Réseau Social de l'Emploi

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Réseau social de l’emploi • Bilan du projet FSE 2010 • Bilan intermédiaire du diagnostic local : “Les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes”

Albert LAGRÉE, Directeur de la Mission Locale des Ulis Alexandra VIDAL, Directrice Adjointe Christelle LAGARDE, Chargée de Communication, Animatrice Réseau Social


Guy-Francis Parmentier (ADEZAC), Jack Chopin (ACE du centre d'envergure européenne), Pierre Lambert (préfet délégué pour l'égalité des chances auprès du préfet de l'Essonne), Maud Olivier (Maire des Ulis, Conseillère Générale et Présidente de la Mission Locale des Ulis), Thomas Chaudron (MEDEF 91), Olivier Boudon (CGPME 91).

La Mission Locale des Ulis s’est engagée sur 3 champs d’actions : • Réalisation d’un diagnostic du territoire et du public • Constitution d’un réseau entreprises • Création d’un réseau social de l’emploi 2

La Mission Locale des Ulis a sollicité le Fonds Social Européen pour l'accompagner dans la mise en œuvre d'une opération visant à améliorer l'insertion professionnelle des jeunes de son territoire et fédérer les acteurs, compétences et pratiques existantes sur le territoire. Ce projet a débuté en Mai 2010. Au vu de la crise économique, et ce malgré une activité économique importante du territoire, les relations entre l'offre et la demande d'emploi deviennent de plus en plus difficiles. 30% de notre public est de niveau supérieur au Bac+2, néanmoins, nous constatons une augmentation importante du chômage des jeunes diplômés malgré un potentiel d'entreprises pouvant recruter.

• 53 nouveaux contacts entreprises • 73 jeunes mis en relation avec une entreprise • 48 jeunes placés en emploi • 93 offres d’emploi collectées et diffusées • 177 fans de notre page Facebook Bilan du projet FSE 2010


Diagnostic du territoire et du public Malgré les connaissances des différentes institutions, il nous semble important d'établir une cartographie du tissu économique local et une analyse des freins d’accès à l’emploi des jeunes. C’est pourquoi, en partenariat avec la Faculté d’Evry, Guillaume Tiffon, docteur en sociologie, mène une enquête sociologique auprès des entreprises et des jeunes pour une meilleure connaissance de notre territoire. Les objectifs de cette enquête sont : • Comprendre la nature et l’origine des difficultés rencontrées par les jeunes pour s’insérer sur le marché du travail. • Appréhender les entreprises qui composent notre territoire : secteurs d’activités, métiers qui recrutent, nature des emplois, niveau de qualifications demandé et politique de recrutement vis-à-vis des jeunes.

Premiers constats Suite aux entretiens réalisés auprès des jeunes, il ressort que les principaux freins à l’insertion professionnelle de nos jeunes sont liés au niveau et type de formation ainsi qu’aux manques d’expériences professionnelles ; et dans une moindre mesure aux problèmes de mobilité. Autre constat, l’origine de ces difficultés est la conséquence d’une inégale répartition des ressources en fonction du milieu social d’origine. Les entreprises sont de plus en plus exigeantes lors du recrutement. En effet, la demande d'emploi étant supérieure à l’offre, les jeunes rencontrant les problèmes cités plus haut se trouvent disqualifiés. (Voir le rapport intermédiaire sur « les difficultés d’insertion » de Guillaume Tiffon, p.6). Guillaume Tiffon Docteur en Sociologie à l’université d’Évry Val-d’Essonne

Enfin, le diagnostic final permettra à la Mission Locale d’établir des préconisations en vue de l’amélioration de la situation.

Bilan du projet FSE 2010

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Réseau entreprises Pour la mise en place de cette phase, la Mission Locale a recruté une chargée de relations entreprises qui a débuté en juillet 2010. Son rôle consiste principalement à faire connaître la Misson Locale, prospecter les entreprises, pérenniser les contacts, placer les candidats potentiels et fédérer les acteurs locaux de l’emploi. Au 31 décembre 2010, elle a établi le contact avec 53 entreprises et 73 jeunes ont bénéficié d’une mise en relation spécifique avec l’espace emploi. 75% des contacts établis ont débuté par une offre d’emploi. Nous avons ainsi réceptionné, saisi et diffusé 93 offres d’emploi sur nos canaux (blog, facebook, P3). La relation entreprise a permis le placement de 48 jeunes. Parmi eux, 50% habitent les Ulis.

Répartition des jeunes placés par type de contrats

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Répartition des jeunes placés par niveau

Le recrutement d’une chargée de relations entreprises a par ailleurs permis de repenser notre organisation quant à la mise à l’emploi des jeunes. Un Espace Emploi au sein de la Mission Locale a été créé visant à optimiser le parcours du jeune vers l’emploi. De façon à mieux communiquer sur la mise en place de ce service, nous avons édité une plaquette et réalisé un film à destination des entreprises afin de présenter les différents services proposés par la Mission Locale.

Bilan du projet FSE 2010


Réseau social emploi Afin de permettre l’échange et l’interaction entre les jeunes demandeurs d’emploi et les entreprises, la Mission Locale a choisi de mettre en place un outil innovant via les NTIC. Le choix s’est porté sur la création d’une page Facebook, pour son accès facile et gratuit. Selon l’étude réalisée par l’IFOP sur les médias sociaux en 2010, 94% des internautes interrogés avaient déjà entendu parler de Facebook, 43% des internautes interrogés ont un compte Facebook (chiffre en augmentation) et 84% sont âgés de 18 à 24 ans. Notre page Facebook lancée le 28 septembre 2010, est une page publique, communiquant sur les offres d’emploi et les actualités de la Mission Locale, qui peut-être consultée par tous sans forcément avoir un compte sur Facebook. Ceux qui deviennent « fans » de notre page peuvent s'en désinscrire à tout moment. Chaque information postée sur notre page est diffusée dans la « Timeline » des fans, c’est-à-dire sur la page d’accueil de leur compte Facebook à laquelle ils ont accès dès qu’ils se connectent. Au 31 décembre 2010, nous avons mis en ligne plus de 60 publications dont 35 offres d’emploi. L’information est brève mais ils peuvent en savoir plus en cliquant sur le lien inséré qui renvoie sur notre blog. Grâce au réseau Facebook, nous touchons plus facilement notre cible, et ce de manière personnelle sans être intrusifs. De plus, s’ils le souhaitent, les fans peuvent interagir en publiant des commentaires et des photos sur notre mur. Bilan du projet FSE 2010

Tranche d’âge des fans

44 interactions de fans ont été comptabilisées. Au 31 décembre 2010, notre page comptait 177 fans. Parmi eux, 64% sont des femmes. Pour le lancement de la page Facebook, nous avons conçu une campagne publicitaire : des flyers ont été réalisés et envoyés par la Poste aux jeunes du territoire, des mailings ont été envoyés aux jeunes inscrits à la Mission Locale, une signature avec image et lien vers Facebook a été insérée dans nos mails, notre page Facebook est projetée en continu sur l’écran télé de l’accueil. Par ailleurs, l’information est continuellement véhiculée par les conseillères directement auprès des jeunes. Nous réfléchissons actuellement à l’utilisation complémentaire d’un réseau social professionnel, comme Viadéo, afin de créer une communauté des anciens de la Mission Locale en poste. 5


Les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes Par

Guillaume Tiffon

Docteur en Sociologie à l’université d’Évry-Val-d’Essonne

SOMMAIRE Sous la direction de

Jean-Pierre Durand Professeur de Sociologie à l’université d’Évry-Val-d’Essonne

Remerciements Mes remerciements s’adressent à tous les jeunes qui ont eu la gentillesse de m’accorder de leur temps et d’eux-mêmes en acceptant de participer à cette recherche. Je remercie également tous les partenaires de la mission locale des Ulis qui ont participé à la diffusion du questionnaire auprès des jeunes. Sans eux, il aurait sans doute été très difficile de parvenir à un tel échantillon. Je tiens aussi à faire part de toute ma gratitude envers les conseillères de la mission locale. Elles m’ont chaleureusement accueilli et se sont toujours montrées extrêmement collaboratives à l’égard de cette recherche. Enfin, je remercie tout particulièrement Muriel Chevallier et Albert Lagrée de m’avoir mis dans les meilleures dispositions pour mener à bien la première partie de cette enquête.

