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Culture
Miss Dior
La femme derrière le parfum
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Derrière cette fragrance iconique se cache une vraie femme, extraordinaire, qui n’est autre que la sœur bien-aimée du grand couturier Christian Dior. Femme de conviction, résistante, martyr, déportée, elle fait partie de ces femmes qui ont vécu le pire et ont tout risqué au nom de la liberté et de l’unité. Justine Picardie nous raconte l’histoire incroyable de la vraie Miss Dior.
Par Anne Ciancanelli
QQui s’imaginait que derrière l’un des parfums les plus emblématiques de la maison Dior se cachait une histoire aussi surprenante ? Christian Dior, créateur talentueux et touche-à-tout, crée cette fragrance en 1947, dans un « désir fougueux d’enchanter à nouveau la vie des femmes ». C’est alors, lorsque l’on met des informations bout à bout, que l’on comprend. Que l’on comprend ce qui l’animait tant. Lui-même évoque une envie ardente, presqu’incompressible de créer une effluve qui apporte de la légèreté dans la vie des femmes alors même que sa ‘Miss Dior’ - qui n’est autre que le surnom donné à sa sœur adorée Catherine - venait de traverser l’enfer. Alors qu’un nombre incalculable de femmes venaient de vivre les périodes les plus sombres de leurs vies au cours de cette guerre meurtrière ‘des races’. Justine Picardie s’était engouffrée dans l’histoire de la vie de Catherine Dior, et j’allais en faire autant au travers du livre qu’elle a rédigé en son nom : Miss Dior. L’ouvrage était là, sur un coin de mon bureau depuis quelques mois, et il m’a fallu tout ce temps et un voyage pour parcourir les premières pages. On comprend très rapidement de quoi il en retourne, du calvaire enduré, de l’infamie, ces heures obscures de l’histoire. Assise confortablement, songeuse, le paysage défilait par delà les fenêtres du train et je me demandais si cela se passait ainsi lorsqu’on est confronté à sa propre fin, à sa propre déchéance. Est-ce que notre vie défile ainsi, comme une succession d’images, sous nos yeux, dans notre tête ? Catherine n’était pas le prénom le plus connu de la famille, sans doute pas, mais elle était sans conteste la plus héroïque. De douze ans la cadette de Christian Dior, Catherine vient au monde en 1917 et est la petite dernière de la fratrie. Elle grandit dans la demeure familiale et cossue de Granville sur la côte normande puis s’installe plus tard avec leur père, devenu veuf, dans le sud, dans une petite ferme des environs de Callian. Dès le début de la guerre, Catherine rejoint la résistance. Elle intègre le réseau F2 et prend le pseudonyme de Caro pour collecter et transmettre des informations sur les mouvements des troupes et des vaisseaux allemands aux services britanniques. Parmi les dossiers conservés aux archives militaires, l’un témoigne de son rôle central au sein de la cellule cannoise. « En dépit de toutes les précautions et d’une organisation qui ne laisse rien au hasard, le réseau est constamment en danger, et le risque d’être découvert s’accroît davantage à partir de novembre 1942, lorsque les allemands prennent le contrôle de la zone libre. » Elle décide, pour une question de sécurité, de rejoindre son frère Christian à Paris. « Le 6 juillet 1944, à 16h30, la nasse se referme sur Catherine. Elle est arrêtée place du Trocadéro par un groupe de quatre hommes armés. (...) En 1945, dans la déclaration qu’elle fera au tribunal chargé de l’enquête sur les crimes de guerre elle décrit ainsi les terribles événements : « A mon arrivée dans l’immeuble, je fus immédiatement soumise à un interrogatoire sur mon action dans la Résistance, et aussi sur l’identité sur les chefs sous les ordres desquels je travaillais. Cet interrogatoire fut accompagné de brutalités : coups de poing, coups de pied, griffes, etc. L’interrogatoire ne donnant pas satisfaction, je fus amenée dans la salle de bains. On me déshabilla, on m’attacha les mains, on me plongea dans l’eau où je restais trois quart d’heure environ. Le clercq et Zulgadar me firent subir ce supplice. » (...) Les interrogatoires ne parviendront pas à briser son silence et les réponses qu’elle donne au