"Réussir Sa Sortie" R2S : bilan 2010

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Réussir Sa Sortie:R2S • Bilan synthétique de l’action R2S 2010 • Mémoire universitaire : “Des programmes adaptés à des profils méconnus”

Albert LAGRÉE, Directeur de la Mission Locale des Ulis Alexandra VIDAL, Directrice Adjointe Anne-Cécile VIDAL, Coordinatrice Régionale Missions Locales à la maison d'Arrêt de Fleury-Mérogis Emmanuelle LECLERCQ, Coordinatrice Départementale Missions Locales à la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis


Martin Hirsch (Haut Commissaire à la Jeunesse), Maud Olivier (Maire des Ulis, Conseillère Générale et Présidente de la Mission Locale des Ulis) et Anne-Cécile Vidal (Coordinatrice Régionale Missions Locales à la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis)

La réalisation de cette action en faveur des jeunes sous main de justice de l’Essonne et ce rapport final n’auraient pas été possibles sans la collaboration de nombreux acteurs, partenaires et financeurs. Les dix Missions Locales du département de l’Essonne remercient : • Monsieur Martin HIRSCH et son équipe • La Mission d’Animation du Fonds d’Expérimentations pour la Jeunesse • Monsieur LAMBERT, Préfet pour l’Égalité aux Chances de l’Essonne et ses collaborateurs • Mme Maud OLIVIER, Présidente de la Mission Locale des Ulis • L’Administration Pénitentiaire : - Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de l’Essonne - La Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis et le tribunal d’Évry • La Direction Régionale des Entreprises, de la Consommation, de la Concurrence, du Travail et de l’Emploi • Les Organismes de formation ayant participé à l’action : - CRedy et Repères - FREE Association - La Boutique Club Emploi - Les partenaires de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes - Les employeurs inscrits dans cette démarche • Les 72 jeunes participants à R2S et les 72 jeunes faisant partie du groupe témoin • Le CREDOC Ainsi que tous ceux qui participent de près ou de loin à cette action. 2

Les Missions Locales (ML) de l’Essonne et les institutions judiciaires travaillent ensemble depuis de nombreuses années. La Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis (MAFM) est la plus grande d’Europe, on peut y dénombrer environ 4000 détenus dont 40% des entrants sont âgés entre 16 et 25 ans. Les jeunes Essonniens représentent environ 15% des jeunes entrants, soit une arrivée de 30 à 40 jeunes Essonniens en moyenne par mois. En 2007, la mise en place du Contrat d’Insertion dans la Vie Sociale Sous Main de Justice (CIVIS SMJ) sur le territoire de l’Essonne, piloté par le Préfet Égalité aux Chances, a renforcé le partenariat et la coopération des différents services. Le CIVIS SMJ permet également d’apporter aux jeunes ressortissants de l’Essonne et étant placés sous main de justice, un accompagnement renforcé permettant d’être au plus près des problématiques traversées par cette population. Les deux secteurs, insertion socioprofessionnelle et justice, ont appris à parler un langage commun. Le département de l’Essonne compte 10 Missions Locales et 20 antennes. Chaque Mission Locale Essonnienne a nommé, au minimum, un conseiller en insertion sociale et professionnelle référent Justice, habilité à intervenir à la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis. Pour faciliter les interventions des Missions Locales, notamment en maison d’arrêt, 2 postes de coordination (régional/départemental) ont été mis en place. Après deux ans de collaboration intensive, les Missions Locales et le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) se sont accordés pour travailler ensemble à la mise en œuvre d’un projet spécifique et adapté au plus près des besoins du public bénéficiaire.

L’objectif de ce nouveau dispositif expérimental « Réussir Sa Sortie (R2S) » est de favoriser l’accès à l’emploi ou à la formation et de lutter contre la récidive des jeunes incarcérés par leur prise en charge globale, quotidienne et pluridisciplinaire.

Ce projet est l’un des projets soutenus dans le cadre de l’appel à projets pour des expérimentations en faveur de la jeunesse mis en œuvre par le haut commissaire à la jeunesse.


Présentation du projet • Projet retenu par le Haut Commissariat à la jeunesse dans le cadre de l’appel à projets « expérimentation jeunesse » de Martin HIRSCH et soutenu par le Préfet Égalité Aux Chances. Cette action est portée et coordonnée par la Mission Locale en partenariat avec le SPIP. • Projet proposant une prise en charge à temps plein qui commence dès la détention et qui se poursuit à l’extérieur, assurée par 3 organismes prestataires. Il s’agit d’éviter la scission « dedans/dehors » avec la prise en charge d’un groupe de jeunes qui ont un point commun dans leur histoire : le passage à l’acte et la détention. C’est un programme « sur mesure » alliant dynamique de groupe et prise en charge individuelle. • Action se déroulant sur 6 mois : 1 phase en détention de 6 semaines et 2 phases à l’extérieur de 4 mois. • Dispositif évalué par le CREDOC. R2S a commencé en novembre 2009 et s’est terminé en février 2011 dans sa partie expérimentale. L’évaluation sera rendue en février 2012. Le dispositif s’adresse à 72 jeunes Essonniens, âgés de 18 à 25 ans, condamnés, incarcérés à la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis, ayant une mesure de justice à l’extérieur et étant en situation régulière permettant de travailler sur le territoire Français. Les 72 jeunes sont répartis en 6 groupes de 12 personnes. Le groupe témoin, constitué de 72 autres jeunes, a été interrogé par le CREDOC dans le cadre de l’évaluation du dispositif.

La première phase, (d’une durée de 6 semaines) se déroule en détention. Elle est fixe et propose aux 12 jeunes de chaque session les mêmes prestations en collectif et en individuel. L’objectif de cette phase est de préparer la sortie de détention et la suite du parcours sur plusieurs plans. Il s’agira de : • Permettre à la personne de faire un état des lieux de sa situation sociale et professionnelle afin de définir une stratégie d’objectifs partagée, à partir de l’identification des freins à l’insertion : « Diagnostic partagé », (Association CRedy). • Permettre à la personne de comprendre les modalités de son suivi judiciaire, préparer les demandes d’aménagement de peine si nécessaire (accompagnement fait par le SPIP par le biais d’un temps collectif et des entretiens individuels).

• Permettre à la personne de mobiliser les ressources indispensables à la poursuite et à la réussite du projet grâce à l’accompagnement avec le conseiller Mission Locale (CIVIS, chèques mobilités), les interventions sur le budget (Finances et Pédagogie) et des interventions sur les sujets qui les intéressent (coordination ML). L’accompagnement est individuel tandis que les informations sont collectives. Des temps collectifs ont été rajoutés suite à la demande des jeunes du premier groupe. A l’issue de la première phase, si le juge d’application des peines (JAP) accepte sa demande d’aménagement de peine, le jeune pourra intégrer la phase 2 pour le SAS de 15 jours avant l’orientation en phase 2 approfondie ou en phase 3 de remise à niveau et recherche d’emploi.

L’aménagement de peine est une modalité d’exécution d’une peine d’emprisonnement permettant à la personne condamnée d’exercer sa peine à l’extérieur de la prison pour réaliser une activité dans le but de faciliter le retour à la vie libre et d’éviter ainsi la récidive.

Le SAS de deux semaines, obligatoire pour tous, se déroule dans les locaux de l’EDI Repères. Il constitue une étape permettant une transition entre la détention et la sortie. Il permet également d’être un espace de socialisation avant l’orientation sur les phases 2 ou 3. Dans ce SAS il est proposé de mettre en place un planning des démarches à accomplir par le jeune et de le mettre en situation de travail concrète pour tester les capacités d’adaptation, le respect des règles,… Les 2ème et 3ème phases sont modulables quant au parcours et besoins énoncés par le jeune et repérés par le professionnel. Elles ont un temps limité mais n’ont pas de temps minimum.

Ce projet est l’un des projets soutenus dans le cadre de l’appel à projets pour des expérimentations en faveur de la jeunesse mis en œuvre par le haut commissaire à la jeunesse.

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La deuxième phase : le jeune orienté sur cette phase travaille son projet professionnel par des actions communes et individuelles : « Stratégie de projet professionnel », cette phase est assurée par CRedy pendant 6 semaines maximum. 3 étapes dans cet accompagnement : Explorer, Valider le projet et Préparer les entretiens, Faire des stages si besoin. A l’issue de la définition de projet, le jeune se dirige en formation (selon la voie envisagée) ou en phase 3. Emmanuelle Leclercq (Coordinatrice Départementale Missions Locales à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis), Samira Khelaifia (CIP milieu fermé du SPIP Essonne)

Typologie des bénéficiaires de R2S : Parmi les 72 bénéficiaires de R2S : • L’âge moyen des participants est de 22 ans. • Un jeune sur quatre a un ou des enfants. • 43 sont de niveau V bis, 15 de niveau VI et 14 de niveau V. La scolarisation a toujours été effectuée en France pour 85% des jeunes de R2S. Un jeune sur deux est sans diplôme et un sur quatre a un CAP ou BEP (généralement CAP). • 9 jeunes sur 10 déclarent avoir déjà travaillé avant la détention. • 70 ont déjà été condamnés une fois par la justice mais 23 jeunes étaient primaires à l’incarcération. 49 jeunes avaient déjà été en prison soit un taux de récidive entraînant une incarcération de 68%. Niveaux scolaires

La troisième phase : elle consiste en une « Remise à niveau, en parallèle de la Mise à l’emploi », missions assurées respectivement par la Boutique Club Emploi et FREE Association. Cette phase dure 8,5 semaines maximum. La « Remise à niveau » débute par une évaluation, utilise la préparation au code de la route comme outil pédagogique et vise à développer l’autonomie par l’acquisition des savoirs de base. La « Mise à l’emploi par la méthode I.O.D » (Intervention sur l’Offre et la Demande) a pour principes généraux : • Donner une absolue priorité aux personnes en situation précaire • Gommer les inégalités dans l’accès à l’emploi • Obtenir des emplois durables Cependant, la recherche d’emploi peut s’effectuer de façon traditionnelle en fonction du profil du jeune et de l’accompagnement le plus approprié à ses besoins. Lors de ces phases les interventions Missions Locales et SPIP sont fréquentes pour assurer le parcours du jeune. Le conseiller Mission Locale référent justice est l’interlocuteur principal des organismes de formation et du SPIP. Le suivi Mission Locale continue jusqu’aux 25 ans révolus du jeune et le suivi judiciaire s’achève à la fin de la mesure.

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Niveau V bis Niveau VI Niveau V

Les résultats : • Pour sélectionner et constituer les groupes, 147 jeunes ont été rencontrés par la ML et le SPIP, 86 ont été présentés au Juge d’Application des peines et 72 ont été retenus. • Le suivi des bénéficiaires a été intensif dès la 1ère phase en détention : 184 entretiens ML individuels et 47 temps collectifs. • 55 jeunes ont pu intégrer une des phases extérieures du projet : 42 en aménagements de peine ; 13 en fin de peine, soit un peu plus de 75 % des jeunes inscrits dans le dispositif. • 66 jeunes ont dû demander un aménagement de peine en première instance sur 72 jeunes au total afin de poursuivre le projet R2S à l’extérieur.

Ce projet est l’un des projets soutenus dans le cadre de l’appel à projets pour des expérimentations en faveur de la jeunesse mis en œuvre par le haut commissaire à la jeunesse.


Fin de peine et demande d’aménagement de peine

FP AP • 29 se sont vus refuser leur demande en première instance. Sur ces 29 jeunes, 14 ont abandonné le dispositif suite à ce refus ou ont été sortis par nos soins du dispositif. Première demande d’aménagement de peine

Refusé Accordé • 55 sont sortis de détention pour intégrer les phases extérieures de R2S. Les 72 ont bénéficié de la phase 1. • 42 jeunes ont fait le SAS. • 19 ont pu faire une exploration de projet où 4 jeunes ont effectué un stage. • 44 ont intégré le module de remise à niveau et de préparation au code de la route. • 46 ont participé à la phase correspondante à la recherche d’emploi.

Par rapport aux objectifs du projet :

• Sur le plan pénal, sur 55 jeunes sortis de détention à l’heure actuelle, 14 ont été réincarcérés (dont 8 pour récidive) soit un taux de récidive entraînant une incarcération de 15%.

Le dispositif expérimental R2S semble avoir contribué à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes détenus. L’accession à une solution d’insertion, pour 80% d’entre eux, est probablement le facteur qui a permis de diminuer le risque de récidive, passant de 68% à 15%.

