Note sur l'histoire des échanges dans le haut atlas occidental

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Jacques Berque

Notes sur l'histoire des échanges dans le Haut-Atlas occidental In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 8e année, N. 3, 1953. pp. 289-314.

Citer ce document / Cite this document : Berque Jacques. Notes sur l'histoire des échanges dans le Haut-Atlas occidental. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 8e année, N. 3, 1953. pp. 289-314. doi : 10.3406/ahess.1953.2181 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1953_num_8_3_2181


ANNALES ÉCONOMIES - SOCIÉTÉS - CIVILISATIONS

ÉTUDES

NOTES SUR L'HISTOIRE DES ÉCHANGES DANS LE HAUT-ATLAS OCCIDENTAL* Entre Marrakech et le Sous, les plaines atlantiques et le grand Sud, la route traditionnelle1, ou « royale », agharas ugellid comme disent les Chleuhs, franchit l'Atlas au Tizi Macho (1 500 m.). Ce passage n'est jamais coupé par la neige. A l'Ouest, l'altitude s'effondre. Les causses erodes, les ondulations à longues stries calcaires des Mtugga, les collines mouchetées d'arganier des H'âh'a s'étalent vers l'Océan : pays aux larges espaces, aux amples conjonc tions politiques. A l'Est au contraire, la chaîne schisteuse et noirâtre bondit à plus de 3 000 m. : pays tourmenté, à la vie diverse et tapie, aux cantons inaccessibles, constituant chacun pour soi un bout du monde. Plusieurs forteresses, monumentales enceintes de pisé rouge, aujourd'hui pacifique ment effondrées, jalonnent la voie. Elle fut essentielle aux Sââdiens. Le xvie siècle l'a remplie d'allées et venues militaires, de propagations rel igieuses, de trafics commerciaux. Par elle passait l'or soudanais. A l'un de ses bivouacs fut assassiné un sultan2. Cette route historique est aujourd'hui bien déchue. Pourtant, Imintanout, à son débouché nord sur la plaine, est encore un relais important. Les tribus qui s'y approvisionnent restent parmi les plus archaïques du Maghreb. Certaines, comme les Seksawa, depuis la grande rébellion antimérinide des Maçmûda au xvie siècle, opposèrent un refus de plus en plus obstiné aux entreprises politiques ou spirituelles de la plaine. Attestées à la même place depuis huit siècles au moins, ces tribus Seksawa, et, à un moindre titre, Demsira, Mez'ud'a et Dwiran, transmettent aux temps modernes les vestiges * Cette remarquable étude de notre précieux collaborateur J. Berque était destinée aux Mélanges qui doivent être offerts à Lucien Febvre. Sa longueur relative lui a fait substituer une autre étude de J. Berque. Les Annales sont heureuses de porter à la connaissance de leurs lecteurs ce remarquable coup de sonde donné par notre collaborateur et ami dans un monde que peu d'hommes connaissent comme il le connaît. 1. C'est ainsi qu'une masse de renseignements put être réunie à propos de cette route par E. Renou, Description géographique de l'Empire du Maroc, 1846, p. 187, 190,' 191. 2. Sur l'historique de la région, J. Berque, Antiquités Seksawa, dans Hespéris, 1953. . Annales (8e année, juillet-septembre 1953), n° 3.

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d'une civilisation rurale aux formidables complexités. Et pourtant elles sont toutes proches, et, à beaucoup d'égards, dépendantes d'un grand axe commerci al. Conservatisme sauvage d'une part, échanges au long cours de, l'autre entrent en contact au marché d'Imintanout : deux styles de vie et de sociétés. Dans quelle mesure le contact est-il profond, dans quelle mesure a-t-il marqué l'économie de la haute montagne ? C'est ce que la présente étude va tenter d'élucider. Et, pour mieux suivre la réalité proprement indigène, elle négligera les transformations récentes pour s'attacher au passé. Un peu paradoxalement peut-être, en ce Maghreb où l'histoire manque trop souvent. d'archives, elle essaiera de se fonder sur des documents locaux. Fonctions et limites du monétarisme dans la région Si -loin que remontent la documentation écrite ou la tradition, cette partie de la montagne et son piémont immédiat, le Dir, obéissent au symbole monétaire1, à ses équivalences concrètes comme à ses valeurs de sentiment ou de jeu. Nul indice de troc, pas plus que de système familial fermé. L'ar chaïsme patriarcal du pays peut prêter à, confusion. Pittoresque, soit, et pouvant par là favoriser l'entente intuitive des choses : mais que là s'arrête sa contribution à l'étude. Ce monétarisme rencontré si haut dans le passé a toutefois des limites. Les prestations en nature jouent aussi leur rôle. L'échange de cadeaux, à l'occasion de phases de véhémence sociale telles que fiançailles, mariages, fêtes, pactes entre individus et groupes, offre des traits où, comme dans la taussa kabyle, on pourrait chercher à reconnaître des éléments (don et contre-don) exclusifs de référence numérique. Là-même où s'avoue une telle référence (par exemple dans les actes immobiliers), les quotités en argent sont parfois, même compte tenu de l'évolution qui s'est faite depuis, d'une telle faiblesse qu'on ne peut écarter l'idée qu'elles y ont une portée plus emblématique qu'effective. C'est le cas, on le verra, de l'« obole » tamuzunt dont le dépôt suffit à résilier la vente du fonds et à déposséder le preneur du fruit pendant, dans l'espèce très commune des ventes à réméré, rrahn. Il y a aussi des valeurs sacrificielles, déclenchées par l'immolation d'une victime, en certaines occasions solennelles, et qui se dérobent à toute inter prétation monétaire et commutative au sens strict. Chose d'autant plus importante que la part du droit des conventions est ici prépondérante. Une troisième série d'observations pourrait insister sur les valeurs propres à la nourriture. De celle-ci, les implications rituelles, les suggestions de pacte s'opposent à toute traduction quantitative : d'où les réserves dont la pensée des juristes chleuhs orthodoxes les entoure dès lors qu'il s'agit de les traduire en termes contractuels2. Il est vrai qu'une archaïque notion d'enchères et 1 II y a aussi d'autres « symboles » au sens que G. Gurvitch donne à ce mot, La vocation actuelle delà sociologie, 1950, p. 74 et suiy. 2. Ajwiba d'Ibn Nàçir, ms. de la zaouia des Mez'ud'a, p. 33, 1. 3 de fine (échanges d'aliments entre voisins à l'occasion des fêtes), p. 35, 1. 1 (bombance de fraternité).


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LES QUATRE GRANDES VALLEES DU

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de plus-value intervient ici parfois pour troubler ce climat, et que la frairie d'aliments tourne alors à la comptabilité à bilan annuel1. Quoi qu'il en soit, un certain nombre de phénomènes s'avèrent, dans cette société, irréductibles à l'expression monétaire: Mais dès lors qu'il trouvé 1. Gela en Dwiran, est très dont marqué j'ai dans donnélelatexte traduction, du GlossaireRevue notarial Africaine, arabo-ckleuh 1950, p. 383 du etXVIII? suiv. - siècle,


