El niño del cerro El Plomo en «Les grandes énigmes du passé»

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Les enfants momies de la cordillère des Andes

© Archivo fotográfico Museo Nacional de Historia Natural de Chile

Par François Cuynet

Les enfants momies de la cordillère des Andes SUR LES TRAITS DE SON VISAGE SE LIT UNE TRANQUILLITÉ TROUBLANTE, DONNANT L’IMPRESSION QUE L’ENFANT, MORT IL Y A PLUSIEURS SIÈCLES, EST SIMPLEMENT ENDORMI.

L

a cordillère des Andes, en Amérique du Sud, est probablement l’un des lieux les plus majestueux au monde. Avec ses sommets enneigés déchirant le bleu du ciel de leurs pointes acérées, cette jeune chaîne de montagnes parcourt le continent et rythme les territoires. Soumise à une poussée constante, elle est le théâtre de nombreux séismes et connaît un volcanisme actif qui façonne sans cesse son profil. Face à une telle manifestation de Dame Nature, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle ait constitué le domaine des dieux dans l’imaginaire des populations préhispaniques. C’est dans ce paysage sans vie que furent retrouvées, au cours de la seconde moitié du xxe siècle, plusieurs dépouilles

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de femmes et d’enfants, sacrifiés au nom d’antiques croyances.

Retour en terre inca L’une des plus anciennes découvertes remonte à l’année 1954. Dans la zone montagneuse proche de la ville de Santiago, au Chili, le corps recroquevillé d’un jeune garçon a été exhumé à plus de 5000 m d’altitude. Depuis longtemps déjà, les historiens et archéologues connaissaient des sépultures préhispaniques ayant fourni des exemples de sacrifices humains. Mais le cas du Niño del Cerro Plomo connut un grand retentissement de par

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Les enfants momies de la cordillère des Andes

La momie surnommée “Niño del Cerro Plomo”

L’un des enfants retrouvés au sommet du volcan Llullaillaco, en cours d’étude.

DES ENFANTS AU STATUT ÉLEVÉ

© José Fontanelli - Flickr - CC BY 2.0

© Archivo fotográfico Museo Nacional de Historia Natural de Chile

Les enfants sacrifiés aux dieux sont enveloppés d’une étoffe et pourvus de divers ornements de prestige devant les accompagner jusque dans l’autre monde. Ce traitement témoigne de leur statut élevé et de leur rôle dans la société par leur mise à mort. Parmi les artefacts se trouvent souvent des objets en spondyle, un coquillage couleur rouge sang issu des eaux chaudes équatoriennes. Obtenu par commerce, il était un symbole aquatique de fertilité très répandu.

l’exceptionnel état de conservation du corps de l’enfant. Provenant de la zone archéologique de Piedra Numerada, un espace composé de plusieurs structures funéraires regroupées, la dépouille fut extraite au cours de ce qui s’apparenterait de nos jours à un “pillage local organisé”. Délaissée au profit des artefacts précieux accompagnant le corps de l’enfant, la momie fut dans un premier temps abandonnée, avant d’être vendue et exposée dans un musée. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le grand public découvrit l’existence de cet enfant inca dont le corps momifié présentait un degré de conservation tel qu’il semblait être décédé peu de temps auparavant.

Si les momies incas des Andes ont gardé l’expression de leur visage et un corps intact, cela n’est dû qu’aux processus physiques régnant au sein du congélateur naturel dans lequel elles furent déposées. 122

Par la suite, plusieurs découvertes similaires se succédèrent, dont le corps préservé de Juanita, aussi surnommée la Vierge des Glaces. Exhumée en 1995 par Johan Reinhard et son équipe sur les pentes du volcan Ampato, dans le sud du Pérou, elle relança l’engouement autour des momies incas et du mystère entourant leur spectaculaire conservation. Poursuivant sur sa lancée, et avec le soutien institutionnel de la prestigieuse National Geographic Society, Johan Reinhard publia en 1999 le récit de la plus grande découverte effectuée à ce jour de sacrifices d’enfants dans la cordillère des Andes. La parfaite préservation des dépouilles, l’histoire de ces jeunes sacrifiés précédant leur mise à mort et les soins dont ils avaient fait l’objet constituèrent une source de documentation inestimable pour les archéologues, permettant de mieux cerner les circonstances de ce rituel préhispanique.

