Being cyborg

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Je tiens à remercier tout particulièrement Camille pour son aide et son soutien, Didier pour ses précieux conseils, Patrick pour sa patience et l’ensemble de l’atelier Designs Mixtes.

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cyborg being being cyborg Morgane Guiomar EBABX – Ecole d’enseignement supérieur d’art de Bordeaux Mémoire en vue de l’obtention du DNSEP (option Design) conférant le grade de Master, sous la direction de Camille  de Singly.

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être 1. l’individu, la personne 2. fait d’être 3. ce qui existe être cyborg 1. l’individu ou la figure cyborg 2. agir comme cyborg 3. l’être cyborg

Cyborg Being : Évolution de l’Human Being, le Cyborg Being serait selon les transhumanistes ou posthumanistes, le nouvel Homo Sapiens. L’être cyborg est également cette figure que l’on retrouve dans la fiction, comme Robocop par exemple. Being Cyborg : Dans le sens « nous agissons comme cyborg » dans des sociétés technologiques, où le corps est cyborg parmi les réseaux connectés et les technologies appendices. C’est aussi un clin d’oeil à l’ouvrage Being digital (1995) de Nicholas Negroponte.

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« En 1791, le physicien italien Luigi Galvani avait découvert qu’on pouvait provoquer la contraction des muscles d’une grenouille en les mettant simultanément en contact avec deux métaux différents. Il lui avait ainsi paru que les tissus vivants étaient remplis d’ « électricité animale ». Cette théorie était contestée par un autre physicien italien, Alessandro Volta, qui démontra qu’il était possible de produire des courants électriques par la juxtaposition de métaux différents sans avoir recours à des tissus vivants ou morts. Volta venait d’inventer la première pile électrique et le chimiste anglais Humphry Davy, poursuivant dans la même voie, en construisit une, en 1807 et 1808, d’une puissance inégalée à ce jour, ce qui lui permit de procéder à des réactions chimiques de toutes sortes demeurées jusque-là impossible, pour les chimistes de l’ère pré-électrique. L’électricité était donc synonyme de puissance et, bien que les recherches de Volta aient rapidement discrédité l’ « électricité animale » de Galvani, l’expression conserva sa magie dans le grand public. Chacun se passionnait pour le rapport de l’électricité avec la vie. Un soir, un petit groupe comprenant Byron, Shelley et Mary Godwin discutait de la possibilité de créer réellement de la vie par le truchement de l’électricité, et Mary s’avisa tout à coup qu’elle pourrait écrire un récit fantastique sur le sujet. […] Il racontait l’histoire d’un jeune scientifique, étudiant en anatomie, qui avait assemblé un être en laboratoire et réussi à insuffler la vie par le truchement de l’électricité. L’être en question (auquel Mary Shelley n’avait pas donné de nom) était une monstrueuse créature de deux mètres cinquante, dont l’horrible visage donnait des crises de nerfs à tous ceux qui étaient admis à le contempler. Le monstre ne peut trouver de place dans la société humaine et, dans sa détresse, se retourne contre le savant et ceux qui lui sont chers. Les uns après les autres, les parents du jeune scientifique sont détruits et, à la fin, le savant en personne finit lui-même par succomber. Sur quoi le monstre va se perdre dans un désert de glace, sans doute pour y périr de remords. » Isaac Asimov, Le Cycle des robots I, 1950.

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INTRODUCTION

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2001, Mission Jupiter. Le vaisseau Discovery One commence son périple de 750 kilomètres à destination de Jupiter ; à bord, cinq hommes et un ordinateur HAL-9000 de la dernière génération. A bord du vaisseau, deux hommes mangent devant leurs écrans personnels diffusant un reportage de la BBC où un journaliste présente Hal comme un « produit de l’intelligence artificielle, capable de reproduire les activités cérébrales humaines ». Le journaliste, en interview depuis la Terre, s’adresse à l’ordinateur : « Bonjour Hal, comment ça se passe ? », ce à quoi le « sixième membre » artificiel répond d’une voix rauque, douce et calme, à la fois rassurante et inquiétante « Bonjour, M. Amer. Tout se passe très bien ». Hal, représenté par un point lumineux rouge, continue : « Les 9000 sont les ordinateurs les plus fiables jamais conçus. Jamais aucun 9000 n’a fait d’erreur, ni déformé une information. Nous sommes, dans toute l’acceptation du terme, infaillibles et incapables d’erreur. […] Je donne le meilleur de moi-même, ce qui est le rêve de toute entité dotée de conscience ». Plus tard, deux membres de l’équipage trouvent une faille dans le système de l’intelligence artificielle et arrivent à la conclusion suivante : Hal n’est plus un membre fiable et doit être désactivé. S’ensuit une prise de conscience de la machine qui tentera d’éliminer l’équipage pour sa survie, pendant que celui-ci peinera à le déconnecter. C’est finalement dans un long moment d’une solitude étrange que l’un des astronautes flotte au cœur de l’ordinateur, dans une ambiance rougeâtre et inquiétante, désactivant peu à peu la conscience de l’ordinateur. Hal, dont la parole de plus en plus lente et grave traduit une sorte d’épuisement, répète incessamment : « Arrête-toi… J’ai peur… ». Mis en scène par Stanley Kubrick en 1968, 2001 : l’odyssée de l’espace nous raconte une histoire de l’humanité, son évolution du primate à l’homme dans l’espace, en donnant un rôle primordial au dialogue intime avec un ordinateur doté de conscience et d’intelligence. Presque cinquante ans 13


1. Pour reprendre le terme utilisÊ par Thierry Hoquet dans Cyborg Philosophie, Penser contre les dualismes, Paris, Éditions du Seuil, 2011, page 34.

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après la sortie du space opera de Kubrick, les technologies s’invitent de plus en plus intimement et intensivement dans nos environnements connectés. Si les machines deviennent de plus en plus humaines avec l’avènement des sciences cognitives, les hommes, eux, semblent être de plus en plus inertes. Les frontières brouillées entre l’organique et l’artificiel nous incitent à réévaluer nos relations avec les machines et à envisager une potentielle fusion. Cet « amalgame techno-humain1 » correspond tout particulièrement au cyborg, figure complexe aux contours flous bien connue de la science-fiction. Avec cet homme implanté de technologies ou machine greffée de tissus vivants, nous ouvrirons au cours de cette recherche les contours de cette chimère. En sortant de la définition dite classique et limitée de l’organisme cybernétique vers une figure plus symbolique, pouvons-nous envisager le cyborg en tant que métaphore de notre condition technologique, voire même comme une ontologie de l’homme ? Nous amènerons le cyborg, cet être aux nombreux avatars, en dressant une fresque de ses prédécesseurs et de ses modèles nés de la fiction pour nous aider à le définir. Les hommes se projettent, se questionnent et se fascinent à produire des machines à leurs images. Les androïdes alors sensibles et intelligents, créés sur le modèle de l’homme, agissent comme miroir du vivant et s’imposeraient comme des analogues mécaniques. Nous pouvons renverser cette question, en posant le cyborg comme un modèle pour l’homme, avec l’avènement de la cybernétique dans les quotidiens, les chairs sont transpercées, greffées, implantées de technologies. Les ambitions sont diverses, de la réparation du corps à l’augmentation de l’homme, considérant un potentiel avenir cyborg comme évolution de l’Homo Sapiens. Finalement, les corps entremêlés de réseaux insaisissables d’informations se dédoublent, se prolongeant dans des objets connectés, et déplacent le cyborg symbolique comme un présent. Regarder 15


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ces nombreuses postures que prend le cyborg, aussi bien dans la fiction que dans la réalité, permet de (re)penser cette figure, peut-être finalement pour mieux envisager notre évolution intimement liée à celle du progrès technique et ainsi comprendre notre condition technologique.

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I les avatars du cyborg

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AVANT LE CYBORG 2. Paris, Cité des sciences et de l’industrie, 2010-2011. Catalogue : HIARD, Evelyne, LACUYER, Sophie, Sciences et science fiction, Paris, Éditions de la Martinière, 2010. 3. MUNIER, Brigitte, Robots, Le mythe du Golem et la peur des machines, Paris, Éditions de la Différence, 2011. 4. Golem, soit « embryon » en hébreu. « Dans la culture juive, sorte d’automate à forme humaine que de saints rabbins avaient le pouvoir d’animer », le site des Éditions Larousse, http://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/ golem/

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LES ANCÊTRES DU CYBORG Si James Cameron et Paul Verhoeven suggèrent dans leurs films des êtres supérieurs, le fantasme d’animer des objets humanoïdes date de la naissance de l’humanité. Pour l’exposition « Sciences et Science Fiction2 », le scientifique Jean-Claude Heudin remonte à l’ère préhistorique pour expliquer la fascination qu’ont les hommes à représenter leur questionnement sur leur propre nature. L’exemple des fresques et statuettes serait une première reproduction du vivant sous une forme artificielle ; le corps et ses limites fascinent les hommes. L’histoire des automates, robots, statuettes et autres transcriptions de l’humain dans un objet technique est étroitement liée à celle de la cybernétique. La science-fiction s’est nourrie des imaginaires de tous temps, et nombreux sont les thèmes qu’elle aborde depuis les années 50 qui étaient déjà présents dans les mythes et légendes, tel que l’être extra-ordinaire. Les mythes traduisent les inquiétudes, les attentes et le développement d’une civilisation. On pourrait presque envisager le début de l’histoire de la robotique en 2000 avant J.C. avec le mythe de Talos, ce géant de bronze presque invincible. Cet automate humanoïde forgé par Hephaïstos, gardien de l’île de Crète, suppose déjà un rêve de supériorité humaine. Si l’on devait dresser l’arbre généalogique du cyborg, un autre de ses ancêtres les plus évidents serait certainement le Golem. Cette légende juive est incarnée par un géant d’argile à la forme humaine, protecteur de la communauté juive. Brigitte Munier3 propose de regarder cette légende hébraïque non pas comme une représentation du robot tel qu’on a tendance à l’identifier, mais comme un homme sans âme qui construit le progrès. Le Golem4 serait un embryon du cyborg tel qu’on le connaît aujourd’hui. Reprise en 1915 par le romancier Gustav Meyrinck, cette légende 21


5. À voir au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel en Suisse, http://www. mahn.ch/collections-artsappliques-automates 6. VILLIERS DE L’ISLEADAM, op. cit., page 278 : « 1° Le Système-vivant, intérieur, qui comprend l’Équilibre, la Démarche, la Voix, le Geste, les Sens, les Expressions-futures du visage, le Mouvementrégulateur intime, ou, pour mieux dire, « l’Âme. » 2° Le Médiateur‑plastique, c’est-à‑dire l’enveloppe métallique, isolée de l’Épiderme et de la Carnation, sorte d’armure aux articulations flexibles en laquelle le système intérieur est solidement fixé. 3° La Carnation (ou chair factice proprement dite) superposée au Médiateur et adhérente à lui, qui, pénétrante et pénétrée par le fluide animant, comprend les Traits et les Lignes du corps-imité, avec l’émanation particulière et personnelle du corps reproduit, les repoussés de l’Ossature, les reliefsVeineux, la Musculature, 22

la Sexualité du modèle, toutes les proportions du corps, etc. 4° L’Epiderme ou peau‑humaine, qui comprend et comporte le Teint, la Porosité, les Linéaments, l’éclat du Sourire, les Plissements‑insensibles de l’Expression, le précis mouvement labial des paroles, la Chevelure et tout le Système-pileux, l’Ensemble-oculaire, avec l’individualité du Regard, les Systèmes dentaires et ongulaires. »


inspire l’imaginaire moderne et fantastique, dès le célèbre Frankenstein (1818) de Mary Shelley. En 1739, un mécanicien nommé Jacques Vaucanson imagine et construit un canard mécanique capable de manger, boire et digérer. Les horlogers de l’époque s’adonnent également aux automates en donnant l’illusion de la vie, notamment Henri‑Louis Jaquet-Droz qui en réalise plusieurs d’exception : « Le Petit Dessinateur », « La dame musicienne », « L’Ecrivain »5. Les arts de l’horlogerie inspirent Edward Page Mitchell qui publie en 1879 L’homme le plus doué du monde, une nouvelle avant-gardiste qui invente les principes d’ordinateur, d’intelligence artificielle et de cyborg.

LE ROBOT ET LA NAISSANCE DE L’ANDROÏDE On voit apparaître dans l’écriture fantastique du XIXe siècle un goût pour les statues vivantes et les automates, avec un enthousiasme certain pour la science de l’époque. Villiers de  L’Isle-Adam, inspiré par les découvertes de Thomas Edison, annonce une prépondérance de la technique et questionne une ambiguïté dans la relation entre les hommes et leurs machines. Dans son roman L’Ève Future (1886), considéré comme une œuvre fondatrice de la science-fiction, figure une première apparition de ce que que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’androïde, ici appelée andréïde. Lord Ewald est amoureux d’une belle femme qui pour son plus grand malheur est très sotte. L’ingénieur Edison lui propose d’en faire une « imitation-humaine » qui dépasserait le modèle. En lui donnant l’illusion de la vie, l’ingénieur crée une femme parfaite, l’Ève future. Dans un jargon pseudo-scientifique, Villier de l’Isle-Adam anticipe un futur cybernétique ainsi qu’une fascination pour des êtres modifiés par la technique. Il décrit cette andréïde 6, en la décomposant en quatre parties : l’âme, l’enveloppe métallique, la carnation puis la chair. Ce portrait n’est pas sans rappeler celui du fameux 23


7. CAPEK, Karel, R.U.R. (Rossum’s Universal Robots), 1920. 8. Du mot Robota, soit «  corvée » en tchèque. 9. CAPEK, Karel, op. cit., partie 7. 10. VALÉRY, Francis, « Des automates aux robots : vers une alter-humanité », Les Robots, Paris, Les Collections de la Maison d’Ailleurs, 2015.

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Terminator, dont l’âme et le savoir résiderait dans une puce bionique où devrait se situer le cerveau. Ève apparaît comme un modèle futuriste d’automate humanoïde en personnifiant une ambition d’amélioration de l’humain. Elle n’en reste pas moins un robot créé dans le but de consoler Lord Ewald. Les œuvres fantastiques, fantaisistes ou science‑fictives donnent une place prépondérante à l’homme et aux machines dans leurs imaginaires. Un exemple évident est le robot, cette machine créée par l’homme, pour l’homme. Le mot « robot » apparaît dans la pièce de théâtre R.U.R.7 en 1920. L’auteur Karel Capek met en scène des machines biologiques à l’apparence humaine, créées dans l’unique but de libérer l’humain du travail pénible8. Si on peut y voir une allusion aux productions Fordistes où l’homme travaille à la chaîne de manière robotique, Capek anticipe aussi une humanité servie par des machines. Dans cette pièce, les robots dotés d’une sensibilité y découvrent les sentiments et se soulèvent contre les hommes. La révolte de la machine contre son prométhée est une dystopie commune aux récits de science‑fiction. Le robot mis en scène agit comme une métaphore de la condition humaine. À la fois un espoir et une menace, il est un moyen pour l’humain de se représenter, se redéfinir et se repenser. « Le vieux Rossum voulait détrôner Dieu. C’était un matérialiste terrible et c’est à cause de cela qu’il le faisait. Il ne s’agissait pour lui que de fournir une preuve qu’on a pas besoin de Bon Dieu. Voilà pourquoi il s’était mis dans la tête de faire un homme exactement tel que nous9 ». Si l’idée d’un esclave artificiel au corps organique est déjà formellement présente dans R.U.R. dans les années 1920, l’idée de détrôner Dieu dérange aux États-Unis et l’humanoïde en reste au stade d’homme mécanique. Francis Valéry dans son texte « Des automates aux robots : vers une alter-humanité10 » explique cette ambiguïté qui empêcherait 25


11. Ibid, page 43. 12. Les pulp magazines sont « des revues populaires très bon marché, apparues au début du XXe s. aux ÉtatsUnis et consacrées à diverses formes de narration ». cf. Site des Éditions Larousse consulté le 10 août 2015, http://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/pulp_ magazines/ 13. VALÉRY, Francis, op.cit., page 50.