Le dispositif a par ailleurs été très bénéfique pour le partenariat, qui ne cesse de s’améliorer. L’évaluation du CREDOC, attendue pour février 2012, permettra de donner une perspective temporelle à ces résultats. Nombre de jeunes en récidive entrainant l’incarcération Après R2S 8 jeunes

Avant R2S Après R2S

• Sur le plan de l’insertion, 43 jeunes ont connu une situation d’emploi dans le cadre du projet R2S (13 en CDI, 14 en CDD, 6 en intérim et 10 dont la nature du contrat n’est pas connue) ; 7 jeunes ont connu une période de formation (dont certains ont également connu une période d’emploi). Au total, 44 jeunes ont trouvé une solution d’insertion. • A la fin du dispositif (au 15.02.11), 15 jeunes étaient en emploi (dont 7 en CDI), 2 en cours de formation et 22 étaient accompagnés par leur Mission Locale. En parallèle 13 bénéficiaires de R2S étaient encore accompagnés par leur Mission Locale en détention.

Avant R2S 49 jeunes

Situations connues pendant le R2S

Emploi Formation Réincarcéré

Ce projet est l’un des projets soutenus dans le cadre de l’appel à projets pour des expérimentations en faveur de la jeunesse mis en œuvre par le haut commissaire à la jeunesse.

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Université René DESCARTES DÉPARTEMENT UNIVERSITAIRE DE MÉDECINE LÉGALE DROIT MÉDICAL Directeur :

Professeur Jean-Pierre OLIÉ Diplôme d’Université CRIMINOLOGIE APPLIQUÉE A L’EXPERTISE MENTALE

Remerciements La réalisation de cet écrit n’aurait pas été possible sans la collaboration de nombreux acteurs, partenaires et financeurs. C’est pourquoi je tenais à remercier : • M. Albert LAGREE, directeur de la Mission Locale des Ulis, qui m’a encouragée et permise de réaliser cette formation. • Les 10 Missions Locales du département de l’Essonne qui ont toujours le souci d’être disponibles et présentes pour répondre à leurs missions. Le professionnalisme des équipes permet la mise en place d’accompagnement de qualité. • Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de l’Essonne avec qui un partenariat riche et intense est mis en place. Cette collaboration de qualité permet de mettre en place un discours cohérent et commun auprès du public accompagné. • Le directeur de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis et son équipe qui facilitent la mise en place de ce type de dispositif et tentent d’ouvrir un maximum ses portes pour la bonne réalisation des actions. • Emmanuelle LECLERCQ, collègue au cœur de ce projet, qui a pu relire ce mémoire pour me faire part de ses idées pertinentes. • Les organismes de formation ainsi que les jeunes du dispositif.

Des programmes adaptés à des profils méconnus Par

Anne-Cécile VIDAL

SOMMAIRE INTRODUCTION I. LE CONTEXTE : DE LA THÉORISATION DE LA PEINE… 1) La prison : la peine par excellence ? 2) L’individualisation de la peine

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II. Réussir Sa Sortie (R2S) : …A LA PRATIQUE AU TRAVERS D’UNE EXPÉRIMENTATION CONCRÈTE 1) États des lieux 2) Le cadre de la création du projet et l’objectif 3) Le travail auprès des jeunes a) Une prise en charge individualisée dans une dynamique de groupe b) Évitement de la scission dedans/dehors c) Focus sur l’emploi et respect des mesures 4) La multitude d’intervenants mais où est le psy ?

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III. LE PROFIL DU PUBLIC R2S

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IV. L’EXPERTISE PSYCHOLOGIQUE

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V. DISCUSSION

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CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES Résumé et mots clés 6

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23 23 23 Des programmes adaptés à des profils méconnus


INTRODUCTION L

e monde étant dans une évolution continue, la délinquance s’adapte à ce système. Elle s’exprime sous de nouvelles formes et touche particulièrement une population jeune de façon répétée. La justice tente de trouver de nouvelles réponses en essayant d’allier exécution de la peine pour la sécurité de la société et individualisation de la peine pour réhabiliter l’infracteur dans cette même société.

Le concept de la peine doit ainsi être redéfini dans ses potentialités d’application afin de donner du sens pour la personne condamnée. La privation de liberté totale par l’emprisonnement a été longtemps l’unique réponse de punition. Cependant, à ce jour l’importance de la question de la sortie est dans tous les débats. La population, que nous nous attacherons à étudier ici, sont des jeunes hommes condamnés régulièrement à de courtes peines se traduisant par des allers-retours incessants en détention. Rentrer pour sortir et sortir pour faire quoi ? La mise en échec de la prévention par la répression s’exprime ainsi. C’est pourquoi la justice réagit par la synergie de ses services et la création notamment de quartiers spécifiques. L’État lance également des appels à projets en pagaille pour tenter de trouver des solutions adéquates et répondre aux objectifs fixés : Punir, Protéger (la société) Réinsérer et Individualiser sont les maîtres mots du moment. Ces nouveaux programmes promettent une adaptation au public et aux problématiques sous jacentes afin d’apporter des réponses adaptées et de lutter contre la récidive. Au travers de l’exemple d’un projet, Réussir Sa Sortie (R2S), monté sur le territoire de l’Essonne en direction de cette population jeune délinquante, nous allons pouvoir discuter des points forts apportés par ce genre de dispositifs ainsi que des éventuels manquements. L’accès au droit commun semble être un levier contre l’effet désocialisant de la prison et il concoure à la réinsertion de la personne. C’est une notion prégnante qui est au cœur de ces dispositifs. Ce projet novateur et expérimental apporte satisfaction sur de nombreux points mais il pourrait avoir une tendance a être axé sur du concret permettant une culture du chiffre qui signe l’échec ou la réussite selon l’interprétation que l’on en fait (nombre de mises à l’emploi, nombre de récidivistes). En oubliant parfois une analyse plus qualitative portée sur la question de la personnalité de la personne et des mécanismes psychologiques qui en incombent. Dans cet exposé nous essayerons de regarder d’un point de vue théorique lors d’une première partie l’historique de la peine pour en comprendre son évolution et sa volonté d’adaptation. Dans un deuxième temps nous verrons comment opérationnellement l’individualisation de la peine peut tentée d’être mise en œuvre par le biais d’une expérimentation spécifique auprès de jeunes délinquants. Lors d’une troisième partie nous nous arrêterons sur le profil spécifique de cette population qui peut être abordé dans son ensemble sur des traits communs. L’expertise psychologique sera définie lors de la quatrième partie afin de penser le sujet dans une dimension individuelle. Ainsi lors de la discussion traitée dans la cinquième partie nous pourrons nous poser la question si par rapport au profil établi de ces jeunes, l’expertise psychologique permettrait de réussir au mieux sa sortie ? Nous passerions d’une dimension de groupe à l’individuel comme cela est proposé dans le projet pour ces jeunes. Nous faisons ainsi l’hypothèse que certains programmes d’insertion et de prévention de la récidive répondant à une commande spécifique, ne sont pas dotés d’expertises psychologiques qui permettraient une évaluation globale de la personne visant à améliorer sa prise en charge en l’individualisation.

Des programmes adaptés à des profils méconnus

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I. CONTEXTE : DE LA THÉORISATION DE LA PEINE…

« Je veux répondre aux attentes des Français par une action toujours plus adaptée, moderne et réactive des forces de sécurité. » Michèle ALLIOT-MARIE, aux Assises des Forums « Vos libertés, votre sécurité, parlons-en ensemble », à Paris, le 15 juin 2009 La justice ne cesse de vouloir s’adapter afin d’apporter des réponses qui lui semblent plus appropriées pour la victime, pour la société et pour le délinquant. Depuis 2002, des succès dans la lutte contre la délinquance sont à noter selon le ministère de l’intérieur. La société se fait souvent une représentation de la justice entre les concepts de prévention et de répression. Cependant, la prévention ne lui appartient pas au sens propre car elle intervient lorsqu’il y a eu passage à l’acte donc commission d’infraction à la loi. On parle d’infraction lorsqu’une personne a transgressé une règle de droit pour laquelle il existe une sanction pénale. L’infraction vise tous les crimes, délits ou contraventions prévus par la loi. Cependant, au travers des jugements que la justice peut prendre en matière de décisions répressives elle tente de prévenir la récidive. Par ce fait elle est la « répression préventive ».

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De plus, il est à noter qu’auparavant l’opposition entre répression et prévention était très marquée par la justice mais depuis une dizaine d’années l’inscription de la justice dans des dispositifs d’évaluation, de suivi des personnes placées sous main de justice souligne une volonté de prévention. De plus une des premières préventions peut être la certitude de la répression. Désormais du côté de la répression, l’accent est également porté en direction des victimes, souvent trop peu considérées, en offrant la possibilité au condamné d’une réparation symbolique lorsque les conditions le permettent. La dimension historique de la peine prend d’autant plus son sens en 2010, année de célébration du bicentenaire du Code Pénal de 1810. Elle permet de constater l’évolution de la criminalité et de la délinquance et de se pencher sur la répression pénale qui découle des infractions commises suite à un comportement fautif pénalement réprimé. Ainsi, dans la construction du système des peines, on peut souligner deux grands mouvements : - Le premier mouvement d’ordre plus traditionnel consiste à condamner l’infracteur pour le punir du dommage commis suite à un acte répréhensible inscrit dans la loi. Pour son caractère dissuasif et exemplaire, la peine a également pour fonction de satisfaire la (ou les) victime(s) ainsi que la société. - Le deuxième mouvement, plus récent et encore en gestation, conduit à la réinsertion sociale du condamné. La justice se plaît à imaginer un monde meilleur où les condamnés se verraient effectuer des peines à la fois pour refermer la plaie causée à la société et pour en rendre des personnes « honnêtes ». La création des peines nouvelles et donc l’évolution des méthodes de sanction est issu de ce schéma. La peine peut être définie de différente manière car elle englobe une notion vaste de sens. Pour se protéger des violations des normes sociales et sanctionner si besoin, toute société dispose d’un système pénal. C’est ainsi que la peine a une fonction utilitaire et une fonction morale. La fonction utilitaire c’est ce que nous avons

vu précédemment : la peine doit être exemplaire pour dissuader et elle doit viser à extraire les individus dangereux tout en considérant la dimension de réinsertion sociale pour le retour dans la société. Quant à la fonction morale, elle peut être déclinée sous deux axes probants : la peine doit permettre à la réparation du préjudice causé à la société, et elle doit être vécue pour l’infracteur comme une souffrance, une privation de liberté. 1. La prison : la peine par excellence ? L’évolution de la prison peut être sous l’angle de son concept et de sa fonction. Elle reste bien souvent la seule peine reconnue du fait de son châtiment de la privation totale de liberté. « Comment la prison ne serait-elle pas la peine par excellence dans une société où la liberté est un bien qui appartient à tous de la même façon et auquel chacun est attaché par un sentiment « universel et constant » ? Sa perte a donc le même prix pour tous ; mieux que l’amende elle est le châtiment égalitaire »1 Lors de sa construction, la prison était un outil de rétention pour les personnes en attente de jugement et elle est devenue une peine en soi au XVIIème siècle. Autrefois, la prison concernait les personnes en attente du jugement ou d’une peine, ce n’est qu’au XIXème siècle qu’elle joue un rôle dans la sanction de la délinquance. Avant les temps modernes, étaient enfermés les malades, les fous, les vagabonds, les délinquants,… afin que la société ne les voient pas et qu’ils soient extraits d’une société normative. De cette époque Michel FOUCAULT nommera ce procédé de « grand renfermement ». Le traitement de la délinquance par la privation de la liberté était la punition et la méthode la moins barbare envisagée pour répondre à cet objectif. Ce choix par défaut répondait à une technique coerci1. FOUCAULT M., « Surveiller et punir ; Naissance de la prison », Ed. Gallimard, 2008, p. 268-269 Des programmes adaptés à des profils méconnus


Ainsi, la loi pénitive la plus imagiLa prison ne devrait tentiaire du 24 nonable du moment. vembre 2009 Très rapidement plus être considérée (n°2009-1436) a on a pu constater comme seule réponse à pour ambition de une évolution que l’infraction et devrait être doter la France Michel FOUCAULT l’ultime solution en cas de d’un texte législanomme d’institution disciplinaire nécessité. L’aménagement tif qui reconnait l’ensemble des où s’exerçait un de la peine ainsi que les droits fondamencontrôle du prisonpeines alternatives taux des détenus nier. (respect des droits Le milieu carcéral à l’incarcération doivent civiques, sociaux, devenu ambitieux être considérés comme familiaux, à la a ensuite imaginé de réelles peines. santé, au travail et que le prisonnier à la formation). Ce devait réparer et payer sa dette à la société ce qui lui per- texte répond au respect des droits de l’homme et à la dignité humaine et il mettait d’être blanchi à sa sortie. Enfin, la prison est apparue comme lieu s’inscrit dans une démarche de réinserde rééducation des délinquants afin de les tion des détenus pour leur sortie de prison. adapter à la société lorsqu’ils sortiront.

aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l’amener à la récidive. Le nombre des personnes sans domicile fixe et/ou sans ressources augmente parmi la population pénale. Il en est de même des personnes victimes d’addictions (alcool ou drogues) ou de troubles psychologiques. Il est clair que ce public, sans prise en charge après la sortie de prison, aura un risque de récidive élevé, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il n’existe que des études ponctuelles ou thématiques sur les effets des aménagements de peine en matière de récidive, mais il est par exemple établi que le taux d’échec des personnes admises au bénéfice de la libération conditionnelle, qui existe depuis 1885, est très faible».

