Montreux Jazz Chronicle 2016 - N°02

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№2

Samedi, 02 juillet 2016 Saturday, 02 July 2016

Montreux Jazz Chronicle Le quotidien du Montreux Jazz Festival, 5e édition

The Montreux Jazz Festival daily newspaper, 5th edition

Anohni, Auditorium Stravinski, 01.07

TONIGHT MUSE

F Muse revient à Montreux le samedi 2 juillet, quatorze ans après son concert épique offert au Festival. Le trio britannique composé du chanteur-guitariste Matthew Bellamy, du bassiste Chris Wolstenholme et du batteur Dominic Howard a fraîchement remporté le Grammy Award de «Meilleur album rock» pour son septième opus Drones. Devenu l’un des groupes de rock’n’roll les plus influents des années 2000, Muse est rompu aux tournées grandioses, renversant des stades entiers par ses cavalcades électriques et symphoniques.

MUSE

E  Muse is returning to Montreux

on July 2nd, 14 years after their epic concert at the Festival. Few weeks ago, the British trio of singer-guitarist Matthew Bellamy, bassist Chris Wolstenholme, and drummer Dominic Howard won the Grammy Award for “Best Rock Album” for their seventh album, Drones. Muse, one of the world’s most influential rock bands of the 2000s, is known for grandiose tour events, and the band turns entire stadiums upside-down with their electric and symphonic rock.

DIVINE

8 Interview: Air

9 Last Night: Anohni

11 Heroes: Bill Evans - 1968

MUSE, Auditorium Stravinski, 20:00


ONT S S L A V I T S E F CET ÉTÉ LES ! S E T Ê S U O V Ù LÀ O Retrouvez le documentaire des 50 ans du Festival de Montreux et les concerts sur concert.arte.tv


F Ni pour Nina Simone, dans sa petite robe

noire, le collier d’argent que Claude Nobs lui avait offert, le moment où elle hurle à une dame qu’il faut s’asseoir. Ni pour Leonard Cohen qui vient de poser la tête à l’envers pour le photographe italien Giuseppe Pino et qui rentre en scène avec «Bird on the Wire», ma chanson préférée de lui. Je n’étais pas là pour Al Jarreau, premier concert à Montreux, il veut bouffer le monde tout cru d’une bouche plus grande que lui. Ou pour Shakti avec John McLaughlin qui scrute du coin de l’œil le joueur de tabla Zakir Hussain (il a vingt-cinq ans, il est déjà le meilleur percussionniste du sous-continent indien et au-delà). Je n’avais pas pu me déplacer pour Weather Report (Wayne Shorter et Jaco Pastorius, mon dieu), ni pour Art Blakey, Cecil Taylor, Sun Ra, Sarah Vaughan, Stan Getz, Thad Jones & Mel Lewis, Odetta et Luther Allison. J’aurais adoré voir ce jeune Jamaïcain au corps de lutteur auquel Oscar Peterson avait annoncé qu’il serait un des plus grands pianistes de sa génération. Cette nuit-là, ce 10 juillet 1976, où Monty Alexander allait enregistrer ici son album le plus important. J’avais un mot d’excuse: j’étais dans le ventre de ma mère. C’est quand même trop bête d’avoir été si près d’assister à son année fétiche du Montreux Jazz Festival et d’être resté bien au chaud, à quelques kilomètres de là. Je veux croire que les bonnes ondes ont voyagé et que, comme tous les enfants de cette région, je suis né de cette scène où tous sont venus sans savoir qu’ils gravaient la bande originale de nos vies.

