ciné turc érotique

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CULTURE

LE COURRIER

VENDREDI 25 FÉVRIER 2011

de Suisses» Cinéma turc,années érotiques LeRolf«Faiseur Lyssy a 75 ans CINÉMA

FILMS X • Dans les années 1970,Istanbul était la Mecque d’un cinéma

érotique pas forcément macho.Certaines perles populaires refont surface. CLÉMENT GIRARDOT

Dans une rue étroite du quartier de Beyoglu, le cœur culturel d’Istanbul, se trouve une petite salle obscure d’un genre différent: le cinéma Hisar. C’est un des derniers espaces de la ville dédiés aux films érotiques des années 1970 et 1980. L’entrée coûte l’équivalent de 5 francs pour deux films, somme à laquelle il faut ajouter un petit pourboire pour l’ouvreur moustachu et bedonnant. A l’intérieur, on trouve une trentaine de spectateurs masculins âgés d’au moins 40 ans pour la plupart. Il est possible d’entrer et de sortir à sa guise pour aller boire un thé à l’entrée de la salle. Certains jouent aux chaises musicales pour effectuer discrètement un trafic quelconque. Pendant ce temps, les acteurs de Kalp Kalbe Karsidir (Cœur contre cœur, 1978) font fougueusement l’amour sur une plage. Dans les années 1970, la Turquie a produit des centaines des films érotiques qui peuvent se retrouver aujourd’hui dans les sections «vintage» des sites porno. Ce boom du X coïncide avec l’âge d’or du cinéma turc qui a duré des années 1960 au début des années 1980. C’est la période dite Yesilçam, du nom de la rue où se trouvent tous les producteurs. La Turquie produit alors jusqu’à 300 long-métrages par an, principalement des comédies romantiques réalisées à la chaîne ou des remakes d’Hollywood faits avec trois bouts de ficelles. Au début des années 1970, cette industrie prospère est confrontée à la création de la chaîne de télévision publique TRT.

500 000 francs de fonds privés étaient réunis. Le film a rapporté 6,5 millions de francs. Après le triomphe des Faiseurs de Suisses, le film suivant de Rolf Lyssy a été souvent considéré comme un flop. Sorti en 1983, Kassettenliebe a tout de même été la production helvétique la plus prisée cette annéelà grâce à ses 250 000 entrées. A la fin des années 1990, le cinéaste envisage de réaliser une suite aux Faiseurs de Suisses dont l’action serait située à New Glarus, village du Winsconsin, aux Etats-Unis. Le scénario a toutefois été sans cesse rejeté. Rolf Lyssy tombe par la suite dans une profonde dépression, qu’il raconte dans le récit autobiographique Swiss Paradise (2001). Né le 25 février à Zurich, le futur metteur en scène se forme d’abord comme photographe. Il travaille comme assistant cadreur pour plusieurs films dont le reportage télévisé Les Apprentis d’Alain Tanner (1964). Il entame sa carrière de cinéaste en 1968 avec la fiction Eugen heisst wohlgeboren. ATS

EN BREF FRANCE, LITTÉRATURE

Budget modique et réalisme Il faut trouver une idée pour ramener le public, principalement des hommes, dans les salles obscures. C’est ainsi qu’a émergé le tsunami du Yesilçam porno ou Seks Furyasi, la lame de fond ayant déferlé sur la Turquie en 1979: 131 des 193 films produits sont érotiques. C’est aussi cette même année qu’est diffusé le premier long-métrage turc vraiment pornographique. Jusque-là, les scène de sexe étaient suggérées, simulées, voire reprises directement de films étrangers et insérées de manière subliminale. Les films érotiques ressemblent beaucoup aux autres productions Yesilçam classiques, si ce n’est les longues séquences chaudes insérées dans la trame du film, qui pouvaient être coupées à la demande du distributeur. L’histoire principale suit souvent les codes des genres populaires de l’époque: la comédie, la romance, l’aventure, le policier et même le western. Tous les bons ingrédients de Yesilçam sont aussi au rendez-vous: un budget modique, un jeu aléatoire, une bande-son iconoclaste, des intrigues absurdes et des jolies filles. En comparaison avec le porno mécanique de nos jours, les films de Yesilçam sont bien plus réalistes dans leur description des rapports sexuels et dénotent d’une créativité jouissive. Il suffit de traduire quelques titres pour s’en rendre compte: Ali le footballeur bionique (1978), Aimes-tu