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s'agit d'un jugement d'ensemble à porter sur le système, et non plus de la collection de faits détachés, on est forcé de réduire la portée de ces phéno mènes aux proportions qu'impose le contexte. Et d'abord, ce paysan se sent soumis au quantitatif pour tout ce qui, de sa vie, se compte et se mesure. Or la durée, dans ces campagnes de l'Atlas, se scande au rythme des tours d'eau, rythme lui-même assujetti aux plus minutieuses divisions et subdivisions entre ayants-droit. La famille, qui, dans beaucoup d'autres milieux, font indistinctement les contributions de ses membres, et par là-même échappe dans ses œuvres à tout comput, est ici une société de travail. Il y a plus. Qu'il s'agisse, pour ce montagnard, de mariage, de vie municipale, de partage d'acquêts, d'abonnement même à la protection des saints, de rapports avec les proches ou avec l'étranger de la plaine, la convertibilité en gros sous n'est jamais loin. Et parfois elle s'affirme au premier plan. Parce que le système est minutieusement ajusté, féru d'expli cation et de transaction entre les ordres de chose les plus divers, il est peutêtre, plus que d'autres, sensible à la commodité de ce lexique universel qu'offre la monnaie, et qui lui permet de résoudre ses aspects hétérogènes. Rien ne nous dit qu'en ces tribus il y ait eu, à un moment donné, obliga tionde convertir en espèces le droit de la femme sur les immeubles. Mais c'est très souvent en argent qu'est figurée sa part dans les successions. D'une façon générale, la liquidation de celles-ci entraîne le plus souvent, même entre héritiers mâles, des évaluations numériques. Gela dès l'époque la plus reculée : c'est un trait ancien et constant. On est dans un milieu qui épargne, accroît et investit. Certes, le principal de ces investissements, savoir, l'adduc tion des séguias, l'aménagement des pentes en gradins, travail qui en termes d'économie moderne affecterait des bilans gigantesques, échappe à l'éva luation. Il est vrai qu'inversement le «bénéfice -d'un saint», tisura, la « protection routière », zeťťáta, se négocient. Nous sommes pourtant loin ici du luxe qu'offre, sur le plan d'une commercialisation de ce genre Je droits, un milieu comme la Mauritanie, où protection en suzeraineté s'aliènent, se nantissent, se louent et sous-louent. La rationalité méditerranéenne a ici produit ses simplifications, ses épurations. Et pourtant, quelle ubiquité des traductions monétaires 1 L'Atlas est comme le reste du Maghreb, le pays du taqwim, c'est-à-dire de l'évaluation chiffrée. N'importe quoi s'évalue. C'est là la solution passe-partout du fiqh nord-africain, peut-être parce qu'il est le droit d'une société à marchés hebdomadaires : substantielle différence avec le prototype oriental. Peutêtre aussi parce que, droit de moralistes et de théologiens, il recommande, par un juste retour, la consultation de ce «Bédouin qui est à la porte w1. La montagne elle aussi, quoique que pour des raisons probablement diffé rentes, participe d'un tel aspect. Pour elle aussi l'évaluation est un recours commode, puisqu'une mécanique boursière fonctionne plusieurs fois par semaine à sa portée dans les souqs du Dir : en l'espèce, pour ces tribus, le marché du Bas-Dwiran et, surtout, celui d'Imintanout. 1. Adage souvent cité par al-Macdàni, Glose de la Tuh' fa, en marge du Commentaire de MayyAra, t. II, p. 126.


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II est vrai, outre les limites contenant ce monétarisme en deçà d'un fond de rites et de pactes, il en est naturellement aussi d'autres qui, procèdent d'un aspect proprement « paysan ». Nos économistes opposent classiquement l'économie d'échanges à l'éc onomie fermée1, dont ils font une caractéristique des sociétés arriérées. Celle que nous étudions ne répond pas exactement à ces antithèses traditionnelles. Elle y échappe à la fois par excès et par défaut. D'une part, elle soustrait les immeubles non seulement à l'échange mais, pour partie, à la dévolution successorale et aux mutations — et c'est là excéder de beaucoup l'antiéchangisme que l'on prête de confiance aux organisations archaïques. D'autre part, son économie offre avec ces organisations l'opposition radicale d'être en grande part tributaire de l'extérieur pour sa propre nourriture, et par conséquent, d'être fondée sur la production de fruits exportables, dont la commercialisation lui permette de parer à un déficit alimentaire permanent. C'est un fait : orge ou maïs, la montagne ne se nourrit pas de ses propres cultures. Des évaluations traditionnelles portent à une moitié des besoins au maximum ce qu'elle est capable d'assumer de soi-même. Pour le reste elle doit, elle a dû acheter. Elle doit, elle a dû vendre ce dont la nature l'a pourvue : noix, laine, miel, olives, amandes, caroubes, petit bétail. Les montagnards au souq

Nous voici donc revenus à l'aspect marché! Et non seulement au marché de vocation locale, fonctionnant surtout comme bourse d'évaluations, de contacts et d'informations — mais -au marché d'échanges au long cours, si j'ose dire. Les grains viennent de loin. Les fruits partent au loin. Cela, maintenant comme de tout temps. Aujourd'hui encore, un marché comme celui d'Imintanout est moins celui du commerce plaine-montagne, de part et d'autre de l'axe du Dir, que la place centrale où le couple plaine-montagne, parfois réuni, dans la même tribu (Dwiran, Mez'ud'a, Mtugga, et peut-être autrefois Seksawa), échange ses produits avec le Haouz, Marrakech, le Sous, l'Europe. Et le numéraire qui servira d'étalon d'échanges et de barème de références sociales, vient également de loin. Sa matière est exotique, sa frappe citadine. Lui aussi, comme les hommes de la montagne, leurs trou peaux, leurs produits et peut-être autrefois leurs labours, a ses mouvements : et bien plus amples, parce que participant de la légèreté de l'abstrait. Attachons-nous aux deux souqs actuels que fréquentent particulièr ement les Seksawa — le « lundi » d'Imintanout, d'assise très ancienne, et qui joue entre Haouz et Sous un rôle de redistributeur et de transitaire — et le « mercredi » des Dwiran, héritier peut-être - d'un « mercredi » du BasSeksawa, lequel ne devait pas tellement en différer par la signification. Il faut noter que ce mercredi des Dwiran, fonctionnant aujourd'hui au lieu dit Buwzdud, à 4 km. de Bulâwan sur la route du Dir, en direction de t. I,1. p.Profondes 144 et suiv. distinctions de F. Simiand, Le salaire, l'évolution sociale et la monnaie, 1932,


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Marrakech, dessert une tribu, qui, comme les Mez'ud'a voisins, et sans doute autrefois les Seksawa, s'épand largement en plaine, et comporte pour. chaque fellah une correspondance plaine-montagne. C'est donc non seulement sur le plan de la consommation familiale mais sur celui de la trésorerie que ces transactions peuvent nous intéresser'. Or, un sondage opéré sur un souq moyen au printemps donne comme masse d'apports des gens de la montagne : 1 quintal de beurre ; 70 kg. de miel ; 18 qx de bois ; de la vannerie ; 25 mesures de maïs ; 50 toisons ; 15 ovins ; 25 caprins ; 4 000 œufs. Le tout, évalué en 1951, fait environ 225 000 fr. Soit la valeur de quelque 180 qx d'orge. Arrêtons-nous à, cette équivalence. On sait que dans les régions agricoles de l'Afrique du Nord, une concordance coutumière existait autrefois entre les prix du grain et du bétail. Dans le Rharb par exemple, 1 quintal de blé équivalait àl mouton. C'était là un barème de normalité. J'ai entendu de vieux colons fonder là-dessus leur comput du « juste salaire agricole » : il doit être, me disait l'un d'eux, égal en francs au prix de la mesure de blé en réaux. Une enquête poursuivie sur ces bases à Imintanout est restée absolu mentvaine. A peine s'est-il dégagé un témoignage isolé selon lequel en année normale, « autrefois », le prix de la mesure d'orge et celui du mouton se maintenaient dans la proportion de 3 à 10. Une telle incertitude tranche avec les belles régularités observables dans d'autres parties du système : régime immobilier, répartition hydraul ique par exemple. Elle concorde par contre avec ce qu'on pouvait attendre d'un milieu économique dont les principaux produits, qui apparaissent sur les souqs de fin d'été (amande) ou d'hiver (olive), alimentaient dès une époque que tout porte à croire très ancienne, l'exportation, partant la spéculation. Aussi ne sont-ce pas seulement les prix du meksur (noix en pulpe), de l'amande ou de l'olive nature ou triturée, qui étaient soumis sur le marché à un vaste agiotage : dans la vallée même, et longtemps à l'avance, la vente en vert sévissait, et avait les préférences des financiers locaux. C'est sur le commerce de l'amande que nous sommes le mieux renseignés pour la période ancienne. D'une part, une tradition vivace des hauts cantons Seksawa et Demsira en fait l'unique poste de commercialisation extérieure. D'.autre part, à partir de la fin du xvnie, Mogador en devient le grand centre exportateur. Le consul Chénier1 donne là-dessus des notations précises. Entre la haute montagne et Mogador, Imintanout joue un rôle de facto rerie, en même temps que de centre de transit, d'approvisionnement et de spéculation et aussi de redistribution monétaire. Voici un document brut sur le mouvement de ce marché autour des années 1900, que l'on peut consi dérer comme révélateur d'un état de choses relativement ancien : Le volume des affaires de l'ancienne époque était par rapport à maintenant exces sivement grand jusqu'à quatre-vingts fois plus sans exagérer. Les gens de montagne qui fréquentaient le souq d!Imintanout vendaient, suivant la saison, comme produits riches : des amandes mixtes, des noix, du henné et d'autres denrées comme lentilles, figues de barbarie, carottes, navets, courges, oignons. 1. Journal, édité et commenté par Ch. Penz, 1943, p. 27» 28, 64, 70, 73, 95, 214, sur les points intéressant particulièrement cette étude.