torrent de questions de ses bourreaux vont protéger ses camarades résistants et son frère. Les violences sexuelles sont aussi monnaie courante et même si Catherine n’a jamais rien mentionné à ce propos, elle ne put avoir d’enfants, conséquence peut-être des sévices qui lui furent infligés. Les archives judiciaires regorgent du récit des horreurs perpétrées rue de la Pompe (qui habitait l’appartement dans lequel elle fut torturée), toutes les plus éprouvantes les unes que les autres ; elles remplissent des milliers de pages, des dizaines de dossiers, qui relatent tous les mêmes éruptions de violence frénétique. Des femmes enceintes frappées au ventre, des mères que l’on menace de tuer leurs enfants sous leurs yeux... »
Catherine Dior est incarcérée à Fresnes en juillet 1944, une prison qui déborde de résistants et d’agents britanniques et qui est, à l’époque la plus grande du territoire. (...) « En hiver, on y gèle littéralement, en été, on y étouffe, mais les puces et la vermine ne connaissent pas les saison. » Fin de ce même mois, Catherine est transférée à Romainville avec un nombre considérable de femmes, toutes résistantes. La forteresse située aux Lilas, en banlieue parisienne, servait de zone d’attente avant le transfert vers l’Allemagne. Le 15 août, elle est transportée par des bus pleins à craquer qui finissent par déverser leur cargaison humaine sur le ‘quai à bestiaux’ de la gare de Pantin. La déportation a commencé. A l’intérieur des wagons, il n’y a aucune place pour s’asseoir et tous les prisonniers sont dangereusement déshydratés. Pourtant, ceux qui le peuvent entonnent la Marseillaise en quittant la gare. (...) Le 22 août 1944, après un trajet d’une semaine, Catherine et ses compagnes atteignent Ravensbrück. Épuisées, affamées, tourmentées, elles sont accueillies par une meute de chiens aux crocs menaçants ; des soldats en uniformes SS armés de bâtons et de fouets leur hurlent des insultes. (...) Les déténues deviennent de véritables esclaves, exploitées pour leur force de travail. En réalité, le dur labeur des camps n’est qu’une forme de meurtre systématique, une ‘extermination par le travail’. Certaines meurent d’exténuation dans les ateliers textiles, d’autres déblayant à la pelle des monceaux de sable ou en tractant un immense rouleau pour aplanir le sol. Lorsque Catherine arrive au camp, plus de 40 000 prisonniers s’entassent dans des baraquements infestés de rats, prévus pour abriter quelques milliers de prisonnières seulement. Début septembre, elle et ses consoeurs sont progressivement décimées par les effets combinés d’un travail éreintant et de rations faméliques. Pour Catherine Dior, qui n’évoqua jamais les souffrances du camp, il était essentiel de ne pas perdre l’estime de soi. Son filleul, Nicolas Crespelle a raconté à l’auteure que « Catherine n’avait abordé ce sujet qu’à une seule occasion : jamais elle ne s’était avilie à ramasser un bout de nourriture jeté au sol par un SS, avant d’ajouter que, si on se laissait aller à ça, alors c’était la fin... » Son calvaire se poursuit par une seconde déportation, du camp de Ravensbrück à Torgau, l’un des autres camps satellites rattachés administrativement à Buchenwald. Près de 200 kilomètres effectués en trois jours dans un wagon à bestiaux. Catherine, comme la majorité des femmes, reste à l’usine, à nettoyer la coque de cuivre des obus dans un bain d’acide. Aux journées épuisantes s’ajoutent les vapeurs toxiques du soufre, qui abîment leur peau et infectent leurs poumons. Le 9 octobre 1944, Catherine fait partie du groupe de 250 françaises qui quittent Torgau dans des wagons à bestiaux, en direction du camp satellite d’Abteroda, autre dépendance de Buchenwald. Les conditions de travail y sont invivables. « Les ouvrières dorment dans l’atelier où elles travaillent, à même le sol en ciment, sans sanitaires ; les rations sont minimales (une soupe claire, complétée de temps à autre d’un bout de pain rassis) ; les équipes alternent toutes les douze heures et triment sous les coups de gardes SS chargés de maintenir la cadence. » Catherine se raccroche farouchement à son unique désir : retourner en Provence, dans sa maison, et voir à nouveau le soleil