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le passage de l’humanoïde à l’humain par une restriction de l’imaginaire à ce qui est moralement acceptable : « Lui donner la vie serait se mettre à la place de Dieu - alors que construire un robot en métal n’est, in fine, qu’exploiter les talents dont Dieu a gratifié l’homme11 ». C’est ainsi que l’acte de naissance du cyborg est repoussé, et la vie de l’humanoïde d’acier prolongée, laissant à la littérature occidentale le temps de créer une esthétique du robot incroyablement fournie en images et en histoires. C’est dans les magazines publiant des nouvelles science-fictives que l’imagerie du robot commence à se populariser en Occident. Dans la science-fiction des Pulps12 aux États-Unis, l’androïde prend de nombreuses formes, Frank R. Paul le dessine pour de nombreuses couvertures d’Amazing Stories. Pour l’histoire The Metal Giant (1928) de Edmond Hamilton, Paul lui donne un œil, une roue et quatre bras articulés, puis pour celle de J. Schlossel To the moon by Proxy (1928) une armure de deux mètres à la force incroyable. En Grande-Bretagne dans les années 1930, le robot fait la couverture de plusieurs numéros de Scoops, une revue hebdomadaire de science-fiction, et est très apprécié de la littérature populaire principalement lue par la jeunesse. La dystopie d’une humanité dépassée par ces machines inquiétantes y est tellement racontée qu’on parle du « syndrome de Frankenstein ». Selon Francis Valéry, les robots « ne font que refléter les peurs des individus face à la dépression économique mondiale et sont souvent une métaphore de l’inéluctable progression des totalitarismes en Europe continentale13 ». En dessinant ces humanoïdes, l’homme se regarderait dans un miroir où son reflet déformé d’une abondance mécanique incarnerait ses inquiétudes et incompréhensions sur le monde qui l’entoure. Cette ambiguïté relationnelle est particulièrement présente dans les récits d’Isaac Asimov, dont les robots ressemblent aux hommes aussi bien dans leur esthétique 27


14. ASIMOV, Isaac, Le cycle des Robots 1, Les Robots, Éditions j’ai lu, 1950, pages 19 et 20 : « Dans ce cas, vous n’avez aucun souvenir d’un monde dépourvu de robots. Il fut un temps où l’humanité affrontait l’univers seule, sans amis. Maintenant, l’homme dispose de créatures pour l’aider, des créatures plus robustes que lui, plus fidèles, plus utiles, absolument dévouées. L’humanité n’est plus seule. […] Par la suite, ils sont devenus plus humains et une opposition a surgi. Comme il fallait s’y attendre, les syndicats refusaient de les voir concurrencer les hommes. » 15. ASIMOV, Isaac, op. cit., page 7.

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que dans leur comportement. Si dans les années 1950 on ne parle pas encore de cyborg, les robots d’Asimov sont si réalistes qu’on peut les comparer à des hommes-machines. Dans Le cycle des robots, Asimov imagine dans de petits récits un futur peuplé de robots au service de l’humanité. Loin d’être de simples robots ménagers, ces machines créées par l’entreprise U.S. Robots sont de véritables miroirs mécaniques. Dès l’introduction des récits, l’auteur met en avant deux attitudes face à une telle communion : le compagnon et le miroir14 . Dans le cas du robot compagnon, il agit comme ami et serviteur dévoué de l’être humain et est presque considéré comme un égal. C’est le cas de nombreux robots acolytes souvent maladroits et sympathiques. Dans l’univers de Star Wars, les droïdes C-3PO et R2D2 sont les vaillants compagnons du Jedi Anakin Skywalker puis de son fils Luke, prêts à tout pour servir leurs maîtres. C-3PO, le droïde traducteur, côtoie l’homme dans l’essence de la civilisation, en maniant le langage avec excellence. À l’inverse des machines destructrices, ces partenaires sont programmés pour être dans l’incapacité d’offenser un être humain, c’est dans leur nature. Dans Planète interdite (1956), lorsque le docteur Mobius ordonne à Robby le robot de tirer sur un lieutenant, il en est incapable. Pour enfreindre son programme ou refuser d’obéir, son cerveau robotique se trouve face à un dilemme. Il répond aux trois lois de la robotique inventées par Isaac Asimov : Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première Loi. Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.Manuel de la robotique, 58e édition (2058 apr. J.-C.)15 29


16. ASIMOV, Isaac, op. cit., page 192. 17. LUCAS, George, Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir, 1977. Dans ce premier volet de la saga Star Wars, Lucas présente C-3PO, un robot à l’apparence métallique et dorée qu’il appelle droïde de protocole. C-3PO serait presque une proposition masculine à l’androïde Maria.

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Ces lois auxquelles devrait répondre l’ensemble de la robotique, aussi bien dans la fiction que dans la réalité, ne sont pas sans rappeler le droit naturel. Cette notion de dilemme est particulièrement expliquée par une robopsychologue dans la nouvelle « Évasion ! » d’Asimov : « La réaction d’un robot devant un dilemme est surprenante. La psychologie robotique est loin d’être parfaite, je vous l’assure en ma qualité de spécialiste, on peut l’évoquer néanmoins en termes qualitatifs, car malgré toutes les complications introduites dans le cerveau positronique d’un robot, il est construit par des humains, donc conçu en fonction des valeurs humaines16 ». Six ans après l’œuvre de Capek, Fritz Lang met en scène une femme robot dans son film Metropolis, une Ève Future au sombre destin de Frankenstein. Dans ce chef-d’oeuvre du cinéma expressionniste allemand, Fritz Lang établit une véritable esthétique du robot. Dans cette mégalopole futuriste, les ouvriers s’engouffrent tête baissée et d’un pas militaire dans les souterrains de la basse ville pour travailler. Par gestes mécaniques et répétitifs, ils manœuvrent les machines sans relâche pour assurer le bonheur des bourgeois de la ville haute. L’inventeur Rotwang met au point une androïde, une femme-machine à l’apparence métallique qui se déplace par mouvements saccadés. Réalisée en bois par le costumier Walter Schulze‑Mittendorff, cette figure est un modèle pour les androïdes de la science‑fiction. Elle inspirera notamment George Lucas pour le célèbre C-3PO17, droïde mythique de la saga Star Wars. Dans Metropolis, le savant fou promet de donner à sa créature une apparence humaine authentique. Il lui donne le visage de Maria, une jeune femme qui défend le sort de la classe ouvrière. L’image la plus forte du film est certainement celle de cette transformation. Futura, la machine, assise sur une chaise électrique cernée de halos de lumières et de câbles électriques connectés à Maria, allongée dans un cercueil de verre. Dans cette scène à l’esthétique religieuse, une lumière battante au niveau de la poitrine 31


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du robot laisse entendre que le savant lui aurait donné un coeur. Futura n’est à ce moment plus une simple machine humanoïde, c’en est presque une véritable humaine, capable d’agir et de réagir. Brouillant la frontière entre artificiel et vivant, elle personnifie une déshumanisation de l’homme et son remplacement par la machine. Inquiétante et fascinante, Futura peut être considérée comme ce qu’on appelle à partir des années 1960 un cyborg.

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NAISSANCE DU CYBORG 18. WIENER, Norbert, Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, Hermann & Cie Editeurs, Paris, The Technology Press, Cambridge, Mass., John Wiley & Sons Inc., New York, 1948. 19. HOQUET, Thierry, op. cit., page 29. 20. Ibid, page 16 : « Cyborg apparait comme un nom propre, pour lequel s’est imposé le pronom « ille » et dont on dit qu’ « ille » est un « stuff ». » 21. CLYNES, Manfred, KLINE, Nathan, « Cyborg and Space », Astronautics, septembre 1960.

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UN « ORGANISME CYBERNÉTIQUE » Regarder les prédécesseurs du cyborg nous aide sûrement à mieux le comprendre. Il existe au croisement d’imaginaires, de prouesses technologiques et d’une fascination qu’ont les hommes à questionner leur nature. Il est difficile de définir ce qu’est le cyborg et de lui donner un acte de naissance. Ni être humain et ni seulement machine, cette figure complexe aux contours flous évoque la fusion du cybernétique à l’organique, Cybernic Organism. La définition du mot « cybernétique » proposée par Norbert Wiener18 (1894 - 1964) évoque l’idée de pilote, du grec « kubernétès » celui qui sait l’art de gouverner le navire19. Celui qui sait, le Cyborg, serait capable de connaitre, d’agir, peut-être même de penser. Si la science-fiction lui donne une apparence humaine et la science des facultés d’intelligence, la philosophie en interroge son statut comme être. Dans son ouvrage Cyborg Philosophie, Thierry Hoquet propose d’envisager le cyborg ni comme un être, ni comme une machine. Il lui donne une majuscule, et l’envisage comme personnage. Il propose le pronom « ille20 », ni un homme, ni une femme, Cyborg n’en est pas moins un personnage asexué. Définir ce qu’est un cyborg reviendrait à poser la question « Qui est Cyborg ? ». Comme annoncé précédemment, la science-fiction se nourrit des prouesses techniques de son temps. La forme que le cyborg prend alors dans la fiction découle directement de la science. Apparu pour la première fois dans un article de Manfred Clynes et Nathan Line intitulé « Cyborg and Space21 » en 1960, le terme Cyborg se rapporte au fait d’adapter le corps humain à n’importe quel environnement. À l’aube de la conquête spatiale, Clynes et Line pose le problème de l’homme esclave des machines lorsqu’il n’est pas sur terre. Dans l’espace, celui-ci doit s’adonner en permanence à un grand nombre de vérifications et d’ajustements pour rester 35


22. POHL, Frederick, Homme Plus, Éditions Le livre de Poche, 1976. La quatrième de couverture rappelle les recherches de Clynes et Line sur l’homme cyborg dans l’espace : « Pour conquérir les autres mondes, l’homme devra soit les adapter, soit se transformer lui-même. […] Modifié chirurgicalement afin de survivre sur la planète rouge, Torraway est un être et une machine en même temps. Il n’est plus vraiment un homme, pas encore un robot. [… ] L’homme plus appartient-il encore à l’humanité ? ». 23. Se référé au portrait du cyborg par Frédérick Pohl, op. cit., page 39. 24. GEFFETTE, Jérôme, GUÏOUX, Axëlle, LASSERRE, Evelyne, « Approche anthropologique de l’hybridité corporelle biomécanique », Anthropologie et Sociétés, Volume 28, numéro 3, 2004, page 187‑204.

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en vie. L’alternative du cyborg en serait une solution, il fonctionnerait comme une homéostasie robotique qui se ferait automatiquement et inconsciemment. Neuf ans plus tard, l’astronaute américain Neil Armstrong pose le premier pas sur la lune.

LE COUPLAGE HOMME-MACHINE Dans son roman Homme-Plus (1976)22, Frédérick Pohl met en scène un tel scénario. Il en aborde les deux grandes thématiques : la conquête de l’espace et la modification humaine. Dans un futur proche où la survie de l’espèce humaine sur Terre est menacée, les scientifiques proposent de coloniser la planète Mars. Dans l’incapacité de rendre celle-ci tolérable à la vie humaine, ils proposent donc d’adapter le corps humain à celle-ci. Au corps comme châssis sont enlevés, ajoutés, transformés ses organes, sa peau, son sang… Pohl fait du cyborg un portrait 23 glaçant. On remplace les poumons par un système de régénération d’oxygène micro-miniaturisé, on élimine le sang, on remplace les membres par des moteurs, la musculature et les yeux par des appareils, les oreilles par des récepteurs, la peau devient artificielle… L’homme n’a plus besoin de respirer, de manger, il est plus fort, il cours vite, il a une vision incroyable, il est devenu un ensemble d’appareils, un super-héros moderne, un organisme cybernétique. Après de nombreuses chirurgies, le cosmonaute Roger Torraway transformé et mutilé est à mi-chemin entre un monstre de laboratoire et un demi-dieu. Qu’en reste t-il de son humanité ? C’est la question que pose Homme-Plus. Dans un article sur l’approche anthropologique de l’hybridié corporelle bio-mécanique24 , A xëlle Guïoux, Evelyne Lasserre et Jérôme Goffette définissent une telle transformation comme hybridité cumulative : « elle se mêle à la chair, déborde l’organisme, prolonge le corps 37


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d’appendices monstrueux, d’entrelacs difformes ». L’être bio-mécanique de Pohl se caractérise par une esthétique du trop, de l’exagération, de la monstruosité. Le mécanique se mêle à la chair d’une façon grotesque et disproportionnée, le corps en est déformé, étouffé, méconnaissable. Lorsqu’un homme devient cyborg, il existe deux grands cas de figure : une transformation de la nature humaine dans un but d’augmentation, ou une réparation du corps en palliant des déficiences par des objets mécaniques. Roger Torraway appartient à ce premier cas, son corps n’a a priori aucune déficience, les chirurgies le rendent plus performant. Dans son roman Cyborg (1975), Martin Caidin en établit une autre esthétique, avec un héros réparé par la « superscience » Après un accident, l’astronaute Steve Austin perd ses bras, ses jambes et un œil, des expériences cybernétiques sont alors réalisées sur son corps. Si l’œuvre de Caidin anticipe assez bien l’idée de la prothèse bionique, il retrace surtout le parcours émotionnel de Steve face à ses nouveaux membres et son identité fragile d’homme-machine. Steve ne se perçoit pas comme demi-dieu aux capacités incroyables mais plutôt comme un monstre, une bête de foire. Son corps n’est pas aussi grotesque que dans le cas de l’Homme-plus. Quand Steve se regarde dans le miroir, il voit ses jambes bionique, son oeil artificiel, ses bras robotiques, l’omniprésence du mécanique n’est en rien masquée. Selon l’analyse de Guïoux, Lasserre et Goffette, on serait ici dans un cas d’hybridité ajustée : « il est le produit d’un processus tensionnel qui l’oblige à ré-envisager en permanence sa condition. Ni totalement machine, ni pleinement humain, il se confronte à l’impossibilité d’une définition précise de ce qu’il est. » Une autre forme de cyborg est l’hybride simulacre. Il ressemble à un homme par la chair qui enrobe tout son système mécanique qui est dissimulé, caché. Ici, l’homme‑machine est perçu comme un mensonge, une tromperie, une véritable menace pour l’intégrité humaine et son avenir. L’ambiguïté 39


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de cette forme d’hybride réside dans son statut en tant qu’humain. Roger Toraway et Steve Austin sont, à la base, des hommes que l’on a transformés. La remise en question de leur humanité se fait au moment où eux-mêmes doutent de leur identité car ils ne se reconnaissent pas dans leur nouveau corps. Ils conservent cependant leurs capacité de penser et d’être. Dans le cas du simulacre, le cyborg n’a jamais été humain, c’est une machine à laquelle on vient ajouter des tissus vivants. Il ne possède donc a priori pas d’âme ou de cœur. Cette forme d’hybride est notamment appréciée des scénarios dystopiques mettant en scène un conflit entre les hommes et les machines. Dans l’hypothèse d’un futur où les machines prendraient le contrôle de l’humanité, le cyborg simulacre en serait son principal ennemi. Il incarne une véritable machine de guerre qui se mêle à l’homme comme l’un des siens. Entre Replicants, Terminator, Clones mécaniques, cet hybride simulacre est une véritable star des films de science-fiction des années 1980.