Le metteur en scène zurichois Rolf Lyssy, qui a 75 ans aujourd’hui, reste connu en Suisse romande pour sa comédie satirique Les Faiseurs de Suisses. Ce film de 1978 figure parmi les plus populaires de l’histoire du cinéma helvétique avec près d’un million d’entrées. A la fin de l’été passé, le réalisateur a eu la satisfaction de voir le scénario de son long métrage porté à la scène via une comédie musicale en dialecte alémanique jouée à Zurich. Ce spectacle quittera toutefois l’affiche le 27 mars prochain. Comme le film, il raconte avec humour les péripéties d’étrangers confrontés à deux fonctionnaires de la police des étrangers, des bureaucrates zélés chargés de leur éventuelle naturalisation. A l’époque, la Commission fédérale du cinéma ne croyait pas du tout au succès du long métrage alors en projet. «Rien que des gags idiots» et «moralement irresponsable», avaient jugé les experts qui refusèrent toute subvention. La télévision publique accorda toutefois 250 000 francs, tandis que

Jean Lartéguy n’est plus

Le cinéma érotique turc des années 1970 a encore son public. DR la banane? (1975), Ceinture de chasteté – Techniques pour faire l’amour (1975), ou encore Le vendeur de melons (1979). Sans surprise, de nombreux films font la part belle aux enlèvements, viols, agressions et autres amabilités envers la gent féminine, reflétant une certaine banalisation de la violence contre les femmes qui se retrouve dans de nombreuses productions cinéma ou TV contemporaines.

diffusés par la suite. De nombreuses activités sociales, culturelles et intellectuelles sont affectées par le régime militaire, sa censure sévère et son idéologie islamo-nationaliste. Autant dire que la fuite en avant de l’industrie cinématographique ne cadre plus avec le nouveau pouvoir conservateur et autoritaire qui interdit les séquences pornos des salles obscures.

Femmes protagonistes

Depuis une vingtaine d’années, les cinémas érotiques ferment leurs portes les uns après les autres en raison des révolutions technologiques successives: cassettes VHS, chaînes satellite puis Internet. Et, à l’image de nombreux autres pays, le conservatisme moral a le vent en poupe en Turquie, comme a pu l’illustrer le scandale de l’université privée Bilgi d’Istanbul, pourtant connue pour son libéralisme. La divulgation dans la presse début janvier de la réalisation d’un «projet pornographique» par un étudiant en communication a entraîné le licenciement expéditif de trois universitaires par la direction, sous la pression des familles d’étudiants. I

Mais il existe d’autres films qui ridiculisent ouvertement la domination masculine ou donnent à des femmes fortes et indépendantes le rôle principal. Les films du réalisateur Atif Yilmaz mettent souvent en avant des personnages féminins qui réalisent leurs désirs. Il fut d’ailleurs le premier à montrer une scène lesbienne dans un film turc en 1963. Dans la plupart des productions érotiques de l’époque, lorsque les relations sexuelles sont mutuellement consenties, le plaisir féminin n’est pas mis de côté, bien au contraire, à en croire l’obsession des personnages masculins pour le cunnilingus. Le coup d’Etat militaire de 1980 met un point d’arrêt à cette intense furya même si les films érotiques sont encore produits et

Scandale à l’université

Le journaliste et écrivain français Jean Lartéguy est décédé mercredi à Paris à l’âge de 90 ans, a annoncé l’Institution nationale des Invalides (INI). Il était l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, notamment sur les conflits d’Indochine, de Corée et d’Algérie. ATS/AFP

DÉBAT

Ecrivains et engagement

Mardi prochain, les écrivains Lukas Bärfuss (Zurich) et Jérôme Meizoz (Lausanne) s’exprimeront sur le thème d’«Ecrivains et engagement». La discussion aura lieu à l’Université Miséricorde, à Fribourg. MOP Ma 1er mars, 19h, Université Miséricorde, Fribourg, salle 2029.

Pour voir une sélection de films érotiques turcs: mashallahnews.com/?p=1135

Une histoire pleine de bruit et de fureur PARUTION • Ancien directeur des «Cahiers du cinéma», Jean-Michel Frodon raconte sur plus de mille pages l’histoire du septième art français depuis la nouvelle vague à nos jours. Passionnant. STÉPHANE GOBBO