se lever sur son cher pays. Catherine Dior a toujours évité de partager les détails de sa captivité ou de ses derniers jours en Allemagne. Tout ce que ses proches sauront, c’est qu’elle a été libérée par les troupes soviétiques ; son dossier indique qu’elle échappe par miracle aux marches de la mort le 21 avril 1945, des marches pendant lesquelles un tiers des prisonniers meurent - soit environ 200 000 à 250 000 personnes. Disparue depuis août 1944, sa famille, Christian n’ont eu de cesse d’être tourmentés par l’angoisse de ne pas savoir où se trouve la jeune femme, ni si un jour elle reviendra. Catherine sera de retour fin mai 1945 ; Christian est venu l’attendre sur le quai. La maigreur de sa sœur est telle qu’il lui faut un moment pour la reconnaître. Deux ans plus tard, le créateur lance ses premières fragrances en même temps que ses collections New Look, et, parmi elles, celle qu’il dédie à sa sœur adorée reste l’une des plus chères à son cœur : Miss Dior. Celle que l’on a toujours qualifiée de ‘discrète’ se verra décorée de certaines des plus hautes décorations nationales pour sa bravoure inébranlable. Catherine survivra à son tendre frère Christian pendant cinquante ans, avant de s’éteindre à son tour en juin 2008.
Miss Dior chez Flammarion
23,90 euros
L
Wildlife Photographer : Objectif nature
Omniprésente et pourtant menacée, majestueuse mais parfois fragile, la nature est célébrée par le Wildlife Photographer of the Year, concours notoire de photographie naturaliste organisé par le Natural History Museum de Londres. Arrêt sur images.
Par Annie Esch
a nature est associée à tort, trop souvent, à l’environnement seul, or on tend à oublier qu’elle concerne l’ensemble des êtres vivants, animaux et végétaux, ainsi que le milieu dans lequel ils se trouvent. Et c’est bien tout ce monde naturel, dans toute sa diversité, qui est présenté au travers du Wildlife Photographer of the Year et de son exposition. L’occasion de partager le regard que certains professionnels et amateurs portent sur ce monde et découvrir des photographies puissantes, émouvantes ou bien troublantes. Chacune d’entre elles raconte une histoire, celle perçue par l’œil du photographe, et transpose une émotion ; admiration, émerveillement ou consternation. Outre la beauté irrécusable de la nature, on observe également une planète sous pression. Le concours Wildlife Photographer of the Year a été créé en 1965 par le BBC Wildlife Magazine, alors appelé Animals. Le Natural History Museum s’y est associé en 1984 pour créer le concours tel qu’il est connu aujourd’hui. Cette année, le jury a reçu près de 50 000 photos de plus de 90 pays. Présentées aux côtés d’exposés de scientifiques et d’experts du musée, les images inspirent et étonnent les visiteurs qui comprennent mieux les problèmes auxquels la nature est confrontée et les mesures que nous devons prendre pour la protéger. À propos du Natural History Museum :
Le Natural History Museum est à la fois un centre de recherche scientifique de premier plan et le musée d’histoire naturelle le plus visité d’Europe. Avec sa vision d’un avenir dans lequel l’homme et la planète prospèrent, il occupe une position unique pour être un puissant défenseur de l’équilibre entre les besoins de l’humanité et ceux du monde naturel. Il est le gardien de l’une des plus importantes collections scientifiques au monde, comprenant plus de 80 millions de spécimens. L’ampleur de cette collection permet aux chercheurs du monde entier de documenter la façon dont les espèces ont réagi et continuent de réagir aux changements environnementaux, ce qui constitue un outil de premier ordre pour aider à prédire ce qui pourrait se produire à l’avenir. De cette manière, l’institution fournit des données essentielles pour aider à combattre les menaces majeures que sont le changement climatique et la perte de biodiversité, jusqu’à poursuivre la recherche de solutions telles que l’extraction durable des ressources naturelles. Le musée utilise son énorme portée et influence mondiales pour remplir sa mission de créer des défenseurs de la planète - pour informer, inspirer et donner à chacun les moyens de faire la différence pour la nature.
