LE COLLÈGE DE LA CRAFFE
MONOGRAPHIE D’UN EDIFICE ANCIENS INSTITUTS DE MATHEMATIQUES ET PHYSIQUES
Bachelor - Cycle 1 / Semestre 4 / 2012 Recherche documentaire et analyse critique Travail dirigé par K. Thilleul / Histoire de l’architecture Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy
CONTENU 5
Avant-propos
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I. HISTORIQUE
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Implantation Aménagements
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II. IDEES CONFRONTEES
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Hygiénisme Plans et programme Elévations
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III. ANALYSE
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Composition de l’ensemble Elévation à l’angle Façade Est Intérieur
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Bibliographie
Avant-propos
Contrairement au premier exercice analytique qui consistait à étudier un édifice emblématique datant d’une époque de l’Antiquité, ce deuxième travail dirigé se concentre sur un bâtiment public situé en France et appartenant à une période précisément fixée. Pour jouer avec les extrêmes, le choix est porté sur un exemple de l’un des derniers styles précédant une architecture moderne. Réalisé en 1909, à côté de la Porte de la Craffe à Nancy, cet édifice est loin d’être connu dans l’histoire de l’architecture nationale. La situation géographique du Collège de la Craffe permet une approche locale dans les déplacements et recherches quasiment instantanées. Dans le cas du Parthénon, l’une des difficultés résidait dans la pertinence des éléments sélectionnés parmi un vaste choix de documents mis à la disposition d’un public à l’échelle mondiale. Ici, le défi est de faire face à un manque considérable d’informations publiquement accessibles, et à des procédures administratives un peu plus exigeantes et longues, réservées à un groupe particulier de professionnels.
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B C
A partir de 1870, l’industrialisation de la région de Nancy (avec l’essor minier et sidérurgique), pousse les entreprises à encourager la recherche scientifique et la formation des cadres et des ingénieurs. Nancy devient alors un grand pôle intellectuel et la seule ville de province dotée de cinq facultés. Au même moment, on observe un renouveau des universités. En effet, plusieurs Instituts sont ouverts successivement : l’Institut chimique en 1887, l’Institut électrotechnique en 1900, l’Institut de Géologie en 1908… B+C Anciennes photographies en noir et blanc. Service de l’Inventaire général du Patrimoine : photographies en noir et blanc de A. George, avant 1934. Repro : G. Coing, plaque de verre. Référence : 89 54 03 374 VD
A Ancienne carte postale, disponible sur : <http://postcards.delcampe.net/list.php?language=F&searchString=institut+physique&cat=4560&searchMode=all&searchTldCountry=fr&searchInDescription=Y> (page consultée le 23 novembre 2011)
I. HISTORIQUE
Le Doyen Ernest Bichat (1845-1905) a pour idée de mettre en place des cours publics. Ainsi, le nombre d’étudiants à la Faculté des sciences augmente, notamment par la présence d’étudiants étrangers de plus en plus nombreux. L’ancien Palais de l’Académie dans lequel se trouve l’ensemble de mathématiques et physique devient trop petit et ne peut accueillir les laboratoires scientifiques. Une extension s’impose. L’architecte qui s’occupe de la conception de ce nouvel établissement est le célèbre Albert Jasson. Né à Bordeaux en 1849, diplômé par le Gouvernement, il est aussi membre de la Société centrale des architectes français, lauréat de l’Institut (Prix Deschaumes en 1876, Prix Duc en 1890), et ancien inspecteur des bâtiments civils. Considéré comme l’architecte municipal de la ville de Nancy, il a exécuté divers travaux importants, dont la Salle Poirel, le Conservatoire de Musique, les Instituts chimiques anatomiques, divers Ecoles, Lycées et groupes scolaires. Par ailleurs, il a restauré des châteaux et villas privées, et décoré des fontaines et des grilles. Les travaux commencent entre 1904 et 1906. L’édifice est officiellement inauguré en 1909, en même temps que la statue du Doyen Bichat qui en avait favorisé la création, et qui a travaillé sur les plans avec l’architecte jusqu’à sa mort. Sculptée par E. Bussière, cette statue se trouve juste devant l’établissement, dans le square Bichat. Ce dernier est remplacé par la rue des Frères Henry en 1934, et la statue est alors déplacée de quelques dizaines de mètres, sur l’esplanade entre les rues de la Craffe et du Haut-Bourgeois. Aujourd’hui, on peut constater que la rue des Frères Henry écrase en quelque sorte le corps principal de l’Institut.