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INTRODUCTION 1. Contexte 1.1. Une surreprésentation des jeunes dans les emplois atypiques 1.2. Une diminution du salaire relatif des jeunes 1.3. Une dévaluation des diplômes, qui deviennent de plus en plus nécessaires et de moins en moins suffisants 2. Problématique 3. Structure du rapport I. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 1. Objectifs de l’enquête et techniques de recueil de données 1.1. Objectifs de la recherche 1.2. Une enquête auprès des entreprises 1.3. Une enquête auprès des jeunes 1.4. Prises de contact 1.5. Situations d’entretien 1.6. Durée des entretiens 2. Population II. PRINCIPAUX RÉSULTATS 1. Les freins à l’insertion professionnelle des jeunes 1.1. Niveau de formation 1.2. Type de formation 1.3. Expériences professionnelles 1.4. Problèmes de mobilité 1.5. Grossesses « précoces » 1.6. Problèmes de santé 1.7. Problèmes familiaux 1.8. Problèmes comportementaux Conclusion 2. A l’origine de ces difficultés : une inégale répartition des ressources en fonction du milieu social d’origine 2.1. Origine sociale et capital culturel 2.2. Origine sociale et capital social 2.3. Origine sociale et capital économique 3. Cumul des difficultés et inégalités sociales d’insertion : vers une typologie des jeunes déscolarisés en recherche d’emploi 3.1. Les surnuméraires 3.2. Les déclassés 3.3. Les transfuges scolaires 3.4. Les héritiers CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

7 7 7 9 8 9 9 10 10 10 10 10 10 10 11 11 12 12 12 12 13 13 14 14 15 15 15 16 16 17 17 18 18 18 18 18 19 19

Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


INTRODUCTION 1. Contexte

Source : INSEE

rement les 15-29 ans. Pour ne prendre que le cas du privé – secteur dans lequel évoluent près de 80% d’entre eux –, elles sont passées de 11,8% des emplois en 1982 à 31% en 2008. Autrement dit : un jeune salarié du privé sur trois est en contrat temporaire, ce qui se situe nettement au-dessus de la moyenne puisque, toutes classes d’âge confondues, seuls 13% des salariés du privé occupent ce type d’emploi. Le constat est identique en ce qui concerne le temps partiel. Passant de 8% des emplois en 1975 à 17,5% en 1999, il a considérablement cru en l’espace de 25 ans. Il touche principalement les femmes de 30 ans et plus, mais aussi les jeunes et en par-

Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes

Ensuite – deuxième transformation notable – les jeunes sont de plus en plus pauvres relativement aux autres tranches d’âge de la société ; dit autrement, les inégalités intergénérationnelles se creusent puisque, comme le montre un certain nombre de travaux2, le salaire relatif des jeunes – c'est-à-dire le salaire des 15-24 ans rapporté à celui des adultes –, ne cesse

Emploi public

1982

1. Lefresne F., Les jeunes et l’emploi, Paris, La Découverte, Coll. « Repères », 2003, p. 30. 2. Voir en particulier les travaux de Louis Chauvel sur la question.

1.2. Une diminution du salaire relatif des jeunes

Statuts d’emploi par tranches d’âge en France

1.1. Une surreprésentation des jeunes dans les emplois atypiques D’abord, les jeunes sont massivement concernés par les différentes formes d’emploi temporaire (intérim, CDD, emplois aidés et apprentissage). Si ces dernières ont progressé de manière générale, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé (voir tableau ci-contre), force est de constater qu’elles touchent tout particuliè-

ticulier les jeunes femmes, dont les emplois à temps partiel sont passés de 8,5% à 32% sur cette même période.

1990 1999 2001 2008

Emploi salarié privé

Contractuels ou vacataires

Statutaires

Intérim

CDD, emplois aidés apprentissage

CDI

Ensemble

2

98

1

4,1

94,9

15-29 ans

8

92

1,7

10,1

88,2

Ensemble

5,6

94,4

1,7

7,9

90,4

15-29 ans

15,5

84,5

3,3

19,9

76,9

Ensemble

6,3

93,7

3

10,5

86,5

15-29 ans

19,9

80,1

6,9

26,3

66,8

Ensemble

7,2

92,8

3,4

10

86,6

15-29 ans

21

79

7,5

27

65,5

Ensemble

13

87

3

10

86

15-29 ans

35

65

6

25

68

Source : INSEE, Enquêtes Emploi

Comme chacun sait, depuis plus de trois décennies, la France, comme la plupart des pays développés, est touchée par un chômage de masse. Selon l’INSEE, le nombre de chômeurs est en effet passé de 3% de la population active en 1975 à 9,5% en 2010, après avoir atteint 10,9% au deuxième trimestre 1997. Si cette tendance est vraie pour toutes les tranches d’âge, qui ont vu leur taux de chômage s’accroître au cours de cette période, elle touche tout particulièrement les 15-24 ans, dont le taux de chômage est passé de 6,1% en 1975 à 24,1% au dernier trimestre 2009. Comme le montre le graphique ci-dessous, c’est presque trois fois plus que les 25-49 ans (8,6%) et quatre fois plus que les plus de 49 ans (6,6%). Ce phénomène n’est pas propre à la France. Il s’observe également dans la plupart des pays anciennement industrialisés. En effet, à chaque fois qu’un pays traverse une crise et connaît un ralentissement de sa croissance, ce sont les derniers entrés sur le marché du travail, c'est-à-dire ceux qui ont le moins d’expériences professionnelles et sont, pour le dire autrement, les moins directement et immédiatement productifs, qui sont les plus touchés par le chômage. En période de « crise » et, ce faisant, de concurrence accrue sur le marché du travail, ce sont donc, en premier lieu, les 15-24 ans qui sont les plus vulnérables par rapport au chômage1 . Cela n’est évidemment pas sans conséquences et a entraîné toute une série de transformations, dont trois nous semblent particulièrement importantes.

Taux de chômage en France par tranche d’âge

7


de baisser depuis deux à trois décennies. Le fait qu’un jeune sur Comme le monquatre soit aujourd’hui tre le tableau ciau chômage n’est donc pas dessous, le niveau de salaire des le fruit d’un supposé jeunes est infémanque de motivation ou rieur à celui des d’envie de travailler, mais 30 ans et plus. avant tout la conséquence Cela tient à des du chômage de masse effets de strucqui sévit en France depuis ture, tels que la surreprésentation plus de 30 ans. des jeunes dans les catégories se situant en bas de la hiérarchie sociale et dans les emplois atypiques (temporaires ou à temps partiel), qui sont en moyenne moins bien rémunérés que l’emploi statutaire à plein temps. Ainsi par exemple, la montée du temps partiel fait arithmétiquement baisser la durée hebdomadaire moyenne de travail de 35 heures en 1991 à 33 heures en 1995 pour les jeunes débutants dont le salaire net mensuel a décliné sur la première moitié des années 1990 . Le poids croissant des emplois aidés explique également une large part de l’évolution des salaires des jeunes. Forgeot indique que près de trois quarts des jeunes occupant un premier emploi sont payés au SMIC ou en-dessous. Or ce sont les jeunes qui débutent dans un emploi aidé ou un contrat d’apprentissage qui courent le risque le plus élevé de percevoir un salaire inférieur au SMIC ; ils représentent les deux tiers des jeunes payés au SMIC ou en-dessous.

Mais la diminution du salaire relatif des jeunes va au-delà de ses effets de structure. Elle résulte également d’une baisse des taux de salaire correspondant aux emplois à temps plein. En effet, alors que cette forme d’emploi tend à devenir atypique chez les jeunes, elle subit, pour cette catégorie, la marque d’un déclassement salarial plus prononcé que chez les adultes : les salaires nets des jeunes à plein temps ont tendance à très peu croître, voire légèrement décliner, tandis que, dans le même temps, ceux des adultes s’accroissent plus vite depuis le début des années 1990, et ce pour la quasi-totalité des catégories socioprofessionnelles (ce qui ne signifie pas que leur pouvoir d’achat augmente, compte tenu de l’évolution du coût de la vie). Ceci s’explique en premier lieu par le fait que, dans un contexte de dégradation des conditions générales d’insertion, l’accès à un emploi à temps plein devient une opportunité suffisamment rare pour que les jeunes acceptent d’en payer le prix par une révision à la baisse de leurs attentes salariales. Ainsi la dégradation de la situation relative des jeunes ne traduit pas seulement un « effet d’âge », par nature transitoire ; elle reflète les évolutions d’un rapport salarial en transformation et induit avec elle une profonde mutation des rapports intergénérationnels. Comme l’écrivent Baudelot et Gollac : « Un compromis subtil entre le pouvoir des anciens et les ambitions et la plus grande qualification des jeunes s’est en effet brisé en 1975. Hier en partie comblé par l’embauche des jeunes à salaire croissant, le fossé s’élargit entre générations. »

