L’ESPACE PUBLIC, DE L’INITIATIVE A LA PARTICIPATION Décryptage et analyse du rôle de l’habitant dans la fabrication de l’espace urbain.
Meije Nigon - Travail de fin d›étude 2015, promoteur Guy Adant Faculté d›architecture LaCambreHorta - ULB
« If you plan cities for cars and traffic, you get cars and traffic. If you plan for people and places, you get people and places.» Fred Kent
L’ESPACE PUBLIC, DE L’INITIATIVE A LA PARTICIPATION Décryptage et analyse du rôle de l’habitant dans la fabrication de l’espace urbain.
UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté d’architecture LaCambreHorta Travail de Fin d’Etude Année académique 2014-2015 Présenté par Meije NIGON Promoteur : Guy ADANT
PRÉFACE Cet ouvrage cumule recherches, entretiens et observations sur l’espace public et le rôle de l’habitant à Bruxelles en Belgique. Il a certainement été influencé par des expériences personnelles vécues à travers le monde. L’approche de cultures diverses a également permis de percevoir différemment l’environnement dans lequel nous vivons. Ce mémoire tente d’apporter un regard critique sur l’espace urbain qui compose nos villes. Espaces pluriels, complexes et imprécis, l’espace urbain est souvent associé à « ce qu’il reste » par les architectes, comme si seul le bâti était important. Pourtant, cet espace présente le besoin urgent d’être considéré comme le ciment de nos villes. En effet, support d’une certaine cohérence urbaine, il s’entend comme l’élément essentiel qui maintient et organise la ville finie. Dès lors, l’espace urbain contribue au bien-être de ses habitants et s’impose comme la matière première du vivre ensemble. L’élément central est l’habitant des villes. Il joue dans son lieu de vie un rôle constant, volontairement ou non.
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PRÉFACE RÉSUMÉ INTRODUCTION
TABLE DES MATIÈRES
A LA RENCONTRE DE L’ESPACE PUBLIC, COMPRÉHENSION ET DÉCRYPTAGE QU’EST-CE QUE L’ESPACE PUBLIC ? Un espace, de l’architecture Un lieu d’expression et de limites, la notion privé-public Un droit à revendiquer?
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COMMENT SE FABRIQUE L’ESPACE PUBLIC ?
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QUI FABRIQUE L’ESPACE PUBLIC ?
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L’histoire et les lois, des facteurs qui stérilisent l’espace urbain Patrimoine, consommation et voiture, des facteurs qui envahissent l’espace urbain Culture, géographie et climat, des facteurs qui nourrissent l’espace urbain L’espace public est en premier une question de responsabilités Les associations, collectifs Les individus, du légal à la délinquance
QUELS IMPACTS ET QUELS RÔLES A L’HABITANT SUR L’ESPACE PUBLIC ? 75 SPONTANÉITÉ ET APPROPRIATION, VECTEURS D’ÉVOLUTIONS URBAINES 77 Comportement spontané, inspiration pour faire évoluer l’espace public Le banc, premier acteur du changement ? Questionnement sur les usages et les habitudes
ENTRE INITIATIVES ET PARTICIPATION, QUELLES SONT LES LIMITES POUR MODIFIER LA VILLE ?
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LA PARTICIPATION ET SON INSTITUTIONNALISATION
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CONCLUSION ANNEXES BIBLIOGRAPHIE
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Incompréhension et non dialogue Entre autorisation et interdiction, un choix de politique urbaine L’importance de la convergence des valeurs Manifestation et revendication comme moteur du changement
Ouverture du dialogue autorité/habitants et prise de conscience Les instances publiques s’essayent à la participation Intégration de la participation dans la politique urbaine de Bruxelles Questionnement et avis divergents
RÉSUMÉ Nous chercherons d’abord à comprendre l’espace public et comment il se forme. Le public contrairement au privé, est sous la responsabilité de l’État et utilisé par tous. Sa formation actuelle fut influencée d’abord par des facteurs qui le stérilise, comme l’application de certaines lois obsolètes ou les différentes politiques urbaines misent en place, notamment suite à la Chartes d’Athènes et les années 60-80 du modernisme. D’autres facteurs ont un caractère plus invasif, où la frontière entre le public et le privé est plus floue, où les préoccupations de consommation ou de patrimoine dominent celle d’un espace public de qualité. Comprendre comment se forme l’espace urbain dans lequel nous évoluons semble nécessaire pour pouvoir choisir comment agir. Nous allons évaluer les positions auxquelles nous adhérons et celles que nous remettons en questions. L’habitant est l’élément premier d’une ville, il semblait donc nécessaire de comprendre quel rôle il joue aujourd’hui dans la fabrication de l’espace urbain. Les initiatives des habitants peuvent se concrétiser par des actions spontanées, des micro-interventions, ou des places entières. Les limites sont pourtant nombreuses, l’habitant étant en effet entièrement dépendant des instances publiques. Le manque d’information, la non-compréhension des rouages de l’administration, les problèmes de communication ou d’entente, sont autant de facteurs qui peuvent avoir des répercutions négatives sur une initiative citoyenne. Cela peut même parfois faire disparaître cet élan citoyen. La participation est un autre moyen pour agir, mais cela ne vient pas de l’habitant. Elle dépend des organisateurs, professionnels privés ou représentants publics, qui peuvent intervenir à différents niveaux, information, conception, voir réalisation. Lorsque l’on propose des projets qui touchent le public, il semble nécessaire d’avoir l’avis des usagers. Institutionnaliser, c’est mettre un cadre pour pouvoir appliquer une idée. Il s’agit de présenter un modèle. Pourtant la participation est une notion très variée, spontanée et imprévisible, il semble alors difficile de l’institutionnaliser. Mais cela est nécessaire lorsque certaine politique urbaine n’intègre pas le citoyen dans les réflexions sur l’espace public. Finalement, l’institutionnalisation de la participation, encore délicate, est indispensable. Mais elle doit toujours tenir compte en parallèle des initiatives citoyennes soutenues par les associations qui forment un lien entre les instances publiques et l’habitant. 11
INTRODUCTION Selon Aristote « l’homme est un animal social »1, peu de gens vivent seuls et isolés des autres. Depuis toujours nous avons vécu regroupé, en communautés plus ou moins importantes et plus ou moins complexes. Les villes existantes ne cessent de croitre quand d’autres émergent, augmentant ainsi la part de la population urbaine. Dès lors, l’espace public prend une tout autre ampleur. L’individu vie l’espace public bien différemment selon qu’il soit plongé en plein cœur d’une métropole ou d’une banlieu parisienne. Mais qu’en est-il de Bruxelles ? Pour tout habitant, l’espace public fait partie de son quotidien. Ce lieu est traversé, occupé ou devient espace de promenade. Chacun a sa propre fréquence, sa propre vitesse et agit selon ses propres objectifs et critères… La voisine âgée reste sur son pallier, elle y côtoie des familles qui passent avec leurs enfants, des ados trainant leur sac après les cours, un maître et son chien qui font la promenade quotidienne, le joggeur qui s’étire, la caissière qui fume sa dernière cigarette, ou encore l’étudiant en art qui croque un morceau de quartier. Nous habitons un intérieur, mais nous vivons également l’extérieur : l’espace public. Mais quel est-il exactement ? Selon le sens commun, en Europe occidentale et à Bruxelles, l’espace public est une place, une rue, les trottoirs, l’arrêt de bus, le parc... On y est relativement libre de faire ce que l’on souhaite, dans la limite et le respect de la loi, des autres utilisateurs et de l’espace lui-même. Selon le Petit Robert de la langue française (2007) : L’espace public est un « lieu, plus ou moins délimité où peut se situer quelque chose » et «[…] qui concerne l’ensemble d’un peuple. Qui appartient à la collectivité sociale, politique et en émane ; qui appartient à l’Etat ou à une personne administrative »2 . Ainsi, l’espace public concerne donc tout le monde et appartient à l’Etat. L’Etat est donc en charge de ces espaces que l’ensemble de la communauté utilise ou peut utiliser, que ce soit une place, une rue où un bâtiment. Dans Espace Public3, Ilaria Casillo précise : « En réalité, espace public […], relevant de la géographie, désigne tout espace, généralement au sens physique du terme, accessible à tous et ayant la capacité de refléter la diversité des populations et des fonctionnements d’une société urbaine.
1 Aristote, L’Etique à Nicomaque, Le livre de poche, 1992 PAUL ROBERT, LE NOUVEAU PETIT ROBERT, DICTIONNAIRE ALPHABETIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE, LE ROBERT, PARIS 2007. P926 ET P2065 3 Ilaria CASILLO, Espace public, in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation. Disponible sur : <http://www.dicopart.fr/ en/dico/espace-public> (consulté le 2 avril 2015)
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Il s’agit d’espaces tels qu’une place, mais également tel qu’un terrain vague, un parking, etc. En d’autres termes, il s’agit de tout espace de rencontre, qu’elle soit fortuite ou programmée, où l’on peut faire l’expérience de l’Autre et où la différence, même sa propre différence, est protégée par l’anonymat. De manière générale, c’est en mesurant le bon état de santé de ces espaces que l’on peut mesurer la réussite des politiques urbaines. »
Tout d’abord, Ilaria Casillo donne une perception de l’espace public plus large qu’une simple place. Ensuite, elle lui donne une dimension sociale, c’est le lieu de toutes les rencontres. L’Autre a un visage, c’est celui qui est assis à côté de nous, ou qui nous bouscule sans crier gare. De la rencontre heureuse ou malencontreuse, « tout peut arriver », et de fait, parce qu’ouvert à tous et hors de notre contrôle, c’est un espace fait de hasard et d’évènements fortuits. C’est ce champ des possibles appliqué à tant d’individus qui dote l’espace public d’une myriade d’émotions. De l’émerveillement à la curiosité, de la peur à l’agressivité, l’espace public est une palette de sentiment, lieux de diversité et d’expressions sociales. On se demande si l’espace public, est « l’indicateur de santé » de la ville. Il nous fournit la preuve visible de son état de santé, et son observation équivaut-elle à prendre son pouls. Il y a interaction entre l’espace public et les habitants. Ainsi, l’espace public est un lieu géré par l’Etat ou son représentant qui en est responsable. Il est utilisé par une communauté et des individus et qui sont le reflet de l’identité économique, politique et social. Cosmopolite et varié, l’espace public bruxellois affiche des ambiances bien différentes suivant le lieu ou le moment. Pourtant, Bruxelles connait aussi ses dysfonctionnements, dégradations, pollution, désertifications… Certains de ses espaces publics semblent dénués de vie. D’où viennent ces problèmes ? Comment se fabrique l’espace public ? Qui agit ? Suite à l’analyse et au décryptage de l’espace public bruxellois, nous allons déterminer quel rôle et quel impact a l’habitant sur la fabrication de l’espace public? Tout d’abord, nous aborderons la notion d’espace public et urbain. Quel estil ? Comment s’est-il formé et comment évolue-t-il ? Quels sont les acteurs aujourd’hui ? Ensuite, nous tenterons de comprendre comment l’habitant peut agir sur la fabrication de l’espace urbain et quelles sont ses limites d’interventions,en nous appuyant sur des études de cas. 13
A LA RENCONTRE DE L’ESPACE PUBLIC, COMPREHENSION ET DECRYPTAGE
Lorsque l’espace public est abordé, la complexité et le flou surgissent. Après avoir défini les termes en introduction, voici une recherche plus approfondit à Bruxelles pour comprendre et peut-être prendre du recul sur la perception de cet espace. Pour certain, les qualités de la ville, la pluralité, la culture, les rencontres, les évènements, les possibilités, sont essentiels. Mais c’est souvent dans le grand centre urbain que le pire et le meilleur se produisent. Des univers et des préoccupations très divers se côtoient, comme les universités, les mouvements artistiques, le hip-hop, la criminalité, le chômage, les sans-abris… Le potentiel de rencontre et l’inertie qui peuvent se produire sont multipliés en ville. Cet espace public matérialise ses contradictions et voici un premier paradoxe : une ville est entièrement créée par les hommes et par conséquent gérée par l’homme, pourtant de nombreux espaces échappent à son contrôle. Seule une partie des personnes agissent et sont responsables de la ville, seule une minorité semble construire la ville. Que font les autres? Particulièrement dans les grandes villes, on remarque que chaque endroit à son ambiance, son énergie, sa manière d’être et de respirer, son identité. Une certaine personnalisation est donc possible et réalisée.
QU’EST-CE QUE L’ESPACE PUBLIC ? Un espace, de l’architecture Même si officiellement on sait ce qu’est un espace public, dans la réalité la perception est différente. La notion est plus ou moins bien représentée matériellement. L’espace sous le pont du parc Botanique est-il public ? Cette terrasse de café est-elle publique ou privée ? Où se situe la limite entre le jardin privé et la rue s’il n’y a pas de barrières ? A qui est ce bâtiment abandonné? Nous fondons la plupart de notre connaissance du privé-public sur des ressentis ou sur des messages connus de tous, des murs, des portes, des barrières, ou encore des écriteaux. C’est pourquoi, il y a une différence entre l’espace public officiel et défini et l’espace public perçu ou reconnu par le sens commun. Dans cet ouvrage il sera donc utilisé le terme espace public lorsqu’il s’agira du sens donné par le sens commun, les rues, les places et autres espaces clairement définis comme publics ou compris comme tel. Et lorsqu’il est nécessaire de prendre en compte tous les espaces extérieurs constituant la ville, incluant les friches, les impasses, les recoins entre deux immeubles, les « dents creuses », nous parlerons d’espaces urbains, incluant donc les espaces privés trop ambiguë. L’espace urbain est difficilement considéré comme de l’architecture. Pourtant, comme le dit si bien Patrick Bouchain : « […] l’architecture est l’affaire de tous, puisque nous en sommes tous les usagers, je crois qu’elle est partout, dans une bordure de trottoir, la qualité d’une acoustique, le rapport entre une construction et le paysage… dans ces lieux « impensés » aussi que sont les friches industrielles ou les territoires délaissés par l’aménagement mais occupés par les hommes, et dont l’existence nous permet de reconsidérer notre façon d’habiter, de partager ou de vivre ensemble. »4.
Ainsi, nous sommes les usagers de la ville et tous les espaces et lieux qui la composent font partie de l’architecture et de la composition unique de son identité. Entre définition officielle et perception du sens commun, un espace public et un espace urbain sont tous deux des questionnements architecturaux qui forment nos villes.
4 Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ?, Actes sud, Paris 2006. P.8
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Magasins dans une rue de Hanoï, Viêt-Nâm, juin 2013. Photo Personnelle
Vendeurs dans une rue de Hanoï, Viêt-Nâm, juin 2013. Photo Personnelle
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Un lieu d’expression et de limites, la notion privé-public Les exemples dans l’histoire, et à travers le monde, ne manquent pas dans lesquels l’espace public fut l’espace d’expression des foules et des individus. A l’opposé de l’espace public, l’espace privé, appartient quant à lui à un individu, une entreprise ou une association. Dans une propriété privée, c’est le droit à la personne qui prime sur le droit communautaire. Cet espace extérieur public est libre d’accès, tout le monde peut donc s’y rencontrer, et se montrer. Depuis chez-soi on peut laisser transparaître une présence humaine. Comme laisser pendre un drapeau pour soutenir une équipe de football ou afficher un écriteau contre une décision politique. L’espace public est influencé par les espaces privés représentatifs des individus qui les habitent. La frontière entre les deux est souvent poreuse. Dans nos métropoles européennes, il est possible de ne jamais croiser son voisin, de croire que la rue est vide de vie, de ne pas se sentir à sa place. Il n’est pas rare de passer dans des rues où il n’y a pas âmes qui vivent. On longe des haies denses et opaques ou on observe des fenêtres vides, sans âmes. Dans un endroit rempli d’individus, on le croirait parfois fantôme, comment en sommesnous arrivé là?
Le Viet-Nâm, un exemple qui met en valeur cet notion de limite et d’expression Une perception différente de l’espace public est mise en évidence par Yona Jerbrak et Barbara Julien : «Théâtre de la ville, la rue hanoienne n’est pas une simple voie de passage, mais un espace de vie et de pratiques sociales constitutives d’une culture spécifique, qui associe activités commerciales et domestiques dans des frontières flexibles et perméables. Dans ce contexte, le couple «privé-public» paraît n’avoir guère de signification et la rue devient plutôt le réceptacle possible de multiples appropriations.»5 «Au gré de la journée, le rez-de-chaussée déborde sur le trottoir pour se l’approprier et inversement la rue peut pénétrer dans l’espace couvert pour se protéger des pluies ou du soleil.» 6 « Traditionnellement, les habitants étalaient leur nattes au bord de la rue pour dormir dehors durant les chaudes nuits d’été. Dans certains quartiers, des puits publics se trouvaient encore récemment sur la rue, renforçant son caractère domestique, avec ses scènes de vie quotidiennes des familles à même le trottoir. » 7.
5 LE RÔLE DE LA RUE COMME GÉNÉRATEUR DE L’URBAIN À HA-NÔI, VIÊT-NAM»,LES TEMPS DE L’ESPACE PUBLIC URBAIN : CONSTRUCTION, TRANSFORMATION ET UTILISATION. YONA JÉRBRAK ET BARBARA JULIEN, ÉDITION MULTIMONDES, 2008, QUÉBEC, CANADA. PAGE 99 6 IDEM PAGE 105 7 IDEM PAGE 106
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Là-bas il y fait chaud, la vie grouille autour de nous, dans un constant fourmillement d’humanité. Le trottoir est habité, on y mange, on y fait la sieste, on attend ces clients, on discute, on y vie tout simplement. Chaque pays et culture est différent, mais nous sommes tous humains et la ville est notre lieu d’expression. Qu’est ce qui change ? Qu’est-ce qui fait que certain lieu semble vide et désert alors que c’est l’homme qui constitue la ville ? Nous verrons ensuite comme certains facteurs participes à la stérilisations des rues.
Un droit à revendiquer ? Le droit à la ville de Henri Lefèvre Lorsque l’on vit en ville, quels droits avons-nous sur l’espace qui nous entoure ? Dans Le Droit à la ville8 Henri Lefèvre argumente la volonté de rendre la ville aux citoyens et la nécessité de leur reconnaissance et de leur prise en compte, particulièrement de la classe ouvrière. Se voulant comme « un manifeste pour l’action urbaine » 9, il explique que suite à la guerre, on a considéré le droit au logement, mais négligé le droit à la ville, à l’urbanité. Il revendique le droit d’avoir un environnement urbain où on a envie de vivre. Ce n’est pas seulement un lieu où vivre. Il revendique également le droit de chacun à pouvoir s’exprimer et agir dans cet environnement. Finalement H. Lefèvre pose la question de « Quelle ville voulons-nous ? » En effet, les villes sont aujourd’hui développées par des architectes, urbanistes, ingénieurs ou politiciens. On parle de technocratie, un monde géré par ceux qui ont les connaissances et les diplômes. Certes ils sont les experts techniques, mais qui sont les experts du local et de l’usage ? Ceux qui parcourent la ville tous les jours l’appréhendent d’une autre manière. Les habitants connaissent les émotions, les individus, les utilisations, les expériences, les histoires. Cette expérience de l’usage, la poignée d’experts techniques ne peut la connaître, tout simplement parce que personne ne peut comprendre la ville en tout lieu, tout le temps et d’autant de manière qu’il y a d’individus. Intégrer les usagers au processus d’analyse et de conception permet d’avoir une palette plus large de la compréhension de la ville et de mieux la projeter et la concevoir. La participation est un des outils qui peut favoriser la prise en compte de l’expérience des individus. 8 Henri Lefèvre, Le droit à la ville, édition Anthropos, Paris : 1970. 164p. 9 Sylvain SANGLA, Politique et espace chez Henri Lefèvre, thèse de doctorat en philosophie, Université Paris VIII, 2010.
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L’exemple de Toyô Itô nous permet de mettre en avant l’importance de l’espace public et des habitants.
Toyô Itô dans un Japon en crise : «La maison pour tous» Dans une situation en crise, nous pensons aux besoins vitaux, manger, boire, se loger et se soigner. Suite à la lecture de l’ouvrage de Toyô Itô, L’architecture du jour d’après10, nous nous rendons compte que le droit à la ville, le droit à un environnement de qualité est primordial. Voici un exemple de réussite qui matérialise la vitalité de ce droit. En cas d’urgence, lors de la mise en place de villes temporaires, les autorités placent généralement des baraquements les uns à la suite des autres, sans plan d’urbanisme, pour plus d’efficacité et d’économie. Ainsi, Camps et villes temporaires11 met en évidence que ces villes, dès leur installation, ne sont déjà plus des villes temporaires car elles resteront plus que quelques années. La moyenne d’occupation d’un camp de réfugiés est de neufs ans, presque une décennie, voilà pourquoi ces villes ont une place dans l’urbanisme. Quelques solutions ont été proposées pour améliorer l’espace public, comme réaliser différentes fresques sur les habitations pour les individualiser. Mais aucunes ne venaient directement des autorités qui avaient établie le camp, pourtant, pour satisfaire les besoins vitaux, les habitants ont réellement besoin d’un lieu de vie de qualité. Aujourd’hui, suite aux grandes catastrophes naturelles ou humaines, de nombreux camps se forment, de nombreuses actions et aides sont misent en place. Toutes les actions urgentes sont médiatisées, jusqu’à la satisfaction des besoins vitaux. Pourtant, Haïti continue de se reconstruire depuis 2011, et bien que l’urgence sanitaire et alimentaire soit levée, tous les habitants n’ont pas encore un lieu de vie digne et salubre. Suite au tremblement de terre et au tsunami en 2011 au Japon au large de la préfecture de Miyagi dans le pacifique, Toyô Itô se pose la question du rôle de l’architecte dans une situation en crise post-catastrophique. Il se rend sur place avec des étudiants afin de se rendre utile. Habituellement, dans ces situations, les autorités et les habitants font appel aux constructeurs, aux ingénieurs, aux artisans, mais pas aux architectes. Une fois sur place, Toyô Itô analyse la situation et propose de faire quelque chose avec les habitants. De quoi ont-ils besoin ? Que peut proposer un architecte dans cette situation ? Il fait un constat étonnant, presque évident. Après avoir perdu des proches, son lieu de vie, et même sa ville, personne n’a envie de se retrouver seul, même temporairement, dans une de ces maisons préfa10 Toyô Ito, L’architecture du jour d’après, Les impressions nouvelles, France 2014. 11 Wéry, Camps et villes temporaires, mémoire d’architecture ULB 2014.
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Maison pour tous de Rikuzentakata, Naoya Hatakeyama. L’architecture du jour d’après, Toyô Itô p85
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briquées, exiguës et coupées des autres logements proches. Dans ces « villes temporaires », il n’y a que des lieux où dormir, sans vie sociale. Les lieux de vie et de partage n’existent plus, l’espace public n’existe plus. « … pour discuter entre voisins, il n’y avait pas d’autre solution que de se tenir debout dans les étroites allées de gravier entre les rangés d’habitations… »12.
Après de nombreux échanges, Toyô Itô revient vers les réfugiés et propose le projet d’une maison publique, ouverte à tous, un lieu libre d’accès. Cette maison serait un point de repère et de rassemblement pour tout le monde, un lieu public : « la maison pour tous ». La première maison pour tous de Miyagino est inaugurée le 26 octobre 2013, deux ans et demi après le tsunami. Aujourd’hui, c’est un point central et un espace où tous les habitants sont accueillis, où ils peuvent partager, échanger, avoir une vie sociale. C’est un espace qui apporte sécurité et confiance. « Le soleil se couchant tôt, les environs ont rapidement sombré dans la pénombre et « la Maison pour tous » est alors rester le seul point lumineux se détachant dans la nuit. »13.
Le premier composant d’une ville est l’habitant, si l’habitant va mal, la ville va mal. Construire une maison pour tous, permet de recréer un lieu où les échanges sociaux peuvent de nouveau s’exprimer, où l’on peut se confier. C’est une nouvelle opportunité de lever les tabous, de désamorcer les situations de stress et de peur. Le tour de force de Toyô Itô réside dans ses échanges avec les réfugiés, il délie les langues et permet à tous d’exprimer leurs ressentis sur l’espace dans lequel ils vivent. En se sentant concerné par le projet, les habitants reprennent un certain pouvoir sur leur environnement, sur leur vie, qu’ils pensaient avoir perdu suite à la catastrophe. Dans le projet de « la Maison pour tous », les habitants totalement investis. Devant cette implication l’architecte a cette réflexion : « […] ce jour-là, j’ai eu la sensation que la séparation entre construire et habiter était comme dissoute. »14.
Il comprend que la prise en compte des habitants est nécessaire à l’aboutissement du projet. Impliquer les habitants, les usagers, c’est ouvrir la discussion, et s’ouvrir à toutes les idées possibles, c’est faire disparaitre un peu plus la frontière entre conception, construction et habitation. Dans le cas des camps temporaires, nous nous rendrons compte, de manière contrasté, de la nécessité de prise en compte d’espaces publics qualitatifs. Le cas des camps et villes temporaires est extrême, mais souligne avec pertinence 12 Toyô Ito, L’architecture du jour d’après, Les impressions nouvelles, France 2014. p 64 13 Idem p71 14 Idem p73
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son indispensable utilité. Dans nos villes, dans certain quartier, la non-considération de l’espace public est flagrante, comme pour certains grands ensembles. Ce n’est pas parce que certains facteurs sont plus urgents que d’autres, que tous ne doivent pas être pris en compte. De plus en plus, aujourd’hui tout est question d’urgence, pourtant la ville se construit de manière lente et continue. La prise en compte de l’espace urbain comme lieu de vie qualitatif doit devenir un droit pour tous les usagers. La ville est humaine, la diversité des habitants en fait sa richesse. On réalise alors que lorsque les habitants sont a l’origine de l’inspiration, de l’utilisation et de la formation de l’espace public, cela peut aboutir à des résultats inattendus. Aujourd’hui, comment se façonne l’espace urbain de nos villes ?
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Exemple de mobilier de place typique bruxelloise de première génération. Place Saint-Antoine, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
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COMMENT SE FABRIQUE L’ESPACE PUBLIC ? La ville est par définition, depuis sa création, un espace d’échange et de rencontre. Les premières agglomérations sont nées de la politique et du commerce. Pourtant, aujourd’hui, nous parvenons à des paradoxes, parfois la ville devient un lieu subit et non vécu. La ville est un lieu de rencontre, mais également un lieu de séparation, d’isolation, de non-lieu. Notre héritage de l’histoire, de la société, de la culture a un impact et une influence constante sur sa fabrication, son évolution. Cela fait partie de la ville, nous l’avons intégré et cela devient presque normal, parce que c’est « la ville ». Pourtant les facteurs qui ont formé ces espaces sont multiples et parfois obsolètes.
L’histoire, les lois, la société, des facteurs qui stérilisent l’espace urbain Héritage historique, un gouvernement tout puissant. Lorsque l’on parle d’espace public, on pense tout de suite aux places, et aux points importants en ville. Ce sont des éléments majeurs dans son organisation et ces espaces sont souvent des lieux de croisement importants. A l’origine, le gouvernement, ou le roi, qui décident des besoins de la ville, là où il faut intervenir. Les places étaient considérées comme des lieux charismatiques et utiles. L’héritage est important, à Bruxelles, la ville garde de nombreuses traces de Léopold II et de son règne le « Roi bâtisseur ». Mais aujourd’hui quels sont les impacts d’une telle politique qui perdure encore, même lors d’interventions récentes ? La place traditionnelle bruxelloise est un espace avec un banc de bois, un lampadaire, une poubelle verte, deux arbres et un bord de trottoir en pierres bleues. Benoît Moritz, architecte et urbaniste à Bruxelles, utilise le terme de place de première génération, elles ont généralement été conçues et mises en place durant le XIXe siècle jusqu’à tard durant le XXe siècle : « Les places de première génération contrastent par rapport aux nouvelles générations de places qui sont pensées par des architectes, des paysagistes, ce sont des places où des équipes pluridisciplinaires interviennent, où ils réfléchissent au sol, mais aussi au mobilier urbain. J’insiste sur le mobilier urbain, et au sens qu’il peut acquérir. Au temps de Léopold II, ce sont les bêtes bancs en lattes de bois, mais quand tout à coup on met, comme sur la place communal de Molenbeek, un banc,
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Place Cheval Noir, rénovée en 2009, google streetview, Molenbeek, Bruxelles 2014. Photo Personnelle
Place de la Justice, rénovée en 2009, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
Place Communale Molenbeek-Saint-Jean, Marc Detiffe, Bruxelles 2014. <http://www.quartiers.irisnet.be/fr/quartiers/quartier/86> (consulté le 15 août 2015)
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c’est aussi un podium, c’est plusieurs choses à la fois. C’est interprété et approprié de différentes manières. Ça pose la question du mobilier standard » Il est question également de l’espace public standard. La place Saint-Denis, à Forest, correspond tout à fait à ce genre d’idée reçue. « C’est une place où on a juste refait la bordure, on a mis deux, trois bancs et des arbres et on ne s’est pas posé la question de qu’est-ce qui peut se passer là. Il n’y a pas eu de réflexion sur les usages. »15.