ARNAUD ROBERT AUTEUR, JOURNALISTE, RÉALISATEUR

TODAY'S GUEST 1976 – I WASN'T EVEN THERE

E I wasn’t there when Nina Simone, in her little black dress and the silver necklace that Claude Nobs gave her, told a woman to sit down. Nor was I there for Leonard Cohen, who’d just stood on his head for Italian photographer, Giuseppe Pino, before walking on stage to “Bird on the Wire”, my favorite song by him. I wasn’t there for Al Jarreau’s first concert at Montreux, when he cast a spell over everyone with his big voice. Or for Shakti and John McLaughlin, whose eye was caught by tabla player Zakir Hussain – he was 25, and already the best percussionist on the Indian subcontinent and beyond. I couldn’t make it to see Weather Report (Wayne Shorter and Jaco Pastorius, my god), or Art Blakey, Cecil Taylor, Sun Ra, Sarah Vaughan, Stan Getz, Thad Jones & Mel Lewis, Odetta and Luther Allison. I would have loved to see Monty Alexander, a young Jamaican built like a wrestler who Oscar Peterson told would be one of the greatest pianists of his generation. That night, 10 July 1976, he recorded his most significant album. I had a good excuse though, as I was in my mother’s womb. It’s pretty annoying to have missed such a historic moment at the Montreux Jazz Festival by so little because I stayed in the warm a few kilometers away. I want to believe that the positive waves travelled and that I, like all the kids from this part of the world, was born in a place that artists come to without realizing they’re recording the soundtrack to our lives.

COUPS DE CŒUR MONTREUX JAZZ '76

Nina Simone

Leonard Cohen

Weather Report Art Blakey

Monty Alexander Sun Ra

Cecil Taylor Shakti

Odetta

Al Jarreau

Sarah Vaughan

CLAUDE'S COLLECTION F  Claude Nobs avait une peur panique de la solitude. Jaquelyne Ledent-Vilain, son alliée de toujours, se souvient: «Lorsqu’arrivait le vendredi, c’était panique sur Nagasaki. Il se voyait tout seul le week-end. Il prenait son carnet d’adresses et se lançait dans une frénésie de téléphones. Il invitait le plus de gens possible». Pas sûr qu’il ait su rameuter grand monde avec cet appareil factice, dédicacé par Sheryl Crow une première fois en 1997, puis à nouveau en 2008. Mais ce n’est pas seulement pour s’entourer qu’il amassait les téléphones. Claude Nobs, l’éternel gamin, avait la fibre du collectionneur. Lorsqu’il s’entichait d’un gadget –trains à vapeur, jukebox ou bibelots technologiques–, il accumulait sans compter. Salomé Kiner © Yann Gross

Main Partners

E  Claude Nobs was terrified of being alone. His long-time ally, Jaquelyne Ledent-Vilain, remembers that “every Friday, he’d be panic-stricken. He’d see himself spending the weekend alone. Gripped by fear, he’d frantically call all the numbers in his address book to invite as many people round as possible.” I doubt, however, that the fake telephone would’ve helped him amass a huge crowd despite being signed by Sheryl Crow in 1997 and again in 2008. There was more to Claude Nobs’ telephone collection than his fear of solitude. He had a childlike obsession for collecting. If he fell in love with something, whether a steam train, jukebox or technological gadget, there was no stopping him.

Saturday, July 2nd 2016 | Montreux Jazz Chronicle

EDITO 1976 – JE N'ÉTAIS MÊME PAS LÀ

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PAYING FREE

SATURDAY 02.07

AUDITORIUM STRAVINSKI

MONTREUX JAZZ CLUB

MONTREUX JAZZ LAB

MUSE DRONES WORLD TOUR

RANDY WESTON

MODERAT

MUSIC IN THE PARK 14:00 GARFIELD HIGH SCHOOL JAZZ ENSEMBLE 16:15

POLYBAND ZÜRICH

18:15

THE COASTAL CAROLINA

UNIVERSITY JAZZ COMBO

20:30 ETHICA

ARUÁN ORTIZ TRIO

AFRICAN RHYTHMS QUINTET FEAT. BILLY HARPER, T.K. BLUE, ALEX BLAKE & NEIL CLARKE

SPECIAL EVENTS

11:00

CASINO BARRIÈRE

MONTREUX MUSIC MEMORABILIA –

21:30 TIGERCLUB 23:00 BACK:N:BLACK

THE GIRLS WHO PLAY AC/DC

00:30 AFTERSHOW:

DJ CHILL POP

STROBE KLUB SUNDAY BREAKFAST – VJING LA LOUTRE 22:00 JAMES MC HALE 23:00 MARCO TRINKLER B2B FLAVIO 01:00 ALCI 03:00 GIANNI CALLIPARI

BAR EL MUNDO COULEUR BRASIL 16:00 DEALERDESALSA Dance lesson 18:00 AFROHOUSE Animation 20:00 JANAINA MELLO 22:00 DJ RUMBA STEREO

EXPOSITION

23:00 MYSTICAL FAYA

THE ROCK CAVE

MAX COOPER

THE ROCK CAVE

14:00 MONTREUX JAZZ CHOIR – "TIME IS

RUNNING OUT" MUSE MAIN ENTRANCE, 2M2C

16:00 BOOK BOX

WORKSHOPS

PETIT PALAIS

15:00 MONTREUX "50 SUMMERS OF MUSIC"

Présentation du livre par Arnaud Robert, Salomé Kiner, Cecilia Suarez et Antoine Bal

PETIT PALAIS

17:00 RANDY WESTON

POOL PARTY

F Entrée de la piscine CHF 5.E Swimming pool entrance CHF 5.-

NOBODY'S PERFECT 12:00 ALEX MOTA 13:15 FRED 14:30 BROWN S 16:00 LOST HERITAGE (LIVE) 17:00 SONNY CATANESE B2B

LUCAS RAMIREZ

18:30 ME & her

INFORMATION

F Pour toutes les informations sur les prix et mises à jour du programme, veuillez télécharger la «Montreux Jazz App»

E  For information on the prices and updates on the program, please download the “Montreux Jazz App” www.montreuxjazzfestival.com

JAM SESSIONS

MONTREUX JAZZ CLUB

F Jam Sessions improvisées après les concerts

E Improvised Jam Sessions after the concerts

F Partagez ce concert avec l'app CUTS

E Share this concert with the app CUTS


F Après un concert d’ouverture historique jeudi en compagnie de Charles Lloyd et Monty Alexander, c’est dans l’eau que l’on va pouvoir profiter de ce lieu indissociable de la légende montreusienne. A la fin des sixties, déjà, c’est au bord de cette piscine que les fêtes les plus grisantes du Festival avaient lieu. Les groupes jouaient au bord même du bassin. Les hippies croisaient le fer avec les petites bourgeoises anglaises. Cette année, dans une atmosphère électronique et conviviale, on parie que de nouveaux instants mémorables vont émerger. Alors, si on a 18 ans révolus, on s’y encanaillera de 12h à 20h chaque samedi du Festival. Des DJ sets de belle facture (ce soir ME & her notamment, puis African Acid is the Future le 9 juillet et Masaya le 16) s’enchaînent toute la journée avec petite restauration non-stop, sous le soleil exactement. Bref, la Pool Party est bel et bien le meilleur plan pour bouger tout mouillé avant les salles de concert. Ôtez vos petits pulls marine et plongez littéralement dans la musique. (Animation gratuite / entrée piscine CHF 5.-. Accès réservé aux personnes de 18 ans révolus)

Saturday, July 2nd 2016 | Montreux Jazz Chronicle

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POOL PARTY

HIGHLIGHTS

E After hosting the performances of Charles Lloyd and Monty Alexander on Thursday’s historic opening night, the legendary Montreux location is inviting us over for a pool party. At the end of the sixties, the craziest parties were had around this same pool. The atmosphere was electric as bands gathered at the water’s edge to play for hippies. This year’s techno vibes and relaxed atmosphere will surely create a whole host of new memorable moments. This is the place to be from 12pm to 8pm for anyone over 18 every Saturday of the Festival. The non-stop line of incredible DJs (ME & her tonight, followed by African Acid is the Future on the 9th and Masaya on the 16th), food stalls and blue sky makes the Pool Party the best way to cool down and groove before hitting the concert halls. Just take off your navy jumpers and dive right into the music. (Free entertainment/ CHF 5.- pool entrance. Must be aged 18 or over)

