de marque Cadillac et Bentley sont garées devant le Grand Hôtel Glacier du Rhône, vénérable institution locale qui a plus de 150 ans. A l’intérieur, dans la salle de restaurant rétro, on déjeune nez à nez avec une grande fresque dépeignant le glacier du Rhône au temps où sa langue immaculée se dépliait jusque dans la vallée. C’était la belle époque! Toujours à Gletsch, une petite chapelle très sobre accueille les fidèles de passage (suite en page 6).
col du saint-gothard (ti), juillet 2012
col du splügen (gr), juillet 2012
col du grimsel (be), juillet 2012
col du grimsel (be), juillet 2012
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Du 24 août au 7 septembre 2012 LA CITÉ
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col du san bernardino (gr), juillet 2012
col de la furka (ur), juillet 2012
La présence de la religion est discrète mais néanmoins constante sur les routes de montagne. Traverser les cols était autrefois une activité très risquée: chutes de pierres, tempêtes, avalanches, brigandage... mieux valait avoir Dieu de son côté pour lutter contre les forces du mal. Ce n’est pas un hasard si ce sont des saints hommes qui ont rendu ces contrées moins hostiles en érigant des hospices au sommet des cols comme les célèbres Saint-Bernard et Saint-Gothard. Trinité Alpine Depuis, la population suisse s’est largement déchristianisée et la montagne s’est désacralisée. La mort rode toujours mais il faut la provoquer pour s’en rapprocher: un virage mal négocié, une vitesse excessive, un dépassement trop osé et hop, c’est le ravin. De nouvelles icones païennes ont pris place dans les autels touristiques que sont les boutiques de souvenirs. Marmottes, Saint-Bernards, vaches, une nouvelle trinité qu’il convient d’adorer sous toutes les formes que les lois du marché ont imaginées. Mais la vraie dévotion ne peut se satisfaire de succédanés. C’est sûrement pour cette raison que le col du Grimsel s’est vu affublé de deux sanctuaires à marmottes ou Murmeltier Park. Sur un mur d’enceinte en pierre, une inscription ironique fait la comparaison entre ce mini-zoo et la prison de Guantana-
col de la bernina (gr), juillet 2012
mo. Le développement économique de la Suisse est passé par la tranformation des paysages alpins, que ce soit pour l’industrie des loisirs, la production d’énergie, et historiquement pour l’amélioration des transports et l’agriculture. La vallée qui monte depuis Meiringen jusqu’au col du Grimsel est splendide, sa beauté révèle une troublante alliance entre la nature et la technique. Pas moins de quatre lacs de barrage se concentrent à quelques kilomètres d’intervalle. Les pylones des lignes à haute tension imposent leur silhouette géométrique. Peu avant d’arriver au sommet, l’hospice de Grimsel se dresse mystérieusement sur une île. Illusion, puisqu’en aval on perçoit clairement les barrages qui ceignent le piton rocheux de chaque côté. Au fond du lac gît l’ancien hospice englouti par les eaux en 1932. Un peu plus au Sud, dans la vallée de l’Ägene montant au col de Nufunen, l’horizon est bouché par l’imposant barrage de Gries. Plus surprenant, une immense éolienne s’élève au-dessus de la crète. Elle a été inaugurée en septembre 2011 par la conseillère fédérale Doris Leuthard. Le plus haut col de Suisse est celui de l’Umbrail, juste devant le Nufenen. Situé à la frontière avec l’Italie, il culmine à 2501 mètres et contient une portion de route non goudronnée. Il permet de redescendre sur le Val Müstair qui est raccordé au reste du canton des Grisons par le col de l’Ofen. C’est sûrement l’une des zones alpines les mieux préservées du pays. La route qui relie le Val Müstair à l’Engadine traverse «le» Parc natio-
nal suisse, fondé le 1er août 1914. Précisément 172,3 km² sans barrage, sans téléphérique ni panneau publicitaire. Comme le met en exergue le site internet du parc: «La nature est entièrement livrée à elle-même et se développe sans entraves.» une nation s’éveille? Au col du St-Gothard, là où le visiteur pourrait prosaïquement observer des routes, un lac, une auberge, des statues, il s’agit de l’endroit «où se rencontrent les bras de la croix» du drapeau suisse. Le spectacle vidéo «multivision» du Musée national du St-Gothard l’apprend au touriste amateur de métaphores et ravive la flamme du patriote en goguette. Quel meilleur endroit que ce passage stratégique entre Uri et le Tessin pour mettre en scène un recyclage du roman national helvétique à grands renforts de simplifications et de manichéisme? «Préparer la guerre pour avoir la paix», scande le documentaire quadrilingue qui rappelle l’ancienne doctrine de l’armée suisse. Aux alentours du musée, la guerre a été très bien préparée avec une multitude de forts cachés dans la montagne, encadrés par les casernes militaires d’Andermatt et d’Airolo. Dans cette bourgade tessinoise, un portrait du général Guisan, le père du réduit national, trône fièrement au-dessus du comptoir du Ristorante Cristallina, en compagnie d’une truite empaillée et du poster géant du berger allemand du patron.