Pour cet exposé, nous nous attacherons plus particulièrement à la partie de la loi consacrée aux aménagements de peine. La prison ne devrait plus être considérée comme seule réponse à l’infraction et devrait être l’ultime solution en cas de nécessité. L’aménagement de la peine ainsi que les peines alternatives à l’incarcération (ex : TIG2) doivent être considérés comme de réelles peines. Il ne s’agit pas de gratification mais d’exécution d’une peine autrement que par la prison. L’opinion publique doit s’efforcer de changer son regard quant à ces mesures car la personne est condamnée. De plus, il est démontré que le risque de récidive est bien moins élevé lorsqu’une peine d’incarcération est aménagée plutôt qu’exécutée totalement.

L’aménagement de peine permet d’une part de lutter plus efficacement contre la récidive et d’autre part permet de maintenir ou restaurer les liens familiaux, sociaux, de travail et de faciliter l’indemnisation des victimes. La réinsertion des personnes en est favorisée. Cela permet un passage progressif du milieu fermé au retour dans la société.

Ces idéaux en héritage constituent aujourd’hui la conception de la prison. En France, c’est devenu un moyen de protection de la société contre les personnes dangereuses, déviantes avec l’objectif de les réinsérer. Sans enrayer la pénalisation de la société, la justice doit sans cesse faire face à une adaptation de ses réponses dans l’exécution de la peine pour répondre au mieux aux attentes fixées. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce quatre droits fondamentaux de l’homme qui sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. En théorie, l’incarcération ne doit porter atteinte qu’à la liberté d’aller et venir et donc par nature le premier de ces droits énoncés est suspendu le temps de la détention. Cependant, en pratique, le temps de détention altère fortement de nombreux droits fondamentaux tels que les droits civiques, l’expression de la vie de famille, l’intimité, la sexualité, … Pourtant, depuis 1945, le développement d’une politique de réinsertion sociale pour remettre le détenu dans le « droit chemin » s’amplifie. Alors pour essayer de palier à ces incohérences de nombreuses réformes ont vu le jour notamment depuis les années 80 en mettant l’accent sur deux axes principaux : - L’amélioration des conditions de détention et des droits des prisonniers - Le développement d’alternatives aux peines privatives de liberté. Des programmes adaptés à des profils méconnus

Jean-Luc Warsmann, dans le rapport de la mission parlementaire auprès de Dominique Perben, Garde des Sceaux, ministre de la Justice (2003), insiste sur le fait que la sortie de prison d’un détenu doit être pensée dès l’entrée en détention. «La sortie de prison, quelle que soit la durée de la peine purgée, est un moment difficile à vivre. La personne libérée sans préparation ni accompagnement risque de se retrouver à nouveau dans un environnement familial ou social néfaste, voire criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors qu’elle

Le tribunal correctionnel a aussi la possibilité de décider, ab-initio, c’est-à-dire lors de la condamnation, d’aménager la peine directement et donc de considérer que la peine d’emprisonnement pourra s’effectuer différemment que par l’incarcération. La peine de prison ferme doit être désormais exceptionnelle et utilisée en dernier recours car la peine peut s’exécuter de différentes manières qui ne peuvent être que bénéfiques à la réinsertion. C’est pourquoi depuis 2004, ces mesures sont proposées aux personnes détenues et condamnées qui remplissent les condiMesures d’aménagement de peine dont peut bénéficier une personne détenue, sous certaines conditions : La libération conditionnelle, la semi-liberté, le placement sous surveillance électronique (PSE) communément appelé le bracelet et le placement extérieur. La personne détenue peut également solliciter auprès du juge d’application des peines (JAP) des demandes de permissions de sortir si sa situation répond aux conditions imposées.

2. TIG : Travail d’Intérêt Général

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L’aménagement de peine permet un passage progressif du milieu fermé au retour dans la société.

tions. De plus, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 renforce cette orientation en s’inscrivant dans une dynamique de développement de ces mesures en élargissant notamment les

conditions d’accès. Au 1er janvier 2010, 7 292 personnes bénéficiaient d’un aménagement de peine sous écrou (PSE, semi-liberté, placement à l’extérieur), soit 14,4% des condamnés écroués (contre 11,8% au 1er janvier 2009)3. Les conditions d’accès à une demande d’aménagement de peine sont les suivantes : - Toute personne condamnée ayant une peine de moins de 2 ans ou un reliquat de peine de moins de 2 ans4 peut bénéficier d’un aménagement de peine sous écrou (semi-liberté, placement extérieur et PSE). - Un détenu condamné peut demander une libération conditionnelle à mi-peine ou au deux tiers de sa peine s’il est récidiviste. La plupart de ces aménagements sont conditionnés également par la situation professionnelle et sociale. Ces conditions sont difficilement accessibles à réunir au vu de la population carcérale de plus en plus désocialisée et précarisée. Le décret n° 99-276 du 14 avril 1999 a créé dans chaque département un Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP). Les SPIP, proches du terrain, ont pour mission de suivre les personnes placées sous main de justice. Ils mettent en place les dispositifs d’insertion pour les personnes en détention, font le lien entre milieu fermé et milieu ouvert, accompagnent le détenu pour sa libération et suivent les personnes ayant des mesures en milieu ouvert. Pour les personnes incarcérées la demande d’aménagement de peine se fait en préparation avec le SPIP et la demande se fait auprès du juge de l’application des peines (JAP). La demande est examinée soit en débat contradictoire (audience) soit en hors débat (sur dossier). Le parquet émet également un avis. 3. Source du Ministère de la Justice et des Libertés. 4. Avant la loi de 2009 il s’agissait de un an au lieu de deux ans mais cela exclu les récidivistes et les infracteurs sexuels.

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2. L’individualisation de la peine : « La création de quartiers réservés aux courtes peines d’emprisonnement associés aux maisons d’arrêt est une nouvelle étape dans la politique menée par le Ministre de la Justice pour l’amélioration du fonctionnement des services pénitentiaires, le développement de la capacité de mise en exécution des décisions de justice et l’individualisation de l’exécution des peines. Prévu dans le cadre du programme pénitentiaire, issu de la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Justice du 9 septembre 2002, ce nouveau concept, pour lequel 2000 places sont prévues : - garantit l’exécution de la peine, dans des quartiers adaptés, situés à proximité des maisons d’arrêt dont ils dépendent ; - tend à prévenir la récidive par la mise en œuvre de programmes d’exécution des peines fondés sur une démarche individuelle et volontaire des personnes condamnées. Cette initiative confirme la volonté de Dominique Perben, d’assurer, chaque fois que possible, un traitement individualisé délibérément orienté vers la restructuration de l’individu, seul garant de sa réinsertion. Elle prolonge son action en faveur d’une conception de la peine conforme à la fois à la protection des intérêts de la société et à une utilisation optimale des moyens publics. » Communiqué de presse du 27 avril 2005, « Dominique PERBEN, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, présente un nouveau concept pénitentiaire pour une meilleure individualisation de la peine » Les établissements pénitentiaires sont classés en deux grandes catégories : les maisons d’arrêt et les établissements pour peine. • Ces derniers regroupent les maisons centrales (longues peines nécessitant un aspect sécuritaire), les centres de détention (vocation de réinsertion pour des personnes exécutant des longues peines), les centres de semi-liberté : CSL (les détenus bénéficiant d’un aménagement de peine peuvent sortir la journée pour une activité professionnelle et doivent rentrer le soir au centre), les centres pour peines aménagées : CPA (détenus volontaires

sous le régime de la semi-liberté ou du placement extérieur ou ayant un reliquat de peine inférieur à un an pour concrétiser un projet de réinsertion). • Quant aux maisons d’arrêt elles accueillent des personnes : Condamnées à une peine ou un reliquat de peine de moins de 2 ans ; Condamnées et en attente de transfert dans un autre établissement car leur peine est supérieure à deux ans (l’attente d’un transfert peut s’avérer longue) ; Prévenues dont l’instruction est en cours, c’est-à-dire en attente de jugement. Le concept des quartiers courtes peines ne concerne que les maisons d’arrêt pour plusieurs raisons. Dans un premier temps la situation pénale des personnes pouvant intégrer ce dispositif coïncide avec le public reçu en maison d’arrêt. Dans un deuxième temps, ces programmes permettent à la justice de pouvoir faire exécuter au mieux les peines prononcées (en 2004 73% des peines prononcées ont été exécutées). La loi du 9 mars 2004 impose cette exécution. La surpopulation qui ne touche pratiquement que les maisons d’arrêt rend difficile les conditions des détenus ainsi que l’exécution des peines notamment des courtes peines. Ces quartiers dédiés aux courtes peines ont été imaginés pour réduire les sentiments d’impunités provoqués par la non exécution des peines ainsi que pour prévenir la récidive en favorisant une dimension « pédagogique », en donnant un sens à la peine, en l’individualisant et en privilégiant la réflexion et la réinsertion. Avec les programmes courtes peines, la justice souhaite amoindrir les effets désocialisant de la prison. Le projet « Réussir Sa Sortie » (R2S), correspond à la conjonction des objectifs d’insertion et de prévention de récidive. Mais son originalité réside dans l’articulation du dedans/dehors grâce au fil conducteur du projet. La création d’un projet comme R2S s’inscrit donc dans le même principe de cette dynamique énoncé ci-dessus.

Des programmes adaptés à des profils méconnus


II. Réussir Sa Sortie : R2S … A LA PRATIQUE AU TRAVERS D’UNE EXPÉRIMENTATION CONCRÈTE 1. État des lieux :

partenaires doivent être réactifs dans les prises en charge dès que les signalements sont effectués par le SPIP et la PJJ. Cependant, de multiples barrières sont présentes.

La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (MAFM) située en Essonne est la plus grande d’Europe, elle s’étend sur un terrain de 180 hectares. Elle comprend Les dix Missions Locales de l’Essonne et les une maison d’arrêt des hommes (MAH) institutions judiciaires travaillent ensemble depuis de nomconstruite entre 1964 breuses années. En et 1968 et qui se déLa maison d’arrêt 2007, la circulaire compose en 5 bâtide Fleury-Mérogis annonçant la mise ments, une maison en place du CIVIS d’arrêt des femmes est la plus grande SMJ : Contrat d’In(MAF) construite à la d’Europe. sertion dans la Vie fin de l’année 1968 et Sociale pour les un centre de jeunes détenus (CJD) construit en 1967 où se situe personnes placées Sous Main de Justice, piloté par le Préfet Égalité aux Chances, a le quartier mineur. La MAFM dispose d’un Service Médico- renforcé ce partenariat et la coopération des différents services. Psychologique Régional (SMPR). La capacité d’accueil est de 2 856 places et pourtant 3 500 détenus environ y sont incarcérés. Les jeunes âgés entre 16 et 25 ans qui entrent à la MAFM représentent 40% des entrées et sont originaires de multiples zones géographiques. L’effectif sur tout le site est considérable. Voici une photographie à titre d’exemple de la journée du 15 septembre 2008 5 : MAH : 3 118 détenus MAF : 315 détenues dont 9 mineures + 10 enfants CJD : 398 détenus dont 64 mineurs Soit un effectif réel de 3 841 personnes pour une capacité théorique de 2 856 2 196 sont condamnés en procédure correctionnelle (57%) 203 condamnés en procédure criminelle (5%) 989 sont prévenus en procédure correctionnelle (26%) 456 sont prévenus en procédure criminelle (12%) Il y a donc 62% de personnes condamnées et 38% en détention provisoire. Le temps moyen de détention est de 4 à 6 mois ; cela sous entend que les différents 5. Chiffres provenant du Greffe de l’établissement Des programmes adaptés à des profils méconnus

Les Missions Locales remplissent une mission de service public pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de 16 à 25 ans révolus sortis du système scolaire. Elles ont une double fonction : a) Construire et accompagner des parcours d’insertion des jeunes, b) Développer le partenariat local au service des jeunes en difficulté d’insertion. Elles doivent donc assurer des fonctions d’Accueil, d’Information, d’Orientation et d’Accompagnement pour aider ces jeunes à résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion sociale et professionnelle. Elles apportent aux jeunes un appui dans leur recherche d’emploi mais également dans leurs démarches d’accès à la formation, à la santé, au logement, à la mobilité, à la citoyenneté,…C’est un espace de documentation et d’information sur les métiers, les formations, la santé, le logement, la culture et les loisirs. Le Contrat d’Insertion dans la Vie Sociale (CIVIS) a été mis en place en 2005 pour renforcer l’accompagnement des jeunes les plus éloignés de l’emploi. Un an après, la circulaire DGEFP/DAP/PJJ n°.2006/29 du 18/09/2006 venait instituer le CIVIS SMJ pour les personnes placées sous main de justice. « La mise en œuvre du CIVIS en faveur des jeunes de 16 à 25 ans placés sous

Sur les 17 000 jeunes détenus de 18 à 25 ans en 2008, condamnés ou prévenus, plus de la moitié ne possède aucun diplôme et pour les autres la plupart ont acquis un diplôme de niveau V (niveau infra CAP et BEP).

main de justice permet de leur faire bénéficier d’un accompagnement personnalisé vers l’emploi et, le cas échéant, de mieux préparer la sortie de détention et de prévenir la récidive. Elle repose sur le développement des partenariats et la nécessaire articulation des intervenants de l’Administration Pénitentiaire, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, du Service Public de l’Emploi et des Missions Locales et PAIO. Elle constitue une des mesures prioritaires arrêtées par le gouvernement dans le cadre du Comité interministériel des villes (CIV) du 9 mars 2006. » (Extrait de la circulaire). A ce moment là, la Les jeunes âgés baisse sensible du nombre de demanentre 16 et 25 ans deurs d’emploi de représentent 40% moins de 26 ans, obdes entrées. servée depuis avril 2006 (soit un an après la mise en place du CIVIS) a encouragé à élargir et à renforcer ce dispositif. En parallèle, les jeunes détenus (âgés de 18 à 25 ans) représentent une part importante de la population carcérale (25% de la population totale écrouée en 2005). Aux très bas niveaux de qualification s’ajoutent souvent diverses difficultés sociales, familiales, de santé ou d’environnement social. Pour concrétiser une insertion sociale et professionnelle satisfaisante ces facteurs représentent de nombreux obstacles pouvant se traduire par des décrochages sociaux voire de risque de récidive. 2. Le cadre de la création du projet et l’objectif : Après 2 ans de collaboration intensive ; les Missions Locales et les services de justice se sont accordés pour travailler ensemble à la mise en œuvre d’un projet spécifique qui pouvait répondre aux objectifs de chacun.