1.3. Une dévaluation des diplômes, qui deviennent de plus en plus nécessaires et de moins en moins suffisants Enfin, et c’est là la troisième transformation que nous voudrions pointer, avec le chômage de masse et la concurrence accrue qui s’ensuit sur le marché du travail, l’élévation des niveaux de qualification (le fait notamment d’être passé de 30% à 60% de bacheliers entre 1985 et 1995, et d’avoir plus de deux jeunes sur dix en 2000 qui sortent du système scolaire avec au moins une licence ou un diplôme de grande école) ne parvient pas à enrayer une dégradation en chaîne des niveaux d’accès à l’emploi. L’image est alors celle d’une échelle – symbolisant la formation initiale – à laquelle les jeunes grimpent de plus en plus haut, mais qui, dans le même temps, s’enfoncerait à mesure qu’ils la gravissent . Ce phénomène de l’échelle qui s’enfonce, aussi appelé « déclassement », désigne le fait d’occuper un emploi dont le niveau est inférieur à ce qu’il devrait être, compte tenu du niveau de formation initiale de celui qui l’occupe. Cela engendre une surqualification en cascade, ce qui, outre le fait de générer un déclassement des plus diplômés, renforce les difficultés d’accès à l’emploi des moins qualifiés. Dans ce contexte, l’obtention d’un diplôme est devenue à la fois de plus en plus nécessaire et de moins en moins suffisante. Deux constats s’imposent donc : sur un plan synchronique d’abord, si la crise a des retombées sur toutes les classes d’âge, elle touche tout particulièrement les jeunes. Malgré un niveau de qualification supérieur à leurs ainés, ces derniers sont en effet les plus touchés par le chômage et constituent une main d’œuvre particulièrement flexible et peu onéreuse (relativement aux 30 ans et plus) ; ensuite, sur un plan diachronique, malgré les nombreux dispositifs mis en place pour les aider à s’insérer sur le marché du travail, il est au-

Répartition des salaires par tranches d’âge en France 1991

1997

2000

15-29 ans

30 ans et plus

15-29 ans

30 ans et plus

15-29 ans

30 ans et plus

Hommes

930

1250

1020

1400

1070

1450

Femmes

810

960

870

1070

920

1140

temps complet (en %)*

20,3

7,9

25,3

9,1

22,5

8,6

Hommes

16,7

4,6

23,2

5,7

20,4

5,3

Femmes

25,4

13,3

28,6

14,8

25,8

13,8

Salaires médians

Part des bas salaires dans les emplois à

Champ : salariés hormis ceux en apprentissage ou encore en formation initiale Clé de lecture : en mars 2000, la moitié des salariés masculins de 15 à 29 ans touchent un salaire supérieur à 1070 euros. Il s’agit du salaire net avec les primes en euros courants, pour un emploi à temps plein. * Par convention, salaires inférieurs aux deux tiers du salaire médian de l’ensemble des emplois à temps complets.

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Source : Enquêtes Emploi INSEE, repris de la DARES

(en euros) selon l’âge

3. DARES, « De mars 1997 à mars 2001 : une participation accrue des jeunes à l’emploi », Premières Synthèses, n°04.2, janvier 2002. 4. Ponthieux S., « Débuter dans la vie active dans les années 1990 : des conditions qui se dégradent », Economie et Statistique, n°304-305, 1997. 5. Forgeot G., « Les salaires d’embauches des jeunes : l’influence du statut de premier emploi », Economie et statistique, n°304-305, 1997. 6. Baudelot C., Gollac M., « Le salaire des trentenaires : question d’âge ou de génération ? », Economie et Statistique, n°304-305, 1997. 7. Beaud S., 80% au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte, 2003. Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


jourd’hui plus dur d’être jeune qu’il ne l’était autrefois, pour les générations précédentes ayant bénéficié des trente glorieuses. Le fait qu’un jeune sur quatre soit aujourd’hui au chômage n’est donc pas le fruit d’un supposé manque de motivation ou d’envie de travailler, comme d’aucuns le laissent à penser ici et là, et notamment dans les médias, mais avant tout la conséquence du chômage de masse qui sévit en France depuis plus de 30 ans. 2. Problématique Cette approche, qui consiste à comparer les jeunes aux autres classes d’âge et aux jeunes d’autrefois, est, comme nous venons de le voir, nécessaire, pour ne pas dire salutaire, au regard des idées reçues qu’il peut y avoir sur les jeunes. Elle permet de Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes

rappeler qu’à l’échelle sociétale, ces derniers ne sont pas responsables du chômage qui les frappe. Elle comporte néanmoins cet inconvénient qu’en procédant de la sorte, elle les donne à penser comme une catégorie homogène et passe ainsi sous silence le fait que, parmi eux, tous ne disposent pas des mêmes ressources pour faire face aux exigences des entreprises sur le marché du travail. Il semble donc intéressant de réintroduire cette dimension dans l’analyse, en interrogeant quelles sont les conséquences de cette dégradation générale des conditions d’accès à l’emploi sur les mécanismes de reproduction sociale ? Ou, pour le dire autrement, en quoi les difficultés que les jeunes rencontrent actuellement pour trouver un emploi se trouvent-elles renforcées par le milieu social d’origine ? Bref : en quoi l’accroissement des critères de sé-

lection sur le marché du travail contribuet-il à augmenter les inégalités sociales ? 3. Structure du rapport Pour répondre à ces questions, nous procèderons en deux temps. Dans un premier temps, nous reviendrons sur des considérations méthodologiques, en présentant le protocole d’enquête que nous avons mis en place au cours de cette enquête (techniques de recueil de données, caractéristiques sociales de la population étudiée, etc.) (I). Dans un second temps, nous exposerons les principaux résultats qui ressortent de l’analyse des matériaux récoltés auprès des jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus (II).

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I. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 1.3. Une enquête auprès des jeunes

La première partie de ce rapport vise à présenter le protocole de recherche mis en place pour mener à bien cette enquête. Pour ce faire, nous commencerons par exposer les techniques de recueil de données mobilisées (1), puis reviendrons sur les principales caractéristiques sociales de la population étudiée (2).

jeunes (de 16 à 25 ans) actifs en recherche d’emploi. Elle vise, en effet, à mieux comprendre la nature et l’origine des difficultés qu’ils rencontrent pour s’insérer sur le marché du travail, en fonction de leur niveau de formation et de la situation sociale et familiale dans laquelle ils se trouvent.

En ce qui concerne les jeunes, l’enquête de terrain est achevée. Nous avons eu recours à deux techniques de recueil de données. D’une part, nous avons élaboré, diffusé et récolté près de 300 questionnaires, dont la diffusion s’est faite au sein de la mission locale des Ulis et par le biais de ses différents partenaires (pôle emploi, CAPS, CCPL, Point d’information jeunesse (PIJ) des Ulis, de Villebon, etc.). L’analyse de ce questionnaire n’étant toutefois pas achevée, elle figurera dans le rapport final. D’autre part, 44 entretiens de type biographique ont été réalisés. Conçus de manière plutôt linéaire et chronologique, ces derniers nous ont permis de retracer la trajectoire scolaire (depuis le collège et les premières questions d’orientation scolaire), familiale (origine sociale, configurations familiales, etc.) et professionnelle (stages, emplois saisonniers et étudiants, premières expériences professionnelles en adéquation avec leurs études, etc.) de ces jeunes afin de saisir où se situe, plus précisément, l’origine des difficultés qu’ils rencontrent pour s’insérer sur le marché du travail. 1.4. Prises de contact

1. Objectifs de l’enquête et techniques de recueil de données 1.1. Objectifs de la recherche L’objectif de cette recherche est double. Il s’agit, d’une part, de mieux connaître les entreprises qui composent le tissu économique local : quels sont leurs secteurs d’activités, les métiers dans lesquels elles recrutent, la nature des emplois qu’elles offrent, le type et le niveau de qualifications qu’elles recherchent ; mais aussi, et surtout, la politique de recrutement qu’elles mènent à l’égard des jeunes : ce qu’elles en attendent, la perception qu’elles en ont et les conséquences que cela a sur la manière dont elles procèdent à leur recrutement. D’autre part, l’objectif de cette recherche est également de parvenir à une meilleure connaissance des

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1.2. Une enquête auprès des entreprises Coté entreprise, nous avons récolté à ce jour une soixantaine de questionnaire, à l’occasion du forum de l’emploi qui s’est déroulé aux Ulis, le jeudi 24 novembre 2010. Structuré en trois parties, ce questionnaire nous permettra d’analyser quelles sont les politiques de recrutement des entreprises et en quoi elles diffèrent en fonction de leur taille et de leur secteur d’activité. Nous réaliserons, par ailleurs, 10 à 15 entretiens auprès de recruteurs afin qu’ils nous présentent la façon dont ils recrutent et perçoivent les jeunes. Ces discours viendront ainsi compléter les données récoltées par questionnaire. Cette partie de l’enquête se déroulera de janvier à mars 2011 et figurera dans le rapport final qui sera remis fin avril.

La majorité des jeunes interviewés a été contactée par le biais de la mission locale des Ulis. La technique du proche en proche, qui consiste à solliciter le réseau de relation des personnes interviewées pour constituer un échantillon, s’est néanmoins avérée utile pour obtenir des entretiens avec des jeunes aux profils différents de ceux qui fréquentent la mission locale. Enfin, pour compléter notre échantillon, certains entretiens ont également été obtenus en allant à la rencontre de jeunes prêts à participer à cette enquête à la sortie de pôle emploi. 1.5. Situations d’entretien La plupart des entretiens se sont déroulés dans les locaux de la mission locale des Ulis. Nous nous sommes efforcés à ce que les bureaux soient, dans la mesure du possible, fermés, afin d’éviter que les jeunes Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


aient des réticences à aborder certains sujets sensibles de leur situation sociale et familiale. Pour des raisons d’ordre pratique, certains entretiens se sont néanmoins déroulés dans des espaces ouverts. Certains ont été tenus dans des cafés ou des restaurants, d’autres dans des parcs.

