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Petites morts Les voyages de JaĂŤl


Du même auteur, aux éditions Mnémos : Le cycle de Dvern : Mémoire vagabonde, 1997 (www.memoire-vagabonde.fr) La Voie du cygne, 1999

Chez d’autres éditeurs : Réminiscences 2012, Nestiveqnen, 2001 Le Royaume blessé, Denoël, 2006 - Folio SF, 2009 Cleer, Denoël, 2010 Retrouvez le site de l’auteur : www.noosfere.com/kloetzer/


L a u r e n t

K l o e t z e r

Petites Morts Les voyages de JaĂŤl


l’aventure imaginaire

Ouvrage publié sous la direction de Charlotte Volper

© Les Éditions MNÉMOS, janvier 2012 2, rue Nicolas Chervin 69620 SAINT-LAURENT D’OINGT * ISBN : 978-2-35408-131-7 www.mnemos.com




La Magicienne – 1 La Treizième revient… C’est encor la première ; Et c’est toujours la seule, ou c’est le seul moment ; Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ? Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?… Gérard de Nerval, Artémis

L

e reflet lui sourit comme pour dire que tout allait bien se passer. Il cligna des yeux. Où en sommes-nous ? Les mains posées sur la poitrine, rajustant les boutons de nacre du gilet. Au pied du lit, un livre ouvert, une bouteille vide. La tête lui tournait bien qu’il se fût réveillé plus de deux heures auparavant. Il fit encore une fois rouler ses poignets, sa nuque. Son corps était raide comme celui d’un pantin, il ne pouvait pas se battre dans cet état… Repousser le duel ? Impossible. Il finit de boutonner le gilet, se pressa les doigts sur les paupières. Comment en était-on arrivé là ? Un jour, on ouvrait les yeux et il était temps de régler de vieilles dettes, les créanciers ne voulaient plus attendre. « Bah, tu peux toujours épouser la greluche. » Alexis se tenait à la porte, derrière l’épaule du reflet, se curant les ongles à la pointe du couteau. « Tais-toi. Ils ont refusé. — Il est bientôt dix heures. — Je sais. » Il se rassit face au miroir. Qui avait eu l’idée d’installer une telle pièce de mobilier dans une pension aussi médiocre ? La surface vitrée était piquetée   9


Laurent Kloetzer de noir là où la corrosion avait attaqué la plaque de métal mais le meuble était joli. Il prit la boîte de poudre, rajusta les défauts de son teint. Au front, sur les pommettes. La sueur perlait à la racine de ses cheveux, il ne faisait pas si chaud pourtant, il devait avoir un peu de fièvre. Il n’arrivait pas à penser au combat à venir, celui-ci se nimbait d’irréalité, comme s’il avait déjà eu lieu en rêve. Et si cela s’avérait, quelle en aurait été l’issue ? Était-il mort ? Il ne souffrait d’aucune blessure mais n’arrivait pas à déterminer si cette nouvelle était un signe rassurant. « Qu’est-ce qu’ils valent ? » Son jeune valet ricana. « Il est temps de le demander. Nathan s’est déjà battu, pas en duel mais contre une troupe de maraudeurs keltes qui s’en prenaient aux intérêts de sa famille. On dit qu’il n’a pas démérité et qu’il aurait planté trois ou quatre gars, mais ce sont des récits d’auberge. Cassiel, lui, aurait déjà connu un duel avec un cadet de la Légion. Combat interrompu par l’officier de garde mais Cassiel avait l’avantage. Les deux auraient aussi participé à un duel au printemps dernier, mais rien de très sérieux… Tu te sens mieux, maintenant ? Aucun d’entre eux n’a ton talent ni ta renommée, tu as toutes tes chances. À condition de te sortir de ta gueule de bois… » Nathan, Cassiel. Il les voyait, l’épée à la main, le visage très pâle sous le soleil. L’aîné et le cadet. Même si le premier avait déjà goûté le sang, c’est le second qui l’inquiétait. Ils s’étaient présentés au Cercle, la veille, juste après le dîner, au moment où on sortait les cartes, et ils s’étaient tenus, raides et maladroits dans ce monde qui n’était pas le leur. « Nous venons, monsieur, pour racheter l’honneur de notre famille. » Voilà ce qu’ils avaient dit. Et lui s’était cru spirituel. « Tous les deux ? » Nathan avait avancé le menton. « Moi en premier, puis mon frère. Nous savons qui vous êtes et ce que vous valez. » Le capitaine avait ri et avec lui les compagnons de jeu tant ces fils de marchand avaient quelque chose de ridicule avec leurs grosses rapières, leurs gants de cuir, leurs vestes de drap bleu. On avait donc choisi un lieu et un moment, et ce moment était venu. Toute la soirée, toute la nuit la rumeur du duel avait couru. Le gouverneur n’était pas connu pour faire respecter strictement les lois impériales… Et si on ne pouvait plus se battre, ici, à Brenia, dans une capitale de province, alors comment passerait-on le temps ? Il se leva, s’étira encore, passa sa veste puis ramassa l’épée et le baudrier. Un dernier regard vers le miroir lui permit de corriger des détails, de faire jaillir les dentelles, d’ajuster ses gants. Il reprenait pied. Son chapeau était à la mode, un tricorne noir, à bords étroits, son gilet et son haut-de-chausses 10