Nous distinguons deux types de places, les places de première génération, comme la place Saint-Denis, lieu commun d’une place, et les places de nouvelles génération qui apportent une réflexion sur l’usage, comme la nouvelle place communale de Molenbeek. On ne retrouve pas les traditionnels trottoirs en pierres bleues, les potelets verts pour délimiter la place de la voiture, les lampadaires du XIXe. Non, à la place un seul type de revêtement est utilisé pour mettre tous les usagers au même niveau et le mobilier a été pensé uniquement pour cet espace. On imagine que les places de premières génération vont progressivement évoluer, êtres rénovées et mieux s’adapter, sauf si elles sont conservées comme la Grand’place ou la place Royale pour leur intérêt historique. Pourtant des places récemment rénovées peuvent tout à fait correspondre aux critères datant de Léopold II et ne pas du tout avoir bénéficiées d’une réflexion sur les usages qui en feraient des espaces qualitatifs. Comme la place du Cheval Noir à Molenbeek, ou la place de Justice, toutes deux refaites en 2009. Pour la première, l’utilisation est guidée par l’encombrement du mobilier urbain, tandis que l’autre n’a qu’un rôle symbolique. De nombreux exemples existent, il est dommage que des places nouvellement rénovées ne se trouvent pas intégrées à l’espace public de manière qualitative avec une réelle réflexion sur les usages. Il existe donc de nombreuses places et rues vestiges de l’histoire, mais malgré les rénovations et de nouveaux projets, certaines restent imprégnées d’une pensée d’une autre époque. Cela favorise une fuite de ces lieux non pensés pour le piéton.
15 Benoit Moritz - Annexe
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L’ère industriel et les politiques urbaines La Chartes d’Athènes Auparavant, les villes étaient construit progressivement, de manière empirique : plus le nombre d’habitants augmentait, plus on rajoutait de maisons. Puis au début de l’ère industrielle, les voitures sont devenues un nouveau facteur à prendre en compte. Avec une forte progression démographique en ville, de nombreux problèmes de congestion, d’hygiène, et de gestion des flux se posent. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire, en 1933, un document écrit exige une organisation des villes, la Chartes d’Athènes16. L’industrie croissante, la voiture et sa vitesse changent beaucoup les facteurs espace et temps, essentiels dans la croissance et l’évolution d’une ville. Pour les architectes et urbanistes de l’époque, le constat est évident : la ville a besoin d’être organisée. Il faut prendre en compte la région qui l’entoure et imaginer son évolution future. Construire chacun de son côté ne mène à rien, il faut se mettre d’accord pour avoir un regard plus large, plus global, sinon les problèmes ne font qu’empirer. La Chartes d’Athènes exige de mettre en place certains moyens, qui à cette époque et aujourd’hui encore, ont bouleversé la perception de la ville. Il s’agit du zonage : « Le zonage est l’opération faite sur le plan de ville dans le but d’attribuer à chaque fonction et à chaque individu sa juste place. » 17. « Le zonage, en tenant compte des fonctions-clés : habiter, travailler, se récréer, mettra de l’ordre dans le territoire urbain. La circulation, cette quatrième fonction, doit avoir qu’un but : mettre les trois autres utilement en communication. » 18.
L’idée de vouloir donner à chaque fonction sa place reste aujourd’hui ancrée, et ce côté obsessionnel du « rangement » de la ville correspond à l’époque au facteur de la voiture qui a des conséquences néfastes sur la circulation et la manière de vivre l’espace public. Pourtant, le zonage a aujourd’hui bien plus d’impact que le seul fait d’intégrer la voiture en ville. Le zonage est la partition de la ville en différentes fonctions reliées par des routes. Ce partage crée ainsi, le quartier résidentiel, le secteur industriel, le quartier des affaires, la rue commerçante. Cela semble logique, et pourtant nous nous rendons compte aujourd’hui de l’effet néfaste de cette pensée. Des rues entières de magasins et de quartiers de bureau se retrouvent complètement vides le soir et la nuit car il n’y a plus d’activité. Alors qu’inversement, les quartiers résidentiels sont relativement vide la journée, car tout le monde travail, va à l’université, à l’école ou tout simplement 16 Le Corbusier, La Chartes d’Athènes des CIAM, les Editions de minuit, collection forces vives. Paris : 1957. 17 Idem p81 18 Idem p81
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fait des courses. On a également des quartiers entiers de bars et restaurants, des blocs ne regroupant que des industries, ou des services, qui ont tous un impact significatif sur l’espace qui les entoure. Le regroupement des fonctions semble naturel au premier abord, comme par exemple le quartier des tanneurs à cause de l’odeur désagréable. Ces regroupements doivent néanmoins rester à échelle humaine. L’impact de ces quartiers établis en zonage est considérable. Ces espaces n’ont plus de vie propre, ils ne sont considérés que pour une seule fonction, fonctionnaliser les lieux, sans les qualifier. Ils perdent alors tout intérêt à être vécu au quotidien. Heureusement, aujourd’hui nous reparlons de mixité des fonctions, mais l’impact de l’esprit du zonage au niveau urbanistique reste significatif. Dans La chartes d’Athènes, ils parlent également de l’espace public, « la circulation qui relie les différentes fonctions clés » 19. Définir l’espace public comme un espace de circulation par défaut est en contradiction avec le fait que cet espace peut également être un espace de vie. Il y est même écrit : « Les rues doivent être différenciées selon leurs destinations : rues d’habitations, rue de promenade, rue de transit, voies maîtresses. » 20.
On peut comprendre le souhait de séparer, les poids lourds qui transportent des marchandises, des rues d’habitation. Mais classifier les rues ne permet aucune flexibilité d’évolution, une rue d’habitation ne peut pas être également une rue de promenade. Pourtant, les objectifs de la Chartes d’Athènes ne sont pas éloignés de ceux d’aujourd’hui : «[…] chaque individu ayant accès aux joies fondamentales : le bien-être du foyer, la beauté de la cité » ou encore « le dimensionnement de toutes choses dans le dispositif urbain peut-être régis que par l’échelle humaine » 21.
Pourtant, les objectifs semblent en contradictions avec les moyens mis en place ? C’est probablement avec le recul que l’on peut percevoir les limites des propositions. Les années 60-80 : entre zoning et logements sociaux Le zonage ou le zoning est réellement appliqué suite à la guerre, dans les années 60-70 : c’est alors l’urbanisme fonctionnaliste. La ville est découpée en quartiers fonctionnels, pour aménager de grands axes autoroutiers et de chemin de fer, comme la connexion nord-sud de Bruxelles. A cela s’ajoute les logements sociaux et les grands ensembles isolés de la ville, comme le Parc du Peterbos à Anderlecht. Toutes ces modifications laissent des coupures marquées dans les anciens quartiers. De fait, des espaces publics sans qualités apparaissent dans
19 Idem p81 20 Idem p63 21 Idem p95
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Exemple d’une rue privilégiant les voitures aux piétons, rue de la loi, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
Signalisation dans une ruelle du centre-ville de Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
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Plus de place pour les voitures que pour les piétons. Avenue Buyl, Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
les nouveaux. Consacré chaque espace, bâtiment ou rue a une seule et unique fonction, c’est limiter l’usage que l’on peut en avoir. Les usages sont aussi variés qu’il y a d’individus, il semble essentiel de laisser une certaine flexibilité pour d’autres utilisations, d’autres fonctions que personne n’a encore imaginé. Le choix d’une politique urbaine L’arrivée de la voiture a encore aujourd’hui d’autres impacts. La tendance actuelle est de dire qu’il faut supprimer les voitures, qu’elles polluent, sont dangereuses, font du bruit… Pourtant le problème n’est pas la voiture en elle-même, mais bien l’importance qu’on lui donne. Comme l’explique Nicolas Soulier : « Est-ce la faute des voitures ? Non, c’est dû à l’usage que l’on en fait, et à l’espace qu’on construit méthodiquement pour cela » 22.
La plupart des politiques urbaines privilégient d’abord les routes, les stationnements, les voies d’accès. Mais la solution n’est-elle pas simplement de revoir la proportion que prennent ces voitures dans l’espace urbain ? Se rendre compte de la place qu’elles subtilisent, permet de prendre du recul par rapport à leur présence envahissante. Une voiture est 95% du temps arrêté, elle prend autant de place qu’une personne pour se loger (25m²)23, La chaussée est parfois assez grande pour accueillir un immeuble. Souvent dans la rue il y a plus de place pour les voitures que pour les personnes. Certains carrefours sont très largement asphaltés avec des trottoirs au minimum. Parfois, passer sur le trottoir d’en face, est un véritable parcours d’obstacles, de multiples passages piétons et barrières barrent le passage. Donner plus de place aux piétons ou aux vélos est un combat de tous les jours, car il devient nécessaire de diminuer la place que prennent les voitures, et donc leur nombre, leurs infrastructures. Cela signifie que tout le monde ne peut pas avoir de voiture, c’est un changement que beaucoup ne peuvent pas comprendre et accepter. Avoir une voiture individuel est un accomplissement social, on devient autonome, on a assez d’argent pour gérer son coût... Pourtant, en ville, la voiture individuelle est-elle réellement nécessaire ? Les commerçants estiment que s’il n’y a pas de place de stationnement, c’est la mort de leur commerce. De plus en plus de solutions alternatives existent, comme les voitures partagées24, où mettre toutes les ruelles à 30 km/h et en sens unique, comme celles d’Etterbeek à Bruxelles... Les rues sont calmes, les conducteurs plus vigilants, les transports en commun mieux développés, les infrastructures pour les 22 Nicolas Soulier, Reconquérir les rues exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, Paris : 2012. p46-48 23 IDEM P173 24 Où une voiture partagée équivaut à treize voitures individuelles
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vélos plus nombreuses. Finalement, mettre en perspective la voiture en ville, c’est définir la place qu’elle doit réellement occuper, et poser la question de l’orientation de l’espace public. A Bruxelles et dans de nombreuses villes en Europe, la politique urbaine tend vers la réduction des voitures en centre-ville. Cela n’a pas toujours été le cas, et ce n’est pas toujours la même chose dans le monde. Quand dans certains pays d’Afrique, avoir un échangeur autoroutier est signe de modernité, dans d’autres pays en voie de développement le piéton ne fait presque plus partie du paysage urbain. Aux Philippines, à Manille, la capitale, le piéton est considéré comme un flux parmi les autres, à diriger et à organiser. Les quelques passages piétons se font au-dessus ou en dessous des routes, pour ne pas gêner la circulation. Si on n’est pas là où on est sensé être, on est pris pour un sans-abri qui n’a pas assez d’argent pour prendre le métro. Le cas de Portland D’autres pays, comme les États-Unis d’Amérique, ont tellement privilégié la voiture, qu’aujourd’hui ce sont toutes les villes et les modes qui évoluent en même temps. Replacer le piéton au centre des préoccupations urbaines impliquerait de modifier entièrement le style de vie. Cela semble difficile, c’est pourtant ce qu’a fait la ville de Portland aux Etats-Unis. Jeff Speck25 explique dans sa conférence « The walkable city » que la décision des politiciens, pour le développement de la ville, va à l’encontre du développement classique exercé partout ailleurs dans le pays. Au lieu de favoriser le trafic autoroutier en ajoutant plus de voies et en élargissant les routes en ville, la politique urbaine choisit d’investir dans l’utilisation du vélo et de la marche à pied, en réduisant la largueur des voiries, et en réalisant des pistes cyclables par exemple. L’effet secondaire de ces décisions est spectaculaire, de jeunes travailleurs viennent s’installer car la ville est agréable à vivre, on n’a pas besoin de toujours utiliser la voiture. Elle connaît ainsi une importante augmentation démographique. Aujourd’hui, c’est une des villes où la population conduit le moins longtemps et où il y a le plus de lieu de divertissement par habitant. Les proportions dans l’espace urbain entre la voiture et l’homme ont été ajustées, pour finalement replacer l’homme au centre des intérêts de la politique urbaine et au centre de l’espace public, sans pour autant supprimer la voiture. Voici un exemple à Bruxelles qui ne manque pas de faire réfléchir sur l’impact des choix des politiques urbaines. 25 Jeff Speck, The Walkable city, [video],TEDCity2.0. Septembre 2013, 16:56 min. TED : Ideas worth spreading. Disponible sur : < HTTP://WWW.TED.COM/TALKS/JEFF_SPECK_THE_WALKABLE_CITY> (CONSULTÉ LE 7 NOVEMBRE 2014)
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« L’avenue Louise fut achevée en 1862. L’avenue se présentait alors plantée de quatre rangées de marronniers séparant deux à deux les voies latérales de desserte d’immeubles frappé d’une zone de recule, d’une large allée centrale. En juillet 1864, un arrêté royal supprimait les zones de recule, portant la largeur de l’avenue Louise à 55m. » 26 .
Le dessin original de la rue prend en compte les habitants et le piéton ainsi que les voitures et leur accorde chacun une partie de rue proportionnellement égale. Pourtant, les décisions politiques choisissent d’accorder plus d’importance à la voiture pour favoriser le trafic. Alors que des lois ou décisions auraient pu être prises pour limiter et proposer des solutions alternatives, on privilégie à l’époque, le confort de la voiture, au confort des piétons. Aujourd’hui, c’est toujours le cas. Finalement, la voiture a un impact important, elle définit notre espace urbain. Elle existe et ne disparaîtra pas, mais remettre en question sa présence et l’espace qu’elle utilise est essentiel. Jusqu’à quel point doit-elle influencer notre espace public ? Quelle place peut-elle prendre et quel lieu peut-on rendre aux piétons ?
L’impact des lois et la stérilisation de l’espace d’expression Les lois sont souvent écrites pour palier à un problème, pour éviter que celui-ci ne perdure. On a pu découvrir l’impact qu’ont eu les grands incendies sur l’architecture de l’Amérique du Nord, les escaliers de secours font désormais partis du décor des films hollywoodiens. Quels sont les répercutions des lois à Bruxelles ? Sommes-nous encore conscient du rôle qu’elles jouent ? Sont-elles encore d’actualité ? Dans Reconquérir les rues27, l’auteur aborde l’influence de la législation française sur la limite du privé-public. Il met en évidence comment les lois misent en place favorisent la stérilisation de l’espace public. Qui n’a pas admiré le côté pittoresque du linge séchant à même la rue en Italie ou en Espagne ? Aujourd’hui, en France il est interdit de faire sécher son linge s’il est visible depuis l’espace public, cela est considéré comme indécent. On finit par cacher ce qui fait notre personnalité, notre particularité, notre humanité et cela pour le bien commun, en affichant une homogénéité dans les rues. Nicolas Soulier appuie cette réflexion en donnant l’exemple des jardins des maisons dans un ensemble de logement : 26 ARTICLE DE MARC ELOY DE L’OUVRAGE COLLECTIF : L’ESPACE-RUE ET L’HABITAT, «Evolution de l’espace-rue à travers l’influence de la législation sur les façades Bruxelloises» p76 27 Nicolas Soulier, Reconquérir les rues exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, Paris : 2012. 285p
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Rue de l’Université, Ixelles, Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
Rue de l’Université, Ixelles, Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
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« En cas de logement en pavillon individuel le preneur s’engage : à nettoyer tout trottoir au droit de son logement ou lieux loués ; à tondre régulièrement les pelouses et enlever les résidus des tontes et des détritus éventuels ; à tailler régulièrement les arbres, les haies des parties privatives ; à remettre en état les pelouses, haies, qui auraient pu être détériorées de son fait ; à ne pas édifier de niches d’animaux, clapiers, baraques, abris, séchoirs à linge, clôtures, même démontables ; à ne pas transformer en potager les parcelles d’agrément. »28.
En Belgique on retrouve des lois similaires sur l’entretien des jardins, même si certaines conditions sont beaucoup plus laxistes qu’en France. Mais que ce passe-t-il si au lieu d’un jardin à « la française » on préfère un jardin de type champêtre, plus sauvage et moins taillé ? Le style de « Jardin en mouvement » de Gilles Clément29 peut passer pour du non-entretien, illégal. On revient aux anciennes phobies des années 30’, il faut tout organiser et ranger dans la ville, rien ne peut être laissé au hasard a l’état sauvage. En Belgique, la loi protège les jardins, ils ne doivent pas être asphaltés, pour éviter l’imperméabilisation des sols. Pourtant une exception autorise à mettre un dallage seulement lorsque l’on a un garage. Dans certaines rues cela devient une généralisation. Comme la rue de l’université à Ixelles. Une simple autorisation favorise ainsi un espace stérile, où seul la voiture est présente. Nicolas Soulier le dit bien, cela nous pousse à l’inaction, à la non-implication de chacun, à la stérilisation de l’espace public, qui devient homogène, morne et sans vie. Une interdiction, une autorisation, une prise de décision, ces choix sont établis au fur et à mesure. Ces différents exemples permettent de se rendre compte du pouvoir des lois et des décisions politiques et à quel point elles influencent notre environnement. Remettre en question des décisions et se positionner par rapport à elles permet de prendre de la distance. Le Plan Local d’Urbanisme à Bruxelles doit pouvoir évoluer et changer suivant l’époque et ne pas garder des absurdités ou favoriser les voitures au détriment d’une valorisation de l’espace public et de l’habitant. Ce n’est pas à l’architecte, au paysagiste ou à l’urbaniste de faire des propositions, mais bien aux autorités de prendre des décisions.
28 Idem page 17 29 GILLES CLEMENT, LE JARDIN EN MOUVEMENT : DE LA VALLEE AU JARDIN PLANETAIRE, SENS&TONKA. PARIS, 2001. 281P.
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Photo de l’exposition Road after Reconstruction, Olivia Woodhouse. 2012.
Photo de l’exposition Road after Reconstruction, Olivia Woodhouse. 2012.
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Impact de la peur et l’ultra-sécurisé Dans l’ouvrage Creating Defensible Space30, Oscar Newman expose comment la conception de l’espace et des bâtiments permet de prévenir les crimes dans les rues, et rend nos villes plus sûres. Nous pouvons nous rappeler Haussmann à Paris, qui mit en place ces grands boulevards pour améliorer l’hygiène, mais également pour permettre à l’armée d’entrer en ville et éviter de butter sur des passages étroits facilement condamnables. De nombreux exemples appliqués abordent différents dangers et peurs. Le partage modal, la non protection de la voiture Nous avons déjà parlé de la voiture et de ses impacts. Les effets sont importants et présents partout dans les rues, comme la multiplication des glissières de sécurité, les nombreux passages piétons, les plots de sécurité. Alors que l’existence même des trottoirs est à questionner, tous ces éléments forcent le piéton à rester dans certaines zones, pour sa propre sécurité. Pourtant, aujourd’hui, en Suisse, en Allemagne ou dans les pays nordiques, de plus en plus de place et portion de rue sont mises en « partage modal », cela veut dire que tous les usagers, voitures comprises, se partagent l’espace et sont égaux. Il y a très peu de panneaux et de signalétique, chacun reste vigilant et partage son espace avec les autres. C’est la solution adoptée pour la nouvelle place communale de Molenbeek à Bruxelles. La voiture ne doit pas être un danger constant, mais considérée comme un élément qui compose la ville, comme un autre type d’usager qui occupe également l’espace public. Les indésirables Au début on ne s’en rend pas vraiment compte, mais on prend conscience qu’il est impossible de s’allonger sur un banc dans le centre-ville, on ne peut pas s’asseoir sur un rebord de fenêtre ou de vitrine, etc. Cela pour éviter des comportements indésirables, et tant pis si l’espace est moins agréable. Certaines politiques urbaines, pour répondre aux plaintes des habitants prennent le parti de modifier ou de supprimer les bancs sur certains lieux problématiques pour éviter les sans-abri ou « les jeunes qui traînent ». En partant de ce principe, beaucoup de bancs sont retirés, et de nombreux autres dispositifs anti-sdf sont mis en place. Est-ce la bonne réponse au problème ? Une des responsables de la maison de quartier d’Etterbeek me donne une partie de la réponse : « L’idée du banc est très forte pour la maison de quartier, c’est un facteur de rencontre entre les habitants et c’est également essentiel pour pratiquer l’espace
30 Oscar Newman, Creating Defensible Space, …
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Bruxelles, dispositifs anti-sdf ou anti-gĂŞneurs, photos personnelles, 2015. Photo Personnelle
Place Saint-Antoine, Etterbeek, Bruxelles. Photo personnelle, 2015. Photo Personnelle
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public pour les personnes à mobilité réduite. Lorsque la place Saint-Antoine fut réhabilitée par la région, car la voie qui y passe est régionale, de nombreux bancs ont été mis en place, mal installés mais il y avait de quoi s’assoir. De nombreuses plaintes des habitants par rapport à une insécurité face à des bandes de jeunes sont parvenu au bourgmestre. Il finit par en avoir marre et décidât de supprimer la moitié des bancs. La maison de quartier et les autres associations d’Etterbeek ont manifestées contre cette idée, mais ils n’ont eu aucun impact face au bourgmestre. Nous avons décidé alors, avec l’aide d’un sociologue, de faire une analyse et une étude du lieu pour mettre en valeur les réels problèmes. Car enlever des bancs c’est déplacer le problème, pas le régler. Si on chasse les jeunes ceux-ci vont ensuite ailleurs, et puis ailleurs et finalement ils se sentent rejetés par le quartier et le système au lieu d’y être intégrés. »31
« Déplacer le problème », c’est la solution de facilité, mais ce n’est pas la meilleure. Prendre le temps de faire des analyses plus précises semble une belle opportunité pour trouver la solution adaptée sans pénaliser les usagers. A Bruxelles le quartier européen, comme d’autres quartiers avec des instances publiques, est pertinent pour la question de la sécurité. En effet, la sécurité et la tranquillité des hommes politiques d’Europe et du monde est essentielle. Ainsi, quelques conséquences semblent évidentes. Le quartier originel eu la chance de ne pas avoir été entièrement détruit pour y construire le quartier européen, contrairement au quartier nord de Bruxelles, mais il garde aujourd’hui les impacts non négligeables de la structure d’origine. La place Jean Ray est un espace parfaitement symétrique, le sol est constitué entièrement de fontaines. C’est un vieux système, le sol n’est pas plat, et si les fontaines fonctionnent, on ne peut rien faire dans cet espace. On peut également remarquer que de nombreux bâtiments créent une séparation entre la rue et le rez-de-chaussée, comme les douves défensives coupent toutes relations entre vie intérieure et extérieure. De nombreux rez-de-chaussée sont ainsi fermés, inaccessibles, aucune vie n’est apparente et rien ne se passe dans les rues adjacentes. Nous pouvons comprendre que la sécurité est importante, les évènements de cette année 2015 nous l’ont prouvés une fois de plus. Mais jusqu’à quel point la conception de ces espaces publics et urbains doit-elle pénaliser la vie quotidienne et sociale des habitants ? Heureusement, aujourd’hui, il semble que le quartier européen soit un peu reconsidéré. La place Jean Ray est maintenant entourée de nouveaux immeubles de logements et de nouveaux bars et restaurants ont récemment ouvert. La place sera probablement remise en question et profitera peut-être d’un nouveau projet plus adapté aux usagers locaux. La peur face aux attentats, aux agressions, aux vols, favorise la création d’es31 Betty D’haenens - Annexe
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Quartier EuropĂŠen, Bruxelles, photos personnelles, 2015. Photo Personnelle
Place Jean-Ray, quartier EuropĂŠen, Bruxelles, photo personnelle, 2015. Photo Personnelle
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paces complètement coupés de la rue et de l’espace public, supprimant ainsi toute transparence et vie possible, la sécurité est nécessaire, mais ne doit pas devenir un facteur négatif pour le développement de la vie urbaine. Que ce soit la peur de la voiture, la peur du vol, d’attentats ou de la détérioration par autrui… Il faut bien sûr évaluer les risques, mais parfois ces inquiétudes sont tellement ancrées qu’elles dégradent la qualité de la rue, de l’espace public. Combien d’espaces sont modifiés pour une trop grande sécurité ? Combien d’espaces sont conservés pour respecter la tradition ? Combien d’espaces privilégient la voiture à l’individu ? La sécurité, l’histoire, les différents facteurs qui composent la ville sont importants et à prendre en compte, mais le premier facteur ne devrait-il pas être l’usager? Prendre du recul, tenter de donner à chaque élément sa juste place et proportion sont peut-être des actions qui peuvent faire évoluer qualitativement les espaces publics.
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Avenue des saisons, Ixelles, Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
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Une limite public-privé influente La limite privé/public tout le monde la perçoit, pourtant c’est une limite créée par l’homme, donc immatérielle. Il est devenu nécessaire de la matérialiser pour des questions de responsabilité, d’appropriation ou de sécurité. L’esprit de protection contre le vol et le vandalisme est profondément ancré, à juste titre. La frontière entre privé et public est un espace que l’on rencontre quotidiennement, mais on finit par l’oublier et nous ne nous rendons même plus compte de ses effets. Pourtant, régulièrement, cette frontière devient un mur opaque, voir une zone repoussoir. Les haies Il existe de nombreux quartiers qui nous paraissent normaux, ou classiques, pourtant, une fois la nuit tombée, la rue semble sombre et vide de toute vie. N’y a-t-il pas d’êtres humains vivant derrière ces haies ? Les lumières du salon nous parviennent à peine, aucun bruit ne filtre. Le quartier est pourtant bien peuplé. Parfois, dans ces quartiers résidentiels, les rues ne deviennent qu’une suite de murs, barrières ou haies opaques cachant ce qui se trouve derrière. Pourquoi se cacher de la rue, pourquoi avoir peur de ces voisins ? Dans un quartier fait de murs et haies, les rencontres fortuites entre voisins existent beaucoup moins, si quelque chose nous arrive personne n’est présent pour nous aider. Seuls ceux qui promènent leurs chiens parcourent leur quartier, un peu par obligation. Les espaces tampons Dans la limite entre privé et public, des éléments absurdes ont un impact négatif, ce sont les espaces tampon. Ils sont généralement des zones plus ou moins importantes où personne ne peut aller : « le principe du tampon. Quand on a peur des accidents, des incivilités, des (mauvaises) appropriations, des conflits de voisinages, et qu’on ne veut pas devoir intervenir pour faire respecter un interdit, la solution consiste à non seulement interdire, mais aussi empêcher. Pour cela, le principe est d’occuper le terrain pour empêcher physiquement que l’interdit ne puisse arriver. Le dispositif : mettre des espaces tampons là où toute appropriation pourrait survenir, quitte à supprimer ainsi les activités dans les espaces extérieurs. […] Les tampons les plus courants sont : les pelouses, les plantes en massif, les aires de parking, et les aires de jeux pour enfants. Pour cadrer les conducteurs, mettre des bornes sur les trottoirs, des bosses au milieu des giratoires, des glissières et des barrières. Le résultat ? On habite et parcourt un vaste tampon paysagé, un vaste parking
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Dans le film Edward aux mains dâ&#x20AC;&#x2122;argent, la ville caricaturale des Ă&#x2030;tats-Unis et ses jardins.