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Des années plus tard, le contexte évolue. En 1955, l’Institut se trouve en vieille-ville, entre le parc de la Pépinière et le Cours Léopold. D Reconstitution du tracé des fortifications réalisée en 1908. Source : Cours d’histoire et analyse des formes urbaines, ENSAN - Licence semestre 3
C Cadastre disponible sur : <http://www.cadastre.gouv.fr> (page consultée le 23 novembre 2011)
La Porte de la Craffe, édifiée en 1336, était l’unique entrée située au Nord de la ville. On comprend alors que la parcelle sur laquelle s’installe l’Institut (anciennement appelée le Champ d’Asile) est située sur la limite de la ville, juste à côté du Bastion le Marquis.
B Plan de situation dressé par l’architecte J. Bourgon en 1955. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, fonds Bourgon, 120 J
A Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle : Plans napoléoniens au 1/1000e, levés et dressés par F. Gorce, géomètre du cadastre. Section H, feuille 9. Année : 1830.
Implantation
Aujourd’hui, les parcelles 246 et 247 sont séparées par la rue des Frères Henry. Depuis les années 1950, il n’y a pas eu de changements importants à l’échelle du quartier. 1 – Institut de Mathématiques et de Physique 2 – Institut Electrotechnique et de Mécanique appliquée (Fondation Solvay) 3 – Institut Electro-chimique 4 – Malterie 5 – Ecole de Brasserie 6 – Institut Chimique 7 – Laboratoire de Recherches Hydrauliques L’Institut est situé dans le même quartier que les autres bâtiments de l’Université de Nancy, plus précisement la faculté des Sciences. On peut dire que cette situation rend les échanges plus pratiques, et crée un effet de collectif uniforme. Si le bâtiment a la forme de la lettre « E », c’est parce que le Doyen Bichon l’a voulu. En effet, Gaston Floquet (artiste et traducteur) cite ce dernier dans son discours lors de l’inauguration du monument Bichat : « Vous, mathématiciens, vous serez à gauche ; ici seront les laboratoires de Blondlot, de Gutton et le mien ; nous aurons au centre un vase amphithéâtre ».
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C Photographie depuis la cour de l’école : la salle polyvalente. Disponible sur : < http://www3.ac-nancy-metz.fr/clg-la-craffe-nancy/> (page consultée le 25 novembre 2011)
B Photographie aérienne du bâtiment dans les années 1930. Service de l’Inventaire général du Patrimoine : photographie en noir et blanc extraite de : ROLLET L. et CHOFFEL-MAILFERT M-J., « Histoire des Institutions scientifiques » in Aux origines d’un pôle scientifique : faculté des sciences et écoles d’ingénieurs à Nancy du Second Empire aux années 1960, Presses universitaires de Nancy, 2007
A Service de l’Inventaire général du Patrimoine : LOPPINET Sophie, l’Université en 1934, par le lieutenant Henry.
C’est alors qu’un accident de chauffage central a lieu fin novembre 1957. En janvier 1958, les ouvriers de l’Entreprise Lemaire laissent un robinet ouvert, ce qui entraine une inondation importante qui abime le plafond de l’amphithéâtre ainsi que les meubles. La remise en état se fait en 1959. D’après le mémoire numéro 66.058 de Laurent Bouillet, d’autres modifications et remises en état du chauffage se font en 1965. On travaille également sur la ventilation, les portes métalliques et le réseau de tuyauteries. Toutes ces réparations sont faites par des entreprises locales. On peut citer, entre autres, l’Entreprise Victor Chaize (béton armé), Electro Vacher (électricité générale), Georges Schultz (peinture), ETS Chevillard (couverture, plomberie, zinguerie), Joly et Cie (serrurerie)… Le 3 mars 1977, l’Institut de Mathématiques et Physique est remplacé par l’actuel Collège de la Craffe. Malheureusement, le contexte de ce changement ne figure nulle part, mais je suppose que le bâtiment est redevenu petit par rapport au nombre d’étudiants. Aujourd’hui, l’établissement compte environ 500 collégiens. De multiples aménagements ont eu lieu par la suite, comme par exemple la disparition des deux amphithéâtres (dont un remplacé par une salle polyvalente).