Une conservation miraculeuse ? C’est donc au sommet du volcan Llullaillaco, sur une crête rocheuse à 6712 m d’altitude, que les trois corps d’enfants, enveloppés avec soin, furent sortis de leur tombeau de pierres et de gravats. Dans cet environnement extrême, où la température moyenne oscille autour de -20 °C, avec

un rayonnement solaire intense et une raréfaction de l’oxygène, une activité bactérienne ralentie et une absence totale d’insectes nécrophages, les conditions climatiques ont permis une préservation optimale des dépouilles. Car, à la différence des momies égyptiennes, dont étaient retirés les viscères et les fluides corporels avant de les enduire d’un onguent et de les recouvrir de bandelettes afin de conserver les chairs, les exemplaires incas ne présentent aucune manipulation visant à favoriser cette préservation exceptionnelle. D’autant que, selon les témoignages issus des chroniques espagnoles, certains de ces sacrifiés étaient placés dans un état de conscience altérée avant d’être enterrés... vivants ! Si les momies incas des Andes ont gardé l’expression de leur visage et un corps intact, cela n’est dû qu’aux processus physiques régnant au sein du congélateur naturel dans lequel elles furent déposées. Par l’action conjointe du soleil, du froid et de la faible pression atmosphérique à cette altitude, les dépouilles subissent une dessiccation globale, en grande partie par sublimation de l’eau contenue dans le corps (sans passer par la phase liquide, les cristaux de glace passent à l’état gazeux). Au fil des années, les chairs sont progressivement et naturellement lyophilisées, les dépouilles demeurant parfaitement conservées, tant

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dans leur apparence anatomique que dans leur position d’inhumation. L’étude du cas des momies du Llullaillaco a également permis d’en apprendre davantage sur le traitement ante et post-mortem des enfants sacrifiés. L’analyse de leur contenu gastrique ainsi que la couche de graisse présente sous la peau indiquent que les futures victimes ne souffraient d’aucune sous-nutrition. Le long de l’ascension de la pente du volcan marquant la frontière entre le Chili et l’Argentine, Johan Reinhard et son équipe identifièrent trois niveaux de campements temporaires, probablement aménagés afin de faciliter la procession rituelle jusqu’au sommet. Enfin, sur une crête dominant le paysage et offrant un panorama complet sur cette région de la cordillère des Andes, une plate-forme funéraire fut construite à plus de 6700 m afin d’accueillir et de préserver pour l’éternité les corps des sacrifiés. Grâce aux conditions environnementales et au manque d’oxygène à cette altitude, les efforts fournis par les officiants sont à la hauteur de la sacralité de l’événement. Ces hauts sommets, appelés Apu en quechua, représentaient pour les populations incas la demeure des divinités et, de fait, étaient considérés comme des espaces sacrés. Ces dieux montagneux étaient censés veiller sur les groupes installés à proximité et organiser les différents aspects de la vie locale. Ils contrôlaient notamment l’approvisionnement en eau douce issue des rivières qui coulent sur leurs pentes ainsi que l’arrivée des pluies fertilisantes, éléments essentiels à la croissance des plantes et à la reproduction des animaux. Offrir à ces entités telluriques des sacrifices humains d’enfants en pleine forme et débordant d’énergie était une manière pour les populations préhispaniques de s’assurer la bienveillance de leur protecteur. En déposant ces jeunes victimes dans les neiges sacrées, ils nourrissaient la


d’une cérémonie sacrificielle mixte au cours de laquelle un enfant de 7 ans fut enterré en compagnie d’une fillette d’environ 6 ans et d’une adolescente de 15 ans. Si la pratique du sacrifice de jeunes femmes vierges est amplement évoquée par les chroniques coloniales et est relativement bien connue du grand public, la mise à mort de jeunes garçons était tout autant répandue à l’époque inca. Tout comme leurs comparses, ces futures victimes sacrificielles provenaient des divers territoires intégrés à l’empire et étaient choisies par des fonctionnaires spécialement affectés à cette tâche. Elles étaient souvent

divinité et garantissaient aux sacrifiés une vie éternelle dans l’autre monde aux côtés des dieux.

Le choix des élus Le soin apporté aux morts du Llullaillaco témoigne du haut degré de prestige du sacrifié, comme l’atteste sa position dans la mort. Chaque dépouille a été déposée au sein de la plate-forme dans une grande pièce de tissu, formant de la sorte un paquet funéraire. Dans cet ensemble, le corps du défunt, en position fœtale ou accroupie, est accompagné d’une multitude d’objets devant lui servir dans le monde des morts. De grands vêtements, magnifiques exemples de l’art textile inca, habillent le mort et le gardent au chaud. Des ornements en or ou en argent, ainsi que de somptueuses coiffes de plumes, témoignent du caractère prestigieux des défunts. Des paires de sandales neuves, des réserves de feuilles de coca et des sacs de nourriture accompagnent également les victimes sacrificielles afin de rendre leur parcours dans la mort plus agréable. Ainsi, dans le cas des enfants momifiés du Llullaillaco, des provisions de maïs, de diverses graines et de viande de lama séchée ont été retrouvées avec les corps. Mais outre l’incroyable état de conservation et le contexte archéologique exceptionnel de cette découverte, l’ensemble de l’offrande sacrificielle nous en apprend énormément. Alors que jusqu’à présent les recherches avaient principalement révélé des sépultures d’individus seuls (et majoritairement de femmes), la plate-forme fouillée par Johan Reinhard a démontré l’existence