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tamponné. Plus personne ne s’active, sauf quelques enfants dans l’air de jeu, et les automobilistes quand ils rentrent ou sortent de leur voitures garées. Mettre du vert, évoquer la biodiversité, faire balayer et tondre régulièrement par des préposés. Ne pas oublier de fleurir. »32
Ainsi, nous pouvons facilement trouver de nombreux espaces qui correspondent à cette description. Prenons l’exemple de l’université de l’ULB : Le long d’un bâtiment (le bâtiment C), de grandes bandes de verdures sont inutiles, en plus de devoir être entretenues, elles forment un espace qui ne peut être utilisé par personne. Il y a une grande haie qui fait office de barrière pour empêcher toute intrusion. Tout le long de cet espace inaccessible, court un trottoir minuscule et désagréable. Pourquoi garder cet espace inaccessible alors que le trottoir pourrait être agrandit ? Cet espace résiduel serait un lieu parfait pour contribuer à l’évolution de la rue. La solution serait d’élargir le trottoir, de garder l’herbe, mais d’orienter vers la rue en diminuant la haie... Il serait ainsi intéressant d’étudier au cas par cas ces espaces tampons, de mieux les considérer, et d’imaginer des solutions pour avoir un impact positif sur l’espace public. Les exemples sont nombreux, l’impact sur les rues est minimisé ou tout simplement ignoré. Cela montre l’absurdité de ces espaces, et combien nous avons à gagner en observant et en comprenant notre environnement. Des limites sociales aux espaces tampons : le cas des devantures sur le continent nord-américain Des limites sociales aux espaces tampons : le cas des devantures sur le continent nord-américain Une des choses les plus surprenantes pour une européenne qui découvre l’Amérique du nord, est la non-présence des barrières qui délimitent le jardin, l’espace privé. De nombreuses maisons ont leur terrain totalement accessibles, il n’existe presque aucune barrière, ou alors seulement de manière symbolique. Dénoncés dans de nombreux films, comme American Beaute, Edward aux mains d’argents ou encore les Simpsons, ces espaces aux E.U et au Canada, apparaissent parfois comme la caricature de leurs occupants. La réussite sociale est symboliquement représentée par la pelouse parfaite ou le massif de fleur tiré au cordeau. Un jardin aseptisé, ou encore une belle place pavée qui reçoit les cinq voitures différentes de la famille sont bienvenus et représentent les marqueurs sociaux requis pour une vie réussie. Heureusement, aujourd’hui ces espaces portent de plus en plus à controverse 32 Nicolas Soulier, Reconquérir les rues exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, Paris : 2012. p 59
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La transformation du jardin avant à Drummondville, Québec, Canada. https://www.youtube.com/watch?v=aFuCdnT9WsU, 2012.
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surtout pour leur non-utilisation injustifiée. Aux États-Unis, au Canada, de nombreux mouvements citoyens se créent et tentent de changer ces codes sociaux, ces habitudes et ces lois obsolètes. Tandis que certaines villes soutiennent le fait d’enlever le gazon pour cultiver des plantes comestibles, d’autres prônent encore l’homogénéité et l’image. En 2012, au Québec à Drummondville, le propriétaire d’un potager urbain en façade avant, résista à la demande de la commune de le retirer pour mettre du gazon à la place.33 La ville consentie à laisser les choses en l’état, lorsque la nouvelle fit le tour du monde et que la pétition ait rassemblée de nombreuses signatures, mais le règlement demeure conservateur et prône l’homogénéité du gazon. Entre utilité nourricière, faire soi-même et changer sa ville, les arguments ne manquent pas pour agir et bousculer les codes sociaux généralement peut enclins aux nouveautés. Notre espace privé a un effet bien plus important que ce que l’on imagine, si chaque bâtiment, chaque maison, chaque immeuble de bureau participe à la création d’une ambiance de qualité, l’espace public ne sera que plus agréable à vivre.
33 LA PRESSE.CA, CONTROVERSE AUTOUR D’UN POTAGER À DURMMONDVILLE, JEAN-THOMAS LÉVEILLÉ (ÉCRIS LE 18 JUILLET 2012). DISPONIBLE SUR < HTTP://WWW.LAPRESSE.CA/ACTUALITES/NATIONAL/201207/18/01-4556557-CONTROVERSE-AUTOUR-DUN-POTAGER-A-DRUMMONDVILLE.PHP> (CONSULTÉ LE 9 AOUT 2015)
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Rez-de-chaussées abandonnés, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
Friche aujourd’hui en travaux, rue Baucq, Etterbeek, Bruxelles 2014. Photo Personnelle
Quartier gare du nord, immeubles en ruines, Bruxelles 2010. Photo Personnelle
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Espaces oublié et délaissé, des zones repoussoir Les friches Il y a une certaine admiration pour la friche, elle garde son indépendance face à la ville, une liberté en opposition totale avec le monde organisé, efficace, conçu par l’homme. Mais ces espaces sont la plupart du temps écartés de nos chemins. Ces endroits sont, soit encerclés de barrières, soit rendus inaccessibles par des murs, des routes, des ponts, des bâtiments. Ils deviennent plus un réceptacle à déchets, que celui de la biodiversité. Parce que si on devait les rendre accessible, cela signifierait les entretenir et en être responsable, et souvent le propriétaire est privé. Ces friches pourraient représenter une plus-value sociale, environnementale, voir même pédagogique pour l’espace public plutôt qu’un chancre repoussoir. Ruines et bâtiments abandonnés Aujourd’hui, les urbanistes parlent de densifier la ville, optimiser les espaces occupés et arrêter l’étalement urbain. Pourtant, à Bruxelles et dans de nombreuses autres villes, beaucoup de bâtiments sont inoccupés, vide, que ce soit des logements ou des bureaux. L’impact qu’ils ont sur leur environnement est parfois surprenant. Certaines zones sont oubliées et abandonnées durant des années. Depuis 2012, une nouvelle loi est instaurée à Bruxelles pour optimiser le parc résidentiel. Cette loi impose une taxe que doit payer le propriétaire si son ou ses logements sont inoccupés. Depuis, plusieurs associations, dont la « Communa », s’activent pour recenser les logements vides et surtout permettre à des personnes ayant peu de moyens de les occuper légalement. Il existe aujourd’hui une « convention d’occupation précaire », qui permet d’occuper un bâtiment qui est dans l’attente d’être rénové ou détruit. En retour les locataires doivent seulement payer les charges dues à leur consommation et avoir un impact positif sur le quartier (évènements culturels...). Les logements ou les bâtiments vides n’apportent aucune vie dans la rue et ont finalement un impact négatif sur la vie sociale de celle-ci, voir du quartier dans lesquels ils se trouvent. Dans le centre-ville de Bruxelles, certains grands espaces sont vides depuis plusieurs années. Comme cet ancien centre commercial à De Brouckère, en plein cœur de Bruxelles qui a un impact négatif selon les commerçants alentour. Ou encore pires, comme le quartier proche de la gare du Nord, ou plusieurs immeubles de grande envergure sont totalement à l’abandon, à moitié en ruine depuis de longues années. 51
Finalement, trop de sécruité, trop de protection face aux voitures, aux autres, n’a-t-elle pas l’effet inverse de ce qui était voulu à l’origine ? Un espace plus agréable pour vivre. Des alternatives existent, des moyens d’imaginer et de créer une ville avec des espaces qui donnent envie, des espaces où on se dit : «ici je me sens bien» même si c’est dehors, dans la rue sur un morceau de trottoir.
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Des facteurs qui envahissent l’espace urbain Invasion par la société de consommation Après la stérilisation et l’ultra-sécurisation de l’espace public, nous parlerons d’invasion. En effet, le privé peut se mettre en retrait de l’espace public, par rapport à sa limite, mais il peut également y déborder. Avez-vous déjà observé combien de places prennent les cafés et leur terrasse en été ? Il est certes très agréable de se mettre au soleil pour déguster, mais la proportion que prennent ces infrastructures privées dans l’espace public est parfois surprenant. Lorsque la place autour est suffisante, pourquoi pas, mais lorsque ces terrasses encombrent l’espace et l’accapare, la situation devient ambiguë. La place du Luxembourg à Bruxelles est très animée et connue pour ces évènements récurrents. Pourtant, les aménagements sont loin d’être de qualités. Un rond-point avec de l’herbe constitue le centre de la place, elle possède quelques bancs d’un côté, de l’autre il y a des terrasses de café et de restaurants. Elle est ce que nous qualifions de première génération, des bancs, des lampadaires et des bordures de trottoir du fin XIXe-milieu XXe siècle, néo-classique. L’avis du patron d’un des restaurants qui borde la place est pourtant clair : « - Que pensez-vous des aménagements de la place en elle-même ? - Ben ça va, les étudiants viennent s’asseoir au centre à midi pour manger. Sinon il n’y a pas assez de place de parking, j’aimerais pouvoir venir garer ma voiture plus proche. Les taxis prennent toute la place. - Mais il n’y a aucun banc, ou presque, sur la place, elle n’est pas très bien adaptée aux piétons, non ? - Et bien je pense que ça va, et puis le faite qu’il n’y a pas de banc c’est bon pour le commerce. Il y a plus de gens qui viennent s’assoir au restaurant, même si au début ils ne voulaient pas consommer. » 34
Son avis est clair, il pense à garer sa voiture, et aux profits de son restaurant. Cela permet d’avoir un point de vue différent d’un architecte. Pourtant, il semble essentiel que les passants est le droit de choisir : s’asseoir ou consommer. Les espaces doivent garder leur aspect public et la présence des bars, restaurants et services doit rester équilibrée et limitée. Comme pour les voitures, il semble intéressant de prendre du recul sur leur présence et l’espace que prennent ces infrastructures privées sur un lieu public.
34 Gérant du restaurant-bar London - Annexe
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Le tourisme et le patrimoine trop important ? Le tourisme a également sa part dans la formation de l’espace public. Aujourd’hui il fait partie des villes, il en crée même. Le centre de Bruxelles, la grandplace, est tellement occupé par les touristes que peu de bruxellois s’y promènent en journée. Il est souvent difficile de trouver une épicerie dans un centre-ville comme celui-ci. Dans ces zones, tous les commerces sont souvent dédiés à la consommation ; des chocolats, des gaufres, des souvenirs, des cafés, des bars, des musées… Aucun banc publics n’existe sur la Grand’Place de Bruxelles. Les centres villes historiques où seul le commerce touristique est développé sont comme Venise ou Bruges, des morceaux de ville-musée. Si un jour il pleut trop ou s’il fait trop froid, le centre-ville se vide. Finalement, ce morceau de ville ne perd-t-il pas de son sens lorsqu’on lui attribue une seule et même fonction ? Ne perd-t-il pas également de son attrait ? Que vont devenir Bruges et Venise, vidées de ce qui les a conçu et créé, vidées de leurs habitants et de leur vie ? De nombreux logements sont vides et à rénover au cœur de Bruxelles, peu de gens souhaitent vivre cet espace au quotidien. Comme le principe du zonage, le tourisme et le patrimoine, malgré son importance, ne doit pas prendre le monopole dans l’espace public, même dans les lieux historiques et attractifs. Il est encore question d’ajuster, d’équilibrer la juste proportion de l’un ou de l’autre facteur qui participe à la construction de la ville et de son espace partagé.
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Ruelles couvertes, Berne, Suisse 2013. Photo Personnelle
Ruelles étroites, Lyon France 2013. Photo Personnelle
Une rue en été, Montréal, Canada, 2013. Photo Personnelle
Une installation en hiver. Québec, Canada, 2013. Photo Personnelle
Des facteurs qui nourrissent l’espace urbain Climat et géographie, un impact certain C’est indéniable, la géographie et le climat participe à la fabrication de l’espace urbain. Tout d’abord, la situation géographique aura une influence sur les matériaux les plus utilisés. La pierre ocre dans le sud de la France, la terre et le bois dans le centre et la brique dans le nord et en Belgique. Ainsi en Belgique on utilise la pierre bleue typique et peu chère présente sur le territoire. Aujourd’hui avec la mondialisation, cela change, les matériaux les moins onéreux ne sont plus forcément ceux qui se trouvent proches. En effet, un certain type de pavé qui recouvre aujourd’hui de nombreuses rues de la capitale belge provient d’Inde. Ces matériaux ont une influence certaine sur l’ambiance et l’identité des villes. Espérons que la mondialisation n’homogénéise pas cela. Ensuite, le climat a un impact sur la forme prise par le paysage urbain. Dans les zones où la pluie est plus forte, pas forcément plus fréquente comme en Belgique, mais plus forte comme en Italie, ou en Suisse avec les montagnes qui créent de fortes dépressions, de nombreuses rues couvertes sont présentes. Nous pouvons également découvrir les ruelles étroites et les petits immeubles parmi les pays où le soleil peut être brûlant durant de longues périodes estivales. Comme à Madrid, à Barcelone avec son quartier gothique, ou encore à Lisbonne, ou même à Lyon en France. Nous ne retrouvons pas plus ou moins de vie selon l’endroit où nous nous trouvons, mais un comportement différent, qui s’adapte aux saisons et au climat. A Québec, le froid ne retient pas les québécois chez eux. Les activités en hiver sont aussi importantes et appréciées qu’en été. Il y a un festival qui dure trois semaines pour le carnaval, des sculptures de glace parsèment les rues, chaque hiver un hôtel entier fait de glace et de neige est construit, on peut y dormir et le visiter, des patinoires sont créées un peu partout pour établir de grands circuits de plusieurs kilomètres, etc. La vie sociale, culturelle, artistique n’est pas limitée car c’est un pays où il fait froid et où il y a beaucoup de neige. Ces conditions climatiques sont au contraire, un stimulant.
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Pamplune, Pedro Amestre, 2013.
Place Flagey, Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
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Les évènements et la culture, entre tradition et nouveauté Les évènements sont des acteurs inconscients. Au fur et à mesure que le temps passe, l’homme s’adapte à son environnement, si un évènement est récurant, il va le prendre en compte et probablement l’intégrer dans l’évolution de l’espace qui l’entoure. De nombreux évènements culturels se répètent chaque année et ont une valeur patrimoniale. Un lieu, une architecture, une ville peut très certainement évoluer, être créée et modifiée par les évènements récurant d’une culture. Par exemple, la ville et les rues de Binche, avec son carnaval et ses coutumes, voit toutes ces vitres et fenêtres se couvrir de grillage pour se protéger des oranges projetées, et en parallèle les bars et restaurants sont très concentrés et accessibles sur le passage de la parade. Peut-être que cela n’est qu’un hasard, ou peut-être pas. Mais certaines coïncidences sont perturbantes. Les lâchés de taureaux en Espagne, notamment à Pampelune, ont probablement influencés progressivement l’architecture typique des rues. Les rez-dechaussée sont très fermés et les très nombreux balcons aux étages ne sont pas anodins, cet évènement existe depuis plusieurs siècles. On remarque également que de plus en plus de places se vident, et restent des grandes surfaces vierges pour accueillir tout évènement possible. Certains espaces sont tellement vides au quotidien, qu’ils deviennent inadaptés et trop grands. Mais une fois par semaine, ou une fois par an, un évènement va se produire et faire vivre ces espaces. Est-ce que cet instant de remplissage justifie le vide vécu les autres jours ? C’est une question à évaluer au cas par cas avec précision et justesse. La place Flagey peut allumer ou éteindre ses fontaines et ainsi soit animer l’espace, soit le laisser libre pour le marché, c’est un compromis plutôt judicieux. Les évènements culturels ou de sensibilisation sont nécessaires car ils permettent d’avoir un autre point de vue sur l’espace qui nous entoure. De manière éphémère, on perçoit différemment l’espace public. Ils vont donc nous influencer de manière consciente ou non. Notre sensibilité, notre utilisation et notre mémoire sont différents, ils évoluent et donc nous, acteurs, évoluons aussi.
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En conclusion, qu’en est-il de l’espace public ? Comment se fabrique-t-il ? Nous avons d’abord vu quels facteurs stérilisaient l’espace urbain. De l’impact de l’histoire et des anciennes politiques urbaines, en passant par les lois actuelles et la plus ou moins grande raideur dans l’évolution de celles-ci, nous prenons conscience de l’impact déterminant du pouvoir en place, entre stérilisation et l’utra-sécurisation. A cela s’ajoutent certains facteurs qui influencent l’espace, même depuis leur sphère privée, cela peut avoir un effet néfaste ou bénéfique suivant son importance. Et enfin quelques facteurs, comme les évènements, la culture, peuvent nourrir l’évolution de l’espace et permettre de rendre celui-ci plus représentatif de la population qui l’occupe. Ces changements sont à l’opposé d’une homogénéisation. Voir notre environnement différemment, et le comprendre, prendre conscience des facteurs qui l’influencent, les prendre en compte et les remettre en question nous permet d’avoir les outils nécessaires pour comprendre comment agir et dans quel lieu.
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QUI FABRIQUE L’ESPACE PUBLIC ? L’espace public est en premier une question de responsabilités : qui est responsable ? Bruxelles et les différentes instances publiques La différence entre espace privé et espace public, dépend de la personne qui en est responsable. Pour une propriété privée, le nom d’un individu ou d’une entreprise est inscrit sur les papiers du bien. Pour un espace public, le nom sera celui d’une instance publique, où la notion de bien commun prime sur celui de l’individu. Car en effet, chaque espace construit par l’homme a un responsable, quelqu’un qui le prenne en charge. Le cas de Bruxelles est complexe. Il y a le pays, l’État fédéral, qui a ses propres lois. Ensuite, chaque région, la Flandres, la Wallonie et Bruxelles-Capitale sont indépendantes et ont également leurs propres lois. Au sein d’une région, il existe encore un découpage interne. Pour la région Bruxelles capitale, chaque commune a ses lois et droits, de veto sur une modification urbanistique par exemple. De cette façon, tout n’est pas appliqué de la même manière. C’est un système en opposition à celui de la France qui est très centralisée, avec un pouvoir réduit pour les régions. Ainsi pour un même endroit nous pouvons retrouver plusieurs interventions par différents acteurs publics. Beliris35 est l’acteur public qui représente l’Etat fédéral à Bruxelles. Il existe depuis 1993 et a pour rôle de matérialiser le lien entre le fédéral et le régional de Bruxelles-Capitale. Dans le comité de décision de Beliris, il y a six ministres fédéraux et six ministres régionaux. Ils vont définir les différentes actions d’amélioration de l’aménagement qui doivent être réalisées sur l’ensemble de la région Bruxelles-Capitale. Citydev ou SDRB36 est la Société de Développement pour la région de Bruxelles-Capitale. Elle existe depuis 1974, et elle est en charge du développement urbanistique. Aujourd’hui, elle a pour mission de développer des espaces pour les entreprises, des logements accessibles à tous et des espaces mixtes dans la programmation (bureau et logement). Le denier niveau hiérarchique est la commune, par exemple Etterbeek, Ixelles, la ville de Bruxelles Anderlecht, etc. Chacune d’elles gère et entretien ses bâ35 Beliris, Qui sommes-nous ? (crée octobre 2003 , mise à jour le 31 juillet 2015). Disponible sur : http://www. beliris.be/qui-sommes-nous/fonctionnement/ (consulté le 31 juillet 3015) 36 Citydev.brussels, La mission de la SDRB (crée juin 2006, mise à jour le 31 juillet 2015). Disponible sur http:// www.citydev.brussels/bruxelles/mainf.asp (consulté le 31 juillet 2015)
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timents et espaces publics, comme l’entretien de la voirie, le réaménagement d’un espace vert, la réaffectation d’un théâtre, la rénovation des logements à loyer modérés... La commune gère également tous les permis d’urbanisme sur son territoire et organise les commissions de concertation37. Elle garde un droit de veto sur des décisions régionales ou fédérales, comme la commune d’Ixelles qui refuse la mise en place du tramway 71 à la place du bus38. Cela permet d’avoir un avis local, à l’intérieur d’un projet régional. Cela peut être un avantage ou un inconvénient suivant les cas et les prises de positions. Parfois les élus sont tellement proches de leurs électeurs, qu’ils ne veulent surtout pas les décevoir et souhaitent se voir réélire. Cela peut être un frein pour certaine évolution, mais parfois cela peut également permettre d’entendre la voix de ceux qui sont concernés. En effet, au niveau régional, on ne prend pas toujours en compte toutes les niveaux du projet et permettre à chaque commune de s’exprimer et de négocier met en évidence certains problèmes qui semblaient insignifiants voir inexistants. Il existe également d’autres acteurs publics régionaux avec des domaines spécifiques. Bruxelles environnement (ancien IBGE), leur rôle est ainsi décrit : « Etudier, surveiller et gérer l’air, l’eau, les sols, les déchets, le bruit, la nature (espaces verts et biodiversité )… mais aussi délivrer des permis d’environnement, contrôler leur respect, développer et soutenir des projets d’éducation à l’environnement dans les écoles bruxelloises, participer à des réunions et des négociations aux niveaux belge et international… Enfin, Bruxelles Environnement a développé ses activités dans le domaine de l’écoconstruction et des liens entre santé et environnement »39.
Avec leur rôle plus orienté sur l’environnement, le contrôle et la prévention, Bruxelles Environnement soutient également de nombreux projets liée à l’évolution de l’espace public, comme le cas où il fut commanditaire pour le square des Ursulines aux Marolles. Le dernier acteur est Bruxelles mobilité:
« …est l’administration de la Région de Bruxelles-Capitale chargée des équipements, des infrastructures et des déplacements. Son principal défi est de combiner le développement économique - et les besoins de mobilité croissants - à l’amélioration de la qualité de vie et au développement durable. » 40.
Cette instance a autorité sur toutes les voirie et espaces régionaux de la ca37 Les commission de concertation sont des réunions organisée pour chaque projet construit ou modifier qui permet de valider ou non le projet et d’éventuelles exceptions et d’entendre si besoin les plaignants qui se manifestes. 38 Rédaction DH.be, Une ligne de tram 71 à Ixelles : les riverains s’opposent. (Crée en aout 2000, mise à jour le 21 mars 2013). Disponible sur : http://www.dhnet.be/regions/bruxelles/une-ligne-de-tram-71-a-ixelles-lesriverains-s-opposent-51b73d98e4b0de6db97693bf (consulté le 4 aout 2015). 39 <http://www.environnement.brussels/qui-sommes-nous> 40 <http://be.brussels/a-propos-de-la-region/le-ministere-de-la-region-de-bruxelles-capitale/mobilite?set_language=fr>
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pitale. A la différence des communes qui gèrent tout leur territoire, Bruxelles mobilité est responsable des voiries et places classées en régional. Ceci dans le but d’avoir une vue globale sur les flux et déplacements sur le territoire. Ainsi, dans une même commune, certaines rues sont communales, généralement les ruelles, et d’autres sont régionales, généralement les boulevards et avenues. On peut ainsi remarquer que certains territoires peuvent appartenir à l’une de ces instances, ils resteront publics, mais avec différents interlocuteurs et acteurs. Cela implique de multiples manières de voir les choses. Comme ce fut le cas pour la place des Ursulines propriété de Bruxelles environnement ou le cas de la place Flagey sous la responsabilité de Bruxelles mobilité que l’on abordera plus tard. Il reste cependant de nombreux acteurs dans l’espace public, voici quelques exemples avant de développer plus en profondeur la seconde partie. Il existe probablement d’autres instances spécialisées, comme pour l’éclairage public et l’électricité, le téléphone et internet. Il y a également les architectes, les paysagistes, les urbanistes qui travaillent directement dans les instances publiques, ou sont mandatés par elles. Aujourd’hui, de nombreux concours sont organisés pour des espaces publics, comme des places et des boulevards. Ainsi de nombreux bureaux privés se spécialisent dans l’espace public.
Les associations, collectifs Dans toute la région de la capitale belge de nombreuses associations, collectifs, ou tout simplement groupes composés d’habitants et de professionnels existent. Ces rassemblements sont de toute sorte : sensibiliser les habitants sur le vélo et les aider à les réparer, mettre en place un projet de panier de légumes locaux, créer des séances d’échange et de discussion pour les sans-abri… Certaines associations ont des objectifs sociaux, comme la Base coopération41 et ses activités liées à chaque groupe d’âge. Ses objectifs visent l’évolution des mentalités et habitudes dans le but de mieux vivre ensemble. Il y en a plusieurs, comme Apis, qui s’intéressent aux abeilles et à l’éducation sur l’environnement, d’autres mettent en place des potagers collectifs dans les parcs ou sur les toitures… Le milieu associatif à Bruxelles ne manque pas de dynamisme et certaines associations sont particulièrement impliquées dans l’espace urbain, la rue. Généralement ces associations et collectifs réalisent leurs actions grâce à des subsides de l’État. Nombreuses sont donc dépendantes de l’orientation politique et des choix établis sur le budget. 41 <http://www.labasecooperation.be/accueil/nous-qui-sommes-nous/>
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Les individus, du légal à la délinquance La ville se constitue d’une multitude d’habitants et voyageurs. De nombreuses personnes habitent et parcours la ville et interviennent dans l’espace urbain chacune à leur manière.
Les spontanés Lorsque l’on fait tous les jours le même parcours, souvent nous n’observons plus les détails ou les subtilités des espaces qui nous entourent. Imaginez votre arrivée dans une nouvelle ville, dans un espace que vous ne connaissez pas encore, de nouveaux détails sautent parfois aux yeux. C’est le travail rigoureux de photos et d’observation du mémoire de de J.Kwai Pun42.Ce mémoire apporte toute une analyse et une observation des différents types de spontanéité qui nourrissent l’espace public. Ainsi on retrouve les graffitis, les déchets, mais également les manières de s’asseoir, de s’appuyer, de manger sur des barrières, ou des bords de trottoir. La spontanéité semble être un facteur déterminant pour la compréhension et l’analyse d’une ville. Presque inconsciemment, les gens, les habitants, lorsqu’ils parcourent et vivent l’espace public, le transforment progressivement, lentement, de manière définitive. Ce sont des indices subtils qui peuvent nous donner de nombreuses informations sur un lieu. Observer le mouvement des gens, et imaginer leur comportement si on déplaçait une barrière, ou un trottoir, c’est comprendre leurs comportements spontanés et naturels et donc ce qu’ils pourraient aisément s’approprier. Par exemple, ce n’est parce qu’on offre un skatepark à des skateurs et autres glisseurs, qu’ils vont l’utiliser et être satisfait, peutêtre qu’il ne fonctionnera pas du tout. L’essentiel est de comprendre pourquoi ils occupent un lieu et pas un autre bout de trottoir, pourquoi dans cette rue et pas l’autre, etc. Observer la ville, observer les détails, les comportements, c’est observer le lieu et comprendre son potentiel. C’est peut-être un élément essentiel pour saisir l’évolution lente et immuable d’une ville composée d’une multitude d’êtres vivants.
42 J. Kwai Pun, Les usages de l’espace public à Bruxelles, En quête de spontanéité, mémoire de la faculté d’architecture lacambrehorta ULB Bruxelles 2014. 115p
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«Home Street Home», exposition de photos prise par des sans-abris de Bruxelles, Sarah 2013.
Paradoxe of Praxis (something doing something leads to nothing), vidéo, Mexico, 1997 Francis Alÿs
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Les sans-abri D’autres individus, involontairement, construisent également nos décors urbains. Les sans-abris n’ont pas d’autres choix que celui de vivre dans la rue, c’est là leur maison. De manière illégale, mais obligatoire, ils s’approprient des espaces et les modifies pour rester, une nuit, une journée, un mois, une année… De manière éphémère ou permanente, de manière physique ou mentale, ils fabriquent également l’espace urbain qui nous entoure. Voici un détail, mais également toute une histoire. Tout le monde ne le perçoit pas, mais pour ceux qui vivent dans ces rues chaque jour, ce détail ne les trompe pas. Ici, lorsque l’envie ou le besoin lui prend vient s’asseoir Monsieur R. pour jouer de la musique. Ce petit plot de béton jaune est son siège, et personne ne le lui prendra, car tout le monde sait que c’est sa place réservée. Pour nous, passant ignorant, lorsque personne n’est présent, ce bout de béton n’est rien d’autre qu’un débris oublié. Pourtant, presque inconsciemment, Monsieur R. a construit là un lieu, un espace, de manière tout à fait spontanée et simple.
