CUILLERAT Mickaël Rapport d’étude de Licence
L’AVENIR DU PATRIMOINE MILITAIRE LA RECONVERSION AU SERVICE DE LA DYNAMIQUE URBAINE
Directrice de mémoire : Brigitte SAGNIER ENSAL // 2012
« Reconvertir
le patrimoine militaire pour accueillir des habitants et des activités, c’est en quelque sorte renouer avec l’histoire de la cité. » Jacques PELISSARD Extrait du préambule de Patrimoine reconverti du militaire au civil 1
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GODET Olivier, FOUGEIROL Benoît, 2007. Patrimoine reconverti du militaire au civil. Nouvelles éditions Scala. 271 p.
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Sommaire Introduction
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I Le patrimoine militaire
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01- Evolution du système défensif 02 - Diversité et identité 03- La prise en compte du patrimoine militaire : protection et conservation A - Un patrimoine atypique à préserver B - La muséification du patrimoine militaire C - Les acteurs de la sauvegarde du patrimoine militaire
II La reconversion, nouvelle alternative contemporaine
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01- Du militaire au civil A - La cession des biens militaires B - La dépollution des sites
02- Des reconversions variées, des réponses architecturales adéquates A - Quel choix pour quel patrimoine ? B - Quelles postures adopter ?
03- Étude de cas : la reconversion du Fort Saint-Jean à Lyon III La ville à la reconquête des territoires militaires
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01- Le fait militaire et la ville A - La place du militaire dans l’environnement urbain B - Reconstruire la ville sur elle-même : l’exemple lyonnais
02- Du bâtiment à la friche 03- La reconversion des friches militaires A - Des usages au service de la ville B - Désenclaver les emprises militaires C - Le patrimoine au cœur des projets D - Des projets à venir…
Conclusion
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Corpus
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Remerciements
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Bibliographie / Webographie / Crédits photographiques
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Première de couverture : images de gauche, Fort Saint Jean, Lyon ; image de droite, quartier de Bonne, Grenoble
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Introduction Comment se fait-il que l’on puisse encore aujourd’hui admirer les créations architecturales des siècles passés ? Comment la ville a-t-elle su conserver tout son patrimoine bâti pendant tant des siècles ? L’architecture, celle considérée comme expression de l’art, expression de la culture, fut protégée par les hommes, par l’architecture elle-même. L’architecture militaire au service de l’architecture. Alors que l’on s’intéresse tant à l’Architecture, cette architecture de l’esthétisme et des formes géométriques, pourquoi ne pas tourner les yeux vers cette architecture qui nous a de tout temps protégés et protégé l’Architecture, seules constructions autrefois dignes de ce nom. Si l’architecture militaire renvoie trop souvent à notre imaginaire, éveillant des souvenirs de châteaux-forts et autres constructions défensives, on oublie trop souvent que nous sommes tous les jours confrontés aux traces de ces constructions défensives autant qu’aux constructions encore présentes sur le territoire urbain. Nombreux sont les bâtiments militaires aujourd’hui désaffectés ou libérés de leur fonction défensive qui ponctuent le territoire national autant que le territoire urbain. Nombres d’entre eux ont déjà fait l’objet de réhabilitations ou de reconversions pour répondre aux nouvelles attentes des villes et des populations. Mon travail de L2 sur le Fort de Montluc, dans le cadre du TD d’histoire de l’Architecture m’a permis de prendre conscience de l’enjeu des reconversions dans le cadre du patrimoine militaire. Alors qu’aujourd’hui la thématique de la reconversion des bâtiments est de plus en plus d’actualité compte tenu des enjeux urbains, on note que nous abordons peu ces domaines dans nos projets de Licence. Si l’on note une évolution importante du nombre de projets et de reconversions du patrimoine militaire, l’attitude patrimoniale n’a pas toujours été privilégiée pour ce type d’architecture « atypique ». Or les villes se doivent aujourd’hui, et compte tenu des attentes urbaines autant qu’économiques, de renouer le dialogue avec des constructions autistes du contexte urbain. Nous nous questionnerons donc sur la qualité de ces constructions et sur les choix pris pour la reconversion de ce patrimoine. La question se heurte entre autre à la problématique de la persistance du patrimoine bâti sur le territoire, à son réemploi, à sa reconversion pour adapter l’existant aujourd’hui obsolète à de nouvelles fonctionnalités et attentes urbaines contemporaines, mais l’enjeu est aussi urbain, au-delà de la seule échelle de la construction solitaire. À l’heure où la situation géopolitique européenne est stable, et alors que les engagements de l’Etat vis-àvis des cartes militaires débloquent de nouveaux terrains pour la ville, celle-ci est confrontée à une problématique oubliée : comment reconstruire la ville sur la ville, et comment reconstruire la ville dans la ville ?
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COMMENT LA RECONVERSION DU PATRIMOINE MILITAIRE PEUT-ELLE AUJOURD’HUI ASSURER A LA VILLE UNE NOUVELLE DYNAMIQUE URBAINE ? Nous aborderons dans une première partie la situation actuelle du patrimoine militaire, quelle est sa place dans le territoire français et quelles sont les attitudes prises pour assurer la conservation de ce patrimoine. Ensuite nous nous orienterons dans un deuxième temps vers la notion de reconversion des constructions militaires, en étudiant les partis-pris et les attitudes de reconversions possibles par plusieurs exemples, ainsi qu’une étude de cas du Fort Saint Jean de Lyon (actuelle Ecole Nationale du Trésor). Enfin nous terminerons cette étude par un retour à la grande échelle afin d’étudier le rapport qu’entretient la ville avec les friches militaires dans le cadre de la dynamique urbaine via plusieurs exemples contemporains d’éco-quartiers et opérations urbaines dont le quartier de Bonne à Grenoble et la place du patrimoine dans la constitution d’un nouveau quartier de ville ou d’une nouvelle pièce urbaine.
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I - Le patrimoine militaire
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I - Le patrimoine militaire
01- Evolution du système défensif La ville a de tout temps été confrontée à sa protection vis-àvis des assaillants et des villes voisines, que ce soit de la simple colonie romaine au château féodal, en passant par la ville du Moyen-Age ou à la ville nouvelle. Depuis l’histoire de la création de la ville, celle-ci s’est développée autour de sa notion de protection, de défense, de résistance à une attaque d’envahisseurs. Du modèle de la ville ceinturée par une enceinte défensive à la citadelle en passant par la ville protégée par des postes de défenses avancés, la ville a su faire appel à des techniques de défense variées et adaptées aux méthodes offensives de chaque époque. L’architecture militaire est bien spécifique et évolue d’une manière différente de l’architecture dite « classique », l’architecture des logements, des équipements… On ne répond pas à un style, on ne répond pas à une époque, à un courant de pensée, on répond ici aux évolutions technologiques de l’armement, on conçoit en fonction de l’autre, en fonction des avancées de l’assaillant. L’homme, les politiques ont toujours cherché à se protéger, et à protéger le fruit du travail, le fruit d’un héritage communautaire, la résultante d’une construction élaborée par le pouvoir en place, les habitants… Se protéger c’est assurer sa sécurité mais aussi la sécurité des constructions. On construit des édifices militaires pour protéger l’architecture. L’architecture à la défense de l’architecture, l’architecture à son propre service. Comment ont évolué ces systèmes défensifs pour répondre aux attentes de protection des villes ?
1 - Carcassonne
2 - Château de Loche
Très tôt les villes ont pris conscience de la nécessité de se défendre pour assurer la pérennité de leur cité, la sécurité des habitants et du seigneur régnant sur ses terres. Le type de défense privilégié jusqu’au Vème siècle est le modèle de l’enceinte urbaine, hérité des procédés de défenses romains. Elle est composée de courtines et de tours de flanquement et encercle la ville. Très vite ce modèle d’enceinte, que l’on retrouve encore aujourd’hui à Carcassonne (fig. 1) par exemple, devient onéreux et laisse place au modèle du château à motte qui multiplie les enceintes, d’abord en bois puis en pierre, autour d’une tour qui devient peu à peu un réduit défensif. On trouve plusieurs zones : la basse cour où logent les communs, la haute cour accueillant les nobles, et la tour placée sur une motte de terre naturelle ou artificielle. Ce système va se généraliser sur le territoire français comme européen mais évoluera au profit de la tour défensive faisant office de résidence pour un seigneur. Les défenses sont progressivement condensées dans une seule et unique tour (comme à Loche (fig. 2)) Au XIIème siècle, l’évolution des modes de défenses et surtout des modes d’offensives impose une modification de ces tours défensives et résidentielles, héritées du modèle du château à motte. Le château fort hérite du modèle de la tour défensive que l’on vient protéger par une enceinte flanquée de tours, pour devenir
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3 - Château de Pierrefonds
4 - Citadelle de Neuf-Brisach
5 - Fort Montluc - Villeurbanne
6 - Fort de Bron
progressivement une unique enceinte flanquée de tours et d’une tour maitresse. On sépare à nouveau les fonctions résidentielles et militaires. De nombreux modèles se succèdent faisant apparaitre de nouveaux systèmes défensifs : le pont levis, les flanquements verticaux… Le château fort devient résidence peu à peu au XIVème siècle sous Charles V avec des exemples célèbres, comme Pierrefonds, Vincennes (fig. 3)… mais l’évolution rapide de la poliorcétique (art de la guerre) et les performances technologiques imposent aux châteaux des solutions de fortunes pour résister aux attaques. De nombreux aller-retours sont faits entre plusieurs modes défensifs pour tester les meilleures techniques de défense possible. Dès lors se met en place une science de l’attaque et de la défense imposant des modifications radicales sur la façon de concevoir une place forte. Le modèle du bastion voit le jour au XVème siècle, visant à assurer un minimum de possibilités à l’ennemi de pénétrer dans l’enceinte de la place forte. Ces citadelles modifient grandement les territoires alentours et accueillent des casernements en leur sein, puis progressivement des villes entières (comme à Neuf-Brisach (fig. 4) ou à Besançon). L’arrivée de nouvelles armes rendent peu à peu les ouvrages et leurs courtines fragiles, imposant l’utilisation de la terre comme système de défense. Les forts utilisent massivement la terre et deviennent de moins en moins étendus sur le territoire, comme le montre les ouvrages des ceintures dites de Rohault de Fleury (comme le fort de Villeurbanne (fig. 5) puis de Séré de Rivières à Lyon (comme le fort de Bron (fig. 6). Les derniers ouvrages défensifs en France datent de la Première et Seconde Guerre Mondiale. On trouve alors de nombreux forts dans le quart Nord-Est de la France et d’autres exemples sur les côtes atlantiques par exemple. Si l’on compte de nombreux ouvrages défensifs sur le territoire français, à cela s’ajoute l’ensemble des constructions visant à loger les armées, à l’entrainement de celles-ci, au stockage du matériel… qui ont de tout temps constitué une grande partie du patrimoine militaire.