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UNE FIGURE STÉRÉOTYPÉE

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T-800, LE MODÈLE AMÉRICAIN Los Angeles, 1984, 1h52. Dans une rue sombre, une brume épaisse cernée d’éclairs bleutés laisse deviner un corps nu accroupi au sol. Un homme à la musculature bodybuildée se lève lentement et scrute les environs. L’air sévère, son regard est dur et ses traits creusés. Le torse bombé, musclé comme un athlète, il s’avance à la rencontre d’un groupe de jeunes marginaux en les imitant de façon machinale et demande avec autorité leurs vêtements. ll soulève avec force l’un des jeunes en l’étranglant viscéralement ; le sang de celui-ci coule sur ses bras. Dans un magasin de fusils et revolvers, il choisit ses armes à feu avec expertise et les manie d’une gestuelle militaire avant de tirer sans pitié sur le vendeur. À la recherche d’une jeune femme du nom de Sarah Connor, il reçoit de nombreux coups et balles qui auraient tué n’importe quel être humain. Ne montrant aucun signe de douleur, il se relève et continue sa quête. Plus tard, dans une chambre d’hôtel, il examine ses blessures et ouvre à l’aide d’un scalpel la chair sanglante de son avant-bras. Il laisse entrevoir un véritable mécanisme d’acier dans son membre qu’il répare d’une expertise presque chirurgicale. Face au miroir, il analyse son image et y découvre son œil blessé. À l’aide d’une lame et de ses propres mains, il retire le globe oculaire et le laisse tomber dans l’évier ensanglanté. Il arrête le saignement avec un linge et dévoile un œil mécanique doté d’un laser rouge. Sous la chair suintante on devine un crâne d’acier inquiétant. Vêtu d’un Perfecto en cuir à l’allure Rock des années 1980, il entre dans un poste de police, armé jusqu’aux dents, sur les traces de Connor. Sans la moindre hésitation, il tire violemment sur quiconque se trouvant sur son passage. Il semble invincible faces aux mitraillettes des policiers et ne montre aucun signe de faiblesse. Après une course poursuite avec Sarah, une bombe de nitrogène le met à terre et l’enflamme. Ses tissus vivants brûlés, il n’en reste 43


25. CUIR, Raphaël, « Généalogie d’un stéréotype », Art Press 2, numéro 25 « Cyborg », mai 2012, page 8.

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plus qu’un endosquelette d’acier massif se déplaçant d’un pas saccadé. Il ne reste plus rien d’humain à cette véritable machine à tuer. De son nom T-800, il incarne l’une des figures les plus connues du cyborg. Mis en scène en 1984 par Matt Cameron, le Terminator est un être presque indestructible. Le cinéma américain des années 80 fait de l’homme‑machine l’une de ses figures favorites, le Terminator en est certainement une des plus fortes. Son esthétique reste encore aujourd’hui un modèle essentiel du cyborg, bien que Verhoeven en peint une image assez repoussante. La forme qu’il prend est exagérée, imposante, grossière. Dans un article pour ArtPress, Raphaël Cuir y trouve un grand nombre de clichés réducteurs, du « super-héros blanc hyper viril » stéréotypé au « cyborg high-tech hyperpuissant et macho25 ». Le modèle américain du cyborg, cette star des blockbusters, en serait presque vulgaire dans son machisme exacerbé. Les imaginaires américains ont souvent interrogé la nature du corps humain en dépassant ses limites avec l’abondance des superhéros dans les comics dés les années 1930. Dans cette mythologie du surhumain, la technologie est parfois responsable d’augmentations humaines ; un certains nombre de cyber-héros sont reconnus parmi ces fameux mutants. Parmi Dr Octopus (Spiderman), Cable (X-Men), Cyborg (The New Teen Titans), un exemple fort reste l’Iron Man de Stan Lee, qu’il dessine dés 1963. Tony Stark n’a pas de capacités surnaturelles, ses pouvoirs résident dans l’incroyable armure technologique d’or et de titane qui fait de lui un super-héros. Trois ans après la sortie de Terminator, Paul Verhoeven met en scène RoboCop, une nouvelle image forte d’un homme quasiment indestructible. L’agent Murphy est terriblement mutilé après une mission qui a mal tourné ; il ne reste de son corps qu’une dépouille de chair ensanglantée. Après de nombreuses expériences, la science lui sauve la vie à l’aide de prothèses : les restes de Murphy fusionnés à la robotique font de lui un policier du futur. Cependant, la prothèse ne 45


26. HOQUET, Thierry, op. cit., page 10.

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joue pas seulement un rôle réparateur pour RoboCop. Quand le responsable de l’expérience décide de remplacer ses bras toujours intacts par une prothèse bionique et de lui enlever sa mémoire, l’acier vient substituer l’organique dans un but d’augmentation. Pour Thierry Hoquet dans Cyborg Philosophie, RoboCop est un individu dépouillé de sa personne, une marque de fabrique débarrassée de sentiments : « Le policier de l’avenir ne doit pas s’encombrer de ces choses pesantes et perturbantes que sont les pensées et les émotions. La mélancolie n’est pas du monde de Cyborg. RoboCop a donc été rendu public : on s’est employé a supprimer tout ce qu’il pouvait y avoir de personnel en lui26 ». RoboCop matérialise cette frontière fragile de l’humanité. On en revient encore à la monstruosité de l’homme de laboratoire, même si ici, le monstre prendrait une forme high-tech plus séduisante. Au cœur du cyborg réside un perpétuel dualisme. Dans le film de Verhoeven, cette dualité identitaire que nous avons déjà mentionnée avec Homme-Plus est d’autant plus mise en scène avec les personnages de Murphy et RoboCop qui sembleraient se partager un même corps. L’hybridation de la chair à l’acier ne serait qu’une métaphore imagée d’une sorte de personnage bipolaire presque schizophrène due à un manque de liberté. Libertés d’être et d’agir, Murphy les a perdues lorsqu’on a fait le choix de le transformer en un produit dont les moindres faits et gestes ont été programmés et pistés. Quand Murphy retrouve quelques images de sa mémoire effacée, il part sur les traces des gangsters et découvre que son supérieur est responsable de son sort. Murphy, avec ce qu’il connaît de la morale, veut arrêter celui-ci pour rendre justice, mais RoboCop en est incapable car il n’est pas programmé pour cela. Le Cyborg semblerait avoir une destinée peu enviable. Thierry Hoquet en fait une définition par défaut : « défaut d’humanité, défaut de liberté, défaut de pensée, défaut de perfection organique. Cyborg est un produit marchand, un dispositif pour remplir efficacement des fonctions, un esclave 47


27. HOQUET, Thierry, op. cit., page 11. 28. GEFFETTE, Jérôme, GUÏOUX, Axëlle, LASSERRE, Evelyne, op. cit., paragraphe 8.

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des puissants, l’incarnation de l’application inflexible à la règle (une justice sans états d’âme et sans émotions)27 ». Dans ces fictions, Cyborg est souvent adulé avant d’être rejeté. À la pointe de la technologie, il incarne la promesse d’une humanité utopique. Les hommes le regardent avec espoir avant de s’en inquiéter et le mettre de côté. Peut-on lui faire confiance ? Après tout, il a été créé par les hommes, pour les hommes. Cependant, contrairement au robot, on aurait donné au cyborg une pointe d’humanité et d’intelligence, que l’homme ne peut plus contrôler. Le cyborg revient alors à un statut d’esclave moderne.

GHOST IN THE SHELL, LE MODÈLE JAPONAIS De l’autre côté du Pacifique, le rapport à la technologie est au cœur de la fiction japonaise, et l’homme-machine y prend un sens complexe et unique. D’une lourde histoire traumatisée par les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, la culture japonaise regarde la science d’un œil critique et méfiant. Osamu Tezuka questionne cette ambigüité dans ses mangas et dresse un portrait glaçant du progrès : s’il devait être bénéfique aux êtres humains, il est devenu une source de souffrance. La culture manga est directement liée à la façon dont les japonais se rapportent à la science et à la technologie et son histoire est intimement liée à celle des robots et cyborgs. « L’imagerie nippone nourrit de ses débordements et de ses fantaisies graphiques l’illustration futuriste des corps dénaturés, réassemblés au gré des caprices et des nécessités de la techno-science28 ». Cette dualité entre l’homme, son environnement et les machines, est questionnée par Tezuka dans son célèbre manga Astro, le petit robot où il met en scène dès 1952 un super-robot humanoïde qui défend les hommes des machines diaboliques. Astro, créé à l’image du petit garçon de son inventeur, agit comme une interface entre ces deux cultures afin d’y instaurer une sorte d’harmonie. 49


29. GEFFETTE, Jérôme, GUÏOUX, Axëlle, LASSERRE, Evelyne, op. cit., paragraphe 16 : « Ici, la rencontre entre les deux entités – humaine et machine – s’effectue de façon momentanée et limitée. Les deux êtres ne partagent pas de nature commune. Ils appartiennent chacun à des mondes distincts voire antagonistes. Ce n’est que lorsque l’un se fait hôte de l’autre – généralement, l’humain habite le robot – que naît une créature tierce, devenant le prolongement d’un mélange improbable. » 30. ALLOUCHE, Sylvie, conférence « Cyborgs et méchas dans l’animation manga japonaise », Paris, Le Cube, 23 novembre 2013. http://www.dailymotion. com/video/xfzo2g_ conference-1-2-cyborgsmechas-23-11-2010_ creation 31. Ibid, 33.41 min : « accord un peu mystique qui se fait avec des histoires cérébrales […] Il y a quelque chose qui se passe et qui va au-delà de la simple 50

manipulation de manette, il y a un accord, peut-être comme un accord musical qui se créer entre le pilote et la machine. C’est seulement si l’accord est correctement créé que l’interaction est possible ».


Dans les années 60, une nouvelle forme d’homme‑machine apparaît dans les mangas et animés japonais. Le mécha, véhicule humanoïde à mi-chemin entre le robot et le char, est dirigé par un homme se trouvant à l’intérieur. Il incarne une forme de cyborg propre aux imaginaires japonais et donne une nouvelle esthétique de l’harmonie entre humanité et machine. Une principale caractéristique de cette union est sa temporalité : le cyborg ne prend forme que lors de la fusion des deux entités (humaine et mécanique), qui ici n’est que momentanée. L’homme et la machine sont bien distincts et ne travaillent ensemble que ponctuellement en prenant la forme du mécha. A xëlle Guïoux, Evelyne Lasserre et Jérôme Geffette parlent de cette hybridation comme une fusion momentanée29. Lors de sa conférence au Cube en 201330, Sylvie Allouche décrit les différentes formes de méchas que l’on peut trouver dans l’animation japonaise. Dans les animés Goldorak et Mazinger Z, le mécha prend la forme d’un « véhicule passif », le pilote y est bien distinct de la machine. Il est ici un gigantesque robot de combat contrôlé de l’intérieur par diverses manipulations. Dans la série Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, les méchas voués à transporter les cyborgs ont la particularité de pouvoir ressentir et d’éprouver, Allouche les appelle « les méchas véhicules sentients ». La série Neon Genesis Evangelion met en scène une relation mystique31 entre le véhicule (EVA) et le pilote. Seule une symbiose spirituelle parfaite entre les deux acteurs permet à ceux-ci de fusionner pour un moment limité. Malgré une apparence massive et mécanique, les EVA s sont des humains de synthèses et seraient de nature organique. « Tous les hybrides évoqués ici se confrontent à des expériences identitaires plus ou moins douloureuses. […] tous éprouvent l’impossibilité de se définir en tant qu’individualité unifiée, constituée. Cette difficulté peut être rattachée au fait 51


32. GEFFETTE, Jérôme, GUÏOUX, Axëlle, LASSERRE, Evelyne, op. cit., paragraphe 24. 33. Ibid, paragraphe 15. 34. CUIR, Raphaël, op. cit., page 9.

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que chacun d’entre eux est condamné à subir une identité qu’il n’a pas choisie. Kusanagi, Tetsuo, les pilotes d’Evas se voient tous contraints d’assumer un rôle qui les dépasse et que, le plus souvent, la techno-science ou un destin tragique, une circonstance malheureuse liée cependant au contexte d’une modernité déshumanisée, leur ont assigné de force32 ». Ces expériences identitaires sont questions communes aux problèmes auxquels est confronté le cyborg dans la fiction. Le film d’animation cyberpunk Ghost in the Shell (1995) de Mamoru Oshii met en scène un cyborg de sexe féminin, le Major Kasanagi, traquant une intelligence artificielle cybercriminelle appelée Puppet Master. Le ghost, soit fantôme, représente l’esprit humain gardé dans l’enveloppe mécanique shell. « Le major Kusanagi, tout au long de Ghost in the Shell, est hanté par la définition de son appartenance au monde de l’humain ou de la machine. Au terme de sa quête, elle finira par accepter l’instabilité de sa nature en renvoyant à sa part d’humanité la transitivité nécessaire de son enveloppe corporelle33 ». Le film ouvre sur la fabrication du corps cyborg de Kasanagi dans un liquide, où les couches de chairs, câbles, métal s’entremêlent jusqu’à devenir indissociables. Le corps féminin devient parfaitement lisse, et réponds aux stéréotypes sexualisés que l’on trouve généralement dans les manga, comme « produit du fantasme masculin34 ». L’artiste japonaise Mariko Mori s’est également emparée de la figure du cyborg comme caricature de ces stéréotypes liés au genre, en se mettant théâtralement en scène dans des espaces publics. Le cyborg de Mori est une chimère de sensualité et de fiction inspirée de la pop culture japonaise, entre cosplay, animés et jeux vidéos. Elle aborde des tenues de guerriers cybernétiques, où elle se donne l’apparence d’un robot au sourire béat.