Street-art et autres performances artistiques Le milieu de l’art s’est toujours intéressé à l’espace urbain, l’imaginaire de la ville fait partie intégrante de notre histoire et de nos fantasmes depuis le début de l’ère industrielle. Le collectif Stalker est un groupe d’individus qui pratique les promenades dans des endroits incongrus. Les friches urbaines sont ainsi valorisées et font l’objet d’une base cartographique. Ce collectif anime un centre de recherche sur ces nouveaux types d’espaces urbains. Il s’inscrit dans le courant des Situationnistes qui sont une organisation réfléchissant à une alternative à leur époque. Ils veulent se réapproprier la réalité et agir contre le travail à la chaîne où il n’existe plus de particularités individuelles. L’artiste belge Alÿs réalise de nombreuses performances orientées sur le parcours de l’espace, sa temporalité et le sens de celui-ci, comme parcourir la ville en poussant un glaçon. Cela met en évidence la réalité des limites et leur rôle, ainsi que l’impact de l’espace urbain sur l’homme. Ces artistes permettent de se rendre compte d’un autre usage, de porter un autre regard sur l’espace qui nous entoure, et ainsi peut être d’apporter de nouvelles solutions. L’art urbain ou le street-art fait aujourd’hui partie intégrante de la ville. Parfois ce sont des commandes pour agrémenter l’espace urbain, comme les murs 69
Dzia, street art vers Anvers, Belgique, 2015. <http://www.dzia.be/>
PARK(ING), Banksy
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peint de Lyon ou la fresque récente de Philippe Geluck chaussée de Wavres à Etterbeek. Mais il existe de nombreuses réalisations que personne n’a demandées. En effet, les tags, graffitis, pochoirs, collages, sculptures et autres installations spontanées sont très présents et souvent représentatifs d’une certaine idée. Ce lieu abandonné, devient un espace d’entraînement pour grapheurs, cet endroit inaccessible devient un défi à atteindre, ce mobilier, cette affiche, peut être modifiée et transformée en support pour des idées… Malheureusement, ce sont plus souvent des tags ou « signature » que l’on voit partout et qui dégradent l’espace public, c’est pourquoi cette agression est assez mal vu et surtout interdite. Quelques artistes, qui réalisent des graffitis, des pochoirs, tentent eux de jouer avec l’espace et le mobilier urbain. Comme Banksy à New York et dans le monde, qui réalise des pochoirs engagés, ou encore Diza un artiste d’Anvers qui fait des graffitis animaliers, sauvages, dans les espaces délaissés par l’homme Le mémoire de Guillaume Campion43 explique la connexion entre graffitis et architecture. Il décrit une belle expérimentation personnelle sur un espace délaissé que l’on a souhaité faire revivre à travers l’art. Les habitants crurent à un acte de la commune pour décorer le quartier. L’impact fut immédiat, alors que ce lieu n’attirait personne, beaucoup se mirent à le fréquenter par curiosité, peut-être qu’ainsi un nouvel espace a vu le jour. Le rôle que joue le street-art illégal est spontané, il n’est régit par aucune loi, aucune académie. Il a son style et ses envies propres, des envies personnelles, engagées parfois. Il est la porte ouverte pour de nouvelles propositions non cadrées et parfois inattendues. Consciemment ou non, volontairement ou non, légalement ou non, chacun intervient. Le simple fait d’être présent à un endroit précis crée quelque chose, même si ce n’est que pour un instant.
Les professionnels sont parfois hors la loi Parfois, certain professionnel, comme des architectes ou des paysagistes, ne vont pas attendre qu’on leur donne les autorisations pour commencer à faire ce qu’ils savent faire. Contrairement à d’autres, l’architecte Santiago Cirugeda préfère les projets qu’il souhaite à ceux qu’on lui laisse faire. Depuis plus de 20 ans, en Espagne, il réalise ou tente de réaliser ses propres projets qu’il juge plus justes, plus utiles. Il remet toujours en question les décisions politiques, l’administration, et surtout l’inaction et l’incohérence des politiques urbaines. Régulièrement, il trouve des lieux à (ré)investir. Il fait beaucoup de récupération de matériaux, et de réutilisation d’un espace délaissé et oublié qui n’avait aucun intérêt 43 Guillaume Campion, Street art-chitecture, le graphiti au service de l’architecture, 2014 mémoire de la faculté d‘architecture Lacambrehorta ULB
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pour les autorités. En bordure du Portugal, avec son équipe il choisit d’investir une ancienne cimenterie abandonnée depuis les années 70’. Dans cette zone, l’État n’investit plus d’argent et ne prévois plus rien au niveau urbanistique et espace public. Dans cette cimenterie, il projette d’installer un bar, un théâtre, des bureaux, des studios d’artistes. L’équipe crée ici un lieu, un espace dynamique et vivant, réalisé par des volontaires et qui va être réapproprié par la population locale. Sans autorisation, les autorités ne sont pas toujours d’accord avec ces actions. La ville préfère investir dans une route joliment pavée avec bancs, réverbères, lumières, plutôt que dans un projet solidaire qui veut redonner vie au lieu. Dans les limites de la loi, Santiago ne fut pas toujours tranquille, mais il continue encore sa résistance. Le résultat architectural cela lui importe peu, que ça plaise ou non, pour lui, la réussite sociale est essentielle. L’énergie et la synergie crées dans ces lieux qu’il fabrique avec son équipe apportent beaucoup, tant au niveau matériel qu’au niveau humain. Ainsi, l’espace urbain se construit à travers de multiples facteurs, l’histoire, l’évolution de la société, les lois, les sentiments humains, le climat, la culture… Conscientiser, et chercher à comprendre pourquoi l’espace est ainsi et pas autrement, c’est intégrer ce que l’on peut faire pour le créer, le changer, l’améliorer ou le conserver. Finalement, observer, comprendre, écouter, questionner, échanger, reste la meilleure arme pour imaginer la bonne réponse face à un espace.
Absurdidé urbaine, entre barrières inutile et rebords de trottoirs, rue Auguste Rodin ,Ixelles, Bruxelles, 2015. Photo Personnelle
CONCLUSION De nombreux lieux, en observant bien, semblent curieux, vides, inadaptés, froids, désagréables. Mais comment qualifier et définir cela ? L’espace public est un bien commun44 et le droit à la ville est un droit qui devrait être accessible à chacun. Nous nous rendons compte aujourd’hui que certaines situations urbaines sont absurdes, presque incohérentes voir irréelles, mais avec le temps et l’habitude beaucoup d’éléments deviennent indifférents et normaux. La ville évolue et change consentement, à nous de rester vigilant pour qu’elle évolue dans le sens qui nous semble le meilleur pour avoir envie d’y vivre. Le livre Lire et composer l’espace public45 apporte quelques premières pistes, on retrouve également le Manuel des espace publics bruxellois46, qui répertorie tout ce qui compose un espace public à Bruxelles. Il existe de nombreux ouvrages qui analysent, questionnent la justesse d’une intervention ou d’une autre. Même s’il est important de prendre ces ouvrages en considération, les possibilités de réponses face à un espace urbain sont aussi nombreuses qu’il y a de lieux. On pourrait éditer un guide, on pourrait élaborer des listes de conditions à respecter, mais rien ne remplacera la spontanéité naturelle et la richesse de l’intelligence collective. La pluralité des idées n’est accessible que si on laisse la possibilité à chacun de s’exprimer et si on prend le temps d’observer et d’écouter. Les habitants, les travailleurs, les voyageurs composent les villes, il est donc essentiel de comprendre et de voir quel rôle ils jouent dans la fabrication de l’espace urbain. Nous allons appuyer notre propos sur des analyses et études de cas sur Bruxelles et ses quartiers et les initiatives citoyennes que la capitale renferme.
44 LES CAHIERS D’ARCHITECTURE LA CAMBRE-HORTA N°9, LA VILLE COMME BIEN COMMUN, PLANIFICATION URBAINE ET DROIT A LA VILLE, LA LETTRE VOLEE, LIEGE : 2013. 365 P. P100. 45 PIERRE PINON, LIRE ET COMPOSER L’ESPACE PUBLIC, LES EDITIONS DU STU. PARIS : 1991. 79P. PAGE 14 A 19. 46 MARIE DEMANET ET JEAN-PIERRE MAJOT, MANUEL DE ESPACES PUBLICS BRUXELLOIS, EDITIONS IRIS, BELGIQUE 1995. 163P.
QUELS IMPACTS ET QUELS RÔLES A L’HABITANT SUR L’ESPACE PUBLIC?
A Bruxelles, les acteurs sont multiples et souvent chacun agit suivant sa logique propre pour modifier l’espace urbain. Leurs actions sont à petite, moyenne ou à grande échelle et concernent l’ensemble de la ville. L’urbanisme s’est institutionnalisé suite à cette volonté « d’organiser la ville » vers 1920-1933. Ensuite les agglomérations se sont développées dans les années 60’ de manière disproportionné. Même s’il reste encore un héritage de cette pensée, les recherches ont progressé dans le domaine. De nombreuses réflexions et expérimentations voient le jour. Aujourd’hui, les usagers et les habitants sont perçus différemment. Voyons quels impacts et rôles ils peuvent avoir sur la fabrication de l’espace public à travers différentes études de cas.
SPONTANÉITÉS ET APPROPRIATIONS, VECTEUR D’ÉVOLUTIONS URBAINES Spontané, du bas-latin spontaneus, du latin classique sponte sua, c’est-à-dire de son propre mouvement. Se dit d’un phénomène qui se produit sans avoir été provoqué. Ainsi, plusieurs actions sont spontanées, parfois réfléchies, mais souvent non préméditées. L’espace urbain parcouru chaque instant par des individus tous différents, subit leurs actions, voulues ou non. Même de petits actes, de petites attentions, peuvent tout changer. Les actions spontanées sont de multiples évènements qui se produisent en permanence. Nous avons montré en première partie que ces évènements sont des acteurs indéniables de l’évolution urbaine.
Le banc, premier acteur du changement ? L’appropriation est une réaction naturelle pour se sentir à l’aise dans un nouveau lieu que l’on occupe. Un des premiers réflexes lorsque l’on emménage quelque part est d’installer ses affaires et de découvrir le nouvel espace où l’on se trouve, pour mieux le comprendre et se familiariser avec ce nouvel environnement. Il en va de même pour l’espace public, de nombreux actes d’appropriation démontrent la volonté de laisser sa marque dans l’espace urbain. C’est pour cette raison que chaque ville, chaque quartier, chaque rue, a son ambiance, sa propre identité. Comme expliqué dans la première partie, l’espace public est un domaine d’expression de l’espace privé. Exprimer son individualité, sa personnalité ou sa manière de vivre, est une manière de s’affirmer face aux autres. S’approprier l’espace c’est vouloir apporter un changement certain, pour soi mais aussi pour les autres. Le banc est un des éléments essentiels du paysage urbain. Mais percevoir le mobilier comme facteur de changement est encore récent. Pourtant un simple objet, une simple intervention, peut avoir des effets notables sur la vie de la rue et du quartier.
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Bancs publics Ă Amsterdam, Pays-Bas 2015. Photo Personnelle
Un coin perdu, Square des Ursulines, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
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Devant une vitrine, rue des Chartreux, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
Le banc, un choix urbain Comme expliqué plus haut, il arrive que le banc soit victime de son succès et se voit retiré parce qu’il attire trop les gens, surtout «les jeunes qui traînent». Les bancs font parti du mobilier urbain, ils sont donc une propriété publique et sous la responsabilité des autorités. S’il y a des problèmes ce sont donc eux, le gouvernement, la commune, qui doivent les gérer et les régler. A Amsterdam, le banc est roi, on en trouve littéralement partout, accroché aux murs, le long des bars, devant les maisons, dans un coin sans grand intérêt... La criminalité est pourtant bien plus basse aux Pays-Bas qu’en Belgique. Retirer les bancs n’est donc pas la solution pour faire reculer les nuisances urbaines. Bien que la ville de Bruxelles ne soit pas aussi riche en banc, elle à de nombreux exemples, mais bien souvent, ce sont les habitants qui agissent d’eux-mêmes. Un commerçant a même choisi délibérément de placer un banc devant sa vitrine : « J’aime voir les gens s’y rencontrer, s’asseoir, bavarder et échanger » confit le responsable du magasin. Un comportement à suivre qui va à l’opposé de la société de consommation et du «lèche-vitrine».
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Copie d’une photo publié dans le journal Infos Froidure N° 1/2015.
Le banc du Pivot, au croisement des rues Philippe Baucq et Victore Jacobs, Etterbeek, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
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Le Banc du Pivot Parmi ces bancs, un a été réalisé en céramique par l’association Pivot47. Elodie48, responsable et bénévole chez Pivot, m’explique les objectifs de l’association. Ici, ils aident les personnes et les familles dans l’extrême pauvreté en leur permettant de mettre leurs talents et qualités en avant, en leur laissant la liberté d’agir et de retrouver une activité sociale. Le banc est une initiative des habitants, grâce aux subventions du contrat de quartier durable, ils ont faire aboutir le projet. Ceux qui ont réalisé le banc peuvent également apprendre leur art à d’autres. Ce mobilier urbain fut installé durant l’évènement Parcours d’artistes d’Etterbeek septembre 2014, s’inscrivant ainsi dans le mouvement de l’art avec les autres artistes présent. Elodie explique qu’elle trouve qu’il est important d’être visible vers l’extérieur et de ne pas toujours rester centré sur l’association. Le banc est simple, mais unique, la mosaïque est une des activités de l’association et elle permet ainsi de communiquer de manière permanente avec les personnes à l’extérieur. Les artistes témoignent : «Je trouve que réaliser un banc, ça rend la rue belle. J’avais déjà fait de la mosaïque. J’étais fière de montrer ce que j’avais appris et d’apprendre aux autres. C’est un travail très précis. J’étais très motivée par ce projet.»
Le banc occupe un petit espace perdu que personne n’aurait soupçonné d’être aussi riche d’opportunités. Il est situé proche des locaux de l’association, et dès qu’il commence à faire beau, la fréquentation du banc s’accroit. Particulièrement durant le ramadhan, tous les soirs, trois chaises et un tapis l’accompagnent et forment un salon en pleine rue pour accueillir toute la famille. L’action simple de placer un banc permet de créer un lieu de rencontre, mais c’est également un moyen de communication et de partage.
47 Association situé 163 Rue Philippe Baucq, 1040 Etterbeek. < http://www.lepivot.be/index.html> 48 Rencontre avec Elodie de l’association Pivot - Annexe
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Place du Luxembourg en journĂŠe, avec place de stationnement et taxis, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
Place du Luxembourg un jeudi soir durant les Afterworks, 2015. Photo Personnelle
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Comportement spontané, une inspiration pour faire évoluer l’espace public ? La place du Luxembourg et les Afterworks Cet espace a été déjà abordé précédemment dans le cadre de son aménagement, mais le plus intéressant est le contraste entre la simplicité des installations et une vie culturelle, et sociale, riche. La place est encadrée par la gare du Luxembourg, les institutions européennes, des bars, des restaurants et enfin par une école universitaire. Entre voyageurs, étudiants et travailleurs, des profils différents se croisent et font vivre la place. Pourtant la vie du lieu n’est pas seulement due à son emplacement. En effet, les patrons et gérant des bars et des restaurants ont formé un collectif pour mettre en place des évènements, notamment les Afterworks des jeudis soir : « C’est un chouette endroit, il y a de l’animation. Tous les jeudis c’est rempli. Il y a une bonne ambiance ici surtout grâce aux évènements, les concerts, comme le Jazz Marathon du weekend dernier » 49
Le gérant du London restaurant me raconte comment s’organise les Afterworks : « Avec tous les propriétaires et gérants des bars et restaurant de la place nous avons mis en place le collectif place Luxembourg et nous nous mettons d’accord sur ces choses-là. La ville nous a demandé de nous charger nous-même de fermer la place et de gérer le ramassage des déchets pour que le lendemain tout soit en ordre. Si on ne prenait pas cela en charge, la ville l’aurait interdit. Chaque mois c’est un responsable différent qui est en charge de mettre et d’enlever les panneaux de fermeture de la place. Et pour les déchets c’est une société privée qui s’en charge. »
. S’ils ne prenaient pas en charge l’évènement, ces rassemblements auraient été interdits par les autorités. C’est grâce à leur organisation, et leur initiative et en rendant officiel les Afterworks, qu’ils apportent une plus-value à l’espace public. Finalement, inspiré par l’emplacement où de nombreuses personnes se croisent, surtout après le travail avec toutes les institutions européennes, l’aménagement simple et peu adapté de la place n’entrave pas les initiatives locales qui participent à l’appropriation du lieu. De nombreuses personnes se retrouvent là, les commerçants ont spontanément participés à cette dynamique. Peut-être que plus tard, la place pourra profiter d’un réaménagement qui lui permettra de devenir une place de qualité. 50
49 Gérant du restaurant-bar London - Annexe … 50 Idem
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La journĂŠe dans voiture, rue de la loi, Bruxelles < http://blog.velib.paris.fr/blog/2012/10/05/demain-une-ville-sans-voitures/>
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Ainsi, volontairement ou non, les habitants peuvent avoir un impact sur les décisions que prennent les acteurs responsables de l’espace public. Cela peut être un acte simple repris par un architecte ou un projet qui va inspirer le gouvernement.
La journée sans voiture Chaque année c’est l’évènement à Bruxelles, la journée sans voiture ne cessera d’étonner par ses conséquences impressionnantes : « Dès 9 heures, la circulation des véhicules motorisés sera interdite sur tout le territoire de la Région, la plus grande zone fermée aux voitures en Europe pour cet événement. » 51.
Le troisième dimanche de septembre, plus aucun particulier ne roule en voiture, et les transports en commun sont gratuits. Cette journée sans voiture existe initialement depuis 1956, elle a été officiellement instaurée en 2001 dans la région de Bruxelles-capitale. C’est aujourd’hui la plus grande zone urbaine sans voiture en Europe pour toute une journée. De nombreux évènements sont organisés. A cette occasion plusieurs mesures sont effectuées, comme le bruit de fond, qui est 6 à 8 fois moins important, ou la pollution rejetée qui est 5 à 10 fois moins importante52… Ce qui est unique, est que spontanément, sans avoir besoin d’activités programmées, les gens, les familles se retrouvent dans la rue. Il est séduisant de s’approprier un espace qui d’habitude n’est jamais accessible. N’éprouvons-nous pas ce plaisir de liberté, de se trouver au milieu de la route, comme enfreindre un interdit, un danger, faire quelque chose de nouveau ? Même si cette journée reste exceptionnelle et n’apporte pas de changement direct, elle permet avant tout de remettre en question l’utilisation du lieu et de nous faire réfléchir. Que voulons nous faire et vivre dans les rues ? Quel espace public voulons-nous?
51 RTBF info, 21 septembre 2014, http://www.rtbf.be/info/regions/detail_bruxelles-le-dimanche-sans-voituremode-d-emploi?id=8360204 52 BLOG VÉLIB PARIS, < HTTP://BLOG.VELIB.PARIS.FR/BLOG/2012/10/05/DEMAIN-UNE-VILLE-SANS-VOITURES/> CONSULTÉ LE 14 AOUT 2015
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The original PARK(ing) installation by Rebar. San Francisco, 2005.
PARK(ing) DAY Ă Paris, par Nicolas Sawicki, 2011.
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PARK(ing) DAY Contrairement à la journée sans voiture, ce n’est pas la ville qui décide de participer à l’évènement PARK(ing) DAY53 , mais bien les habitants ou les commerçants. Le principe est simple, au lieu d’une place de stationnement payante, n’importe quelle personne peut installer un micro-parc, des tables et des chaises, un lieu d’exposition, une œuvre participative, du faux gazon pour s’étendre, faire du yoga... Les propositions peuvent être aussi variées qu’on le souhaite, à condition de rester accessible à tous. Le mouvement débuta en 2005, par l’initiative du collectif Rebar, architectes et urbanistes, qui s’installa sur une place de stationnement à San Fransisco et lança le mouvement. Aujourd’hui, ce groupe est connu mondialement, et chaque année toujours plus de ville et de personnes participent au Park(ing) Day. Ainsi, la voiture laisse place à la rencontre, au jeu, à l’art, à la réflexion. Bien que cela reste un évènement, la réflexion et l’énergie créent grâce à ces actions peuvent peut-être faire naitre de nouvelles idées.. Les évènements, qui permettent d’ouvrir la réflexion et l’imagination sur l’espace urbain, sont de plus en plus fréquents et internationaux. Internet semble être un des facteurs permettant l’échange rapide et mondial des idées novatrices et des questionnements. La perception urbaine de l’espace évolue et change. Certaines actions réalisées dans l’espace public sont soit acceptées ou tolérées, soit réprimées ou complètement interdites. La limite entre les deux espaces, public et privé, dépend des lois et des normes en vigueur, pourtant l’application varie facilement d’un cas à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une commune à l’autre. Nous questionner et continuer de faire bouger les frontières est essentiel pour faire évoluer l’espace où nous vivons.
53 REBART GROUP, INC (MISE A JOUR LE 19 SEPTEMBRE 2014, CREE EN JUILLET 2007). DISPONIBLE SUR : < HTTP:// PARKINGDAY.ORG> (CONSULTE LE 6 AOUT 2015)
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Action : Explorer la ville avec une table de ping-pong à la recherche d’endroits pour jouer pouvant être occupés temporairement : une grande quantité d’espaces inusités ou sousutilisés dans le centre-ville de Hull-Gatineau s’avèrent à cet effet disponibles. Par-delà son statut d’objet, la table s’inscrit ici davantage comme un vecteur marquant l’espace par les ponctions tactiques que ses déplacements opèrent : roulements, déploiements, échanges de balles, interactions, détours, négociations, incidents, réparations font partie intégrante de cette manœuvre. Prenant comme point de départ le centre d’artistes AXENÉO7, nous effectuons de multiples sorties ou « portages », partant à pied avec la table équipée de roulettes pour expérimenter des sites propices au jeu : … traversée dans une friche et pingpong dans les herbes hautes à proximité de l’autoroute et d’un développement de « bungalows » … détente et échanges de balles au son des grillons sur un terrain vague à l’extrémité d’un boulevard, dans une tranchée issue de développements d’infrastructures inachevées … la table, prend des allures de « véhicule tout-terrain », ce qui exige réparations et réajustements pour affronter les irrégularités du parcours … stationnement sur un boulevard déserté la nuit : deux édifices à bureaux nouvellement construits, presque inoccupés … luminosité fluctuante d’un téléviseur allumé, néons à répétition, parois vitrées et surexpositions de la table sous l’éclairage, au loin devant, un chantier en construction, on se croirait à Houston, Texas … un dimanche après-midi ensoleillé, nous préférons la fraîche obscurité d’un vaste stationnement couvert sous le Palais des congrès: résonance des échanges et rencontre avec une agente de sécurité surprise de ne pas nous voir plutôt dans une cour d’école…
marginalisés, souvent laissés pour compte. Une constellation de sites s’offrent ainsi aux déambulations de la table devenue élément de mobilier tactique, expérimentant différentes plages de temps urbain. L’insertion de la table tend ainsi à questionner le cadrage temporel normalement alloué à l’utilisation de certaines zones, ou à révéler la nature polyvalente de surfaces se prêtant potentiellement à d’autres usages. Bondées la semaine pendant les heures de bureau, de nombreuses surfaces de stationnement se vident complètement le soir ou les weekends : nous investissons librement ces espaces asphaltés banalisés ou décriés, s’offrant comme des esplanades ouvertes sur le paysage environnant. Dans le stationnement d’un motel du centre-ville, sous le regard incrédule de locataires postés aux fenêtres la quiétude de la nuit convient au ping-pong… Après un kilomètre de marche, nous atteignons le promontoire formé par une dalle surélevée attenante à un centre commercial : le privilège d’une vue panoramique sur la ville d’Ottawa illuminée et le geyser éclairé du casino de Hull 9. Des milliers de cases de stationnement complètement vides. Nous y tenons à minuit un tournoi chaudement disputé, dérangés une seule fois par une policière venue nous interroger notre présence « inusitée » en ces lieux. Au retour, sur un long boulevard déserté où circulent les camions des travailleurs de nuit, le roulement défaillant de la table, éprouvée par le parcours, alerte de nouveau un policier qui nous demande d’un ton intrigué si nous sommes en train de « déménager » …
Ailleurs, certains sites aménagés s’avèrent des « vides cosmiques » dont l’usage nonprogrammé est découragé par la surveillance ou par des choix de design, trahissant ainsi une certaine conception statique de la gestion de l’espace urbain. L’occupation de ces lieux constitue une mesure de ce que les En réactivant temporairement certaines administrations publiques sont consentantes à poches de « vides » urbains, l’activité du ping- tolérer ou non sur leur terrain… pong génère un nouveau rapport à des lieux
Questionnement sur les usages et habitudes Finalement, PARK(ing) DAY, la journée sans voiture, sont des d’évènements qui permettent de se poser des questions. Qu’est ce que l’espace urbain ? Comment doit-il être vécu et pratiqué ? Voici les explorations et questionnement d’étudiants sur l’usage de cet espace complexe.
Recherches urbaines au Québec Deux étudiants à Gatineau, au Québec, réalisent en 2012 plusieurs expériences d’exploration urbaines, dont une pour « activer » l’espace public, la table de ping-pong est leur outil : « La table de ping-pong devient en elle-même une microplace publique ponctuant la place urbaine, un territoire où se croisent, dans l’intensité conviviale du jeu, des passants de tous âges, styles, statuts sociaux et origines, des gens que rien ne rapproche a priori […] »54.
Avec leur table de ping-pong, ils cherchent à questionner l’usage des espaces publics ou qui semblent publics souvent sous-utilisés, comme les parcs de stationnement des supermarchés la nuit, ou des espaces perdus autour de bâtiment. Ils n’attendent pas de réaction directe suite à leur intervention, mais veulent susciter l’interrogation et la remise en question chez les personnes rencontrées. Les étudiants conclurent par : « […] le problème de l’espace public urbain à Gatineau [Québec], comme dans la plupart des villes occidentales, ne relèvent pas tant d’une question d’esthétisme ou de fonctionnalité, mais bien plutôt de l’ouverture aux usages que les administrations publiques et privées consentent à tolérer ou à encourager dans les espaces qu’elles gèrent. »55
Ils mettent en évidence la position des autorités sont souvent peu flexibles pour permettre une appropriation, ou une utilisation non prévu de l’espace public. Limiter l’usage et l’évolution éventuelle d’un espace, le stérilise et l’immobilise. Les lois, les normes et les réglementations administratives sont autant de freins à l’évolution de l’espace urbain. Ces actions éphémères dynamisent le social et sont représentatives de l’humanité qui nous entoure. Elles n’ont pas d’impact direct sur l’évolution matérielle de l’espace, mais plutôt sur les personnes qui l’utilisent. Peut-être que plus tard, une initiative sera mise en place. 54 Yona jérbrak et barbara julien, les temps de l’espace public urbain : construction, transformation et utilisation, édition multimondes, 2008, québec, canada. Page 167 55 Idem p166
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Dans un complexe gouvernemental, la table est installée sur une dalle publique à l’heure du midi, période d’affluence pour la pause des travailleurs. Nous laissons nos raquettes à deux employés qui y entament de longues séries d’échanges. Quelques minutes plus tard, la représentante d’une compagnie privée chargée de la gestion des lieux exige une autorisation écrite pour s’installer à cet endroit et nous invite à quitter les lieux. Pour investir de nouveau cet espace, en apparence public, il faudrait acheminer une demande au propriétaire : beaucoup de tracasserie administratives pour une partie de ping-pong ! Nous repartons avec sa carte d’affaire en main… Au Musée des Civilisations, autre ersatz de place publique, une surface rugueuse est employée sur le parvis pour dissuader la présence de skateboards ou de patins à roulettes. Néanmoins, on peut y jouer au ping-pong, et ce, même après la visite rapide d’un agent de sécurité, surpris mais relativement compréhensif. L’expérience
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pourrait-elle se répéter sur une base régulière? Rien n’est moins sûr. Nous empruntons ensuite un sentier longeant le site du musée, et immobilisons la table pendant quelques heures au milieu d’une aire circulaire gazonnée pour hélicoptères dont les proportions conviennent bien au dimensions de la table… jeu de ping-pong gratuit et paisible sur fond de décor touristique pittoresque avec vue sur le Parlement….sans garde de sécurité… L’enjeu que soulèvent ces quelques observations réside dans la capacité de l’espace urbain à offrir de l’ « espacement » aux différentes pratiques et temporalités non programmées susceptibles de l’activer. Jean-Maxime Dufresne et Luc Lévesque, Carnets de « dérives : quelques observations sur trois cas d’exploration urbaine Ecris en 2005. Disponible sur : http://www. amarrages.com/textes_carnets.html (consulté le 10 aout 2015)
Le premier frein aux interventions spontanées dans l’espace public va être l’habitude et la tradition du fonctionnalisme. Sans connaître les lois, sans être forcément justifié, on va parfois se limiter soi-même ou une personne tiers à agir d’une certaine manière. Et cela de façon volontaire ou même inconsciente. Les habitudes, l’éducation et la culture du pays sont ancrées profondément en nous. Prendre du recul nous permet peut être d’ouvrir les yeux sur des situations qui sont aujourd’hui grotesques ou absurdes. Les lois, les normes sont autant de facteurs qui encadrent notre environnement et lui permet d’évoluer sans anarchie. Mais parfois, ce cadre peut paraître trop rigide, trop fermé ou trop difficile à respecter, voir inadapté ou obsolète. L’application et les interdits qu’il produit peuvent alors être injustes, abusifs ou tout simplement non conformes à la situation. Ce qui est difficile avec l’espace public, c’est sa taille et sa diversité. Chaque lieu est différent, et la loi peut s’appliquer de bien des manières. Ne pas l’appliquer systématiquement et intervenir au cas par cas est peut-être la seule solution pour une remise en question de l’espace public et une évolution de qualité.