«Cette histoire, pleine de bruit et de fureur, pleine de fric et de rêveurs, truffée d’exploits, de drames et d’éclats de rire, ressemble à du Shakespeare plutôt qu’à du Corneille.» Mais quelle est donc cette histoire qu’à décidé de nous conter Jean-Michel Frodon dans un pavé de quelque 1200 pages? Eh bien celle du Cinéma français de la nouvelle vague à nos jours, pardi, pour reprendre le titre de l’ouvrage fraîchement sorti aux Editions Cahiers du cinéma. Une édition revue et corrigée, et agrémentée de chapitres inédits, d’un livre originellement paru en 1995. «Pour faire un bon film, il faut trois ingrédients, disait avec malice Hitchcock: une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire!» Avec visiblement ce mot fameux en tête, Frodon explique dans son prologue avoir choisi de raconter l’histoire du cinéma français en faisant de celui-ci «un personnage

dont on contera les aventures multiples». Un personnage qui «traversa des batailles, connaîtra des victoires», mais dont les aventures, encore en train de s’écrire, ne sont «pas un conte de fées», souligne le critique – il a notamment travaillé pour Le Monde avant de diriger de 2003 à 2009 la rédaction des Cahiers du cinéma. La plus grande qualité de cette somme imposante est de s’articuler autour d’un fil chronologique dont l’auteur s’écarte chaque fois que son récit l’exige. Tout en revendiquant sa subjectivité, Frodon nous emmène alors dans une histoire tentaculaire dont les réalisateurs et leurs films sont certes le maillon central, mais qui n’exclut pas les enjeux politiques, économiques et sociaux liés à l’évolution du cinéma à travers les décennies. Impossible en effet de déraciner le septième art du terreau dont il se nourrit constamment.

Si Frodon a choisi de démarrer son récit avec l’avènement de la nouvelle vague, c’est évidemment parce que cette courte période (1959-1962) a fait basculer le cinéma dans la modernité. «Ce n’est pas seulement une nouvelle génération, un nouveau style, une nouvelle mode qui apparaissent, écrit le Français, mais une nouvelle idée du cinéma qui, à son tour, influera sur le monde des idées et des représentations.» Pouvant se lire chronologiquement ou au gré de ses envies (un chapitre sur telle période, quelques pages sur tel cinéaste ou tournant économique, toutes les parties concernant Godard ou Chabrol, etc.), Le Cinéma français de la nouvelle vague à nos jours est une mine d’informations qu’on n’a pas fini d’épuiser. LA LIBERTÉ Jean-Michel Frodon, Le Cinéma français de la nouvelle vague à nos jours, Ed. Cahiers du cinéma, 1202 pp.

THÉÂTRE, GENÈVE

«La Pantoufle» de Ponti à l’Am Stram Gram Demain samedi, le Théâtre Am Stram Gram propose La Pantoufle de Claude Ponti, un spectacle pour enfants mis en scène par Dominique Catton et Christiane Suter. Le spectacle s’articule autour de la vie imaginée d’un fœtus qui prépare sa sortie. Encore à l’abri, Grand Bébé essaie les âges, les émotions, comme des habits, pour voir s’ils lui vont. Né en 1948 en Lorraine, Claude Ponticelli, dit Claude Ponti, est un auteur de littérature jeunesse et un illustrateur. MOP Du 26 février au 13 mars, Am Stram Gram, 56 Frontenex, Genève.

JEAN-MICHEL FRODON SUR…

Jacques Demy > «Si les cinéastes du cinéma moderne sont des inventeurs, mais aussi des héritiers, il sera revenu à Demy d’assumer la part apparemment la plus ludique et la plus colorée, en fait la moins porteuse d’avenir, entre Cocteau et Minnelli.»

Alain Delon > «Il est assez inexplicable que le cinéma moderne ait si peu fait appel à sa présence physique, à son magnétisme. Seuls Alain Cavalier et Jean-Pierre Melville sauront en tirer parti – alors que les Italiens Visconti et Antonioni ont été plus clairvoyants.»

Bertrand Tavernier > «Il est un cinéaste ‘du passé’, au sens où il filme ce qui arrive du point de vue de ce qui s’en va, avec – quelles que soient les opinions progressistes affichées par l’homme – une préférence pour le mode de vie ancien, ses valeurs, et son cinéma.»

Luc Besson > «Le Grand bleu deviendra un ‘événement’, un ‘phénomène de société’ comme la presse se plaît à en découvrir chaque année depuis que l’intimidation publicitaire, la sociologie expéditive, la fascination pour les budgets et pour le box-office ont supplanté la réflexion critique.»

François Ozon

> «Au sein du jeune cinéma français des années 2000, il peut être vu comme la figure de proue d’une veine esthétisante, voire dandy, avec une forte dimension littéraire et un penchant revendiqué pour la musique.» SGO/LIB


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