02- Diversité & identité Si les techniques défensives ont évolué et ont été remaniées de nombreuses fois, il nous reste aujourd’hui peu d’exemple très anciens de structures défensives datant au-delà du Moyen-Age, voir même au-delà du la Renaissance et de la période classique. On trouve de nombreux forts, citadelles, remparts, casernes qui ponctuent le territoire français. Aujourd’hui, et cela depuis les années 1940-50 (depuis la fin des guerres européennes), les pays ne se sont plus dotés de structures défensives. Les accords politiques ont stabilisé la géopolitique européenne et les menaces ne viennent plus de nos territoires mais sont repoussées au-delà des frontières européennes. C’est donc d’un grand patrimoine militaire construit que disposent les pays européens. On se chargera plus dans ce rapport d’étude, d’aborder le patrimoine militaire français
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car nous disposons d’une collection d’objets d’architectures militaires assez importante en nombre comme en variété. En France, le patrimoine militaire représente 0,5% du territoire français, équivalent à plus de 260000 ha et 75000 bâtiments. C’est dire la part importante de ce patrimoine dans la composition du paysage bâti français mais ce qui impressionne le plus, c’est avant tout la variété de ce paysage patrimonial militaire. Du rempart au fort, de la citadelle au bastion, de la caserne aux équipements industriels, ce patrimoine n’est pas seulement le témoin d’un primordialité de la défense et de la protection des villes et des citoyens, c’est aussi le marqueur d’une époque, d’un style de défense, le marqueur d’un rapport au site. On ne construit pas un rempart comme on construit un bastion et encore moins comme on construit une caserne. Même si ce patrimoine bâti présente une identité commune : protection et sécurité, chacun de ces 75000 édifices possède une identité particulière qui en fait une pièce exceptionnelle de l’environnement bâti. Qu’il soit isolé ou intégré à la ville, chacun de ses bâtiments se dénote de l’environnement dit « ordinaire ». Peut-on parler de typologie de construction militaire dans le cas d’une variété si importante. Difficile de classifier, et de répertorier les différentes typologies défensives constructives. Mais il est une qualité, ou plutôt un qualificatif que l’on peut attribuer aux constructions militaires : il s’agit d’un espace, d’une construction hermétique, close. On parle d’enceinte, de ceinture, de fort, de citadelle… Toutes ces constructions renvoient à une forme bien définie et idéalement close. Cela nous renvoie à l’image même que nous avons de ce patrimoine militaire construit : des enclaves impénétrables. Et en second lieu, on identifie le patrimoine militaire à des constructions d’une solidité à toutes épreuves. Les matériaux participent à cette conception : pierre massive, béton, terre… autant que les épaisseurs bâties nous indiquent la nécessité de ne pas plier sous le joug des attaques. Même s’il s’agit d’un patrimoine aussi diversifié, nous savons identifier un ouvrage défensif au premier coup d’œil, des détails de ces constructions défensives nous signalent immédiatement la qualité protectrice du bâtiment : créneaux, meurtrières, fentes de tir, mâchicoulis, échauguettes, fossés… dévoilent l’identité du bâtiment. Nécessité, ou simple expression de la puissance d’une ville, on retrouve ces éléments défensifs pendant de longues périodes alors même lorsque les systèmes défensifs évoluent rapidement et sont régulièrement modifiés. L’architecture militaire se suffit à elle-même, nul besoin d’ornementation, nul besoin d’un quelconque décor car l’importance est de défendre. Seules folies acceptées, la porte peut être soulignée. L’architecture militaire se veut sobre. « Elle bannit le luxe et le choix des matériaux ostentatoires, se contentant principalement de la terre et de la pierre : architecture de rigueur et de simplicité, voire de sobriété » 2
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DALLEMAGNE François, 2002. Patrimoine militaire. Nouvelles éditions Scala. 328 p.
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03- La prise en compte du patrimoine militaire : protection et conservation Même si les villes ont abandonné leurs infrastructures militaires et défensives afin de reconstruire et répondre à des demandes à l’échelle urbaine, toutes les constructions, marqueurs d’un passé défensif, n’ont pas hérité du même sort et n’ont pas été victimes des démolitions. Alors comment se fait-il que ces constructions, surtout ces constructions urbaines intra-muros, aient été prises en compte comme des éléments architecturaux remarquables, dignes de faire partie du patrimoine bâti ?
A– Un patrimoine atypique à préserver « Brutalement par pans entiers, sont entrés dans le domaine patrimonial des catégories d’objets, des champs esthétiques ou culturels obsolescents que la transformation industrielle et l’aménagement de l’espace menaçaient de disparition » 3 La citation de P. NORA nous renvoie à notre question, comment se fait-il que des édifices non conventionnels tels que les constructions militaires, industrielles… viennent rejoindre le rang des bâtiments patrimoniaux. L’envie de démolir se confronte souvent à un fait problématique : la question financière. Il coûte excessivement cher de détruire ce qui est construit. C’est pourquoi de nombreuses constructions ont été épargnées et ponctuent encore aujourd’hui l’espace urbain. Il était plus aisé de construire ailleurs que de reconstruire sur la ville construite. L’Etat et le ministère de la Défense sont les principaux détenteurs du patrimoine militaire construit ce qui a permis d’éviter nombres de démolitions qui auraient pu être réalisées par les villes, ou d’autres maitres d’ouvrage soucieux de récupérer des terrains intéressants. On le citait précédemment, aujourd’hui on recense 75000 bâtiments militaires mais un très faible nombre bénéficie de la protection du titre de Monuments historiques : seuls 170 constructions bénéficient de ce titre. Il y a une prise de conscience lente et difficile de la valeur patrimoniale du bâti militaire compte tenu de la variété des constructions et de l’impact du temps et de l’évolution urbaine. Les sites militaires abandonnés, intégrés à la ville ou isolés sont souvent des sites atypiques, chargé d’histoire et qui véhiculent un imaginaire à l’intérieur même de la ville. A Lyon, les pentes de la Croix-Rousse se terminent en direction du Rhône par de curieux espaces publics, déambulations entre les derniers remparts du bastion Saint-Laurent, tout comme les rives de la Saône sont surveillées et gardés par la présence du Fort Saint-Jean.
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NORA Pierre, 1997. « L’ère de la commémoration », dans Les lieux de mémoire (tome 3), Paris, Gallimard, pp. 4687-4719
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Tout un imaginaire urbain s’est créé autour de ces espaces, vestiges d’un passé ancré dans l’histoire de la ville. Détruire le patrimoine c’est en quelque sorte effacer l’histoire de la cité. La patrimonialisation et la sauvegarde du patrimoine militaire peut « contribuer à la mise en perspective du temps, à la fourniture de repères historiques et territoriaux et au renforcement d’une relation affective de la population avec son patrimoine. » 4 Les sites militaires ne sont pas tous des casernes et autres forts de plaines, et l’exemple lyonnais en est la preuve. Le fort Saint Jean est posé sur le flan de la colline, tout comme le fort de Vaise sur la colline d’en face. Ces exemples de forts sont la preuve que leur destruction serait certes un effacement dans le paysage d’un élément fort et atypique, mais aussi que leur destruction reviendrait à modifier le profil de la colline et à fragiliser celle-ci. Les bâtiments font corps avec la colline autant qu’ils font offices d’éléments du paysage. Il est donc impossible pour des raisons de maintien des terres de supprimer ces constructions. Importance paysagère, patrimoniale et structurelle, le patrimoine militaire n’est pas amené à disparaitre aussi facilement de paysage urbain à l’heure actuelle.
B– La muséification du patrimoine militaire Même s’il y a une prise de connaissance et de conscience de la qualité architecturale, historique et urbaine de ces constructions défensives, celles-ci ont du mal aujourd’hui à être considérées comme des édifices utiles à l’évolution de la ville dans leur état actuel. Plusieurs solutions s’offrent à ces structures. On note principalement la volonté des villes, des collectivités et de l’Etat pour transformer ces édifices en témoins de leur propre passé culturel. On voit la naissance de plusieurs musées patrimoniaux, ces structures dépouillées de leurs fonctions défensives, ou relatives à la défense de l’Etat. Volonté de dynamisme économique et touristique ou prétexte au sauvetage de constructions, la mise à profit du patrimoine culturel afin de communiquer sur l’histoire d’une ville, d’une région, sur les évolutions territoriales et les technologies militaires a permis la prise de conscience de l’importance du patrimoine et la diffusion de l’histoire. On mesure la prise de conscience collective et l’intérêt porté par la population sur ces sites et musées d’histoire lorsque que ces derniers accueillent un nombre très important de visiteurs toute l’année, mais surtout lors des Journée Européennes du Patrimoine.
7 - Base Sous-marine – St-Nazaire
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Les villes, qu’elles soient de taille modeste ou importante ont relevé le pari du tourisme patrimonial militaire. Saint-Nazaire a réaménagé sa base sous-marine en « musée de la mer », accueillant un paquebot reconstitué, un sous-marin… et est accessible au public à l’intérieur comme en toiture dégageant une vue sur le port de Saint Nazaire et ses chantiers navals. (fig. 7)
DALLEMAGNE François, 2002. Patrimoine militaire. Nouvelles éditions Scala. 328 p.
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8 - Fort de Vaux - Verdun
9 - Château des Allymes
Le bâtiment a donc rouvert ses portes aux civils en 2000 grâce à cette reconversion patrimoniale réussie. A Paris, les Invalides accueillent le musée de l’Armée. Ouistreham accueille dans son Bunker de la seconde guerre mondiale, le musée du Mur de l’Atlantique. Verdun a transformé ses forts de Vaux (fig. 8), Douaumont… en lieu de mémoire de la Première Guerre Mondiale, intégré à un parcours touristique comprenant d’autres musées et mémoriaux. A une plus petite échelle, d’autres villes mettent à profit leur patrimoine défensif dans un souci économique et touristique. A Pérouges, la Maison des Prince et la Tour de Guet accueille un musée relatif à l’histoire de la ville. A Ambérieu-en-Bugey, le Château des Allymes (fig. 9), construction du XIIIème siècle, a été sauvé de la ruine en 1960 en étant classé monument historique la même année et ouvert au public en 1966. Ces décisions font suite à la prise de conscience collective de la qualité historique et patrimoniale d’un édifice mais souvent à la menace qui pèse sur l’avenir d’un tel bien. A Pérouges par exemple, la création d’un comité de défense en 1911 permet de sauver la cité, un temps menacée de destruction. La diversité des constructions réparties sur l’ensemble du territoire français impose une diversité des espaces muséographiques, lieux de mémoire et de transmission de l’histoire de tout un pays. Deux possibilités s’offrent aux municipalités et aux organismes afin de promouvoir et de développer ces musées d’histoire et de patrimoine : restaurer le patrimoine ce qui implique l’apport de fonds financiers, ou la conservation en l’état, option souvent choisie par les sites situés dans les petites villes, ou les sites marqués par une histoire forte et une empreinte des attaques souvent témoins du passé défensif. Ainsi les sites de batailles, de sièges… ne peuvent pas être restaurés si l’on cherche à transmette l’histoire du site.
C - Les acteurs de la sauvegarde du patrimoine militaire Nombreuses de ces structures muséales sont le fruit d’associations de petites tailles qui militent pour la prise en compte et la valorisation du patrimoine militaire. Ce sont souvent des associations locales qui sont à l’origine de la création de ces musées d’histoire et de patrimoine, et qui cherchent à promouvoir ce lieu de découverte, ainsi qu’à conserver ces traces du passé militaire d’une ville. Pour l’exemple cité précédemment du Château des Allymes, l’aménagement du musée et sa protection au titre de Monument historique a été possible grâce à plusieurs associations telles « les Amis du Château des Allymes » qui veillent au bon fonctionnement du musée et assurent des évènements visant à attirer un nouveau public ou à faire redécouvrir ce patrimoine. A Pérouges, le Comité de Défense du Vieux-Pérouges, qui s’est occupé de la restauration des bâtiments de la cité, s’occupe aujourd’hui de promouvoir l’histoire de la ville par un musée financé par l’association et dont les biens sont des dons de familles pérougiennes. L’association a
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permis également en 1912, sous la présidence d’Edouard Herriot de sauver la cité de la destruction. L’argent récupéré grâce aux entrées de ce musée permet l’apport de nouvelles pièces aux collections, la restauration de certaines et participent à la restauration de la cité toute entière. D’autres associations tentent de promouvoir la valeur du patrimoine militaire à l’échelle nationale comme l’association VPM, Valoriser les Patrimoines Militaires, par le biais de colloques, d’expositions… Les communes sont aussi présentes pour assurer le développement des musées patrimoniaux et à leur gestion. L’initiative d’un musée peut donc être privée et gérée par une association ou public et gérée par une commune. Aujourd’hui la question du patrimoine militaire intéresse de plus en plus les « starchitectes » : Jean Nouvel souhaite installer sa fondation dans le Fort du Mont-Boron, Renzo Piano vient de remporter la reconversion de la citadelle d’Amiens en université… L’architecture militaire rentre aujourd’hui dans la considération des édiles de l’architecture. Les populations, de toutes les professions, de toutes les régions prennent aujourd’hui conscience de la valeur patrimoniale et architecturale des constructions militaires. Les villes ne peuvent cependant pas toutes financer un musée, qu’elles soient rayonnantes à l’échelle d’une collectivité, d’une région, ou du territoire nationale. Elles sont donc forcées de trouver d’autres moyens pour ne pas délaisser ce patrimoine et éviter la disparition d’édifices uniques.