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ENTRE INITIATIVES ET PARTICIPATION, QUELLES SONT LES LIMITES D’ACTION DES HABITANTS ? On peut s’approprier l’espace urbain de différentes manières, avec des petites ou grandes interventions. Mais dans l’espace public, comme son nom l’indique, chacun dépend du cadre définit par les lois misent en place par la politique urbaine et le gouvernement. Les appropriations les plus courantes reste à petite échelle et se retrouvent dans chaque recoin des rues. Un banc, une plante, ce n’est pas grand-chose, mais cela permet de se sentir chez-soi dans un espace que l’on traverse tous les jours. Jusqu’où peuvent aller ces appropriations ?
Incompréhension et non dialogue Le plus difficile, et le plus stérile est l’incompréhension du lieu ou nous vivons. Nous ne savons pas comment agir. Pour les personnes qui occupent un nouvel espace, il est très déstabilisant de ne pas trouver ses repères et de ne pas savoir comment faire. C’est pourquoi de nombreuses personnes, comme des immigrés, vont parfois se sentir exclu de l’endroit où ils vivent car ils ne peuvent pas le comprendre et encore moins agir sur ce lieu. Le cas extrême est lorsque les informations ne sont pas transmises et la barrière administrative est trop importante. A travers l’histoire, c’était et c’est toujours un moyen de faire pression sur une population. Ne pas l’informer, ne pas la laisser agir à sa guise, et surtout ne pas laisser l’opportunité d’exprimer son individualité. Parce que montrer sa personnalité, c’est exprimer sa différence. Dans les régimes dictatoriaux, laisser à la population la liberté d’agir, sous couvert d’autorisation, c’est devoir à un moment ou un autre affronter un avis différent, voir opposé, à la politique mise en place. Heureusement, la Belgique nous laisse de multiples opportunités. Pourtant, même avec toutes les bonnes volontés du monde, la communication efficace est toujours difficile. Pourtant, après la communication, l’administration est une autre barrière. Pour des personnes lambda, qui ne connaissent pas le système, avoir une idée et la voir se réaliser semble impossible. L’information, le dialogue, la communication sont des éléments qui doivent être une priorité si on souhaite voir les habitants se lancer dans des projets ou simplement concrétiser leurs idées.
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Les plantes en pot rue du Croissant à Forest, Bruxelles. Image de téléBruxelles 31 juillet 2015.
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Entre autorisation et interdiction, un choix de politique urbaine Parfois les initiatives citoyennes se réalisent, mais elles peuvent aussi poser problèmes. Les plaintes, les nuisances, le trouble à l’ordre public sont autant de paramètres qui peuvent contraindre des initiatives partantes d’une bonne intention, à être condamnées à disparaitre. En effet, celle-ci commence parfois sans autorisation et la réaction plus ou moins rapide des autorités peut facilement soutenir ou mettre fin à un projet local. Les réactions peuvent être justifiées, mais aussi inadaptées, conservatrices ou même disproportionnées. Cela peut amener à un découragement, voir à un désintéressement total des habitants. Découvrir, comprendre, encourager et soutenir sont autant d’actions que les autorités peuvent entreprendre pour favoriser l’évolution d’une rue, d’un quartier et être plus à l’écoute des habitants.
La rue du Croissant à Forest Dans la rue Croissant à Forest, Mohamed, un jardinier, a eut l’initiative d’aller voir ces voisins pour leur donner des pots de fleurs à mettre à côté de leur porte, dans la rue. Petit à petit la rue s’est entièrement retrouvée fleurie. Une voisine témoigne : « Ça change toute la vie d’un quartier, les gens se parlent, les gens s’échangent des plantes, des petits trucs… Et je crois que tout le monde a à y gagner »56. Pourtant, si cette information passe à la télé c’est bien parce que la commune demande à retirer tous les pots « pour cause de salubrité ». La commune use de son pouvoir pour agir sans discuter. Les habitants sont autogérés, ne demande aucune subvention. Ces plantes font le bonheur des habitants, pourtant la commune de Forest ne souhaite apparemment pas voir un tel mouvement continuer. Une pétition et des discussions sont en cours pour tenter de faire changer les choses. Les habitants souhaitent mettre un peu plus de végétation dans les rues de Bruxelles. Le rôle et le pouvoir que peuvent avoir les autorités sont sans précédent. Même si la frontière privé-public devient un peu plus floue et qu’il peut sembler nécessaire de la contrôler. Pourtant, il suffit qu’une personne ne soit pas d’accord avec l’idée où qu’elle soit mal conseillée pour que le projet ne se réalise jamais. Les initiatives doivent être prises en compte, comprises et négociées en contact direct. La réponse ne doit pas se résumer à des sanctions et menaces par courriers.
56 Télé B Bruxelles, Marine Hubert et Béatrice Broutout, Forest : une rue trop verte pour la commune (31 juillet 2015). Disponible sur : < http://www.telebruxelles.be/news/forest-une-rue-trop-verte-pour-la-commune-2/> (consulté le 8 août 2015)
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Morceau de trottoir sans pavé, avenue des saisons et rue de Chambéry, Bruxelles 2015. Photos Personnelles
Banc et bac à plantes réalisé avec du matériel de récupération par les habitants de la maison de quartier d’Etterbeek. Rue de Chambéry, Bruxelles 2015. Photo Personnelle
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La rue de la maison de quartier d’Etterbeek Dans la rue de Chambéry à Etterbeek, l’atmosphère est particulière, depuis peu, de nouveau morceaux de trottoir ont laissé place à de la terre, rosiers, lierres et autres plantes grimpantes peuvent croître, comme dans d’autres rues de Bruxelles. A Etterbeek, la maison de quartier est dynamique et propose de nombreuses activités et actions pour développer et soutenir les personnes âgées, les enfants, la vie de quartier… Depuis 2014 la maison de quartier s’implique dans le projet « Quartier Vert ». Initié par l’association asbl-Interenvironnenement Bruxelles, l’idée est d’apporter plus de verdure dans les rues de la capitale. L’association a permis de simplifier les demandes d’autorisations avec un soutien de Bruxelles environnement pour retirer les quelques pavés du trottoir. La maison de quartier permet de faire le relais entre le projet, la ville et les habitants et se sont les locaux qui ont la responsabilité des plantations. Contrairement à la rue du Croissant, les habitants s’approprient la rue en bénéficiant d’une autorisation. Lorsque les autorités mettent en place quelque chose, il n’y a pas forcément quelqu’un derrière qui souhaite assumer le projet, c’est un problème. Contrairement à la rue du Croissant, dans la rue de Chambéry les habitants eux-mêmes ont proposé de s’occuper de la végétation, ici les associations doivent trouver des personnes motivées pour entretenir les plantes. Après les plantes, un banc attire l’attention. A côté d’un bac fleuri, il y a ce banc peu commun installé le long du mur sur le petit trottoir. Le trottoir ne mesure pas plus de deux mètres et demi de large, pourtant ce banc semble à tout à fait sa place. La maison de quartier organise des ateliers pour créer des bacs à plantes et des bancs à partir de matériel de récupération. Placé comme un signal devant la porte de la maison de quartier, il invite au repos les lecteurs et personnes âgées et devient un lieu de partage et de rencontres. Pourtant, il ne fut pas si aisé d’avoir l’autorisation de la commune. Betty D’haenens, responsable et travailleuse sociale à la maison de quartier témoigne : « Lorsque les habitants et la maison de quartier voulurent réaliser des bancs, il fallut demander l’autorisation à la commune pour les mettre dans la rue. La commune donna un avis défavorable parce que les bancs pouvaient être dégradés et le fait qu’ils soient construits en matériaux de récupération n’est pas très conforme à l’idée du « mobilier urbain ». Après l’insistance des habitants, ils acceptèrent les bacs de plantes et demandèrent une évaluation sur une année pour voir comment ça tient. Comme une personne est responsable pour s’en occuper et qu’aucun problème ne se déclara, les bancs et les bacs purent être définitivement installés
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Le tricot qui habille le mobilier urbain et les arbres dans les rues dâ&#x20AC;&#x2122;Etterbeek et dâ&#x20AC;&#x2122;Ixelles, Bruxelles 2015. Photos Personnelles
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l’année d’après. »57
Petit à petit, l’ambiance de la rue évolue, et cela contamine les rues adjacentes, bientôt c’est peut-être tout le quartier qui sera recouvert de plantes. Dans un sens ou dans l’autre, si les projets voient le jour, c’est grâce aux habitants et parfois grâce aux subventions données pour favoriser les projets locaux. Les associations comme le Pivot et la maison de quartier Chambéry permettent de poser un intermédiaire efficace entre les habitants, la ville et la commune. Les autorités offrent des opportunités de subventions et des autorisations qui ne semblent pas toujours accessibles au niveau individuel. Il semble plus aisé pour construire un projet, de connaître les bons interlocuteurs, les rouages de l’administration, les normes ainsi que les offres, pour y répondre et en profiter. Autorisations ou non, ce n’est pas seulement une question de normes et de lois, mais bien également une question de compréhension. Voici des projets qui demandèrent plus de moyens pour aboutir. L’entente entre les interlocuteurs semble essentielle dans ces exemples.
57 Betty D’haenens, rencontre du 27 mai 2015, annexe
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Potager sur le toit de la Bibliothèque Royal de Bruxelles. Juin 2015. Photo Personnelle
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L’importance de la convergence des valeurs Lorsqu’une initiative citoyenne souhaite réaliser un projet urbanistique c’est bien plus difficile que de mettre un bac à plante devant chez soi. Les normes, les habitudes, la pression sociale et politique, les moyens, sont autant de facteurs qui peuvent ralentir le projet, et peut-être aboutir à un abandon. Lorsque le dialogue s’instaure, que chacun peut comprendre l’autre, une entente est possible. Il peut arriver que, sans difficulté, les valeurs des différentes parties se rejoignent, il se construit alors des projets à haute valeur sociale. En effet, initiés par les habitants, autorisés et acceptés par les autorités, ces projets font déjà partie de la ville.
Le potager de la Bibliothèque Royale Parfois, les habitants s’impliquent dans des projets plus conséquents. A Ixelles, le collectif XL en transition regroupe toutes les initiatives des habitants pour permettre une plus grande synergie et créer une intelligence collective en échangeant les connaissances, les idées et les savoirs de chacun. Une de ces initiatives est le potager urbain. Il en existe déjà un, minuscule, Potag’Ado, il ne produit pas beaucoup, mais il a une vocation éducative pour les enfants. Dans un petit parc en cœur d’îlot, les habitants veulent impulser une dynamique par rapport à la nourriture, le potager apparait comme une solution naturelle. Ils ont monté le projet, réalisé un dossier pour demander des subventions à la ville de Bruxelles, démarché le quartier pour avoir les autorisations et voilà, le potager s’installe. C’est une petite intervention, très locale qui ne touche que le quartier, voir la rue où il est localisé. Cela crée des rencontres, des échanges, une certaine dynamique urbaine, les enfants viennent voir comment grandissent les légumes et rencontrent les habitants motivés pour l’entretenir. Un projet similaire de plus grande envergure a vu le jour il y a trois ans. Aujourd’hui son impact discret se révèle de plus en plus. Pour ceux voulant utiliser les toitures plates des grands bâtiments, le potager sur la toiture de la Bibliothèque royale est un exemple à suivre. Avec l’association Le début des Haricots les habitants mettent le projet en place : «Le potager sur la KBR est né en janvier 2012 et consiste dans la création d’un premier potager expérimental sur la terrasse de la Bibliothèque Royale de Belgique grâce au soutien financier de la région Bruxelles-Capitale et de l’IBGE […].Ce projet ne vise pas seulement une production intensive de légumes mais également la sensibilisation à l’alimentation durable, saine et de saison ainsi qu’à la découverte de la biodiversité grâce à un parcours de plantes sauvages »58.
58 Le début des haricots asbl, Potage-Toit (crée juillet 2013, mis à jour mai 2015). Disponible sur < http://www. potage-toit.be/> (consulté le 6 août 2015)
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Lorsque la bibliothèque ouvre ses portes, chacun peut venir s’étendre, profiter de l’ambiance du potager et en apprendre un peu plus sur la nature. Les habitants responsables sont présents presque tous les jours selon leur temps disponible pour s’en occuper. Grace à une initiative des habitants, le projet s’est monté de toute pièces et aujourd’hui permet la reconversion d’un espace délaissé en un lieu d’échanges et de rencontres tout en étant utile à la communauté. Lorsqu’ils sont motivés et soutenus, les habitants peuvent avoir un impact significatif sur la ville.
Le square des Ursulines Le projet du square des Ursuline a l’avantage d’avoir été directement accepté et soutenu par l’instance publique propriétaire. La place des Ursulines, située dans les Marolles, fait partie d’un quartier populaire et historique du centre de Bruxelles. En 2003, une friche perdue et inutilisée est réaménagée grâce l’impulsion du collectif de skateur BRUSK. Ils demandent alors au collectif Recyclart, de les aider pour investir ce terrain vague comme espace de skate. Le propriétaire, l’IBGE, actuellement Bruxelles environnement, est demandeur de ce genre de proposition, il mandate donc le bureau d’architectes l’escaut, à la demande de Recylart, pour la réalisation et le suivi du projet. Les architectes lancent ensuite un concours européen pour la conception de la place. La particularité de ce projet est que tout le long, de la conception à la réalisation, les skateurs et les habitants du quartier sont impliqués. Suite au concours, de jeunes paysagistes sont sélectionnés pour avoir bien répondu à la définition de l’espace « un espace public à finalité de skate ». Les skateurs viennent ensuite les aider pour concevoir des rampes de glisses parfaites, à leur convenance. Recyclart coordonne tous les échanges sociaux et met en place des ateliers avec les habitants et enfants du quartier. Olivier Bastin, ancien bouwmester et architecte chez l’escaut, explique le déroulement de la mise en place de ce projet peu commun : « Outre la participation de skateurs, on eut plusieurs étapes de rencontre avec les habitants, dont le home du 3e âge, les écoles, les logements sociaux. Tout cela grâce à Recyclart, qui était un acteur déterminant du quartier. Recyclart était tout à fait dans son rôle de médiation. On a fait des ateliers avec les enfants pour trouver de nouvelles formes. C’était encore beaucoup d’investissement, pour donner envie au plus jeunes de venir dans cet espace, pour se mettre d’accord avec le home si on dérange ou non. Ils ont finalement mis tous ceux « dure de la feuille » du côté du skate-park. On a parlé, on a dansé avec eux. C’était tout un processus, 1ans ½, 2 ans pour tout mettre en place. Ensuite la construction s’est faite. C’est une
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Le bowl du skate-park en rĂŠalisation, une discussion sur le blog de BRUSK durant le chantier. Par Pierro, avril 2005. DIsponible sur : < http://www.brusk.be/forum/viewtopic.php?t=36&postdays=0&postorder=asc&start=30>
Un jour comme les autres au square des Ursulines, juin 2015. Photo Personnelle
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entreprise des ponts et chaussée qui a fait ça, mais ça sortait de l’ordinaire pour eux. Du coup, les skateurs sont revenus, eux ils connaissaient bien la réalisation de bols parfaits pour leurs glisses, et le travail du béton. On les a de nouveaux engagés, et ils ont travaillé avec les ouvriers de l’entreprise pour leur apprendre. Du coup les ouvriers ont été valorisés dans cet investissement et apprentissage.» 59
Le projet est donc parti d’une impulsion locale et a aboutit a un projet participatif à toutes les étapes avec de nombreux intervenants. Pourtant à l’origine de l’idée, les skateurs auraient pu être mis de côté une fois le concours lancé. Mais, Recyclart et les architectes ont pris soin d’impliquer les skateurs et également tout le quartier. Grâce à la convergence des idées entre les différents acteurs et les autorités, le projet aboutit à la satisfaction de tous. Les initiatives sortent des cadres des politiques urbaines, elles sont sans complexes, sans prétentions, sans barrières et posent de nouvelles questions. C’est pour cela qu’il est souvent difficile de les accepter tout de suite, il faut parfois établir de nouvelles règles pour elles. Pourtant ces projets ont l’avantage de venir des citoyens. Ces nouvelles idées s’intègrent facilement au quartier et sont généralement mieux comprises et acceptées.
59 Olivier Bastin - Annexe
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Manifestations et revendications comme moteur du changement Lorsque la politique urbaine ne convient pas aux habitants, il semble essentiel que chacun puisse s’exprimer et faire comprendre ce qui ne va pas ou ce qu’il veut voir changer. Majorité ou minorité, s’exprimer est un droit, mais qu’il soit écouté et pris en compte est autrement plus difficile. L’histoire montre de nombreux exemples de manifestations, ces revendications font partie de la vie urbaine. C’est un moyen fort de se faire entendre lorsqu’une population n’a pas d’autres moyens pour s’exprimer. Parfois, les citoyens sont écoutés et leurs revendications donnent lieu à négociations. Voici l’exemple d’une manifestation citoyenne qui induit beaucoup de réflexions et apporte un important changement à Bruxelles.
GreenGerrillas Aux Etats-Unis, après 1973, suite au crash boursier avec la chute du pétrole, il y a une augmentation du prix de la nourriture et de nombreuses personnes ont des difficultés à se nourrir, le mouvement greengerilla fait son apparition60. Des militants, se rendant compte que certains espaces sont inutilisés en ville et ne sont que des friches vides non entretenues, décident de lancer des grenades de graines, des seedboom, de légumes et fruits comestibles. Même si par cette entreprise ils n’espèrent pas nourrir tous ceux qui peuvent en avoir besoin, ils mettent en valeur la sous-utilisation d’espaces en pleine ville. Et l’incohérence face à la production de nourriture et au monopole exercé. C’est leur manière de manifester contre l’absurdité urbaine, ainsi que l’appropriation et l’éloignement de la production alimentaire. Ils réalisent également de nombreuses interventions pour réintégrer la nature en ville, fleurs, plantes vertes, et favoriser la biodiversité. C’est pour eux un manque essentiel à la ville. De manière symbolique, les activistes manifestent ainsi leur incompréhension face à des choix de politiques urbaines et aujourd’hui encore font évoluer et changer l’espace urbain.
60 DISPONIBLE SUR : < HTTP://WWW.GREENGUERILLAS.ORG/>
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Le boulevard Anspach avant le changement en piĂŠtonnier. Google streetview, jullet 2014
Le boulevard Anspach le jour de la fermeture dĂŠfinitive aux voitures. 29 juin 2015. Photo Personnelle
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PicNic the Street Depuis plusieurs étés, Bruxelles a vu sa place de la bourse bloquée par la manifestation « Picnic the street ». Des activistes viennent passer l’après-midi à jouir d’un espace qui d’habitude ne leur est pas autorisé : la route. Les premiers activistes se sont manifestés le 10 juin 2012 et protestent alors pour demander plus d’espaces publics de qualité à Bruxelles. Après trois années de mobilisation et des tentatives de négociation, le 29 juin 2015, le boulevard est définitivement fermé à la circulation, et ouvert aux piétons. Avec un nouveau plan de mobilité et de nombreux nouveaux parkings payant, le sujet ne manque pas de faire polémique. Cependant, cet évènement montre que grâce à l’action des habitants, leur avis est entendu et finalement pris en compte. Ils ont tout fait pour faire évoluer l’espace dans lequel ils vivent et leur rôle est décisif. Vouloir agir n’est pas la seule chose nécessaire pour réaliser un projet. De nombreux obstacles se dressent devant les initiatives, parfois à juste titre, mais souvent de bonnes initiatives meurent avant d’avoir vu le jour. Des habitants entreprenants, par trop peu d’informations ou de dialogue, perdent leur motivation. Des normes trop strictes, des habitudes dépassées ou des avis contraires, sont difficiles à affronter, surtout quand ce sont des projets bénévoles. Les initiatives font vivre un quartier, impliquent les habitants qui se sentent concernés, écoutés. Les autorités peuvent ainsi mieux comprendre les habitants et savoir comment agir. Un dialogue et une confiance mutuelle s’instaure.
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LA PARTICIPATION ET SON INSTITUTIONNALISATION Judith Le Maire écris : « Dans le latin participatio, on saisit le sens courant : prendre part à, avoir sa part du bénéfice, une voix… majoritairement utilisé dans le champ économique et dans le monde de l’entreprise. S’y ajoute le sens politique, puisque la participation désigne les moyens qui permettent aux citoyens de contribuer aux décisions concernant la communauté. »61.
La participation est un moyen pour les citoyens de donner leur avis sur la fabrication de l’espace public. Voici plusieurs exemples suite a celui du square des Ursulines, qui ouvrent le débat sur la participation et son institutionnalisation.
Ouverture du dialogue autorités/habitant et prise de conscience Le cas de la place Flagey La place Flagey se trouve au croisement de plusieurs voiries régionales, elle est ainsi sous la responsabilité de Bruxelles mobilité. Ce sont eux qui prennent en charge le bassin d’orage, le parking et l’aménagement en surface. Tout se passent comme d’habitude jusqu’à que leur projet en surface soit totalement rejeté par les riverains. En effet, au départ le projet proposé pour l’aménagement de la place n’apporte aucune réflexion sur l’usage, par rapport, au quartier et à son contexte socio-culturel. Seul le bassin d’orage et le parking sont considérés, jusqu’aux manifestations. Une plate-forme d’échange, Plate-Forme Flagey, est alors mise en place par des habitants et architectes motivés qui estiment que les propositions ne sont pas assez élaborées. Leur intervention permet d’ouvrir le dialogue avec les autorités responsables - la STIB, pour les transports en commun, Bruxelles environnement, pour la question de l’eau et du paysage, et Bruxelles mobilité - la commune et les habitants. Les habitants exigent la mise en place d’un concours d’architecture pour ouvrir la réflexion sur ce lieu emblématique. Ainsi un concours à lieu, mais il faut encore attendre pour que le bourgmestre accepte. Un point info permet de tenir les habitants et commerçants des alentours au courant. Les travaux s’étendent ensuite sur près d’une décennie et la 61 Judith Le Maire, Lieux, biens, liens communs. Emergence d’une grammaire participative en architecture et urbanisme, 1904-1969, Editions de l’université de Bruxelles. Belgique, 2014. P8
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communication deviens le nouveau paris de Bruxelles mobilité. Le document Le réaménagement de la place Flagey: coup d’essai pour une nouvelle approche62 explique les débuts d’un nouveau contact avec les habitants et les différents acteurs en misant sur la communication et l’échange. Si tout n’a pas abouti ou ne s’est pas parfaitement déroulé comme l’aurait souhaité habitants et militants, ce projet a permit de faire entendre l’avis des usagers et surtout de prendre conscience de leur importance, et de leur pouvoir d’action. Cette découverte est valable pour les habitants et pour les autorités. Christophe Merciez, architecte chez Suède36, participat à la Plate-Forme Flagey : « Lorsque les études pour les travaux place Flagey ont été engagées, aucun concours d’architecture n’a été lancé. Agoras était responsable du projet comme ingénieur et c’est la filière architecture qui dut faire le projet. Il n’y a eu aucune réflexion sur l’espace public. C’est à ce moment-là qu’on a mis en place la « Plateforme Flagey ». On a fait un appel à idées et on a reçu une centaine de proposition, dont 20% était de l’étranger. C’était tout à fait remarquable. Après l’exposition et les échanges avec les autorités, tout le monde s’est rendu compte que cette place avait de l’importance. Le bourgmestre du moment appréciait les idées, mais ne voyait pas l’intérêt de faire un concours. C’est avec le nouveau Bourgmestre, Pascal Smest, qu’on a pu mettre en place un concours, avec des rencontres avec les habitants et des points infos. Tout n’a pas fonctionné, c’est sûr, mais avec ce projet, l’idée de l’espace public et de l’habitant a évolué à Bruxelles. Les gens ont vu que leur avis avait de l’importance et que si on a la volonté on peut renverser les choses ! »63
Ainsi, à Bruxelles, une prise de conscience du rôle de l’habitant dans l’espace public est apparue.
62 Inge Paemen, LE REAMENAGEMENT DE LA PLACE FLAGEY : COUP D’ESSAI POUR UNE NOUVELLE APPROCHE. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale – Bruxelles Mobilité. 10p. 63 Christophe Merciez - annexe
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Les instances publiques s’essayent à la participation ParkDesign de l’évènement au permanent La zone de Tour&Taxi donne lieu à de nombreuses réflexions à la faculté d’architecture. Proche du centre de Bruxelles, c’est une ancienne zone industrielle avec de nombreux bâtiments aujourd’hui plus ou moins utilisés. Suite à l’intérêt du bureau MSA d’une zone délaissée vers les rails de chemin de fer, un autre bureau, Bas Smets, a l’idée de réaliser un parc dans une friche oubliée. L’idée est de mettre en place un parc qui relie le métro Pannehuis jusqu’au site de Tour&Taxi en passant en dessous des ponts existants. La différence avec un projet classique est qu’il se met en place avec la participation de ParkDesign64. L’évènement ParkDesign a lieu désormais tous les deux ans. Il débute en 2006 sous la tutelle de Bruxelles environnement avec la volonté de rapprocher le design et le paysage urbain pour réinventer de nouveaux espaces publics en ville. En 2012, les ambitions vont plus loin en décidant d’investir tout un espace en friche de la ville de Bruxelles de manière permanente. En 2014, l’objectif est d’ajouter le facteur humain, et ils décident alors de faire intervenir des acteurs locaux pour que le projet devienne pérenne. Bas Smets réalise les travaux paysagers, tandis que ParckDesign se charge des infrastructures avec la participation des habitants du quartier. Ainsi, en septembre 2014, de nombreux projets sont imaginés et réalisés avec et par les riverains. Les potagers déjà existant sont intégrés au nouveau parc avec une prise en charge avant même l’ouverture, une bergerie et un poulailler sont imaginés et construis avec un architecte. Les habitants, peuvent récupérer quelques œufs et laisser les poules se promener la journée dans le parc. D’autres projets intégrants étudiants, ruches, concours d’architecture s’intègrent au parc. Tous ces éléments et ces actions permettent, non seulement de réhabiliter un espace vert dans un quartier qui a besoin, mais également de créer un lieu public d’activités. La qualité de vie est au rendez-vous. Avant l’ouverture officielle, les habitants s’étaient déjà appropriés l’espace. L’inauguration attirât de nombreuses personnes. Les actions combinées d’un bureau d’architecture, des habitants et d’un projet lancé par Bruxelles environnement ont permis l’éclosion d’un projet vivant, qui va durer et évoluer dans le temps.