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Le projet R2S a été retenu par M. HIRSCH, Haut Commissaire à la Jeunesse de l’époque, dans le cadre de l’appel à projets du fonds d’expérimentation. C’est un dispositif expérimental qui est évalué par un centre spécialisé. Les 10 Missions Locales (ML) du département avaient déposé un dossier en collaboration avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP 91)6 et le soutien de la maison d’arrêt de Fleury. Le tribunal d’Evry a été associé à cette démarche avant le lancement de l’action afin de sensibiliser les Juges d’Application des Peines (JAP) et le Parquet. 3 organismes de formation ont été sélectionnés afin de mener à bien ce projet. Apporter une réponse plus appropriée aux jeunes accompagnés par les ML et étant placés sous main de justice était l’axe attendu en permettant l’accès au droit commun. Cependant, c’est un Le public participant programme « sur au dispositif doit être mesure » alliant dyvolontaire, en situation namique de groupe et régulière et motivé prise en charge individuelle. C’est un trapour s’insérer dans vail partenarial où cette prestation. 72 jeunes participeront chaque intervenant doit s’efforcer de parà ce programme. ler un langage commun afin d’optimiser les interventions auprès du jeune. C’est une volonté de continuité et de construction de parcours pour éviter une scission dans le parcours entre dedans - dehors. Ce dispositif concerne des jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans relevant du territoire de l’Essonne, condamnés, aménageables ou en fin d’incarcération mais relevant d’une mesure de justice. Le public participant au dispositif doit être volontaire, en situation régulière et motivé pour s’insérer dans cette prestation. 72 jeunes participeront à ce programme et se répartiront en 6 groupes de 12 jeunes. Objectif R2S : Réinsertion sociale et professionnelle du public MissionLocale incarcéré par la mise à l’emploi et l’accès à la formation avec un accompagnement renforcé et conjoint entre les professionnels afin de lutter contre la récidive.

6. Cf. Annexe 1 : Définition du SPIP p. 23

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la démarche s’inscrit dans le cadre de l’égalité aux chances, de préparation à la sortie et de prévention de la récidive. R2S a commencé en novembre 2009 et doit se terminer en février 2011. La mission commune est de permettre à la personne purgeant une peine de prison (ayant une privation de liberté) d’accéder au dispositif de droit commun. Cette démarche s’inscrit dans un objectif de resocialisation d’un citoyen empêché. Il est donc bon de rappeler que la démarche s’inscrit dans le cadre de l’égalité aux chances, de préparation à la sortie et de prévention de la récidive par le biais de différents leviers. 3. Le travail auprès des jeunes La procédure est la suivante : Une phase de recrutement se réalise avec des entretiens de sélection menés et une commission qui se réunit pour décider des personnes pré-retenues. Cette commission est composée de la Mission Locale et du SPIP. Une liste est établie pour être soumise aux JAP et au parquet afin de valider la participation au projet des jeunes si la situation pénale le permet. Une épuration du casier judiciaire est alors demandée. Une fois retenues, les personnes passeront par 3 phases menées par des OF : La 1ère phase en détention et les deux autres à l’extérieur. La 1ère phase dure 6 semaines et dispense les mêmes prestations pour tous les jeunes. Elle sert à établir un diagnostic quant aux freins liés à l’insertion. A la fin des 6 semaines les jeunes sortent soit en fin d’incarcération soit en aménagement de peine s’il y a l’accord des magistrats. La 2ème phase dure 8 semaines maximum. Tous les jeunes sortis passent au moins deux semaines sur cette phase afin de régler les situations administratives et de reprendre contact avec la réalité. De plus, la socialisation et la mise en situation de travail concrète sont au cœur de ce temps.

A l’issue de ces deux semaines de SAS les jeunes sont orientés soit en phase 2 prolongée, soit en phase 3. L’évaluation est faite par tous les partenaires afin d’orienter au mieux la personne. La phase 2 prolongée correspond à l’exploration ou confirmation de projet, à la mise en situation de travail approfondie par le biais de stages. La 3ème phase dure 8 semaines et demi maximum et correspond à la mise à l’emploi juxtaposée à une remise à niveau et à une préparation au code de la route. Ces 2 phases sont modulables et adaptées aux besoins des jeunes. Lors de ces trois phases les interventions des conseillers d’insertion sociale et professionnelle des Missions Locales et des Conseillers d’Insertion et de Probation du SPIP sont nombreuses. a) Une prise en charge individualisée dans une dynamique de groupe L’administration pénitentiaire parle souvent de programmes spécifiques pour une individualisation de la peine. Cependant, l’individualisation porte souvent sur l’infraction commise et la situation pénale. Il est vrai que cela peut donner une approche quant au profil mais, en aucun cas, cela ne peut le déterminer totalement. L’infracteur n’est pas qu’infracteur et ne doit pas être réduit à la nature du passage à l’acte bien que cela soit une donnée importante. Il y a une différence entre l’acte et l’acteur. Une adaptation personnalisée aux besoins et demandes de chacun est nécessaire pour prendre en compte la globalité de la prise en charge et repérer les freins liés à la socialisation. Surtout que les demandes sont nombreuses et paradoxalement elle peuvent être diffuses et très pointilleuses. Elles émergent chez ces jeunes par la restauration d’une écoute par de nombreux professionnels, aux compétences distinctes, qui sont repérés et qui travaillent ensemble dans un souci de cohérence. La parole prend alors place au fur et à mesure dans les entretiens individuels mais aussi au sein du groupe. La dynamique de groupe est un élément essentiel qui est au cœur de ce dispositif. L’accès au droit commun était une ambition du projet mais pour certains jeunes être réintégrés rapidement à des groupes lambda n’est pas une affaire simple. La naissance Des programmes adaptés à des profils méconnus


de ce groupe spécifique se crée déjà car ces jeunes ont tous une histoire commune : la prison, ce qui crée l’appartenance au groupe. Ce parcours peut être vécu différemment mais il peut également être évoqué et non caché, vécu comme un secret inavouable ou un trophée que l’on se force

ils sont regroupés sur un projet commun : la sortie et la réussite. à exhiber pour lui donner une raison d’être. Le groupe permet également de percevoir et comprendre les relations interpersonnelles au sein de ce dernier. L’interactivité de chacun des membres face au projet permet la viabilité du groupe. Le groupe doit pouvoir continuer à l’extérieur mais seulement sur un temps a minima afin de permettre à chacun de s’autoriser à vivre sa vie. Le groupe doit être moteur et non handicapant en respectant une certaine loyauté de non réussite si certains n’y arrivent pas. Ils ont une histoire commune qui les réunit, ils sont regroupés sur un projet commun avec une projection partagée : la sortie et la réussite. Ils ont souvent leur propre définition de la réussite mais cela s’apparente souvent à l’envie de s’insérer dans un parcours normé, social et professionnel. Le groupe a une grande importance à la sortie de détention pour maintenir un équilibre, pour que leur force et réflexion se transmettent. Tout se joue à l’extérieur et non à l’intérieur. Cependant, le groupe doit permettre à chacun de s’en extraire quand il s’y sent prêt pour continuer son chemin. b) Évitement de la scission dedans/dehors Le dispositif R2S commence en détention et continue à l’extérieur si le JAP a accordé la demande d’aménagement de peine. Le jeune est alors en mesure judiciaire et il est suivi par le SPIP milieu ouvert.7 Quant au conseiller Mission Locale, il suivra également le jeune en détention et à sa sortie. Au début du projet, lorsqu’une session commence avec un nouveau groupe, chaque intervenant se présente afin que les détenus repèrent les référents qui le suivront tout au long de ce dispositif. Le dispositif a une durée totale de 4 mois à 5 mois mais le suivi judicaire s’arrêtera 7. Soit en aménagement de peine soit qui relève d’un sursis mise à l’épreuve (SME) Des programmes adaptés à des profils méconnus

à la fin de la mesure de la personne placée sous main de justice et le suivi Mission Locale se finira lorsque la personne sera en solution d’insertion professionnelle sachant qu’elle pourra faire appel à cette institution jusqu’à ses 25 ans révolus. Les professionnels ont toujours eu le souci et même l’obligation de suivi de la personne qu’elle soit en milieu fermé ou ouvert mais la différence réside dans le fait que ce sont les mêmes professionnels qui coordonnent l’action et c’est une équipe pluridisciplinaire qui travaille ensemble. La continuité entre le milieu carcéral et le milieu extérieur favorise le cheminement de la prise de conscience et permet de se saisir de ses actions. Ce qu’on a pu imaginer à l’intérieur ne correspond pas toujours avec la confrontation de la réalité à l’extérieur. Une question se pose, comment accompagner en partenariat la personne face à ses remaniements, ses interrogations, ses découragements. A l’interne, les personnes participant à R2S veulent dans un premier temps sortir et c’est l’un des principaux objectifs initial. Cette demande, plutôt saine, fait déployer ultérieurement chez les jeunes une aspiration de la sortie remplie d’espérance, de croyance et de volonté de bien faire. Le parcours d’accompagnement est juste initié et pas forcement saisi par la personne. La prison peut contenir et les murs paradoxalement être rassurants. Face aux multiples démarches à accomplir auprès des différentes institutions les découragements peuvent surgir. Etablir un échéancier au trésor public, refaire ou faire ses papiers d’identités, répondre à ses obligations judiciaire, s’inscrire au permis de conduire, se mettre à jour au niveau de la sécurité sociale, ré-ouvrir un compte bancaire,… tout autant de démarches administratives concrètes de normalisation notant un retour à la société. Se poser, regarder le parcours, repérer les démarches à faire, s’approprier son propre parcours judiciaire et professionnel. Le JAP ayant épuré le casier judiciaire, la personne va être « à jour » avec la justice. Le SPIP va se charger de cet accompagnement pour réinstaurer la mémoire des faits et des passages à l’acte. La Mission Locale va se charger de faire un tout de l’expérience professionnelle qui a été (souvent) vécue en pointillée, due à des allers et retours en détention. Le conseiller va aussi et surtout essayer de mettre en avant les compétences et souhaits pour orienter la personne vers un parcours individualisé.