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II L’émergence d’une alterhumanité mécanique

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LE ROBOT SUR LE MODÈLE DE L’HOMME

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Le cyborg incarne donc une relation complexe entre les hommes et les machines par une hybridation sophistiquée et physique. Son prédécesseur, le robot humanoïde y révèle déjà une relation ambiguë. L’humanité donne à son esclave mécanique une apparence qu’il connaît et qui lui ressemble. On reconnaît souvent dans le robot des éléments qui nous sont propres : une tête, des yeux, une bouche, des membres articulés, on lui sculpte l’apparence de muscles dans l’acier et on lui met des antennes à la places des oreilles. Comme une véritable transposition de l’être humain dans ces machines, l’imaginaire joue au prométhée et sculpte les images des robots en partant d’un canevas humain et en lui rajoutant armure solide et gadgets high-tech. La science-fiction est à prendre au sérieux : elle établit les attentes, anticipations et crée une véritable esthétique pour la science. Depuis les années 80, la firme japonaise Honda est engagée dans la recherche sur les robots humanoïdes. Depuis le début des années 2000, elle a développé plusieurs prototypes de robots appelés « ASIMO » basés sur un mimétisme de l’homme : ils parlent, ils marchent, ils peuvent utiliser leurs dix doigts avec précision… Créé pour aider l’homme dans les tâches les plus domestiques et banales, Asimo serait un compagnon de vie avec lequel on interagirait quotidiennement, créant une relation nouvelle, amicale et toute particulière, à l’image du scénario de I, Robot. Bien que les comportements d’Asimo sont surprenants de réalisme, il n’a pas (encore) la capacité d’agir et d’évoluer par lui-même. C’est le cas d’un robot développé par DeepMind, une société rattachée au groupe Google, qui serait capable d’apprendre par l’observation et l’expérience. Doté d’une intelligence artificielle, ce petit robot peut évoluer par lui-même en côtoyant des humains, en les imitant et en interagissant avec eux. Ces compagnons bienveillants sont acceptés comme tels car conçus dans l’unique but de servir. S’ils sont façonnés à l’image et selon les valeurs humaines, leur apparence métallique réconforte : ce n’est qu’une machine. Dans les 57


35. SADIN, Éric, L’humain augmenté, L’administration du numérique du monde, Paris, Éditions L’Échapée, 2013, page 129. 36. Se référer à la publication en ligne de l’étude « Robots with Display Screens: A Robot with a More Humanlike Face Display Is Perceived To Have More Mind and a Better Personality » menée par Elizabeth Broadbent en 2013, http:// journals.plos.org/plosone/ article?id=10.1371/journal. pone.0072589

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histoires d’Isaac Asimov, les hommes n’aiment pas être face à des machines qui leur ressemblent trop, quand l’illusion de la chair est trop juste, ils sont fuis et craints. C’est le cas dans la nouvelle Evidence qui met en avant une sorte de technophobie, un malaise qu’on peut avoir face à quelqu’un d’artificiel mais trop réel. Lorsque la différence entre machine et vivant devient floue, difficile et même impossible, le robot n’est plus qu’un simple reflet déformé et déséquilibré de la réalité, il devient un presque-clone angoissant. Bien que le cyborg est communément défini comme un homme transformant son corps par la technique en y ajoutant composants et matières artificiels, il semble fondamental de tout autant considérer le chemin inverse. « Comme souvent avec la cybernétique il est difficile de décider si ce sont les machines qui sont humanisées ou les vivants qui sont pensés comme des machines35 ». Ainsi, après un siècle d’histoires, images et révolutions, le robot mécanique à été admis et n’est plus tant que ça source de confusion dans les esprits. S’il était symbole de progrès et d’inquiétudes, il en devient une figure banale et convenu. Aujourd’hui, c’est l’androïde ultra-réaliste qui nous rend confus, car il est à la frontière du vivant. En 2013, Elizabeth Broadbent, docteur en psychologie à l’université d’Auckland à mené une étude pour savoir si ces machines qui nous ressemblent nous sont plus séduisantes où repoussantes36. Pour faciliter l’insertion grandissante de ces machines dans nos sociétés elles doivent être acceptées afin que l’interaction homme/machine soit des plus naturelles possibles. Soixante pourcents des personnes ayant participé à l’étude se sentent plus à l’aise avec une interface à l’apparence humaine tant que l’esthétique de la machine est toujours présente. Comme dans les histoires de science‑fiction, les hommes ressentent un sentiment d’inquiétante étrangeté face à une machine à l’apparence trop réelle. Ce sentiment de gêne a été étudié par le roboticien Masahiro Mori en 59


37. Le site internet de l’entreprise Hanson Robotics promet un futur techno-utopiste grâce à des interactions plus riches entre les hommes et les robots : « Our mission is to create a better future for humanity by infusing artificial intelligence with kindness and compassion, achieved through millions of dialogs between our robots and the people whose lives they touch », http://www. hansonrobotics.com/about/

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1970 par sa théorie « The Uncanny Valley ». Selon Mori, lorsque le robot atteint un certain stade de réalisme, chaque imperfection qui trahirait cette fausse-réalité (un bruit mécanique, une voix trop robotique, des mouvements saccadés…) induirait un rejet psychologique pour l’homme. Les robots par Hanson Robotics37 sont créés de sorte à être esthétiquement ultra‑réalistes, en mimant les 62 muscles du visage humain ; ils envisagent une relation de confiance et de compassion entre les hommes et leurs machines. On entrerait donc dans une phase ou l’on donnerait à nos machines électriques la faculté d’être autonomes, de communiquer et de prendre des décisions. Une nouvelle forme de vie parallèle à notre humanité apparaîtrait dans notre réalité. Si la machine devient humaine et l’humain devient machine, les acteurs d’une telle société sont-ils tous cyborg ? Peut-on alors différencier l’artificiel du vivant ?

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UNE HUMANITÉ ARTIFICIELLE « J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. » Roy Batty, Blade Runner, Ridley Scott, 1982.

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38. Éric Sadin parle de « socialité des robots numériques » dans son livre L’humanité augmenté, l’administration du numérique au monde, page 131. 39. Le test de « VoightKampff », forme très avancée du détecteur de mensonge, est souvent comparé au Test de Turing créé en 1950 pour différencier une intelligence artificielle de celle d’un homme.


L’EXEMPLE DES REPLICANTS Si les machines nous ressemblent parfaitement et que nous finissons par agir comme des machines, il n’y aurait a priori plus de distinction entre ces deux acteurs ; le cyborg agirait comme une métaphore de cette dualité. On en revient à la question identitaire du cyborg, mentionnée plus tôt avec des œuvres de Frederick Pohl et Martin Caidin : qui est le cyborg ? Qu’en est-il de sa « socialité 38 » et de son rapport à l’autre ? Les hommes mécaniques sont-ils sensibles ? L’oeuvre de Philip K. Dick Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1976) aborde tout particulièrement cette question identitaire et notamment celle de l’empathie. Ridley Scott en reprend librement le scénario pour le mettre à l’écran en 1982 dans son film Blade Runner, une véritable référence du mouvement cyberpunk. Dans un futur proche, une grande partie de la population vit dans des colonies, sur d’autres planètes. L’entreprise Tyrell Corporation fabrique des Replicants, des androïdes créés à partir de l’ADN humain considérés comme esclaves modernes ; suite à une révolte sur l’une des colonies, ils ne sont plus acceptés sur Terre. Si les androïdes plus anciens ne sont pas une réelle menace, les Replicants plus récents révèlent une perfection technique de reproduction artificielle de l’homme. N’ayant pas de sentiments, l’unique moyen de les identifier est le test de « Voight-Kampff 39 », un série de questions provoquant une réponse émotionnelle chez l’humain. Cependant, ces androïdes plus perfectionnés ont développé une sorte de conscience : ils portent un regard sur le monde qui les entoure et leur place dans la société. Ils ont développé leur propre réponse émotionnelle et montrent une certaine forme d’empathie : la tristesse du Replicant Roy lorsqu’il trouve le corps retiré de Pris révèle une forme d’attachement et d’amour pour l’autre. 63


40. LE BRETON, David, L’adieu au corps, Paris, Éditions Métailié, 1999, page 193. 41. MOLIA, FrançoisXavier, « Marionnettes et répliques dans le cinéma hollywoodien contemporain », SCHIFANO, Laurence (dir.), La vie filmique des marionnettes, Paris, Presse Universitaire de Paris Ouest, 2008. 42. MOLIA, François-Xavier, op. cit., paragraphe 4.

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« On leur a injecté chimiquement une mémoire fictive qui leur donne le sentiment d’avoir eu une enfance, des parents, une histoire. Quant à leur corps, la synthèse est sans défaut et plus rien ne le distingue de celui de l’homme, même la douleur. Seul l’empathie dessine une ligne de partage radicale, mais comme les répliquants la simulent à la perfection, seul le test révèle le secret de leur existence. Le film semble montrer que la plus grande humanité est celle des androïdes. Suis-je un homme, suis-je une machine ?40 ». Leur sort semble pourtant peu enviable, leur génome artificiel et leur numéro de série font d’eux des créatures asservies mais leur nouvelle conscience aspire à une vie plus humaine. Pour pallier à cette soif de liberté, la Tyrell Corporation a réduit leur durée de vie à quatre ans. Quatres Replicants du modèle très perfectionné « Nexus-6 » regagnent la Terre à la recherche de leur créateur afin d’allonger leur vie et revendiquer leur humanité. Dans son texte « Marionnettes et répliques dans le cinéma hollywoodien contemporain41 », Francois-Xavier Molia propose de regarder ces Replicants comme figures angéliques dont le libre-arbitre susciterait la sympathie du spectateur : Roy et Pris seraient des anges déchus dans un monde ténébreux. Roy Batty meurt en héros, après avoir sauvé l’agent Deckard, et fait face à son sort de machine : il est temps de mourir. Sous la pluie, son corps lumineux s’affaisse et libère une colombe, il « meurt en position de Christ 42 ». Il dévoile la preuve de son humanité, enfin acceptée : « Il a aimé la vie plus que jamais, pas seulement sa vie, la mienne, celle des autres ». La présence de la technologie reste latente, comme un sous-entendu simulacre, elle réside dans le dualisme techno‑humanoïde identitaire des Replicants. Le personnage de Rachel en est particulier : elle ignore ne pas être humaine. Ayant reçu une mémoire implantée, elle se considère humaine 65


43. Ibid, paragraphe 5.

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et développe des sentiments amoureux pour Deckard. Ceci supposerait une union possible entre humains et machines, une telle analogie poserait le cyborg au statut d’égal. Toutefois, la séparation ontologique entre les hommes et les machines n’est pas effacée. Cette rupture est particulièrement figurée par la mort de Pris : « Jeté à terre, le corps artificiel est alors pris de soubresauts mécaniques et ses jambes battent frénétiquement le sol. La créature, en perdant le contrôle de son propre corps, révèle sa dimension objectale. La chair synthétique du cyborg signale crûment son artifice. Pris est alors rendue, dans ce moment de vérité qu’est l’agonie, à sa nature de marionnette pervertie, qui se rêvait humaine43 ». Le Replicant trouble la relation hiérarchique entre homme et machine et en bouleverse une binarité convenue entre naturel et artificiel. Libéré de son statut d’esclave et agissant comme une créature sensible, le cyborg invite donc à réfléchir à une relation affective et se propose comme un équivalent.

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LA VIE DES HUMANOÏDES « Les relations que l’homme entretient avec les machines sont complexes et ambiguës, tissées de haine et d’amour […] Nous avons besoin de nos machines et en même temps nous les craignons. Il en résulte une mention qui s’exprime le mieux dans la science-fiction. » Silverberg, Des hommes et des machines, 1973

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44. BURTON, Tim, Edward aux mains d’argent, 1991. 45. MOLIA, François-Xavier, op. cit., paragraphe 15.


LE CYBORG PLUS HUMAIN QUE L’HOMME Les œuvres de Tim Burton sont bien souvent habitées par des créatures étranges, marionnettes, monstres auxquels il donne une certaine sensibilité mélancolique. Son bestiaires regorge de personnages hybrides entre animal, humain, machine et monstre, il révèle quelques vérités contrariantes de nos sociétés. Souvent, le monstre est bien plus humain que l’homme et agit comme une sorte de critique poète de notre condition. Edward44, ce fameux cyborg aux mains d’argent reconsidère les valeurs traditionnellement attachées à l’homme et à la machine comme un miroir inversé. Enfermés dans des activités répétitives, les hommes biologiques ont des vies ternes et perverties tandis que l’homme fabriqué est un rêveur solitaire et inspiré. Son créateur étant décédé avant d’avoir pu finir son apprentissage, Edward reste au statut de presque-homme : il n’est pas fini. Bien que ses mains sont des armes tranchantes, il les détourne en moyen de création et d’expression : il transforme les arbustes, cheveux, animaux et blocs de glace en œuvres d’art. Amoureux de la jeune Kim, Edward préfère s’en éloigner pour ne pas la blesser plutôt que d’agir dans son propre intérêt. Dans une telle société, sa générosité est finalement son plus grand défaut. De son innocence et ses rêveries, la bonté d’Edward est interprété comme monstrueuse par les hommes : « L’homme fabriqué ne risque pas de s’immiscer dans le monde des hommes biologiques, parce qu’il est irréductiblement différent et voué, comme le monstre de Frankenstein, au rejet et à l’exclusion […] C’est l’homme qui se réifie et la créature qui affirme sa liberté45 ». Edward personnifie avec excellence la machine sensible.

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46. Hoquet, Thierry, op. cit., page 36. 47. SPIELBERG, Steven, A. I. Intelligence Artificielle, 2001.

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L’ANDROIDE SENSIBLE Dans sont livre Cyborg Philosophie, Thierry Hoquet pose la question : « Cyborg est-ille alors un partenaire pour briser notre solitude ?46 ». Le cyborg existe dans un entre-deux, entre compléter et remplacer, pour pallier quelque chose, ou combler un manque. Dans A.I. Intelligence Artificielle 47, les androïdes existent aussi bien pour combler un manque affectif que sexuel. Le film ouvre sur un constat : l’être artificiel est une réalité de perfection technique, un « parfait simulacre ». Androïde, cyborg, Replicant, et ici Mécha, nous avons rencontré dans de nombreux exemples ce semblable de nature artéfactuelle ; A.I. l’augmente par la question de l’amour. Dans une salle de réunion, le directeur de l’entreprise Cybertronics dresse le portrait de leur nouvelle création : « je propose que nous construisions un robot capable d’aimer ». L’amour serait alors la nouvelle forme de simulacre, comme créateur de conscience et d’intuition. Un super-enfant mécanique capable de rêver, toujours aimant et jamais malade. Telle est la proposition de Cybertonics pour pallier à un problème social important : une législation trop stricte des grossesses. Le film pose alors une question conséquente : si un robot peut aimer une personne, un humain peut-il aimer le robot en retour ? « Mais Dieu n’a t-il pas créé Adam pour être aimé de lui ? » David, pinocchio moderne, est adopté par une famille pour remplacer leur enfant dans le coma. Arrivé dans la famille, David engendre une sorte de choc traumatique, l’idée de remplacer son propre enfant par une machine semble inconcevable, amorale. Provoquant un rejet psychologique proche de celui décrit par la « théorie de la Vallée dérangeante », le mécha semble être une gêne, une menace à l’intégrité familiale. L’enfant robot, qui cherche sa place au sein de la famille, semble souffrir de sa différence et se met en compétition avec les autres enfants humains. 71


48. MOLIA, Franรงois-Xavier, op. cit., paragraphe 19.

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David développe un amour inconditionnel pour sa mère et s’il est un temps accepté et considéré comme un membre de la famille, il sera finalement écarté puis abandonné. C’est finalement avec les autres méchas abandonnés qu’il se sentira comme au sein d’une famille, où chacun se soutient dans son sort de robot obsolète et délaissé. « […] Artificial Intelligence, qui montre avec empathie la vie clandestine des gentils robots périmés, nouveaux exclus du monde technologique48 » Gigolo Joe, un Mécha romantique programmé pour satisfaire les désirs sexuels de femmes seules, a bien compris leurs tristes destinées de robots. C’est avec une certaine mélancolie qu’il explique à David qu’ils sont voués à être remplacés. Si David garde une certaine innocence enfantine, Joe semble avoir un regard plus froid sur le monde, comme si ses expériences avaient fait de lui un être amer et réaliste. Selon lui, l’attachement qu’ont les hommes pour leurs machines a une date de péremption, il ne s’agit en aucun cas d’amour. Pour gagner le respect des hommes, les machines rêvent d’un avenir plus biologique. Comme Edward, cyborg non fini, David souhaitant être un véritable petit garçon ou les robots ménagers de Bicentennial Man qui rêvent de devenir un jour humain, l’androïde agirait ici comme une étape du non fini vers le stade non-atteignable de l’humanité. Est-il alors capable d’aimer une machine comme on aime un homme ? La machine peut-elle combler un manque humain ? Non, a priori. C’est pourtant le portrait que dresse le film Her (2013) où Spike Jonze met en scène la solitude moderne de Théodore, presque dépressif dans une mégapole technologique où l’on commercialise les sentiments. Ayant acquis un programme informatique ultra-sophistiqué, il brise sa solitude en communiquant avec Samantha, une intelligence artificielle. Une relation amoureuse étonnante s’installe, entre le corps de Théodore et la voix de Samantha. C’est avec humour que la série américaine The Big Bang Theory propose de regarder ces nouveaux comportements que nous 73


49. DICK, Philip K., op. cit., page 66.

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avons avec nos technologies aujourd’hui. Dans l’épisode 14 de la saison 5, Raj, jeune astrophysicien incapable de parler à une femme, se complaît d’une relation amoureuse avec Siri, l’application informatique de commande vocale de son iPhone.