POOL PARTY – NOBODY'S PERFECT 02.07.2016 - 12:00 Piscine du Casino, Montreux

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Anohni : Hopelessness Auditorium Stravinski

PORTFOLIO JULY 1ST 2016

FKJ Montreux Jazz Lab

Gogo Penguin Montreux Jazz Club


Gramatik Montreux Jazz Lab

Steps Ahead Montreux Jazz Club

DJ Shadow Montreux Jazz Lab


Samedi, 2 juillet 2016 | Montreux Jazz Chronicle

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Les flamboyants Versaillais célébraient à Montreux vingt années de carrière et de musique envisagée comme un voyage permanent. Propos recueillis par Steve Riesen

AIR

INTERVIEW

F Vous publiez une compilation pour célébrer

vos vingt ans. Avez-vous l’impression que votre musique a bien vieilli? Nicolas Godin: J’espère qu’elle n’a pas vieilli du tout! Le jour où on a commencé à enregistrer, mon souhait le plus cher était de créer une musique intemporelle. J’ai l’impression que nos sonorités ont gardé toute leur fraîcheur.

Le futur et la science-fiction ont toujours influencé votre musique. Etait-ce étrange de se plonger dans le passé pour une fois? Jean-Benoît Dunckel: C’était une drôle d’impression, c’est vrai. Mais je ne pense pas qu’on puisse vraiment dater nos morceaux. D’une part, parce qu’ils ont été bâtis de façon traditionnelle, avec de vrais instruments. De l’autre, parce que l’objectif de Air n’était pas d’être à la mode mais plutôt de créer une vibration hors du temps.

"On espère être à la hauteur de l’évènement." Vous avez tous les deux poursuivi des projets solo. Qu’estce qui change quand vous jouez ensemble? Jean-Benoît Dunckel: C’est difficile à expliquer. C’est comme un esprit dont le public s’est emparé et qui flotte sur les claviers et la musique. Air est né en travaillant avec Nicolas, mais c’est quelque chose qui nous dépasse aujourd’hui, on ne maîtrise plus la situation. Après trois passages à Montreux, vous voilà enfin sur la scène du Stravinski. Une sorte de consécration? Jean-Benoît Dunckel: On est très touché. On a mis quinze ans pour arriver dans cette salle, alors on espère être à la hauteur de l’évènement. Nicolas Godin: Des artistes mythiques qui nous ont fortement influencés sont venus jouer ici: Miles Davis, Herbie Hancock ou Marvin Gaye. Et n’oublions pas Deep Purple! «Smoke on The Water» est le premier morceau que j’ai appris à la guitare. D’ailleurs, je pense que tous les guitaristes du monde doivent leur premier exercice à Montreux (rires).

E Your latest album celebrates your Twenty Years. Do you

think your music has aged well ? Nicolas Godin : I hope it hasn’t aged at all ! When we started recording, my dream was to create timeless music. I think our sound is just as fresh as in the beginning. Your music has always always hinted at the future and science fiction. Did it feel strange to look back this time ? Jean-Benoît Dunckel : It was weird actually. However, I don’t think our music fits into any particular time period because one, it was created traditionally with real instruments, and two, our aim was to create timeless rather than trendy music.

“Hopefully we won’t disappoint. ” You have both done solo projects. What changes when you play together ? Jean-Benoît Dunckel : That’s hard to explain. It’s as if the crowd’s spirit floats above our keyboards and music. Air was born from my work with Nicolas, but now it appears to be controlling us. After three visits to Montreux, you’ve finally reached the Stravinski’s stage. That’s a milestone in itself, no ? Jean-Benoît Dunckel : We’re really touched. It’s taken us 15 years to get into this hall, so hopefully we won’t disappoint. Nicolas Godin : Our music is influenced by the work of legends who also played on here like Miles Davis, Herbie Hancock and Marvin Gaye. And let’s not forget Deep Purple! “Smoke on The Water” was the first song I learnt to play on the guitar. In fact, I think most of the world’s guitarists were initiated by Montreux (laughs).