64 Brussels environnement, ParkDesign (crée en avril 2007, mise à jour septembre 2014). Disponible sur : < http://www.parckdesign.be/fr> (Consulté le 14 septembre 2014)
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«Je mentionne deux autres projets avant, le square du Lakenwelt. Avant c’était un terrain abandonné il y a 10-15 ans, qui donne sur tour et taxi. C’est une initiative assez ancienne, qui date de 1993-1994. En fait, c’est le résultat d’un processus et d’initiatives véritablement prises par les habitants. A l’époque on était un bureau qui essayait de s’intégrer dans son quartier, installé en 89, je faisais partie du comité de quartier, et il y avait pas mal de personnes qui voulaient, entre autre, faire des projets avec les jeunes du quartier. Comme il y avait un terrain vague, plus ressemblant à un dépotoir, et que les enfants jouaient dans la rue, en tant que comité de quartier on a proposé à l’occasion d’un dispositif existant « Roi Baudoin » (à l’époque la fondation roi Baudoin soutenant pour 50 000 franc belge = 1000 euros, des projets initiés par les habitants). Il fallait que les habitants composent leur projet, le présentent à la fondation, et la fondation soutenait les habitants auprès des autorités. On déposait ce projet auprès de la commune, et entre temps l’IBGE soutenait également ces projets avec des moyens beaucoup plus importants. On a présenté ça à la commune, et le bourgmestre relativement mal conseillé, ne voulait pas prendre en relais ce projet. Il a fallu 1 ans ½ d’hésitation, et une fois qu’on a rencontré le bourgmestre Moreau, il a compris que le projet ne faisait pas concurrence à un autre projet plus loin dans le quartier et il a accepté. Là où ça a de l’importance, c’est qu’un projet public et de participation, est toujours tributaire des aléas politiques. S’il y a des agendas cachés, il peut très bien y avoir des échecs. Quand le politique dit « oui on veut de la participation », il suffit de peu pour que ça capote. Il y a eu un deuxième projet à la suite de ça. Le service jeunesse de la commune d’Ottignies a vu qu’on était impliqué par rapport aux jeunes,
et nous a sollicité pour les accompagner dans quatre quartiers à Ottignies avec des ateliers. Dans le but de faire des terrains de jeux, qui était un manque évident. Mais les ateliers devaient se faire avec des adultes, des jeunes et des enfants. C’était assez lourd comme participation et comme organisation. C’està-dire qu’on a animé des ateliers, 8 à 10h le samedi complet, avec des enfants tout-boite amenés par les services de jeunesse, etc. Il faut faire en sorte que des adultes viennent également pour appuyer le processus avec les enfants, faire des ateliers de découpage, de collage, de carton, avec un dispositif évolutif en plusieurs ateliers, prendre le temps de jouer au ballon avec les enfants… enfin, ça tu vois, c’est la participation complète. Tout ça sur une journée, plusieurs fois. Tout cela, pour arriver à un dessin par quartier, où le dessin était composé par les enfants, initié, ou en tout cas dessiné, sur base des problématiques qui avaient été soulevées par les enfants. Parce que soit il y avait des tensions dans les relations sociales, soit il y avait un danger de circulation, soit il y avait une force paysagère… Du coup le terrain de jeu, on a mis au point un système de filet pour empêcher les ballons de sortir. On a repensé les bancs parce qu’on se rendait compte que les jeunes ne s’asseyaient pas sur le siège, mais sur le dossier comme ça ils sont à la hauteur des yeux du copain qui arrive, ils ne restent pas plus bas. On a comme ça créer des jeux comme des mobiles de Calder, des jeux bancs qui deviennent tables. Aujourd’hui c’est un peu vieux, mais on a appris avec les jeunes à souder, ils ont fait les trous eux-mêmes, fait le béton. C’était participatif jusqu’à la réalisation. Ce sont deux très beaux processus, même si je ne te dis pas tous les détails, tout n’a pas été fait conformément à nos attentes.»
Entretien avec Olivier Bastin, architecte chez l’escault et ancien Maître architecte de Bruxelles-Capitale. Extrait de l’annexe d’Olivier Bastin
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De nombreux projets participatifs sont réalisés, Olivier Bastin, architecte chez l’escaut et ancien bouwmeester, donne des exemples qu’il a personnellement vécus durant sa pratique professionnelle. Il explique la complexité du principe et précise que chaque cas est unique et non reproductible. Et il insiste sur l’implication personnelle que doit prendre l’architecte et l’énergie nécessaire pour que ça fonctionne, que ça « prenne ». Il décrit le procédé mis en place par le bureau, et tout ce que comprend la participation et ses rouages. Comment gérer d’autres personnes qui ont également une vie à côté de leur engagement ? Comment parler d’architecture avec des néophytes, des enfants ? Comment faire pour que le processus de participation soit fertile et intéressant pour chacun ? Tout cela demande subtilité et pratique pour parvenir à un résultat. Ainsi, comme le dit si justement Judith Le Maire « Les études actuelles analysent les pratiques et tentent d’objectiver des dispositifs
participatifs réglementés, surtout dans le domaine des sciences sociales et politiques où la participation est devenue un objet d’étude et un domaine de recherche. »65.
Progressivement le principe de la participation en architecture et urbanisme est devenu un sujet d’étude, et aujourd’hui cela semble essentiel pour certaines politiques qui se veulent durables.
65 Judith Le Maire, Lieux, biens, liens communs. Emergence d’une grammaire participative en architecture et urbanisme, 1904-1969, Editions de l’université de Bruxelles. Belgique, 2014. p7
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Intégration de la participation dans la politique urbaine de Bruxelles Le contrat de quartier (durable) Comme on a pu le voir pour le cas de Portland aux Etats-Unis, l’orientation et les décisions liées a la politique urbaine ont un impact sur la formation de l’espace public, la vie quotidienne des usagers et le développement futur de la ville. Depuis 1993, Bruxelles met en place des « Contrats de Quartier ». C’est un contrat entre la région Bruxelles-Capitale et une commune qui vise « la construction ou la rénovation de logements, la requalification des espaces publics, y compris des intérieurs d’îlots, et des actions visant la cohésion sociale »66. Depuis 2010, des « Contrats de Quartier Durable » ajoutent une dimension environnementale, sans oublier que : «[…] avec les contrats de Quartiers Durables, la participation des citoyens est renforcée. Ils sont invités à partager leurs avis sur l’élaboration et le suivi des opérations. En agissant avec les habitants, en tirant parti du potentiel des quartiers, en menant de nouveaux projets d’habitats et d’équipements, en réorganisant des activités collectives, c’est tout le tissu urbain bruxellois qui se transforme en un véritable puzzle d’initiatives sociales et durables. » 67.
Avec les « Contrat de Quartier Durable, la participation est devenue obligatoire, institutionnalisée. Catherine de Zuther, juriste et urbaniste, travail au bureau ERU, centre et coopérative d’Etudes et de Recherches Urbaines. Le bureau est responsable de plusieurs contrats de quartier à Bruxelles, dont celui d’Etterbeek, le secteur « Chasse-Gray ». Il seconde la commune concernée pour l’appuyer sur la partie environnementale et participative. Catherine explique la prise en compte de plus en plus importante de la participation dans les contrats de quartier : « Le contrat de quartier c’est un contrat qui se noue entre les communes et la régions, qui a la particularité d’avoir une vision global à l’échelle du quartier en terme de revitalisation. Qui a pour objectif premier de refaire et d’augmenter la part de logements moyens modérés, de rénover les espaces publics, mais alors à ce moment-là avec la commune comme maître d’ouvrage. Et au fur et à mesure de l’évolution du mécanisme, la part citoyenne a été de plus en plus importante, avec dans un premier temps un appel aux citoyens pour qu’ils s’expriment sur ce que fait la commune. Donner un avis sur les différents projets réalisé. Et ensuite dans un deuxième temps leur donner la capacité de développer des projets, qui s’appellent aujourd’hui
66 Ville de Bruxelles, Contrat de quartier durable (crée en octobre 2013, mise à jour en mars 2015). Disponible sur : < http://www.quartiers.irisnet.be/fr/mode-d-emploi/historique-et-evolution> (consulté le 7 août 2015). 67 Idem
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les projets sociaux-économiques, c’est pour les associations. Développer des projets qui puissent rentrer dans le projet de revitalisation et le contrat général du contrat de quartier. »68.
Ici sont développés deux principes d’actions citoyennes, tout d’abord les habitants donnent leurs avis sur les projets proposés pour rénover l’espace public, ensuite ils participent à des projets socio-économiques comme L’art en ville de l’association Pivot. Plus en détail, voici le nouveau rôle du bureau ERU lié au « Contrat de Quartier Durable » : « Ici, notre mission c’est la participation. Au sein de l’équipe nous avons les rôles de facilitateur, de médiateur, de coordinateur, ou d’animateur, suivant l’expertise que l’on a. Au fil des missions on a pu expérimenter différents types d’animations pour voir qu’est ce qui convient le mieux suivant les besoins. C’est vraiment une mission qui est spécifique et que l’on ne retrouve pas dans le programme. C’est un rôle supplémentaire de soutien, de facilitation, entre les auteurs de projets que la commune désigne par projet, et la commune elle-même. »69.
Le bureau ERU est donc un médiateur pour aller à la rencontre des habitants et relever au mieux leur avis et propositions. Mais ils ne s’occupent pas de gérer les projets socio-économiques, pris en charge par la commune. Lorsque le diagnostic est établi, avec l’avis des habitants et associations, ils déterminent quels espaces vont bénéficier d’une intervention. Une fois les premières propositions fixées, le bureau va réaliser différents projets pour chaque espace : « Chaque cas est différent. Par exemple, pour la réouverture de ce jardin, c’est en
intérieur d’îlot, avec des habitants et un home, on envisage donc de faire une table ronde pour les riverains, et ensuite de faire du porte à porte pour les riverains dont les jardins touchent le parc. Pour le réaménagement de la place de Theux, on a fait un atelier participatif lors de la fête de quartier. A ce moment-là on s’est intégré à la fête et on a fait la démarche d’aller voir les gens pour leur demander leur avis. » et encore pour un autre jardin : « On distribuait avant, le programme sur la journée pour inviter les gens à venir, avec un plan pour les inciter à se promener, avec un peu partout des exprès pour répondre aux questions. Des historiens pour les bâtiments, des paysagistes, des personnes de la commune qui travaillent à la dynamique des potagers collectifs. On avait ensuite un stand central où on recueillait l’ensemble des avis. Les gens pouvaient rendre cette feuille, ou alors on avait également un tableau avec des post-it pour mettre ces idées. »70.
Les procédés permettent ainsi de récolter au mieux l’avis des habitants plus ou moins concernés. Même s’ils connaissent les limites de ces outils, ils emploient différents moyens pour toucher le plus de personnes différentes et parvenir ainsi
68Catherine de Zuther - annexe 69 Idem 70 Idem
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à un large spectre d’idées et d’avis. Elle éclaircie ensuite dans quel cadre le bureau évolue : « […] nous établissons le dossier de base, qui est le diagnostic, la définition d’en-
jeux propriétaires et l’établissement d’un programme. Ces enjeux prioritaires, c’est le cadre général des priorités du quartier et donc les projets socio-économique doivent effectivement s’inscrire dans ces enjeux prioritaires. Ce qu’il faut savoir c’est que c’est un mécanisme qui est cadré par la région et il y a également un cahier des charges qui définit de manière très précise comment tout doit se mettre en place. Ça fait partie des programmes qui sont excrément normés et cadrés.»71.
Elle déclare que les projets socio-économique dépendent beaucoup des normes et contraintes strictes misent en place dans le cadre des contrats de Quartier Durable. Malgré la rigidité du cadre, le bureau parvient à s’investir, à s’adapter et à proposer plusieurs réponses sous forme d’actions pour les différents cas. Ainsi les habitants sont informés et sensibilisés. Ils ont contribués au projet grâce à la volonté des autorités de favoriser la participation.
71 Catherine de Zuther - annexe
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Questionnement et avis divergents Le but des contrats de Quartier Durable est que « tout le tissu urbain bruxellois […] se transforme en un véritable puzzle d’initiatives sociales et durables. »72. Avec les habitants comme partenaire le but est de créer un espace plus personnalisé et appropriable. On devient acteur de l’espace où l’on vit. Ce travail de recherche permet de nombreuses rencontres, avec des personnes plus ou moins en contact avec la participation, voici quelques réflexions et questionnement qu’ils soulèvent: Tout d’abord, comme le dit Christophe Merciez, cela nous permet de prendre du recul sur les idées reçut : « L’espace urbain ne doit pas forcément devenir ou être un espace d’échange. On dit beaucoup « il faut que les gens se rencontrent », il faut que les gens échangent et se parlent, qu’il y ait une connexion sociale. Dans un parc on met un grand abri, et puis on pense que les gens doivent se parler… En face de chez moi il y a un parc où tous les promeneurs de chiens se retrouve, c’est une vraie bande. Avant je ne me rendais pas compte de l’importance que cela pouvait avoir. Il y a des gens qui ont un chien, seulement pour sociabiliser. Les joggeurs c’est très différent, chacun cours avec ses écouteurs et garde ces œillères, mais ce n’est pas grave. Il peut se passer des choses dans l’espace public, mais il ne faut pas forcer les gens à échanger et communiquer. C’est une aberrance ! »73.
Dans la participation et l’échange, chacun donne son avis personnel et parfois nous pouvons nous retrouvons face à nos propres clichés. Catherine de Zuther met en avant les bénéfices qu’apporte la participation : « Nous si on le fait c’est aussi parce qu’on y croit. La participation va nous per-
mettre de se retrouver avec plus d’idées, avec un cadre de l’imaginaire plus grand, et il y a également l’aspect de l’appropriation. Lorsque l’on a pu s’exprimer et qu’on voit certaines idées exprimées se mètrent en place, on a plus envie de respecter le lieu, de l’utiliser aussi. Le regard des gens change également. Ils connaissent et comprennent mieux le lieu. »74.
L’inertie propre à l’intelligence collective est un des aspects positifs de la participation basée sur l’échange. Mais beaucoup d’idées reçues sont liées à la participation. On imagine problème simple et évident, ce n’est pas le cas. Les architectes-paysagistes de la commune d’Etterbeek exposent leur point de vue plus réaliste : « Dans le cadre du contrat de quartier durable d’Etterbeek, nous faisons appel à un bureau extérieur spécialement pour la participation. La participation est une part
72 Ville de Bruxelles, Contrat de quartier durable (crée en octobre 2013, mise à jour en mars 2015). Disponible sur : < http://www.quartiers.irisnet.be/fr/mode-d-emploi/historique-et-evolution> (consulté le 7 août 2015). 73 Christophe Merciez - Annexe 74 atherine de Zuther - annexe
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importante dans les objectifs de ce contrat de quartier, mais c’est un travail à part entière qui demande beaucoup de temps et d’investissement, nous n’avons pas le temps de nous en occuper ».
Leur avis semble plutôt mitigé sur la notion de la participation, car ils ont déjà élaboré d’autres projets, avant le contrat de quartier. « D’abord, les personnes qui participent ne sont pas représentatives de tout le monde. L’échantillon n’est pas assez varié, il n’y a que des militants et que des personnes qui ont le temps de s’investir. Ensuite, le plus compliqué est de faire plaisir aux gens qui se sont investis et qui ont donné de leur temps pour participer. Alors que souvent les personnes pensent à leur besoin et plaisir propre, et non à celui de la communauté. ».
Ils donnent un exemple : lors d’une modification de parcours pour les voitures et piéton dans un carrefour, une décision favorise la personne qui s’est exprimée et défavorise d’autres qui n’étaient pas présentes pour expliquer leurs point de vue. «C’est celui qui parle le plus fort qui sera respecté. Finalement, la participation n’est pas forcément bénéfique pour tout le monde. De plus, un projet va perdre de sa force et de son sens si on essaye de faire plaisir à tous ceux qui ont participé à l’élaboration du projet. La participation c’est bien, mais seulement si cela reste informatif. Ce sont des données et informations que l’on prend mais on ne doit intervenir sur la réalisation. Il faut laisser le spécialiste faire son travail. ».
Ils concluent sur le fait qu’un espace imaginé « pour tout le monde », c’est-àdire pour de multiples usages, n’est pas la meilleure solution. En effet, le square des Ursulines est un espace avec un usage majoritaire, et de multiples usages minoritaires qui en font un espace public à finalité de skate. Finalement, la participation a ses limites et ceux qui l’utilisent en ont bien conscience, ils développent de multiples outils pour palier aux faiblesses de cette notion. En échangeant avec des professionnels, les avantages sont devenus plus clairs, même s’ils ne sont pas faciles à mettre en évidence. Olivier Bastin exprime sa notion du participatif, pour lui, c’est avant tout de l’investissement : «Les ateliers devaient se faire avec des adultes, des jeunes et des enfants. C’était assez lourd comme participation et comme organisation. C’est-à-dire qu’on a animé des ateliers, 8 à 10h le samedi complet, avec des enfants tout-boite amenés par les services de jeunesse, etc. Il faut faire en sorte que des adultes viennent également pour appuyer le processus avec les enfants, faire des ateliers de découpage, de collage, de carton, avec un dispositif évolutifs en plusieurs atelier, prendre le temps de jouer au ballon avec les enfants… Tout ça sur une journée, plusieurs fois, enfin, ça tu vois, c’est la participation complète. »75.
Il parle beaucoup de l’énergie nécessaire pour développer les idées et faire 75 Olivier Bastin - Annexe
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aboutir le projet, mais également de la fatigue que cela peut engendrer. Si on n’a déjà plus assez d’énergie pour un projet, sa réalisation semble déjà comprise. Marie Demanet déclare avec justesse : « Il est important que la participation ne soit pas détachée du projet, parce que souvent on découpe, on demande mettre en place une participation, on a alors à faire à des techniciens qui savent faire parler les gens, mais qui ne connaissent pas le projet, et qui sont effectivement plus neutre et qui sont bons dans ce qu’ils font, mais nous pour faire le projet, on veut savoir ce que les gens en pensent, on veut l’entendre directement et pas par des techniciens qui vont déjà faire une synthèse, une interprétation. Ils ne nous transmettent pas la densité. Toute l’émotion n’arrive pas par exemple. Des tas de choses sont perdus par l’intermédiaire. »76
Elle dénonce le risque qui existe d’aller dans l’institutionnalisation, l’application du cadre trop rigide, sans la compréhension complète de tout le projet, sans les émotions. Judith Le Maire exprime ses doutes: « Une participation trop organisée peut entrainer paradoxalement la perte de valeur subjective et de la spontanéité qui font la fortune des processus conjugués par les pédagogues coconstructeurs. »77.
Cadré, normé serait la perte même du principe qui permet à la participation de fonctionner et d’aboutir. Catherine de Zuther conclue tout de même par : « Le cadre a le mérite de rendre la participation obligatoire. Certaines communes ne seraient peut-être pas du tout intéressées de faire ça, rien que pour des questions de délais, la participation ça prend du temps »78.
Elle évoque le principe où la généralisation permet de toucher également ceux qui semblent les moins intéressés ou les moins concernés par ces idées nouvelles. Finalement, le risque c’est de croire en un nouvel outil magique : « Maintenant que c’est un peu une méthode toute faite de la part des autorités, on
a un peu une manière de penser, que c’est une recette et que ça va aller de toute façon. Il y a donc des sociétés commerciales qui font de la médiation de participation et du coup les architectes ne s’engagent plus. Eux ils font les dessins, d’autres font la médiation, il n’y a plus d’investissement direct et personnel. » 79 « Il faut surtout se dire que la participation n’est pas une recette pour trouver des bonnes réponses. Ce n’est pas la participation qui va dire comment l’architecte va dessiner. La participation va parvenir à donner, générer, créer une énergie en faveur ou contre le projet, en amont du projet. On peut espérer se baser sur des valeurs
76 Marie Demanet - annexe 77 Judith Le Maire, Lieux, bien, liens commun, édition de l’université de Bruxelles, Belgique 2014. P221 78 Catherine de Zuther - Annexe 79 Olivier Bastin - Annexe
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que l’on a envie de partager, plutôt que sur des formes. »80.
La notion de valeur est importante. Finalement la participation permet de créer une entente et pas seulement de mettre en avant de nouvelles idées. Pour finir, nous ne pouvons pas oublier le rôle essentiel que jouent les autorités sur l’espace public, la responsabilité et donc la volonté de se mettre d’accord, où celle de s’opposer : « Je pense que cette question de pilotage est assez importante, c’est l’idée de savoir ce que le pouvoir public fait et qu’est-ce que les citoyens peuvent faire pour eux-mêmes. Ils doivent demander l’accord des pouvoirs publics à partir du moment qu’ils interviennent sur l’espace public. » 81.
Ces différents acteurs professionnels de l’espace public mettent en évidence les difficultés de la participation et de son application. Son institutionnalisation est encore à analyser, pour comprendre quels en seraient les avantages et inconvénients.
80 Olivier Bastin - Annexe 81 Catherine de Zuther - Annexe
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CONCLUSION Finalement, l’institutionnalisation de la participation dans le cadre des contrats de quartier durable permet de l’expérimenter à une plus grande échelle. Plusieurs d’exemple de mise en place et de réalisations dans des cadres différents, orientent les recherches dans ce sens. Mais le plus important est la sensibilisation, des élus et des individus. Avec l’institutionnalisation, tout le monde est touché, et ce sont les personnes qui n’ont pas l’habitude de travailler de cette manière qui vont être concernées. Interpeller les gens, les faire réfléchir, favoriser les associations et les initiatives locales, c’est encourager leur développement et l’impact qu’elles peuvent avoir sur le quartier. Le risque est de mettre la participation dans la liste des outils de l’urbanisation et d’imposer des codes et des normes trop strictes. Car le principe du participatif c’est qu’il peut éclore et s’épanouir d’autant de manière qu’il y a de lieux et d’individus. Nous nous rendons compte que la politique urbaine choisie a un impact significatif, que ce soit sur les instances publiques, ou sur les intervenants privés. Malgré cela, les représentants des instances publiques ne peuvent pas tout faire, voir et réaliser. Parfois ce qu’ils pensent ou font ne correspond pas aux différents besoins et aux différents habitants. C’est pour cela qu’il est intéressant et important, d’identifier et de comprendre les autres acteurs de l’espace public. Les habitants offrent une palette de variété et d’inventivité qui complète les actions qui viennent « d’en haut ». Soutenir les initiatives est louable, mais il est plus intéressant d’expérimenter la participation pour une évolution de l’espace public. Cette action permet d’intégrer pleinement les habitants à la conception d’un espace dont ils font partie. Cela ne peut qu’améliorer le dialogue, la compréhension mutuelle et dans le meilleur des cas faire émerger de nouvelles idées et informations.
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CONCLUSION
L’espace public est comme le jardin de la ville : « Le jardin grandit avec le temps. Il n’est jamais finit, il est sujet au changement et a besoin de soins constants. »82
82 Marie-Hélène Contal, Réenchanter le monde. Manifestô, Paris 2014. P97
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L’espace public est multiple, varié, interprété et perçu de bien des façons. Se renseigner sur son histoire, ses origines, apporte de nombreuses explications sur sa formation actuelle. Il semble pertinent de ne pas limiter son regard aux espaces publics classiques. Il est nécessaire d’imaginer le potentiel de chaque lieu, de chaque recoin et de tout prendre en compte, même parfois de ce qui fait partie du privé. De plus, l’Autre est le réceptacle de toutes les idées qui nous surprennent. Observer la spontanéité, les comportements, les gestes de tous les jours, peut nous amener à une remise en question. Le pouvoir des instances publiques est pourtant sans précédent. La complexité des systèmes administratifs, la pluralité des normes et l’aval nécessaire de certains représentants sont autant de freins à une vie agréable dans l’espace public. Ces règles sont censées protéger cet espace en commun, mais quelle est la place des initiatives qui participent à une plus-value de l’espace public ? Nous distinguons deux moyens d’actions pour les habitants, tout d’abord les initiatives, légales ou non, et ensuite, la participation à un projet proposé. En effet, des micro-projets et des projets de grande envergure sont menés par des bénévoles, des associations, ou même des professionnels qui n’attendent pas toujours l’aval des autorités pour proposer et essayer de nouvelles idées. Ces projets, même micro, composent l’espace urbain et sont une somme d’énergies et d’initiatives à ajouter aux plans d’actions des politiques urbaines. Ainsi, il est indispensable de développer et soutenir le milieu associatif pour permettre à un intermédiaire d’exister entre les autorités et les habitants. Les discussions et transferts d’informations entre les deux pôles d’action se trouvent améliorés et une plus grande compréhension mutuelle s’installe. Le second moyen d’action est la participation. C’est un moyen pour les habitants de donner leurs avis, leurs idées, voir même de concevoir et de réaliser, un projet proposé. Pour les autorités, c’est inévitable, il faut que la participation fasse partie des projets publics, car c’est un moyen d’expression pour l’usager. Les projets publics concernent les habitants, il semble alors logique d’aller vers eux avec l’outil de la participation, de l’information à la réalisation. La participation est réussie lorsqu’elle est libre de s’exprimer, de toutes les manières. C’est pourquoi il semble difficile de l’institutionnaliser, de lui mettre un cadre qui en ferait un modèle. Pourtant, tenter de l’appliquer dans tous les domaines, permet d’ouvrir de nouvelles voies. Même si parfois cela ressemble plus à une corvée qu’à un cadeau, le questionnement fait son chemin, et bouscule nos habitudes conservatrices.
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Schémas de conclusion Situation actuelle en évolution
Initiative, projet public
Fabrication urbaine
Initiative, projet citoyen
administratif autorisation, négociation
Fabrication urbaine
Généralement, les représentants responsables de la ville mettent en place des projets qui s’appliquent directement. La ville exerce donc un monopole sur les décisions prises et les projets réalisés. Les citoyens peuvent plus ou moins facilement réaliser des projets, dépendant des responsables.
Situation idéale
Initiative, projet public
avis, participation citoyenne
Initiative, projet citoyen
administratif autorisation, (négociation)
Fabrication urbaine
Les autorités ouvrent un dialogue certain avec les citoyens concernés, la participation sous différentes forme peut ainsi s’appliquer. Les citoyens peuvent plus facilement réaliser leur initiatives, grace à une meilleur communication, une meilleur compréhension du système, des normes et des applications plus adaptées. L’espace urbain y est plus appropriable, mieux compris et accepté.
Situation risquée
Initiative, projet public
avis, participation citoyenne
Fabrication urbaine Insatisfaisante
Initiative, projet citoyen
administratif autorisation, négociation
Fabrication urbaine Difficile
Les autoritées utilisent la participation, mais de manière trop cadrée et trop stricte, les réalisations ne sont pas à la hauteur attendue, pour les autorités et les citoyens. Les citoyens parviennent difficilement à bout de leur initiatives par trop de règles, normes ou de non-dialogue. Il en découle une perte de confiance On peut revenir à la situation de départ, ou pire une situation de scission par une non compréhension mutuelle. Situation de scission
Initiative, projet public
Fabrication urbaine
= monopole pas de dialogue
Initiative, projet citoyen
Fabrication urbaine
= illegalité pas de dialogue
Les instances publiques exercent un monopole sans dialogue. Les citoyens ne trouvent pas d’autres moyens d’agir légalement et doivent affronter les autorités. Un non-dialogue dans les deux cas se créer et donc une perte de confiance, d’entente, de négociation, de compréhension...