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II - La reconversion, nouvelle alternative contemporaine
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II - La reconversion, nouvelle alternative contemporaine
01- Du militaire au civil A- La cession des biens militaires Suite à la réforme des armées engagées dès 1996 par le gouvernement, et la nouvelle carte militaire instaurée et révisée en 2008, le Ministère de la Défense dispose d’un patrimoine construit vaste, le premier patrimoine de l’Etat en terme de surface comportant tous type de sites : casernes, fortifications, bases d’entrainement, entrepôts… Nombres de sites sont situés en périphérie des villes et entrent dans l’organisation urbaine de cellesci. Que faire de ce patrimoine si vaste, si réparti et si divers lorsqu’il n’est plus d’actualité que de défendre le territoire de façon permanente, lorsqu’une armée professionnelle remplace les nombreux jeunes qui réalisaient leur service militaire, lorsque les infrastructures ne répondent plus aux attentes de la nouvelle armée. Deux possibilités s’offrent au Ministère de la Défense : - Densifier les sites militaires maintenus actifs en apportant à ceux-ci des nouvelles qualités et en assurant la centralisation. Il faudra donc accueillir de nouveaux employés impliquant la réalisation de nouveaux logements et services relatifs à l’arrivée de nouveaux habitants. Cela a pour effet de redynamiser l’économie d’une commune ou d’une communauté de commune. L’installation de nouvelles industries et moyens logistiques relatifs à la densification de ces sites est aussi nécessaire. Il s’agit cependant d’une opération de requalification et de réhabilitation dans le cadre du programme militaire, ces opérations sont réalisées au sein même du Ministère de la Défense et restent dans militaire. - Reconvertir les sites aliénés. Si le Ministère de la Défense ne souhaite pas intervenir dans la réhabilitation ou l’usage militaire de ses propres terrains, les autres ministères du gouvernement sont sollicités (tels que le Ministère des Finances et du Budget, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, le Ministère de l’Éducation Nationale…). Si aucun corps ministériel n’est intéressé par l’acquisition du bien à reconvertir, le Ministère de la Défense a alors la possibilité de faire appel aux communes ou communautés de communes dans la
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perspective d’une reconversion. Lorsqu’un site militaire est aliéné, la MRAI (Mission de Requalification de Actifs Immobiliers) du Ministère de la Défense s’occupe d’évaluer le potentiel du site et vise à trouver une reconversion possible de ce dernier. Crée en 1987, cette structure est composée de négociateurs qui évaluent le potentiel de reconversion d’un site dans le cadre civil. C’est en quelque sorte l’ «Agence Immobilière » de la Défense mais elle s’assure de proposer des scénarios de reconversions réalisables et correspondant aux attentes tant du ministère que des collectivités. La MRAI est composée d’une petite équipe de 10 personnes, placées sous la responsabilité d’un ingénieur général des ponts et chaussée dépendant de la DMPA (Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives), direction responsable de la politique immobilière de la Défense. Lorsqu’un bien est aliéné la MRAI prend contact avec le préfet du département accueillant le site pour que ce dernier fasse part à la commune ou à la communauté de communes de la possibilité d’acquérir un bien militaire et de réfléchir à la possible reconversion de celui-ci. Si la commune est intéressée par l’acquisition, le Ministère de la Défense finance les études de reconversion et charge France Domaine (organisme rattaché au Ministère du Budget) de fixer le prix de cession du bien en partenariat avec les services des domaines du département (ou la Brigade de documentation et d’évaluation domaniale pour les opérations complexes). Le prix du bien militaire est relatif au projet de reconversion et au potentiel de reconversion du site. La MRAI est chargée de l’étude de reconversion autant que de la diffusion d’informations qui pourraient intéresser une entreprise d’exploitation, ainsi que de la négociation du bien. En plus de 20 ans d’existence, la MRAI a traité 2000 dossiers de cessions de biens militaires pour un montant de plus d’un milliard d’euros. L’ensemble des recettes relatives à la vente d’emprises militaires aliénées est reversé à 100% au budget de la Défense et permet l’investissement dans de nouvelles structures ou la réhabilitation de sites à moderniser. La vente d’emprises militaires à des personnes privées n’est pas autorisée.
B - La dépollution des sites Si le Ministère se charge du financement de l’étude des possibilités de reconversion possible pour un site, il ne se charge cependant pas de la dépollution du site. Dès la création de la MRAI, le ministère de la Défense devait céder les terrains et bâtiments dépollués, aujourd’hui le Ministère essaye de céder les terrains tels quels en négociant parfois les prix pour éviter de prendre à sa charge les opérations de dépollution. La dépollution du site revient
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de plus en plus à la charge de l’acquéreur pour accélérer aussi la cession des terrains. On dénombre plusieurs types d’opérations de dépollution. Parmi celles-ci on trouve celles dites de dépollution systématique et obligatoire faisant suite à une étude menée par le SID (Service d’Infrastructure de la Défense) se basant sur des données historiques et des relevés opérés par des entreprises spécialisées. Elles concernent les opérations d’extraction de plomb, d’amiante, d’hydrocarbure…Elles sont les plus courantes des opérations de dépollutions des emprises militaires cédées par le ministère. Sur le projet de l’ancien camp militaire de Sathonay Camp, le ministère de la Défense a fait le choix de réaliser une gendarmerie et une ZAC de logements, la dépollution a porté sur le désamiantage du site et l’extraction des déchets non polluants dispersés. Les opérations de dépollution pyrotechnique viennent compléter la liste. Elles concernent l’extraction et le traitement de munitions non explosées de type explosif, toxique… Plus rares que les opérations de dépollutions obligatoires, elles sont beaucoup plus dangereuses et l’on fait appel à des entreprises privées ayant pour spécialisation ces types de dépollution. L’Etat se doit dans toutes cession de réaliser une étude de pollution pyrotechnique qui se base elle aussi sur des données historiques et des relevés réalisés sur site. En cas de diagnostic positif notant la présence de matériel pyrotechnique, l’Etat lance un appel d’offre pour sélectionner une entreprise de dépollution qui veille en même temps qu’au bon déroulement du chantier de dépollution et à la sécurité des employés.
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- Des reconversions variées, des réponses architecturales adéquates
A - Quel choix pour quel patrimoine ? Même si les collectivités et les communes se tournent souvent vers la muséification de l’architecture et l’intégration de leur patrimoine militaire dans un contexte touristique ayant pour but de sauver un patrimoine de la disparition, il existe d’autres solutions que de figer un bâtiment dans son état et de nier une possible évolution autre que des espaces d’exposition. Si aujourd’hui on se pose la question de la réutilisation de notre patrimoine militaire dans un but d’adaptabilité à la société actuelle, la question a aussi été l’objet de toutes les attentions depuis bien des décennies. Nombres de bâtiments ont été reconverti en fonction des nécessités d’une commune et ont changé d’usages à plusieurs reprises. Prenons quelques exemples lyonnais. Le Fort de Montluc (Fort de Villeurbanne) a été transformé en prison pendant la Seconde Guerre Mondiale par l’armée allemande pour accueillir les déportés avant leur transfert vers les camps de concentration. Le Fort Saint Jean fut tour à tour service de santé des armées en 1932, siège de l’état-major des armées allemandes durant l’Occupation, siège de l’inspection des services vétérinaires à la Libération et ce jusqu’en 1998, date à laquelle il acquiert sa fonction actuelle de centre de formation des contrôleurs d’impôts. « Dans la reconversion, des glissements s’opèrent, entre l’objet et la fonction : dans le neuf, on conçoit une enveloppe pour un programme donné, dans l’existant l’enveloppe existe et c’est pour elle qu’il faut mettre au point de nouveaux programmes. » 5 Il est d’autant plus difficile de trouver une reconversion adéquate pour un site dont l’architecture et l’ancienne affectation restent ancrés dans l’identité du site. Plusieurs solutions sont envisagées par les acteurs de la reconversion dont la MRAI et les communes principalement. Quelques sites trouvent leurs projets de reconversions par instinct et par l’impossibilité d’accueillir d’autres fonctions. Ces sites se tournent principalement vers trois types de reconversions dans les domaines de la culture, du logement et des économiques et tertiaires. Certains sites militaires ont été reconvertis pour accueillir de nouvelles fonctions pour le ministère de la Défense ou la sécurité des villes et du territoire. Ainsi sur Lyon, le fort de Villeurbanne est devenu le nouvel Hôtel de Police de la ville, le fort du mont Verdun, une base aérienne alors que le fort de Sainte-Foy accueille un centre de CRS.
10 - Université de Bayonne 5
En ce qui concerne la culture, les emprises militaires telles que les forts sont aujourd’hui privilégiées pour accueillir des lieux d’enseignement. En effet la taille des emprises, la disponibilité d’un grand nombre de bâtiments répartis à l’intérieur d’une enceinte, et la disponibilité spatiale nous invite à filer la comparaison avec les campus universitaires. Ainsi les forts Vauban de Bayonne (fig. 10) et
SCHITTICH Christian, 2006. Construire dans l’existant. Edition Birkhäuser Détail, 176 p.
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11 - Université de Nîmes
12 - Musée Costume de Scène Moulins
de Nîmes (fig. 11) sont d’ores et déjà les nouvelles universités de leur ville, reconverties respectivement par les architectes Jean De Giacinto et Andrea Bruno. Le fort Saint-Jean de Lyon accueille lui l’école des inspecteurs des impôts. Demain la citadelle d’Amiens sera reconvertie par l’architecte Italien Renzo Piano pour devenir une université d’envergure régionale. Certains sites accueillent des projets de structures éducatives comme les Subsistances de Nevers qui sont aujourd’hui une structure de l’ISAT, Institut Supérieur de l’Automobile et des Transports, école d’ingénieurs, la caserne Bissuel de la place Carnot de Lyon est aujourd’hui l’Université Catholique de Lyon, alors que les derniers travaux des Subsistances de Lyon ont permis l’installation de l’école des Beaux-Arts de Lyon. D’autres sites se tournent vers des projets culturels tels que la caserne Villars de Moulins aujourd’hui musée du costume de scène (fig. 12) réalisé par Willmote & Associés, ou encore le fort de Saint Jean de Marseille accueille dans sa structure et dans un nouveau bâtiment, le MuCEM, Musée des Civilisations d’Europe et de Méditerranée de Rudy Ricciotti, point d’orgue du projet Marseille, capitale de la culture 2013.