Répartitions des jeunes interviewés par sexe

Garçons Filles

1.6. Durée des entretiens La durée des entretiens est très variable. Elle va de 15 à 20 minutes pour les plus courts à 1h30-1h45 pour les plus longs. Comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce rapport, il est d’ailleurs intéressant de souligner l’existence d’un lien de corrélation entre la durée des entretiens et le niveau de formation de ces jeunes.

Répartitions des jeunes interviewés par âge

2. Population

16 - 17 ans

Les graphiques ci-contre rendent compte des principales caractéristiques sociales des personnes interviewés dans le cadre de cette enquête. Il en ressort que notre population comporte davantage de filles que de garçons (59% contre 41%), ce qui correspond aux attentes de la mission locale, qui porte une attention toute particulière aux difficultés que rencontrent les jeunes filles déscolarisées. Précisons au passage que, parmi elles, quatre sont mères d’un enfant ou sur le point de le devenir (nous reviendrons plus longuement sur les conséquences que cela entraîne pour elles, et leurs démarches de recherche d’emploi, dans la seconde partie de ce rapport). On constate également que tous les âges sont représentés au sein de la classe d’âge des 16-25 ans, et ce de manière relativement équilibrée, même s’il apparaît que les 1617 ans soient légèrement sous-représentés. Quant à leur formation, notons que tous les niveaux d’études sont représentés ; notons également que les jeunes sortis du système scolaire dont le diplôme le plus élevé est un BEP, un CAP ou un Baccalauréat représentent à eux seuls près de la moitié de l’échantillon. Enfin, en ce qui concerne leur situation d’emploi, soulignons que, conformément à un objectif que nous nous étions fixé, l’échantillon n’est pas seulement composé de jeunes déscolarisés en recherche d’emploi, mais aussi, et pour une proportion non négligeable (34%), de jeunes en emploi.

18 - 19 ans

Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes

20 - 21 ans 22 - 23 ans 24 - 25 ans

Répartitions des jeunes interviewés par niveau d’études Sans diplôme BEPC BEP-CAP Bac Bac +2 Bac +3 (+4) Bac +5

Répartitions des jeunes interviewés par type de situation d’emploi

CDI CDD (CAE) Sans emploi

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II. PRINCIPAUX RÉSULTATS La seconde partie de ce rapport expose les principaux résultats de cette enquête. Elle présente, tout d’abord, les différents freins que connaissent les jeunes pour s’insérer sur le marché du travail (1). Elle s’efforce ensuite de remonter à l’origine de ces difficultés (2) ; pour enfin proposer une typologie de ces jeunes, en fonction de la nature des obstacles qu’ils doivent surmonter pour accéder à l’emploi (3). 1. Les freins à l’insertion professionnelle des jeunes Les jeunes rencontrent de multiples difficultés pour s’insérer sur le marché du travail. Parmi elles, huit sont revenues de manière récurrente au cours des entretiens. Elles seront ici exposées les unes après les autres, bien qu’elles soient pour la plupart liées et cumulables, comme nous le verrons dans le point trois de cette partie.

tulaires d’un Brevet (BEPC) – sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés pour s’insérer sur le marché du travail. En 2008, le taux de chômage de ces derniers (de un à quatre ans après la fin de leurs études) était de plus de 20 points supérieur à celui des titulaires d’un CAP, d’un BEP ou d’un Bac, et de près de 35 points supérieur à celui des diplômés du supérieur (voir graphique ci-dessous). Pour situer l’ampleur des changements en la matière, le taux de chômage des peu qualifiés est passé de 10% en 1975 à près de 50% en 1999, avant de redescendre autour des 40% en 2007. Autrement dit : s’il était autrefois courant de trouver du travail sans qualification particulière, aujourd’hui, la situation est tout autre : sans diplôme, l’accès à l’emploi s’avère largement incertain. Les discours recueillis au cours de notre enquête concordent avec les données nationales : en dépit de leur motivation, les jeunes sans diplômes sont en effet de loin ceux qui peinent le plus à trouver un emploi ; quel qu’il soit. En témoignent les propos de F. (19 ans) et de S. (22 ans) :

« Il y a pas mal de choses qui me plaisent. Mais j’ai aucun diplôme, rien du tout. Donc c’est toujours assez difficile. Mais je suis toujours prêt à travailler, n’importe où. Je veux juste trouver un travail. C’est mon objectif. »

« J’ai pas envie de rien faire. Même si on me propose un travail et que, voilà, c’est pas le top du top, mais moi, du moment que j’ai quelque chose, c’est vraiment le top du top. Je demande que ça. »

Comme le montrent les extraits d’entretiens qui précèdent, pour ces jeunes peu diplômés, le chemin qui mène à l’emploi est donc des plus longs et incertains. Face à l’ampleur de la tâche, certains comptent sur leur détermination (F.), d’autres vont de mission d’intérim en mission d’intérim, en espérant un jour décrocher un CDI (S., J-P.), tandis que d’autres encore envisagent de reprendre leurs études (S., C., A., S., G.).

Et quand on leur demande s’ils ont déjà eu des entretiens d’embauche ou des retours sur leurs candidatures, la plupart déclarent, à l’image de F., avoir le sentiment que leur profil n’intéresse pas les recruteurs : « On m’a jamais appelé pour me dire votre dossier à retenu mon attention, je souhaiterais vous rencontrer. Alors vraiment aucun appel. Vraiment rien (silence). Pourtant, pour moi, j’ai fait les meilleures démarches. J’ai été… vraiment tôt le matin. Je suis resté le plus longtemps possible. J’ai essayé de parler, de vraiment… de montrer que j’étais vraiment intéressé. »

1.1. Niveau de formation Comme chacun sait, le niveau de formation initiale constitue le premier des remparts contre le chômage. Dans ce contexte, les peu diplômés – c'est-à-dire par convention les jeunes sans diplôme ou ti-

Taux de chômage de un à quatre ans après la fin des études, en fonction du diplôme le plus élevé déclaré (1975 à 2008) (%) (France métropolitaine)

1.2. Type de formation A niveaux d’étude comparables, les possibilités d’insertion professionnelle diffèrent grandement selon le type de formation. Dans l’enseignement supérieur, par exemple, les jeunes issus de filières à vocation professionnelle ou à numerus clausus accèdent plus rapidement à des emplois stables que les autres8. A ce titre, les titulaires d’un DEUG s’insèrent en moyenne nettement moins facilement que les titulaires d’un BTS ou d’un DUT. Pour les niveaux Remarque : 1-75 signifie “janvier 1975” ; S1-03 signifie “Premier semestre 2003” Source : Ministère de l'Éducation nationale, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche. Édition 2009 - Résultats, diplômes, insertion (fiche 8-23)

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8. Karaa R., Plassard J. M., « Une étude économétrique de la durée d’accès au premier emploi », Communication présentée aux XVI journées de AES, Rennes, 1996. Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


moins élevés, les apprentis (niveau CAP ou bac professionnel) s’insèrent en général mieux et plus rapidement que leurs homologues sortants d’une filière scolaire professionnelle. Aussi, l’obtention du diplôme s’avère déterminante, puisqu’un jeune de niveau terminale ayant échoué à son baccalauréat a en général plus de difficultés à s’insérer qu’un jeune titulaire d’un BEP ou d’un CAP. Notons également que les sortants de spécialités industrielles connaissent en moyenne moins de difficultés pour s’insérer sur le marché du travail que les sortants de spécialités tertiaires, notamment au niveau de l’enseignement secondaire9. Enfin, il est certaines formations très spécialisées dont les débouchés s’avèrent particulièrement restreints et difficiles d’accès. En ce cas, l’obtention du diplôme n’est pas suffisante et nécessite, plus qu’ailleurs, d’être accompagnée de la détention d’un réseau de relations professionnelles, notamment pour accéder au premier emploi. Ainsi en est-il par exemple de A. (25 ans) et de B. (25 ans). Respectivement titulaires d’un Master 2 de stylisme et d’un BMA (Brevet des Métiers d’Arts) de joaillier, l’un et l’autre ont été contraints de se réorienter après plusieurs années de recherches d’emploi infructueuses. Avec son bac+5, A. s’est ainsi reconverti dans l’animation, tandis que B. vit aujourd’hui de « petits boulots », en espérant pouvoir un jour créer sa propre entreprise de joaillerie. 1.3. Expériences professionnelles Dans le contexte socio-économique actuel, où la demande est supérieure à l’offre d’emploi, le niveau d’exigence des entreprises en matière de recrutement ne cesse de croître. Non seulement le niveau de formation demandé pour un poste donné augmente constamment, mais les attentes en termes d’expériences professionnelles s’avèrent de plus en plus importantes. Or, pour les jeunes, qui sont par définition moins expérimentés que leurs aînés, cette nouvelle donne pose problème. La question est en effet de savoir comment acquérir de l’expérience si les entreprises ne recrutent que des personnes qui en ont déjà. La réponse des jeunes rencontrés qui ont le plus intégré cette nouvelle règle du jeu consiste à privilégier les filières professionnalisantes et en alternance afin d’acquérir un maximum d’expériences 9. Lefresne F., Les jeunes et l’emploi, Paris, La Découverte, Coll. « Repères », 2003. Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes

professionnelles au cours de leurs études – avant même de sortir du système scolaire. Certains d’entre eux ont même été jusqu’à profiter de leurs vacances pour réaliser des stages volontaires en plus de ceux éventuellement exigés dans le cadre de leur formation. Dans ce contexte, où une espèce de course à l’expérience est en train de s’orchestrer, ne pas avoir d’expérience professionnelle à la sortie des études devient de plus en plus un frein à l’insertion professionnelle des jeunes. 1.4. Problèmes de mobilité Les problèmes de mobilité constituent également un frein souvent évoqué par les jeunes pour pouvoir s’insérer sur le marché du travail. Ces derniers se situent à plusieurs niveaux. En premier lieu, certains jeunes, comme C. (24 ans) et E. (25 ans), dont les lycées étaient difficiles d’accès, ont multiplié les absences en raison de problèmes de transports en commun. Cela s’est traduit par des avertissements et n’a pas simplifié leur scolarité, compte tenu des cours qu’elles devaient rattraper. Pour le cas d’E., cela a même contribué à l’interruption de ses études juste après le BTS. « J’avais beaucoup de difficultés pour accéder au site. C’était à Chatenay Malabry. Je me levais à 5h du matin pour avoir mon bus et il y en avait toujours un qui était en retard ; et là bas, comme le règlement, il était vraiment strict, si on arrivait en retard, les portes étaient fermées et il fallait attendre une demie heure, et c’était comptabilisé comme une heure d’absence. Donc, du coup, j’ai eu pas mal d’heures d’absence alors que, voilà, je me levais, j’y allais. Et du coup, j’ai eu des avertissements sur mes absences alors que j’avais expliqué la situation, mais ils ne voulaient rien savoir. Du coup, ça m’a aussi démotivé. Voyant que je mettais du temps dans les transports et qu’en plus, ça ne me plaisait pas, j’ai pas voulu continuer. J’en ai eu marre et j’ai cherché à travailler tout de suite après mon BTS. » En second lieu, la détention d’un permis de conduire et le fait d’être véhiculé constitue parfois une condition sine qua non pour accéder à l’emploi. En témoignent les propos de S. (22 ans) : « Il y en a beaucoup (des em-

ployeurs) qui m’ont dit non parce que j’habitais trop loin et que j’avais pas le permis. En fait, si on n’a pas le permis ou que ça fait trop long au niveau des trajets, ils cherchent pas à comprendre, ils refusent direct. » Pour ceux qui, comme J.(19 ans) et S. (19 ans), sont amenés à travailler en horaires décalés, le constat est identique : « Pour le stage, là, j’avais pas encore le permis. Et, je sais pas si c’était un prétexte ou pas, mais en tout cas, ils m’ont dit : « non, vous n’avez pas de voiture ». Tout de suite, ils ont sauté sur l’occasion. Pourtant, je leur ai dit que c’était bon, qu’avec les transports en commun, ça me posait pas de problème. Mais ils m’ont dit : « pour 7h, vous n’allez pas arriver à l’heure tous les matins. » (…) Quand on commence tôt, le permis, c’est sûr, c’est un plus pour trouver du boulot. » « Il y a des employeurs, la première chose qu’ils demandent, c’est si on a le permis. Du coup, sans permis c’est sûr que c’est plus dur de trouver du travail, surtout quand on nous demande de terminer tard… » Enfin, lorsqu’ils sont combinés à d’autres difficultés, comme le fait d’être mère ou de travailler en parallèle de ses études, ces problèmes de mobilité deviennent parfois tels que la possibilité de maintenir durablement son emploi devient extrêmement compliqué, pour ne as dire impossible. C’est le cas d’A. (24 ans) et de P. (20 ans) : « Comme j’étais à pied, le matin, je m’en sortais pas. Il fallait que je la prépare (sa fille), que j’aille la déposer à pied chez son parrain, c’était à 30 minutes à pied, et avec elle, c’est pas facile, du coup j’arrivais toujours avec 5 – 10 minutes de retard. Et au bout d’un moment, ça n’allait plus, et ils m’ont virée. » « Chez Paul, j’étais du soir. Ce qui fait que je commençais à 13h et je terminais à 22h 30 – 23h. Le problème, c’est qu’à Vélizy, pour y aller, il y a pas de problème, ça met 20 minutes. Mais à partir de 20h30, il y a plus de car pour revenir. Donc, fallait que je prenne un bus pour aller de Velizy à Robinson, de Robinson à Bourg la reine et de Bourg la reine à

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Orsay. Donc ça me faisait 2h pour rentrer. Du coup, je partais de chez moi à 1h (13h) et je rentrais chez moi entre minuit et une heure du mat’. Donc j’ai pas tenu. Au bout d’un moment, j’en pouvais plus. En plus j’avais qu’un jour de repos par semaine et souvent ils m’appelaient pour faire des remplacements. Donc, au bout d’un moment, j’ai craqué. Je suis parti. » Pour ces jeunes, les problèmes de mobilité qu’ils rencontrent se répercutent donc à trois niveaux : d’abord, ils constituent une embûche supplémentaire dans leur parcours scolaire ; ensuite, ils compliquent considérablement leurs possibilités d’accès à l’emploi ; enfin, ils réduisent également leurs chances de parvenir à le préserver durablement. 1.5. Grossesses « précoces » Le fait d’être enceinte ou d’avoir un enfant ne facilite pas l’insertion professionnelle des filles. Lorsqu’elles sont encore scolarisées, certaines, comme S. (19 ans), n’arrivent plus à joindre les deux bouts et finissent par arrêter leurs études. « J’ai commencé une première année de Bac Pro commerce, dans le 92. Mais après, avec ma grossesse, j’ai raté beaucoup de cours. Et puis les stages, j’ai pas pu les valider, donc j’ai arrêté en cours d’année. Et maintenant, je cherche un truc pour septembre. J’ai pas envie de recommencer une année sans rien faire. » D’autres, comme D. (20 ans, déscolarisée et sans emploi), attendent d’accoucher pour reprendre leurs études ou trouver un travail, en espérant que la venue au monde de leur enfant ne contrariera pas leur projet. « Je veux devenir éducatrice de jeunes enfants. Mais pour ça, il faut faire une formation de trois ans avec un concours. Donc, pour l’instant, j’attends, parce que j’ai une grossesse en cours, mais après, je voudrais faire ça. » Enfin, quand elles travaillent et ne sont pas ou peu épaulées (pas de famille, pas de conjoint, etc.), il arrive également que certaines se retrouvent débordées par le fait de devoir jongler entre leur travail et la garde de leur enfant. C’est le cas d’A. (24 ans), dont les problèmes de garde de sa fille, conjugués au fait qu’elle se déplace à

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pied, se sont soldés par des retards répétés au travail et, au bout du compte, un licenciement. « Avec mes collègues, ça allait. Avec mes supérieurs, ça allait. Mais depuis que j’ai eu ma fille, ça a dégénéré. C’est parti dans tous les sens. (…) Au début, quand j’ai repris, ça allait, vu que le père de ma fille m’aidait et tout. Mais après, vu qu’il faisait son faignant, j’ai du me gérer les gardes. Il fallait que j’aille la déposer chez son parrain, qui voulait bien la garder, mais du coup, j’arrivais tout le temps en retard au travail. Dès fois, je commençais à 8h30 à Carrefour, et le temps que je fasse tout ce que j’avais à faire et que je la dépose, vu que j’étais à pied, bah j’arrivais à 35, 40 au lieu de 30 ; et à force, ça n’allait plus. Ils m’ont licenciée. J’étais dégoutée. J’étais tellement dégoutée que j’ai tout vendu, j’ai lâché mon appartement et je suis repartie en Guadeloupe. Là bas au moins, j’avais mes parents pour s’occuper de ma fille. » Comme le montrent les extraits d’entretien qui précèdent, le fait d’être mère complique considérablement l’insertion professionnelle de ces jeunes filles. Certaines doivent interrompre prématurément leur scolarité, comme S. , qui n’a pas pu aller au terme de son bac professionnel, ou A. , dont il reste encore trois années d’études pour pouvoir devenir éducatrice de jeunes enfants. D’autres peinent à conserver leur emploi, sous le poids des contraintes de leur rôle de mère, a fortiori lorsqu’elles sont seules, ou peu aidées. 1.6. Problèmes de santé L’une des difficultés qui ressort également des entretiens est l’apparition de problèmes de santé. Il s’avère en effet que certains jeunes (tout de même quatre parmi ceux que nous avons rencontrés) soient contraints d’arrêter leurs études ou de changer de métier suite à des problèmes de santé. Ainsi en est-il par exemple de Stéphanie (22 ans) qui, comme le montre l’extrait d’entretien ci-dessous, n’a pas pu aller au terme de son stage d’assistante dentaire à cause de douleurs persistantes au genou : « Comme je me suis faite opérée du genou, en fait, je peux plus faire de «