PENSÉE ET MACHINE « Un jour viendra peut-être où un être humain qui aura tiré sur un robot sortant des usines de la General Electric verra à son grand étonnement ce dernier verser du sang et des larmes. Et le robot mourant pourrait tirer à son tour sur l’homme, et à son plus grand étonnement, voir un filet de fumée grise s’élever de la pompe électrique qu’il pensait être le coeur battant de l’homme. Voilà qui serait un grand moment de vérité pour tous les deux49 ». Ici, le robot de Philip K. Dick dépasse la simple figure de projection et devient pour l’homme une sorte d’alter-égal, un analogue mécanique. Une alter-égalité entre acteurs organiques et artificiels serait alors possible par la capacité qu’auraient les machines à pouvoir être sensibles et intelligentes. Si dans ces histoires de science-fiction elle se manifeste par l’amour ainsi que la capacité d’éprouver des sentiments, certains considèrent plutôt l’intelligence comme argument d’égalité. Qu’elle soit artificielle ou non, l’intelligence serait la clé d’une conscience de soi. Reprenons l’exemple de Blade Runner : les Replicants, androïdes sensibles et intelligents engagent une révolte pour leur liberté. Selon Alain Turing, on peut parler d’intelligence lorsque un humain ne fait plus la différence entre un interlocuteur humain et artificiel. Il propose en 1950 dans son texte Computing machinery and intelligence le test de Turing afin de poser la question : « une machine est-elle capable de penser ? ». Le test consiste en une série de conversations entre acteurs humains et un ordinateur ; lorsque l’homme est 75


50. ANDERSON, Alan Ross (dir.), GUIÈZE, Gérard, Pensée et machine, (Minds and Machine, 1964), Champ Vallon, 1983, page 37. 51. Hilary Putman cité par David le Breton dans L’adieu au corps, page 194.

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incapable de faire la différence entre les deux, la machine est alors considérée comme intelligente. Dans son ouvrage Pensée et machine, Alan Ross Anderson invite à questionner cette potentielle analogie entre homme et machine, en rassemblant des textes de vierges auteurs, parmi eux le philosophe Hilary Putman, l’informaticien Alain Turing ou encore le philosophe Paul Ziff, proposant des avis très opposés sur la question. Anderson explique ces deux cas de pensées extrêmes : « 1. — Nous pourrions dire que les êtres humains sont simplement des mécanismes d’horlogerie très élaborés, et que le fait que nous ayons un « esprit » est simplement une conséquence du fait que le mécanisme est très élaboré, ou bien, 2. — nous pourrions dire que toute machine est simplement un produit de l’ingéniosité humaine, et que, bien que nous ayons un esprit, nous ne pouvons transmettre ce trait particulier à quoi que ce soit, à l’exception de notre descendance : aucune machine ne peut acquérir cette caractéristique uniquement humaine50 ». Pour H. Putman, « le fait que le robot ou la machine soit composé de matière inorganique et conçu dans un atelier de fabrication n’est pas une objection à son incapacité de posséder le sentiment de soi51 ».

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1. Robocop est une figure militaire et masculine du cyborg popularisée par le cinéma américain des années 1980. 2. Dans Star Wars, le corps cyborg qui maintient Dark Vador en vie apparait comme une métaphore de son passage du côté obscur de la « force ».

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3. Apparu dans La planète interdite, Robby le robot est devenu une véritable icône de la science-fiction. 4. Le robot du film Le roi et l’oiseau de Paul Grimault prend la figure du penseur de Rodin. 5. L’humanoïde fait la couverture des Scoops magazines dans les années 30.

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6. Dans Metropolis, Fritz Lang établie une véritable esthétique de l’androïde.

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7. Les méchas de A.I. Intelligence Artificielle, escaves modernes, sont des « simulacres parfaits ». 8. La genèse du corps lisse et sexualisé du cyborg dans Ghost in the Shell induit véritable naissance. 9. Dans son oeuvre Play with me, Mariko Mori est vêtue d’une armure en plastique, entre le samouraï, le robot et la poupée.

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10. Chris Cunningham met en scène une sensualité mécanique dans le clip All is full of love de Bjork. 11. L’androïde de Ex Machina, fascinée par la sensualité féminine, rêve d’un corps de chair et de sang. 12. Le bras ouvert de Luke Skywalker dans La guerre des étoiles est l’exemple d’une esthétique cyborg mécanique.

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13. Les bodyhackers exérimentent les chairs et piratent le corps humain : Tim Cannon s’est implanté une puce cybernétique dans le bras. Connectée à son smartphone, elle collecte les données biométrique de son corps. 14, 15. Le Terminator révèle son hybridité simulacre lorsqu’il répare son corps abimé, dévoilant son exosquelette d’acier.

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16. L’astronaute Bowman dans le centre nerveux de l’intelligence artificielle HAL‑9000 dans 2001, L’odysée de l’espace.

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17. Dans Matrix, le corps se dédouble dans une simulation du monde réel et devient une projection mentale du moi-digital. 18. Les google glass (ici un prototype) induisent une invasion technologique dans le quotidien, comme une nouvelle prothèse connectée extérieur au corps.

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19, 20, 21. Le corps est un véritable laboratoire pour le scientifique Kevin Warwick. Implanté de matière cybernétique, il se considère comme le premier cyborg.


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III LE TECHNOCORPS DU XXIE SIÈCLE

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d’uniformes pour cyborgs, les vêtements de Mugler mettent délibérément en avant cette relation à la mort, socle de toute mode. Le corps y est contraint, rigidifié par une dure carapace. Aussi futuriste soit-elle, cette imagerie 53. MICHAUD, Thomas, ne s’en réfère pas moins Télécommunications et à l’antique tradition du science-fiction, Paris, corset. Comme les corsets, Marsisme, 2008. Page 176 : les créations de Mugler « Les exosquelettes sont solidifient les parties des combinaisons similaires molles, créant une sorte à des armures développées d’exosquelette – une version principalement par bis du système osseux, les militaires pour se rappel de la seule partie du protéger ou rendre plus corps humain qui demeure performants les soldats. longtemps après le trépas ». Ils leur permettent d’évoluer dans des milieux dangereux et de mieux connaître les territoires grâce à une connaissance précise du milieu décrit par des satellites en orbite terrestre. Les exosquelettes sont les armures modernes et équipent les nouveaux chevaliers ». 52. GOFFETTE, Jérôme, « De l’humain réparé à l’humain augmenté : naissance de l’anthropotechnie », KLEINPETER, Édouard (dir.), L’humain augmenté, Paris, CNRS Éditions, 2013, page 85.

54. GARELICK, Rhonda, « La mode et le cas Thierry manfred Mugler », Art Press 2, numéro 25 « Cyborg », mai 2012, p.58 : « Avec leur allure robotique 98


Dans son texte sur la naissance de l’anthropotechnie52, Jérôme Goffette fait un constat : « Entre 2000 et 2010, la réflexion sur l’homme augmenté est passée du confidentiel à une forte visibilité ». Homme augmenté, l’un des nouveaux pseudonymes apparentés au cyborg, est l’un des plus utilisés à partir des années 2000. L’homme amélioré de technologies n’est pourtant pas nouvelle, c’est surtout dans le domaine militaire que la recherche cybernétique croise le corps humain dans un but de performance : grâce à un exosquelette 53, le soldat-cyborg peut porter des charges lourdes, se protéger et s’adapter à divers environnements. En février 2000, Kevin Warwick fait la couverture de Wired, un magazine américain techno-utopiste qui titre son article Cyborg 1.0 : Kevin Warwick prévoit de ne faire qu’un avec son ordinateur. En 1998, une puce implantée dans son bras et connectée au système informatique de l’université de Reading fait de lui le premier cyborg. C’est avec l’avancée de la médecine combinée aux progrès cybernétiques que le couplage humano-machine prend forme, en particulier avec l’arrivée de prothèses de plus en plus techniques. Cette visibilité publique donnée au progrès technologique propose de regarder l’homme‑machine d’un nouvel oeil, vers une nouvelle définition du cyborg. Un nouveau débat apparaît : celui du transhumanisme. La mode s’empare également de la figure de l’homme bionique et met le cyborg sur les podiums. En 2011, Thierry Mugler choisi Oscar Pistorius, un athlète amputé dont les nouvelles jambes sont en fibre de carbon, comme ambassadeur pour son nouveau parfum A*men. Le designer avait déjà montré depuis les années 70 un goût certain pour les robots en dessinant de nombreux costumes cyborgs. Dans un article pour un numéro d’ArtPress 2 consacré au Cyborg, Garelick Ronda parle d’une « danse macabre sur les podiums54 » où les armures métalliques de Mugler symbolisent des silhouettes à la fois vivantes et mortes, combinant chair et métal. 99


55. Propos recueillis par Michel De Pracontal (op. cit., page 186) dans une interview dans le magazine Crash n째7, avril-mai 1999.

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Dans son film eXistenZ, David Cronenberg met en scène un univers virtuel en prenant l’exemple des jeux vidéos. Pour jouer, il faut se connecter à un « pod », une consoleprothèse à l’allure d’un placenta, grâce à un cordon ombilical à brancher au bioport, un orifice implanté dans le dos. Une fois relié physiquement à la console, les personnages sont transportés dans un univers virtuel où le jeu se déroule. L’illusion y est tellement réelle, que les personnages, confus, ne savent plus quand commence et s’arrête le jeu. Cronenberg montre une frontière brouillée entre réel et simulacre, qu’il compare à l’invasion des technologies dans nos vies : « Si nous contrôlons notre propre évolution, nous incorporons aussi notre technologie dans nos corps. Dans eXistenZ par exemple, il y a cette créature, le pod, qui est vivante, elle est branchée sur le corps, et moi je vous montre par cette métaphore comment je vois la technologie comme extension du corps. Je crois que nos corps sont en train de changer et que nous avons pris le contrôle de notre propre évolution55 ». Pourtant, la figure grossière et massive du cyborg tend à disparaître pour devenir plus subtile et sophistiquée. En 2014, le film Transcendance donne une forme légère à la fusion du corps à l’artificiel. Le corps de l’homme hybride apparait et disparait par magie, comme si toutes ses molécules étaient volatiles, il en devient parfois impalpable et presque insaisissable. Finalement, la technologie s’introduit dans nos vie plus subtilement, comme une nappe de réseaux qui entremêlent nos corps augmentés d’objets connectés.

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LE CYBORG DANS LA CHAIR « Avez-vous entendu parler de ces jambes mécaniques, que certains artistes anglais confectionnent pour les malheureux qui ont perdu leurs membres […]. Le cercle de leurs mouvements est certes limité ; mais ceux qu’ils ont a disposition s’exécutent avec un calme, une grâce et une aisance à étonner tous les esprits sensibles. » Kleist, Sur le théâtre des marionnettes, 1810, pages 12 - 13.

56. HABLES GRAY, Chris, The Cyborg handbook, New York, Rootledge, 1989, page 2 : « Anyone with an artificial organ, limb or supplement (like a pacemaker), anyone reprogramed to resist disease (immunized) or drugged to think/ behave/feel better (psychopharmacology) is technically a cyborg. […] It’s not only RoboCop, it’s our grandmother with a pacemaker. » 57. Cité par BIAGINI, Cédric, L’emprise numérique, comment internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies, Paris, Éditions L’Échapée, coll. Pour en finir avec, 2012, page 365. 58. DE PRACONTAL, Michel, op. cit., page 180.

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RÉPARER LE CORPS Cyborg, cet être aux nombreux avatars, semble être partout ; après avoir envahi nos salles de cinéma, il apparaît dans notre commun le plus banal. En 1989, Hables Grey dans son Cyborg Handbook en propose une définition où il dépasse les contours du corps cybernétique. « Quiconque pourvu d’un organe, membre ou prothèse (un pacemaker, par exemple) de nature artificielle, quiconque reprogrammé pour résister aux maladies (c’est-à-dire immunisé) ou traité médicamenteusement pour penser/se comporter/se sentir mieux (psychopharmacologie) est techniquement un cyborg. […] Ce n’est pas seulement RoboCop, c’est nos grand-mères avec un pacemaker56 ». Selon l’auteur, cyborg n’est plus seulement un héros-surpuissant de technologie, mais ce serait celui qui a une jambe artificielle et même pourquoi pas celui qui prend un somnifère pour s’endormir. Bras bionique, stimulateur cardiaque, rétine artificielle, implants, électrostimulations… Les composants mécaniques viennent s’entremêler à la chair pour réparer le corps humain : c’est dans le domaine médical que l’artificiel vient pallier le vivant qui parfois cesse de fonctionner. Le corps est de plus en plus parsemé de nouveaux appendices mécaniques, ce à quoi Peter Sloterdijk répond : « les invalides sont les précurseurs de l’homme de demain57 ». Le handicap serait un nouveau laboratoire d’expérience, ou médecine et cybernétique se rejoignent pour réinventer le corps humain ; les handicapés seraient les premiers hommes bioniques. « Le bionique vise à concevoir des systèmes artificiels selon des principes biologiques. On peut parler, par exemple de prothèses bioniques, destinées à rétablir par un dispositif artificiel une fonction perdue par l’organisme, ou du moins déficiente58 », explique De Pracontal. C’est d’abord dans le domaine orthopédique que les biomatériaux croisent les tissus vivants ; le médecin belge Robert Danis, dès la fin du XIXe siècle, répare les fractures à 103


59. Se référer à SEDEL, Laurent, « De l’homme réparé à l’homme augmenté », BioFutur le mensuel européen des biotechnologies, n°335, septembre 2012. 60. Deux prothèses d’orteil ont été retrouvés sur des momies : « l’orteil de Greville Chester » fabriqués en plâtre et lin et « l’orteil du Caire » en bois et cuir, conservées au British Museum de Londres. http:// www.britishmuseum.org/ research/collection_online/ collection_object_details. 61. WALTER, Benoît, « Perception de soi, perception par les autres : la fonction sociale de la prothèse chez les agénésiques », L’humain augmenté, Paris, CNRS Éditions, coll. Les Essentiels d’Hermès, 2013, page 107.