REFLEXION
Par Majed Ali, Koweït / Gagnant, Portraits d’animaux. Majed Ali (Koweït) entrevoit le moment où un gorille des montagnes ferme les yeux sous la pluie. Majed a fait un trek de quatre heures pour rencontrer Kibande, un gorille de montagne de presque 40 ans. « Plus nous grimpions, plus il faisait chaud et humide », se souvient Majed. Alors qu’une pluie rafraîchissante commençait à tomber, Kibande est resté à l’air libre, semblant apprécier l’averse.
Les gorilles de montagne sont une sous-espèce du gorille de l’Est, et on les trouve à plus de 1 400 mètres d’altitude dans deux populations isolées - sur les volcans Virunga et à Bwindi. Ces gorilles sont menacés par la perte d’habitat, les maladies, le braconnage et la perturbation de l’habitat causée par l’activité humaine.
Nikon Z6 + objectif 70-200mm f2.8 à 200mm 1/320 sec à f6.3 ISO 640
HEAD TO HEAD
Par Stefano Unterthiner, Italie / Gagnant, Comportement : Mammifères. Stefano Unterthiner (Italie) observe deux rennes du Svalbard qui se disputent le contrôle d’un harem.
Stefano a suivi ces rennes pendant la saison du rut. En observant le combat, il s’est senti immergé dans «l’odeur, le bruit, la fatigue et la douleur». Les rennes s’affrontent à coups de bois jusqu’à ce que le mâle dominant (à gauche) chasse son rival, s’assurant ainsi la possibilité de se reproduire. Les rennes sont très répandus dans l’Arctique, mais cette sous-espèce n’est présente que sur l’archipel norvégien du Svalbard. Les populations sont affectées par le changement climatique, où les précipitations augmentent et peuvent geler sur le sol, empêchant l’accès aux plantes qui, autrement, se trouveraient sous la neige molle.
Nikon D5 + objectif 180-400mm f4 à 400mm 1/640 sec à f4 ISO 3200
HOPE IN A BURNED PLANTATION
Par Jo-Anne McArthur, Canada / People Choice’s Award.
Jo-Anne s’est rendue en Australie au début de l’année 2020 pour recueillir les témoignages d’animaux touchés par les feux de brousse dévastateurs qui ont ravagé les États de Nouvelle-Galles du Sud et de Victoria. Travaillant de manière exhaustive aux côtés d’Animals Australia (une organisation de protection des animaux), elle a pu accéder aux zones incendiées, aux sauvetages et aux missions vétérinaires. Ce kangourou gris oriental et son petit, photographiés près de Mallacoota, dans le Victoria, ont été parmi les plus chanceux.
Le kangourou a à peine quitté Jo-Anne des yeux alors qu’elle marchait calmement vers l’endroit où elle pourrait prendre une belle photo. Elle a eu juste le temps de s’accroupir et d’appuyer sur le déclencheur avant que le kangourou ne saute dans la plantation d’eucalyptus brûlée.
Nikon D4S + objectif Sigma 120-400mm f4.5-5.6 ; 1/500 sec à f5.6 ; ISO 2500
ELEPHANT IN THE ROOM
Par Adam Oswell, Australie / Gagnant, Photojournalisme. Adam Oswell (Australie) attire l’attention sur les visiteurs d’un zoo qui regardent un jeune éléphant faire un spectacle sous l’eau.