piétinage » dans le cabinet. Avec les petits allers-retours, au bout d’un moment, je fatigue ; et du coup, il faut que je change de métier et que je reprenne une formation. (…) Après moi, j’aimerais beaucoup m’orienter vers les enfants. Je suis une passionnée d’enfant, comme ma mère (qui est dame de service dans une école). Donc là, je suis en train de voir avec les médecins du travail pour savoir si je peux vraiment tenir dans ces métiers là. Mais de toute façon, mon médecin, il m’a dit que j’aurais des douleurs à vie… donc il ne faut pas que je m’arrête à ça. » Le handicap de C. (23 ans) est quelque peu semblable puisque, après avoir obtenu un CAP coiffure, elle s’est peu à peu aperçue qu’elle était allergique aux produits qu’elle manipulait tous les jours dans l’exercice de son métier. « Pendant mon CDD, vers mi-juin, j’ai commencé à être malade. J’avais les jambes lourdes, je perdais du poids, j’étais tout le temps fatiguée. Au début, j’ai cru que c’était une grippe. J’ai été voir mon médecin, et il m’a donné un premier traitement. Mais par-dessus ça, j’ai fait une infection pulmonaire, j’avais du sang dans les poumons, du coup, j’ai eu encore un autre traitement, jusqu’à fin octobre, sous cortisone. Et comme je voulais pas casser mon CDD pour pas déranger mon patron, qui m’avait quand même appelée pour me proposer ce boulot là, j’ai quand même travaillé. Je me suis pas arrêtée. Mais maintenant, il faut que j’appelle pour les maladies professionnelles, parce que l’allergologue, il m’a fait un papier comme quoi je peux plus exercer ce métier. En fait, je suis allergique aux produits qu’on manipule. » Déclarée inapte à exercer ce métier, C. envisage à présent de suivre une formation pour devenir aide soignante. Le cas de C. et de M. est encore différent : contrairement à C. et S. , leurs problèmes de santé ne les empêchent pas d’exercer un métier, mais de poursuivre leurs études ou de passer des examens. C. (18 ans), par exemple, a du renoncé à poursuivre ses études en raison de « phobies scolaires ». Prise de crises d’angoisse au moment de partir à l’école ou de s’endormir, elle, qui Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


avait pour projet de devenir psychologue pour enfants, s’est ainsi retrouvée déscolarisée à l’âge de 17 ans, et sans autre diplôme que son BEPC – elle était alors en première L. Sa situation s’étant améliorée, elle voudrait à présent se réorienter vers le métier d’auxiliaire puéricultrice et entreprend des démarches pour pouvoir suivre cette formation, en espérant que ses angoisses ne réapparaitront pas. Quant à M., la peur de passer son BTS était telle qu’elle s’est retrouvée handicapée de ses deux jambes le matin même où elle devait se présenter à son examen. « Un matin, je me suis levée. Bah d’ailleurs, c’était le jour où je devais passer mes premiers examens. Bah, impossible d’y aller. Impossible de marcher. Ma mère, elle me piquait avec une aiguille, je sentais rien. Je saignais, je sentais rien. J’étais vraiment… donc on a été direct à l’hôpital. Après, je suis restée là-bas pendant deux mois et demi. Et, au bout des deux mois et demi, j’ai recommencé à bouger, donc je suis rentrée chez moi. Et voilà. Au bout de trois mois, trois mois et demi, je me suis remise à marcher. C’était une période difficile, surtout que j’ai bossé deux ans comme une malade, je me suis pris la tête. Enfin, je me suis accrochée. Dès fois, j’en pouvais plus. Et au final, j’ai même pas pu passer mon examen… » Ayant peur de se retrouver à nouveau handicapée, M. n’a pas souhaité repasser son examen. Titulaire d’un Bac Professionnel en secrétariat, elle a néanmoins réussi à trouver du travail par la suite. Elle est actuellement en contrat aidé (CAE) à la mission locale des Ulis. Comme en témoignent les différents exemples ici présentés, l’apparition de problèmes de santé réduit donc considérablement les possibilités d’insertion professionnelle des jeunes. D’un côté, elle se traduit par des interruptions de scolarité, donc des niveaux de formation moins élevés, et nécessite la plupart du temps des réorientations, ce qui, en fonction de l’âge et de l’état d’avancement dans les études, n’est pas toujours des plus évidents. D’un autre côté, elle est loin de constituer un atout sur le CV. Comme le dit C. : « Quand on a des problèmes de santé, il y a quand même beaucoup plus de réticences au niveau des employeurs. » Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes

1.7. Problèmes familiaux

1.8. Problèmes comportementaux

Nombre de jeunes rencontrés se trouvent dans des configurations familiales compliquées ; configurations qui ont très certainement des incidences sur leur scolarité et, de manière générale, leur insertion professionnelle. Mais là n’est pas notre propos. Il s’agit plutôt de pointer que, dans certains cas, des conflits familiaux sont directement à l’origine de la volonté de certains jeunes d’interrompre leurs études et de travailler au plus vite pour pouvoir quitter, voire fuir, le foyer familial. C’est le cas de J. (19 ans). Titulaire d’un BEP coiffure, elle ne veut pas passer son « bac pro » et souhaite travailler au plus vite, et peu importe où, pourvu que cela lui permette de partir de chez ses parents :

Il est certains jeunes pour lesquels il semble que des problèmes de type comportementaux aient une incidence directe sur leur niveau d’études et leurs difficultés à se maintenir durablement dans l’emploi. C’est le cas de S. (22 ans) qui s’est retrouvé déscolarisé, après s’être battu avec les autres mécaniciens de l’atelier où il faisait son stage de CAP, ou encore de J-P. (20 ans), qui s’est coup sur coup fait renvoyer d’un CAP coiffure et d’un CAP comptabilité, suite à des altercations avec ses employeurs successifs. Suite à ces incidents, l’un et l’autre sont déscolarisés et sans diplôme. S. enchaine mission d’intérim sur mission d’intérim, après s’être fait licencié de Carrefour pour abandon de poste, suite à des altercations répétées avec ses collègues. Quant à J-P., après plusieurs séjours de rupture (foyers) desquels il s’est tous fait « virer » – pour reprendre ses propres termes –, il a travaillé au McDonald’s, puis à Quick, d’où il s’est, là encore, fait licencié. L’aspect chronique, et quasi-systématique, de ces évènements laisse à penser que l’un et l’autre souffrent – au sens où ils en sont les premières victimes – de problèmes de discipline, que ce soit à l’école ou au travail. En tout état de cause, cela constitue un frein à leur insertion professionnelle.

« Moi, personnellement, je veux travailler. C’est pour ça, je veux faire une formation qui dure pas trop longtemps pour travailler plus vite. Parce que je me vois pas encore rester chez mes parents jusqu’à 21 ans. Moi, le plus tôt que je pars de chez mes parents, plus tôt que je suis heureux. C’est pour ça que je cherche du travail. » Ainsi en est-il également de S. (16 ans) qui, déscolarisée dès le collège et sans diplôme, a entrepris des démarches pour être émancipée avant sa majorité afin de pouvoir quitter le foyer familial et partir vivre chez sa sœur, bien que ses parents s’y opposent, et notamment son père, avec lequel elle est en conflit depuis un an. Dans les deux cas, il apparaît donc que la déscolarisation précoce de certains jeunes (avec toutes les difficultés que cela engendre par la suite en termes d’insertion professionnelle) trouve parfois ses racines dans les tensions qui traversent la cellule familiale.