LAST NIGHT ANOHNI

AUDITORIUM STRAVINSKI

F Un bourdonnement mystique résonne durant quinze grosses minutes. On devine progressivement un rythme implicite. Le bruit devient musique. Sur grand écran, Naomi Campbell, sexy et dangereuse, se trémousse durant un long plan-séquence. On en vient à se demander si l’entier du concert se déroulera de la sorte. Il faut dire qu’Anohni est réputée pour ses choix artistiques radicaux. Lors de son dernier passage à Montreux, en 2009, l’artiste transgenre s’appelait encore Antony et était accompagnée d’un orchestre symphonique. Place à présent à Anohni: lourd corps drapé de noir et dont on ne verra jamais le visage dissimulé derrière un voile. Notre regard fixe alors l’écran. Une galerie de portraits de femmes défile, aux traits atypiques, marqués par la vie, dont l’émotion nous étreint. Ce sont elles qui portent le message d’Anohni: «Execution is an american dream», s’angoisse-telle. La chanteuse dénonce, s’insurge, se lamente. Son corps imposant se meut au son d’une électro dansante et sombre à la fois. Au final, le public l’acclame, conscient d’avoir assisté à un spectacle total, de l’art contemporain sans concession. Steve Riesen

GOGO PENGUIN MONTREUX JAZZ CLUB

F C’est le premier soir de ce jubilé au Club. Trois garçons timides au look d’informaticiens sur leur trente-et-un montent sur scène sous des applaudissements polis. Pourtant, toute la presse jazz ne parle que des Mancuniens depuis un bail. Gogo Penguin: c’est LA nouvelle révélation Blue Note, LE groupe jazz trendy, LE talent de demain. En effet, ces gars-là envoient un jazz innovant et aux allures dance. Un riff minéral à la basse, au piano une mélodie simple pourtant impossible à fredonner et la caisse claire qui frappe, sèche. Les têtes se balancent dès l’intro. Quelques-unes pourtant résistent. Ce jazz version 2.0 ne serait pas à leur goût? Boum! La batterie rentre enfin et on comprend soudain qu’on ne dansait pas dans la mesure! Les trois geeks s’amusent à déstabiliser et à surprendre leur audience: changements de tempo impromptus ou ambiances lunatiques. Leur énergie et leur audace fédèrent clubbers et «jazzeux». En effet, vos potes qui préfèrent passer leur soirée au Lab, et pour qui le jazz paraît élitiste, pourraient vite se remettre en question. Eduardo Mendez

E A good fifteen minutes of mysterious humming is heard. A discreet

rhythm gradually becomes noticeable. The noise becomes music. A long sequence-shot of the dangerously sexy Naomi Campbell shimmying appears on the big screen. We start to wonder if the whole concert has been planned this way. After all, Anohni is known for taking radical artistic decisions. When she last visited Montreux in 2009, the transgender artist was still called Antony and joined by a symphonic orchestra. Anohni’s large form takes the stage. She is draped in black and hides her face behind a veil. Our eyes wander back to the screen. Portraits of women with atypical traits that tell a story and powerful emotions parade before us. They carry Anohni’s worrying message: “Execution is an American dream”. The singer condemns, rebels and laments. Her imposing body becomes one with the sombre electro dance music. The crowd cheer for her at the end of what they realised was a great show of uncompromising contemporary art.

E It was the first night of the jubilee at the Club. Three shy well-dressed IT-looking guys stepped up on stage to the crowd’s polite applaud. The trio from Manchester was, however, all over the jazz news. Gogo Penguin is the latest breakthrough in Blue Note, the trendy jazz group, and tomorrow’s jazz talent. They lived up to their reputation and delivered groundbreaking, dance-like jazz. The solid bass riff, simple yet impossible to hum piano melody, and hard, fast and dry drum beat was not unanimously enjoyed. Whereas some heads started swaying from the very first notes, others pointedly refused. Is jazz 2.0 too much for them? Boom! The drum finally woke up to tell us we weren’t dancing to the right beat. The three unpredictable geeks enjoyed surprising their audience with impromptu changes in rhythm and crazy moods. Their bold energetic music pleased both clubbers and jazzers. Gogo Penguin might even convince your Lab-loving friends who think jazz is too elitist to change their minds.