La Magicienne – 1 aussi, il pouvait se permettre des vêtements serrés. La veste rouge datait un peu mais il l’avait fait retailler par un artisan doué qui en avait cintré la taille et repris les revers et les poches. Les pans du vêtement s’évasaient maintenant d’une manière un peu provocatrice, flottant sur ses cuisses comme des ailes d’oiseau. Il posa la main sur le pommeau de la rapière, rassuré par la sensation de la pièce de métal sous ses doigts. Le reflet paraissait sûr de lui. Mais était-ce dû aux taches de corrosion sur la surface du miroir ? Il lui semblait contempler l’image de quelqu’un d’autre. Qui, alors ? La question le troubla tout le long du chemin. Suivi de son valet, Jaël entra dans la cour étroite avec l’impression gênante d’être déjà venu là, dans des circonstances similaires. Il se battait parfois, le plus rarement possible, il n’aimait ni le sang, ni les blessures, ni les cris, mais même les écrivains se devaient de défendre leur réputation, surtout si leur nom portait un peu de noblesse, fût-elle de fantaisie. Sur le sol, des lignes à demi effacées marquaient que l’endroit servait le plus souvent à jouer à la paume ; spectateurs et spectatrices se serraient contre la façade arrière de la caserne. Les dames se tenaient surtout sur l’escalier du perron, le visage dissimulé derrière un masque ou un éventail, une ombrelle déployée pour se protéger du soleil. Un murmure les parcourut quand Jaël se présenta. Il souleva son chapeau, sourit, rien de plus, elles n’étaient pas censées être là, lui non plus, on ne ferait donc pas plus de politesses. Il se demanda qui parmi elles faisait partie de ses connaissances les plus intimes. Depuis combien de temps était-il en ville ? Trois mois ? Six mois ? Tout lui échappait… Il croyait se souvenir avoir logé chez le Président de B*, enseigné la grammaire et le théâtre à deux garçons rêveurs, et tenu aimablement compagnie, sur le sofa en tout honneur, à une épouse délaissée, justifiant par là ses émoluments et son séjour. Mais comment se nommait-elle, déjà ? Il s’arrêta, bien en vue des spectatrices, sa tête lui faisait mal. … c’est à Brenia mieux que partout ailleurs dans le monde que perdurent les traditions de la vie de cour à l’ancienne façon. Là, aux marges des terres keltes chevelues, hommes et femmes de bonne éducation gardent vivants les beautés et les plaisirs de la grande époque impériale. Voulez-vous croiser des chevaliers et des marquises ? Des hommes d’Église cultivés, des chantres talentueux ? Pensezvous que notre époque a fait perdre sa saveur au terme de gentilhomme ? Rendezvous à Brenia, sur les rives de la Sequane… 11


Laurent Kloetzer … je fus en ces lieux accueilli par une dame de qualité, Mme la Présidente Sylvia S* de B* dont l’ époux se piquait de protéger les Arts et les Lettres (ô lectrice, lecteur, dites-moi, qui dans votre ville, à notre époque, sait encore ce que signifient ces paroles simples : être mécène ?). La dame organisa pour moi le séjour le plus délicieux, je fus logé dans un pavillon d’agrément, doté de toutes les meilleures commodités qu’offre la civilisation… Il avait écrit quelque chose de ce genre à l’époque, dans ses Mémoires vagabondes, et le billet avait été publié, sans pouvoir être signé dans la gazette de la ville. De Sylvia lui restait l’impression d’un regard triste et d’un corps rêvé, à jamais inaccessible, la belle dame étant parée de toutes les vertus, même les plus pénibles, comme la fidélité à un éternel absent. Il crut la reconnaître, dissimulée derrière ce masque, installée tout en haut du perron comme sur une tribune. Ainsi, madame, vous m’aimez un peu ? Trop tard pour me le dire… À moins que vous n’éprouviez du plaisir à me voir saigner ? … l’ éducation des jeunes filles égale leur vertu. Ainsi les heureux hommes vivant en cette contrée sont pourvus d’ épouses savantes, qui font de la vie de société un plaisir et un spectacle toujours renouvelés. Mme Flora Stoerrbrandt a fait bâtir dans son jardin un théâtre de bois reprenant la forme plaisante de ces demeures de toiles itinérantes des Thiléens des terres du cygne. Là se produisent les artistes les plus populaires et les plus doués… On s’y amusait, certes, et le vin avait coulé cet été, avec les garçons et les garces de La Pie rouge et Flora n’était pas la dernière à s’attarder sous le chapiteau, sa maison de toile et de bois, loin des entrepôts de teintures et de drogueries de son imbécile de mari. Elle avait le rire facile et une manière sérieuse de relever ses jupes, les reins appuyés au comptoir. Rien de gratuit avec elle, les étreintes, les services, les compliments, entraient dans un système de compte un peu maniaque qui faisait le sel de sa fréquentation… Elle aussi était là, assise sur les marches, et si la voilette du chapeau masquait le visage, on reconnaissait le décolleté et la peau tachetée de sa gorge. Jaël en retrouvait l’odeur avec plaisir. … et les senteurs les plus délicates, le jardin le plus ouvragé est l’œuvre des novices de l’Épouse dans la cour cloîtrée du chapitre du temple. Là, chaque dimanche, se promènent les élégantes et les élégants, au sortir du culte divin. 12