Conclusion Tous les freins ici présentés ne sont pas de même nature. Les difficultés liées au niveau et au type de formation initiale, le manque d’expérience et, dans une moindre mesure, les problèmes de mobilité constituent le cœur des difficultés auxquelles doivent faire face les jeunes pour pouvoir s’insérer sur le marché du travail. Les autres freins sont plus périphériques et circonstanciés, bien qu’ils aient, eux aussi, une incidence non négligeable sur les dif-

Les freins à l’insertion professionnelle des jeunes Problèmes de santé

Niveau et type de formation

Grossesses “précoces” Expériences professionnelles

Problèmes familiaux Problèmes de mobilité

Problèmes comportementaux

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ficultés d’insertion professionnelle de ceux qui y sont confrontés. Voici donc comment pourrait être représentés graphiquement ces freins (voir figure ci-dessous). 2. A l’origine de ces difficultés : une inégale répartition des ressources en fonction du milieu social d’origine Jusqu’ici, nous nous sommes contentés de présenter un à un les principaux freins à l’insertion professionnelle des jeunes. A présent, il s’agira de montrer que ces difficultés ne touchent pas tous les jeunes de La principale difficulté la même manière et que connaissent les jeunes qu’elles concernent pour pouvoir s’insérer sur davantage ceux qui le marché du travail trouve disposent des resses racines dans le milieu sources les plus faibles en termes de social d’origine. capitaux culturel, économique et social. En effet, ce que Pierre Bourdieu et JeanClaude Passeron ont montré dans les années 1960-1970 à propos de l’école10, se retrouve également au niveau de l’insertion professionnelle des jeunes aujourd’hui : comme nous allons le voir, derrière la chimère, qui consiste à croire que les jeunes qui ne parviennent pas à s’insérer sont les moins motivés et « débrouillards », se cache une inégale répartition des ressources en fonction du milieu social d’origine.

2.1. Origine sociale et capital culturel Nous l’avons vu : moins les jeunes possèdent de diplômes, plus leur insertion professionnelle s’avère longue et compliquée. Or, le niveau d’étude des jeunes ne relève pas de leur mérite ou de leurs supposées qualités intrinsèques. Il est avant tout le fruit d’une certaine manière de penser, d’être et d’agir qui est socialement héritée et constitue un capital – ce que Bourdieu appelle le capital culturel. Ce capital est légué – ou, pour être plus exact, acquis et incorporé – au cours du processus de socialisation. Valorisé et reconnu au cours du parcours scolaire, il s’institutionnalise ensuite à travers la détention de diplômes, ce qui, au bout du compte, explique qu’un fils d’ouvrier ait beaucoup plus de chances de devenir ouvrier que cadre ; et réciproquement. Cette théorie, que Bourdieu a élaborée et démontrée dans les années 1960-1970, semble tout à fait pertinente pour comprendre la situation des jeunes que nous avons rencontrés. Comme le montre le graphique ci-dessous, aucun des jeunes sans diplômes n’est un fils de cadres ou de professions intellectuelles supérieures. A l’exception d’A. , qui constitue un cas quelque peu à part11, ils sont tous fils d’ouvriers ou de chômeurs. A l’inverse, aucun fils d’ouvriers n’est titulaire d’un bac+5 ; ces derniers étant soit des fils de cadres ou de professions intellectuelles supérieures, soit des fils de professions intermédiaires.

Niveaux d’étude et PCS des pères

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Artisans, commerçants, chefs d’entreprise

Employés

Cadres et professions intellectuelles supérieures

Ouvriers

Professions intermédiaires

Sans emploi

Soulignons également que sur 14 fils d’ouvriers, il n’y en a qu’un seul – et en l’occurrence une, ce qui n’est pas neutre12 – qui a poursuivi ses études dans le supérieur ; là où, à l’inverse, aucun fils de cadre n’est sorti du système scolaire sans diplôme du supérieur. En somme : le niveau de formation est, aujourd’hui encore, extrêmement corrélé à l’origine sociale. Ce qui revient à dire que la principale difficulté que connaissent les jeunes pour pouvoir s’insérer sur le marché du travail trouve ses racines dans le milieu social d’origine. Plus de 40 ans après la publication des premiers travaux de Bourdieu sur la question, le problème demeure. Par ailleurs, nous avons également vu que le type de formation avait aussi une incidence sur l’insertion professionnelle des jeunes. Or, sur ce point, l’origine sociale s’avère, là encore, des plus déterminantes. En premier lieu, l’orientation vers telle ou telle filière s’explique par un certain rapport au savoir, lequel est socialement hérité13. Parmi les jeunes rencontrés par exemple, il est frappant de constater que ceux qui valorisent les filières courtes et professionnalisantes sont essentiellement des fils d’ouvrier ou d’artisans ; alors que ceux qui projettent de poursuivre leurs études dans le supérieur, notamment les fils de cadres, d’ingénieurs ou de professeurs, n’ont à aucun moment envisagé la possibilité de s’orienter vers un lycée professionnel. Le fait de poser la question leur paraissait presque saugrenu. En second lieu, malgré la massification des universités, et l’arrivée progressive des fils d’ouvriers sur les bancs de la fac, les filières sélectives et élitistes, telles que les grandes écoles, restent extrêmement fermées aux jeunes issus de milieux populaires. Ainsi est-il intéressant de constater que, parmi les titulaires d’un bac+5 qui composent notre échantillon, le seul à être passé par des classes préparatoires, puis une grande école est un fils d’ingénieur, 10. Bourdieu P., Passeron J.-C., Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Editions de Minuit, 1964 ; Bourdieu P., Passeron J.-C., La reproduction, Eléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Editions de Minuit, 1970. 11. Venant d’un milieu moins défavorisé, Aurélie possède un rapport aux études différent des autres jeunes peu diplômés rencontrés. Bien que déscolarisée, elle suit des cours de mathématiques, compte repasser son bac S en candidat libre et n’envisage en aucun cas ne pas poursuivre ses études dans le supérieur. 12. Baudelot C., Establet R., Allez les filles !, Paris, Points, 1992. 13. Charlot B., Du rapport au savoir, Eléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997. Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


le capital social est à l’origine d’inégalités sociales en termes d’expériences professionnelles et, de manière générale, d’insertion. qui était lui-même passé par une grande école – et en l’occurrence la même. Or, à niveaux d’étude comparables, les filières distinctives, comme les grandes écoles, qui sont essentiellement composées de jeunes issus de milieux favorisés, donnent accès à des conditions d’insertion et des perspectives de carrière qui sont en général bien meilleures que celles que connaissent les jeunes diplômés des universités. Premier constat donc : les jeunes issus de milieux favorisés s’insèrent plus facilement sur le marché du travail en ce qu’ils héritent d’un capital culturel qui leur permet d’accéder en moyenne à des niveaux et des types de formation qui s’avèrent plus reconnus et recherchés par les entreprises sur le marché du travail. 2.2. Origine sociale et capital social Au niveau et type de formation initiale s’ajoute une autre difficulté, qui émerge et devient de plus en plus déterminante depuis quelques années : l’expérience professionnelle. En effet, dans le contexte actuel, où la demande excède l’offre d’emploi, le niveau d’exigence des entreprises monte, au point qu’il soit à présent demandé aux jeunes d’arriver sur le marché du travail avec un niveau de qualification qui soit de plus en plus élevé, mais aussi, et de plus en plus, avec une, voire plusieurs années d’expériences professionnelles. Or, la question de l’expérience professionnelle renvoie directement à celle du réseau, dont le volume et la structure dépendent de deux facteurs qui relèvent, en dernière analyse, de l’origine sociale. Premièrement, l’ensemble des relations personnelles dont dispose un individu est, pour partie, hérité et diffère grandement selon le milieu social auquel il appartient. Par exemple, F. , dont le père est ingénieur et l’oncle directeur de production d’une usine, a pu bénéficier de stages à des postes intéressants qu’il peut auLes difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes

jourd’hui valoriser sur son CV grâce au réseau de relation dont il a socialement hérité. Si tous les jeunes rencontrés mobilisent leur réseau de relation pour trouver un emploi, force est donc de constater qu’il existe des différences notables entre ceux qui accèdent à des emplois par cooptation à l’usine ou dans une administration (où travaillent leurs parents – ou, de manière générale, des connaissances de la famille) et ceux qui, comme F., peuvent parfaire leur CV et accumuler des expériences qui soient directement en lien avec leur formation initiale et donc valorisables au moment de s’insérer sur le marché du travail. A l’extrême opposé, ceux qui viennent tout juste d’arriver en France et ne connaissent personne, ou presque, rencontrent d’énormes difficultés pour trouver un emploi et acquérir la moindre expérience qui leur permette de mettre le pied à l’étrier. Pour eux, le cumul d’un manque de formation initiale et de réseau de relation constitue la pire des combinaisons qui soient pour sortir du chômage et s’insérer professionnellement. Le capital social d’un individu ne se réduit toutefois pas à l’ensemble des relations personnelles dont il a hérité par le biais de sa famille. Il se constitue et s’entretient tous les jours, dans les différentes sphères de la vie sociale. Or, la capacité d’un individu à tisser des liens avec autrui est, elle-même, socialement déterminée. Par son habitus, c'est-à-dire ses manières de penser, d’agir et d’être qu’il a socialement acquises au cours de sa socialisation, un individu a en effet un comportement, c'est-à-dire une manière de parler (capital linguistique) et de se tenir (hexis corporel), qui l’amène à plus facilement tisser des liens avec des personnes qui appartiennent au même groupe social que lui. Ce mécanisme d’inter-reconnaissance social explique la tendance que les individus ont à rester entre eux, au sein de leur groupe social d’origine. Bref, qu’il soit hérité ou constitué, le capital social des individus différent selon leur origine sociale. Un fils d’ouvrier disposera d’un capital social efficace pour accéder à des emplois ouvriers, tandis qu’un fils de cadre qui évoluent dans un milieu plus « bourgeois » possèdera un capital social efficace pour accéder à des emplois plus qualifiés. En cela, le capital social est à l’origine d’inégalités sociales