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Les marchandises pauvres dont ils disposaient, comme bois de chauffage, charbon de bois, caroube, etc., ne pouvaient jamais passer loin du marché, car les frais et frets et le droit de Nizala de huit étapes entre Imintanout-Marrakech, rendaient ces mar chandises invendables dans les villes, frais et frets dépassant la valeur des marchand ises. D'ailleurs, le trafic de ces marchandises pauvres se faisait en général sur le dos des femmes et des gosses qui; à moitié nus, faisaient pitié. Un grand fléau frappait les agriculteurs de plaine et de montagne : le manque d'argent pour subvenir à la vie, et les impôts incessants dont aucun n'était exempt, obligeaient ces gens à vendre leur produit en vert et à moitié prix — ce que presque tous les gens du pays avaient l'habitude de faire et qu'on appelait « biâ ou sallam ». Cependant les montagnards souffraient toujours plus que les gens de la plaine, et pendant les années de sécheresse une grande partie devenait des mendiants. Les gens du pays n'achetaient que peu d'objets manufacturés venant de la ville (théières, cafetières, verres, plateaux, tissus blancs et bijoux). Cependant une année de sécheresse venait — ce commerce mourait, les objets achetés comparaissaient dans le marché pour être vendus à des prix bien modérés. Tous les commerçants souffraient en général, et dans le marché il n'y avait que peu d'orge, du seigle, du maïs et surtout le riz qui occupait la plus grande place de la vie ainsi que Vaïrni. Il y avait le commerce des vieux habits, des chiffons, des cornes, des os. Le commerce de ce dernier article était le plus important, il y avait des milliers de clients, les bêtes gisaient partout, chacun pouvait en ramasser assez pour faire sa journée, pendant la nuit on allait déterrer les morts pour avoir plus de marchandise. Ce document, qui émane d'un vieux négociant israélite, a été livré tel quel, dans toute sa verdeur pittoresque. Il s'assortit de notations de cours, qu'on retrouvera plus bas, et dont on peut inférer qu'il fallait à, Imintanout vers 1900, pour acheter 1 quintal d'orge, vendre 3 chèvres ou 5 kg. d'amandes ou 5 kg. de noix. Si l'on chiffre à 5 qx d'orge, complémentaires de la production familiale, les besoins annuels d'un montagnard, on peut considérer, toujours d'après ce témoignage, que les 80 fr. ou pesetas nécessaires sont obtenus par la vente de : 5 chèvres, 10 toisons, 5 kg. d'amandes, 20 d'olives et 10 de noix. Une telle commercialisation n'a rien de disproportionné aux ressources d'une famille montagnarde moyenne. D'où il faudrait conclure que le compte de ces tribus est créditeur, ne fût-ce que sur le plan des réalisations immédiates au souq. Normalement donc, et en dehors des rentrées d'un autre ordre, comme celles qu'elle doit à l'émigration, la montagne aspire l'argent. Et cependant, il est de fait qu'elle donne l'impression de la pauvreté au rédacteur de notre document, lequel, par métier, s'y connaît. Il la voit emprunteuse à taux usuraire, acculée à la ruineuse vente en vert. Gomment concilier ces aspects? Tour à tour ou simultanément famélique ou cupide, instable, bénéficiant et pâtissant de l'usure, mendiant et théraurisant : telle apparaît la montagne. La suite de ce travail permettra de serrer de plus près, non de résoudre, une telle contra diction. A tout le moins ces premières touches auront-elles fait ressortir un second caractère essentiel de cette économie : le contraste entre une consommation archaïque, dont l'avarice devrait libérer, du fait des ventes de produits chers, un large solde créditeur, — et la sujétion aux aléas du commerce externe : prix de l'orge en plaine, prix de l'amande en Europe. Et de ce contraste sortent tour à tour, ou en même temps, l'aisance et la ruine.


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ANNALES' Fluctuations de cours

Un document Nfifa, sorte d'aide-mémoire du genre dont raffolent les lettrés locaux, énumère les valeurs successives du mithgâl1 pendant le siècle qui a précédé l'intervention française. En voici la substance : Sous Muh'ammad b. Ismâcîl : 10 о (1 232 hég.). En 1233 : id°. En 1234 : id°. De là jusqu'en 1250 (Moulay cabd ar-Rah'mân) : 13 o. De 1251 à 1260, 14 vo. En 1267 (= 1841) le riâl bulanffaď, «aux canons» (c'est-à-dire le douro espagnol du xvine siècle) vaut 16 mithqâl. Et le « riâl français » 17. Puis le premier monte à 18, et le second à 19. En 1270, le H'âjj cAddî al-Mtuggi prit le pouvoir sur sa tribu. A ce moment, le riâl est coté 22 m. Sous le Caïd Muh'ammad, il passe à 24 m, puis à 32 w (1286). En 1294 nouvelle hausse : il passe à 40 m. Il ne s'y maintient que deux mois, après quoi il retombe à 32 m. Mais en 1296, nouveau bond : à 65 m cette fois. L'année suivante, hausse à 75 m. En 1298, cote 85. En 1299 cote 90. En 1300 (= 1884, soit après la réforme deMawlay al-H'asân) le riâl, vaut 14 m. En 1301, 12 m. En 1311 avaient cours le Wâsanî, le çâhib al idhn (le douro du roi Amédée), le Zabil (douro d'Isabelle), le cachrin qui s'échangeaient pour 1,5 riâl Kasaní. Cet état de choses dura jusqu'en 1330 (= 1912)', date à laquelle se généralise le h'âfiz'i. Au mois de chawwâl 1340, le public, en notre pays et en Mtugga, utilise la monnaie • française de papier, et parfois d'argent, en cas de stipulation commerciale. Cela jusqu'en 1er dhû4-h'ijja 1340 (= 1922) ou s'établit définitivement l'usage de la monnaie française.

Ce document — et c'est son intérêt — fixe les variations de cours locales de 1817 à 1912. La comparaison avec des documents urbains du même ordre livrerait d'utiles repères quant à la situation monétaire du Dir et de la mont agne, relativement à celle des grands centres. Une telle investigation sort du cadre du présent travail. Quoi qu'il en soit, deux choses ressortent du document. D'une part, les rapports des deux étalons de la monnaie de compte : mithqâl et wuqiyya, semblent avoir été eux-mêmes variables. L'intervention du riâl sous ses différentes formes n'est mentionnée qu'à partir de 1267 hég. = 1851. En second lieu, cette variation du rial de 17 m à 140 m en moins de quarante ans, traduit un phénomène économique sur lequel, faute d'autres éléments, on en est réduit à une impression très générale, savoir la totale détérioration des monnaies marocaines par rapport aux pièces étrangères au cours de la seconde partie du xixe siècle. Pendant toute cette époque, la frappe indi gène, il est vrai, ne produit plus, sauf à de rares intervalles, que des monnaies divisionnaires, en l'espèce le billon dit akariď dont le pluriel ikariden est resté localement, un peu comme notre pluriel « des sous », usité dans l'accep tion d'« argent » en général. Comment ces monnaies divisionnaires se situent-elles, selon la tradition, par rapport aux monnaies de compte, mithqâl et wuqiyya ? Selon cette tradition, qui se réfère au plus haut à, un état 1900, les monnaies de compte sont le mithqâl, qui vaut 10 wuqiyya, ou 40 muzûna. 1. Sur ce genre de problèmes, cf. l'excellent exposé donné, pour une société très différente, par R. Le Tourneau, Fès, 1949, p. 282 et suivi II mentionne la réforme de Mawlay °Abd ar-Rah'mân, et renvoie à l'Exploration de Foucauld, p. 22,, n. 1, et à Michaux-Bellaire, L'organisation des finances au Maroc, p. 201, n. 1, p. 203, 218 et suiv. Ajoutons-y le Voyage de Segonzac, p. 267, qui note une tendance à l'inflation, et Au cœur de l'Atlas, du'même, p. 162, qui indique, pour 1905, le cours des monnaies et quelques indications de prix.