ANNEXES
Entretien avec Benoît Moritz – Professeur en urbanisme à la faculté LacambreHorta. Le 14 mai 2015 « Les stratégies c’est compliqué. Quand on fait un projet d’abord on a une idée, on fait la lecture d’un site d’un territoire, la lecture des qualités d’un lieu. Puis on réfléchit à quels sont les arguments qui vont permettre au projet de se faire. Comment rendre le projet acceptable, comment négocier le projet. Il faut prendre en compte le permis d’urbanisme. - finalement c’est plus faire accepter le projet par la ville que par les usagers ? - à partir du moment que tu ne peux pas le faire accepter pour le construire, il n’existe pas, on est obligé de le faire accepter par le commanditaire. Sinon la lecture du territoire est importante, on observe sur le terrain, on va voir les usagers, on questionne. Mais ensuite, on doit absolument prendre en compte tout ce qui va permettre au projet de se réaliser. Nous on peut pas permettre que le projet ne se fasse pas. Ce n’est pas une question financière ou économique, notre territoire d’action c’est Bruxelles, c’est très compliqué de faire des projets dans les autres régions, en Flandres on peut pas parce qu’on est francophones, et en Wallonie il y a très peu de projet en espace public. Notre priorité c’est de réaliser, on sait que si on va chez MSA, on a quelque chose à la fin. C’est aussi à un moment donné une question de réputation. - Cela limite dans les propositions, vous ne pouvez pas être radical dans une proposition par peur de ne pas la réaliser ? - Il n’y a pas de place pour la radicalité à Bruxelles. Ce n’est pas qu’une question de compromis, il faut faire des projets intelligents. C’est pas parce que ça n’est pas radical que c’est pas bien. Il faut faire des compromis, mais pas un compromis qui est une réduction, plutôt un compromis qui représente le dénominateur commun. Place de la Monnaie c’est un compromis positif, c’est un bon compromis entre plein d’éléments. - Est-ce que finalement l’architecte est très limité dans sa conception (voitures, flux, techniques et impétrants, lois…) ? - Comme sur la place communale de Moolenbeek, une série de décisions qui ont eu lieu en amont et ont permis de faire la proposition d’un espace partagé, au lieu d’un espace de stationnement de 90 places. L’architecte arrive alors au moment où il y a déjà eu des prises de décisions, proposer un espace partagé est alors possible. Si on était venu en concours proposer cela, sans discussion en amont, rien n’aurait été possible. La décision était déjà là, c’est pour cela que ça s’est fait. Le projet est facilité. L’impact des décisions politiques est important. Ça ne va pas quand on dit c’est à l’architecte d’avoir des idées et on verra bien ce qu’on fait après. Si, l’architecte peut avoir des idées, mais il a une mission d’exécution dans le projet. On lui demande de réaliser un projet, donc les décisions doivent être prises avant. Par exemple, à Woluwe, il y a deux places où il y a des voitures en plein milieu, et on a voulu savoir ce qu’il se passait avec les voitures, et on nous a dit « donnez-nous des idées on verra ensuite ». C’est la meilleure réponse pour que le projet ne se fasse jamais, où qu’il mette dix ans à se faire. On peut proposer une place sans voiture, mais si le problème n’a pas été résolu avec les riverains et les différentes autorités, rien ne changera et c’est pas l’architecte qui va faire cela. Pour qu’un projet se réalise, il faut estimer quels sont les facteurs qui lui permettent de se réaliser. La radicalité n’a pas sa place. Le projet le plus radical en ce moment c’est celui de la place Rogier, 132
avec l’auvent, et c’est un projet qui a dix ans, et je pense que l’architecte ne fera plus de projet comme celui-ci. C’est long, c’est usant, c’est intéressant, je suis content que le projet se fasse, mais en attendant c’est long. Même quand c’est accepté, il y en a qui viennent encore te voir. Les projets publics sont commandés par les politiques et les politiques ils ont leur agenda à respecter. Le projet de Geyter a été choisi il y a deux législatures régionales (2006-2007), puis il y a eu des élections régionales en 2008-2009. En Belgique, les régions c’est comme l’Etat, elles sont super fortes, le ministre a changé et la nouvelle est arrivée et a dit je ne veux plus de ce projet. Elle voulait la place, mais pas l’auvent et ça a mis presque une législature pour faire accepter le projet comme il était à l’origine. Puis finalement il se construit avec du retard. - Pour les espaces publics on est finalement très dépendant des législatures et des changements. Tous les cinq ans c’est pas assez pour un projet en urbanisme. - la place de la Monnaie c’est un projet qui a commencé en 2005, l’échevin (adjoint au maire) a changé depuis et il a mis deux ans à savoir s’il poursuivait le projet ou non. Finalement le projet est fait. Une nouvelle majorité est élue, et ils se plaignent du projet car ils n’étaient pas associés au choix, aux négociations avant. - Est-ce qu’il peut y avoir une protection par rapport à cela ? - Non, il n’y a aucune protection, ce sont eux qui payent. Ce sont les aléas de l’espace public, c’est pas normal mais ça en fait partie. Place de la Monnaie, on a voulu mettre en valeur le théâtre comme c’était à l’origine, très simplement, en dégageant l’espace qui était avant encombré de bacs à plantes. On a dû revoir tout le sous-sol, c’est une cabine haute-tension qui gère tout Bruxelles. C’est un immeuble qu’il y a en dessous. C’est un effort que personne ne voit et donc personne ne reconnait cela. On nous dit vous auriez pu mettre des arbres, quand tu vois ce qu’il y a en dessous c’est impossible. - C’est comme pour la place Flagey, on ne peut presque pas mettre d’arbres parce qu’il y a un parking en dessous. Les impétrants ont un impact important que les gens ne voient pas. - Place de la monnaie, c’est un immeuble qu’il y a en dessous, c’est tout le réseau de haute tension qui alimente tout le pentagone en électricité, tu peux vraiment pas faire n’importe quoi ! - Est-ce qu’il y a des places qui pour toi ne fonctionne pas ? Par exemple, la place Saint-Denis à Forest, elle fonctionne d’un côté parce qu’il y a quelques commerces et le tram, mais de l’autre c’est vide. - C’est un bon exemple, c’est une place où on a juste refait la bordure, on a mis deux, trois bancs et des arbres et on ne s’est pas posé la question de qu’est-ce qui peut se passer là. Il n’y a pas eu de réflexion sur les usages. Mais ça n’est pas que lié à l’aménagement, c’est également lié à l’emplacement. En haut il y a une chaussée, et en bas c’est plutôt des ruelles. Mais l’aménagement n’est pas très intéressant, effectivement. L’exemple Place Peter Benoît. - Ce sont finalement les places qui n’ont pas encore été repensées ? Les places de première génération ? - Les places de première génération contrastent par rapport aux nouvelles générations de places qui sont pensées par des architectes, des paysagistes, ce sont des places où des équipes pluridisciplinaires interviennent, où ils réfléchissent au sol, mais aussi au mobilier urbain. J’insiste sur le mobilier urbain, et au sens qu’il peut acquérir. Au temps de Léopold II, ce sont les bêtes bancs en lattes de bois, mais quand tout à coup on met, comme sur la place communal de Molenbeek, un banc, c’est aussi un podium, c’est plusieurs choses à la fois. C’est interprété et approprié de différentes manières. Ça pose la question du mobilier standard. Pour la place de la Monnaie, le mobilier qui est dessus, il a été dessiné spécifiquement pour la place. C’est faisable parce que c’est la place de la Monnaie, mais pour une petite place de quartier c’est beaucoup plus difficile de commencer à remplacer les éléments. Il faut entretenir tout le temps et c’est la question du standard et du spécifique. Le spécifique c’est plus d’argent, de compétences, de temps… 133
Plaine de jeux Bonnevie par Suède 36, il a beaucoup travaillé sur les appropriations dominantes. - L’idée c’est que si on fait un espace pour tout le monde, personne ne s’y retrouve vraiment ? - Tout à fait, au parc Bonnevie, [c’est un terrain de jeu, l’appropriation dominante est pour les enfants] il a créé un espace pour les jeunes, ou du moins pour ceux qui veulent trainer, avec des banquettes. Au lieu d’être partout, il y a un espace pour eux. Comme ça le reste est libéré et devient donc appropriable par d’autres. Il faut complexifier les usages, et le mobilier peut y aider. Ce n’est pas avec une approche standard et du mobilier standard que les usages vont évoluer. Place du cheval blanc [place rénovée en 2009], elle a été conçue de telle manière que rien ne puisse s’y passer. On a fait des bancs de telle manière qu’on ne peut pas jouer à la balle. Il y a une autre petite place, avant il y avait des bancs, et des jeunes traînaient et ça dérangeait. Alors on a enlevé les bancs, puis on a mis des bacs à plantes pour empêcher de jouer au ballon. C’est comme l’explique le livre « Creating defensible space», on met des différences de niveaux, des bornages, des portes, des douves qui vont montrer qu’il y a une différence, une limite entre deux espaces, même si c’est toujours public. - Par exemple dans le quartier européen, jusqu’à quelle limite il faut favoriser la sécurité à la pratique de l’espace public par les habitants ? - Aujourd’hui ça commence à changer. La place Jean Rey, avant il y avait des terrains vagues autour, et maintenant ils pensent à réaménager la place parce qu’il y a des immeubles de logements. Le projet de Geyter pour la place Shuman ne sera surement pas fait. Il s’est disputé avec le maitre d’ouvrage. L’espace public en France est très différent, il faut faire la part des choses. C’est très différent partout. En Belgique et surtout à Bruxelles c’est très particulier. A Paris il y a une certaine unité, ce n’est pas le cas ici. Tout est complexe et différent, tout change suivant les communes, suivant qui est responsable de quoi. Il y a de l’asphalte partout, à Bruxelles tu as un matériau dans cette rue, le trottoir d’en face c’est différent, la rue d’à côté encore un autre… Cela peut être intéressant de confronter les différents espaces publics dans différents pays, qui est responsable, comment c’est géré… Prend une place à Paris, à Bruxelles, à Londres… - Est-ce que tu as déjà fait du participatif ? Comment cela s’est passé ? - Oui j’ai déjà fait. D’abord, plus un projet est grand et plus c’est difficile. Car plus c’est grand et plus ça a des intérêts financiers et plus les personnes viennent avec des conditions. Je pense qu’il faut réinventer le processus de participation. Il faut le faire de manière structurée et organisée, aujourd’hui c’est encore une méthode floue. Par exemple, pour le boulevard Anspach, il y a une décision de faire un piétonnier et aucun processus participatif n’est mis en place. Certaines personnes ont essayées de s’impliquer et de remettre en question le mini-ring. Et on leur a dit de se concentrer sur les fontaines, et les bacs à plantes et de ne pas remettre en question les autres décisions. Là ça ne va pas. La participation, comme en parle Mathieu Berger, un sociologue, doit encore se mettre en place. D’abord sur des espaces locaux, plus petit et petit à petit c’est une méthode qui va s’améliorer. Mais à partir d’une certaine taille, on doit passer à d’autres méthodes. Historien, David Van Rey, a écrit contre les élections. C’est toute une réflexion sur la démocratie, en parlant de d’autres méthodes que les élections. Il parle de tirage au sort. C’est toute une réflexion de comment sont prises les décisions plus participatives. Les tirés au sort sont encadrés par des spécialistes, mais les personnes ne sont pas élues. IL parle surtout de dispositifs parallèles qui permettent d’impliquer les personnes dans les discussions de développement du pays, de la ville.
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Entretien avec les architectes paysagistes d’Etterbeek Vincent De Vadder et Valmy Vancompernolle Jeudi 19 mars 2015 «Les architectes paysagistes, ils sont deux et font généralement tout de A à Z. Il est arrivé quelques fois qu’ils fassent appel à un bureau extérieur, comme le bureau le marinel. Mais généralement cela n’est pas du tout avantageux. Le travail effectué n’est pas toujours satisfaisant, et puis c’est souvent difficile et une perte de temps car eux connaissent le projet et ils doivent fournir tous les documents au bureau extérieur qui eux doivent en prendre connaissance, comprendre le projet, etc. C’est un peu un travail doublé. Cela n’arrive donc que très rarement. Il y a toutes les personnes compétentes pour effectuer le travail nécessaire (géomètre, ingénieur, architectes, paysagistes…). « Dans le cadre du contrat de quartier durable d’Etterbeek, nous faisons appel à un bureau extérieur spécialement pour la participation. La participation est une part importante dans les objectifs de ce contrat de quartier, mais c’est un travail à part entière qui demande beaucoup de temps et d’investissement, nous n’avons pas le temps de s’en occuper. » Leur avis semble plutôt mitigé sur la notion de la participation, car ils ont déjà fait d’autres projets, avant le contrat de quartier, avec de la participation. « D’abord, les personnes qui participent ne sont pas représentatives de tout le monde. L’échantillon n’est pas assez varié, il n’y a que des militants et que des personnes qui ont le temps de s’investir. Ensuite, le plus compliqué est de faire plaisir aux gens qui se sont investis et qui ont donné de leur temps pour participer. Alors que souvent les personnes pensent à leurs besoins et plaisirs propres, et non à celui de la communauté. ». Ils donnent l’exemple d’une fois, lors d’une modification de parcours pour les voitures et piétons dans un carrefour, qui a clairement favorisé une personne et défavorisé d’autres qui n’étaient pas là pour s’exprimer. « C’est à celui qui parle le plus fort qui sera respecté. Finalement, la participation n’est pas forcément bénéfique pour tout le monde. De plus, un projet va perdre de sa force et de son sens si on essaye de faire plaisir à tous ceux qui ont participés à l’élaboration du projet. La participation c’est bien, mais que si cela reste informatif. Ce sont des données et informations que l’on prend mais que l’on ne doit pas réaliser. Il faut laisser le spécialiste faire son travail. » Les interventions spontanées doivent avoir une autorisation pour se faire. Tout ce qui est éphémère est en liaison avec le service d’animation. Si les gens étaient libres d’intervenir dans l’espace public, ils se garderaient une place de parking devant chez eux. Les initiatives personnelles ne doivent pas primer sur l’intérêt public. Parfois, l’argument de la sécurité peut aider à dégager de l’espace pour plus de trottoir. Comme un manque de visibilité devant un passage piéton, une amélioration pour desservir un bus… Mobilité : Mentalité Etterbeek : moi, mon travail, ma voiture ! A Etterbeek, le quota de voiture à partager est déjà atteint depuis longtemps, il y a plus de demande, mais Bruxelles veut d’abord le développer dans les autres communes. Cambio. 1 voiture cambio représente 10 à 13 voitures personnelles. 136
Il y a également de plus en plus d’arceaux pour les vélos, les magasins vont même aller demander des stationnements vélos pour offrir plus de services, alors qu’avant c’était une honte. Pratiquement toutes les rues sont limitées à 30 km/h à Etterbeek. Les pré-jardins doivent obligatoirement rester des jardins (ils ne doivent pas devenir des places de parking par exemple, comme ça avait été le cas à Londres). Mais le RRU va indiquer si on peut oui, ou non avoir un recul par rapport à la rue, et souvent on n’a pas le choix. Une rue avec un alignement le long du trottoir aura peu de chance d’évoluer pour offrir un jardin à l’avant de son bâtiment si on le refait. L’espace public en général est géré par trois facteurs : - Le RRU (Règlement Régional d’Urbanisme). Il va donner les alignements des façades, la régularité de la rue… - Le style architectural. Si la rue est homogène et style néoclassique, comme c’est beaucoup le cas à Bruxelles, il faut mettre en place quelque chose qui se met en accord, qui reste dans le même style. Dans ce cas-là, très homogène. - Les voitures. On ne peut le négliger, mais souvent deux places de parking vont donner l’espacement entre deux arbres, la largeur des voies va limiter les possibilités d’aménagements… Le facteur personnel est finalement très loin derrière tout cela. Il y a une envie d’homogénéité, de conserver un style, de rendre agréable à la vue, tout cela reste subjectif, mais n’a que peu d’impact sur le résultat. Finalement, ce qui bloque le plus une évolution, ce ne sont pas les personnes qui font ces projets, ce sont toutes les règles qui vont les entourer. Si le RRU, ou le style architecturale n’évolue pas, il y aura très peu d’opportunité pour eux d’intervenir d’une autre manière. Les personnes susceptibles de faire évoluer ces lois sont-elles réellement sur le terrain ? Voient-elles le potentiel dans ces rues ? ou seulement un style et une homogénéité à conserver ? Pour qu’un arbre se développe pleinement il lui faudrait 10 à 15 m3 de terre.
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Entretien à la maison de quartier d’Etterbeek avec Betty D’haenens 27 mai 2015 « La maison de quartier existe depuis 21 ans maintenant. Avant c’était une maison de jeunes, et puis plus rien ne se passait dans le bâtiment. Il y eu une volonté de redonner une utilité à ce bâtiment, notamment pour recréer du lien social. La première volonté fut de mettre en place le restaurant social ouvert à tous. Cela permettait de créer des liens, des rencontres. Ensuite, le second projet important fut le travail avec les enfants. Créer des évènements à travers les enfants est un très bon facteur de rencontre, de mixité sociale, d’accessibilité vers l’autre. La maison prit de plus en plus d’importance en participant à de nombreux évènements et également en en mettant en place d’autres. Comme la fête de quartier avec toutes les autres associations. Depuis 10 ans déjà, il y a également des initiatives au niveau environnemental pour la maison de quartier (produit bio ou local pour le restaurant, utilisation de produit de ménage écologique…). Le groupe « Quartier Vert » met en place des initiatives comme l’entretien des pieds d’arbres de quelques rues et la création de bancs et bacs à fleurs avec du matériel de récupération et peint par les enfants. Ceux-ci sont placés dans les rues alentour et sont entretenus par un habitant responsable de son banc ou bac. L’idée du banc est très forte pour la maison de quartier, c’est un facteur de rencontre entre les habitants et c’est également essentiel pour pratiquer l’espace public pour les personnes à mobilité réduite. Lorsque la place Saint-Antoine fut réhabilitée par la région, car la voie qui y passe est régionale, de nombreux bancs ont été mis en place, mal installés, mais il y avait de quoi s’asseoir. De nombreuses plaintes des habitants par rapport à une insécurité face à des bandes de jeunes sont parvenues au bourgmestre. Il finit par en avoir marre et décidât de supprimer la moitié des bancs. La maison de quartier et les autres associations d’Etterbeek se sont manifestées contre cette idée, ils n’ont eu aucun impact face au bourgmestre. Ils décidèrent alors avec l’aide d’un sociologue de faire une analyse et étude du lieu pour mettre en valeur les réels problèmes. Car enlever des bancs c’est déplacer le problème, pas le régler. Si on chasse les jeunes ceux-ci vont ensuite ailleurs, et puis ailleurs et finalement ils se sentent rejetés par le quartier et le système au lieu d’y être intégrés. Suite à l’étude, une rencontre fut organisée avec le bourgmestre pour partager les informations et apporter une analyse concrète à la situation. Le message est passé, le bourgmestre s’est un peu plus rendu compte de la situation et surtout de l’importance du rôle que joue les gens sur le terrain, de l’expérience qu’ils peuvent apporter. Aujourd’hui encore lorsque l’on parle de bancs c’est difficile. Lorsque les habitants et la maison de quartier ont voulu réaliser des bancs et ils ont dû demander l’autorisation à la commune pour les mettre dans la rue. La commune donna un avis défavorable parce que les bancs pouvaient être dégradés et que fait en récupération cela n’est pas très « mobilier urbain ». Après l’insistance des habitants, ils acceptèrent les bacs de plantes et demandèrent une évaluation sur une année pour voir comment ça tient. Comme une personne est responsable pour s’en occuper et qu’aucun problème ne se déclara, les bancs purent être installés l’année d’après. »
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Entretien avec Christophe Mercier de Suède 36 02 juin 2015. Contact très facile, j’arrive à lui prendre un peu de temps sur son temps de midi, on mange ensemble un morceau. Il accepte que je le tutoie tout de suite. On ne parle que peu des projets du bureau, mais plus d’un rapport général à l’espace public et urbain. Le fait d’aborder les différents acteurs et de les confronter est pertinent pour lui. L’architecte et l’urbaniste ne sont pas la voix de la raison, mais l’habitant ne doit pas être mis sur un piédestal non plus. Il est intéressant de voir quelles complémentarités ils peuvent avoir. Tout de suite il me parle de la responsabilité, c’est en parti pour cela qu’aujourd’hui il existe une instance publique, c’est pour prendre la responsabilité de ce qui se déroule dans l’espace urbain. Il y a des normes établies avec le temps et avec des spécialistes. Mais parfois les lois et politiques peuvent bloquer l’évolution urbaine. Exemple de la loi qui laisse le pouvoir à tout bourgmestre de commune d’exprimer son véto sur un projet qui passe dans sa commune. Mais parfois, le fait d’être près de ces électeurs, comme un bourgmestre de commune, ne permet pas toujours de faire des actions qui vont leur déplaire, surtout si on souhaite être réélu après. Ce n’est pas le comportement du bourgmestre de Bruxelles-centre qui a pris la décision de fermer définitivement le boulevard Anspach, centre de Bruxelles. Paris difficile, car l’opinion publique est très divisée, mais elle répond aux occupations PickNickDay de l’été 2014, où près de 3000 personnes venaient demander la réappropriation de l’espace urbain. « L’espace urbain ne doit pas forcément devenir ou être un espace d’échange. On dit beaucoup « il faut que les gens se rencontrent », il faut que les gens échangent et se parlent, qu’il y ait une connexion sociale. Dans un parc on met un grand abri, et puis on pense que les gens doivent se parler… En face de chez moi il y a un parc où tous les promeneurs de chiens se retrouve, c’est une vraie bande. Avant je ne me rendais pas compte de l’importance que cela pouvait avoir. Il y a des gens qui ont un chien, seulement pour sociabiliser. Les joggeurs c’est très différent, chacun cours avec ses écouteurs et garde ces œillères, mais ce n’est pas grave. Il peut se passer des choses dans l’espace public, mais il ne faut pas forcer les gens à échanger et communiquer. C’est une aberration ! » « Dans mon ancien quartier, pour mettre la fête de quartier sur pied, on était quatre familles, qu’on a voulu mixtes, une famille de Bobo, la mienne, les voisins d’en face, les bourgeois, une famille turque et de jeunes belges. En une réunion de 1h30 tout était réglé, on a bloqué la rue une journée, une grande table avec des choses à manger et puis c’était tout. Les enfants jouaient dans la rue partout, avec des dessins à la craie sur la route. On pouvait parler de tout et de rien, il y a eu 120 personnes, une grande réussite ! On l’a fait 3 ans de suite, puis ça s’est un peu essoufflé, et ensuite je suis parti. Lorsque j’ai changé de quartier, de Saint-Josse pour altitude 100 à Forest, ça change de tout au tout. A Saint Josse, les gens n’ont pas envie de rester, on arrive là-bas, on se sent empêtré dans les problèmes, les bouchons, les voitures, les problèmes dans la rues… ici on a envie de rester. Le cadre est essentiel à comprendre lorsqu’on arrive dans un lieu, cela change tout. » « Lorsque les études pour les travaux place Flagey ont été lancées, il n’y a eu aucun concours 140
d’architecture qui a été fait. Agoras était responsable du projet comme ingénieur et c’est la filière architecture qui dû faire le projet. Il n’y a eu aucune réflexion sur l’espace public. C’est à ce moment-là qu’on a mis en place la « Plate-forme Flagey ». On a fait un appel à idées et on a reçu une centaine de propositions, dont 20% était de l’étranger. C’était tout à fait remarquable. Après l’exposition et les échanges avec les autorités, tout le monde s’est rendu compte que cette place avait de l’importance. Le bourgmestre du moment appréciait les idées, mais ne voyait pas l’intérêt de faire un concours. C’est avec le nouveau Bourgmestre, Pascal Smest, qu’on a pu mettre en place un concours, avec des rencontres avec les habitants et des points infos. Tout n’a pas fonctionné, c’est sûr, mais avec ce projet, l’idée de l’espace public et de l’habitant a évolué à Bruxelles. Les gens ont vu que leurs avis avait de l’importance et que si on a la volonté on peut renverser les choses ! » Durant un moment, il parla beaucoup de politique. Comprendre comment ça fonctionne, et dépendre des différentes personnes qui peuvent agir. Le pire c’est comme dans l’exemple de Flagey, où tout un processus est mis en place, des décisions, des volontés, des discussions, et une personne doit donner son accord, et si cette personne ne trouve pas ça bien, elle peut dire non. Parfois les arguments sont purement personnels et pas du tout argumentés : « A mais non, je préfère m’asseoir sous un arbre, c’est bien plus agréable ». Disturb et Plateforme Flagey ont fait avancer les choses au niveau de la réflexion sur l’espace urbain. La vision de l’habitant a changé, à ce moment-là on ne le considérait pas du tout, il n’avait pas son mot à dire. Aujourd’hui, on lui accorde presque trop d’importance. Il faut trouver un équilibre, et voir quelle complémentarité cela peut apporter sur la réflexion d’un lieu et sa conception. « L’écologie ne devrait même pas être un parti à part entière, mais bien être transversal dans toute la politique, c’est comme il est normal d’aider les pauvres, et bien il est normal de rendre un espace au piéton. » « Place des Ursulines est un lieu très intéressant à étudier. Ça été financé par les instances publiques, mais c’est une idée à l’origine du quartier, des habitants. Recyclart est pour beaucoup dans la nouvelle vie du quartier. Avant, il faisait beaucoup pour le quartier, ce sont même deux urbanistes qui ont lancé le projet au départ. La question des espaces publics les intéressait donc beaucoup. A force d’activité et d’action, de nouveaux habitants sont venus s’installer dans le quartier. Tellement qu’on s’est plaint des nuisances sonores des soirées de Recyclart. » « Entre programmation et conception, il y a souvent une étape très importante qu’on oublie. C’est l’identification ! Il est essentiel de prendre du temps pour être sûr de savoir sur quoi on part. On doit savoir ce qu’il se passe pour les voitures, on les garde ? on les garde pas ? on fait un parking ou non ? on fait piéton ou non ? on choisit quel type de mobilier ? dans quel but ? telle rue à quel objectif ? quels usages on espère ? quels types de poubelles même ?! si les poubelles choisies, parce qu’elles sont plus belles, ne sont pas pratiques et que les services d’entretien ne veulent pas les vider, ça ne sert à rien… Il faut étudier tous les facteurs, toutes les facettes de l’espace où on intervient et après on peut parler de conception. Ainsi le projet est réalisable. Généralement ces prises de décisions doivent être prises par le commanditaire, et non par l’architecte. » « On a réalisé le projet de la rue tout en jaune, c’était très rock’n’roll . Avec le recule je ne sais pas si je referais cela ». « Le Bourgmestre actuel prend un risque en fermant le boulevard Anspach. Il a un plan de mobilité, et propose de faire des parkings, mais l’idée de fermer un des plus grands axes de Bruxelles est super intéressante. »
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Entretien avec Catherine de Zuther et Marie Demanet de ERU 2 juillet 2015 - Pourquoi tu t’intéresses au contrat de quartier Chasse-Grey ? - Tout simplement parce que c’est l’endroit où je vis, et c’est pour moi le meilleur point de vue que je pouvais apporter au niveau quotidien, et je suis allée voir les associations et maisons de quartier locales. - Contrat de quartier c’est un contrat qui se noue entre les communes et la région, qui a la particularité d’avoir une vision globale à l’échelle du quartier en terme de revitalisation. Qui a pour objectif premier de refaire et d’augmenter la part de logements moyens modérés, de rénover les espaces publics, mais alors à ce moment-là avec la commune comme maître d’ouvrage. Et au fur et à mesure de l’évolution du mécanisme, la part citoyenne a été de plus en plus importante, avec dans un premier temps un appel aux citoyens pour qu’ils s’expriment sur ce que fait la commune. Donner un avis sur les différents projets réalisés. Et ensuite dans un deuxième temps leur donner la capacité de développer des projets, qui s’appellent aujourd’hui les projets sociaux-économique, c’est pour les associations. Développer des projets qui puissent rentrer dans le projet de revitalisation et le contrat général du contrat de quartier. - Pour mettre ces projets en place, vous donnez des conditions pour que ça rentre dans le contrat de quartier ? - Alors, nous le bureau d’étude nous établissons le dossier de base, qui est le diagnostic, la définition d’enjeux prioritaires et l’établissement d’un programme. Ces enjeux prioritaires, c’est le cadre général des priorités du quartier et donc les projets socio-économiques doivent effectivement s’inscrirent dans ces enjeux prioritaires. Ce qu’il faut savoir c’est que c’est un mécanisme qui est cadré par la région et il y a également un cahier des charges qui définit de manière très précise comment tout doit se mettre en place. Ça fait partie des programmes qui sont extrêmement normés et cadrés. Pour ce quartier-ci, nous avons défini trois enjeux prioritaires de dualisation, essentiellement social à réduire. Par exemple la chaussée de Wavre recèle d’un magnifique potentiel, mais joue actuellement plus un rôle de barrière que de lieu de rencontre. Donc un enjeu pour favoriser les rencontres. Car le quartier est un quartier extrêmement dense et il y a finalement relativement peu d’espaces publics, du moins l’espace public est peu large, dégagé, ouvert, on a pas de grand place qui respire. La plus grande place c’est la place Jourdan, mais elle à un rôle commercial et de tourisme fort. Elle n’est pas une place de quartier. Par rapport à cette capacité pour les citoyens et le secteur associatifs d’intervenir par rapport au contrat de quartier il y a les projets socio-économiques qui permettent d’avoir des subventions. Les associations introduisent des projets et il y a un choix qui est fait. Dans ce quartier-ci on a une cinquantaine de projets qui ont été introduits et il y en a 27 qui ont été sélectionnés. - Ces projets ont donc été proposés par des habitants, des associations ? - Non c’est plus compliqué que cela, les projets socio-économiques peuvent être des projets communaux, et des projets des associations locales, mais ils ne peuvent pas être introduits directement par des habitants. Il faut avoir une personnalité juridique. Par contre ce qui se fait de plus en plus dans les contrats de quartier et ce qu’Etterbeek à fait, c’est de prévoir un appel à micro-projet, c’est donc prévoir une enveloppe budgétaire pour, à travers des appels, subdiviser des petites interventions qui sont de l’ordre de 2 à 3000 euros. Cela permet aux habitants d’avoir des actions propres, qui peuvent être événementielles, une fête de quartier, ça peut aussi être des 142