Plus conventionnels, la récente cession des casernes devenues inutiles et obsolètes pour le personnel de la Défense est devenue source de projets de reconversion en logements. Peu d’autres structures accueillent des programmes de logements dans leurs projets de reconversion. L’est de la France riche d’un patrimoine de casernes, a immédiatement saisi l’opportunité de développer son parc de logements. Les structures très tramées de ces sites imposent une modification partielle des voiles porteurs et 13 - Caserne Boudet - Bordeaux une précise attention à la solidité de la structure. Aujourd’hui le nombre de casernes reconvertis ne cesse de croitre. On peut citer parmi elles la caserne Boudet de Bordeaux (fig. 13) et celle d’Arras reconverties en résidences étudiantes, les casernes de Bonne de Grenoble (fig. 14) et Châlons-en-Champagne accueillent des logements de standing. Les casernes Drouot et Barbanègre à 14 - Caserne de Bonne - Grenoble Mulhouse et Aubry à Bourg-en-Bresse sont elles aussi devenues des logements. Le patrimoine militaire est aussi beaucoup prisé par les entreprises et de nombreuses reconversions tertiaires. Ainsi certains bâtiments militaires accueillent des sièges sociaux d’entreprises, des bureaux ou encore, des sites de production. Dans le Jura le fort Henry Martin aux Rousses (fig. 15) est aujourd’hui une cave d’affinage de fromage et des bureaux pour la communauté de commune. Pour autre exemple l’ancienne caserne Lyautey 15 - Fort Henry Martin aux Rousse d’Alençon est devenue le siège du Conseil général de l’Orne. On a affaire à des reconversions variées puisque les hôpitaux militaires Sédillot (fig. 16) et Baur de Nancy et Colmar sont devenus respectivement le siège du Conseil général et un siège d’entreprises.
16 - Hôpital Sédillot- Nancy
On peut distinguer deux approches de la reconversion. Celle qui consiste à se réapproprier une structure existante et celle qui consiste à intégrer un bâtiment dans la reconversion d’un quartier. On étudiera cette deuxième approche dans la dernière partie du rapport.
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B - Quelles postures adopter ?
17 - FRAC Centre - Orléans
18 - Caserne Pélissier - Rouen
Les bâtiments militaires sont vecteurs d’une identité atypique et identifiable dans le paysage architectural. Leur identité en fait des lieux difficiles à reconvertir tant par la nature de l’architecture que par l’organisation spatiale de ceux-ci. Les architectes choisissent de s’orienter vers plusieurs postures pour reconvertir ces sites. La reconversion ne propose pas à l’architecte de repartir de zéro mais bien de tirer parti de ce qu’il a en sa possession pour créer un projet ancré dans son site, dans son bâtiment d’origine et en harmonie avec l’architecture déjà présente. Cela ne signifie pas qu’il doit recréer à l’image de ce qui existe déjà, mais plutôt comprendre l’existant pour construire en parallèle avec le sens de l’architecture à reconvertir. On trouve des reconversions qui laissent une grande importance à l’apparence originelle du bâtiment. Celles-ci touchent très peu à l’enveloppe du bâtiment, autant qu’à la structure interne. Ce sont de reconversions légères qui tirent parti de la situation actuelle du bâtiment. Celles si consistent en une « remise à neuf » du bâtiment pour y accueillir sa fonction nouvelle. C’est ce que l’on peut voir sur la plupart des projets de reconversions de casernes qui respectent la trame porteuse originelle très rythmée. On n’a pas ou peu de manifestations extérieures de la reconversion. Dans ce cas de reconversion l’architecte considère que l’architecture du site se suffit à elle-même et qu’il est possible de composer un nouveau projet uniquement avec les éléments construits déjà présents. D’autres projets nécessitent une intervention construite nouvelle. Dans ce cas-là soit on fait le choix de construire une extension nouvelle discrète, qui laisse place d’avantage au caractère du bâtiment, ou alors on s’oriente vers une nouvelle architecture radicalement différente et qui s’impose comme une nouvelle image du site. La première configuration laisse plus d’importance à l’existant, l’autre vise plus à imposer le contemporain. Le choix dépend essentiellement de la nature du site à reconvertir (disposet-il d’un caractère affirmé ?), de l’ambition de la ville, de l’architecte ou d’une société (faire un signal, un lieu reconnaissable d’envergure métropolitaine, départementale, régionale voir nationale). L’architecture de la reconversion se nourrit alors d’une dualité entre architecture traditionnelle et militaire et architecture contemporaine. Les projets qui visent à considérer ces bâtiments comme des nouveaux monuments urbains sont tous aussi variés les uns que les autres, certains se servent uniquement de l’existant comme toile de fond comme le projet du FRAC Centre à Orléans réalisé par Jakob et MacFarlanne (fig. 17) qui affirment les « Turbulences » de verre et d’acier comme la nouvelle identité du lieu laissant les façades et la structure des Subsistance militaire en arrière-plan, alors que d’autres projets, comme la reconversion de la caserne Pélissier de Rouen (fig. 18), supprime l’élément toiture de la caserne pour la remplacer par des volumes en acier corten, matériau proliférant qui devient aussi matérialité des balcons rapportés en façade mais qui dialogue avec la brique, ornementation des fenêtres.
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Si certains projets se détachent de la véritable nature du lieu, la majorité des projets respecte l’identité du site et la reconversion se construit en cohérence même si le contemporain s’impose de plus en plus et donne un nouveau visage à l’architecture militaire. Nous étudierons l’une des reconversions du patrimoine militaire qui laisse une place au caractère du bâtiment tout en y mêlant architecture contemporaine, car il s’agit d’une des postures les plus rencontrées dans le domaine de la reconversion militaire.
03-
Étude de cas : la reconversion du Fort Saint-Jean à Lyon
Situation géographique
Organisation du site
Construit au XVIème siècle pour protéger Lyon de l’ennemi suisse, le Fort Saint Jean fut beaucoup moins important que celui que l’on peut voir aujourd’hui dominant la Saône de toute sa massivité. Il n’est au XVIème siècle qu’un bastion de taille réduite et est intégré dans la ligne de fortifications nord de la ville, souhaitée par Louis XII, pour devenir au XIIIème siècle un véritable fort. Il permettait de contrôler l’entrée nord de la ville tant sur terre que sur la rivière. Il assurait un double rôle, la sécurité de la ville ainsi que la sécurité du faubourg riche par rapport au faubourg plus instable occupé par les canuts et ouvriers de la soie. En combinaison avec les forts de Loyasse et Vaise, le fort Saint Jean assurait la sécurité de la Saône. En 1834 et 1835 commence la construction des casernes, poudrières et bâtiments situés à l’intérieur du fort encore visibles aujourd’hui. Malgré la situation du bâtiment, la disparité, la dispersion de ses bâtiments… en font un site très difficile à reconvertir. Lorsque l’inspection des services militaires quitte le site en 1998, la MRAI cherche un acquéreur et une reconversion possible. La mission de la MRAI s’est donc confrontée aux méfiances des sociétés d’exploitations qui, toutes aussi variées qu’elles sont, ont pour beaucoup abandonner l’idée d’acquérir le marché d’exploitation.
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Ancienne caserne
Par exemple un investisseur hôtelier, intéressé par la situation et la vue qu’offre le bâtiment n’a pas souhaité lancer un projet risqué. Une maison de retraite était intéressée par le site mais a dû refuser de s’installer compte tenu de la difficulté d’accès et la topographie du site qui en font un site difficile d’adaptabilité aux personnes âgées ou handicapés. Complexes immobiliers, ensemble de bureaux ont tour à tour révisé leur souhait de s’installer dans l’ancienne ensemble fortifié de la ville. C’est en 2000 que le Ministère des Finances fait savoir son souhait de réaliser une structure regroupant en un seul lieu 18 centres répartis dans toute la France dans le Fort Saint Jean. En 2001, suite à la cession du bâtiment du Ministère de la Défense au ministère des Finances, le Fort Saint Jean est reconverti par l’agence Pierre Vurpas & Associés pour accueillir l’École Nationale des Contrôleurs d’Impôts. Le projet s’inscrit dans un cadre de reconversion qui ne vise pas à masquer le caractère atypique et l’identité forte du bâtiment et se veut dans le même temps un projet contemporain, innovant, réconciliant tradition et technologie, architecture et paysage, nature et urbanité. Alors comment s’inscrire dans un site aussi complexe que cet ancien fort désaffecté ?
Façade ré-enduites
Façades en pierres apparentes conservées
Nouveau Hall d’entrée
L’architecte a ici fait le choix de réaliser une reconversion légère du site qui laisse une place forte à l’identité du lieu. Ici le choix est fait de reconvertir les corps de bâtiment en tirant parti des structures et les enveloppes existantes. Le choix est fait d’utiliser les façades existantes comme façades principales. Celles-ci sont ravalées pour les bâtiments de casernement qui deviennent des lieux de formations accueillant des salles de cours et des salles de travail et les administrations. Si certains bâtiments sont ravalés, d’autres gardent leurs façades, marqueurs temporels, comme pour souligner leur pré-existance, antérieure à la construction des casernes. Dans l’optique d’une reconversion respectueuse de l’existant, on note une non modification de la structure existante et une restauration des structures existantes : le plafond à la française de la bibiotèque a été conservé et restauré, la plupart des murs n’a pas été enduite ou recouverte, pour affirmer la massivité du bâtiment. On ne cherche pas a nier l’existant dans cette reconversion , mais plutôt tirer partie de son identité. Mais alors dans ce site marqué par la temporalité comment signifier son intervention ? Ici l’intervention se veut légère, sobre, élégante. Dans un site éclaté, Pierre Vurpas vient intercaler un hall, centre nevralgique du projet, reliant l’ensemble des pavillons. D’un site fragmenté, l’ensemble est uni par la présence discrète d’un hall trasparent, ligne horizontale de connexion. La contemporanéité de l’intervention est marquée par l’utilisation de matériaux sobres mais témoins de l’architecture actuelle : le béton brut, le verre et l’acier. La reconversion est très sobre dans l’ensemble du fort mais se veut radicalement différente de l’existant dans ce hall.
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Restaurant vu depuis Fourvière
Foyer des étudiants
Le hall, espace transversal de verre, de béton et d’acier n’est pas la seul extension contemporaine visible. Si le hall n’est visible que depuis la place d’arme, le restaurant ne l’est pas mais se trouve enterré sous celle-ci et est un belvédère sur la colinne de Fourvière. Chacune des extensions tire sa spécificité. Le hall annonce le reconversion contemporaine depuis la cour, le restaurant annonce la reconversion depuis l’extérieur. Les extensions jouent un rôle particulier et orienté. La temporalité de la reconversion ne se signale pas uniquement dans les extensions. Ici le choix est fait de laisser une part majeure à l’existant, mais le mobilier contemporain et coloré donne la teinte de la reconversion et intègre celle-ci dans la vision actuelle de l’existant. De plus lorsque que des interventions sont nécessaires dans l’existant pour accueillir des nouveaux niveaux, des escaliers… le choix est fait de trancher et non pas d’imiter les techniques traditionelles mais d’assumer la dualité de deux temporalités. Si l’architecture contemporaine tranche avec l’architecture militaire, le choix des matériaux marque une continuité dans l’approche de la conception. Des matériaux bruts et patinés sont utilisés dans les extensions ce qui donne un caractère atypique et une ambiance matérielle et constructive proche de celle présente dans l’existant.
Bibliothèque
Intervenir sur l’existant dans une opération si complexe, ce n’est pas faire du neuf pour se signaler comme une architecture contemporain, c’est avant tout comprendre la logique du site, son identité, son caractère.