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d’extraction noble, des enfants de dignitaires locaux ayant reconnu l’autorité suprême de l’Inca. La sélection était perçue comme une marque de grand prestige et d’honneur pour la famille de l’élu. Destinés à servir les dieux, les enfants choisis se démarquaient tous par leur perfection de corps et/ou d’esprit, considérée comme un privilège accordé par les dieux à leur naissance. Ils étaient ensuite conduits dans des structures d’État, dont la plus prestigieuse se trouvait à Cusco, pour y recevoir la formation nécessaire à l’exécution des rites afin de servir au mieux les divinités. Souvent, les jeunes femmes les plus talentueuses finissaient au service de l’Inca, dieu

Les enfants momies de la cordillère des Andes

vivant considéré comme le fils du Soleil et incarnant le pouvoir suprême du dieu Viracocha dans le monde terrestre. Mais dans d’autres cas, lorsque des circonstances extrêmes l’exigeaient (comme à la suite d’un épisode de sécheresse prolongé dans une région à la charge de l’empire), ces élus pouvaient être amenés à servir les hommes et les dieux dans la mort. En offrant leur vie, ils avaient pour mission d’adoucir la colère des divinités. Les futures victimes sacrificielles étaient alors envoyées sur place. En général, afin d’éviter tout problème, les fonctionnaires incas avaient à cœur de désigner au sacrifice une personne originaire d’une province éloignée du lieu de destination. Au cours d’une longue procession pouvant durer des mois, les individus choisis étaient portés sur des chaises à porteurs et considérés avec le plus grand respect dans les villages qu’ils traversaient. Une fois arrivés sur place, les rites nécessaires à la pratique sacrificielle pouvaient commencer. Les analyses effectuées sur les corps des enfants du Llullaillaco sont venues confirmer les propos des écrits espagnols. Au cours de ces rituels, l’absorption de psychotropes et d’alcool fermenté de maïs devait permettre à la future victime de se rapprocher de la sphère divine avant sa mise à mort. Mais à la différence du sacrifice de guerriers vaincus, durant lequel le cœur était arraché et la tête coupée, les élus choisis pour servir les dieux dans l’autre monde devaient rester intacts (ou du moins sans traces visibles ni épanchement sanguin). Dans ces cas de figure, les dépouilles retrouvées montrent principalement des marques au niveau du cou indiquant que les personnes ont été garrottées. Dans d’autres cas, des traces de fractures à l’arrière de la boîte crânienne témoignent d’un coup violent porté à la tête. Dans l’exemple de la découverte multiple de 1999, l’étude des corps n’a pas révélé de mise à mort violente, mais la présence d’air dans les poumons semble indiquer que les sacrifiés ont été étouffés alors qu’ils se trouvaient dans un état de torpeur avancé. Cet état, lié aux rites présacrificiels, a probablement été accentué par le manque important d’oxygène à cette altitude. La position fœtale des défunts, souvent associée dans le monde andin à une orientation du corps vers l’est,

© Pedro Groover - Flickr - CC BY 2.0

La cordillère des Andes est une jeune chaîne de montagnes, générée par subduction de la plaque océanique pacifique sous la plaque sudaméricaine. Elle culmine à 6962 m d’altitude.

© Shutterstock

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DES EXPRESSIONS CONSERVÉES Sur la peau tannée des dépouilles, le froid et l’altitude ont conservé les traits du visage. Le processus de momification des corps n’est pas lié à une action de l’homme, mais aux conditions climatiques extrêmes qui règnent dans ces espaces sans vie de la cordillère des Andes.

en direction du soleil levant, marque symboliquement la renaissance des victimes sacrificielles aux côtés des divinités qu’elles continueront de servir dans la mort. Au cours de cette nouvelle vie dans l’autre monde, la personne élue poursuit ses activités et, de ce fait, a besoin de l’attention constante des vivants afin de mener correctement sa tâche. Cette conception andine de la vie après la mort explique la présence de sandales de rechange, de sacs remplis de feuilles de coca et de nourriture auprès des sacrifiés. Ainsi, la large tunique dont le jeune garçon était vêtu devait lui permettre d’atteindre sa taille adulte, même après son sacrifice. Enfin, surplombant le panorama andin et restant visibles de tous dans la vallée, les enfants momifiés continuent de vivre dans les mémoires et veillent éternellement sur la population à leurs pieds. n

Les analyses effectuées sur les corps des enfants du Llullaillaco sont venues confirmer les propos des écrits espagnols. Au cours de ces rituels, l’absorption de psychotropes et d’alcool fermenté de maïs devait permettre à la future victime de se rapprocher de la sphère divine avant sa mise à mort. 125


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