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HERBIE HANCOCK

50 SUMMERS OF MUSIC

«

JE SUIS UN GEEK, VOILÀ TOUT

F Je conserve le titre du musicien qui a le plus joué à Montreux. N’y voyez aucune vanité, mais j’en suis fier.
1979, duo avec Chick Corea. On commence par «Someday My Prince Will Come». Avec Chick, on parle la même langue. On a grandi dans la pauvreté. On a beaucoup joué de musique classique dans notre enfance. On a partagé la scène avec Miles Davis. Nous sommes déjà de vieux frères. Claude Nobs, qui veut toujours mettre son grain de sel parce que Montreux ne doit ressembler à aucun autre festival, invite Phineas Newborn à nous rejoindre. Trois pianos. Quatre bis. Au quatrième, on aligne des chaises sur le bord de la scène, face au public. On commence à faire des grimaces, à claquer nos langues, à faire toutes sortes d’onomatopées et de bruits de bouche. Tout est permis pourvu qu’on ne remette pas nos mains sur le clavier. Je n’y peux rien, je n’ai pas l’esprit de sérieux. En 2015, on a une fois encore joué en duo avec Chick Corea. Presque quarante ans plus tard. On se connaît si bien qu’on peut se permettre de faire les acrobates. Cette libertélà, c’est celle de camarades de régiment qui se retrouvent pour se raconter de bonnes blagues. Je me souviens très bien de 1979 parce que c’est l’année où j’ai acquis mon premier ordinateur. C’était un Apple II+. Ils avaient ajouté le «+» parce qu’il possédait 48k de mémoire au lieu de 32. Je me demandais s’il était possible de faire de la musique avec ces bêtes-là. Je suis un geek, voilà tout. J’avais quatre ou cinq ans quand j’ai démonté ma première horloge. J’adore regarder à l’intérieur des machines ce qu’elles cachent. D’où vient le tic-tac? J’ai vécu la révolution digitale avec voracité. J’étais diplômé en ingénierie électronique. Quand ils ont inventé les premiers synthétiseurs, j’étais comme fou. Je crois que c’est ce qui nous a rapprochés avec Claude. Il me montrait ses films en 3D, je lui mettais sous le nez un logiciel de composition. Dès que j’avais dégotté un nouveau gadget, je 45 € n’avais plus qu’une seule envie : me précipiter à Montreux pour lui montrer.

...

version française

À LIRE →

I'M JUST A GEEK

E I’m the musician who has played the most times in Montreux. I’m not

bragging, but I’m proud of that. 1979, I play a duo with Chick Corea. We start with “Someday My Prince Will Come.” Chick and I speak the same language. We grew up poor. We played a lot of classical music as children. We shared the stage with Miles Davis. We are old brothers. Claude Nobs, who always wanted to have his say, because Montreux mustn’t be like any other festival, invited Phineas Newborn to join us. Three pianos. Four encores. For the fourth we lined the chairs up along the front of the stage, facing the audience. We made some strange faces, sticking our tongues out, anything we could think of related to sounds, except put our hands on the keyboard. I can’t help it, I’m not serious. In 2015, I played a duo with Chick Corea again. Almost forty years later. We know each other so well that we can allow ourselves a bit of acrobatics. It’s the freedom of old comrades who get together to have a laugh. I remember 1979 very well because that was the year I bought my first computer. It was an Apple II+. They added the “+” because its memory was 48 KB instead of 32. I wondered if I could make music with those things. I think I was born a geek. I was four or five years old when I took my first clock apart. I love looking inside machines to see what they’re hiding. Where does the ticktock come from? When the digital revolution happened, I couldn’t get enough of it. My first major in college was electronic engineering. When they invented the first synthesizers, I went crazy. I think that’s what brought me close to Claude. He showed his films in 3-D, I 50 SUMMERS OF MUSIC showed him a composing software. Whenever I found a new gadget, all Textes d'Arnaud Robert I could think of was hurrying to (en collaboration avec Salomé Kiner) Montreux to show him. Coédition Montreux Jazz Festival et Editions Textuel booklet-montreux-c.indd 1