Salles de sport
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III - La ville Ă la reconquĂŞte des territoires militaires
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III - La ville à la reconquête des territoires militaires
01- Le fait militaire et la ville A–
La place du militaire dans l’environnement
urbain
19 - Citadelle de Lille
20 - Fort Saint Jean Lyon
21 - Caserne Sergent Blandan Lyon Quelques exemples de constructions défensives intégrés dans la ville
Un constat est d’évidence lorsque l’on aborde la question de la reconversion du patrimoine militaire et son rapport à la ville. La ville n’a pas été exemptée de la présence du militaire et des constructions défensives. Même si de nombreuses constructions se trouvent en périphérie des villes, et voire même isolées du développement urbain, certaines sont situées dans les agglomérations ou les périphéries proches. En 1980, sur une superficie des constructions militaires de 260 000 ha, appartenant au Ministère de la Défense, on ne comptait que 19 000ha intégrés dans la ville. Il ne s’agit pas ici de lister ou d’énumérer les différents types de fortifications et autres constructions défensives intégrées dans le tissu urbain mais bien d’identifier un type d’évolution qu’a connu le patrimoine bâti militaire. Quelle est aujourd’hui la trace laissée par ce patrimoine dans la ville, dans le tissu urbain. Comment se sont manifestées ces entités bâties dans la constitution des villes et quelles en sont les traces visibles dans la ville d’aujourd’hui ? C'està-dire en quoi le bâti, la trame viaire, le parcellaire se trouvent-ils influencés par des constructions antérieures mais dont les traces persistent. Si aujourd’hui les sites sont pour la plupart reconvertis, comment cette mutation c’est signifiée autre qu’à l’échelle d’un bâtiment dans l’histoire de la constitution des villes ? Les structures militaires ont toujours été considérées comme des pièces bâties d’une grande importance et d’une primordialité sans faille afin de sécuriser un territoire et d’assurer la prospérité de celui, d’en promouvoir le développement à long terme. Cependant ces infrastructures sont assujetties à un principe inévitable qui est l’adaptabilité aux évolutions contemporaines. Et la ville propose deux types d’évolutions à ces constructions défensives : l’adaptation aux techniques offensives nouvelles ou encore l’intégration au tissu urbain. En effet la ville se développe de plus en plus, que l’on se situe au XIXème siècle comme au XIIIème. On note la nécessité d’accueillir toujours plus de personnes dans l’environnement métropolitain. Cette extension urbaine n’assure plus le recul suffisant des constructions militaires défensives par rapport à la ville et celles-ci perdent de leur efficacité, de leur utilité une fois intégrées et raccordées au tissu urbain. De même que pour les évolutions des enceintes fortifiées on se doit de revoir entièrement la conception des édifices pour suivre les avancées technologiques militaires voire de reconstruire de nouveaux équipements défensifs en cas de nécessité.
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B -
Reconstruire la ville sur elle-même : l’exemple lyonnais Il est très souvent arrivé dans l’histoire de la ville, que la croissance urbaine rattrape des constructions périphériques qu’il s’agisse de constructions isolées de logements, tout comme des constructions défensives militaires. Ou même que la fonction de la ville défensive, ville citadelle, voit son plan imposé par des logiques militaires. Les villes nouvelles, ces citadelles sont organisées autour de la seule notion de défense et l’organisation globale de la ville ne sert que la cause défensive. Alors qu’en est-il des autres villes qui n’ont pas été conçu sur un plan défensif mais qui ont connu des constructions à postériori de leur création ? Prenons la ville de Lyon comme exemple car il ne s’agit en rien d’une ville défensive dont la forme est dictée par une logique militaire. La ville offre des regards différents par la façon dont les constructions militaires ont impacté ou non sur l’organisation actuelle de la ville.
22 - Boulevard de la Croix-Rousse Bastions
23- Le boulevard en 1855
Prenons l’exemple du boulevard de la Croix-Rousse. Ce boulevard est situé sur l’ancienne enceinte. Elle fut construite à la périphérie Nord de la ville et n’a que très peu subi le développement de la ville. En effet, située très au Nord de la ville et sur la colline de la CroixRousse peu urbanisée, on retrouve peu de trace de rupture dans la composition du tissu urbain. Aujourd’hui l’ancienne enceinte fortifiée est remplacée par un vide urbain de taille importante, un boulevard construit en 1855 devant marquer la création du Second Empire. De chaque côté on retrouve un tissu urbain caractéristique des faubourgs, un tissu en lanières, que ce soit du côté de la montée de la Grande Côte autant que du côté de la Grande rue de la Croix Rousse. (Dans d’autres villes, la confrontation intérieure/extérieure de la ville est nettement plus visible comme pour Paris) Comme la ville s’est développée sur des terrains nouveaux, non intégrés dans la ville, les voies et les parcellaires ont été très influencés par la forme des anciens bastions qui bordaient l’enceinte déclassée. On note une persistante des formes militaires dans la constitution des villes et dans l’organisation de la trame viaire, comme s’il était difficile de s’émanciper d’une forme. (fig. 22 et 23) L’ensemble des forts étaient reliés entre eux par des fossés et constructions permettant de maintenir une ligne continue cernant la ville, délimitant l’intérieur défendu et l’extérieur non protégé. En 1884, les forts de la deuxième ceinture bâtis autour des années 1830 sont déclassés et deux ans plus tard nait une « rocade », un boulevard urbain, sur cette bande de terre non urbanise et vierge de constructions. Les boulevards Vivier Merle, Des Belges, des Tchécoslovaques… voient le jour entre l’ancien fort des Brotteaux (aujourd’hui gare des Brotteaux), le Fort Montluc (aujourd’hui Hôtel de police de Villeurbanne), la Lunette de Charpennes (aujourd’hui emplacement du Lycée du Parc), la Redoute des Hirondelles (aujourd’hui Manufacture des Tabacs).
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24 - Ancienne Gare des Brotteaux
25 - Manufacture des tabacs
26 - Place Jean Macé
Si les liaisons entre les constructions militaires sont aménagées en voies de circulations automobiles majeures qui irriguent l’ensemble du tissu urbain, les pôles militaires (tels que ceux cités ci-dessus sont pour la plupart détruits car devenus obsolètes. La récupération de ces terrains vastes intégrés dans la ville permet à la commune de se doter d’équipements publics ou privés de taille importante. L’exemple de Lyon est le bienvenu car la ville a su par exemple installer sur la friche des Brotteaux la nouvelle gare (fig. 24), sur le terrain de la Redoute des Hirondelles, la Manufacture des Tabacs (fig. 25). Les espaces récupérés permettent aussi de dégager des espaces publics comme la place Jean Macé à la place du Fort du Colombier (fig. 26). La ville a su se régénérer sur ce qui a assuré autrefois sa sécurité mais qui ne répondait actuellement plus à sa protection. Les équipements militaires sont progressivement repoussés par ceintures successives. Pour Lyon, on parle de première ceinture dite ceinture Rohault de Fleury (contenant les forts des Brotteaux, de Villeurbanne…), de deuxième ceinture dite de Séré de Rivières (Fort de Feyzin, Corbas, Mont Verdun…). Les constructions militaires et défensives ont largement subi l’évolution urbaine et ont disparu sous une pression de régénération de la ville. Nombreuses sont les marques de ce patrimoine bâti aujourd’hui disparu dans le territoire et le tissu urbain.
02- Du bâtiment à la friche Aujourd’hui le territoire est parsemé de constructions aussi diverses les unes que les autres mais c’est désormais un type de site militaire aliéné qui tend à devenir le support premier des nouveaux projets de reconversion. Les sites atypiques tel le fort aujourd’hui délaissé n’est plus le sujet majeur des opérations de reconversion. Nous avons essentiellement porté notre attention dans ces deux premières parties à la reconversion d’un bâtiment singulier dans le paysage patrimonial militaire mais depuis la réforme des armées, c’est avant tout un paysage de friches militaires composé de casernes, de terrains d’entrainement, de hangars… qui ponctuent le territoire. Nombre de villes, de département et de régions accueillent ces camps d’entrainements militaires, sources de dynamisme économique pour une ville compte tenu du nombre de militaires professionnels et de la présence de leur famille. Constructions modernes (années 50-60) ou camps beaucoup plus anciens datant parfois du XIXème siècle, beaucoup de villes ont dû trouver de nouvelles solutions lors de la réforme de la carte militaire de 2008. Ces emprises militaires aujourd’hui désaffectées et aliénées représentent des surfaces de plusieurs hectares en périphérie ou désormais intégrées dans le tissu urbain. Les villes ont donc la nécessité de s’orienter vers la reconversion de ces espaces, pour accueillir de nouveaux habitants, répondre à des questions urbaines ou des attentes des habitants. Nous sommes à la fin du modèle défensif du territoire que nous avons connu en France comme en Europe pendant des siècles,
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et les années 2000 insufflent un vent de reconversions, derniers maillons de la chaîne d’évolution du patrimoine militaire sur le territoire national. On semble aujourd’hui redécouvrir des sites militaires, des enclaves intégrées à la ville, il nous semble primordial de réurbaniser ces friches militaires délaissées, alors que les instances politiques et le bon sens de l’homme a tout au long de l’histoire eu besoin de se confronter à la question du devenir des constructions militaires. La ville s’est reconstruite sur elle-même, sur ses vestiges, créant son futur sur les vestiges de son passé. Quels sont donc les enjeux actuels des reconversions des friches militaires et quelles sont les leçons à tirer du passé ou les erreurs à ne pas réitérer pour réaliser des projets viables et conscients de l’identité du lieu ?
03- La reconversion des friches militaires « Parce qu’il se compte en milliers d’hectares qui se reconstituent sans cesse, parce qu’il handicape lourdement les espaces déjà fragilisés qui en subissent ses conséquences, parce qu’il met en jeu l’environnement et le cadre de vie, parce qu’il porte en lui une charge symbolique, culturelle et affective, qui fait appel à la mémoire collective et parce qu’il est un produit placé sur un marché, le dossier de ces micro-territoires que sont les friches doit continuer de faire l’objet de toutes les attentions. » (M.C. THERY)
A - Des usages au service de la ville Hier la ville a aliéné nombres de structures défensives et la plupart, pour celles situées en ville, ont été détruites entièrement ou partiellement afin de construire des équipements utiles au développement urbain : d’une part on cherchait à disposer d’équipement culturels ou économiques, mais d’autre part à assurer le développement de la ville via des voiries et des infrastructures de transport à la pointe de la technologie. Autre vision plus hygiéniste, mettant en valeur la ville, on cherche à doter celle-ci d’espaces publics. Alors que retenir de la reconstruction de la ville sur ellemême déjà opérée pendant plusieurs siècles ? Aujourd’hui on pourrait citer trois attitudes rencontrées lors de l’acquisition d’une friche militaire par une commune : - La première consiste à tirer parti du potentiel du site désaffecté pour installer des nouvelles activités économiques. - Le seconde reprend un des enjeux de la pensée humaine et sociale des projets instaurés pendant les siècles précédents visant à développer des lieux publics et des lieux de loisirs extérieurs. - La dernière enfin est la plus courante, et consiste à reconvertir une friche et son emprise foncière et parcellaire en nouveaux projets urbains, en nouveaux quartiers de ville.
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Nous choisirons pour chacun des types, un exemple de reconversion réalisé, en chantier ou en projet et différents projets pour les nouveaux quartiers.