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Les pièces en circulation sont : le /e/s, qui vaut 8 muzâna, le gerch, qui en vaut 25, le riâl qui en vaut 500, c'est-à-dire 20 gerch, c'est-à-dire 62 fels 1/2. lfaqariď vaut 0,25 muzûna dont 0,625 wuqiyya, dont 0,0623 mithqâl. Ce dernier est porté de façon constante par tous nos informateurs à la cote : 1 réal = 12,5 mithqâl. Mais le document ci-dessus porte à croire que cette équivalence même est théorique. Pendant les deux derniers siècles, les monnaies d'importation se général isent, sous différents noms et sobriquets, entraînant les plus chanceuses assimilations avec les anciennes pièces, de dénomination classique, comme Vuqiyya que manipule le consul Ghénier — et les nouvelles frappes divi sionnaires. Ce qui est remarquable toutefois, c'est que la référence aux anciennes monnaies de compte, en l'espèce à l'étalon fictif du mithqâl, subsiste dans les documents chleuhs, jusqu'à la fin du xixe siècle. Conservatisme, dans une effarante instabilité. Indications de prix dans les documents anciens Comment l'analyse des prix pourrait-elle opérer sur des données aussi incertaines? Les documents ne mentionnent que les monnaies de compte, et celles-ci présentent non seulement avec les pièces en cours, mais entre elles-mêmes des variations. Telle est la question qu'il faut renvoyer à l'inves tigation monographique. Il n'apparaît pas inutile, toutefois, de grouper un certain nombre de données recueillies dans les textes, en tribus Seksawa, Demsira, Nfifa et Dwiran, et dont, à condition d'éviter toute ambitieuse interprétation, quelques aspects généraux peuvent se dégager. L'appendice de la page 312 en groupera une cinquantaine, s'échelonnant selon une densité croissante, du xvie au xixe siècle. Nombre infime certes, au regard des magnifiques dépouillements de l'érudition moderne, et qui paraîtrait justement dérisoire à un Simiand, partant en quête de « données désirables » pour sa monumentale histoire du mouvement des prix. Notre tentative entame à peine le sujet. Elle n'invoque d'autre excuse que d'être, pour le Maghreb rural, la première. Impression générale a retirer de ces textes. — D'abord une cer taine constance des tarifications. Le vol domiciliaire est puni d'une amende qui se maintient à 100 о de 1747 (Ida u Geryun) à 1755(Azen d'un), 1771 (I. u Geryun), 1778 (N), 1789 (Taza), 1798 (Ad'erd'ur), 1716 (Tasa), 1845 (I. u Geryun). A partir de 1881 intervient la mention de l'« argent nouveau », ce qui confirmerait les notations précédentes. Le riâl fait son apparition une dizaine d'années après. Le prix du douaire apporté par la femme jihâz oscille entre 37 m (1604), 52 m (1614), 14 m (1749); 80 m (1824). Là encore se pressent, à travers les inégalités individuelles, une certaine constance. Ce douaire, en 1604, comprend," pour 37 m : un vêtement de laine, des outres, de la soie, des ceintures et un coffre, le tout « au prix du souq ». Dix ans après, une masse d'effets analogues, à laquelle s'adjoint un troupeau de 20 têtes de petit bétail, double a peu près le prix : la tête de petit bétail revient donc à 1,50 о ; ce qui est confirmé par plusieurs autres notations.


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'ANNALES

Une mule valant 20 m, la dia pour meurtre d'un homme est fixée à 35 m (1721), chiffre dont on peut rapprocher celui de 10 m, prix d'un esclave (1792). La dia d'une femme étant indiquée 15 m en 1816 et valant, selon la coutume, la moitié de celle d'un homme, on note ici encore une constance. C'est autour de ce prix d'une tête de gros bétail, la mule de bât, à la fois .signe et moyen de la dignité sociale, que semble pouvoir être fixée la qualité d'opérations importantes, telles que règlement d'une dia, apport dotal, achat d'esclave, nantissement d'immeuble, sanction -du crime ou du vol grave. A un degré beaucoup plus modeste, qui est, si l'on veut, celui de la vie au jour le jour, se situe l'achat de provisions au souq. La mesure d'orge vaut 10,5 mu (1703). Sans doute subit-elle d'énormes hausses en cas de pénurie. Mais nous voyons au cours du même siècle le salaire journalier d'un fqih (sans doute la partie en espèces, s'ajoutant à la nourriture, de valeur équival ente)évalué à 1,2 mu soit par semaine 8,4 mu. Une autre indication est fournie par l'inconstance des prix relatifs de l'orge et de l'huile : respectivement 1,50 la mesure, et 3 mu le qubb (1703) ; 16 о la mesure et 13 о le qubb (1862). Le qubb contient quatre litres. Toute cette matière est évidemment sujette à des fluctuations spéculatives sur lesquelles nous ne savons rien.

Echappées sur un stade plus récent Ces remarques décousues n'ont nulle prétention à conclure. Elles visent simplement un échantillonnage d'indices recueillis dans des textes : elles frisent ainsi le paradoxe, car notre historiographie maghrébine ne dispose pas encore de beaucoup de textes ; à plus forte raison pour les ruraux de l'Atlas ; et à plus forte raison encore s'il s'agit de documentation économique précise. On a fait pourtant en ce sens un effort de recherche, que la critique pourra juger plus ou moins décevant, encore qu'il soit manifestement à poursuivre et multiplier. Passons maintenant non à une contre-épreuve, mais à un autre genre de sondage : l'investigation auprès de témoins, c'est-à-dire le recours à la mémoire orale de cette " société. Visant une période nécessairement plus proche, en l'espèce un « état antérieur » — antérieur à nous — se situant vers 1900, cette investigation est susceptible de quelque résultat. Non qu'on atteigne ainsi un « état de nature » de l'économie du Dir, état que seul aurait troublé notre intervention : le Maroc, si paradoxal que cela puisse paraître à certains, a, comme tout autre pays, une histoire économique, et l'état 1900 est lui-même une résultante. Encore cet état est-il exclusif d'interventions européennes directes, et se place-t-il dans la perspective de la longue période (xne au xixe siècle) où le Sud-Ouest marocain constitue l'hinterland de comptoirs européens littoraux et du commerce avec les thalassocraties du temps. Pour le moment considéré, cet emporium est Mogador. Les notes qui suivent procèdent de deux sources de témoignages : d'abord, et essen tiellement, de l'enquête menée auprès de vieillards groupés sur une dizaine de points (étiquetés a à /) de notre région; secondairement, des archives de notre consulat de Mogador, par où s'écoulait l'exportation.


LES ÉCHANGES DANSiLE HAUT-ATLAS OCCIDENTAL

299

a) Première enquête (voir tableau, p. 300-301). Les points sur lesquels elle a porté sont : a) b) c) d) e)

Sebt des Mez'ud'a Larbâ des Mtugga Larbâ des Dwiran Haut-Demsira Bulâwan

/) g) h) i) /)

Idma Imintanout Imintanout Fensu Mellah' d'Imintanout. -

D'autre part, les chiffres mentionnés le sont en « peseta h'asani ». Remarques. — La folle incertitude de ces résultats n'a rien pour sur prendre. Compte tenu des risques de la méthode, qui sont grands, elle traduit une irrégulatiré des cours, due à, disettes ou. spéculations, qui est classique. Quoi qu'il en soit, si nous prenons la moyenne de ces cours, démarche contestable mais seule possible, nous arrivons à un prix de 1,55 p. h. pour la mesure d'orge (environ 13 kg.), tandis que le kilogramme d'amandes décortiquées vaut 1,87 p. h. La disproportion est flagrante : à un .tel cours c'est le montagnard qui est avantagé. b) Deuxième enquête On mesure déjà, par l'immense acquis des Sources inédites, ce que la documentation européenne peut apporter à la connaissance du passé maroc ain. Sans doute est-ce là, le plus souvent, une documentation limitée aux « échelles », donc superficielle, et ne mordant que rarement aux réalités de l'intérieur. Côtière, c'est-à-dire bornée à l'épidermè du pays, elle est, de plus, mercantile : elle ne s'intéresse que subsidiairement aux phénomènes dénués d'incidence directe sur les factoreries européennes. Sa contribution, encore que latérale, n'en est pas moins considérable. Nous y ferons appel pour tenter d'élucider l'obscur problème de l'économie montagnarde au siècle précédent. Dès la fin du xvnie siècle, quelques notations du Journal de Çhénier sont à retenir. Nous y voyons que l'amande constitue un poste important de l'exportation, de même que l'huile. Le Dir est directement touché par ce commerce. La chose se confirme par la suite. Un sondage portant sur la période qui va de 1846 à 1870 fait constater qu'il s'exporte en moyenne, de Mogador1, de mille à quinze cent tonnes d'amandes par an, pour une valeur qui s'élève au tiers et parfois à la moitié du chiffre global des exportations. L'amande vient en tête, puis les cires, les gommes, la laine, les peaux, la sandaraque et des articles très divers : plume d'autruche, herbes médicinales, voire sangsues. D'après les documents douaniers, le cours des. amandes oscille, dans la période considérée, de 40 à 50 fr. le kantar, soit 54 kg. Mais on enregistre des bonds de 60, 80 et même 95 fr. (1866). Ces fluctuations, inhérentes aux aléas de la récolte et aux manœuvres spéculatives, offrent la même physionomie qu'aujourd'hui même. Le kantar d'huile d'olive se maintient à plusieurs points au-dessous du cours de l'amande : à 36 fr. quand celle-ci est à 39 (1862), à 52,5, quand elle est à 95. Simultanément, le maïs oscille entre 6 et 9 fr. la kharruba de 90 kg. On ne serait pas loin du mouve mentréel des prix en évaluant la valeur de cette céréale à 10 p. 100 de celle 1. Archives du consulat français, que j'ai pu consulter aux Archives du Protectorat.