La Magicienne – 1 Vanité des vanités, les toilettes les plus belles, les dentelles ouvragées, les broderies et les soies se donnent à voir. La parole est interdite, les oeillades ne sont que plus éloquentes… Et parmi les regards brûlants tombant du perron, Jaël reconnaissait maintenant celui de la sœur Stefana Malakis, servante de l’Épouse en rupture totale avec la règle puisqu’ayant revêtu un habit profane. Mais ce n’était qu’une rupture parmi des centaines et, en vérité, qui aurait osé la défier ? Elle en savait trop sur tous les gens de cette petite société et avait su se faire une place depuis laquelle elle obtenait tout ce qu’elle souhaitait. Elle n’était pas belle, ne croyait en rien, mais elle aimait jouer, Jaël aussi, et elle avait cette manière d’embrasser comme si elle voulait dévorer… Restait cette inconnue, maladive, assise tout en bas sur les dernières marches, portant un habit arrangé de rouge et de noir sur une robe blanche et un large chapeau d’été sans fleurs ni rubans. Un voile enserrait ses cheveux et cachait le bas de son visage. Elle fut la seule à accepter de soutenir son regard et Jaël en retira un certain malaise. Ses yeux étaient d’une couleur dérangeante, d’un rose sanguin, lui donnant une allure de monstre ou de fantôme. Jaël se détourna de la tribune, essayant de ne pas voir dans cette figure étrange une annonce de sa propre mort. Les Fersen étaient déjà arrivés, on n’attendait plus que lui. La moitié sud de la cour était plongée dans l’ombre : leur côté. Celui de Jaël était blanc de soleil. Le contraste lui fatiguait les yeux et il avait déjà soif. Il lança à Alexis : « Apporte-moi à boire. — Du vin ? De l’eau ? — Ce que tu as. — Je n’ai rien, c’est pour ça que je demande. » Il lança une taloche au garçon qui esquiva et s’enfuit hors de la cour, à la recherche d’une auberge, espérons. Le plus grand des deux frères s’avança et le héla : « Monsieur, ne traînons pas. Comme toujours, vous nous avez fait attendre. » Jaël chercha une répartie mais l’esprit lui manquait. De toute façon, l’apparence jouait pour lui. Nathan Fersen avait une silhouette longue et dégingandée, il portait une mauvaise redingote de drap bleu et, l’épée pendant à la ceinture, il ne savait pas quoi faire de ses mains. Il appela son témoin, un obscur ami de la famille aux allures de professeur. Jaël regretta soudain d’avoir envoyé Alexis au loin. 13


Laurent Kloetzer Nathan Fersen insista : « Où est votre témoin, monsieur ? — Parti me chercher à boire. Il revient. » L’aîné des Fersen lui jeta un regard méprisant. Jaël sourit, comme si l’autre n’avait pas saisi la plaisanterie. « Monsieur, vous vous moquez. Quel honneur peut bien avoir le gamin qui vous sert de valet ? — N’y a-t-il pas assez de témoins, ici, pour garantir votre bon comportement, Nathan ? » Il tendit vaguement la main vers la foule, chercha des yeux qui accepterait de venir l’assister. Cassiel, le cadet, attendait assis sur une marche, plongé dans un livre. Sara n’était visible nulle part entre les masques et les ombrelles, ils avaient dû la boucler chez elle, pauvre gamine. Qu’était-elle allé raconter ses malheurs auprès d’une domestique ? Avec un peu de temps en plus, il lui aurait appris ce qu’il fallait de mensonge et de subtilité et ils auraient pu se croiser à toutes les fêtes de charité, échanger des billets, planifier des rendez-vous au milieu de la nuit. Il aurait fallu escalader quelques murs, certes, corrompre des servantes et des cochers mais le jeu en aurait valu la chandelle… Au lieu de cela, on finissait ici, dans cette cour écrasée de soleil, entouré de ces spectateurs silencieux, à devoir affronter un fils de bourgeois à l’honneur trop gonflé. « En l’absence de votre valet, peut-être puis-je le remplacer ? » L’homme qui venait de parler lui était inconnu. De courte taille, lisse, discret et courtois, il portait un habit de drap gris bien coupé, il aurait pu être un de ces abbés de petite noblesse mais Jaël était certain d’avoir rencontré tous les ecclésiastiques mondains de la région. L’autre lui tendit la main : « On dirait que vous ne me reconnaissez pas… Laissez-moi vous rappeler mon nom. Cyril Carmias, gentilhomme, au service de Mme Kirsten de la lignée de Sable. Comme vous vous en doutez, ma maîtresse prend un grand intérêt à votre cause. Je me ferai volontiers le garant de l’honneur de ce combat. » Jaël chercha du regard la maîtresse de Carmias, devinant qu’il s’agissait de l’inconnue au teint blanc et aux yeux malades. Mais les femmes avaient abaissé les ombrelles, relevé les masques, et les robes, les gants, les épaules se mélangeaient dans une confusion de tissus froissés et de sourires en coin. Elle était tout en bas, il ne la distinguait plus. Nathan le sortit de ses pensées : « Vous acceptez ? Inutile d’attendre plus, votre valet s’est enfui. » Alexis, s’enfuir ? Peu probable. Mais le garçon était coutumier des absences inexpliquées aux pires moments. Alors, puisque quelqu’un s’offrait pour le remplacer… 14