La personne va devoir aussi renouer avec sa famille, ses amis, se poser la question du logement, de l’emploi,… En règle générale, 3 personnes sur 4 sont libérées sans avoir pu bénéficier d’un aménagement de peine. Pourtant, il s’agirait d’une réelle phase de transition entre le « dedans » et le « dehors » qui leur La formation permette de préparer ou l’emploi sont des constructivement leur vecteurs de réinsertion. retour au sein de la collectivité. Le travail à l’extérieur est le plus difficile à mettre en place et à maintenir, c’est pourquoi l’accroche à l’intérieur est primordiale pour amorcer le parcours d’accompagnement. Le suivi pluridisciplinaire, qui s’inscrit dans tous les temps, désigne la personne placée sous main de justice comme citoyen et non pas que comme un détenu, on peut alors parler réellement d’accompagnement. c) Focus sur l’emploi et respect des mesures L’environnement économique actuel n’est pas favorable à la diminution du chômage pour les jeunes, et en particulier pour ceux dont le manque de qualification ainsi que la situation pénale sont un frein à l’emploi. Malgré tout, l’engagement des partenaires judiciaires et l’énergie fournie par les conseillers Missions Locales permettent de limiter l’impact de ce contexte auprès du public des jeunes placés sous main de Justice. Cependant, l’emploi n’est qu’un prétexte. La formation ou l’emploi sont des vecteurs de réinsertion. Ils permettent d’aborder la réinsertion ou l’insertion des jeunes par un axe défini et palpable mais plusieurs thématiques sont adjacentes et peuvent être ainsi abordées. R2S permet notamment de développer l’autonomie, créer un climat de confiance et de sécurité, apprendre ou réapprendre ses droits et ses devoirs et ainsi contribuer à la vie publique. Les missions sont centrées sur le développement de l’estime de soi, le respect des autres, les connaissances et les savoirs de base. L’équipe pluridisciplinaire de R2S est composée de professionnels de justice et de l’insertion. Lors des réunions de régulation où se rassemblent mensuellement les différentes

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institutions impliquées pour aborder la situation de chaque jeune participant au dispositif, il est abordé un angle de vue sur les compétences d’intervention de chacun. Lors des réunions de régulations où se rassemblent mensuellement les différentes institutions impliquées dans le dispositif, la situation de chaque jeune est abordée du point de vue de compétence d’intervention de chacun.

la méconnaissance des mécanismes psychologiques peut mettre à mal la prise en charge.

La difficulté peut se révéler à ce niveau car, centré sur ses missions propres, la dimension entière de la personne peut en être limitée. La volonté de tous de travailler avec la personne dans sa globalité est notable et fait partie de la compétence des conseillers Mission Locale. Pour que cela puisse être une réalité, CIP du SPIP et conseiller Mission Locale orientent, si nécessaire, la personne vers des structures adaptées. Cependant, dans les faits, la méconnaissance des mécanismes psychologiques peut mettre à mal la prise en charge. Par manque de compréhension, certains comportements peuvent être mal interprétés ou ignorés non pas par non vigilance Les phénomènes de du professionnel mais délinquance relèvent par protection inbien souvent de consciente face à l’infacteurs sociologiques connu ou la non maitrise. et de facteurs

psychologiques qui sont indissociables du fait de leurs interdépendances.

Ainsi, lors de ces réunions, l’accent est souvent porté sur les aspects maitrisés et repérables relevant des compétences des professionnels intervenants. L’erreur serait de mesurer ce dispositif par le nombre de mise à l’emploi ou de parcours de reprise de formation et de récidive ou de retour en maison d’arrêt pour non respect de certains mesures ou comportements jugés inadaptés par le juge. Ce sont des indicateurs importants mais réducteurs si l’on ne s’attache qu’à ceux-ci.

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4. La multitude d’intervenants mais où est le psy ? Les Missions Locales n’ont pas attendu la circulaire ou ce projet pour travailler avec ce public. Toutefois, cela a permis de lever de nombreux freins, comme travailler en partenariat, pour trouver un langage commun. Le SPIP et la PJJ font respecter des mesures d’obligation alors que les Missions Locales travaillent dans un esprit de libre adhésion. Réinterroger ses pratiques fût une étape importante pour les professionnels. Dans ce dispositif, la personne placée sous main de justice va être amenée à rencontrer de multiples interlocuteurs. Bien qu’identifiées et ayant chacune une place bien définie, les interventions restent nombreuses. Ainsi, le jeune va rencontrer depuis son incarcération jusqu’à la sortie : le surveillant, le chef de détention, le CIP du milieu fermé, le conseiller Mission Locale, la coordination Mission Locale du projet, éventuellement le médecin ou l’infirmier, le juge, le procureur, les formateurs des trois organismes intervenants dans le dispositif, le banquier, l’agent administratif de la préfecture, l’avocat, le CIP du milieu ouvert, le ou les employeurs éventuels, le responsable pédagogique de la formation,… Autant d’intervenants que de démarches. Cependant, il manque peut-être un maillon à toute cette chaîne : le psychologue. En détention, le détenu peut demander à rencontrer un psychiatre ou un psychologue du SMPR. Tout comme à la sortie, l’orientation chez le psychologue se fait dès que la situation échappe ou le nécessite et cette même orientation est aussi faite pour respecter les obligations judiciaires. Le jeune, et même d’autres, considèrent souvent que le psychologue s’adresse « aux fous ». La première réaction lorsque cela est proposé aux jeunes de R2S c’est « Je ne suis pas fou moi madame ! » ; « Je n’ai pas de problème d’addiction » ;… Certains sont tout de même demandeurs parfois mais, ils demandent aussi souvent de rencontrer le psychologue pour respecter les obligations imposées par le juge afin d’octroyer des remises de peines supplémentaires s’ils sont incarcérés ou par crainte d’avoir un retrait d’aménagement de peine s’ils sont à l’extérieur. Cela peut s’avérer bénéfique mais cela n’est pas travaillé comme une demande centrale de la problématique.

Le manque pourrait se situer dans le fait que le psychologue n’intervient pas directement dans ce dispositif. Il n’est pas associé à la pluridisciplinarité. Même s’il peut être associé parfois dans certains parcours il ne donne pas un éclairage aux autres professionnels sur les traits de personnalités de la personne qui permettraient certainement de mieux saisir le fonctionnement de la personne. L’attente par rapport à cette éventuelle intervention n’est pas de diriger toutes les personnes placées sous main de justice participant à R2S en thérapie mais de pouvoir avoir une analyse centrée sur la personne en lien avec son fonctionnement psychologique pour essayer de trouver des solutions adaptées. Le professionnel de la Mission Locale ou du SPIP ont souvent tendance à imaginer un retour en détention d’un participant ou un emploi qui n’a pas tenu dans la durée comme des échecs. Cependant, il me semble que l’analyse doit être plus pertinente pour y apporter un jugement ou non de valeur si jugement il doit y avoir. On peut noter une certaine réticence de la part des jeunes pour rencontrer un psychologue mais il ne faut pas évincer la méfiance probable des professionnels (cf M.B.). Il n’est déjà pas simple que plusieurs professionnels travaillent tous ensemble autour d’un même objectif avec des compétences différentes et d’autant plus avec un psychologue avec tous les fantasmes que cela peut renvoyer. Il faut aussi souligner la difficulté pour toute personne autre que personnels pénitentiaires d’intervenir en maison d’arrêt comme dans tout centre fermé. L’extérieur fait peur car il vient regarder ce qui se passe à l’interne, il peut être vécu comme intrusif et persécuteur. Les phénomènes de délinquance relèvent bien souvent de facteurs sociologiques et de facteurs psychologiques qui sont indissociables du fait de leurs interdépendances. Liés aussi bien à des éléments invariants qu’à des variables dépendantes telles que les lieux, les groupes, les histoires locales, l’origine de la famille, sa composition, son mode éducatif, l’insertion scolaire, le niveau d’aspiration individuel, la personnalité,… C’est pourquoi, le profil de ces jeunes mérite d’être abordé d’une façon générale sachant qu’il faut pouvoir également se concentrer sur la personnalité propre pour cerner au mieux les mécanismes. Des programmes adaptés à des profils méconnus


III. LE PROFIL DU PUBLIC R2S

Il ne s’agit pas de traiter ici de la question de la personnalité du délinquant en générale qui soulève le débat entre « personnalité criminelle » et « traits de personnalité » ou de la personnalité psy-

La psychopathie est un trouble permanent de la personnalité chopathique mais de s’appuyer sur les jeunes participants à R2S au travers de vignettes cliniques pour tenter de dégager un profil commun ou du moins des mécanismes ou faits similaires, récurrents qui mériteraient notre vigilance. Cependant, il est important de définir auparavant la différence que l’on peut faire entre la délinquance et la psychopathie qui sont en règle générale confondues. Les délinquants sont régulièrement assimilés à des personnalités a sociale dénotant une immaturité sociale par comportement transgressif. Trop facilement affiliés à la psychopathie, ces sujets sont déshumanisés dans le discours populaire. Des programmes adaptés à des profils méconnus

La psychopathie est un trouble permanent de la personnalité auquel on ne trouve pas de définition satisfaisante. Le débat est encore prégnant lorsque l’on parle de ce concept qui ne se résume pas franchement à une structure à proprement parlé mais plus d’un ensemble de conduites anti-sociales révélant une personnalité pathologique. La psychopathie est certes surreprésentée en milieu carcéral et dans le milieu judiciaire mais elle reste rare en expression et elle est à distinguer de la délinquance pure qui est fréquente. La délinquance est une conduite, caractérisée par la notion de répétition d’actes délictueux, que l’on peut considérée sous l’aspect social et également pénal. Chaque personne est unique mais les délinquants partagent quelques points communs fondamentaux et différents du psychopathe. Un encadrement déficient est souvent sous jacent, une nature influençable, une mauvaise estime de soi et un faible engagement face à une insertion sociale et professionnelle. A contrario, la psychopathie se traduit par

un trouble chronique La délinquance de la personnalité qui ne relève ni d’une est une conduite, structure névrotique, caractérisée par la ni d’une structure notion de répétition psychotique. Elle est d’actes délictueux, que caractérisée par l’iml’on peut considérée pulsivité et l’instabisous l’aspect social lité. et également pénal. Elle s’accompagne de conduites antisociales et d’absence de culpabilité. Le sujet est pleinement conscient de ses actes. Le public participant à R2S est un public jeune âgé de 18 à 25 ans et il a déjà le point commun d’être placé sous main de justice. La situation pénale étant la conséquence du ou des passages à l’acte. Ils sont tous issus de la détention au début du projet. Ces jeunes Le public participant à ont un rapport hété- R2S est un public jeune roclite au milieu carâgé de 18 à 25 ans et il céral. Pour la plupart a déjà le point commun récidivistes, ils d’être placé sous main connaissent les codes de justice. qui régissent la prison. Les règles liées

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• M. A. est âgé de 22 ans lorsque nous le rencontrons. Il n’a pas d’expérience professionnelle et n’a qu’un faible niveau de qualification. Sa présentation est soignée (notamment au niveau vestimentaire) et il s’exprime avec facilité. Il est incarcéré depuis longtemps et a une fin de peine lointaine. Sur le plan familial, nous n’avons que peu d’éléments. Nous savons seulement que son frère est également incarcéré et que sa mère est seule. Durant l’incarcération, il énonce la volonté de réfléchir à un projet professionnel attrayant pour lui et faisable, quitte à passer par une phase de formation. Il maintient son idée pendant toute la durée de l’appel (de son Aménagement de Peine qui lui a été refusé). A sa sortie, dès le 1 er jour, il demande à changer d’orientation à savoir de passer à la recherche d’emploi (pour trouver n’importe quel emploi, dans le but d’avoir de l’argent immédiatement) – poussé par son désir de soutenir sa mère (qui l’a soutenu en détention par l’envoi de mandats – évoquant la notion don/dette), de payer ses Parties Civiles mais sûrement aussi poussé par d’autres motifs que nous ignorons. Pourtant la question des ressources à la sortie avait été évoquée en entretien. M. A. indiquait alors qu’il aurait le soutien de sa famille (y croyait-il vraiment ou était-ce pour nous dire ce que nous attendions ?) Le virage dans les souhaits correspond à la sortie, période marquée par un sentiment de confusion, de perte des repères, notamment pour M. A. qui paraissait à l’aise en détention. Il aura fallu l’intervention de sa conseillère et la référence à ce qui avait été prévu, pour qu’il revienne sur cette décision.

au personnel de surveillance, au chef de détention, aux CIP du SPIP, aux intervenants extérieurs de l’administration pénitentiaire et enfin aux détenus. Comme il a été évoqué dans un précédent paragraphe, on note un certain clivage entre le dedans et le dehors où les dires se ressemblent peu, non pas par manque d’honnêteté vis-à-vis des professionnels mais par difficulté d’envisager les réelles barrières de l’insertion. Les comportements en détention sont régulièrement ponctués de Compte Rendu d’Incident (CRI) pour en faire état. Se pose alors la question de la régularité ou non de ces CRI. La prison est pensée actuellement comme un lieu de rééducation où les comportements ne doivent pas déborder du règlement interne de cette institution. Cependant, est-ce que ces CRI sont forcément toujours négatifs ? Ne sont-ils pas démonstratifs d’une non compliance au système de détention ? L’absence de CRI, est-elle obligatoirement un signe positif ? Parfois cela peut démontrer une forte adaptation au milieu qui n’évince pourtant pas le contournement des règles.