300

ANNALES SOURCE du MESURE EMPLOYÉE document

DENRÉES

a) b) c) d) e)

Orge

а i)j) h) a) b) c) -

Maïs

COURS PRATIQUÉS EN : 1879

1884

1897

1906

5

1

1

çâe (2 eâbra) eâbra

1

2

3

décortiquée

Amande

i) a) b) c)

NON

t

DÉCORTIQUÉE

% i

1)a) 11

\

C) d)

DÉCORTIQUÉE ) 1

/)g) A)

Noix

Noix NON DÉCORTIQUÉE

8

quintal kilo n'ai (750 g.) a) /) f) e) d) i)c) h) b)*') g)

a) b) c) d) e) f) g) h) i) i)

2

1 2 0,5 2 3

4

quintal eâbra eâbra

fl

Amande

1912

câbra

/)

1

1908

kilo rťal (750 g.) rt'al (500 g.) kilo rťal hasani (700 g.) kilo

7,5

1

1

1

1,5 1,5 13 1,7 1,5 3 0,75 3 4 7,5 2 2,25 20 6' 0,25 0,50 2,25 2 1,50 2,25

1,25

câbra 2

4

3

2,50 2 4,50 4

çâ° (2 câbra) Bâbra

5 2,5

kilo n'ai (750 g.)

1,50 0,25 0,75 1,35 1

rial (500 g.)

2

1

3

0,50 0,50

kilo le mille

2 6

le cent le mille 1

2

1,5

3 0,25

0,75 5 4 1 2


LES ÉCHANGES DANS LE HAUT-ATLAS OCCIDENTAL

Huile '

Ovin moyen

a) b) c) d) e) f) g) h) i) 7) a) b) c) d) e)

MESURE KMPLOYEE kilo seaulitre (4 kg.) tmen = 2,500 kg. kilo kilo talqaçt = 4 kg. tatment = 4 kg. kilo kilo l'unité — — — — — — — — — l'unité — — — — — —

Caprin

i \)

g) h) i) i) a) b) c) d) e) f) g) h) i) a) *) c> e) d)

moyen

)

f)

l'unité — — — — — —

i) e) b) c) d) e) f) S) h) i) i)

— toison — .— — — — — — — -

\

Bovin moyen

1 Laine

COURS PRATIQUÉS EN : 1879

1884

0,25

1897

1906

0,25 1,50

1908

1912

0,25

0,5 3 0,75 2,25 0,50

1

.

source 11 U. rlll document

JJТ\ 111ТГ VtIV S\"H IIIТ? -El"Р1 OЧ

301

5

3

6,50

4,50 6

30

70

55 40

1,25 0,50 12 15 6 2 10 10 2,50 6 60 75 30 35 150 35 40 5 7,5 4

1,25 5

0,75

1,50

1,25

2 1,25

1,5 1,5 1,5 1 2 1 1,5

de l'amande à égalité de poids. Nous manquons malheureusement d'indices corrélatifs sur l'orge, qui n'apparaît pas aux exportations. Mais nous la voyons à l'importation, sans doute en période de famine (1850-1851). Elle vaut alors 12 à 18 fr. la hharruba de 75 kg. Ces années l'amande montagnarde s'échangera à trois fois seulement son poids en orge. Gela à Mogador : je laisse à penser l'aggravation que subit ce rapport sur la place d'Imintanout ! Il n'en reste pas moins qu'une partie du moins de ce numéraire doit finir par arriver au planteur. Et cette ressource se conjugue avec une autre, de même ordre : les salaires de l'émigration.


302

ANNALES' Le retour de l'enfant avare

Le phénomène de l'émigration est attesté, pour le plus lointain passé imaginable, par la tradition locale. Mais ce que purent être jadis sa masse, ses directions, ses incidences économiques : tout cela bien entendu nous échappe. Ces difficiles questions commencent, à peine à s'élucider pour le temps présent. Nous n'avons donc ici d'autres éléments d'investigation que l'existence en tribu d'habitudes invétérées d'expatriation, auxquelles fait pendant en ville l'installation également immémoriale d'une « nation Sousie » de boutiquiers ou de manœuvres, la jâliya Sûsîya de Fès par exemple. Sur place, d'étonnants mélanges d'origine s'entrevoient au fond des commun autéssud-marocaines : les Seksawa n'y font pas exception. Toute une circu lation de groupes et d'individus se décèle dans leur passé. Comme leurs voisins, ils ont constitué un foyer d'appel en même temps que de dispersion.' Sur le plan de l'analyse institutionnelle, l'observation est encore plus concluante. Le rôle de ces départs et de ces retours dans la vie juridique et les finances locales est très précisément déterminable. Enfin, une enquête récente amis au jour des ordres de grandeur et des lignes de mouvement auxquels la moins imaginative des interprétations ne saurait refuser à tout le moins une valeur d'indice sur le passé. Intensité de l'exportation-travail ; direction obstinée vers le Nord ; rôle de complémentarité économique et morale assumé sur place : tels sont les principaux caractères que, comme dans la plupart des tribus du SudOuest marocain, l'émigration atlasique offre à l'observation. Le premier de ces caractères ne" saurait être sérieusement commenté pour le passé. Rien à tirer des chiffres actuels, selon lesquels 10 p. 100 des mâles adultes environ vont chercher ailleurs un gagne-pain, et mieux encore un pécule. Nous n'avons, bien entendu, aucune indication sur l'ampleur que pouvait jadis revêtir l'exode. Dans la mesure pourtant où il sera permis d'inférer du présent au passé, on peut toutefois l'imaginer d'un taux très substantiel pour les derniers siècles. A vrai dire, la zone qui nous occupe, et qui s'intègre au coeur de l'ancien domaine maçmoudien, n'est pas la plus touchée. L'enquête de R. Montagne sur le prolétariat marocain1 a еиЛе mérite de s'engager sur des terres inconnues et de permettre un premier classement des faits ; il en ressort que ces vieilles tribus : H'ah'a, Seksawa, Gedmiwa, pour s'en tenir à celles qui ont leurs lettres de noblesse almohade, n'ont, par rapport au Sous lui-même et au Drâ, qu'un pourcentage assez faible d'expatriés. A l'échelon même d'un ensemble restreint comme le H aut- Atlas occident al, la comparaison entre le pourcentage des diverses taqbilt fait ressortir de surprenants écarts. On aura donc à chercher la cause de telles particular ités ailleurs que dans la démographie, l'insécurité climatique ou une propens ion générale des mœurs. Ces singulières différences entre cantons se retrouvent dans d'autres domaines, le droit ou la religion par 'exemple. Et sans doute ne 1. Naissance du prolétariat marocain, 1950, et notre compte rendu ici-même, 1952, n° 2.