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l’aide de plaques métalliques59. Réparer ou pallier un manque du corps n’est pourtant pas une idée nouvelle, il y a plus de 2600 ans, les égyptiens avaient déjà recours la prothèse faite de plâtre ou de bois60. Ancêtres de nos technologies les plus avancées, les prothèses de tous temps proposaient déjà d’envisager la chair comme une matière malléable ; le corps humain serait perfectible. Cette considération évalue déjà l’homme comme potentiellement cyborg, si l’on se réfère à la définition de Hables Gray. Cependant, la notion d’organisme cybernétique proposée par Kline et Clynes (voir chapitre 1) propose un corps fusionné à de la technologie que l’on pourrait considérer comme plus high-tech. Le progrès technologique ajouté à la médecine permet aujourd’hui de réguler le rythme cardiaque grâce à une pile implanté stimulant électriquement le coeur, à retrouver l’audition perdue grâce à un implant cochléaire stimulant les terminaison nerveuse de l’audition, à réduire les symptômes parkinsoniens grâce à des électrodes implantés dans le cerveau. Les recherches de Galvini sur « l’électricité animale » s’implantent directement dans nos corps pour nous raccommoder et faire de nous des hommes bioniques. Claudia Mitchell, amputée du bras gauche est la première femme à avoir reçu une prothèse bionique. Capable de contrôler son nouveau bras par la pensée, la prothèse remplace son membre perdu dans un but fonctionnel. Des prothèses plus sensibles sont également capables de combler un manque psychologique : celui des sensations. L’amputation évoque une angoisse qui se manifeste par le syndrome du « membre fantôme », soit une douleur traumatique ressentie dans un membre absent. En connectant des capteurs sur le membre bionique aux cellules nerveuses du corps, la prothèse est capable de mimer les sensations de toucher et ainsi d’effacer partiellement la douleur fantôme. Dans son texte « Perception de soi, perception par les autres61 », Benoît Walter propose de regarder la prothèse 105


62. Ibid, pages 108, 109. 63. EUDES, Yves, « Des surhommes au banc d’essai », Le Monde, 5 décembre 1999.

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du point de vue de l’agénésie, soit le fait d’être né avec un membre manquant. Bien qu’il soit souvent confondu avec l’amputation, le cas de l’agénésie induit un regard très différent sur la perception du corps et de la prothèse. Le membre absent est-il perçu comme un manque ? Le corps est-il vécu comme entier ? « En trente années de vie, aucun souvenir n’a rejailli d’un pied manquant […] Mes deux extrémités sont aussi sensibles l’une que l’autre. […] L’ensemble de ces sensations constitue mon corps vécu, à travers toutes les expériences que j’en fais62 ». Ici, Benoît Walter, né sans pied droit, prend son propre exemple pour expliquer qu’il perçoit bien son corps comme entier et fini, contrairement à l’expérience de l’amputation qui induit un choque brutal souvent suivi la sensation du membre fantôme. « La prothèse ne vient-elle pas en pareil augmenter, plutôt que réparer ? ». Ici, Benoît Walter pose une question primordiale, quand est-ce que que finit la réparation et commence l’augmentation ? C’est au franchissement de cette mince frontière qu’une nouvelle hypothèse du cyborg peut-être envisagée : serait-il finalement une version 2.0 de l’homo sapiens ? En 1999, dans un article pour Le Monde 63, Yves Eudes raconte l’expérience cybernétique de Johnny «Mnemonic» Ray, qui suite à une crise d’apoplexie est laissé paralysé, incapable de bouger et de parler. Philip Kennedy, neurologue, et Melody Moore, informaticienne ont implantés dans sa boîte crânienne des électrodes qui lui permettent de communiquer par la pensée. Les signaux nerveux du cerveaux sont diffusés sous forme d’ondes puis transmis vers un ordinateur que Ray peut contrôler à l’aide d’un curseur et d’un clavier présents dans l’interface. S’il s’agit ici d’une expérience pour permettre à Johnny Ray de retrouver des capacités perdues et ainsi d’être capable de communiquer avec le monde extérieur, de telles recherches appliqués en dehors du monde médical supposerait des hommes aux capacités décuplées et pourquoi pas à de facultés nouvelles. «Si on lui implantait 107


64. Propos recueillis par Yves Eudes. 65. DE PRACONTAL, Michel, op. cit., page 182. 66. LE BRETON, David, op. cit., page 31.

« Nous sommes impatients d’entendre le bruit de la perceuse traversant nos crânes pour y installer des prises électroniques. » A user’s guide to the new edge, 1992.

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plusieurs groupes d’électrodes, il serait capable d’émettre des centaines de signaux à la fois et d’assigner à chacun une fonction différente, démultipliant à l’infini ses activités64 », affirme Melody Moore. Michel de Pracontal dans son livre sur l’homme artificiel regarde l’expérience de Johnny Ray comme la potentialité de sortir les limites conventionnelles de la médecine pour gagner un nouveau domaine, celui de l’augmentation humaine : « Dans cette expérience, la prothèse n’est pas le simple substitut d’un membre ou d’un organe déficient. Elle a permis à Johnny Ray de sortir des limites physiques de son corps. Limites imposées par la maladie, mais le même principe pourrait servir à doter le sujet de nouvelles aptitudes, plutôt qu’à restaurer celles qu’il a perdues65 ».

LE CORPS LABORATOIRE Dans les récits et le cinéma cyberpunk, le corps transcende et fusionne la technologie dans des mondes futuristes inquiétants, comme nous l’avons vu dans RoboCop ou Blade Runner par exemple. Dans la culture (ou contre-culture) cyberpunk, la technologie est libératrice et le corps en est malléable, sa plasticité devient le support et moyen d’expression. En 1975, la première boutique de piercing à Los Angeles propose de percer le corps pour y insérer des tiges et anneaux de métal. Tatouages, piercings, branding, scarifications, etc, « les marques corporelles connaissent un succès grandissant associé à l’idée implicite que le corps est malléable, une forme provisoire, toujours remaniable, de la présence fractable à soi66 ». Le corps y est marqué, greffé d’implants sous-cutanés, transpercé. Michel De Pracontal voit dans ces pratiques une volonté de rendre le corps moins naturel comme un symbole revendicateur : « Elles traduisent une revendication individualiste, un désir d’investir le corps comme un espace libre d’expression, au risque de détruire. La chair ainsi malmenée semble réduite au statut d’un matériau 109


67. DE PRACONTAL, Michel, op. cit., page 185. 68. D’après les propos recueillis par Marie Lechner pour Libération. LECHNER, Marie « Le corps amplifié de Stelarc », Libération, 12 octobre 2007. Lien web : http:// next.liberation.fr/culturenext/2007/10/12/le-corpsamplifie-de-stelarc_103649 69. Se référer au site internet de l’artiste : www.stelarc.va.com.au

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brut. Elle devient matière d’une recréation de l’humain, le lieu d’une rupture transgressive avec la biologie « naturelle », dont le cyborg est une représentation symbolique67 ». Entre 1976 et 1988, l’artiste australien Stelarc transperce son corps d’hameçons en inox pour se suspendre à 27 reprises. Dans ses performances, il franchit les frontières de la chair et en exprime l’idée du corps obsolète et en imagine une anatomie alternative. Stelarc propose d’envisager le corps comme une architecture évolutive, soit comme un véritable lieu d’exploration. Peau, chair, muscles deviennent un matériau brut support de création et d’expérimentation qui, entremêlé de robotique et biotechnologie, en questionne ses limites. «Tous mes projets et performances se penchent sur l’augmentation prothétique du corps, que ce soit une augmentation par la machine, une augmentation virtuelle ou par des processus biologiques68 ». L’artiste prolonge son corps d’un troisième bras d’acier dès 1980, il connecte son corps piloté à distance sur le net dans ses performances Fractal Flesh, Salit Body et Ping Body puis se greffe une troisième oreille implantée d’un micro connecté via bluetooth 69. « Je suis né humain. Mais c’était un accident du destin – une question de temps et de lieu. Je crois que c’est une chose que nous avons le pouvoir de changer. Je vais vous dire comment. En août 1998, une puce de silicium à été implantée dans mon bras, permettant à un ordinateur de suivre mes mouvements à travers les bâtiments du département de cybernétique de Reading, à l’ouest de Londres, où je suis professeur depuis 1988. Mon implant communiquait par ondes radio avec un réseau d’antennes à travers le département qui en retour transmettait les signaux à un ordinateur programmé pour répondre à mes actions. À l’entrée principale, une voix synthétique commandée par l’ordinateur disait « Hello » quand j’arrivais. L’ordinateur détectait mes mouvements, ouvrait les portes et allumait 111


70. Extrait de « Cyborg 1.0 », Wired, Issue 8.02, février 2000. Cité dans : DE PRACONTAL, Michel, op. cit., Denoël Impact, 2002, page 177. 71. Propos recueillis par Yves Eudes, op. cit.

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les lumières à mon approche. Pendant les neuf jours où j’ai porté l’implant, j’ai accompli des actes en apparence magiques par le simple fait de me déplacer dans une direction. Le but de l’expérience était de tester si l’on pouvait utiliser un implant pour transmettre et recevoir de l’information […]. Je crois que les humains vont devenir des cyborgs et ne seront plus des entités autonomes70 ». C’est dans le fameux article « Cyborg 1.0 » paru dans Wired en février 2000 que Kevin Warwick raconte son aventure cybernétique. L’auteur du livre I, Cyborg (2004) rêve d’un avenir ou les interactions entre les hommes et les ordinateurs seraient aussi directes qu’intuitives. En somme, il imagine que nous serions capables de contrôler nos machines par la pensée. En accord avec les idées de Melody Moore : « plus une interface est directe, plus elle est efficace71 », Warwick efface les intermédiaires, les plus connus étant l’écran et la souris. La première expérience qu’il raconte dans Wired ne représente que les prémices d’années de recherches où il utilise son propre corps comme un laboratoire d’expériences. Warwick pousse plus loin cette relation de symbiose technologique en imaginant pouvoir communiquer à l’autre bout du monde « de cerveau à cerveau » avec sa femme, grâce à des implants connectés à leurs systèmes neveux respectifs. Une sorte de relation télépathique qu’il envisage par la transmission non seulement de pensée mais aussi d’émotions et de sensations. Si ce projet n’en est aujourd’hui qu’à l’état de recherche, il promet tout de même de dépasser les limites du corps physique et d’introduire une sorte de psychisme connecté. Warwick proclame fièrement « Je suis cyborg ! » et il n’est pas le seul à rêver de devenir une créature de science-fiction. Ces initiatives de bio-hacking en pleine émergence en sont encore au stade de bricolage où les passionnés de cybernétique utilisent leur propre corps comme support 113


72. FIÉVET, Cyril, Body hacking : pirater son corps et redéfinir l’humain, FYP Éditions, 2012, quatrième de couverture. 73. Se référer à l’article « Body hackers : ce sont les pirates du corps humain », Science et avenir, 24 octobre 2013. Lien web : http:// www.sciencesetavenir.fr/ sante/20131024.OBS2590/ les-body-hackers-piratesdu-corps-humain.html

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de leurs recherches. « Bio-hackers », « bio-punks », « selftranshumanistes », ces individus à la recherche d’un sixième sens s’inscrivent dans la lignée d’une libération du corps humain que le cyberpunk avait trouvé dans les arts de la modification corporelle. « Ces “ pirates de l’humain ” utilisent la technologie pour modifier leur corps, en redéfinir les contours ou les fonctions, avec pour effet de repousser les limites de l’humain72 », explique Cyril Fievet dans son livre consacré à ces pratiques de biohacking. L’expérience sur le corps humain quitte les salles opératoires et s’opère directement dans les cuisines des biohackers. C’est le cas de Tim Cannon, fondateur de la startup Grindhouse Wetware qui a installé son laboratoire dans le sous-sol de sa maison où il bricole son corps avec les moyens du bord 73. Implanté de gadgets technologiques, à la recherche de nouveaux sens et sensations, il s’identifie à ses héros de science-fiction et rêve d’un futur cyborg.

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AUGMENTER L’HUMAIN 74. CLAVERIE, Bernard, « Homme augmenté et augmentation de l’humain », L’humain augmenté, Paris, CNRS Éditions, coll. Les Essentiels d’Hermès, 2013, page 61. 75. GOFFETTE, Jérôme, « De l’humain réparé à l’humain augmenté : naissance de l’anthropotechnie », L’humain augmenté, Paris, CNRS Éditions, 2013, page 85. 76. GOFFETTE, Jérôme, 2006, op. cit., page 9.

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LE CYBORG CITOYEN D’UNE SOCIÉTÉ DE L’AMÉLIORATION Amplifier la performance, est selon Bernard Claverie synonyme d’human enhancement. Ce terme anglo-saxon qui arrive dans les années 90 est souvent traduit par amélioration (induit un mieux ou meilleur) ou augmentation (induit un plus). « Le terme augmentation désigne, lorsqu’il se réfère à l’homme ou à l’humain, un ensemble de procédures, méthodes ou moyens, chimiques ou technologiques, dont le but est de dépasser les capacités naturelles ou habituelles d’un sujet. […] Il correspond au concept anglo-saxon de human enhancement, que l’on devrait traduire par l’idée d’un réhaussement humain74 ». L’humain augmenté, une autre figure du cyborg, serait comme une nouvelle étape pour le corps humain. La technologie vient dépasser les limites de la chair pour surpasser la nature humaine. Jérome Goffette appelle anthropotechnie « l’activité visant à modifier l’être humain en intervenant sur son corps, et ceci sans but médical75 » ; elle incarnerait donc la frontière dépassée du corps réparé. Ce nouveau champ de recherche investit le corps dans toute sa dimension et en questionne les nouveaux horizons de la condition humaine que projette son augmentation. L’auteur parle de bricolage de l’humain, qu’il argumente en trois points : des projets aux buts incertains, des expériences encrées dans une réalité, des enjeux conséquents, soit la vie et l’humain. Entre les éternels dualismes que porte l’homme augmenté, Jérôme Goffette remet l’homme au cœur de sa réflexion ; à mi-chemin entre « horreur et splendeur », « réel et illusion », l’anthropotechnie propose d’entrer dans « une révolution scientifique et technique qui est aussi, avant tout, une révolution humaine76 ». Le cyborg serait-il citoyen d’une société de l’amélioration ? Bernard Claverie fait la différence entre l’homme augmenté, 117


77. BIAGINI, Cédric, op. cit., page 367. 78. En anglais « Converging Technologies for Improving Human Performance », ce rapport propose d’améliorer la santé et les capacités physiques humaines, supprimer les barrières de communication et de langage, améliorer la sécurité nationale, élargir la cognition humaine et la communication et unifier la science et l’éducation. À lire sur le site officiel de la Maison Blanche, lien web : https://www. whitehouse.gov/sites/ default/files/microsites/ ostp/bioecon-%28%23%20 023SUPP%29%20NSFNBIC.pdf 79. CLAVERIE, Bernard, op. cit., page 67. 80. BIAGINI, Cédric, op. cit., page 392.

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soit l’amélioration des aptitudes d’un homme, et l’humanité augmentée, soit l’évolution générale d’une espèce. Dans le premier cas, l’augmentation se fait aussi bien chimiquement que technologiquement. Si le cyborg répond plutôt à cette deuxième catégorie synonyme d’un couplage humano‑machinique, l’augmentation chimique en est sensiblement lié. C’est avec un regard assez critique que Cédric Biagini montre une véritable économie du vivant où le corps serait une machine à réparer au moindre bug. L’industrie pharmaceutique trouverait de plus en plus de défauts au corps et à l’esprit humain ; l’idéologie du corps parfait et idéal comblerait un certain nombre de « nouveaux » handicaps. Il choisit un exemple simple et commun pour illustrer son propos, celui de la timidité qui serait devenu un handicap social à soigner en avalant quelques pilules. L’homme ne change plus seulement son corps mais aussi ses comportements, il augmente ses performances cérébrales, il régule son sommeil, en ingérant un grand nombre de lifestyle drugs77. Le progrès technologique vient également s’associer au vivant dans un but de « réhaussement humain ». En 2002, un rapport de la Maison Blanche aux États-Unis propose l’application des technologies convergentes afin d’améliorer les performances humaines78. Au coeur de la convergence NBIC, le progrès en expansion devient infiniment petit, entre « la manipulation atomique (nanotechnologies), le gène (biotechnologies), le bit (sciences de l’information) ou le cerveau (technologies cognitives)79 ». Ces machines moléculaires promettent une interaction directe entre l’homme et l’ordinateur, proposant de concevoir la machine comme un organisme et inversement, ainsi « la biologie moléculaire réduit l’humain à une série d’informations complexe et le vivant à une sorte d’algorithmes. […] La nature et la vie sont redéfinies comme des assemblages manipulables, que ce soit au niveau de l’atome, de la molécule, de la cellule, du gène, du neurone… 80 », explique Biagini. 119


81. FERONE, Geneviève, VINCENT, Jean-Didier, Bienvenue en Transhumanie, Sur l’homme de demain, Paris, Éditions Gasset et Fasquelle, 2011, page 9, 10. 82. BIAGINI, Cédric, op. cit., page 365.