Les visiteurs d’un zoo contemplent un jeune éléphant en plein spectacle sous l’eau. Bien que cette représentation soit présentée comme éducative, et récréative pour l’animal, Adam a été troublé par cette scène. Les organisations de protection qui s’occupent du bien-être des éléphants en captivité considèrent que ce genre de spectacle est une forme d’exploitation car il encourage un comportement non naturel. Le tourisme lié aux éléphants s’est énormément développé dans toute l’Asie, et il y a désormais plus de pachydermes en captivité qu’à l’état sauvage en Thaïlande. La pandémie de Covid-19 a provoqué l’effondrement du tourisme international, ce qui a conduit les sanctuaires d’éléphants à être submergés d’animaux dont les propriétaires ne peuvent plus s’occuper.
Nikon D810 + objectif 24-70mm 1/640 sec à f2.8 ISO 1250
Paper Party
Qui pourrait penser que ces méticuleuses créations sont faites de papier et l’œuvre de petits doigts de fée ? « L’art ne veut pas la représentation d’une chose belle mais la belle représentation d’une chose » disait Emmanuel Kant, et c’est exactement ce que Aurely Cerise nous livre à travers ses œuvres.
Par Louise Koehler
Papier, carton, blanc, coloré, vierge, imprimé, livres, feuilles, courriers, ouvrages, grammage, texture, parfum : le papier livre tous ses secrets à cette artiste hors du commun. De l’arbre grandeur nature en haut du Burj Khalifa pour la Maison française Louis Vuitton au mini-palace Lancôme, ou encore une Tag Heuer magnifiée : tant de détails, précision, minutie qui émerveilleront les yeux de tout à chacun.
: Comment vous est venue cette passion ? Aurély Cerise : Je n’étais pas prédestinée à devenir artiste ; j’ai grandi dans une famille italienne ouvrière de l’est de la France. J’ai accompli un doctorat en pharmacie puis une grande école de commerce parisienne, mais il me manquait toujours quelque chose d’inexplicable. Depuis petite, j’entretiens une relation singulière aux matières, et particulièrement au papier. Cet échange a toutefois pris une parenthèse. Le temps d’études et d’un métier où le digital était la pierre angulaire du savoir et de la communication, laissant ainsi peu de place aux sensations concrètes. Quand avez-vous repris votre relation avec le papier ? En 2014, où je me suis alors mise à plier, découper, coller... voulant dompter une matière qui ne se laisse pas faire. Le papier se braque, se marque, casse. Le jour, j’étais responsable marketing, le soir, je n’avais qu’une hâte : rentrer chez moi pour créer. En 2016, après de longues hésitations, j’ai sauté dans l’inconnu de l’entreprenariat. Dès lors, je tente de raconter avec le papier, au fil des courbes, des angles, des formes géométriques qui s’assemblent, des détails faits de chutes, des couleurs qui s’assemblent, cette histoire qui nous lie depuis toujours.
Quel est le processus pour choisir vos projets ? Je travaille sur des projets très variés, à toute petite échelle pour des shootings photo très précis, ou bien à plus large échelle sur de grandes installations. J’ai la chance de pouvoir « choisir » mes projets (en tant qu’artiste, c’est une vraie chance !). Souvent, je les choisis au ressenti, au défi qu’ils vont m’apporter, et à ce que je vais apprendre durant le processus de création lié à ce projet.
Votre réalisation la plus grandiose à ce jour ? J’ai récemment eu la chance de créer une pièce d’exception pour la prestigieuse maison Louis Vuitton, à destination d’un événement exclusif se déroulant au Burj Khalifa de Dubaï. J’ai créé... un arbre ! À taille réelle, en une seule semaine de temps. Cette pièce était la pièce centrale de l’événement et a nécessité 4 000 feuilles d’arbres découpées, plus de 120 branches, 6 personnes, des dizaines de tubes de colle, des centaines de mètres de ruban blanc et une centaine d’heures de travail. Chaque branche à été confectionnée à Paris, puis le tout est parti en avion pour Dubaï. Je me suis ensuite rendue sur place pour assembler l’arbre au 112e étage de la tour. À ce jour, il s’agit du projet le plus « fou » sur lequel j’ai pu travailler.