LES ECHANGES DANS LE HAUT-ATLAS OCCIDENTAL

303

sera-ce pas les expliquer que de les attribuer à des décalages de « personnal ité » entre taqbilt. Cependant, les faits sont là. Il y a plus suggestif. Une enquête déjà ancienne a révélé comment s'organisenj sur la terre étrangère, en l'espèce la banlieue parisienne, ces émigrés. Toute une géographie des groupes chleuhs se faisait jour, comme spontané ment, à travers les associations d'un sordide habitat. Un ordre berbère régissait, vers Pantin ou Genevilliers, l'agglomération- des travailleurs, et se recomposait dans l'exil1. A la base, les recherches en cours révèlent mieux encore. Dans tout l'ensemble touché par l'appel de main-d'œuvre se devinent non seulement les rudiments d'une division du travail entre groupes, mais encore, à certains égards, une division de l'espace. Partage des vocations et partage des directions sont certes loin de s'expri mer parfaitement, et n'apparaissent que sous la forme d'indices fragmentaires. Mais il est déjà singulier que, d'entrée de jeu, l'enquête de R. Montagne arrive à distinguer une dizaine de zones où l'ampleur et les modalités du phénomène varient selon un compartimentage dont seule une personnalité de groupe puisse rendre compte. Le recoupement de ces premiers résultats n'est pas suffisant pour autoriser une induction quelconque. Ce qui en ressort tout au moins, et par comparaison avec l'Algérie voisine, c'est que leur explication' par des causes mécaniques ou d'ensemble est inopérante. Des tendances de collectivités y sont manifestes. Improvisant en quelque sorte leur champ d'exercice, dans la mesure où celui-ci dépasse à présent le péri mètre autrefois accessible, pour s'étendre à l'étranger, il semble que ces forces se soient libérées selon un certain ordre. Résurgence .du passé ou organisation spontanée, valant à tout le moins comme test de psychologie sociale, 'un tel ordre doit retenir l'attention. Le second caractère de cette émigration, son orientation obstinée vers le Nord, est conforme à la direction générale de tous les mouvements de populations qu'a enregistrés la chronique, et qui ont, dans une mesure d'ail leurs difficile à apprécier, formé ou renouvelé le Sud marocain à partir du Sous et de l'Anti-Atlas. Point de différence qualitative, en effet, à établir entre l'évasion du travailleur et celle du groupe chassé par la défaite, la famine ou l'espoir du mieux-être. Entre l'une et l'autre, guère qu'une diffé rence de circonstance et de degré. Quelle qu'y soit la part des déterminants matériels, le sentiment est en effet le même dans les deux cas. Il ressortit à un thème fort riche dans ces sociétés : celui qui consiste pour l'opprimé à fuir, pour le plaideur à faire défaut, pour la femme à « s'insurger ». La puis sance d'émotion déclenchée par de telles démarches dégage des valeurs redoutables et comporte son épilogue : la réapparition de l'absent. Dans la mesure — et je la suppose grande — où ce départ du travailleur, proche de l'exil du proscrit, de la fuite du- pauvre, et de l'absence rituelle de l'opprimé, procède d'un atavisme historique, il constitue aujourd'hui, sous 1. Col. Justinard, Les Chleuhs dans la banlieye de Paris, dans Revue des Études Islamiques, 1928, p. 476 et suiv.


304

ANNALES

la forme la plus moderne — contrat d'embauché, promotion à la vie ouvrière, au salaire, au syndicat — la version la plus individuelle de la constance la plus communautaire. Une vie contractuelle, irriguée de capitalisme mondial, charriant les formes les plus modernes de pensée, vient arracher le travailleur du fin fond de ces vallées archaïques. Quelle rupture ! Mais non : ce n'est là chez cet homme qu'obéissance aux impératifs du passé. Et certes ce n'est pas le seul cas au Maghreb où le contrat souscrit entre individus transpose et libère des mœurs collectives gênées ou refoulées, dans leur expression directe, par l'événement. Le paysan de l'Atlas devient prolétaire de grande ville, couvre d'immenses parcours, bondit d'un siècle à l'autre, pour en fin de compte revenir vivre plus intensément son rôle ancestral à l'intérieur du groupe. Mais sans doute aura-t-il beaucoup appris en voyage.... Si l'on additionne toutes ces sortes de départ — de l'ouvrier, de l'exilé, du pauvre, du lettré en arabe, de « celui qui fait défaut », de « celui qui se soustrait », de ceux qui partent à, l'aventure écumer le vaste monde, ou quêter l'aumône due au pauvre de Dieu — ■ on s'avisera que cela fait beaucoup de départs. L'intensité d'émotion qu'ils soulèvent s'ajoute à celle • que déclenchent les retours : l'une et l'autre constituent des moments sociaux importants, dont ressort une part du plus authentique climat juridique local. Voici donc de retour l'enfant non pas prodigue, mais avare. Ce retour est une fête et un scandale. Il a beau être attendu, voire psychologiquement certain, il cause toujours la stupeur et la joie. Joie de la famille" abandonnée sans soutien viril. Stupeur du riche local, qui sent venir la joute de récupé ration. L'usurpation a déployé une sorte de bonne foi dans l'appétit. La reprise sera facilitée par les prestiges complémentaires de l'exilé à rétablir dans son droit, du pécule rapporté. Et de la sagesse acquise, cette sagessedu dehors, puisée à l'éventaire des écrivains publics, ou plus respectablement,, si l'on a chu en dévotion, aux homélies nocturnes des mosquées urbaines. Bien plus, l'exilé ranime une puissance qui sommeillait dans le pays, celle du droit légitime. Il fait jouer le déclic ^patrimonial. Des titres en sont le signe, ces titres que le passage en ville a peut être renforcés d'astucieuses falsifications : c'était le jeu. La joute s'engage. Le pécule ramené du Nord livre à l'épargne monta gnarde le combat vengeur dont on avait presque oublié l'échéance. L'exilé récupère ou non son droit. Il reprend la figure du pays. Tout s'apaise. Le débat recommence à neuf. A vrai dire il n'avait jamais cessé. Il ne doit jamais cesser. Qu'il y ait en tout cela une constance dont les origines se perdent dans la nuit des temps, c'est ce dont des analyses juridiques plus précises nous convaincront en leur lieu. Pourtant, il est hors de doute que les ressources offertes à l'expatriation par le monde moderne et le travail d'usine sont plus vastes que celles de jadis. L'emploi industriel a supplanté et considérable ment débordé le cercle des tâches autrefois disponibles. Mais ce changement, qui armait la société montagnarde de nouvelles possibilités dans la conquête du numéraire lointain, n'a fait qu'enrichir la


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véhémence de l'ancien débat cantonal, sans en modifier l'esprit ni les termes. L'Europe et l'entreprise européenne au Maroc ont permis aux travailleurs de l'Atlas de rompre le cercle de précarité où les enferment populations et économies de plaine. Ils se sont évadés du cycle de l'orge rare et de la vente usuraire pour aller beaucoup plus loin tenter de nouvelles aventures. Ainsi, conformément à leur génie, échappaient-ils aux contraintes historiques par un brusque dépassement. Ce dépassement consistait dans l'extension de l'amplitude migratoire . et l'expérience de nouvelles mœurs : en l'espèce aujourd'hui celles du prolétaire urbain. Mais ils n'auraient pu être fidèles à ce génie s'ils n'avaient simultanément consolidé l'attache avec le pays. Ainsi l'équilibre restait sauf. Au surcroît de ressources ainsi demandé à l'extérieur, devait répondre une ardeur compensatoire à récupérer le sol des ancêtres. C'est un fait d'aujourd'hui : un homme devient plus paysan, parce qu'il devient ouvrier. Richesse et pauvreté dans la montagne a) Éléments du problème Ainsi se dément de plus en plus, quant à ces sociétés, tout ce qu'on aurait pu se figurer d'un paysanat sans échanges, aux équilibres engoncés, et dépourvu de trésorerie. Tout au. contraire, l'exportation de travail et de produits chers irrigue d'argent les cantons les plus solitaires. En regard de cette abondance, qui peut aller jusqu'à l'inflation, une morphologie de la consommation donnera sans doute de tout autres impressions qu'en plaine. Si l'on essaie de restituer l'atmosphère ancienne, quelques images aussitôt surgissent. Une maison triste, sombre, enfumée, où l'on s'éclaire le soir avec la taçajut : c'est une tige de bois écorcé fichée dans le mur, et qui jette une lueur vacillante ; les riches ont la lampe en terre Iqandil. Hommes et femmes se vêtent de laine. Tout est sur place. Les femmes se passent de chaussures. Leur rouge mouchoir de tête jette la seule note gaie. Les enfants sont habillés des chutes du coupon qui habille les parents. La seule cotonnade usitée est celle du linceul. Il n'y en a point de disponible. Deux ou trois notables par canton en sont dépositaires et vous l'« avancent » en cas de besoin. Une alimentation à base de bouillies relevées d'herbes ne connaît la viande qu'aux jours de frairie ou d'abatage collectif. L'atmosphère même de dilatation sociale qui marque ces circonstances en traduit le caractère espacé et somme toute exceptionnel. Pas de sucre, très certainement, jusqu'à une époque récente. On n'a d'ailleurs pas étudié si la culture de la canne dans le Sous sous les Sââdiens avait entraîné là-dessus quelque changement. Cer tainement pas pour la masse. Il y a un nécessaire à thé par canton, on l'emprunte pour les grandes occasions : il en est encore ainsi vers 1900. Pas de dépenses somptuaires : pas de cheval évidemment. Le contraste, aujourd'hui encore, est vif, lors des grandes foires patronales de Buc anfir par exemple, où affluent les gens de la montagne, entre la pauvreté de leur équipage et la superbe cavalière des Ud Bessebâ0. Une tribu de proie, comme Annales (8e année, juillet-septembre 1953), n° 3. 20