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E Plan des transformations du 2e étage, dressé par l’architecte en 1954 Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, fonds Bourgon, 120 J
Les premières réparations et réaménagements datent des années 1950. D’après la note introductive du compte-rendu du procès verbal du 14 février 1956 du Ministère de l’Education Nationale, « l’Institut de Physique de la Faculté des Sciences de Nancy doit envisager une extension des locaux de travaux pratiques. Une construction neuve ne pouvant être réalisée faut de terrain, il sera procédé à la transformation des locaux actuels et particulièrement à l’aménagement des étages en comble perdu. »
D Plan du bâtiment avant ses rénovations, dressé par l’Architecte en 1932 Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, fonds Bourgon, 120 J
C Façade postérieure dressée par l’architecte en 1953, lors de la création de nouveaux laboratoires. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, fonds Bourgon, 120 J
B Plan et coupe de l’escalier prolongé de l’aile gauche, dessinés par l’architecte en 1954
A Schéma de la toiture à rénover, dessiné par l’entreprise de couverture-plomberie «Chevillard»
Aménagements
En effet, lors du premier agrandissement effectué par l’architecte M. Bourgon, quelques laboratoires du second étage ainsi que le nouveau logement du concierge dans l’aile gauche ont été aménagés. On a fait construire également un escalier d’accès au 3ème étage du motif central, dit « la Tour », ainsi qu’un escalier de secours métallique pour évacuer la partie centrale de la Tour en cas d’incendie, en rénovant les sanitaires. De plus, une transformation complète de la charpente et de la couverture s’effectue sur un tiers du bâtiment.
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II. IDEES CONFRONTEES L’ouvrage que j’ai choisi de lire et commenter est « La naissance de l’architecture scolaire : les écoles élémentaires parisiennes de 1870 à 1914 » d’Anne-Marie Chatelet, publié à Paris en 1999 dans la collection « Hautes études d’histoire contemporaine », avec 448 pages dont illustrations en noir et blanc. La partie à laquelle je me suis intéressée concerne « l’Evolution du plan et de l’Elévation » dans la réalisation d’écoles parisiennes de cette époque (p. 211-245). Cet ouvrage me permet d’avoir une vision globale du contexte dans lequel a été crée l’Ancien Institut de Mathématiques et Physiques de Nancy. Même si le sujet du livre concerne les écoles élémentaires (maternelles, collèges et lycées), j’ai voulu comprendre les différences et les éventuels points communs entre ce type de grand équipement public et les facultés tel que l’actuel Collège de la Craffe. Dans ce chapitre, l’auteure décrit les différentes façons de concevoir des plans et de mettre en place des élévations pour des bâtiments scolaires à Paris entre 1870 et 1914 en s’appuyant sur des lois apparues à cette période, et des tendances lancées par l’Académie ou certains théoriciens de l’architecture. Elle évoque également les questions de la parcelle, de la relation aux rues, de l’emplacement du bâtiment par rapport à son voisinage, et des cours de récréation tout en s’appuyant sur une multitude d’exemples. Certains propos ont retenus mon attention dans le cadre de mon travail. On développera donc trois points importants: l’hygiénisme en architecture scolaire, la composition du plan et du programme, et le traitement des élévations.
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Hygiénisme
Le premier point important est celui d’une notion qui apparaît à cette période : l’hygiénisme. En effet, les lois concernant l’alignement strict des bâtiments empêchent les écoles d’être aérées. On décide alors de les reculer de quelques mètres, ou encore de placer les cours de récréation devant le bâtiment côté rue. Un plan-type devient alors populaire : le plan en U, c’est-à-dire deux ailes en retour d’équerre reliées à un corps principal, le tout s’articulant autour de la cour qui, elle, donne sur rue. L’auteure cite, entre autres, l’exemple de l’Ecole chrétienne construire par Gauthier. Cette cour est cependant « condamnée » comme espace central de distribution. Cela amène alors à la réflexion inverse: la suppression de l’avant-cours. En effet, selon P. Planat : « Si l’on recule les bâtiments, il arrive nécessairement que les cours intérieures soient réduites d’autant ; or, celles-ci devraient, au contraire, être élargies le plus possible ; l’air, dans ces puits qu’on décore du nom de cours, à l’intérieur des grandes villes, se renouvelle encore plus difficilement que l’air des rues ; ce qu’il faut aérer, c’est donc bien plus les façades intérieures que les façades extérieures. » 1 Cette évolution se traduit donc par un double mouvement : le regroupement des cours et l’ouverture des cours sur l’espace public. Ce débat sur l’aération globale des corps de bâtiments scolaires pousse les jurys de concours pour écoles à prendre leur décision à partir du plan de masse du projet.