La Magicienne – 1 « J’accepte, bien sûr, et vous accorde toute ma reconnaissance… » À dix pas, face à face. Les témoins vinrent prendre les vestes. Épées sorties, en garde. Jaël se permit un petit salut que l’autre ne lui rendit pas. Le bon droit contre la dépravation, l’honneur du sang contre celui du nom, le roturier monté en graine contre le noble de pacotille. Voilà le spectacle que l’on va vous donner maintenant, mesdames, messieurs, et avoir conscience du pathétique de cette mise en scène était la principale différence entre Jaël et son adversaire. Nathan ne tarda pas, il avait d’autres affaires à mener aujourd’hui, croyaitil… Il se lança avec rigueur, jambes bien en place, le corps rassemblé, attaques en demi-fentes, estocs aux cuisses, aux jambes, à la poitrine, des coups rapides, précis et sans imagination. Jaël laissa venir, recula, profitant de la longueur de la cour, osant même un air appréciateur quand la pointe de l’autre lui siffla à l’oreille. Arrivé au bout, il engagea le fer, se rapprocha de son adversaire, dégagea les lames d’un froissé vigoureux et gifla Nathan de la main gauche. On rit, parmi les spectateurs, Nathan faillit marcher et se lancer furieusement en avant. Mais, ravalant sa colère, il se remit en place et relança sa petite mécanique. Attaque, attaque, attaque, ne pas laisser souffler l’autre, il finira bien par trébucher, par faire une erreur, le pari se tenait. Nathan, lui, n’avait pas veillé hier soir pour vider sa bourse à une table de jeu. Cette fois-ci, Jaël ne le laissa pas s’installer dans sa routine, il écarta un estoc en octave, tenta de bloquer la lame sous son pied. Nathan la retira juste à temps, mais ne put la ramener plus haut, Jaël le frappa au sternum d’un coup de pommeau, l’envoyant en arrière, secoué, toujours en garde, le salaud avait de la ressource. Plus aucun bruit autour, le duel durait, les spectateurs avaient pris la mesure du sérieux des adversaires, il allait y avoir du sang et Jaël n’aimait pas cette idée. Il pressa son avantage, Nathan lui donnait des opportunités, malheureusement toutes mortelles… Et il était hors de question que le Yezdite meure durant l’affrontement. Ils se retrouvèrent au milieu de la cour, enchaînant les assauts, les ripostes, dans un combat qui maintenant ne ressemblait plus à rien, Jaël commençait à fatiguer, il songea à abandonner, quel était le risque après tout ? Puis Nathan estoqua, à l’épaule gauche, Jaël sortit de la ligne par réflexe, tordit le poignet, pressa à peine et transperça l’épaule de Fersen de part en part. L’autre cria, brièvement, lâcha son arme sous l’effet de la douleur. On s’immobilisa, le duel était terminé, à la surprise des deux combattants. Jaël retira son épée avec soin, sourit, salua, faisant comme si tout cela avait été prévu et exécuté suivant un plan dûment établi. Une victoire nette, 15