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IMPRESSUM

BILL EVANS - 1968

HEROES

Published by Fondation du Festival de Jazz de Montreux Creative Content 2M2C / Avenue Claude Nobs 5 / 1820 Montreux Switzerland www.montreuxjazz.com CEO Mathieu Jaton Project Coordinators Marine Dumas Isabel Sánchez Editor-in-chief David Brun-Lambert Project Assistant Thibaud Mégevand Editorial Secretary Lucie Gerber Contact chronicle@mjf.ch Contributing Editors David Brun-Lambert, Antoine Bal, Alexandre Caporal, Salomé Kiner, Eduardo Mendez, Steve Riesen, Arnaud Robert Photographers Daniel Balmat, Mehdi Benkler, Marc Ducrest, Lionel Flusin, Emilien Itim, Anne-Laure Lechat Translators Bridget Black, Sandra Casas, Emma Harwood, Marielle Jacquier, Amandine Lauber Printed by PCL Presses Centrales SA Av. de Longemalle 9 CH - 1020 Renens Advertising Kevin Donnet, k.donnet@mjf.ch Designed by eikon Wilhelm Kaiser 13 / 1700 Fribourg / Switzerland www.eikon.ch

© 1968 François Jaquenod for GM Press

F 1968. Malgré le succès remporté par sa première édition, le Montreux Jazz est encore largement méconnu du sérail musical. Afin d’asseoir durablement le nom du Festival à l’international, il faudrait un coup. Mais lequel quand les moyens dont disposent Claude Nobs sont encore limités? Là, pointe une idée audacieuse: imposer la marque Montreux auprès du public et des musiciens en commercialisant des disques enregistrés ici live par des artistes de rang. Premier d’entre eux, ce Bill Evans at the Montreux Jazz Festival (Verve) capturé le 15 juin 1968, arborant les courbes du Château de Chillon sur sa pochette et qui décrochait un Grammy Award l’année suivante catégorie «Best Small Instrumental Performance». Restait dès lors à enfoncer le clou. C’était chose faite quelques mois plus tard, quand Atlantic Records publiait Swiss Movement, concert racé donné par Les McCann et Eddie Harris au Festival un 21 juin 1969. Rapidement hissé à la première place des ventes jazz aux Etats-Unis grâce au tube «Compared to What», l’album ouvrait la voie à une longue série de publications discographiques siglées «Montreux Jazz» qui, réunies, s’envisagent aujourd’hui comme une mémoire artistique patrimoniale. David Brun-Lambert

Director Nicolas Stevan Art Director Joackim Devaud Graphic Designer Manuel Schaller Layout Composers Nadine Schneuwly, Nicolas Nydegger, Manuel Schaller

E 1968. The Montreux Jazz was still a small

player on the musical world stage despite its successful first season. Something big was needed to help the Festival break into the international circle for good, but what? Claude Nobs was still a man of few means, but there was one thing he could do. He put Montreux on the map by selling records of major artists performing live in the area. Bill Evans at the Montreux Jazz Festival was the first of these. Recorded on 15 June 1968 and placed behind a cover of Château de Chillon, it won a Grammy Award the year following its release for “Best Small Instrumental Performance”. All that was then left to do was to hammer it home. A few months later, Atlantic Records unleashed Les McCann and Eddie Harris’ amazing concert from a 21st June at the Festival upon the world with its album, Swiss Movement. Top of the US jazz charts in no time thanks to the song “Compared to What”, it was the first in a long of Montreux Jazz stamped discs which, when put together, hold so many memories.

Retrouvez tous nos numéros sur issuu.com/montreuxjazzchronicle Suivez nous sur les réseaux sociaux facebook.com/montreuxjazzfestival twitter.com/MontreuxJazz

F  Le Chronicle est plus beau dans les mains d’un lecteur plutôt qu’au sol.

E  The Chronicle looks better in a reader’s hand than on the floor.

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