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Il n’est pas anodin de croiser des détenus très à l’aise au sein du milieu carcéral. Le JAP s’attache notamment à cette absence de CRI pour retirer ou non des jours qui sont liés aux crédits de réduction de peine et pour accéder ou non à une requête d’aménagement de peine. Toutefois, il est vrai que l’accumulation de CRI n’est pas signe de démarche constructive et de volonté de réinsertion. L’âge et le comportement de ces jeunes participants suggèrent un remaniement psychologique proche du concept de l’adolescence. Rappelons que l’adolescence est une période d’effervescence, la plus difficile à vivre, tentant de concilier la recherche de soi, la maturation, les ambivalences et contradictions. Epoque de tous les conflits, dépits et espoirs, elle marque également l’investissement du corps, des revendications, des fuites et des régressions. Ces comportements peuvent s’exprimer par des suicides, des fugues, ou plus subtilement par des conduites qui vont plus nous concerner telles que des conduites addictives ou certaines formes de délinquance répétitive. Le jeune se situe dans un mouvement ambivalent et c’est cela qui entraîne des comportements contradictoires. Il doit renoncer à son statut d’enfant et s’identifier à l’adulte. Cela ébranle le sentiment

Les traits de personnalité liés à la période de l’adolescence sont très semblables à ceux que l’on retrouve chez les jeunes de R2S. de continuité et d’intégrité du sujet. L’identification à un groupe, à une bande, est un des éléments essentiels de cette période. Le groupe est le lieu d’affrontement à ses semblables permettant de se détacher du modèle familial. Au centre du concept de groupe, se retrouvent les notions de codes : appartenance vestimentaire, référence musicale et parfois conduites transgressives. Il peut aussi être en effet le lieu où sont générés les comportements délictueux. L’identification à l’autre et l’acceptation d’autrui via des rituels sont importants. Une absence de contrôle émotionnel et d’impulsivité peuvent entraîner des passages à l’acte non mentalisés. Les traits de personnalité liés à la période de l’adolescence sont très semblables à ceux que l’on retrouve chez les jeunes de R2S. A l’adolescence ces traits psychologiques sont souvent eux-mêmes généra-

M. B. est âgé de 23 ans lors du 1 entretien. Issu d’une famille nombreuse, •il a vécu chez des parents qu’il estime peu attentifs à lui durant son enfance. er

Plus jeune, il a été témoin du meurtre d’un jeune. Il est père d’un enfant âgé d’un an lors de son incarcération et est séparé de la mère de l’enfant avec laquelle il n’a jamais vécu. Le conflit avec son ex-compagne ne fera que s’accentuer, notamment au sujet de l’enfant, pendant le temps d’incarcération. A la naissance, l’enfant sera placé en pouponnière. M. B., alors âgé de 22 ans, reconnaîtra l’enfant puis obtiendra sa garde. Pendant son incarcération, il sera gardé par un membre de la famille de M. B. Lors des entretiens, il ne cesse de parler de son enfant qu’il ne voit pas grandir et qui met du temps à le reconnaître lorsqu’il rentre en Permission de Sortir. Il ne souhaite pas le voir au parloir, estimant que ce n’est pas sa place. M. B. a mis fin à sa scolarité en fin de 3ème. Après la naissance de l’enfant, il a été embauché en CDI en tant qu’ELS, emploi qu’il finira par quitter. Sur le plan des projets, il souhaite dans l’immédiat trouver un emploi (quel qu’il soit) pour prendre son autonomie. En projet à moyen terme, il souhaite reprendre une formation de chauffeur poidslourd, qui, s’il n’est pas explicité de façon raisonnable évoque l’idée d’évasion. Sur le plan pénal, M. B. vit sa 2ème incarcération. La 1ère incarcération, 3 ans auparavant, a été vécue sans difficultés (selon ses dires), ce qui n’est pas le cas actuellement.

Des programmes adaptés à des profils méconnus


teurs de conduites transgressives et délinquantes. Le jeune est ainsi caractérisé par une instabilité émotionnelle, une agressivité, un égocentrisme, une impulsivité, une absence de projection dans l’avenir, une intolérance aux frustrations et à l’autorité. Plutôt que de parler d’adolescent, on s’attachera à dire que ce sont des personnalités proches de l’immaturité. Une des difficultés notoire de l’accompagnement des jeunes R2S réside dans leur impossibilité de projection dans un avenir professionnel ou autre. La recherche du plaisir immédiat au détriment de la réalité empêche la construction de l’avenir. L’estime de soi qui relève d’une position narcissique positive permet d’instaurer la dignité et le respect de soi qui sont nécessaires à la recherche de satisfaction à long terme. Les professionnels de l’insertion traduisent souvent cette difficulté de projection par un manque de motivation. En effet, la motivation est une projection dans l’avenir. • Nous retrouvons une certaine fréquence de l’état de paternité « précoce » chez ses jeunes de R2S. Un certain nombre d’entre eux ont déjà cette fonction et ont un positionnement différent face à ce rôle. Un parallèle peut être fait entre la «paternité précoce » et la « maternité précoce ». On peut traduire, dans certaines situations, les grossesses chez les jeunes femmes par une satisfaction immédiate du désir d’enfant en réponse à un souhait de revalorisation de l’estime de soi par la maternité. Le manque de protection sexuelle, malgré toutes les campagnes militantes, est une conduite à risque et dénote encore d’une absence de projection. L’autre peut être pensé comme sa propriété qui sous tend les notions d’exclusivité et de fidélité voir d’objectalisation. Deux phénomènes s’opposent : la maturité apparente et précoce dans le domaine de la sexualité et l’immaturité affective rendue compte par la difficulté de ces jeunes à accéder à l’autonomie et à la responsabilisation individuelle. Un autre facteur est commun : il s’agit de jeunes couples peu stables et pas encore installés. La notion même de couple et de la famille est souvent altérée. La famille d’origine peut être de composition différente, elle peut être soutenante mais aussi conflictuelle. Il n’est pas simple pour eux de pouvoir s’identifier à un schéma parental alors qu’ils sont parfois dans le rejet du Des programmes adaptés à des profils méconnus

Une des difficultés notoire de l’accompagnement des jeunes R2S réside dans leur impossibilité de projection dans un avenir professionnel ou autre. La recherche du plaisir immédiat au détriment de la réalité empêche la construction de l’avenir. modèle parental. Il n’est aussi pas aisé de s’inscrire dans un rôle défini et reconnu dans la société alors que l’on a pas trouvé sa propre place au sein de celle-ci. L’enfant peut être ou non souhaité et/ou reconnu. Cependant, parfois, cela peut être une porte d’ouverture de prise de responsabilité et de reconnaissance d’une fonction valorisante. Souvent, il y a un abandon du réseau amical ou conjugal pendant l’incarcération alors qu’il y a une possibilité de renouer avec la famille quand il y a un conflit. • Ces jeunes ont des niveaux de qualification bas alors que la réussite scolaire est un des éléments fondamentaux d’intégration sociale. C’est un des premiers tests d’intégration sociale et un moteur face à l’insertion professionnelle future. L’école est théoriquement pourtant un lieu

de l’égalité sociale et de socialisation qui regroupe les mêmes professeurs, la même cours. Alors pourquoi ces jeunes ont été en échec scolaire ? La difficulté de projection peut être une partie de la réponse mais on peut également suggérer l’hypothèse qu’au-delà des perturbations existantes de la vigilance, de la concentration limitée et d’une mémoire peu opérationnelle par manque d’exercice, ces jeunes ont une intelligence concrète et ont des possibles difficultés d’abstraction. On remarque régulièrement une contradiction dans leurs capacités cognitives entre l’image qu’ils peuvent donner de vocabulaire maîtrisé, d’expression soutenue, de compréhension, de capacité d’adaptation et de discernement ; et leur incapacité à parvenir à des concepts abstraits. Ceci se traduisant par une difficulté à analyser une situation, à se projeter sur l’avenir et à une absence de mentalisation priorisée par le passage à l’acte répondant à leurs simples désirs et pulsions. Il est à noter également le manque de considération qui peut parfois être adjacent à leur parcours et qui se traduit souvent par une certaine stéréotypie : tous envoyés dans des secteurs manuels ou bouchés dans lesquels ils ne peuvent avoir que très peu d’aspiration, d’ambition et de possibilités d’évolution. Les ruptures de parcours, marquées par des changements radicaux dans des branches différentes, marquent l’impossibilité de s’inscrire dans un parcours motivé et sur du long terme. La non

M. C. est âgé de 20 ans lorsqu’il postule au projet R2S. Lors de l’entretien de sélection, il lui est •demandé sa situation par rapport à l’hébergement ainsi que de décrire ses relations avec sa famille. Il indique disposer d’un hébergement stable (ses parents) et nous décrit un climat relationnel satisfaisant avec ses parents. M. C. est orienté, à sa démarche, sur la phase d’exploration de projets qui nécessite d’être en capacité de bénéficier du soutien financier de sa famille ou des structures sociales. Finalement, M. C. vit dans un appartement avec sa famille. Il ne dispose pas d’un espace à lui et dort dans le salon. Hébergé dans un premier temps par le centre de Semi-Liberté dans le cadre de sa mesure, il ne rentre chez lui que le weekend. Il s’investit dans l’exploration de projet, échafaudant des projets où les chances de réussite sont faibles. Lorsqu’une mesure de libération conditionnelle est prononcée, M. C. rentre chez ses parents à temps plein. Il explique alors passer peu de temps chez lui, du fait de l’espace restreint et de ce fait, trainer dans le quartier. Les conflits avec son père s’amplifient, le père lui demande de quitter le domicile. Pendant un temps, il ne reste que dormir et part très tôt le matin. Les structures sociales, en conformité avec sa demande, lui trouvent une place dans un CHRS. Il ne se saisira pas de cet hébergement, y passant au gré de ses errances, démontrant par là-même l’ambivalence de sa demande d’autonomie et son incapacité à investir un lieu d’intimité. La place au CHRS lui sera donc retirée, provoquant son énervement.

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Il est important de pouvoir travailler avec eux sur la validation du projet professionnel qui entraîne une confrontation à la réalité et un évitement, autant que possible, de l’échec. validation de projet au préalable entraîne une discontinuité car les jeunes de R2S se sont auparavant « jetés » dans des parcours de formation ou des emplois sans s’être réellement confrontés à la réalité, aux compétences requises et aux conditions sous jacentes. II n’est alors pas rare d’observer une instabilité dans les contrats ou parcours de formation. La non validation des diplômes est fréquente et peut s’apparenter à une peur de l’échec ou au non respect des engagements ou encore cela peut être dû à l’instabilité. Lorsqu’il n’y a pas absence totale d’activité professionnelle, plusieurs contrats courts et précaires sont repérables. Il est important de pouvoir travailler avec eux sur la validation du projet professionnel qui entraîne une confrontation à la réalité et un évitement, autant que possible, de l’échec. Ainsi, le parallèle entre le possible et l’idéal peut être travaillé. Leurs envies sont souvent peu réalisables comme pour vérifier leur incompétence subjective. • Fréquemment, les jeunes de R2S demandent des aides ponctuelles mais ils ne s’inscrivent pas dans des demandes de minima sociaux qui impliquent des démarches administratives et qui sous-tendent l’intégration dans la société et une reconnaissance du statut de précarité. De plus, lorsqu’il y a des sollicitations d’aides, un compte rendu est exigé et il peut être mal vécu. Ce sont des jeunes qui sont déjà dans des justifications répétées et notamment auprès de la justice, cela renforce ce sentiment de dépersonnalisation de sa propre vie. Alors qu’une aide ponctuelle ne s’inscrit pas dans le temps et évite la reconnaissance du statut du citoyen qui a besoin. Rappelons également que la difficulté de projection ne permet pas d’établir une notion de budget au long terme avec des