Laurent Kloetzer sans bavure, une blessure qui, avec un peu de chance, ne serait pas définitive, même si la chemise de Nathan s’imbibait de rouge, un peu trop vite à son goût… Des serviteurs de la maison s’étaient précipités, avec du linge propre, du vin, de l’eau. Les femmes taisaient leurs murmures, le sang fascinait toujours. Jaël se tourna vers Carmias : « Vous avez quelque chose à boire ? — Malheureusement non. » Carmias souriait, délicat, efféminé. Il accompagnait Jaël avec une amabilité distante, presque scientifique, comme si le duel n’avait été qu’une question de lignes, de plans, de volumes, de traits tirés de ce poing à cette épaule, rien de plus. Alexis n’était toujours pas revenu, tout ceci ressemblait à un complot, mais de qui, et pourquoi ? La migraine lui vrilla soudain le crâne, le second duel se mit en place sans qu’il s’en rendît compte. Cassiel avait abandonné son livre, il se tenait maintenant au même endroit que son frère, retirant ses gants avec affectation. Jaël vit qu’il avait perdu deux phalanges du majeur de sa main gauche, et que tout ce manège avec les gants ne visait qu’à montrer sa mutilation… « Prêt, Jaël ? » Pas de politesses obséquieuses chez Cassiel, juste une familiarité désagréable. Jaël se mit en place. Le cadet des Fersen le considérait avec une froideur sans haine. Ce dernier parla, comme s’il continuait une vieille conversation : « Je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas envie de mourir, ni envie de vous voir disparaître même si cela ne signifiait qu’un mauvais écrivain de moins… Un combat au premier sang vous convient toujours ? On en revient là… Je perdrai un autre doigt, s’il le faut, pour l’honneur de Sara… — D’accord, oui. En garde, monsieur. » Voilà qu’il lui donnait du « monsieur ». Jaël se mit en position. Les allusions de Cassiel avaient commencé un travail de sape insidieux. Un mauvais écrivain, d’habitude il ne s’en formalisait pas, il connaissait la mesure de son talent, ou alors, était-ce la manière dont il avait parlé de premier sang ? Il repensa à Sara, elle avait saigné sur les coussins du divan, dans le kiosque. Son jupon aussi avait été tout taché, et il avait fallu la prendre dans les bras, la rassurer, elle avait pleuré, la pauvre petite… Cassiel n’attaquait pas, la garde bien en place, il passait à gauche, forçant Jaël à tourner en réaction. Le petit jeune homme était bien plus aguerri que son frère, la main mutilée haut derrière la tête, le regard noir saisissant le moindre mouvement de Jaël. Il changea deux fois de garde, fit retraite, 16


La Magicienne – 1 tournant toujours, puis attaqua tout d’un coup, un grand couronné auquel Jaël n’échappa que par un bond brutal en arrière. Le rythme fut soudain beaucoup plus rapide, Cassiel faisait tournoyer sa lame comme une canne, le bras presque immobile, jouant du poignet, Jaël faillit se laisser prendre et devenir prévisible. Il rompit la danse, écarta le fer et essaya de grands coups aux jambes de son adversaire. Cassiel rompit, laissa une place entre eux et le temps de souffler. La sueur leur coulait sur le front, Jaël était trop fatigué, ses yeux lui piquaient et le bras d’arme lui semblait bien lourd. Il fallait en finir, maintenant ! Il attaqua de nouveau, assez mal, comme un coq en colère lance du bec encore et encore. Le troisième estoc, faussement maladroit, était un piège, Cassiel tomba dedans, ripostant à l’épaule que Jaël lui offrait. Quarte, volte, garde haute, Jaël frappa de taille, il aurait dû toucher Cassiel au bras gauche… Mais le Yezdite était un pas trop loin en arrière, la volte avait été trop lente, trop floue, l’autre avait vu venir le coup. L’épée de Jaël se perdit quelque part sur sa gauche, Cassiel se dressa sur la pointe des pieds et piqua en douceur, droit à la tête, le bras en extension. Jaël sentit la douleur, cuisante, au-dessus de son oreille, sur sa tempe, comme une vieille blessure qui se déchire encore. Il lâcha sa rapière, porta la main à son visage, la retira rouge et gluante. « Fin du spectacle, Jaël. L’acteur se retire et s’en va mourir ailleurs. Si vous êtes encore en ville demain à l’aube, mon frère et moi vous jetons dans le fossé à la Porte de l’Ouest pour que les chiens vous pissent dessus. Adieu. » Cassiel cracha par terre, scellant ses paroles. Puis, repassant devant la tribune des dames, qu’il salua, il rejoignit son frère blessé. L’affaire était terminée, déjà on partait, il ne s’était rien passé ici. Jaël restait encore stupéfait par la douleur et la défaite. Carmias épongeait le sang de son front avec un grand mouchoir. « Il va falloir que vous me suiviez, M. de Kherdan. Nous allons faire quelque chose pour votre figure… » Les spectateurs ne le regardaient plus, les dames lui tournaient le dos, passant par la porte de la caserne. Alexis les croisa, de retour de l’auberge, une bouteille au bout du bras, étonné de cette procession soudaine. Tout était terminé. … les vins de Brenia sont frais et piquants, Goutte d’or, Clos Des Moines, et quand viennent les soirs d’ été, on s’ installe sous les parasols au bord du fleuve et l’on joue à la républicaine en regardant passer les nautoniers, torses nus sur leurs 17