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HOMO SAPIENS NOVUS « L’espèce humaine n’est ni immuable, ni éternelle. Comme toutes les espèces vivantes, elle est soumise au cours du temps, à la pression de la sélection naturelle. En évoluant, elle s’expose à la possibilité d’une extinction. […] Une évolution est-elle possible au sein de l’espèce humaine conduisant à un être nouveau, Homo sapiens novus ?81 ». C’est ainsi que Geneviève Ferone et Jean-Didier Vincent nous invite dans leur livre « Bienvenue en transhumanie » à considérer une évolution de l’humain. Dans cette société de l’amélioration dans laquelle cyborg semble s’inscrire est né un débat philosophique, moral et politique dans les années 2000 : le transhumanisme. Ce mouvement culturel prône l’amélioration de la nature humaine, qui pourrait bientôt voir apparaître une nouvelle évolution de l’homo-sapiens, communément appelé posthumain. Cette invasion de la technologie dans nos vie et dans nos corps pose la question de l’éthique d’une telle espèce et de son intégrité identitaire. Selon le philosophe anglais John Harris, il y aurait une obligation morale d’améliorer « la vie, la santé, la durée de vie ». Si la médecine a prouvé qu’elle était capable d’augmenter le corps, pourquoi se limiter au handicap ? Selon la déclaration transhumaniste décrétée en 1999 par l’Association transhumaniste mondiale, un tel avenir n’est pas un mal et au contraire : « l’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, telles que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers82 ». Finis la vieillesse, la maladie, le handicap, ce mouvement culturel propose par le progrès d’abolir les « faiblesses » de l’homme ; « faiblesses » qui pour d’autres font de nous des 121


83. Cité par Cédric Biagini, propos recueilli dans entretien avec Monique Atlan et Roger-Pol Droit, page 378. 84. « Selon la légende, le pape des transhumanistes, Ray Kurzweil […] prendrait 200 pilules par jour, notamment pour lutter contre le vieillissement. », BIAGINI, Cédric, op. cit., page 378. 85. Ibid, page 194.

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hommes. Fini la mort ? C’est avec un grand optimisme que Ray Kuzweil, professeur au MIT et directeur de l’ingénierie chez Google, propose un avenir ambitieux : l’immortalité. Kurzweil rejoint Harris sur l’idée d’un dépassement des limites biologiques comme responsabilité, selon lui « le but de la vie est d’aller toujours au delà des limites. Parmi toutes les espèces, ce que les êtres humains ont d’unique, c’est bien de transcender toutes les limitations. Nous ne restons pas rivés au sol, ni bloqués sur cette planète, et nous ne restons pas non plus dans les limites de notre biologie, qui nous accordait il y a quelques milliers d’années une espérance de vie de vingt ans83 ». Cyborg prend alors la forme d’un « Homo Sapiens Novus » : le nouvel homme immortel et invincible serait une machine à vivre, ingérant nanotechnologies et pilules anti-vieillissement à chaque repas84 . Le pape transhumaniste va encore plus loin en envisageant une véritable rupture dans l’histoire de l’humanité par la singularité technologique : l’homme sera un jour dépassé par ses machines. Si la cyber-humanité serait d’abord la clé d’une amélioration de la condition humaine, elle permettrait aussi, selon les transhumanistes, d’éviter une relégation de l’homme. Un discours partagé par Kevin Warwick qui affirme que « la technologie risque de se retourner contre nous. Sauf si nous fusionnons avec elle85 ». Selon lui, seul un avenir cyborg est envisageable. Dans un tel scénario, non éloigné de la dystopie d’Huxley dans Le meilleur des mondes (1936), on peut se demander si le cyborg ne serait pas créateur d’un grand nombre d’inégalité, où seulement une petite élite aurait accès à ces technologies coûteuses. Il semblerait primordial de regarder avec un œil critique ces discours glaçants qui ne sont pas sans rappeler un scénario dystopique à la Terminator. Dans son texte « un autre transhumanisme est possible », Marc Roux, président de l’Association française Technoprog! décèle une incapacité de compréhension actuelle dans le discours transhumaniste, écrasé par cette pensée de la singularité dominante qui 123


86. ROUX, Marc, « Un autre transhumanisme est possible », L’humain augmenté, Paris, CNRS Éditions, 2013, page 157. 87. LE BRETON, David, op. cit., page 152.

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annonce une déshumanisation de la société86. L’auteur propose un transhumanisme remettant l’homme au coeur de la pensée où il préfère l’idée d’une amélioration de la santé, une prolongation de la durée de vie, une lutte contre les souffrances « insupportables et inutiles » ainsi qu’un corps conservant son identité humaine plutôt qu’un désir de « vaincre les infinis » (soit les fantasmes d’immortalité et d’invincibilité). En soi, la définition imagée de cyborg ne serait pas à prendre trop latéralement. « Les frontières s’éffacent entre la chair de l’homme et la puissance de la machine, entre les processus mentaux et techniques87 », nos interactions et utilisations des technologies sont de plus en plus constantes, pourtant l’homme transfusé de machines au corps froid et vide d’humanité ne reflète pas notre condition : les technologies semblent s’incruster plus discrètement, moins grossièrement.

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L’INDIVIDU NUMÉRIQUE « le cyberspace est un outil de multiplication de soi, une prothèse d’existence quand ce n’est pas le corps lui-même qui se transforme en prothèse d’un ordinateur tout puissant. » David Le Breton, L’adieu au corps, page 144.

88. NEGROPONTE, Nicholas, Being Digital, New York, Vintage Books, 1996. En France, l’ouvrage est sorti au nom de L’homme numérique aux Éditions Robert Laffont en 1995. 89. GIBSON, William, Gravé sur chrome, Paris, Éditions J’ai Lu, 1990, page 2016 : « Le Cyberpsace sept […] non espace incolore de la matrice de simulation, l’hallucination consensuelle électronique qui facilite les manipulations et l’échange d’énormes quantités de données ». 90. Omni est un magazine mensuel publié entre 1978 et 1995 (puis jusqu’à 1998 sous forme de e-magazine) aux États-Unis et au Royaume-Uni qui associait des articles scientifiques et parapsychologiques à des nouvelles de science-fiction. 91. GIBSON, William, Neuromancien, 1984, page 194. 92. DE PRACONTAL, Michel, op. cit., page 184.

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LE CORPS DU CYBERSPACE Dans son ouvrage Being digital 88, Nicholas Negroponte, chercheur au MIT, écrit en 1995 sur l’homme à l’ère numérique et prévoyait que l’informatique deviendrait un véritable « art de vivre ». L’auteur envisage un passage de l’atome au bit, soit pour l’individu numérique de quitter la matière physique pour un monde intangible, un monde souvent appelé cyberspace. Le mot cyberspace inventé par William Gibson apparaît pour la première fois dans sa nouvelle Burning Chrome 89 (Gravé sur chrome) publiée en 1982 dans la revue Omni 90, mais c’est surtout grâce à son livre Neuromancien (1984) que le terme se fait connaître. L’expérience du cyberspace serait comparable à une drogue, comme un voyage sous acide où la perception de ce qui est réel ou non devient déformé : « Le cyberspace. Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques… Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateur du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le nonespace de l’esprit, des amas et constellations de données. Comme des lumières de villes, dans le lointain…91 ». Grâce à des électrodes connectés aux terminaisons nerveuses, les hackers de Neuromancien entrent dans la matrice et agissent « physiquement sur les programmes et les données, comme s’ils se trouvaient dans l’univers réel92 ». Si selon Gibson, le terme est à la base un néologisme à la mode sans grand sens sémantique, il devient avec l’invasion d’Internet dans nos quotidiens une métaphore du web, soit un espace virtuel entrecroisé de nombreux réseaux d’information. Le cyberspace existerait alors dans notre quotidien le plus banal, lorsque nous sommes en ligne devant l’écran nous voyageons dans un deuxième monde immatériel où 127


93. LE BRETON, David, op. cit., page 139. 94. SADIN, Eric, op. cit., page 115. 95. LE BRETON, David, op. cit., page 140 : « Les pesanteurs du corps sont effacées […] même si le corps demeure devant l’écran, il est provisoirement oublié ».

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nos dépassons la frontière physique du corps. Selon David Le Breton, « dédoublant la vie ordinaire, le cyberspace est un mode d’existence à part entière, porteur de langages, de cultures, d’utopies. Il développe simultanément un monde réel et imaginaire, de sens et de valeurs, qui n’existe qu’à travers le croisement de millions d’ordinateurs et l’enchevêtrement de dialogues, d’images, d’interrogation de données, de discours dans les forums ; monde virtuel de l’entre-tous, provisoire et permanent, réel et fictionnel, immense espace immatériel de communication, de rencontres, d’informations, de diffusion de connaissance, de commerce, etc., mettant provisoirement en contact des individus éloignés dans le temps et l’espace, et qui ignorent parfois tout d’eux-mêmes. Un monde où les frontières de brouillent et où le corps s’efface, où l’Autre existe dans l’interface de la communication, mais sans corps, sans visage, sans autre toucher que celui du clavier de l’ordinateur, sans autre regard que celui de l’écran93 ». « Troublante proximité qui caractérisait les robots de métal, et qui a désormais glissé vers le robots immatériels : doubles numériques autant marqués par la similitude d’empreints d’une majesté toute puissante, d’après un composé complexe qui entremêle au sein d’une même unité le familier et le surhumain94 ». Dans le cyberpace, le corps physique « inutile et encombrant95 » s’efface, s’oublie et devient non matériel, l’atome se transforme en bit, la chair devient de l’information piloté mentalement. Le double numérique de soi se détache du corps obsolète dans une réalité parallèle dite « virtuelle » dans lequel l’esprit mène une deuxième vie. Les corps numériques sans visages sont tous mis au même niveaux, les contraintes du corps et de l’identité sont abandonnés. Le cyborg, notre double numérique, vit dans un monde utopique ou les cyber-humains seraient alors sur un plan d’égalité où les stigmates liés au corps n’existent plus. Selon le théoricien Scott Bukatman, ce monde synthétique permet une « célébration de l’esprit […]. C’est un royaume où le mental est libéré des limites corporelles, un lieu favorable 129


« L’erreur consisterait […] à croire que le cyborg, «  l’homme augmenté » ou « l’homme artificiel » se conjugue au futur. […] les sociétés technologiques dans lesquelles nous vivons ont déjà commencé à produire un nouveau type d’être humain entièrement façonné par sa dépendance étroite aux machines. » Patrick Marcolini, L’empirisme numérique, page 387.

96. Cité par LE BRETON, David, op. cit., page 139. 97. Raphael Cuir conclu son article « Généalogie d’un stéréotype » par ce constat : « Le cyborg, précisément parce qu’il s’immisce toujours plus dans nos vies — plus discrètement, plus élégamment aussi — ne disparaît-il pas progressivement en elles dans un continuel devenir où nous demeurons des humains, avant tout ? ». 98. ARISTOTE, Les parties des animaux, Paris, Les Belles Lettres, 2002. 99. CLAVERIE, Bernard, op. cit., page 61. 100. BIAGINI, Cédric, op. cit., page 385. 101. Nomophobie est une contraction de no mobile phobie. On appelle également ce syndrome « FOMO » soit en anglais « Fear of missing out », la peur de rater quelque chose. Jérémy Bodon, auteur de Le smartphone, entre dépendance et prothèse, vers un transhumanisme ?

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(2013) explique que « le phénomène « fear of missing out » qui est le fait de contrôler en permanence ses réseaux sociaux de peur de rater quelque chose, est assimilable à une forme de dépendance. […] L’objet n’est pas simplement un outil de communication mais il est devenu le support d‘un nombre important de ses données personnelles et une fenêtre qui nous connecte constamment […] ce qui nous donne le sentiment de ne plus être complet quand on en est privé. »


à la toute puissance de la pensée96 ». Sur internet, l’homme se balade comme un anonyme. Libéré de la réalité, il peut être ce qu’il veut, aller où il veut et re-créer un véritable quotidien synthétique.

L’INVASION DES PROTHÈSES CONNECTÉES Il réside dans la représentation que nous nous faisons du cyborg une image assez grotesque : aussi bien l’armure lourde d’acier de robocop que l’introduction de technologies dans nos chairs ouvertes. Au final, ces technologies ne viendrait-elles pas s’immiscer dans nos vies de façon plus subtile et discrète97 ? Et si le cyborg était simplement un individu lambda avec un smartphone dans la main ? Aristote écrit dans La main et l’intelligence 98 sur la capacité qu’ont les hommes à prolonger leur corps en un grand nombre d’outils ; la main peut devenir marteau, lance, griffe, plume et ainsi développer ses capacités. « L’homme augmenté deviendra alors hybride, à la fois naturel et artificiel, mais aussi intérieur et extérieur, avec des morceaux de lui-même hors du corps, dans l’environnement, le réseau ou même autrui99 ». Le smartphone s’imposerait comme une nouvelle prothèse technologique, certes extérieur au corps mais dans laquelle l’homme y laisse toute une partie de lui‑même. « Ces technologies deviennent prothèses dont on peut difficilement se passer. […] permettant de se connecter partout et tout le temps à Internet, les smartphones sont devenus des extensions du corps, et leurs utilisateurs s’en servent comme ordinateurs de la vie. […] En être séparé reviendrait à une forme d’amputation100 ». Cette technologie fait partie intégrante de nos vie, et cette forme d’amputation dont parle Biagini est notamment caractérisé par ce qu’on appelle nomophobie101, soit une angoisse éprouvée à l’idée d’être déconnecté, et ainsi de passer à coté de quelque chose. Dans son ouvrage The Cyborg handbook, Hables Grey propose 131


102. LE BRETON, David, op. cit., page 201. 103. SADIN, Eric, op. cit., page 113. 104. Ibid, page 120. SADIN cite Jean-Louis Missika dans Le Monde Magazine, 15 oct. 2011 : « Steve Jobs a inventé quelque chose d’incroyable. Il a mis du glamour, du désir et de l’émotion dans la technologie. Avant lui, les ordinateurs étaient des objets froids et sans âme. Ils deviennent grâce à lui des objets non seulement beaux, mais dans lesquels les utilisateurs mettent de l’affect. » 105. LE BRETON, David, op. cit., page 151 106. Eric Sadin, op. cit., page 115, utilise la définition du Totem de l’anthropologue James George Frazer en 1997 : « Un totem est une classe d’objets matériels que le sauvage considère avec un respect superstitieux et environnemental, croyant qu’il existe entre lui et chacun des membres de la classe une relation intime et tout à fait spéciale. » 132


de nommer semi-cyborgs les « instruments détachés du corps indispensables à la poursuite de la vie ordinaire102 ». Eric Sadin propose de regarder ces technologies comme des compléments de soi : « le rapport récent que nous entretenons aux technologies miniaturisés, fortement radicalisé depuis la généralisation des smartphones, s’établit avec des sortes d’alter ego indissociables de nos existences, […] une forme de dédoublement amplifié et intégré de nos capacités cognitive103 ». Sadin décrit les ordinateurs Apple comme des objets beaux dans lesquels les gens portent « de l’affect104 ». En veille, la petite pomme s’allume et s’éteint sur le rythme d’une respiration ; comme s’il dormait, le MacBook donne l’impression d’être vivant. Ces relations intimes induisent des attitudes troublantes, passionnelles pour ces objets connectés, on parle même de fétichisme et de la naissance d’un nouveau culte. Si l’entrée dans l’espace cybernétique était pour Gibson semblable à la prise de drogue, Internet est souvent perçu comme un monde addictif, et même pourquoi pas, à un nouveau culte. Le soi cyborg serait-il le nouvel opuim de l’homme ? On peut lire dans l’ouvrage L’adieu au corps de David Le Breton un chapitre appelé « Dieu Virtuel » dans laquelle il donne au Net à une dimension religieuse : « Le Net n’est plus seulement une technologie, un mode efficace de communication, il devient lieu de salut, seuil du nouveau millenium où l’on attend plus la rédemption de Dieu mais de l’ordinateur105 ». Finalement, le corps-numérique agirait comme un moyen d’évasion, le cyborg permettrait de fuir une réalité pas toujours parfaite. Éric Sadin consacre un chapitre sur la « dimension totémique de la technologie » dans son livre L’humanité augmenté, où il assimile l’objet connecté à un totem106.