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charges fixes et courantes. Leur revendication se situe dans le maintenant et l’immédiateté, dans le « hic et nunc ». La proposition d’aide peut devenir perverse car elle peut devenir un dû. L’immaturité affective peut également se manifester par cette demande d’assistanat qui tend à entretenir une certaine passivité et surtout qui met en avant une pulsion de possession qui conduit à posséder et donc à prendre pour avoir. Ces notions d’aides attendues par les jeunes de la part de l’Etat sont aussi induites par les professionnels intervenant souhaitant réduire au maximum le manque. Par souci d’équité les professionnels de ce projet s’interrogent peu sur la réelle nécessité du besoin et répondent sur le même registre du dû en donnant à tout le monde les mêmes aides indirectes (tickets services, chèques mobilités,…) Un module s’est rajouté au dispositif suite aux débuts chaotiques liés à cette problématique financière. Depuis, après avoir sensibilisé les professionnels, un intervenant vient deux fois sur chaque session pour échanger avec les jeunes, en groupe, sur les notions de banque, de budget, d’assurance,… C’est, étonnamment, un module fort apprécié par les jeunes, qui permet un temps d’échange riche sur des notions sociétales de base. Ce module permet également d’amener à la réflexion et à la recherche de solutions dans le but de régler ses dettes que ce soit au niveau des amendes imposées par la justice, que des comptes bloqués car débiteurs. L’égocentrisme souvent repéré chez ses jeunes exclut tout intérêt pour les victimes qui sont, le plus souvent, anonymes. Ils se saisissent rarement de cette réparation symbolique pécuniaire. Les jeunes de R2S ont généralement des comptes débiteurs et laissés à l’abandon comme si la dette pouvait s’effacer si on

n’y touchait pas. C’est proche du système de la pensée magique ou d’un non affrontement à la réalité. De plus, ils vivent fréquemment sur une économie parallèle déviante. La réinstauration d’un compte est une des premières démarches à accomplir qui est demandée au jeune lorsqu’il est sorti de détention. Cet aspect est impulsé dès la détention par la sensibilisation faite sur les notions budgétaires. En effet, sans compte bancaire il est impossible de fonctionner dans cette société où il faut par exemple donner un RIB à son employeur pour percevoir son salaire. • Habituellement les jeunes participants à R2S énoncent, lors du « diagnostic » établi en détention sur les freins et points forts liés à l’insertion, la question du logement comme une envie d’indépendance. Ils souhaitent habiter seul ou avec leur compagne mais la plupart résident chez leurs parents ou sont hébergés par la famille. Ce souhait d’habiter seul se confronte au paradoxe qu’ils n’ont fait aucune démarche de demande de renseignement par rapport aux conditions d’accès. Cette problématique se situe toujours dans cette difficulté à s’autonomiser. Il y a une ambivalence entre le désir d’avoir un espace à soi mais souvent les opportunités ne sont pas saisies. La promiscuité physique est récurrente ce qui peut amener à ce besoin d’espace mais la difficulté de séparation avec la famille est prégnante. La domiciliation sous le même toit des parents est parfois un lien moteur de contenance familiale. Les rapports familiaux, bien que compliqués et ébranlés par la détention, peuvent continuer à exister via le rapprochement physique. A contrario, cette pseudo stabilité de l’hébergement qui fait exister le lien dans sa dimension concrète, permet sous le couvert de la promiscuité, un échappatoire sur l’extérieur. Ainsi, les rapports avec le Des programmes adaptés à des profils méconnus


groupe peuvent êtres vécus comme fondamentaux. • La situation administrative est rarement à jour ce qui pose la question de l’identité et des possibilités identificatoires. Avoir des papiers n’est pas une affaire aisée pour les jeunes n’étant pas de nationalité française surtout que cela suppose une action volontaire, une prise d’initiative et de la persévérance face aux nombreux obstacles. Nous repérons également des situations administratives précaires chez les jeunes de nationalité française car très peu possèdent une carte nationale d’identité soit parce qu’ils l’ont perdue soit parce qu’ils se l’ont faite volée. C’est un sujet qui les préoccupe mais qui peut également les inhiber. Comment être reconnu en tant que personne inscrite dans la société alors qu’ils ne s’autorisent même pas, parfois, à régulariser leur situation. • La violence est souvent un dénominateur commun au profil pénal des jeunes de R2S. Quand d’autres ressources peuvent être défaillantes telles que la scolarité, la famille … la valorisation peut s’exprimer ainsi. L’agressivité, en se battant contre l’autre ou la bande rivale ou contre les symboles de l’autorité, peut être signe de virilité et de sentiment de toute puissance. Nombreux sont les détenus à pratiquer la musculation ou toutes autres activités sportives dans cette dynamique du culte du corps qui fait apparence. Pourtant ce corps, qui peut être source de valorisation, est aussi maltraité. On note ce paradoxe par l’absence quasi systématique de la couverture sociale. La santé est souvent un axe peu mis en avant, relevant parfois d’un déni de soi ou de la maladie comme si rien ne pouvait arriver. Cette non inscription dans ce schéma de sécurité sociale montre la non confiance qu’ils portent aux systèmes existants et dénote de la persistance à être « hors normes ». De plus, être malade n’est pas imaginable et est associé à une position de faible. Pourtant les conduites à risques sont nombreuses telles que la sexualité non protégée et les conduites addictives qui sont très présentes. Face à ces problématiques l’obligation de soin est ordonnée par le JAP de façon quasi systématique. Les conduites addictives sont des facteurs criminogènes importants. Cependant, cette obligation est très peu comprise par les détenus et se traduit par un manque d’adhésion notoire. Du fait de Des programmes adaptés à des profils méconnus

la non reconnaissance, du sentiment de honte et de la banalisation de ces conduites déviantes, un travail thérapeutique est difficilement praticable à ce stade. Une acceptation artificielle peut être mise en mouvement par rapport à la demande du JAP pour en obtenir une satisfaction immédiate et utilitaire. En collant à la mesure ordonnée, le jeune a plus de possibilité que ses demandes soient accordées (réduction de peine ou d’aménagement de peine). Par ces obligations de soins, que veut-on soigner ? Avec un temps moyen d’incarcération de 5 mois, qu’est-il possible de soigner ? L’intervention du psychologue peut s’avérer nécessaire dans des périodes d’angoisse ou de dépression. Le psychologue a alors plus une fonction de soutien que thérapeutique. L’obligation peut pourtant aussi être un vrai levier pour engager des démarches ultérieures.

La souffrance psychique résulterait de La violence la condition d’être est souvent un humain qui serait dénominateur commun confronté à un conflit au profil pénal des complexe entre des jeunes de R2S. interdits parentaux intériorisés (surmoi), des idéaux (idéal du moi) et les pulsions (ça). Sachant que l’idéal du moi et le ça sont très présents chez ces jeunes, d’une façon archaïque et peu mentalisée. Une expertise psychologique pourrait-elle nous montrer si l’accompagnement est approprié aux besoins de l’individu ? Ne pourrait-elle pas être une analyse essentielle de la compréhension des mécanismes du jeune pour une meilleure adaptation de nos pratiques ?

M. D. est âgé de 24 ans lorsqu’il postule au projet R2S. Avant son incarcération il vivait chez son •grand-père. Il est issu d’une fratrie de quatre. Sa mère uniquement est venue le voir au parloir mais son père avait fait la demande de permis de visite ce qui était rassurant pour M. D. Du point de vue de son parcours scolaire, il s’est arrêté en classe de 3ème. Il a eu plusieurs expériences professionnelles et pour certaines de plusieurs mois. En participant au projet R2S, M. D. souhaiterait préparer le CACES pour être cariste, domaine qu’il connaît déjà pour y avoir travaillé. Le CACES a l’avantage d’être une formation courte (1 semaine) qui permet une mise à l’emploi rapide. Néanmoins M.D. précise que son centre d’intérêt est la mécanique moto. Quand il en parle il ne cache pas qu’il s’agit là de sa passion. Avec beaucoup de réalisme sur les freins qui pourraient apparaître, M.D. nous indique dans le même temps ses doutes et même sa « peur » des études théoriques (français, mathématiques) que nécessite un emploi dans ce secteur. En détention, il a repris un parcours scolaire pour valider le brevet des collèges. Il s’agit de la première incarcération le concernant. Concernant les faits il reconnaît ceux-ci dans leur intégralité. M. D. a une problématique d’addiction repérée. L’alcool fait souvent partie intégrante des délits commis. En effet, une partie des infractions commises étaient sous l’emprise de l’alcool. M. D. s’est vu accorder sa demande d’aménagement de peine sous le régime de la semi-liberté. Au vu de son addiction, une obligation de soin faisait partie d’une condition inscrite sur son ordonnance de jugement. M. D. avait donc pris contact dès le début de sa sortie de détention avec un centre d’analyse afin de se soumettre aux demandes imposées. Il avait également pris contact avec un centre spécialisé en addictologie. Lorsque que M. D. était en recherche d’emploi, il a été appréhendé à deux reprises en état alcoolique. Il verbalise la difficulté pour lui de toutes ces démarches, très investi, il exprime le sentiment d’être parfois dépassé et surtout la prise de conscience du retour au monde, 1 mois après sa sortie, et après 7 mois en détention. La juge a alors révoqué sa mesure de semi-liberté pour non respect des obligations après avoir fait un rappel à la loi. Il est pourtant difficile de soigner une « pathologie alcoolique ou addictive » en à peine un mois de temps. M. D. avait pris son rendez-vous pourtant mais n’a pas eu le temps de l’honorer. Une expertise psychologique nous aurait-elle permis d’être plus vigilants ? Depuis son retour en détention qu’il vit comme honteux et comme un échec, M. D. a pris contact avec la psychologue pour répondre aux obligations de soin imposées par le juge sans en comprendre vraiment le sens. Il réintégrera R2S en fin de peine, soit plusieurs mois plus tard.

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IV. L’EXPERTISE PSYCHOLOGIQUE

« L’expertise psychiatrique », créée au XIX siècle vise à définir le degré de responsabilité pénale d’un criminel et son éventuelle dangerosité. Quant à l’étude psychologique du délinquant, elle est née en France avec l’ordonnance de 1945 concernant les mineurs. Sa finalité était de privilégier, chez un être encore en formation, des mesures d’éducation, de rééducation ou de soin. En 1958, la réforme du Code de procédure Pénale et la création du dossier de personnalité, étendit aux adultes cette pratique déjà expérimentée auprès des mineurs. Prendre en compte les conditions d’existence et l’histoire d’un sujet, accorder de l’importance à ses capacités, ses manques, son potentiel latent, apparaissait souhaitable, et l’ordonnance du 23/12/58 en explicitait la finalité : « l’établissement d’une justice plus équitable et plus humaine » A partir de là, le juge d’instruction put ordonner, entre autres mesures, un examen psychologique du sujet mis en examen. Mais s’il s’agit, dans cet examen comme dans l’ensemble du dossier de personnalité, de fournir au juge d’instruction des éléments d’appréciation sur le mode de vie présent et passé du sujet, il est bien précisé (Art.

L’expertise psychologique sert à mettre en avant des hypothèses sur le fonctionnement de la personnalité pour essayer de faire comprendre les mécanismes et les motivations du crime et du délit.

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D116) que la finalité de ce dossier n’est pas de « rechercher des preuves de la culpabilité » et qu’il ne faut pas « en tirer de conclusions touchant l’affaire en cours ». L’expertise psychologique ne concerne donc pas le crime en lui-même. Il s’agit d’analyser un fonctionnement mental, de décrire une structure de personnalité, de montrer comment l’histoire du sujet a pu infléchir son mode d’être. Cela pourra faciliter la compréhension de ce sujet-là, éclairer sur ses modalités réactionnelles, ses désirs, ses angoisses. » Il s’agit pour l’expert psychologue d’observer un sujet dans sa globalité, d’essayer d’expliquer son mode d’être, sa dynamique propre, en fonction de son histoire et de ses capacités psychiques, voire de conseiller les mesures qui semblent appropriées pour faciliter une meilleure intégration sociale. Le psychologue a recours, dans le domaine de l’expertise comme dans les autres actes de sa vie professionnelle, aux méthodes de la clinique. C’est-à-dire qu’il procèdera, d’une part, à un ou plusieurs entretiens, et que, d’autre part, il pourra être amené à pratiquer des tests. L’approche d’un sujet et le travail d’écoute à l’œuvre au cours de l’entretien clinique constituent des méthodes de travail très spécifiques, de même que les tests mentaux, outils précieux du psychologue, demandent une formation spécialisée et une solide expérience.

Par exemple, dans une expertise, les domaines examinés peuvent être ceux proposés par Michèle AGRAPART-DELMAS, psychologue et expert judiciaire. La biographie : Environnement familial, parcours professionnel et extra professionnel, la découverte de la sexualité et la pratique actuelle, les antécédents judiciaires (personnels ou collatéraux),… La dimension cognitive Antécédents physiques Antécédents psychiatriques Analyse de la personnalité, de la structure, des pulsions Les conduites addictives La thymie et l’humeur La peur, l’anxiété, l’angoisse A la différence de l’expertise psychiatrique qui intervient sur la question de la pathologie mentale pour se prononcer sur la responsabilité pénale ou non, l’expertise psychologique sert à mettre en avant des hypothèses sur le fonctionnement de la personnalité pour essayer de faire comprendre les mécanismes et les motivations du crime et du délit. Elle va tenter de déterminer les caractéristiques personnelles, morales, sociales et intellectuelles du sujet pour permettre au mieux au magistrat d’individualiser la peine. Elle cherche à donner du sens et non à prêter des intentions. Elle se base sur la réalité subjective de l’individu.