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ANNALES

les Mtugga, s'est adonnée aujourd'hui aux profitables spéculations commerci ales.Sa cavalerie est passée de huit cents à cinquante chevaux. Riche et modeste, le chef de montagne ignore les magnificences obérées de la plaine. Chez lui, pas de çadaq fastueux, ni d'émulation somptuáire lors des noces. Un montant statutaire invariable règle, dans la majeure partie des cas, la dépense de ces festivités. Significativement, la coutume du «concours de présents » appelée taussa dans certaines régions du Maghreb, et dont R. Maunier fit si grand cas, est inconnue de la montagne : c'est la plaine, chez les Arabes Ud Bessebâc qui elle se déchaîne. Tant pis pour l'idée d'un « primi tivisme » montagnard, fertile en « formes archaïques de l'échange ».... En un mot, l'optique de cette société n'est pas propice à l'étalage de la richesse. Elle est faite d'âpre et envieuse égalité. On verra que, jusque dans le détail de l'institution, notamment foncière, cet égalitarisme lutte contre les forces concurrentes. Aussi celles-ci empruntent-elles d'autres chemins.. D'abord la thésaurisation. La société Seksawa est, dirions-nous, ,une société à bas de laine. La nécessité de disposer à point nommé de masses de numéraire pour la prise ou la reprise du gage immobilier, force le riche à l'épargne et le pauvre au pécule. De là tant de pots enterrés dans le jardin Ils sont, longtemps après la destruction des villages, recherchés par des amat eurs furieux, qui ne reculent pas dans leur entreprise devant l'aide des génies, telle du moins que la dispensent d'astucieux spécialistes. Coupé du côté de l'expansion immobilière par d'impérieuses traditions d'imutabilité patrimoniale, le riche n'a qu'une ressource, c'est l'usure : achat en vert des récoltes de fruits ; achats résiliables, ou rrakn, qui feront de lui un propriétaire intérimaire. Ces contrats se multiplient au point de constituer de véritables portefeuilles. fonciers, dont le caractère usuraire et spéculatif s'assortit curieusement d'espoirs de permanence toujours déjoués. Il est aussi d'autres voies,* celles de la rapine : mais elles se heurtent à de la résistance, et comme à une immanente récupération. Le pouvoir, dès qu'il dépasse la magistrature municipale étroitement surveillée par les pairs, exerce ses rapines dans le mode le plus naïvement homérique. Le pillage, le guet-apens, le partage de butin, et éventuellement l'allotissement des terres du vaincu, constituent, encore, qu'en rupture avec la morale de toute cette société, des méthodes de concentration économique. Le tyranneau qui &e forme ainsi, entouré de ses fidèles engraissés, de ses nègres impudents et hilares, de sa parenté, ne conquiert pour autant nul prestige d'aristocratie. Ici personne n'est noble, ou tout le monde l'est. Le climat de la montagne ne porte pas au pacte féodal. Uamgkar reste, aux yeux de ses concitoyens, purement et simplement un phénomène de consommation, une anomalie individuelle et passagère dans la répartition des biens. On attend l'heure propice pour lui faire rendre gorge. Le remède sera violent. iUn poison sagace, une mousquetade bien méditée, auront raison du seigneur naissant. C'est ce qui faillit arriver en 1927 au petit-fils du « Caïd » Mohtar et c'est ce qui nous valut le ralliement de l'adolescent menacé, v Les choses ne vont pas toujours aussi loin. La vie, le plus souvent, reste quotidienne, l'usurpation reste de droit privé. L'ampleur manque dès lors,


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et la gloire. Mais cette banalité offre un avantage, c'est que l'institution puisse y^ jouer sans le secours de l'accident. L'intermède qui règne entre l'usurpation et la joute judiciaire, sera peuplé de gestes d'attente, de sourdes menaces au possédant. Une avidité qui se hâte, assaillie de plus en plus durement par ses anciennes victimes, contredite par la morale du groupe, n'arrive évidemment qu'à des réussites précaires. Entre ces égaux, il n'y a que de nouveaux riches, assiégés par de nouveaux pauvres. Entre les uns et les autres, la différence de personnage est infime. De la « grande famille » ou du moins de ce que nous autres Européens appelons ainsi, à l'obscur compère des hauts villages, la distance économique n'est nullement plus forte que celle du rang social. Car l'inégalité s'annule à terme. La subsistance, à travers les siècles, des principaux ikhs, phénomène matériellement verifiable dans les documents écrits, la persistance de leur , équilibre terrien, établissent en tout cas que la concentration des moyens ou du pouvoir n'a jamais encore, dans cette société, été que provisoire, circonsc rite,traquée. L'état de choses présent ne serait pas imaginable autrement. A l'heure actuelle, il n'y a en Seksawa pas plus d'une cinquantaine de manouvriers, gens sans terres, bergers ou laboureurs. Effectif infime qui montre, à l'aboutissement, la persistance des facteurs initiaux. b) Quelques indices A cet égard, une documentation instructive est apportée par les actes' dits de tizzla, constatant la récupération, contentieuse ou non, des acquêt» par la femme. L'égalitarisme familial l'y fait participer sur le même plan que les enfants pubères. D'autre part, lai répartition ne porte que sur la seconde moitié ; un préciput d'une moitié revient au patrimoine agnatique. Si donc la part de la femme est portée comme étant d'un mouton, il faudra vraisemblablement évaluer à huit ou dix la somme de l'acquêt familial. Mais un grand élément d'incertitude réside dans l'imprécision de durée de l'association : les droits de l'épouse sont exigibles à partir d'une année de vie commune. Pour se faire une idée de la cadence d'accroissement des biens, il faudrait, par un calcul statistique, fixer approximativement la durée moyenne de la vie conjugale : une quinzaine d'années peut-être. Mais il va sans dire que rien, dans le stade actuel, ne permette genre d'évaluation. Deux seuls points sont à peu près incontestables. C'est d'une part la réalité de ces partages, indiquant à tout le moins un système qui aboutit à un bilan positif dans beaucoup des cas ; et d'autre part que la fraction allouée à l'épouse doit — si l'on veut imaginer l'ordre de grandeur de l'acquêt familial — être considérablement multipliée. Au hasard des documents, notons donc les attributions suivantes dont bénéficie la femme répudiée. Inutile de dater, ou même de localiser, à l'infinie distance où l'on reste ici de toute tentative d'induction quant à une évolution possible ou à des différences selon les secteurs. Purs indices donc, sans lien les uns avec les autres, et auxquels nous ne demanderons que leur suggestion