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Plans et programme
Ces deux façons de penser le projet scolaire influencent naturellement les formes des bâtiments. L’une des logiques adoptées s’approche de celle du Collège de la Craffe. Par exemple, Louis Loiseau entreprend en 1907 une réalisation entre la rue Antoine-Chantin et la rue Châtillon. Selon A.M. Châtelet, « Le programme ne comportant qu’une école de filles et une maternelle, il n’y a que deux corps de bâtiment, mais ils sont placés, de manière similaire, le long des mitoyens. » (p. 228) En effet, l’ancien Institut de Mathématiques et Physique est lui aussi divisé en deux parties quasiment identiques, dans le but de donner un bâtiment propre aux Mathématiciens et un autre aux Physiciens. On peut citer un autre exemple : les écoles de la rue de la Providence dont G. Legros entreprend la construction en 1910. Selon A.M. Châtelet : « Situées en bordure de la rue de la Providence, sur un terrain de forme régulière et rectangulaire, ces deux écoles dont les éléments sont à peu près semblables présentent des dispositions symétriques par rapport à l’axe principal de la composition. Dans son ensemble, le plan général affecte la forme en « U » dont les deux branches parallèles, seules, comportent plusieurs étages. Cette disposition assure une libre circulation d’air entre ces deux bâtiments en aile. » (p. 231) A partir d’autres exemples, on peut comparer la séparation entre filles et garçons de ces écoles à la séparation des physiciens et mathématiciens de la faculté de Nancy. Tous ces changements incitent la Ville de Paris à promulguer les « Instructions relatives à la construction des bâtiments scolaires » en 1910, dans lesquelles on insiste à éloigner les classes des rues, éléments nouveaux jamais apparus dans les instructions officielles.
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Elévations
A Le groupe de la rue de la Puebla (actuelle av. Simon-Bolivar) par M. Hermant en 1874.
Dans son analyse, l’auteure compare les établissements scolaires aux hôtels particuliers. Elle précise que « cette influence reste notamment sensible dans la composition des élévations.» (p. 232) Selon elle, la façade des écoles garde la trace de ce modèle : « … elles sont composées d’un corps de bâtiment flanqué de deux ailes. Au centre se trouve, en général, l’administration scolaire. […] les accès ainsi que les bureaux et logements de fonction sont situés au centre du bâtiment ; les longues ailes, légèrement en recul de part et d’autre, accueillent l’une les filles et l’autre les garçons. L’ensemble étant aligné sur la rue, la figure est comme écrasée ; le corps central est marqué par de légers ressauts, quelques pilastres ou un étage supplémentaire. » (p. 233) Nous pouvons conclure que cette description pourrait bien correspondre à celle de la façade du Collège de la Craffe, côté rue des Frères Henry. En effet, le centre du corps principal, appelé la Tour, est plus haut que les autres parties. La différence est que l’administration se trouve dans le coin de la rue de la Craffe, c’est-à-dire là où se situe l’entrée principale. On peut donc dire que, d’une certaine façon, le bâtiment de Jasson suit la forme mais non la fonction de la composition dont parle l’extrait. Plus précisément, comme l’explique l’auteure: « la figure intervenait pour renforcer l’intention : un corps central, marquant la prédominance de l’administration scolaire, flanqué de deux ailes de classes asservies à la direction. Par la suite, cette composition n’est plus qu’un effet de façade, un masque derrière lequel les fonctions sont réparties pêle-mêle. » (p. 237) C’est exactement ce phénomène que l’on peut observer avec l’ancien Institut.