Reconversions économiques Le premier scénario consiste à reconvertir l’ensemble des bâtiments industriels et militaires d’une friche militaire en locaux d’entreprises afin de créer un parc d’activités économiques d’envergure souvent situé en périphérie des villes. C’est un type d’opération que l’on a pu voir se réaliser sur plusieurs sites dont les potentiels semblent radicalement différents. 27 - Base sous-marine de Lorient
28 - Nouvelles halles industrielles
29 - Cité de la voile Eric Tabarly
Prenons pour premier exemple celui de Lorient. La base sous-marine composée d’alvéole en béton (fig. 27) semblait difficile à reconvertir compte tenu de l’inflexibilité du site et de ses constructions. La communauté d’agglomérations a donc lancé en 1999 un projet de reconversion relatif au monde de la mer et avant tout au thème de la voile. On trouve désormais sur ce site trois types d’activités : production industrielle dédiée à la construction de matériel de navigation de plaisance (fig. 28), des centres d’entrainement pour la voile et les courses maritimes ainsi qu’une cité de la voile, centre culturel du nouveaux quartier et pôle attracteur et touristique (fig. 29), en plus d’un port de plaisance déjà installé sur le site. Dans ce projet Lorient a donc décidé de reconvertir son site sous-marinier autour d’un même projet et on note aujourd’hui la réussite de ce projet économique par la qualité de la production, la reconnaissance des entreprises installées, mais aussi par l’impact régional et national de ce pôle en matière d’innovation.
Reconversions en espaces publics Moins fréquentes sont les opérations visant à doter les villes d’espaces publics. Celles-ci visent à reconquérir pour la plupart des terrains intramuros et à les transformer en parcs urbains, nouveaux poumons verts d’une ville et espaces de loisirs et de détente. Ces friches militaires de grandes tailles permettent aux villes nécessitant des espaces naturels de se doter de nouveaux parcs en centre-ville, à la fois parc urbain, parc de proximité et centre de loisirs. 30 – Futur Parc Sergent Blandan
31 - Nouveaux espaces verts du parc
La ville de Lyon a signé en 2007, suite au rachat de la caserne du sergent Blandan, le projet d’un parc urbain devant concurrencer avec le parc de la Tête d’or et le parc de Gerland car plus de 50000 habitants vivent à moins de 20 min à pied de ce parc. Sur une surface de 17 hectares, la ville a l’ambition de créer un véritable « oasis en centre-ville » (Source www.grandlyon.fr) (fig. 30 et 31), accueillant aussi bien une place polyvalente, des terrains de sports, que des jardins potagers et pédagogiques, des espaces de détente et de découverte écologique… à long terme, la ville souhaite même installer un complexe hôtelier dans l’ancien château de la caserne aujourd’hui déclassé. Les travaux du parc ont aujourd’hui commencé et seule la place d’arme de l’ancienne
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caserne est accessible au public où déjà un grand nombre d’habitant du quartier a pris l’habitude de se retrouver entre voisin, entre amis. A peine désenclavé, le site militaire séduit énormément de riverains qui investissent cet espace comme un élément de leur quotidien.
Reconversions immobilières
32 - Fort d’Issy-les-Moulineaux
33 - ZAC des Capucins - Brest
34 - ZAC de Bonne - Grenoble
35 - Nouveaux logements
Le dernier type de reconversion est le plus répandu et le plus prisé par les villes et communautés urbaines. Celles-ci consistent à reconvertir des friches militaires (souvent des sites d’entrainement où logeaient des militaires) en nouveaux quartiers intégrés aux villes. Aujourd’hui les villes cherchent de plus en plus de terrains proches des centres-villes pour répondre aux problèmes d’expansion urbaine mais elles se heurtent souvent aux prix du foncier qui explosent. Les villes cherchent à reconvertir l’ensemble des friches militaires situées à proximité de leur centre pour plusieurs raisons : densifier leur tissus urbain, proposer de nouvelles offres immobilières, reconquérir des enclaves rester trop longtemps isolées alors qu’elles se trouvent au cœur du tissu urbain. Reconversion, réhabilitation et vitrine de l’architecture, ces nouveaux quartiers viennent pour la plupart apporter leur lot d’innovation architecturale. Nombres de projets voient le jour afin d’assurer une image nouvelle, dynamique et innovante de la ville qui profitent de ces projets pour attirer l’attention des habitants, des promoteurs et des entreprises à s’installer en périphérie. Parmi les projets les plus novateurs réalisés ou encore en chantier on peut citer le projet d’Architecture Studio à Issy-LesMoulineaux, ville dans laquelle l’agence réalise le Fort Numérique sur le site de l’ancien fort Vauban (fig. 32), ou le projet de la ZAC des Capucins sur le plateau du même nom à Brest (fig. 33). Aujourd’hui peu de projets de nouveaux quartiers ont été livrés car les travaux commencent tout juste compte tenu du temps nécessaire à l’élaboration de tels projets. Autre exemple, la ZAC de Bonne, située au cœur de l’agglomération grenobloise, vient d’être livrée dans sa première tranche en ce début d’année 2012 (fig. 34 et 35). Les derniers immeubles de logements et les pôles de loisirs terminent actuellement leur phase de finition. Situé sur l’ancien site militaire de casernement aménagé en 1884, il subsiste aujourd’hui trois bâtiments de casernement, ainsi que les deux bâtiments d’entrée sur la cour d’honneur. Le terrain de l’ancienne caserne militaire de Bonne, cédé par l’État à la ville de Grenoble en 1990, est envisagé pour devenir un éco-quartier exemplaire, parmi les premières expériences de ce type sur l’ensemble du territoire français. Le projet de la ZAC de Bonne est donc lancé et supporté par le programme Européen Concerto qui soutient et finance aujourd’hui 45 projets de quartier dans 18 pays du continent. C’est donc un projet d’envergure, un projet signal pour la ville de Grenoble qui doit voir le jour. Le projet reçoit en 2009 le Grand Prix National d’Eco-quartier.
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Composée de bâtiments réhabilités et de nouvelles constructions, la ZAC de Bonne est un parfait exemple de vitrine architecturale contemporaine et l’image d’un quartier nouveau et dynamique, expression du renouveau d’un passé militaire trop souvent oublié.
B - Désenclaver les emprises militaires Lorsque les collectivités émettent la possibilité de voir un projet de reconversion se réaliser dans une ancienne emprise militaire, la question du désenclavement est immédiatement posée. Comment faire d’un site hier imperméable un nouveau quartier vivant ? Comment relier ce quartier à la ville ? Comment attirer de nouveaux habitants ? Pour étudier ces questions et leurs applications dans un cas concret nous choisirons la ZAC de Bonne présentée précédemment. Les communes se doivent dans un premier temps d’assurer l’accessibilité au nouveau projet depuis la ville. A Grenoble, le quartier de Bonne était un quartier que l’on devait contourner avant la reconversion du site en quartier d’habitation. Aujourd’hui les tracés préexistants se prolongent à l’intérieur du quartier (même si une place importante est dédiée au piéton). Le tramway passe à proximité du site et permet son accès par les usagers depuis les transports en commun. Pour assurer un accès facile aux automobilistes, des places de stationnement ont été réalisées et un parking sous terrain a été construit sous l’esplanade centrale. L’offre de logement est aussi conséquente, et cherche à attirer une population de classe aisée ou moyenne. On trouve des logements de standing ainsi que d’autres logements en accession à la propriété et des logements sociaux pour la plupart HQE (fig. 36). La qualité de vie est mise en avant par la ville pour promouvoir ce quartier longtemps resté isolé du développement urbain.
36 - Nouveaux logements HQE
37 - Esplanade le Ray
38 - Jardins des vallons
Le quartier se dote d’espaces publics de qualité destinés aux habitants du quartier mais aussi aux habitants de l’agglomération. Ainsi l’ancienne cour d’honneur devient l’esplanade Général Alain Le Ray (fig. 37) et est connectée au boulevard Gambetta, axe majeur de la ville. Celle-ci devient un lieu d’animation, un lieu de passage tout comme un lieu de rencontre L’ensemble du quartier est organisé autour d’un parc qui se raccorde à la ville et traverse tout le quartier jusqu’au parc Hoche déjà présent. Espace de promenade, de détente, d’activités, espace de jeux d’enfants, cet espace se veut multifonction pour proposer une diversité d’activités accessibles par tous et pour tous les âges. (fig. 38) La présence d’équipements du quotidien invite un grand nombre de personne à s’installer dans le quartier. On y trouve désormais une école maternelle, mais aussi une crèche, et des commerces de proximité en rez-de-chaussée des logements situé autour de l’esplanade Le Ray. Des équipements attractifs sont construits pour attirer cette fois-ci de nouveaux habitants dans le quartier et attirer les habitants
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de Grenoble à venir dans cette nouvelle pièce du puzzle urbain grenoblois. On y trouve un centre commercial (fig. 39) qui devient le premier centre commercial du centre-ville mais aussi un cinéma d’art et d’essai (fig. 40). Nombres d’habitants de la ville sont amenés à venir dans le quartier de Bonne ne serait-ce que pour l’offre d’activités et de commerces. 39 - Centre commercial de Bonne
40 - Cinéma d’art et d’essai Méliès
Même si le quartier n’est pas terminé, une grande partie est déjà réalisée et opérationnelle. L’ambition qui était celle de connecter le quartier à la ville et de l’ouvrir, ainsi que d’attirer des nouveaux habitants et de nouveaux services fonctionnent aujourd’hui très bien. Nombres de villes relèvent aujourd’hui le pari d’intégrer leur friche militaire dans leur tissu urbain et de connecter ces nouveaux quartiers à la ville existante. Infrastructure routières, transports en communs, offre immobilière, pôles attractifs et services de proximité, tout est mis en œuvre pour que le quartier puisse fonctionner et retrouver une nouvelle vie.
C - Le patrimoine au cœur des projets L’ensemble de tous ces projets, qu’ils soient quartiers, parcs ou bien zones économiques, se situe sur des terrains marqués d’une histoire et support d’un patrimoine construit d’exception ou du quotidien mais témoin d’une activité militaire et défensive aujourd’hui disparue. Tous ces projets ne peuvent donc pas s’émanciper de prendre en compte le patrimoine bâti dès l’élaboration des premières esquisses. Celui-ci entre même souvent dans le parti-pris global du projet et permet d’élaborer des projets enracinés dans leur contexte, des projets qui prennent conscience de leur site et de son histoire. Gardons toujours l’exemple de la ZAC de Bonne de Grenoble qui nous permettra d’illustrer plusieurs des attitudes de prise en considération du patrimoine militaire dans la constitution d’un projet.
Reconvertir le patrimoine
41 - Ancienne caserne
42 - Caserne reconvertie
Les projets s’organisent étroitement autour de la notion de patrimoine. Tout d’abord lorsque l’on parle de patrimoine dans la reconversion d’une friche on est souvent confronté à la question du bâtiment icône, témoin d’un passé militaire qui ne peut disparaitre du paysage. C’est de cette façon que le projet du nouveau quartier de Bonne a souhaité intégrer en son sein, les trois anciens bâtiments de la caserne (fig. 41). Ceux–ci ont été réhabilités pour accueillir des logements. Il est évident que dans le cas d’une reconversion et du réaménagement d’un quartier datant de 1884, on aura la question à se poser de savoir s’il faut conserver ou démolir. En l’occurrence dans le cadre de ce quartier, de cet éco-quartier il était impossible de démolir ces trois bâtiments de casernement, aptes à être réhabilités car il est dans les intentions d’un éco-quartier que de respecter l’existant et de savoir l’intégrer dans une composition
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urbaine nouvelle. Le cabinet AKTIS a donc fait le choix de préserver ces trois corps de bâtiment tout en recomposant la façade jugée trop terne et peu apte à accueillir de nouvelles constructions contemporaines. On a choisi d’effacer partiellement la composition tri-partite du bâtiment (socle, étage courant et couronnement) pour souligner l’unité du corps rez-de-chausssée et étage, rendant indépendant le couronnement ainsi souligné. La modénature des éléments de décor est aujourd’hui nettement moins marquée pour s’intégrer dans ce nouvel éco-quartier accueillant plusieurs nouvelles constructions contemporaines. (fig. 42) Cette intervention souligne l’importance accordée au patrimoine mais surtout souligne le fait qu’un bâtiment n’est pas seulement une pièce construite sanctifiée mais bien un bâtiment comme les autres et qu’une intervention est nécessaire pour ne pas faire d’une construction la cristallisation d’un temps passé.