Avez-vous des projets pour le futur ? J’adore mon métier et mon quotidien, même si mon art prend énormément de place dans ma vie. Je n’ai plus de plan de carrière à 5 ans comme j’ai pu m’en imaginer auparavant, j’espère pouvoir continuer à créer, apprendre et imaginer des projets toujours plus ambitieux encore longtemps. Plus concrètement, mon équipe comporte aujourd’hui une personne qui travaille avec moi à plein temps ainsi que des freelances sur des projets en particulier. Une équipe que j’aimerais agrandir dans le futur.
Comment voyez-vous les NFT dans l’art, par rapport à votre activité ? Je dois avouer que je n’ai pas pris le temps de m’y intéresser suffisamment pour avoir un avis ! Travaillant sur des œuvres physiques ou le « toucher » et le volume sont importants, j’ai pour le moment choisi de me consacrer aux sensations concrètes.
Graciela Iturbide
dans l’écrin de
Graciela Iturbide est tout simplement l’une des photographes contemporaines les plus influentes d’Amérique latine. Actuellement exposée à la Fondation Cartier à Paris, on y découvre plus de 200 images majestueuses et puissantes ; des œuvres les plus iconiques aux photographies les plus récentes, ce sont celles sur la société matriarcale de Juchitán que nous avons décidé de partager.
Par Anne Ciancanelli
L’artiste et l’oeuvre
Graciela Iturbide (née en 1942), originaire du Mexique et lauréate du Prix Hasselblad 2008 – la plus haute distinction sans doute – est une figure marquante de la photographie latino-américaine. Représentante majeure du boom photographique mexicain des années 1970-1980, elle hérite de l’approche humaniste et du style poétique de son mentor Manuel Álvarez Bravo, considéré comme le « père » de la photographie mexicaine. « J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde » avoue-telle. Bien qu’elle porte depuis toujours une attention quasi spirituelle aux paysages et aux objets, elle doit aujourd’hui sa célébrité à ses portraits de communautés, comme ceux des Indiens Seris du désert de Sonora, et surtout à ses clichés sur les femmes de Juchitán - Juchitán de las mujeres - certainement la plus connue de toutes ses œuvres. En 1979, Graciela Iturbide s’est rendue à Juchitán, une petite ville de l’État d’Oaxaca, dans le sud du Mexique, pour photographier le groupe indigène zapotèque. Pendant près de dix ans, elle s’est immergée dans la communauté au cours d’une série de visites, passant de longs moments avec les femmes zapotèques et cultivant des amitiés. Plutôt que de se contenter de documenter les gens d’un point de vue extérieur, Iturbide a photographié ses propres interactions et rencontres avec la communauté. « J’ai besoin d’être proche des gens... J’ai besoin de leur complicité », a déclaré Iturbide. Ses photographies, publiées sous le titre Juchitán de las mujeres, sont une conversation avec les habitants de Juchitán qui transmettent à l’artiste leurs structures sociales et leurs pratiques culturelles selon leurs propres termes. Témoignage visuel de la vie quotidienne d’une ancienne culture en mutation, les photographies de Juchitán d’Iturbide mettent en lumière ces femmes puissantes qui détiennent un pouvoir politique, économique et spirituel important. Les Muxes (des hommes-femmes) sont également vénérés dans la culture zapotèque : on leur attribue des dons intellectuels et artistiques particuliers. Les photographies d’Iturbide n’ont rien d’objectif ni d’exotique ; au contraire, elles décrivent des interactions respectueuses et poétiques. Juchitán de Las Mujeres est, dès 1989, son œuvre maîtresse. Iturbide confiera : « J’ai eu la chance qu’en 1979, sans me connaître, Francisco Toledo m’appelle pour me proposer d’aller à Juchitán. C’est un lieu mythique : Henri Cartier-Bresson, Sergueï Eisenstein, Tina Modotti, Frida Kahlo y avaient séjourné. À Juchitán, j’allais au marché, je passais du temps en compagnie des femmes, ces femmes fortes, corpulentes, politisées, émancipées, merveilleuses. J’essayais d’être tout le temps avec elles car elles me protégeaient. Bien sûr, le fait d’être une femme m’a permis d’accéder plus facilement à leur monde quotidien et à leurs traditions. Mon travail à Juchitán a duré dix ans ».