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A Groupe scolaire rues Rouelle, Emériau et Sextius-Michel, construit en 1909 par L. Bonnier
La seule différence, c’est que le bâtiment à l’angle de l’Institut n’est pas accentué d’un volume plus dominant, mais d’une décoration de la façade qui symbolise son importance. L’auteure rajoute que dans la plupart des cas, on relève un discret traitement de l’angle, une simple pliure de la façade : l’angle est cassé, souvent aveugle et porte le blason de la Ville de Paris. « L’édification de véritables bâtiments d’angle n’est envisagée que lorsque le terrain s’ouvre de manière similaire sur des voies de même importance. Si l’un des linéaires sur rue est supérieur à l’autre, ou si l’une des voies prime sur l’autre par sa largeur et son importance, alors l’édifice n’est construit que sur un des côtés et possède éventuellement une ou deux ailes se retournant sur la ou les voies adjacentes. ». Dans le cas de l’Institut, on peut dire que cette dernière règle s’applique. Par la suite, l’auteure évoque le cas des parcelles d’angle (ce qui est le cas du bâtiment étudié ici). Il s’agit d’un cas particulier, assez difficile à gérer, mais offrant tout de même une multitude de choix. L’un des exemples qui peut être comparé au Collège de la Craffe est celui du groupe scolaire réalisé en 1897 par Albert Allain à l’intersection des rues Saint-Merri et Brisemiche : « Accès, bureaux et logements sont regroupés dans un corps de bâtiment situé à l’angle, ainsi accentué d’un volume plus important que celui des bâtiments des classes. » (p. 239)
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III. ANALYSE Rappelons tout d’abord que l’actuel Collège de la Craffe se situe juste à côté de la Porte de la Craffe et est bordé par la rue de la Craffe, la rue Philippe de Gueldres et la Rue des Frères Henry (place du Recteur Jean Capelle). Si l’ancien Institut s’est implanté à cet endroit, c’est sans doute pour rester près des autres facultés de l’université scientifique de Nancy afin de créer une certaine unité. En observant l’organisation du bâtiment, on constate que les différentes parties apparaissent clairement.
A+B+C Source : www.bing.com (page consultée le 29 novembre 2011)
Composition de l’ensemble
En effet, un corps principal longe la rue des Frères Henry, deux ailes s’alignent sur les rues de la Craffe et de Philippe de Gueldres alors qu’un troisième corps, plus large, prend place dans la cour pour donner à l’ensemble la forme de la lettre « E ». Dans la première partie, nous avons vu que cette forme a été définie par le Doyen Bichon, qui a voulu séparer les mathématiciens et les physiciens dans les deux ailes parallèles, en leur permettant de partager l’amphithéâtre central et en les reliant avec le corps principal. Précisons que l’amphithéâtre central n’existe plus. Il a été remplacé par la salle polyvalente, la bibliothèque, la cantine, la salle des professeurs et quelques espaces servants, mais la volumétrie de l’ensemble du bâtiment reste similaire. On peut également constater un élément qui marque l’originalité du programme : malgré la composition plus ou moins symétrique de l’établissement, l’entrée principale est située au croisement de la Rue de la Craffe et de la Rue des Frères Henry. Cela est aussi en contradiction avec l’élément dominant et central du corps principal : la Tour. Cette dernière est accentuée par rapport au reste de l’édifice, mais sa fonction n’intervient pas dans l’importance du projet (elle abrite des escaliers, des réserves et deux salles de musique).
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A Photographie personnelle du plan d’évacuation du rez-de-chaussée (prise le 17 novembre 2011)
Ainsi, l’élément majeur est le corps d’entrée circulaire qui articule le corps principal et l’aile de la rue de la Craffe. Cet élément permet alors au bâtiment de s’inscrire dans l’espace urbain plus facilement, puisqu’il accède à deux rues. Il est intéressant de constater que le Square Bichat, qui était autrefois situé devant la Tour, se trouve aujourd’hui en face de l’aile qui longe la rue de la Craffe. Dans les deux cas, l’entrée se trouve non loin de cet espace qui permet une ouverture au bâtiment et auquel on peut presque attribuer une fonction de parvis. De la même manière, la forme courbe de ce pivot répond aussi à la porte de la Craffe. Une seconde entrée réservée aux collégiens se situe dans la rue de la Craffe (voir portail d’entrée sur le plan d’évacuation). Les élèves pénètrent directement dans la cour de récréation. Si ce nouvel accès a été mis en place, c’est sûrement pour le distinguer de l’entrée administrative (pour le personnel et les parents) qui se doit d’être un peu plus représentative de l’institution. En ce qui concerne le programme, les salles de classes se trouvent à tous les niveaux u sous-sol au troisième étage. L’administration est placée au rez-de-chaussée de l’aile gauche (côté rue de la Craffe). Au dernier niveau de l’aile droite a été rajouté l’appartement de la gestionnaire. Les deux niveaux des combles de la Tour ne sont pas utilisés.