Laurent Kloetzer longues embarcations ; certains s’arrêtent parfois, livrant le pain ou les fruits des vergers en amont et se font offrir à boire. On se prend alors à rêver que la société a gardé ici quelque chose de la solidarité simple et fraternelle de l’Âge d’or. Ses jambes se dérobèrent et il s’effondra, toute conscience enfuie. « Par ici, prenez-le sous les épaules, ainsi… Ne traînons pas. Merci de votre aide, monsieur… Voici la chaise de ma maîtresse. Je pense qu’il vaudrait mieux qu’il reste allongé, mais faute de brancard… Aidez-moi, passons-le ainsi. Je soutiens ses épaules, allez-y, passez les jambes. Venez, jeune homme, nous marcherons à côté. » « Le sang coule en abondance, j’ai nettoyé avec du vin, pressé des linges, rien n’y a fait. Je me suis permis de faire appeler le chirurgien. — Merci, Cyril. Ce ne sera pas nécessaire. — Comme le souhaitera madame. Aurez-vous encore besoin de moi aujourd’hui ? — Retrouvez son logement. Récupérez ses affaires, déposez-les dans le laboratoire. Réglez le propriétaire, s’il convient… et voyez à l’hôtel de ville, pour les formalités. » Là où les lacets refusaient de céder, la lame des ciseaux s’insinua et découpa le tissu. Elle glissait sur sa peau, froide et métallique, dévoilant les chairs, le rendant tout à fait vulnérable. Puis on lui perça le côté de la tête, une aiguille tira sur sa peau sans provoquer de douleur autre qu’un lointain tiraillement. Des mains parcoururent ses membres pour les déplier et les étirer. La femme n’était pas seule, un homme l’aidait, peut-être son valet ? Il reposait sur une surface dure, surélevée, aucun drap ne le recouvrait plus, la pièce sentait la vieille pierre et l’humidité. S’y ajoutèrent des parfums lourds et piquants, avec eux le crépitement sec d’un feu d’herbes. Des volutes de fumée, souffles chauds sur son ventre, pour purifier l’air et en chasser les miasmes. Ce n’était ni la veille ni le sommeil. Juste une longue attente inconfortable et pesante, le froid, l’immobilité, la douleur. La femme était partie, les herbes brûlèrent puis la fumée refroidit à son tour. Ses yeux se révélèrent secs et gonflés, sa peau l’élançait sur le côté gauche de sa tête, là où tiraient les fils. Il ne pouvait bouger, alors il se tourna vers l’intérieur, à la recherche de goûts et de sensations susceptibles de le réchauffer. Il aurait voulu retourner 18


La Magicienne – 1 au théâtre de Flora, l’été dernier, quand la petite troupe d’arpenteurs venue de l’autre côté de la mer s’était installée là pour répéter sa farce ; il avait aimé la compagnie des garçons et des filles mais leurs visages et leurs corps lui échappaient, même Flora lui échappait, elle ne cessait de lui tourner le dos. Sylvia aussi se tenait à distance et aussi Stefana aux yeux brûlants, mais il valait mieux ne pas y penser. Seule Sara se laissait approcher, pauvre petite idiote. L’affaire n’avait pas été longue à se nouer, un mois tout au plus. Sara Fersen était sortie dans le monde avec le printemps, reçue chez Sylvia dans le jardin dès les premiers beaux jours, apprenant à se tenir en retrait pendant que ces dames préparaient leurs œuvres charitables et comparaient par leurs toilettes la fortune de leurs familles. Il l’avait remarquée depuis l’étage, mince et retenue, dans sa robe de cotonnade imprimée. Jaël passa dans le jardin et Sylvia le présenta à ces dames avec sa bonté prévenante, soucieuse de lui trouver un nouvel emploi. Les deux garçons dont il s’occupait entraient l’un au séminaire, l’autre chez les cadets à la fin du printemps et le Président de B* n’aurait pas souhaité garder chez lui un parasite aussi coûteux. Jaël avait fait des compliments et des plaisanteries et gagné le droit d’apparaître devant le cercle des donatrices du sixain de la cathédrale aussi souvent qu’il lui plairait. À Sara il n’avait rien dit, se contentant de la regarder droit dans les yeux jusqu’à la faire rougir. Ils s’étaient parlé quelques jours plus tard. Elle avait lu ses livres, elle lisait à vrai dire tout ce qu’elle souhaitait, personne dans sa famille n’y voyant le moindre mal. Romances et mémoires, et tous les récits légers et aventureux qu’il avait signés de son nom. Elle était tombée amoureuse de lui avant même de le rencontrer, elle avait envie de billets, de lettres, d’intrigues sentimentales et consolatrices. Quant à lui, Flora le boudait, Stefana l’effrayait et la vertu de Sylvia était restée une forteresse inexpugnable. Jaël s’était un temps cru épris de cette femme qui l’accueillait dans sa demeure tout en se refusant. Alors, par frustration ou par dépit, il donna à Sara ce qu’elle désirait. Il imagina des secrets et des intrigues dont il la rendit complice, lui dévoila des correspondances qu’il fabriquait pour la faire rêver, romances inachevées et invitations mystérieuses… Elle lui céda en deux fois. La première dans le salon de musique de Sylvia, sur le divan, alors que ces dames, à côté, écoutaient la brillante conférence de l’abbé Anton de L*. Sara était timide, réservée, mais elle avait dix-sept ans et une violente envie de s’échapper. Elle l’embrassa à en perdre le souffle 19