Construire autour du patrimoine
43 - Rue intérieure
44 - Entrée centre commercial
45 - Bâtiment Nord-Est
Sur les projets de reconversion on trouve plusieurs types d’intervention sur ou en relation avec l’existant qui le place au centre des quartiers où autres réalisations. Avec l’exemple de Bonne on peut illustrer cet exemple avec la création du centre commercial qui vient s’accoler à l’ancienne caserne et créer ainsi une rue intérieure commerçante (fig. 43). On retrouve une répercussion partielle de l’architecture contemporaine sur la façade existante. On retrouve toujours un respect important pour la façade existante, et peu d’aménagements sont faits sur celle-ci, à l’exception des auvents en acier et verre, et de quelques devantures ponctuant le socle du bâtiment. La trame des commerces coïncide avec celle des ouvertures. On recherche une mise à distance entre contemporain et existant par des « joints creux ». Le nouveau bâtiment contemporain ne vient pas cacher le bâtiment patrimonial, mais le met en perspective (fig. 44) pour que l’on prenne conscience de sa présence quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le quartier. De même les constructions qui jouxtent le bâtiment sont composées dans un souci de connexion naturelle avec la caserne. Ainsi on retrouve une composition tripartite des constructions (socle, étage, couronnement) ainsi qu’une continuité des colorations et des modénatures. Ces bâtiments cherchent toujours à mettre de la distance avec l’existant pour éviter d’affaiblir le caractère fort du bâtiment patrimoine. (fig. 45) Si l’on considère que les friches militaires s’articulent autour de « bâtiments patrimoines », nombre de projets se situent sur des sites moins chargés d’histoire et ne disposant pas d’un aussi riche lot de constructions de qualité.
Héritage et contexte Les projets comme celui de Grenoble s’axent autour d’un héritage des formes urbaines et du contexte. En ce qui concerne la ZAC de Bonne, l’esplanade Le Ray prend place sur l’ancienne cour d’honneur de la caserne. On note ici l’impact qu’un vide peut avoir et sa persistance dans le temps et l’espace.
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D’autres projets se basent sur des éléments constitutifs de leur parcelle de projet. Dans le projet de Sathonay-Camp, accueillant une nouvelle gendarmerie ainsi que des logements sociaux ou à l’accessibilité, fait table rase du site sur lequel il intervient excepté le mail végétal de l’ancien camp militaire, seul élément aux yeux des architectes qui méritait une conservation.
Le difficile combat du patrimoine Si certaines constructions font l’unanimité dans plusieurs sites, plusieurs constructions peuvent par leur petite taille, leur fragilité, leur discrétion, faire débat. Ainsi sur le projet de la ZAC de Bonne, les anciennes écuries situées autour du Jardins des vallons, devaient être réaménagées pour accueillir des activités culturelles mais une nouvelle construction accueillant un cinéma d’art et d’essai a été préféré à l’ancienne structure. Plusieurs choix on fait débat dans ce projet de Bonne comme la volonté du paysagiste Christian Devillers de créer un grand porche dans le bâtiment central de la caserne pour connecter le jardin des vallons et l’esplanade Le Ray qui se voulait être une extension du parc. Ce grand porche est aujourd’hui invisible, remplacé par un simple percement en rez-de-chaussée du bâtiment.
D - Des projets à venir… Plusieurs villes se sont lancées dans la reconversion des friches militaires, surtout depuis 2008 suite à l’aliénation de 83 sites qui ferment successivement leurs portes depuis 2009 jusqu’en 2016, dû au plan de restructuration des armées. Pour aider ces villes à compenser leurs pertes économiques induites par le départ des militaires, l’Etat a débloqué une somme de 320 millions d’euros d’ici à 2015 pour aider les villes à reconquérir leurs friches. Chacune des villes se verra attribuer une somme de 2 à 10 millions d’euros en fonction des pertes que représente la fermeture du site militaire. L’Etat va aider pendant une période de 3 à 5 ans ces sites pour qu’ils puissent retrouver une économie qui compensera le départ des militaires via des Contrats de Redynamisation des Sites de Défense (CRSD) s’appliquant aux villes ayant perdu plus de 200 emplois. Ces contrats, mis en place en juillet 2008 permettent aux villes d’assurer la transition de leur friches du militaire vers le civil et d’assurer les conditions d’une économie solide. Pour les villes perdant entre 50 et 200 emplois sont mis en place des Plans Locaux de Redynamisation (PLR). Ils permettent de compenser la perte économique engendrée par le départ des armées (comme un CRSD) mais s’appliquent aux villes ressentant moins de bouleversements économiques. Grâce aux investissements de l’Etat et à la volonté des villes de retrouver une économie et une dynamique urbaine semblable à celle connue pendant la présence des armées, on attend un nombre florissant de projets de reconversion dans les prochaines années de la décennie.
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Conclusion Au fil d’une étude plus ou moins variées d’un panel de reconversions réalisées, en chantier ou en projet, nous avons pu esquisser la qualité du patrimoine militaire et son utilité dans la ville actuelle. Reconstruire la ville sur l’existant en tirant parti de ce qui n’est plus utile à la protection de celle-ci. Redécouverte contemporaine d’une attitude hérité des générations passées. Le patrimoine militaire a pendant des années été considéré comme un simple résidu des constructions défensives et son intérêt patrimonial et historique en a très vite fait des sites muséifiés, protégés ou classés, préservés des destructions. La préservation est une chose mais que faire de ces structures obsolètes ? La muséification est passée par là faisant naitre un nombre florissant de musée d’histoire et de patrimoine sur le territoire français. Mais la ville ne peut pas accueillir un nombre toujours croissant de structures culturelles et patrimoniales. Conserver oui, mais être utile à la ville et un développement urbain est une réponse adéquate au contexte urbain actuel. Les reconversions des constructions militaires aussi variées qu’elles peuvent être se nourrissent d’une variété des édifices défensifs, mais aussi de la diversité d’identités de celles-ci. Au XXème siècle, l’intérêt pour ces structures en a fait des sites privilégiés et dotés d’une identité atypique. Si l’on voit un engouement pour la reconversion c’est aussi parce que la variété des constructions implique une variété d’usages nouveaux résidentiels, culturels, économiques, éducatifs…, des reconversions qui touchent l’ensemble de la société ainsi que l’ensemble des attentes de celle-ci. Projets variés, attentes variées, à cela s’ajoute des postures variées, du signal architectural à la simple restructuration d’un édifice pour y accueillir de nouveaux usages, la reconversion mesure l’impact des constructions au niveau territorial et urbain. Que conserver de l’existant, faut-il privilégier l’effet contemporain de l’extension sur la construction existante, s’effacer devant le caractère du bâtiment, détruire, tout conserver ? Toutes ces questions sont prises en compte par l’architecte chargé de la reconversion pour répondre au mieux aux attentes d’une commune et à un programme. Il n’existe pas de réponse « préfabriquée » pour la question du parti pris architectural et de la reconversion, le projet s’adapte au contexte encore plus qu’une construction neuve. Reconvertir le patrimoine militaire s’attache à la notion du bâtiment mais l’étendu territorial du patrimoine militaire impose une réflexion au-delà des limite du bâtiment pour s’attacher plus à l’ensemble des terrains d’une friche militaire. Comme l’étude a pu le montrer la stabilisation géopolitique européenne et la professionnalisation de l’armée a imposé une aliénation progressive de nombreux sites de défense offrant à la ville l’accès à de nouveaux sites enclavés mais situés en centre-ville. La préoccupation de l’expansion urbaine pousse les collectivités à reconquérir ces
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territoires pour répondre aux attentes d’une ville et de sa population. Les projets urbains et économiques se multiplient sur le territoire national. La maturation de ces projets demande de nombreuses concertations, réflexions et études urbaines, et les projets sortent tout juste de terre. L’étude va plus loin que les simple friches militaires, mais pourrait être généralisée à l’ensemble des friches industrielles, ferroviaires, portuaires… qui deviennent, à l’heure de la modernisation extrêmement rapide de la société et du territoire, le nouveau terrain de jeu des architectes et urbanistes. A la nécessité d’aménagement des territoires libérés et proches des villes, s’ajoute la prise en compte du patrimoine, l’appropriation de ces sites par les nouvelles populations… L’engagement de l’Etat, mais aussi des collectivités, des villes, des habitants… dans l’ensemble des nouveaux projets de reconversion montre la prise de conscience de la valeur et du potentiel que représentent les friches militaire et leur patrimoine. Ce patrimoine, bien au-delà de la simple conservation de l’existant, pose la question de la nature du patrimoine. Peut-on tout patrimonialiser ? On voit aujourd’hui que lors de la reconversion du patrimoine militaire et de ses territoires, on se pose la question du patrimoine pour savoir ce qui fait patrimoine dans l’environnement. Peu de constructions du XXème siècle sont considérées comme des bâtiments présentant une qualité patrimoniale. Peut-on encore aujourd’hui « construire du patrimoine » ? Les constructions du XXème siècle semblent aujourd’hui perdre de leur valeur au fil des années et semblent dans l’incapacité de faire patrimoine. La reconnaissance du patrimoine militaire, comme des autres patrimoines, promet une véritable prise de conscience des constructions atypiques dans l’ensemble des projets de reconversion à mener, il est aujourd’hui temps d’assurer la transmission du patrimoine, témoin du passé et de l’histoire d’un site. Une transmission qui passera par la reconversion…
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Corpus -
Patrimoine reconverti, en cours ou en projet de reconversion
Logements Caserne Boudet -Bordeaux Caserne d’Arras Casernes de Bonne Caserne de Châlons-en-Champagne Casernes Drouot & Barbanègre - Mulhouse Caserne Aubry - Bourg-en-Bresse Caserne Pélissier – Rouen Fort du Haut-Buc - Buc
Edifices culturels Université de Bayonne Université d’Amiens Université de Nîmes Centre de formation des collecteurs d’impôts – Fort Saint Jean – Lyon ISAT – Etablissement des Subsistance – Nevers Ecole des Beaux-Arts – Etablissement des Subsistance – Lyon Faculté Catholique – Caserne Bissuel - Lyon Musée du Costume de Scène – Caserne Villars – Moulins Cité du Design – Manufacture d’arme – Saint-Etienne FRAC Centre – Etablissement des Subsistance - Orléans MuCEM – Fort Saint Jean – Marseille Fondation Jean Nouvel – Fort Mont-Boron - Nice
Secteurs d’activités Cave d’affinage - Fort Henry Martin aux Rousses Conseil général de l’Orne - Caserne Lyautey - Alençon Conseil général - Hôpital militaire Sédillot – Nancy Siège de la communauté de l’agglomération de Dijon – Caserne Heudelet- Dijon Siège d’entreprises – Hôpital militaire Baur - Colmar Base sous-marine – Lorient Hôtel de Police – Fort Montluc - Villeurbanne
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Musées d’histoire et patrimoine Bunker culturel – Base sous-marine - SaintMusée de l’Armée - Les Invalides – Paris Musée du Mur de l’Atlantique – Ouistreham Forts de Vaux & Douaumont - Verdun Musée et Tour de Guet – Pérouges Château des Allymes – Ambérieu-en-Bugey
Parcs Parc Sergent Blandan – Caserne Blandan – Lyon Jardins Suspendus – Fort Sainte-Adresse – Le Havre Parc de l'ile St Germain – Issy-les-Moulineaux
Quartiers ZAC de Bonne – Grenoble Le Fort Numérique – Issy-les-Moulineaux ZAC des Capucins – Brest ZAC Castellane - Sathonay Camp ZAC Forgeot Saint-Antoine - Châlons-en-Champagne ZAC La Courouzze – Rennes
Quelques exemples de réalisations ou projets utilisés dans le rapport d’étude….