Des programmes adaptés à des profils méconnus


V. DISCUSSION Dans cette partie il sera discuté du regard que l’on peut porter sur la peine, de la volonté de changement et d’accompagnement à la réinsertion de l’individu et des moyens mis en œuvre pour répondre aux nouveaux objectifs de la justice. On parle de plus en plus de l’importance de l’individualisation de la peine et, par le projet R2S, les professionnels ont tenté de répondre à cette commande. L’accent peut être porté sur des objectifs concrets en termes d’emploi et de récidive. Or, on a vu que pouvait être évincé, non pas par manque d’intérêt mais par méconnaissance, le profil des jeunes participants ainsi que leur dynamique individuelle traduite par leur mécanismes psychologiques. Deux questions fondamentales se posent alors : Quel est l’intérêt des mesures alternatives à l’incarcération du point de vue du fonctionnement psychologique des jeunes ? Et enfin, y-a t-il une nécessité ou non de pratiquer une expertise psychologique pour tous ? Sur cette première question, il a été démontré, ci-dessus, la volonté de la justice de s’adapter aux nouvelles formes de délinquance par la mise en œuvre d’autres peines que l’incarcération en maison d’arrêt. On a encore généralement tendance à se dire que la punition doit passer par l’enfermement et que le sursis ou l’aménagement de peine sont des gratifications. Pourtant une peine de sursis et un aménagement de peine représentent une privation de liberté qui peut être constructive. L’objectif n’étant bien évidemment pas de supprimer la prison mais de la réserver aux personnes les plus dangereuses ou en dernier recours. La prison est la solution la plus coûteuse aussi bien d’un point de vu financier que psychologique. Le taux de récidive est important comparé aux peines alternatives à l’incarcération ou aux aménagements de peine. Au lieu de permettre une réinsertion elle a tendance à désocialiser l’individu. Si un jeune peut finir sa peine en aménagement, tout en débutant un parcours d’insertion, cela ne peut que lui être béDes programmes adaptés à des profils méconnus

néfique et lui permettre d’avoir une réelle phase de transition entre le « dedans » et le « dehors ». La phase de transition entre la détention et le monde extérieur peut être mise en parallèle de la transition que représente l’adolescence où se conjuguent les mouvements de détachement de l’enfance et d’affiliation au monde adulte. La notion de la réinsertion ou de l’insertion est essentielle à l’équilibre de notre société. Elle ne peut passer qu’au travers de dispositifs construits, pensés pour cette population qui doit être connue dans son fonctionnement en général et dans ses mouvements individuels. La connaissance du fonctionnement humain en général et la restitution du mouvement individuel en particulier est la raison d’être de l’expertise psychologique. En début de discussion, nous nous posions une deuxième question sur la nécessité d’une expertise psychologique pour tous, ce qui englobe bien sûr la personne expertisée mais également les professionnels impliqués dans la prise en charge. Dans R2S, un diagnostic, établi lors des six semaines, permet aux professionnels d’avoir des informations sur la situation actuelle de la personne. Ainsi sont abordés : la situation administrative, la question du logement, des ressources, l’environnement familial et le contexte de la vie sociale de l’intéressé. De plus, ce diagnostic retrace le parcours scolaire et professionnel de l’individu. Ce diagnostic permet à l’intéressé de rassembler les éléments qui constituent sa vie et de se saisir chronologiquement de son parcours. Pourtant, plusieurs thématiques ne sont pas traitées et approfondies. Ce diagnostic reste important notamment pour faire le point sur les démarches concrètes à réaliser, mais demeure insuffisant. Ainsi, l’expertise psychologique pourrait avoir tout son sens à cette étape de la prise en charge. Ordonnée en pré-sententielle par le juge dans un souci de compréhension afin d’individualiser la peine, il pourrait être intéressant de pouvoir solliciter cette expertise en post-sententielle, avant

la libération ou l’aménagement de peine effectif afin d’appréhender au mieux ce dehors avec la personne qui va le vivre. Car les freins peuvent être repérés, les déPermettre d’avoir marches à accomplir une réelle phase peuvent être listées, de transition entre les professionnels le « dedans » peuvent être informés et le « dehors ». sur les conditions matérielles du jeune, sensibilisés à son rapport à la famille et à ses amis, il n’en demeure pas moins qu’il reste à élaborer des stratégies d’intervention, qui découleront des hypothèses formées par l’assemblage des tous les aspects, compris sous un angle systémique. L’expertise psychologique pourrait également servir de support aux professionnels. L’objectif d’une telle expertise n’aura pas d’effet miracle sur la réinsertion mais permettra l’ouverture à un autre angle de vu sur la personne, notamment lorsque les prises en charge sont vécues comme un échec par le professionnel. En effet, suite à certains retours en prison ou à des ruptures de contrats de travail, on entend trop souvent dire « Tant pis pour lui, on lui a tout offert, il ne s’est pas saisi de l’opportunité ». Peut-on vraiment parler d’échec ? Si oui, échec du jeune ou du professionnel ? Il n’est vraisemblablement pas justifié de parler d’échec ni pour le professionnel ni pour le jeune. Le professionnel tente de mettre en œuvre toutes ses compétences et chaque professionnel intervient sur son champ d’action tout en essayant de prendre en considération le travail de chacun par les échanges pluridisciplinaires. Rappelons que le véritable travail se situe sur la compréhension du fonctionnement du jeune qui est souvent dans un agir et non une verbalisation. Comment pouvons-nous traduire ces comportements, que veulent-ils nous dire ? Comment pouvons-nous aider la personne à s’exprimer autrement ? Comprendre les mécanismes psychologiques en jeu ne se traduira pas par un taux de récidive nul ou par des conduites

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adaptées dans tous les domaines. La réaction face à un sentiment d’échec peut être mise en lien avec l’idée de départ. On a parlé de la notion de gratification qu’il peut y avoir lorsqu’une peine est aménagée et il en est de même lorsqu’un programme « adapté » peut être proposé. « Vous avez la chance d’avoir été sélectionné » peut leur être dit alors que la chance n’a rien a voir avec leur entrée sur le dispositif. Ils ont été sélectionnés car ils répondaient aux critères de recrutement. Du fait du caractère expérimental du projet R2S les professionnels sont d’autant plus soucieux de bien faire. Ils ont dû s’adapter, réinterroger leur pratiques pour travailler autrement avec des orientations partagées. Ils font un pari sur ces jeunes ! Comme si leur travail était aussi mesuré uniquement par leur réussite à avoir réinséré ces jeunes dans la société par le biais de l’insertion professionnelle. L’expertise peut, dans cette logique, agir comme instrument de décentration du professionnel face au devenir du jeune qu’il accompagne. Le terme accompagnement, étymologiquement, signifie « se joindre à quelqu’un pour le suivre ou le guider ». Il s’agit alors d’avoir une place périphérique à la personne et non s’identifier à elle. Le professionnel pourra ainsi se dégager de son implication parfois importante dans la réussite ou échec du parcours en réinterrogeant la définition même de ces termes. Il évitera ainsi peut être de s’user dans le « faire » et le « défaire » avec le jeune. L’énergie dépensée et la conviction de la possibilité de réussite est mise à mal face à des parcours rompus.

La supervision d’un psychologue dans les réunions de régulation du dispositif pourrait effectivement permettre d’avoir un diagnostic partagé.

L’emploi ou la formation ne sont que des vecteurs de réinsertion. Ils occupent certes une place importante pour enclencher la dynamique mais ils ne sont pas à eux seuls garants de l’insertion. La personne est responsable du parcours qui est le sien. Sa compréhension en est fondamentale. Non pas pour amplifier le chiffre de l’emploi et amoindrir celui de la récidive mais pour rentrer dans un processus d’adaptation et d’acceptation. Pourtant, le jeune est-il vraiment dans une situation d’échec à son éventuel retour à la maison d’arrêt de Fleury-Méro-

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gis ? Dans les faits oui, sur le plan de sa construction psychologique, cela est moins évident. L’expertise psychologique permettrait à l’intéressé de s’interroger sur son propre fonctionnement grâce à la verbalisation qu’entrainent les entretiens cliniques puis à la lecture du résumé. Il ne s’agit pas d’une visée thérapeutique mais elle peut, peut être, l’impulser au besoin. De plus, face à lui, elle permettrait aux professionnels d’être plus contenants, rassurants et cohérents dans leur discours par le simple fait de la compréhension des mécanismes. La supervision d’un psychologue dans les réunions de régulation du dispositif pourrait effectivement permettre d’avoir un diagnostic partagé. CONCLUSION Dans cet écrit, nous sommes passés du général (contexte, dispositif) au plus particulier (profils des jeunes et tentatives d’explication de leur fonctionnement propre). C’est ainsi que se construit une expertise psychologique. La réflexion autour de ce projet présente un double intérêt : • Du point de vue des connaissances : nous avons compartimenté les diverses thématiques de façon artificielle pour mieux les appréhender. Pour un psycho-

logue, dont la profession est de s’intéresser aux phénomènes psychiques, il est important de garder en tête que les éléments de réalité (notamment la situation sociale) doivent être pris en compte. Cela a été l’occasion de lister et de s’interroger sur les aspects qui peuvent, selon les personnes, devenir des éléments de fragilité et donc des facteurs criminogènes et à l’inverse des éléments de vitalité et donc des solutions. • Du point de vue pratique : dans ce dispositif chacun a contribué à la construction de ce projet avec son expertise liée à son domaine de compétence. Cependant, il n’a pas été possible pour les professionnels de se poser et de réfléchir ni aux situations individualisées ni aux phénomènes communs qui s’en dégagent. Cet écrit a pu, peut être, laisser cet espace et faire naître le désir de proposer un bilan qui s’apparenterait à une expertise psychologique (au moins dans sa trame et question finale). Si cela ne peut se réaliser, ce travail aura peut être permis d’être plus vigilant à certains aspects de la personnalité et des mécanismes des jeunes accompagnés. Nous sommes partis « des programmes adaptés à des profils méconnus » et nous sommes arrivés à « des programmes adaptés à des profils mieux connus » Il serait satisfaisant de pouvoir atteindre « des programmes adaptés à des profils connus et des personnalités repérées. »

Des programmes adaptés à des profils méconnus


ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : AGRAPART-DELMAS M., De l’expertise criminelle au profilage, Favre, 2007, 250p. BRACONNIER A. et MARCELLI D. Adolescence et psychopathologie, Ed. Masson, 2001, 567p. FOUCAULT M., Surveiller et Punir. Naissance de la prison, Ed. Gallimard, 2008, 360p. GASSIN R., Criminologie, Dalloz, 2007, 786p. SCHWARTZ B., Rapport sur l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, Ed. Apogée, 2007, 236p. Collectif, La prison vue de l’intérieur, Ed. Albin Michel, 2007, 362p. Textes Législatifs : Loi du 9 mars 2004 Loi du 24 Novembre 2009 Circulaire DGEFP/DAP/PJJ n°.2006/29 du 18/09/2006 Presse : • Communiqué de presse du 27 avril 2005, « Dominique PERBEN, Garde des Sceaux, Ministre de la justice, présente un nouveau concept pénitentiaire pour une meilleure individualisation de la peine »

Annexe 1 : Définition du SPIP « Les services pénitentiaires d’insertion et de probation, organes déconcentrés de l’administration pénitentiaire au niveau départemental, sont placés sous l’autorité de directeurs et regroupent l’ensemble des travailleurs sociaux et moyens nécessaires à l’exercice de leur mission dans chaque département. Ils agissent en milieu ouvert ou en milieu fermé. Les SPIP participent à la prévention des effets désocialisants de l’emprisonnement sur les détenus, aident à préparer leur réinsertion sociale et favorisent le maintien des liens sociaux et familiaux. Ils concourent à l’individualisation des peines privatives de liberté et à la préparation des décisions de justice à caractère pénal. Ils assurent le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice qui leur sont confiées par les autorités judiciaires. L’organisation départementale de ces services permet une meilleure prise en compte des personnes placées sous main de justice par les collectivités locales d’action sociale. Il existe un SPIP par département ». Annexe 2 : La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (extraits) Article 159 (extraits) I. - Avant l’article 707 du code de procédure pénale, il est inséré une division et un intitulé ainsi rédigés : « Chapitre Ier - Dispositions générales ». II. - L’article 707 du même code devient l’article 707-1 et l’article 707 est ainsi rétabli : « Art. 707 - Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. « L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. « A cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d’exécution pour tenir compte de l’évolution de la personnalité et de la situation du condamné. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ». Annexe 3 : Les missions de l’administration pénitentiaire • Loi n°87-432 du 22 juin 1987, relative au service public pénitentiaire (extraits) « Art. 1 : Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation des peines ». • Décision n° 93-334 du Conseil Constitutionnel du 20 janvier 1994 (extraits) « Considérant que l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ».

• L’Express : « Malik une vie après Fleury », 30 juin 2010. Résumé : Cours : Dr P. FORISSIER : « Les déséquilibres psychopathiques » M. BALLOUARD : « L’expertise psychologique »

La sortie de prison est toujours un moment crucial, compliqué à vivre. Sans préparation ou accompagnement la personne libérée peut se retrouver dans un milieu qui lui est néfaste voir criminogène amenant la possibilité de récidiver. La création d’un projet spécifique (R2S) dirigée vers un public jeune infracteur essaye de répondre à cette notion d’accompagnement par les vecteurs de l’insertion professionnelle en limitant la scission provoquée par le « dedans » et le « dehors ». La mise en place de programmes adaptés à cette jeunesse déviante pose la question de la réelle connaissance de ces profils et de l’éventuelle nécessité de l’expertise psychologique pour cerner au mieux les constructions psychologiques et les problématiques sous jacente afin d’apporter des réponses adaptées.

Mots-clés : Maison d’arrêt – Missions Locales – expertise psychologique – aménagement de peine – parcours d’insertion – adolescence – psychopathie – délinquance.

Des programmes adaptés à des profils méconnus

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