Laurent Kloetzer et fut tout près de défaillir. Lui-même ne savait pas jusqu’où il serait allé si l’abbé, dont on entendait la voix à travers la porte close, n’avait pas été sur le point de conclure son amusant monologue sur la nature de l’esprit de feu et du don des langues. La seconde fois fut la bonne, la journée de printemps était très chaude, Sara était venue en compagnie de l’ennuyeuse Madame de L*. Sylvia avait été appelée à l’intérieur par le secrétaire de son mari. Jaël connaissait le personnage, elle en avait pour une heure au moins. Madame de L*, trop heureuse de profiter de la délicieuse véranda, s’était assoupie sur sa chaise, abandonnant sans surveillance la jeune fille qu’elle chaperonnait sans conviction. Jaël était apparu alors, lui avait pris la main et l’avait entraînée jusqu’à la tonnelle. Elle l’avait suivi sans une hésitation. Ce qui s’était ensuivi avait été délicieux et beaucoup trop bref. Elle était amoureuse ou jouait à l’être, ce qui revenait au même. Ils rêvèrent beaucoup, à un départ, à un enlèvement et elle n’eut aucun sursaut de pudeur quand la passion se fit plus pressante. Au contraire, elle se jeta dans le feu avec joie. En cet instant, lui aussi fut amoureux, comment ne pas aimer autant de fraîcheur et d’ardeur ? Il cueillit donc la rose et elle en fut heureuse. Ils avaient inventé une multitude de ruses pour se revoir, le beau temps favorisant les intrigues, mais aucune ne servit. Pour une raison qu’il ne put jamais comprendre, Sara avoua tout à une servante qui se dépêcha d’informer sa famille. Il y eut des larmes et des déchirures, et elle ne lui en voulut même pas de l’avoir compromise, se blâmant elle-même de toutes les fautes. Il se rendit une fois dans la maison Fersen pour la revoir, elle portait une robe de drap sombre et un voile sur ses cheveux, elle souriait, triste, jouissant de se croire condamnée au malheur pour le restant de ses jours. Il tenta de plaider sa cause auprès des frères, proposa d’épouser Sara, mais Nathan, en l’absence du père disparu, se sentit obligé de jouer une surenchère dans l’honneur. « Seul le sang nous rendra justice, monsieur. Le sang pour le sang. — Il ne sera pas dit que je n’aurai pas tout fait pour éviter cela… » Puis ces deux imbéciles étaient venus au Cercle, avec leurs austères manteaux et leurs épées trop lourdes pour eux. Et on revenait à la cour de la caserne et au soleil, et au sang sur le sable et aux élancements à la tempe de Jaël. Il préféra retourner en arrière, jusqu’à la véranda, à Madame de L* endormie, à ce moment passé à la fenêtre à guetter les femmes en compagnie. Sylvia était entrée dans la maison, il était sorti l’instant d’après, était apparu en silence auprès de la table ronde où on avait servi le café. Sara avait 20