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B A
Elévation à l’angle
A+B Photographies personnelles prise le 12 janvier
L’entrée principale se situe au croisement de la Rue de la Craffe et celle des Frères Henry. Cet élément se distingue par un avant-corps marqué discrètement par les deux pilastres ioniques entre lesquels se trouve la porte légèrement renforcée. La composition verticale est symétrique : on lit trois travées pour trois niveaux. D’après les dimensions des fenêtres (toutes cintrées), on voit rapidement que les hauteurs sous plafond diminuent de haut en bas. Plus précisément, le plus haut niveau est moins important que le premier niveau. Effectivement, cela peut s’expliquer par la volonté de hiérarchiser les fonctions. L’étage noble est ici le rez-de-chaussée (marqué par le vestibule d’entrée) alors qu’au dernier étage se trouvait initialement la chambre du concierge. Sur les deux trumeaux centraux légèrement en avant par rapport au reste, il y a deux colonnes doriques au rez-de-chaussée et ioniques au premier étage. Cette superposition des ordres accentue d’avantage la hiérarchie des niveaux. Le tout est couronné par une frise feuillagée sur laquelle un édicule repose. Ce dernier représente un grand oiseau avec deux femmes assises à ses côtés. L’objet entoure l’horloge placée au centre. Ce couronnement cache la toiture plate en zinc que l’on peut voir seulement à partir du dernier niveau de la Tour. Juste en dessous de l’horloge, ressort l’inscription en lettres majuscules : « Université de Nancy, Faculté des Sciences ». La corniche est placée sous le couronnement, donc après le troisième étage. L’entablement ionique, reconnaissable par ses denticules et son larmier, trace une limite visuelle entre ce dernier niveau et la corniche.
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Sur la travée centrale (plate contrairement aux deux autres), au dessus du second niveau, on peut voir un fronton triangulaire avec retour non fermé (autrement dit à base interrompue), dans lequel on retrouve des motifs floraux. Au-dessus de la porte d’entrée, il y a un autre fronton, également à base interrompue mais cintré, encadrant une seconde inscription figurant sur une table : « Instituts de Mathématiques et de Physique ». Par-dessus ce fronton sont placées deux drapeaux : celui de la France et celui de l’Union Européenne. Cela rappelle la fonction publique de l’institution, et ce à l’échelle européenne. Le rez-de-chaussée est surélevé de cinq marches formant un socle ce qui permet de hausser l’ensemble pour renforcer son importance.
B Photographie personnelle prise le 12 janvier (vue depuis la Tour)
A Photographie personnelle prise le 12 janvier
Le dispositif d’assemblage des pierres taillées est le joint plein. Les pierres sont de couleur assez clair ce qui participe à rendre l’immeuble assez pur et chaleureux, en dialogue avec la porte de la Craffe. La hiérarchie évoquée tout à l’heure peut également être remarquée après l’analyse des baies vitrées, toutes étant constituées de meneaux et croisillons. En effet, entre le premier et le second niveau (rez-de-chaussée et premier étage), et entre le second niveau et le troisième, les plein-de-travées sont décorés pour mettre en valeur chacun de ces deux niveaux, contrairement au dernier niveau qui est directement accolé à l’entablement. Rajoutons que les fenêtres du rez-de-chaussée sont protégées par des petites grilles peintes en bleu. Ces grilles empêchent une intrusion à l’intérieur du bâtiment. D’un point de vue général, cette élévation peut être assimilée à l’architecture de pouvoir car elle participe à la présentation et l’embellissement de l’immeuble en le rendant important à son échelle.
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B
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Façade Est
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette façade reste en retrait par rapport à la façade précédente. En effet, même si elle est plus longue et même si elle est constituée d’un élément central assez grand (la Tour), elle est juste en face d’un des côtés de la porte de la Craffe ce qui fait que le passant n’a pas assez de recul pour l’apprécier dans son intégralité. La seule manière de la voir en entier, c’est de côté.