en termes d’expériences professionnelles et, de manière générale, d’insertion. Il participe de surcroit à la perpétuation des mécanismes de reproduction sociale, en ce qu’il freine la mobilité ascendante des uns et limite les risques de déclassement des autres. 2.3. Origine sociale et capital économique Le troisième frein qui se situe au cœur des difficultés que rencontrent les jeunes pour s’insérer sur le marché du travail est la mobilité (voir schéma p. 15). Or, il ressort des entretiens que nous avons menés au les jeunes issus cours de cette enquête que ce problème de de milieux favorisés mobilité est, lui aussi, s’insèrent plus socialement situé. En facilement sur le effet, pour ceux dont marché du travail les parents paient le en ce qu’ils héritent permis de conduire et d’un capital culturel prêtent, voire achètent une voiture, la qui leur permet mobilité ne constitue d’accéder en moyenne pas un problème parà des niveaux et des ticulier. En revanche, types de formation qui pour ceux qui doivent s’avèrent plus reconnus se débrouiller seuls et recherchés par les pour financer leur permis de conduire, entreprises sur le cette question devient marché du travail. autrement plus épineuse. Ne pouvant compter sur le soutien économique de leurs parents, qui sont parfois eux-mêmes en situation économique précaire, ces jeunes doivent alors réussir à mettre suffisamment d’argent de côté pour pouvoir « se payer le permis », ce qui est loin d’être évident, compte tenu de son coût, d’une part, et des difficultés économiques auxquelles ils doivent faire face, d’autre part. Aussi, parvenir à économiser de l’argent suppose d’en gagner, donc d’avoir un travail, ce qu’ils ne parviennent parfois pas à obtenir du fait qu’ils ne soient pas véhiculés. Ils entrent alors dans un cercle vicieux dont il est difficile de sortir, compte tenu des complications que cela engendre pour toutes les démarches qu’ils sont amenés à faire, a fortiori lorsqu’ils habitent dans des zones mal desservies par les transports en commun. Bref : inutile d’insister ici sur le fait que ces problèmes de mobilité, et tous ceux qui s’ensuivent, sont fortement corrélés au capital économique des parents et, par conséquent, à l’origine sociale de ces jeunes.

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Le capital économique a également d’autres vertus : en premier lieu, il protège des problèmes de logement ; puisque là où certains jeunes en situations économiques précaires se voient contraints de travailler en parallèle de leurs études pour pouvoir se loger, d’autres peuvent s’installer aux frais de leurs parents lorsque la poursuite de leurs études le nécessite. Cela n’est évidemment pas sans conséquence sur les chances respectives de ces jeunes de réussir à poursuivre leurs études. Le capital économique permet, en second lieu, d’accéder à certaines formations payantes, et parfois extrêmement onéreuses, avec tous les bénéfices que cela procure aux jeunes en termes d’insertion professionnelle (conditions d’enseignement, prestige de la formation, réseaux, etc.). En somme : si les inégalités en termes de capitaux culturel et social influent directement sur l’insertion professionnelle des jeunes, derrière, en toile de fond, le capital économique intervient à différents niveaux, comme la mobilité, le logement ou encore l’accès à certaines formations payantes, ce qui place les jeunes issus de milieux favorisés dans une situation particulièrement confortable pour poursuivre et réussir leurs études, d’une part, et obtenir un emploi et engranger de l’expérience, d’autre part. 3. Cumul des difficultés et inégalités sociales d’insertion : vers une typologie des jeunes déscolarisés en recherche d’emploi Après avoir présenté les différents freins à l’insertion professionnelle, puis expliqué en quoi ces derniers puisent leurs racines dans l’inégale répartition des ressources (économiques, mais aussi culturelles et sociale) dont disposent les jeunes, nous voudrions à présent mettre en exergue les différentes manières dont se cumulent et se combinent ces difficultés. Pour ce faire, nous élaborerons une typologie de ces jeunes en croisant deux variables : leur origine sociale et leur insérabilité (voir figure ci-dessous). Quatre figures idéal-typiques se dessinent ainsi : - Les surnuméraires (3.1.) - Les déclassés (3.2.) - Les transfuges scolaires (3.3.) - Les héritiers (3.4.)

18

Origine sociale et insérabilité des jeunes Origine sociale (Capitaux économique, culturel et social)

+

Les héritiers

Les transfuges scolaires Les déclassés Les surnuméraires

+

Insérabilité

3.1. Les surnuméraires14 Le terme de surnuméraires est emprunté à Robert Castel. Il désigne les « exclus », ceux que le processus de désaffiliation place en surnombre sur le marché du travail. Correspondent à cette désignation ceux qui cumulent le plus de difficultés pour s’insérer professionnellement : ils possèdent peu ou pas de diplôme, n’ont presqu’aucune expérience professionnelle et rencontrent le plus souvent des problèmes de mobilité ou de logement. Les jeunes qui correspondent à cet idéal type sont pour la plupart issus d’un milieu ouvrier. Ils ont généralement l’un des deux parents qui ne travaille pas et évoluent parfois dans des configurations sociales et familiales particulièrement compliquées.

quelques expériences professionnelles, dont la plupart ne sont pas directement en lien avec leur formation initiale. La majorité d’entre eux ne connaît pas (ou plus) de problèmes de mobilité. Ils sont issus de milieux divers (ouvriers, employés, artisans ou professions intermédiaires). Leur insérabilité sur le marché du travail est plutôt bonne relativement aux déclassés et aux surnuméraires. Ils risquent néanmoins de connaitre des destins professionnels variés, allant d’une réelle mobilité sociale ascendante (pour quelques uns d’entre eux) à des phénomènes de déclassement, en passant par des situations dans lesquelles ils se retrouveront à des positions sociales proches de celle de leurs parents, en dépit de leur niveau d’étude (la plupart).

3.2. Les déclassés

3.4. Les héritiers

Les déclassés sont ceux qui sont titulaires d’un diplôme plus ou moins équivalent à celui de leurs parents, mais qui, compte tenu des changements socio-économiques qui se sont opérés au cours des trois dernières décennies, connaissent des conditions d’insertion professionnelles bien plus difficiles : ils sont, pour la plupart, titulaires d’un CAP, d’un BEP ou d’un Bac, possèdent quelques expériences professionnelles à travers leurs stages et rencontrent parfois des problèmes de mobilité. Ces jeunes sont, pour la plupart, issus d’un milieu ouvrier, même si l’on trouve parmi eux quelques fils d’artisans ou d’employés. 3.3. Les transfuges scolaires

Les héritiers sont ceux qui, de par leur milieu social d’origine, possèdent le plus de ressources (capitaux économique, culturel et social) pour s’insérer professionnellement : ils sont hautement qualifiés, possèdent des expériences professionnelles (mais surtout un capital social important) et ne rencontrent pas de problème de type économique (mobilité, logement, accès à certaines formations, etc.). A niveau d’étude comparable à celui de certains transfuges scolaires, ils accèderont très certainement à des emplois et des niveaux de rémunération bien supérieurs. Les jeunes que nous avons rencontrés qui correspondent à cet idéal-type sont très peu nombreux.

Les transfuges scolaires sont ceux qui possèdent des diplômes nettement supérieurs à ceux de leurs parents. Ils sont diplômés du supérieur et possèdent en général

14. Cf. Castel R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995. Les difficultés d’insertion professionnelle des Jeunes


ORIGINE SOCIALE

+

CONCLUSION

Difficultés croissantes +

Difficultés croissantes ++

AVANT (1945-1975) Plein emploi Croissance économique soutenue

Difficultés croissantes +

En guise de conclusion, on peut dire que, dans la situation actuelle, où le chômage de masse pèse de tout son poids sur le marché du travail, les jeunes voient leurs conditions d’insertion professionnelle se dégrader par rapport à celles que connurent leurs parents au moment des trente glorieuses. Ce constat est valable pour tous les jeunes, y compris ceux qui sont issus de milieux favorisés et que Pierre Bourdieu appelle les héritiers. Cela dit, force est de constater que la demande excédant l’offre d’emploi, le niveau d’exigence des entreprises monte et, avec lui, la disqualification des jeunes qui, de par leur origine sociale, possèdent le moins de ressources (capital économique, culturel et social) pour faire face à la sélectivité qui s’orchestre sur le marché du travail.

AUJOURD’HUI (1975-2010) Chômage de masse Croissance économique atone

Difficultés croissantes ++

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