petits projets de requalification, de réaménagement. Maintenant au niveau de l’espace public, c’est une intervention par la commune elle-même. Comme il n’y a pas de grands espaces importants, de nombreux petits espaces vont être réaménagés. Tous ces projets ce sont des projets de la commune, avec pour certain le soutien du Bouwmeester. Dans le cadre de la participation citoyenne, dans le dossier de base il y a un appel à consultation citoyenne, il y a différents outils de participation. Pour ce contrat de quartier, la commune nous a confié une autre mission complémentaire durant la mise en œuvre pour soutenir la participation. On est toujours dans l’idée de rassembler ces avis, et que la commune réponde au mieux aux avis des habitants. On est pas dans un projet fait par les habitants que la commune viendrait soutenir. Les outils mis en place ce sont des enquêtes de terrain, des questionnaires, des tables rondes de discussions, des marches exploratoires - Pour les personnes qui ne sont pas ou moins présentes parce qu’elles ne peuvent pas ou n’ont pas envie, vous faites comment par rapport à cela ? - la participation à ces limites et on sait qu’on ne va jamais toucher 100% des personnes. Mais chaque cas est différent. Par exemple, pour la réouverture de ce jardin, c’est en intérieur d’îlot, avec des habitants et un home, on envisage donc de faire une table ronde pour les riverains, et ensuite de faire du porte à porte pour les riverains dont les jardins touchent le parc. Pour le réaménagement de la place de Theux, on a fait un atelier participatif lors de la fête de quartier. A ce moment-là on s’est intégré à la fête et on a fait la démarche d’aller voir les gens pour leur demander leur avis. On a fait des flyers… On connait les limites. Pour le jardin Hap, on a fait des flyers pour tout le monde dans le quartier, et on sait que tout le monde ne le lit pas, ils sont parfois jetés rapidement à la poubelle. Pour tout ce qui est intervention de l’habitant, c’est vraiment de la micro-intervention, pour ce qui est pérenne, il faut toujours un accord de la commune. Ensuite il y a également des mécanismes qui existent, comme l’appel à projet « Quartier vert » de Bruxelles environnement, les comités de quartier durable citoyen. On est peut être un pas en avant dans le soutien aux habitants pour les petites initiatives. Il y a des ponts qui se créent, et notamment les quartiers durables citoyens sont des acteurs actifs dans la commission de quartier du contrat de quartier durable. Les personnes qui se sont investies dans ces initiatives citoyennes sont aussi parties prenantes pour donner leur avis dans le contrat de quartier. Un autre exemple, c’est « Quartier vert », la maison de quartier de Chambéry a développée une opération quartier vert, dont elle est pilote, mais pour lequel ils font aussi du porte à porte et ils essayent d’avoir la participation des habitants. Ici, comme il y a des enveloppes pour intervenir sur l’ensemble du quartier, et qu’il y a notamment une opération qui s’appelle « Quartier Baucq » qui vise à une série d’interventions sur ce quartier-ci. Si un groupe d’habitants vient avec une idée de réoccuper une petite placette ou un élargissement de trottoir devant chez eux. C’est un type de projet qui sera analysé, regardé et on verra par rapport au contrat de quartier ce qu’il se passe. Des différents aménagements font partie d’une planification d’ensemble, il ne faudrait pas qu’ils se contredisent. Je pense que cette question de pilotage est assez importante, c’est l’idée de savoir ce que le pouvoir public fait et qu’est-ce que les citoyens peuvent faire pour eux-mêmes. Ils doivent demander l’accord des pouvoirs publics à partir du moment qu’ils interviennent sur l’espace public. - c’est intéressant de voir la différence entre ce que peuvent faire la commune, et les autorités et en parallèle ce que peuvent faire les habitants et quels impacts cela va avoir sur l’espace public. Ce n’est pas l’un ou l’autre qui va être plus important. C’est plutôt les interactions entre les deux qui sont intéressantes. - Oui tout à fait, et c’est vrai que les pouvoirs publics vont de plus en plus dans ce sens. Nous sommes un bureau relativement ancien, et on a une expertise d’accompagnement et de 143
développement de stratégie au niveau de la ville de Bruxelles et on a pendant 17 ans été intégré au sein du service d’urbanisme pour une mission tout à fait spécifique qui s’apparente un petit peu aux agences d’urbanisme et donc on a défini un programme général de revitalisation et mis en œuvre ce programme. Et par ailleurs on a été chercher différents outils urbanistiques, dont les contrats de quartier pour créer des liens avec ce programme général, donc on a fait un contrat de quartier en 2000, dont on a établi le programme et dont on a suivi la mise en œuvre, pour un des quartiers du centre de Bruxelles. Puis on a fait des contrats de quartier à Saint-Gilles, Saint Josse, Etterbeek. Et puis on est intervenue pour une mission environnementale ici dans le centre-ville. Par ailleurs on a été pendant 6 ans les coordinateurs de l’appel à projet quartier durable citoyen pour Bruxelles environnement. On a donc une vision assez large et que nous abordons les questions de faire dialoguer citoyens et pouvoir public, c’est quelque chose que nous actionnons depuis 15-20 ans. L’opération intéressante c’est celle-ci : 4.1 Baucq. C’est une opération, où il y a cette capacité de ce type d’intervention, type micro-intervention. Etant donné qu’il s’agit d’une enveloppe de 450 000 euros, mais qui a pour vocation d’améliorer un ensemble de ce quartier-ci et notamment par des zones de respiration qui sont données par des petites interventions dans l’espace public. - Dans le participatif, est-ce que ce sont des gens du bureau qui vont voir les habitants, ou des spécialistes, comme des anthropologues, des sociologues ? - Ici c’est notre mission la participation. Au sein de l’équipe nous avons le rôle de facilitateur, de médiateur, de coordinateur, ou d’animateur, suivant l’expertise que l’on a. Au fil des missions on a pu expérimenter différents types d’animations pour voir ce qui convient le mieux suivant les besoins. C’est vraiment une mission qui est spécifique et que l’on ne retrouve pas dans le programme. C’est un rôle supplémentaire de soutien, de facilitation, entre les auteurs de projets que la commune désigne par projet, et la commune elle-même. Parce qu’il s’agit d’un contrat de quartier qui a quand même pas mal d’enjeux. Le périmètre est grand, c’est le premier contrat de quartier à Etterbeek, et du coup sur ce territoire. C’est une commune qui ne connait donc pas du tout le fonctionnement des contrats de quartier alors que ça existe depuis 20 ans à Bruxelles. C’est quelque chose qu’on l’on a rapidement établi dans le diagnostic. Si la région nous demande d’analyser les opérations de rénovation urbaine, on a analysé directement Etterbeek et c’est son premier contrat de quartier, il est directement voisin avec Ixelles qui a connu cinq contrats de quartier. D’un côté on a cinq couches, un service de la rénovation urbaine, plusieurs employés, il y a vraiment toute une équipe. Alors qu’à Etterbeek, ils ont complètement découvert le mécanisme. Le périmètre est grand, le périmètre est dense, au niveau du bâti, il est donc fortement habité. Il y a également de nombreuses associations actives dans le quartier et je pense que c’est ce qui a pesé lors d’une demande d’un bureau extérieur pour faire une analyse. - Cela veut dire qu’un bureau extérieur pour analyser est quelque chose de nouveau ? - la participation dans le cadre de l’élaboration du programme, ça été intégré de manière beaucoup plus formel en 2010. Mais ça existait déjà depuis les années 90 environ sous la forme de CLDI (commission local de développement intégré), et en 2010 c’est devenue commission de quartier. Il y a par ailleurs la demande pour avoir d’autres types d’animations participatives qui soient plus informelles. En fait, ce sont des choses qui se sont faites de manière volontaire et non cadrée dans certains contrats de quartier, qui ont ensuite été intégrées dans le processus. - aujourd’hui ça devient donc une obligation pour respecter les conditions du contrat de quartier, est-ce que c’est toujours intéressant, ou est-ce que ça perd son côté spontané et informel ? - c’est très compliqué, parce que maintenant on a un cadre formel, alors pour la participation nous on a une quinzaine d’animation, mais c’est que lorsqu’on a la question que l’on va définir la manière de procéder. Il n’y a pas de recette toute faite. - Parce que pour chaque lieu, la participation va être différente, simplement parce que les gens 144
sont différents. - Il faut essayer d’adapter un peu ses méthodes au sein du cadre. Autant le cadre a le mérite de rendre la participation obligatoire. Certaines communes ne seraient peut-être pas du tout intéressées de faire ça, rien que pour des questions de délais, la participation ça prend du temps. Voilà, je te donne les documents comme exemples sur ce que l’on a fait pour la journée du 19 mai au jardin Hap. On distribuait avant le programme sur la journée pour inviter les gens à venir, avec un plan pour les inciter à se promener avec un peu partout des experts pour répondre aux questions. Des historiens pour les bâtiments, des paysagistes, des personnes de la commune qui travaillent à la dynamique des potagers collectifs. On avait ensuite un stand central où on recueillait l’ensemble des avis. Les gens pouvaient rendre cette feuille, ou alors on avait également un tableau avec des post-it pour mettre ces idées. - Après une journée comme celle-là, les résultats étaient pertinents ? Utiles ? Intéressants ? - Cette journée a été très intéressante. A la place de Theux, ça été plus difficile, être à une fête de quartier, ça a l’avantage de pouvoir croiser beaucoup de personnes et surtout des personnes qui ne viennent pas habituellement à ce genre d’atelier participatif, mais ça a l’inconvénient d’être au cœur de la fête, il y a le bruit, les gens ne viennent pas dans l’objectif de participer à l’atelier. Ils restent tout de même très ouvert à recevoir de nouvelles informations, on avait donc un mur d’inspiration avec des photos, discuter autour de cela, ça allait, mais ils n’avaient pas la tête à rentrer dans des plans et des projets plus complexes. Alors que pour le jardin Hap les gens sont invités pour cela. Il y a d’autres ateliers où les gens sont bien restés et ont beaucoup échangé. - Est-ce qu’une fois que l’espace est réalisé, la participation apporte une plus-value à l’espace ? Est-ce que le fait d’avoir usé de la participation a permit d’apporter un espace plus adapté, plus juste ? - Nous si on le fait c’est aussi parce qu’on y croit. La participation va nous permettre de se retrouver avec plus d’idées, avec un cadre de l’imaginaire plus grand, et il y a également l’aspect de l’appropriation. Lorsque l’on a pu s’exprimer et qu’on voit certaines idées exprimées se mettre en place, on a plus envie de respecter le lieu, de l’utiliser aussi. Le regard des gens change également. Ils connaissent et comprennent mieux le lieu. Lorsque l’on était accompagnateur des quartiers durables citoyen, cette question de l’investissement des citoyens dans l’espace public était très présente. Parfois avec des couacs avec des habitants qui font les choses trop vite, qui font les choses mal et qui ne connaissent pas la structure administrative qui est assez complexe. Et donc on avait proposé une formation d’une soirée sur le thème de la réappropriation des espaces publics. On avait donc fait appel à trois experts pour organiser trois tables de discussion. Nous on avait introduit avec un premier cadre général qui rappelait le b.a.-ba des espaces publics et de son aménagement. Rencontre avec Marie Demanet, auteur de Le manuel des espaces publics bruxellois. Au début avec l’équipe on avait fait des analyses poussées pour tout l’espace urbain. On fait des allers retours entre deux échelles, d’un côté l’intérêt commun, collectif et puis de l’échelle du bâti, du particulier. Entre les deux, il y a toute une série d’allées et venues. On travaillait à la fois avec l’administration et des échanges avec tous les acteurs, mais à la fois aussi tous les habitants qui sont là, proche du terrain concerné, en passant par les architectes. On est entre la théorie et le permis. D’un côté on va avoir l’interprétation par quelqu’un, et de l’autre on a ce qui existe qui ne sera pas toujours décrypté de la même manière par les architectes que par nous. Il faut donc faire le travail d’aller voir sur le terrain, or l’administration ne fait que regarder le dossier. Il est important de faire que la participation ne soit pas détachée du projet, parce que souvent on 145
découpe, on demande à faire de la participation, on a alors des techniciens qui savent faire parler les gens, mais qui ne connaissent pas le projet, et qui sont effectivement plus neutres et qui sont bons dans ce qu’ils font, mais nous, pour faire le projet, on veut savoir ce que les gens en pensent, on veut l’entendre directement et pas par des techniciens qui vont déjà faire une synthèse, une interprétation. Ils ne nous transmettent pas la densité. Toute l’émotion n’arrive pas par exemple. Des tas de choses sont perdus par l’intermédiaire.
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Entretien avec Olivier Bastin, ancien Maître architecte de Bruxelles, architecte chez l’Escault 18 juin 2015 ?
« - La place des Ursulines, comment l’avez-vous abordez ? Quelles méthodes avez-vous utilisez
- Je mentionne deux autres projets avant, le square du Lakenwelt. Avant c’était un terrain abandonné il y a 10-15 ans, qui donne sur tour et taxi. C’est une initiative assez ancienne, qui date de 1993-1994. En fait, c’est le résultat d’un processus et d’initiatives véritablement prises par les habitants. A l’époque on était un bureau qui essayait de s’intégrer dans son quartier, installé en 89, je faisais partie du comité de quartier, et il y avait pas mal de personnes qui voulaient, entre autre, faire des projets avec les jeunes du quartier. Comme il y avait un terrain vague, plus ressemblant à un dépotoir, et que les enfants jouaient dans la rue, en tant que comité de quartier on a proposé à l’occasion d’un dispositif existant « Roi Baudoin » (à l’époque la fondation roi Baudoin soutenant pour 50 000 franc belge = 1000 euros, des projets initiés par les habitants). Il fallait que les habitants composent leur projet, le présentent à la fondation, et la fondation soutenait les habitants auprès des autorités. On déposait ce projet auprès de la commune, et entre temps l’IBGE soutenait également ces projets avec des moyens beaucoup plus importants. On a présenté ça à la commune, et le bourgmestre relativement mal conseillé, ne voulait pas prendre en relais ce projet. Il a fallu 1 ans ½ d’hésitation, et une fois qu’on a rencontré le bourgmestre Moreau, il a compris que le projet ne faisait pas concurrence à un autre projet plus loin dans le quartier et il a accepté. Là où ça a de l’importance, c’est qu’un projet public et de participation, est toujours tributaire des aléas politiques. S’il y a des agendas cachés, il peut très bien y avoir des échecs. Quand le politique dit « oui on veut de la participation », il suffit de peu pour que ça capote. Il y a eu un deuxième projet à la suite de ça. Le service jeunesse de la commune d’Ottignies a vu qu’on était impliqué par rapport aux jeunes, et nous a sollicité pour les accompagner dans quatre quartiers à Ottignies avec des ateliers. Dans le but de faire des terrains de jeux, qui était un manque évident. Mais les ateliers devaient se faire avec des adultes, des jeunes et des enfants. C’était assez lourd comme participation et comme organisation. C’est-à-dire qu’on a animé des ateliers, 8 à 10h le samedi complet, avec des enfants tout-boite amenés par les services de jeunesse, etc. Il faut faire en sorte que des adultes viennent également pour appuyer le processus avec les enfants, faire des ateliers de découpage, de collage, de carton, avec un dispositif évolutif en plusieurs ateliers, prendre le temps de jouer au ballon avec les enfants… enfin, ça tu vois, c’est la participation complète. Tout ça sur une journée, plusieurs fois. Tout cela, pour arriver à un dessin par quartier, où le dessin était composé par les enfants, initié, ou en tout cas dessiné, sur base des problématiques qui avaient été soulevées par les enfants. Parce que soit il y avait des tensions dans les relations sociales, soit il y avait un danger de circulation, soit il y avait une force paysagère… Du coup le terrain de jeu, on a mis au point un système de filet pour empêcher les ballons de sortir. On a repensé les bancs parce qu’on se rendait compte que les jeunes ne s’asseyaient pas sur le siège, mais sur le dossier comme ça ils sont à la hauteur des yeux du copain qui arrive, ils ne restent pas plus bas. On a comme ça créer des jeux comme des mobiles de Calder, des jeux bancs qui deviennent tables. Aujourd’hui c’est un peu vieux, mais on a appris avec les jeunes à souder, ils ont fait les trous eux-mêmes, fait le béton. C’était participatif jusqu’à la réalisation. Ce sont deux très beaux processus, même si je ne te dis pas tous les détails, tout n’a pas été fait conformément à nos attentes. Le projet continue à vivre heureusement bien, je pense qu’il conti148
nue à vivre car il ne ressemble à rien en particulier. C’est un endroit où taper la balle, mais c’est pas un terrain de foot, il a une forme ovale. Du coup on a observé que les jeunes ne s’étaient pas appropriés le lieu. Il faut constamment réinventer comment s’approprier le lieu. - Finalement, il fonctionne bien parce que rien n’a été défini précisément ?! - Tout à fait, j’en reparlerais pour le skate-park. On avait donc deux expériences de participation impliquées. Est-ce que c’est normal que l’architecte s’implique à ce point-là ? Moi j’aimais bien cela, et plusieurs personnes du bureau ont également trouvées cela important. - Est-ce qu’il y avait aussi des sociologues, animateur etc. ? - Oui il y avait le service de la jeunesse par exemple. Mais cela demandait beaucoup d’énergie. Par exemple, il y a eu de nouvelles initiatives en 2000 pour mettre en place une nouvelle fontaine. J’étais personnellement assez épuisé, on a bien commencé et eu de superbes ateliers, mais rien n’a été fait finalement. En partie à cause de l’épuisement, le directeur du service de la jeunesse n’était plus le même, et la participation dépend de l’investissement des différents acteurs. Et maintenant que c’est un peu une méthode toute faite de la part des autorités, on a un peu une manière de penser que c’est une recette et que ça va aller de toute façon. Il y a donc des sociétés commerciales qui font de la médiation de participation et du coup les architectes ne s’engagent plus. Eux ils font les dessins, d’autres font la médiation, il n’y a plus d’investissement direct et personnel. J’ai encore fait des ateliers décembre dernier, et les architectes n’étaient pas présents lors de la participation. C’était le bureau de médiation qui avait organisé toute la négociation auprès des habitants. Le bureau de médiation ce sont pas des architectes, ce sont des anthropologues, des sociologues… On a participé à deux contrats de quartier. Le premier on s’est investi à fond, on avait la place ici pour accueillir. C’était une fête, il y avait du monde. Mais ensuite on a été fatigués, et ça n’a pas continué. Aujourd’hui je n’ai plus la même énergie, j’essaye de continuer, mais çe n’est pas facile à la longue. Tu vois donc qu’on avait une assez bonne base pour la participation. Pour le skate-park, en ce qui me concerne, c’est une demande de Recyclart de les aider. En fait, ce sont les skateurs du coin, qui ont fait une demande à Recyclart de les aider pour proposer un aménagement d’un terrain dans l’objectif d’un lieu pour le skate. Sachant que le responsable du terrain vague à l’époque c’est l’IBGE. Ils étaient intéressés par ce genre de demande. Les skateurs ont demandés donc de l’aide pour faire la demande, Recyclart avait besoin d’une structure pour assumer tout cela comme bureau d’étude. Donc l’IBGE nous a donc mandaté pour créer un cadre de concours pour jeunes architectes et paysagistes. Nous étions donc responsables de tout le déroulement et de la réalisation. On a choisi deux jeunes paysagistes à cause de leur forme et parce que leur projet ne posait aucun problème par rapport à la jonction et la sécurité. La définition c’était un espace public à finalité de skate. La définition était importante, car certain nous ont proposé que du skate-park, pourtant ça n’était pas le but. Il y a un autre espace similaire un peu plus bas. Le choix du finaliste était tout à fait déterminant car il fallait savoir quel message on véhiculait à travers cet espace. Les deux paysagistes avaient tout à fait compris le rapport au quartier au niveau social. On les a donc intégré à l’équipe pour réaliser le projet. Ensuite, tout le processus de participation a été fait avec les skateurs. Ils sont venus ici, pour réaliser des maquettes et des tests pour les rampes. Parce que les paysagistes n’avaient pas fait quelque chose de vraiment top. On a fait un grand travail avec les skateurs pour réaliser les formes optimum. De plus nous cherchions à réaliser une transition entre la rue et le skate-park. Cela nous a permis de bien passer au niveau des autorités pour prouver qu’on étaient pas en rupture par rapport au quartier. Finalement, ce sont toutes les énergies qui se sont mises en parallèles pour rendre le projet possible, l’échevin de l’urbanisme, l’IBGE, Recyclart… Outre la participation de skateurs, on eut plusieurs étapes de rencontre avec 149
les habitants, dont le home du 3e âge, les écoles, les logements sociaux. Tout cela grâce à Recyclart, qui était un acteur déterminant du quartier. Recyclart était tout à fait dans son rôle de médiation. On a fait des ateliers avec les enfants pour trouver de nouvelles formes. C’était encore beaucoup d’investissement, pour donner envie au plus jeunes de venir dans cet espace, pour se mettre d’accord avec le home si on dérange ou non. Ils ont finalement mis tous ceux « dure de la feuille » du côté du skate-park. On a parlé, on a dansé avec eux. C’était tout un processus, 1ans ½, 2 ans pour tout mettre en place. Ensuite la construction s’est faite. C’est une entreprise des ponts et chaussées qui a fait ça, mais ça sortait de l’ordinaire pour eux. Du coup, les skateurs sont revenus, eux ils connaissaient bien la réalisation de bols parfaits pour leurs glisses, et le travail du béton. On les a de nouveaux engagés, et ils ont travaillé avec les ouvriers de l’entreprise pour leur apprendre. Du coup les ouvriers ont été valorisés dans cet investissement et apprentissage. L’ingénieur également a dû être créatif pour que la structure soit légère sur la jonction du train. On avait analysé que les skateurs n’utiliseraient le lieu que 20 à 25% du temps. Sinon ce sont des étudiants qui viennent manger, des promeneurs… Plusieurs appropriations sont possibles. Le lieu tient bien la route, parce que il y a déjà une attention particulière du propriétaire. Le lieu est nettoyé deux fois par jour, et c’est essentiel pour que le lieu reste fréquentable. La question des normes était intéressante et délicate, car on a du surfer entre un espace sportif et une place classique. Il a fallu tout de même bien gérer la sécurité pour que tout se passe bien. Gérer les skateurs, les sauts, le terrain autour... - Les normes vont finalement limiter la création de nouveaux espaces ambiguës, entre deux définitions. Il sera difficile de les créer, d’imaginer des configurations qui n’existent pas encore ? - La place à Ottignies n’a jamais été interprétée comme des terrains de jeux. Pourtant on y a mis des filets pour les ballons, on a mis des bancs, on l’a toujours appelé espace public. Mais en responsabilité, en tant qu’architecte, on assume une très grande responsabilité, un risque relativement important. Après c’est là qu’on peut apporter quelque chose dans la ville, dans le sens où en assumant de prendre ce risque, on assume des espaces dans une certaine ambiguïté qui sont plus riches que d’autres. - En tant que maître architecte, est ce que vous avez expérimenté la participation ? à une autre échelle peut-être ? Ou est-ce que vous les avez intégré à des démarches ou processus ? - il y a eu plusieurs dossiers avec de la participation, mais on était plutôt assistant du maître d’ouvrage. Mais la seule qu’on est réellement pue suivre et apprécier c’est Park Design. On a dû se séparer un peu car nous n’étions pas d’accord sur comment ont été gérées les choses administrativement et financièrement (trop de charge sur le bureau d’étude). Mais on a continué à soutenir le projet. - Pour vous la participation est nécessaire ? Ou est-ce qu’il existe d’autres moyens pour apporter une réponse plus adéquate dans la conception de l’espace public ? - Il faut surtout se dire que la participation ça n’est pas une recette pour trouver des bonnes réponses. C’est pas la participation qui va dire comment l’architecte va dessiner. La participation elle va parvenir à donner, générer, créer une énergie en faveur ou contre le projet, en amont du projet. On peut espérer se baser sur des valeurs qu’on a envie de partager, plutôt que sur des formes. Donc c’est vraiment ça, à chaque fois que je parle de participation, il faut absolument arriver à faire sortir ça du public. Donc la parole est très importante, les échanges sont importants. A Ottignies, la méthode qu’on a utilisée c’est plusieurs ateliers. D’abord c’était des mots, uniquement des mots. La séance suivante je leur demandais de faire des schémas sur la base des mots (ouvert, fermé…), en passant par le corps pour passer du mot au physique et corporel, à l’espace. Cela devient très pédagogique pour les enfants et les adultes. Pour finir, on faisait des collages. Le collage il exprime des tensions ou autres… Lorsque l’on a montré ces collages aux autorités locales, ils nous ont dit qu’il n’avait jamais vu une étude urbanistique aussi juste, aussi poussée, 150
aussi humaine. Mais juste par rapport aux circonstances, c’était très très précis, alors que c’était des collages d’enfants. - C’est intéressant, c’est un peu introduire la notion d’architecture à des enfants pour qu’ils parviennent à représenter leurs idées. - Le dernier atelier on leur a proposé que leurs collages prennent du volume. Ça commençait à devenir des espaces. C’est vraiment cette notion de valeur qui est importante, là où des bureaux de médiations sont capables de traduire pour tout le monde, avec des mots précis ou avec des images, des références, des objets, ils peuvent traduire les intentions qui sont partagées plutôt que les résultats. Lorsque l’on a fait l’étude pour l’espace urbanistique autour du musée de la photo, on l’a fait avec des anthropologues. Parce que quand nous on vient avec notre casquette d’architecte, parce qu’on doit se présenter, quand on fait de la participation il faut présenter son statut, et en fait dès qu’on dit qu’on est architecte, ça se colle sur notre front. « Moi je veux un banc, moi je veux une poubelle … » les gens te donnent des recettes toutes faites, plutôt que de dire « c’est un espace où j’aimerais me reposer, ou je ne fais que le traverser… ». Ils ne te parlent pas de leurs usages, ils vont te parler d’objets. Les gens ont une image de ce qu’est un architecte. Alors que quand ce sont les anthropologues qui y sont allés, on a eu des enquêtes magnifiques, des résultats où les gens nous parlent de leur vie « dès qu’il y a une marche c’est difficile, j’aimerais avoir plus de place entre chez moi et le trottoir… ». Ou des anciens qui nous parlent de leur parcours, de leur caddy. Tu obtiens quelque chose de beaucoup plus riche. Quand tu as tout cela, tu parviens à créer une énergie autour d’un projet tout à fait magnifique. La prise de notes des anthropologues est superbe, ils ont une base de questions, mais l’idéal c’est surtout de rejoindre les gens chez eux, les laisser parler et faire leur parcours. Ils se plaçaient à l’écart de la discussion pour réussir à faire émerger les choses les plus intéressantes et inattendues. Le questionnaire lui-même est à questionner, s’il a pour finalité de faire un espace public, il va conditionner les réponses, alors que si tu donnes comme mission aux anthropologues de te faire comprendre comment le quartier se vie, qu’est ce qui se passe dans les rues, tu obtiens tout à fait autre chose. On a laissé plusieurs semaines pour faire les enquêtes, la notion de temporalité est importante, le matin, le soir, la semaine, le samedi… On avait également des rendez-vous et des ateliers le samedi. Ils étaient de 10h30 à 17h, pas plus. Sinon on ne peut pas déposer les enfants aux activités, on ne peut pas faire les courses, et puis le soir après 17h on va faire à manger et tout. Et là qu’est-ce que tu as ? Il faut bien les accueillir, les soigner. On accueille avec un petit thé, ensuite tu as un temps de parole de 30min qui est hyper riche juste avant manger. Puis il faut de nouveau attendre, la digestion, etc. et vers 15h30-16h on a de nouveau un super échange. Il faut gérer l’énergie humaine. Une fois que tu as compris tout cela tu reçois des merveilles. »
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BIBLIOGRAPHIE
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