C Photographie personnelle prise le 17 octobre 2011
A+B Photographies personnelles prises le 5 décembre 2011
On constate alors que cette grande façade est symétrique, composée de onze travées dont trois centrées sur un élément important : la Tour. Ce dernier peut être assimilé à ce qu’on appelle pavillon, c’est-à-dire une partie du bâtiment relativement développé en hauteur par rapport au reste. Horizontalement, on relève quatre niveaux : le sous-sol, les rez-dechaussée, le premier et le second étage. Sur le toit de la Tour, il y a encore quelques ouvertures qui laissent deviner trois niveaux supplémentaires. Avant de décrire la façade de cette Tour, élément central et majeur de cette élévation, penchons nous sur les deux côtés identiques qui l’entourent. Chacune des parties est composée de quatre travées pour quatre niveaux alignés avec ceux de la façade de l’entrée principale. La présence du socle est marquée par un appareillage légèrement différent que pour le reste de la façade: la couleur de la pierre est plus claire et les dimensions sont un plus grandes. Dans se socle se trouvent les fenêtres du sous-sol (soupiraux) protégées par des grilles simples, non ornées à la différence de celles de l’entrée. Ces fenêtres cintrées sont de forme carrée et de mêmes dimensions que la largeur des autres fenêtres. Elles sont donc assez petites par rapport aux autres ouvertures. La taille et la forme des fenêtres du rez-de-chaussée et du premier étage sont les mêmes mais on peut remarquer des détails qui marquent leurs différences. L’agrafe du rez-dechaussée est simple et moins décorée que celle du dessus.
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Le couronnement est la même que sur la façade d’angle, et l’entablement est dorique. Juste en dessous du couronnement, sur les trois trumeaux, sont inscrits des mots clés symbolisant la science enseignée à la faculté. Ainsi, sur la longueur de toute la façade, de gauche à droite figurent : « Gravitation, Elasticité, Acoustique, Magnétisme, Optique et Météorologie ». Sur le couronnement, quatre acrotères qui organisent les ouvertures du dernier niveau où se trouvent les quatre lucarnes inscrites dans le toit en ardoise. Les deux fenêtres centrales restent plus décorées que les latérales. En effet, elles ont toutes les deux un fronton alors que les autres n’ont qu’une agrafe simplifiée.
A+B Photographies personnelles prises le 5 décembre 2011
La Tour joue le rôle d’avant-corps central car elle est plus avancée que le reste de la façade. La différence majeure par rapport aux parties latérales est que ce morceau de façade n’a que trois travées, donc deux trumeaux sur lesquels les mots « Chaleur » et « Electricité » indiquent des notions importantes. Ce sont en quelque sorte des chapitres inévitables pour les étudiants. Une autre différence par rapport aux parties latérales est que les fenêtres du troisième niveau ne sont pas dans le toit : ce n’est qu’à partir du quatrième niveau que la toiture en croupe commence.
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A Photographie personnelle prise le 12 janvier 2011 (détail de la toiture)
Sur le grand couronnement final reposent quatre acrotères identiques à ceux des faces latérales. Entre les deux premiers acrotères est perçu le mot « physique » et entre les deux derniers « générale » en majuscules. Au-dessus de ces inscriptions, deux lucarnes comme celles vues précédemment, entre lesquelles se trouve la plus grande baie de la façade. En effet, cette dernière a même un fronton décoré et des colonnes doriques. Cependant, il est difficile de comprendre pourquoi cette fenêtre est accentuée par rapport au reste, si ce n’est que pour des raisons de symétrie et de centralité. Du point de vue fonctionnel, la pièce cachée derrière cette grande ouverture n’est en aucun cas la plus importante du projet. On peut alors être amené à dire que l’architecte a peut-être d’abord dessiné les façades avant de s’intéresser au plan, comme l’a fait Le Bernin pour la façade orientale du Louvre. Au dessus de cette fenêtre se trouvent encore deux ouvertures superposées : en bas, un petit lanterneau et au-dessus la lucarne basique de l’élévation. Le toit est ici un toit en pavillon, autrement dit un toit à quatre versants non galbés couvrant un corps de bâtiment presque carré. Ses quatre versants forment à leur sommet deux épis de faîtage. A l’arrière, on devine une cheminée qui avait surement pour fonction de réchauffer les laboratoires ou même de permettre aux scientifiques d’effectuer des expériences chimiques ou physiques.