La Magicienne – 1 souri, elle avait de jolies dents et le visage sans apprêt, naturellement lumineux. Il lui avait tendu la main, elle s’était levée, ils avaient longé l’allée de thuyas jusqu’au kiosque. Il l’embrassa aussitôt la porte passée, Sylvia devait prendre mille décisions pointilleuses avec le secrétaire de son mari, cela ne pouvait durer moins d’une heure. Cette heure pleine s’étendait devant eux, lourde de promesses, et il l’étira encore et encore pour la rendre éternelle. La nuit venait juste de tomber, l’air gardait trace des chaleurs de la journée. Il était allongé nu sur un banc moussu, au-dessus de l’herbe violette. Un souffle tiède passait sur le flanc de la colline faisant voler les voiles d’un kiosque de bois blanc ouvragé comme une œuvre de dentelle. Il avait les paupières lourdes, l’esprit embrumé, mais il se sentait entier, présent et vivant. De grosses libellules au corps luminescent vrombissaient à la surface de l’étang. Des fleurs balançaient leurs corolles ivoirines en pesants bouquets et il se dit que cette variété devait aimer la lumière de la lune plutôt que celle du soleil. Il se leva, marcha un peu, il pensait encore à Sara, mais le souvenir de leur escapade au jardin était devenu lointain, de plus en plus flou. Où était-il ? Il se passa la main sur la tempe, chercha la marque de la blessure et ne sentit qu’une vieille cicatrice. Il était déjà venu en ces lieux mais les détails lui échappaient et ça n’avait pas d’importance. Il avait en bouche une amertume qui passerait. Il descendit jusqu’à l’étang noir bordé de roseaux. Sous les branches d’un arbuste disparaissait la statue d’une femme-fontaine, une cruche dans chaque main, un filet d’eau ruisselait de celle de droite, là aussi cette figure était familière. Il s’agenouilla non loin, se lava le visage, l’étang était plus froid que ce que promettait la douceur de l’air, et la surface sombre ne reflétait rien, ni lune ni étoiles. Que se passerait-il s’il buvait l’eau coulant de la fontaine ? La colline était entourée d’une végétation dense et basse, vite indistincte. Jaël remonta vers le kiosque-bijou à travers les herbes hautes. Une femme y dormait, les mains croisées sur la poitrine. Il l’avait aperçue dans la cour, assise au bas de la tribune, mais là aussi ce souvenir ne lui paraissait pas vraiment important, la défaite était une impression lointaine, seul comptait ce qu’il ferait maintenant… La femme portait une robe de mousseline blanche et ses longs cheveux, blancs eux aussi, s’étalaient sur l’oreiller. Il lui prit la main, la peau était tiède, elle respirait doucement. Elle n’avait plus rien de maladif, son visage apaisé paraissait plus jeune, il la trouva belle dans son 21


Laurent Kloetzer abandon. Il se pencha, baisa ses lèvres qui frémirent à peine. Il la contempla, le temps de dix battements de cœur. Il observa l’œuvre délicate de ses poignets, de ses chevilles, parcourut du doigt les courbes de sa gorge. Il fallait la réveiller, il l’avait déjà réveillée en un autre temps. Avec elle, il n’y aurait pas besoin de jouer ou de mentir. Mais elle dormait, engourdie, très loin de lui. Attendait-elle le lever de la lune pour reprendre conscience ? Il lui caressa les cheveux, le cou, écarta le tissu de la chemise, révélant la peau couleur de lys. Il voulut penser que son dos se cambrait, qu’elle venait vers lui dans son sommeil, et qu’il y aurait des délices à se coucher sur elle, à forcer les portes du rêve pour la rejoindre. La jouissance en serait toute particulière. Doucement. Il se recula, les yeux lourds encore, traversé par les impressions du duel. Elle était Kirsten de la lignée de Sable, l’homme qui avait été son témoin l’avait nommée. Il avait été blessé, elle l’avait recueilli, l’avait soigné, l’avait entraîné jusqu’ici. Cette colline aux fleurs lunaires et aux herbes violettes était son domaine. Il y était déjà venu, dans un autre temps. Le jardin de Kirsten était une drogue, peut-être même était-il simplement allongé quelque part, inspirant les fumées d’opium… Le kiosque l’attirait, la femme endormie l’attirait, il tournait le dos à l’étang, il savait que l’eau serait froide s’il s’y engageait et qu’il n’aimerait pas ce qu’il apprendrait. Il se serait allongé et elle serait venue à sa rencontre, ouvrant soudainement les yeux comme il entrait en elle. Elle l’aurait saisi, embrassé, dévoré, elle aurait ri et ils auraient perdu leur souffle ensemble. Et l’amertume et la défaite auraient disparu, par elle, en elle. Mais il n’en fit rien. Il se détourna, marcha droit à l’étang, ne s’arrêta pas, et l’eau glacée lui mordit les jambes, les cuisses, recroquevilla son sexe, lui serra le ventre. Cassiel l’avait touché à la tête, il avait beaucoup saigné, il s’était battu en duel après avoir abusé une jeunette, il avait été défait et ne pouvait vraiment s’en plaindre… « Très courageux, Jaël. » Elle s’était levée, était venue jusqu’au bord, la longue chemise de nuit flottant autour de ses jambes. « Je suis déjà venu ici… — De nombreuses fois. Cette eau offre la vérité et l’oubli. — Je veux me souvenir, maintenant. — En es-tu bien certain ? » Il se détourna, avança plus loin dans l’eau. Elle montait jusqu’à sa poitrine, le froid l’engourdissait. Sa respiration devenait plus pénible. 22


La Magicienne – 1 « Je veux me souvenir de vous. » Elle ne répondit rien. « Je veux me souvenir de vous ! » Était-elle amusée ou en colère ? « Inspire, Jaël. Emplis tes poumons, jusqu’à en avoir mal. Cherche la douleur. Il y a quelque chose dans ta poitrine qui se froisse et qui te fait mal. Cherche-le. Sens-le. Je suis là. » Il fit comme elle avait dit, chercha la douleur, la trouva et en fut surpris. Alors, d’un coup, des blessures s’ouvrirent, le sang coula, il perdit pied. L’eau noire le recouvrit.


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