La société égalitaire de Juchitán
Située près de la côte Pacifique de l’isthme de Tehuantepec, au sudest du Mexique, dans l’État de Oaxaca, Juchitán est le berceau de la culture zapotèque. On y parle d’ailleurs la langue de cette civilisation vieille de près de deux mille ans. Connue comme la « ville aux femmes », Juchitán est une société matriarcale, ou plutôt égalitaire, alimentée par une solidarité féminine remarquable. Femmes et hommes sont estimés sur un pied d’égalité, à hauteur de leurs talents. Depuis toujours, les femmes jouissent ici d’un pouvoir et d’une indépendance rares dans une société - à la base - patriarcale comme celle du Mexique. Les femmes sont chefs de famille et lèguent leur nom à leurs enfants au même titre que les hommes. Chacun occupe des rôles bien définis : elles se sont approprié la maison, la rue, l’organisation des fêtes locales (comme les Vellas, qui ont contribué à faire leur réputation) ainsi que le commerce dans la région, ce qui leur accorde par conséquent le pouvoir économique. Les hommes, quant à eux, sont principalement agriculteurs ou pêcheurs (activités moins rémunératrices) et se chargent de la politique. « Nous, les Juchitecas [les femmes de Juchitán], savons rendre l’argent extensible comme un chewing-gum, c’est ce que nos mères nous ont appris. Nous travaillons plus que les hommes et tenons les cordons de la bourse » affirme l’une de ces Juchitecas. Respectées et estimées, les femmes de Juchitán de Zaragoza sont réputées pour leur intelligence et leurs talents.
À découvrir à la Fondation Cartier pour l’art contemporain
Jusqu’au 29 mai 2022
Exposition Graciela Iturbide, Heliotropo 37
Visite guidée avec un médiateur culturel possible
261 Bd Raspail, 75014 Paris, France
www.fondationcartier.com
Horaires d’ouverture
Tous les jours de 11h à 20h, sauf le lundi.
Nocturne le mardi, jusqu’à 22h.
La fermeture des salles débute à 19h45 (21h45 les mardis)
Comme cela est expliqué, « dans une famille traditionnelle, c’est la femme qui gère le budget du foyer. L’homme remet son salaire à la femme, et doit lui demander de l’argent lorsqu’il veut s’en servir. Ce contrôle permet à la région de Juchitan, moins riche que d’autres régions du Mexique, d’avoir un taux de malnutrition infantile quasi nul. La maison et l’héritage passent par les femmes, et la naissance d’une fille est donc une grande réjouissance. Les fêtes sont d’ailleurs une occasion constante de partage et de ressourcement du groupe. À l’âge de quinze ans, la jeune fille, quinceañera, est intronisée à la suite d’une cérémonie initiatique. Le mariage fait aussi l’objet de pratiques parallèles aux cérémonies catholiques. À la suite de celles-ci, le mari ira vivre dans la maison de sa femme. » Extrêmement tolérants, les habitants vivent en parfaite harmonie avec une certaine forme d’homosexualité masculine, les « Muxe ». Ces hommes « ayant un coeur de femme » cherchent à vivre sans les étiquettes « homme » et « femme » - un concept qui continue à désorienter même les régions les plus progressistes du monde. Ces individus sont un modèle de la façon dont les cultures font de la place à la vie en dehors du binaire. « J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde. »