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C Photographie personnelle de l’un des deux escaliers classiques prise le 17 novembre 2011
B Photographie du sous-sol prise le 12 janvier 2012 Vu le nombre d’ouvertures rebouchées, le sous-sol était peut-être relié par des chemins souterrains à d’autres caves de l’époque
A Photographie personnelle du couloir du rez-de-chaussée prise le 12 janvier 2012
Intérieur
Il faut tout d’abord dire que l’intérieur actuel du Collège de la Craffe est entièrement différent de son intérieur initial, modernisé suite à de nombreuses rénovations et aménagements. La quasi totalité des espaces que j’ai pu visiter ressemble à un collège typique de la seconde moitié du XXe siècle. Aucun élément décoratif n’est resté. En effet, les murs sont blancs et lisses, le sol est en pierre lisse, les portes et fenêtres sont basiques. Le seul endroit intouché (mis à part les deux escaliers situés dans les deux ailes opposées et les combles inutilisés et inaccessibles) reste l’entrée principale. Ce grand vestibule de forme ovale est réalisé en pierre taillée. Le sol est fait de mosaïques et petites pierres accolées aux murs. On y retrouve deux radiateurs. La grande porte peinte en bleu est faite de bois massif. Elle possède en tout quatre ouvertures de vitres floutées derrière lesquelles se trouvent les grilles évoquées précédemment. Elle a une hauteur totale d’environ 4m50 et une largeur de 2m50. Devant cette porte se trouve un tapis qui joue le rôle d’accueil.
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B C
Malgré sa beauté extérieure qui rappelle le charme de l’architecture de la fin du XIXe siècle, le bâtiment n’offre malheureusement pas une qualité spatiale intérieure. Des travaux sont encore aujourd’hui en cours pour l’ajout de nouvelles classes, mais certains endroits sont mal entretenus.
A+B+C Photographies prises le 17 octobre 2011
Dans l’axe de l’entrée se trouvent six marchent menant à une ouverture en arc surbaissé surmontée d’une agrafe. Il y a alternance entre les deux baies et les deux niches concaves. Ces dernières sont moulurées et surmontées d’une clef à motifs floraux et le rythme est assuré par des pilastres d’ordre ionique portant une guirlande à motifs floraux. Le fait d’embellir cette entrée montre l’importance que l’on attache au premier regard du visiteur. Les détails sont là pour intéresser et plaire à chaque passant qui décide de rentrer dedans. On se sent en quelque sorte privilégié de pénétrer dans un lieu aussi majestueux.
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Bibliographie
SOURCES ARCHIVISTIQUES Service de l’Inventaire général du Patrimoine - Photocopie de l’article issu de : « La création des Universités Lorraines », in Encyclopédie Illustrée de la Lorraine : Histoire des
Sciences et Techniques, Editions Serpenoise, p. 17 - Notes prises dans Les Dictionnaires Départementaux Meurthe-et-Moselle : Dictionnaire Annuaire et Album, Paris : Editions Henri Jouve, 1896. - Article de : COLEY Catherine, « La carrière exemplaire d’un architecte du XIXe siècle » in La salle Poirel, Albert Jasson, Architecte, Editions : Presses Universitaires de Nancy, archives modernes de l’architecture Lorraine, 1991 - Photographies en noir et blanc de A. George, avant 1934. Repro : G. Coing, plaque de verre. Référence : 89 54 03 374 VD. - Photographie en noir et blanc extraite de : ROLLET L. et CHOFFEL-MAILFERT M-J. , « Histoire des Institutions scientifiques » in Aux origines d’un pôle scientifique : faculté des sciences et écoles d’ingénieurs à Nancy du Second Empire aux années 1960, Presses universitaires de Nancy, 2007 - LOPPINET Sophie, l’Université en 1934, par le lieutenant Henry.
Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle - Plans napoléoniens au 1/1000e, levés et dressés par F. Gorce, géomètre du cadastre. Section H, feuille 9. Année : 1830. - Fonds Bourgon, 120 J (lettres, devis, factures).
SITES INTERNET - <http://histoire.univ.nancy.free.fr/?theme=1870.1919> (consulté le 23 novembre 2011) - <http://postcards.delcampe.net/list.php?language=F&searchString=institut+physique&cat=4560&searchMode=all&searchtldCountry=fr&searchInDescription=Y> (page consultée le 23 novembre 2011) - <http://www.cadastre.gouv.fr> (page consultée le 23 novembre 2011) - <http://www.verif.com/societe/COLLEGE-LA-CRAFFE-195401062/> (page consultée le 23 novembre 2011)
AUTRE - Cours d’histoire et analyse des formes urbaines, ENSAN - Licence semestre 3 - « Principes d’analyse scientifique : Architecture, description et vocabulaire méthodiques », Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, Jean-Marie Pérouse de Montclos. Paris, 2011
Rédaction et mise en page par Miljana Nikovic © Tous droits réservés. Image en première de couverture: carte postale disponible sur www.delcampe.net