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ZAC de Bonne
Fiche Corpus #1
Grenoble (38 - Isère) Le Carré Mansart : Immeuble de logements en accession à la propriété Reconversion de l’ancienne caserne Architecte : Philippe Braymand & Jean Bovier Lapierre Livraison : juillet 2008
Crédits photographiques : http://www.villesetvillagescreations.com/construction-immobilier/ programmes-neuf-historique-36.html
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ZAC de Bonne
Fiche Corpus #2
Grenoble (38 - Isère) Centre Commercial de Bonne Reconversion de l’ancienne caserne
Architecte : Groupe -6
Livraison : 2010
Crédits photographiques : http://groupe-6.com/fr/agency/presentation#/fr/projects/view/16
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ZAC de Bonne
Fiche Corpus #3
Grenoble (38 - Isère) Projet urbain du Quartier de Bonne (Planification urbaine, espaces publics et implantations bâties)
Architecte : Christian Devillers et AKTIS Architecture Livraison : 2008 - 2012
Logement Ilot Henri IV
Architecte : Yves Lyon Livraison : 2009
Logements Les Patios d’Or
Architecte : AKTIS Architecture Livraison : 2012
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Fort Saint-Jean
Fiche Corpus #4
Lyon (69 - Rhône) Ecole Nationale du Trésor Reconversion de l’ancien Fort Saint-Jean Architecte : Pierre Vurpas et Associés Livraison : 2004
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Remerciements Je tiens à remercier l'ensemble des personnes qui ont contribué à la rédaction de ce rapport d’étude, notamment : - Brigitte SAGNIER, professeur référant et directrice de rapport d’étude, pour avoir suivi l’évolution de ce rapport depuis le début des recherches jusqu’à sa finalisation. - Jean-Paul MOIROUD, du Service Infrastructure de la Défense du Quartier Général Frère de Lyon pour m’avoir fait découvrir les subtilités du transfert du patrimoine militaire vers le civil. - L’administration de l’Ecole Nationale du Trésor pour son accueil et pour m’avoir ouvert les portes de leur école. - Jean-Yves BESSELIEVRE, Président de l’association VPM (Valoriser les Patrimoines Militaires) pour les informations sur la valeur patrimoniale des constructions militaires et l’action de leur association.
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Bibliographie Livres DALLEMAGNE François, 2006. Les défenses de Lyon - Enceintes et fortification. Edition Lyonnaise d’Art et d’Histoire. 255 p. DALLEMAGNE François, FESSY Georges, MOULY Jean, 2002. Patrimoine militaire. Nouvelles éditions Scala. 328 p. GODET Olivier, FOUGEIROL Benoît, 2007. Patrimoine reconverti du militaire au civil. Nouvelles éditions Scala. 271 p. NORA Pierre, 1997. Les lieux de mémoire (tome 3). Paris, Gallimard, Collection Quarto, 4751 p. SCHITTICH Christian, 2006. Construire dans l’existant. Edition Birkhäuser Detail, 176 p.
Actes de colloques MEYNEN Nicolas (dir), 2008. Valoriser les patrimoines militaires. Théories et actions, Presses universitaires de Rennes.
Articles de revues NODIN Yannick, 2008. Reconversion : Scénario urbains pour les friches militaires, Le Moniteur, n° 547 pp. 56-58.
Webographie http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_00034010_1998_num_107_599_20836 http://insitu.revues.org/ http://www.restructurations.defense.gouv.fr/ http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/patrimoine/ http://www.valoriser-patrimoines-militaires.fr/ http://www.debonne-grenoble.fr/
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CrĂŠdits photographiques 1 - http://www.toursud.com/services/images/stories/excursions/ carcassonne/carcassonne.jpg 2 - http://www.visite-au-chateau.com/loches/donjon_loches.jpg 3 - http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d1/Ch%C3%A2 teau_de_Pierrefonds_ vu_depuis_le_Parc.jpg 4 - http://4.bp.blogspot.com/_XG1nQ2ZWH8c/THfuocQpWnI/ AAAAAAAAJ4E/C0VfPTI-0hk/s200/neuf++brisach.jpg 6 - http://a4.idata.over-blog.com/259x194/3/86/97/45/FortBron/images.jpg 7 - http://www.bzh-explorer.com/local/cachevignettes/L500xH333/44stnazaire_balade1-6aa25.jpg 8 - http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/image/Est/For_de_Vaux/ Fort_de_Vaux_09.jpg 9 - http://www.guide-du-tourisme.fr/photos-guide-tourisme-et-loisirsparcs-attractions-musees-divertissements/4248/1_tourisme-chateau-desallymes-01500-amberieu-en-bugey-chateaux-et-abbayes.jpg 10 - http://www.lemoniteur.fr/media/IMAGE/2010/04/29/380x285x IMAGE_2010_04_29_5815547-380x505.jpg.pagespeed.ic.wrFS2HpswV.jpg 11 - http://4.bp.blogspot.com/_IBOCaQ0nwMM/TL3Xw9QhAsI/ AAAAAAAAABA/S3t3pYXvc98/s320/ courvauban5.jpg 12 - http://www.wilmotte.fr/images/projets/photos/201203142217-1.jpg 13 - http://4.bp.blogspot.com/_VaqF9ezR4B8/TSJN3zlwHNI AAAAAAAAADQ/HvmvD2NgO28/ s320/caserne-boudet-rue-de-pessac300x192.jpg 15 - http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/eb/ Cave_affinage_Juraflore_-_Fort_ des_Rousses_02_by_Line1.JPG/800pxCave_affinage_Juraflore_-_Fort_des_Rousses_ 2_by_Line1. JPG 16 - https://docs.google.com/gview?url=http%3A%2F%2Fddata.overblog.com%2F1%2F49%2F86%2 F03%2Fcolloque_valoriser-patrimoinesmilitaires_godet.pdf&docid=678c7f237894dc3d9e44d27895 14fb12&a=bi&pagenumber=3&w=841 17 - http://www.frac-platform.com/uploads/Frac_110422_ext_Bdef.jpg 18 - http://i604.photobucket.com/albums/tt125/micou2/rouen /pelissier/IMG_2585copy.jpg? t=1257073082 19 - http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f9/ Citadelle_vue_du_ciel.jpg 20 - http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ef/ Lyon_Fort_Saint-Jean-4.JPG 21 - http://maps.google.fr/maps?rlz=1C1AVSW_enFR365&q= caserne+sergent+blandan&um=1&ie=UTF-8&hl=fr&sa=N&tab=wl
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22 - http://maps.google.fr/maps?hl=fr&q=boulevard+croix+rousse& bav=on.2,or.r_gc.r_pw.r_qf.,cf.osb& biw=1600&bih=732&um=1&ie=UTF8&sa=N&tab=wl 23 - http://www.lyon-photos.com/images/diaporama/2/2011/ moyennes/cp_croixrousse_plateau09.jpg 24 - http://www.lyon-photos.com/diaporama/grande_1592.htm 25 - http://lyon.monplaisir.free.fr/images/Articles/Manu_8.jpg 26 - http://www.lyon-photos.com/images/diaporama/2/2014/moyennes /cp_septieme10.jpg 27 - http://medias.francetv.fr/cpbibl/url_images/2010/05/03/image_ 62856188.jpg 28 - Extrait de Patrimoine reconverti du militaire au civil. Nouvelles éditions Scala. 271 p. 29 -http://v8.cache8.c.bigcache.googleapis.com/static.panoramio.com/ photos/original/9092352.jpg? redirect_counter=1 30 - 31 - http://www.baseland.fr/projet_en.php?idSM=1&idarticle=160 32 - http://www.bouygues-batiment-ile-de-france.com/reference/fortdissy--issy-les-moulineaux/ 199/1/?PHPSESSID=bffd864b94e314911824352719162c62 33 - http://www.capucinsbrest.com/ 34 – 38 - http://www.lemoniteur.fr/191-territoire/article/actualite/690355le-grand-prix-national-ecoquartier-2009-attribue-a-grenoble-pour-la-zacde-bonne 37 - http://i78.servimg.com/u/f78/12/48/95/51/1600pa11.jpg 39 - http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/50/ La_Caserne_De_Bonne_-_Grenoble.jpg/800px-La_Caserne_De_Bonne__Grenoble.jpg 40 - http://www.debonne-grenoble.fr/var/fr/storage/images/lescommerces-et-equipements/l-ilot-sud/le-melies/308-10-fre-FR/LeMelies.jpg 41 -http://rp.urbanisme.equipement.gouv.fr/puca/edito /Zac_de_Bonne.pdf
Les autres photographies non référencées dans cette partie ou dans le texte sont des photographies personnelles. Les photographies des pages 17 à 19 sont fournies par l’agence Pierre Vurpas & Associés dans le document de presse destiné au magazine du Moniteur Architecture AMC lors des sélections pour le Prix de l’Equerre d’argent.
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ARCHITECTURE [NF] Art de construire des édifices RECONVERSION [NF] Adaptation à de nouveaux besoins PATRIMOINE [NM] Ce qui constitue le bien, l’héritage commun MILITAIRE [A] Relatif à l’armée, aux soldats, à la guerre FRICHE [NF] Terrain, bâtiment laissé à l’abandon en attente d’une nouvelle activité La France a vu sa situation géopolitique se stabiliser dès le milieu du XXème siècle entrainant une professionnalisation de l’armée et une aliénation progressive des systèmes défensifs. C’est tout un patrimoine militaire varié et obsolète qui ponctue aujourd’hui le territoire et les villes françaises. Témoin d’un passé ancré dans l’histoire nationale, le patrimoine militaire tente aujourd’hui de trouver une nouvelle vie au service de la ville. Sauvées des destructions, les constructions défensives répondent aux attentes variées d’une société en pleine évolution. La ville fait face à de nombreuses problématiques dont l’expansion urbaine, et la récente cession des emprises militaires lui offre la capacité de se régénérer et répondre aux demandes en termes de logements, édifices culturels, économiques… La ville se reconstruit sur ce qui hier l’a protégé. La reconversion du patrimoine militaire peut-elle assurer à la ville une nouvelle dynamique urbaine ?
ARCHITECTURE [N] The art of designing buildings . RECONVERSION [N] Adaptation to new needs HERITAGE [N] What constitutes the property, the common inheritance MILITARY [A] Concerning the army, the soldiers, the war FALLOW [NF] Ground, building neglected in wait of a new activity France saw her geopolitical situation being stabilized from the middle of the XXth century leading a professionalization of the army and a progressive alienation of the defensive systems. It's all a varied and obsolete military heritage which punctuates today the French territory and cities. Witness of past anchored in the national history, the military heritage tries today to find a new life in the service of the city. Saved from destructions, defensive constructions answer the varied expectations by a society in full evolution. The city faces numerous problems of which the urban expansion and the recent cession of the military holds offers the capacity to regenerate and reply the requests in terms of housing, cultural and economic buildings… City reconstructs on what protect her on past. Can the reconversion of the military heritage insure cities a new urban dynamic ?
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