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107. DE PRACONTAL, Michel, op. cit., page 179. 108. Se référer à Biagini Cedric, op. cit., page 386.

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TOUS CYBORGS ? Warwick imaginait que le cyborg pourrait « se brancher sur n’importe quel ordinateur, accéder instantanément aux connaissances stockés dans toutes les banques de donnés de la terre […] évoluer dans une multitude d’univers virtuels107 ». Bien que l’homme ne se branche pas physiquement à l’ordinateur comme dans Neuromancien ou eXistenZ, l’ordinateur miniaturisé est devenu un nouvel appendice du corps, grâce auquel l’homme connecté peut avoir accès directement à un réseau incroyable de savoirs. L’ordinateur fonctionnerait comme un disque dur externe, une carte mémoire ajoutée au cerveau, dans lequel il est possible de stocker des milliards d’informations. D’ailleurs, les créateurs de Google considèrent leur moteur de recherche comme le « troisième hémisphère du cerveau108 ». Cet organe artificiel dans nos mains, comme clé d’entrée dans le cyberspace, est déjà en soi une augmentation humaine. L’évolution de l’humain, le posthumain, n’est peut être pas implanté de nanotechnologies comme dans les théories de Kurzweil, le pape transhumaniste américain. Le numérique a déjà transformé les hommes, leurs façons de communiquer et leurs attitudes. Les technologies tactiles ont créés de nouvelles gestuelles qui nous connectent à ces objets, les doigts composent sur les tablettes des gestes précis pour copier, cliquer, ouvrir, agrandir, évoquant John Anderton dans le film Minority Report (2002) qui manie les images comme un chef d’orchestre. Le doigt remplace la souris de l’ordinateur, le contact est direct. C’est également le principe proposé par Xbox avec Kinect « la manette, c’est vous » : le corps entier devient lien direct entre l’esprit et le jeu. Les interfaces disparaissent et l’idée de branchement physique devient presque obsolète, les connexions sont de plus en plus immatérielles (bluetooth, wifi, cloud…), comme un nuage impalpable et invisible. Le cyborg, au croisement de cette nappe de réseaux connectés et du corps augmenté, 135


109. HARAWAY, Donna, Manifeste cyborg et autres essais : Sciences - Fictions FĂŠminismes, Exils Editeur, 2007, page 31.

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se manifeste comme un symbole de notre condition technologique, une métaphore d’un dépassement de soi. Enfin, pour reprendre les mots de Donna Haraway : « La fin du XXe siècle, notre époque, ce temps mythique est arrivé et nous ne sommes que chimères, hybrides de machines et d’organismes théorisés puis fabriqués109 », soit à l’ère des techno-sciences nous pouvons dire que nous sommes déjà tous cyborg.

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CONCLUSION LE CYBORG POUR MIEUX NOUS COMPRENDRE

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Comme nous avons pu le voir tout le long de cette recherche, le cyborg est une figure complexe aux nombreux avatars. Il naît dans la fiction, se mêle à la chair pour finalement apparaître dans notre quotidien le plus banal. Si pour certains il reste attaché à la science-fiction, pour d’autres il incarne l’avenir assuré de l’humain. Finalement, le cyborg n’est pas seulement la figure d’un homme grossièrement entremêlé d’acier ou de technologies. Il s’adresse comme une métaphore de l’homme, qui (re)questionne toujours sa propre nature, sa relation aux artefacts, son évolution intime à celle du progrès, sa fascination pour son corps et ses limites, ses mutations dans un environnement toujours plus technologique. Le cyborg dans toute sa dimension (re)questionne la nature de l’homme, engage une discussion sur l’éthique de la modification corporelle, matérialise la fascination pour le corps et ses limites, envisage l’objet technologique comme un complément de soi, institue une esthétique et des attentes pour la science, considère un dédoublement cybernétique de soi, personnifie pour certains un futur dystopique et pour d’autre un espoir pour l’avenir, propose de réfléchir cet être de la pop-culture par le regard de la philosophie, fantasme une augmentation de l’humanité, transperce le corps comme moyen d’expression, reflète les peurs et préoccupations des hommes, invite à penser contre les dualismes, créer de nouveaux comportements et gestes, répare nos corps parfois fragiles, figure nos relations avec le progrès et les objets techniques, annonce un homme toujours plus connecté… Et finalement il agirait comme une métaphore pour mieux nous comprendre.

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110. Se référer à l’article de Raphaël Cuir, op. cit. 111. HARAWAY, Donna, op. cit., page 30. 112. Ibid, page 31 : « Je plaide pour une fiction cyborgienne qui cartographierait notre réalité corporelle et sociale, une ressource imaginaire qui permettrait d’envisager de nouveaux accouplements fertiles. »

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UNE OUVERTURE AVEC LE CYBORG DE DONNA HARAWAY Je propose de conclure cette recherche en ouvrant la réflexion sur le Cyborg de Donna Haraway. Biologiste, philosophe et féministe, Haraway écrit dans les années 80 son Cyborg Manifesto, où elle utilise la figure du cyborg comme prétexte pour discuter la question du genre et repenser les notions traditionnelles du féminisme. La figure du cyborg de Dona Haraway est tout particulière car elle n’appartient à aucune image proposée jusqu’à présent. Elle ne nous parle ni de la figure folklorique de l’homme‑machine, ni d’un quelconque homme augmenté ; l’auteur n’est en rien apparentée au courant de pensée posthumaniste. Haraway déplace le cyborg pour en créer une nouvelle mythologie alors utilisée comme outil de réflexion. « [Haraway] utilise l’image du cyborg comme un miroir ; comme un instrument avec lequel elle peut porter à la lumière les mécanismes et les possibilités cachées de notre réalité sociale et politique qui est dominée par les technosciences110 ». Il réside dans cet « organisme cybernétique, hybride de machine et de vivant, créature de la réalité sociale comme personnage de roman111 » une pointe d’ironie, l’auteur utilise une figure qui reste dans les imaginaires fortement stéréotypée (on se souvient des modèles proposés en partie 1), dont les frontières brouillées permettent une discussion contre les binarismes. En effet, dans sa fiction cyborgienne, elle propose d’outrepasser les dualismes opposant science et nature, organique et machinique, corps et esprit, soi et autre, hommes et femmes afin d’envisager de « nouveaux accouplements fertiles112 ». Le cyborg incarne un monde de chimère entre l’animal et la machine, né de la culture de la haute-technologie ; il se détache de l’existentialisme et détermine une voix progressiste : « Le cyborg est une créature qui vit dans un monde post-genre ; il […] n’a pas d’histoire originelle au 143


113. Ibid, page 32. 114. Ibid, page 31. 115. Ibid, page 80.

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sens occidental du terme – ultime ironie puisqu’il est aussi l’horrible conséquence, l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme dans l’espace. […] Le cyborg saute l’étape de l’unité originelle, celui de l’identification avec la nature au sens occidental du terme. […] Nature et culture sont refaçonnées ; l’une ne peut plus être la ressource que l’autre s’approprie et assimile113 ». Il existe alors dans le cyborg de Dona Haraway une véritable utopie, une possible politique cyborgienne, celle d’un monde « qui ne se réfère pas à la “nature”, dans la tradition utopiste d’un monde sans genres sexués qui est peut-être un monde sans genèse et sans doute un monde sans fin114 ». « La machine n’est pas un “ceci” qui doit être animé, vénéré et dominé. La machine est nous, elle est nos processus, un aspect de notre incarnation. Nous pouvons être responsables des machines, elles ne nous dominent pas, elles ne nous menacent pas. Nous sommes responsables des frontières, nous sommes les frontières115 ». Dans son postulat, l’auteur envisage un futur en vue d’une coexistence inter-espèces, par la transgression des frontières entre homme, animal et machine. Icône d’une utopie sociale et politique, le cyborg est pour Haraway porteur d’autres modes relationnels et ainsi d’une autre sociabilité possible. Au-delà d’une figure de projection, le cyborg ouvre le champ des possibles, et se propose pour penser autrement ; union de nos réalités de nos imaginaires, il est créateur de nouveaux possibles déjà en marche.

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appendices

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MEYRINCK Gustav, Le Golem, Paris, Éditions Flammarion, 2003 (première date de publication 1915). HUXLEY Aldous, Le meilleur des mondes, Éditions Pocket, 2002 (première date de publication 1932). ASIMOV Isaac, Le cycle des Robots 1, Les Robots, Éditions j’ai lu, 2012 (première date de publication 1950). CAIDIN Martin, Cyborg, Éditions Denoël, coll. Présence du futur, 1975. POHL, Frederick, Homme Plus, Éditions Le livre de Poche, 1976.

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ANIMÉS

SÉRIES

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JOHNSON Kenneth, L’homme qui valait trois milliards, 1974 - 1978.

LALOUX René, La planète sauvage, 1973. GRIMAULT Paul, Le roi et l’oiseau, 1980. OSHII Mamoru, Ghost in the Shell, 1995. BIRD Brad, Le Géant de fer, 1999. BILAL Enki, Immortel, ad vitam, 2004. STANTON Andrew, Wall-e, 2008.

RODDENBERRY Gene, Star Trek : La Nouvelle Génération, 1987 - 1994. ANNO Hideaki, Neon Genesis Evangelion, 1995 - 2013. GROENING Matt, COHEN David X., Futurama, 1999 - 2003. KAMIYAMA Kenji, Ghost in the shell : Stand Alone Complex, 2002 - 2005. BROOKER Charlie, Black Mirror, 2011 - 2016. LUNDSTROM Lars, Real Humans, 2012 - 2014.

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FILMS WEGENER Paul, BOESE Carl, Der Golem : Wie er in die Welt kam, 1920.

NICCOL Andrew, Bienvenue à Gattaca, 1998.

LANG Fritz, Metropolis, 1927.

CRONENBERG David, eXistenZ, 1999.

WHALE James, Frankenstein, 1931.

WACHOWSKI Lana, Andy, Matrix, 1999.

SHOLEM Lee, Tobor le grand, 1954.

LUCAS George, Star Wars (prélogie), 1999 - 2005.

McLEOD WILCOX Fred, Planète interdite, 1956.

SPIELBERG Steven, A. I. Intelligence Artificielle, 2001.

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SPIELBERG Steven, Minority Report, 2002.

CRICHTON Michael, Le Monde de l’Ouest, 1973.

PROYAS Alex, I, Robot, 2004.

LUCAS George, Star Wars, La guerre des étoiles (trilogie originale), 1977 - 1983 SCOTT Ridley, Blade Runner, 1981. CAMERON James, Terminator, 1984. VERHOEVEN Paul, Robocop, 1987.

CHAN-WOOK Park, Je suis un Cyborg, 2006. MOSTOW Jonathan, Clones, 2009. JONZE Spike, Her, 2013. PFISTER Wally, Transcendance, 2014. GARLAND Alex, Ex Machina, 2015.

CARPENTER John, Invasion Los Angeles, 1988. PYUN Albert, Cyborg, 1989. BURTON Tim, Edward aux mains d’argent, 1990. CAMERON James, Terminator 2 : Le jugement dernier, 1991.

153


CRÉDITS PHOTOS Couverture KUBRICK Stanley, 2001, l’Odyssée de l’espace, Metro-Goldwyn-Mayer, 1968. Cahier d’images 1. VERHOEVEN Paul, Robocop, Orion Pictures, 1987. 2. LUCAS George, Star Wars épisode III : La revanche des Sith, LucasFilm, 2005. 3. McLEOD WILCOX Fred, Planète interdite, MGM, 1956. 4. GRIMAULT Paul, Le roi et l’oiseau, Les films Paul Grimault, 1980. 5. Scoops, vol. 1, n° 10, 14 avril 1934, coll. Maison d’Ailleurs. 6. LANG Fritz, Metropolis, UFA , 1927. 7. SPIELBERG Steven, A.I. Intelligence Artificielle, Warner Bros, 2001. 8. OSHII Mamoru, Ghost in the shell, Production I.G, 1995. 9. MORI Mariko, Play with me, 1994. 10. BJORK, CUNNINGHAM Chris, All is full of love, 1999. 11. GARLAND Alex, Ex Machina, DNA Films, 2015. 12. LUCAS George, Star Wars Episode V : L’empire contre attaque, LucasFilm, 1980. 13. “ The DIY Cyborg ”, Vice, 31 octobre 2013, http://motherboard.vice.com/blog/the-diy-cyborg 14, 15. CAMERON James, Terminator, Hemdale Film Corporation, 1984. 16. KUBRICK Stanley, 2001, l’Odyssée de l’espace, Metro-Goldwyn-Mayer, 1968. 17. WASHOWSKI Larry, Andy, Matrix, Warner Bros., 1999. 18. Google X Lab, Project Googleglass, 2001-2015. 19, 20, 21. NAUGHTEN Jim, “ My Body, My Laboratory ”, Time Magazine, 6 mars 2011.

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155


SOMMAIRE 11 19

55

79 97

139 147 156


INTRODUCTION I - LES AVATARS DU CYBORG Avant le cyborg

Les ancêtres du cyborg | Le robot et la naissance de l’androïde

Naissance du cyborg

Un « organisme cybernétique » | Le couplage homme-machine

Une figure stéréotypée

T-800 le modèle américain | Ghost in the Shell le modèle japonais

II - L’ÉMERGENCE D’UNE ALTER-HUMANITÉ MÉCANIQUE Le robot sur le modèle de l’homme Une humanité artificielle

L’exemple des Replicants

La vie des humanoïdes Le cyborg plus humain que l’homme | L’androïde sensible | Pensée et machine

Cahier d’images III - LE TECHNO-CORPS DU XXIE SIÈCLE Le cyborg dans la chair Réparer le corps | Le corps laboratoire

Augmenter l’humain

Le cyborg citoyen d’une société de l’amélioration | Homo sapiens novus

L’individu numérique

Le corps du cyberspace | L’invasion des prothèses connectées | Tous cyborgs ?

CONCLUSION Cyborg pour mieux nous comprendre ? | Une ouverture avec le cyborg de Donna Haraway

APPENDICES Bibliographie | Crédits photos | Sommaire

157


achevé d’imprimer à l’EBABX en décembre 2015

158


159



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