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ANNALES

— 27 de chiffres. m ; —Soit 5 boucs : 1 vache évalués et à207 m, mesures 7 о ; — d'orge 25 m; ; ——1 10 bœuf m; ; — llm; 1 vache—; 42 mesures d'orge, plus 3 chèvres et 1 bouc ; — 7 m ; — 11 m ; etc.... A l'échelon familial, et avec la multiplication correspondante, cela fait dans bien des cas un petit troupeau. L'inégalité même de ces attributions est un gage de valabilité documentaire : tous les stades sociaux paraissent ici représentés. Cela, c'est le stade ancien. Mais les choses ont-elles tellement changé depuis? Voici deux liquidations, intervenues en 1951. La première intéresse un chef Idma, gros propriétaire à la mesure du pays. Sa famille comprend neuf personnes. Compte tenu du préciput patri monial, l'épouse répudiée a donc 1/18. Or sa part est de 18 693 rial. L'acquêt familial portant sur une période de 15 ans, est donc de 336 474 réaux, soit de 1 682 370 fr., au cours de 1951. La seconde liquidation intéresse un ménage de petits paysans d'Ibuban, ui n'avaient rien, ou quasi rien au départ. L'association conjugale a duré ans. A l'issue de cette période, l'acquêt du couple consiste en : 2 vaches, 1 veau, 3 pioches, 2 chambres bâties, des sacs, 70 mesures d'orge, 1/2 mesure de blé, 1 nécessaire à thé, 1 couverture, 1 bouilloire, des poutres, 1 âne, le tout évalué à 80 000 fr. C'est ce que nous appellerions de l'épargne ouvrière. Voilà donc deux bilans positifs. Que peut-on en inférer sur le passé ? Sans doute peu de chose, sinon que la société montagnarde a dû, de tout temps, se caractériser par l'acquêt opiniâtre, l'exactitude à compter, l'énergie à investir. Le dépouillement des anciennes jrida, «inventaires de biens в1, est plus difficile : car elles ne contiennent le plus souvent aucune indication de valeur ni de surperficie. Le seul trait remarquable, c'est le nombre de parcelles possédées, trait antique, on s'en doutait déjà. Il n'y a guère de choses à tirer, non plus, du taux coutumier de la pension alimentaire assignée à la femme : par-mois 2 cabras d'orge, 1/2 litre d'huile, du savon du henné ; chaque année une natte. Malgré sa remarquable rusti cité, ce taux, qui n'intervient qu'en cas de contentieux et par autorité de justice, est plutôt un idéal qu'une réalité. N'en inférons rien d'autre qu'une nouvelle notation sur la modestie du milieu. Plus instructive est la lecture des vieux actes de succession. Avec l'ind ication et parfois la description détaillée d'un fusil, objet alors de grande importance et de grand prix — on s'en rend compte par les évaluations en espèces — on y retrouve surtout la mention de grains et de troupeaux. Ce sont des biens d'appréhension plus facile que les ajouts patrimoniaux, rigoles ou gradins, .dont la permanence obéit à d'autres lois, et qui effectivement, sont souvent passés sous silence dans ce genre de témoignages. Mais voici trois documents plus colorés. L'un est de 1826. Une famille de haut Demsira, les a. Unejjar, atteste qu'elle a été dépouillée de ses biens et chassée de sa maison par un tiers. Elle a en vain fait appel à ses protecteurs Seksawa. Elle se fait alors justice, et envahit, au village d'Afella Izdaten, la maison de l'usurpateur. Elle récu père ainsi les biens qui lui ont été volés, sous la caution de cinquante cojureurs prêts à déclarer qu'elle n'a repris que son dû. Et voici la liste des objets : 1 houe, 1 hachette, 1 soc de fer, 1 moulin de pierre,- 1 réserve de paille, 4 çâe-s de seigle, 2 bols d'argile de Taroudant, 3 marmites modelées par les femmes, 1 cruche à eau, 4 poulets, 2 çâ s d'orge, 4 000 noix, quelques vanneries, 1. Exemples tirés de jrida-s récentes. Famille Addi u Moh'ammed Wârab, originaire de Demsira, établie en Sekrat au xne siècle : pour 12 foyers actuels, on compte 22 parcelles irr iguées (3 ha.) ; 139 en sec (35 ha.) ; 1 838 amandiers ; 110 oliviers ; 109 noyers ; une maison indivise de 110 logements. Famille de Moh'ammed u Bella (Tabratjut, a Lah'sen) : 88 parcelles irriguées (1 ha. sur 48 quartiers) ; 12 en sec (3 ha. sur 12 quartiers) ; 250 amandiers ; 102 oliviers. Aliu Lah'sen n-ait b. Terhat (Amskerdat) : 13 parcelles irriguées (0,12 ha.) ; 19 en sec (1 ha.) ; 280 amandiers ; 15 noyers ; 37 oliviers.


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1 métier à tisser, 1 lumignon de pierre, 1 battant de porte, 1 cadenas, 2 chevreaux, 15 balles de plomb, 1 outre pleine d'actes. En 1841, pour son mariage, un homme des a. Wageryan (Haut-Dwiran) fait les emplettes suivantes : 1 foulard de couleurs, 2 paires de babouches de femme, 1 morceau de cotonnade, 9 livres de dattes, 2 livres de henné, 4 livres de savon, 1 mudd d'huile, 7 paires de babouches d'homme, 1 mante, 20 cou dées d'étoffe, 2 veaux, 5 livres de savon, 25 çfr-s d'orge, 2 talqaçt-s, d'huile, et autant de beurre et de miel. Plus près de nous, en 1897, un marabout de Mssid (Dwiran) marie sa nièce et lui constitue un trousseau et un douaire. Soit : 1 vache pleine, 1 voile, 1 collier de corail et de pesetas espagnoles au nombre de 29 ; 1 autre collier composé de 100 grains de corail alternant avec des pièces ; 2 boucles d'oreilles à pesetas ; 1 drap ; 1 ceinture, 1 foulard de soie, 1 paire de babouches bro dées, 1 mante, 1 seconde mante, 1 chemise, 1 ceinture de soie, 9 outres, 1 autre chemise, 2 fibules. Il s'agit là visiblement d'une famille riche. c) Conclusion d'attente Les produits - caractéristiques de l'Atlas : cire, peaux de chèvre, huile pour partie et surtout amandes, font l'objet d'une demande massive à l'expor tation par Mogador. Ils sont donc anciennement et régulièrement commerc ialisés dans les souqs de piémont, et rapportent un revenu constant en numéraire. Ce commerce est organisé, relativement évolué, adulte. Il a ses lieux, ses agents, ses instruments, ses méthodes : annexe du négoce interna tionalbien plutôt que directe expression d'une économie montagnarde. Une telle discordance entraîne sans doute des pertes : au détriment du rural, à l'avantage du courtier, du transitaire, du prêteur, de l'acheteur en vert. Encore à présent entre citadins et bédouins, une différence de style commercial avantage ordinairement les premiers sur les seconds dans les transactions qui s'opèrent sur les souqs du Dir, le H'ad des Mjjať, par exemple, où la chose est observable. A plus forte raison devait-il en être ainsi dans ces échanges de type colonial, véritable traite, qui aboutissaient à Mogador. Quoi qu'il en soit, et cette réserve faite, il semble que, compte tenu des cours, une partie seulement de la valeur du produit, si amenuisée que l'eussent faite les intermédiaires, repartait en plaine sous forme d'achats de céréales. On peut penser qu'en période « normale », c'est-à-dire quand il n'y a ni luttes, ni spoliations excessives, ni famine, ni épidémie, la société montagnarde récupère et amasse. Dans ces phases, l'égalité tend à se rétablir. L'avarice et la frugalité de l'ensemble l'emportent de loin sur les variétés individuelles. Mais que vaut cette «normalité»? Son champ d'application est déjà singulièrement réduit par le règne séculaire de la violence, de la sécheresse, de la maladie. Il l'est plus encore par celui d'un déficit alimentaire permanent. La montagne a toujours faim. Même riche et agressive, elle a besoin de la plaine pour son pain et sa bouillie : et la plaine c'est l'irrégularité climatique, l'agio sur les cours. Deux facteurs constants : insuffisance de la production céréalière d'une part, possibilité d'exportation de produits onéreux d'autre part, loin de se compenser, concourent à déséquilibrer l'économie des hauts cantons. Une aisance monétaire relative, mais qui ne s'investit qu'en usure; y aggrave les inégalités sociales. Et cela a beau aller contre un génie et une tradition invétérés, de classiques phénomènes de concentration se font jour,


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ANNALES

contre lesquels les structures collectives ont bien du mal à tenir. A la longue sans doute, elles se rétabliront. Les ressources de l'émigration feront préval oir la légitimité terrienne. Mais non sans durs procès, ni dramatique tension entre riches et pauvres. L'économie montagnarde souffre, dirait-on, du contraste entre la rusti citéde ses genres de vie et l'intense commercialisation qui anime ses produits. Une masse monétaire relativement abondante qui, dans la théorie, sembler ait devoir lui assurer, par rapport à la plaine, une balance favorable, se distribue inégalement et alimente l'usure. Le chantage permanent de la disette produit ses effets ruineux de désagrégation d'une société égalitaire. C'est merveille qu'il n'en vienne pas à bout. Si forte est cette dialectique de la faim qu'aujourd'hui même les dispo nibilités d'un canton en amandiers ou en troupeaux, si le terroir irrigué manque par trop, loin d'agir pour la prospérité de l'ensemble, accentuent la' disproportion des fortunes. A preuve ces « cotes » importantes d'impôt qu'acquitte, contre toute attente, le secteur si déshérité del'Ibuban. La richesse s'y concentre en quelques mains. Au contraire, sur le plateau Mtugga par exemple, l'effectif du troupeau s'éparpille > plus équitablement entre foyers. On comprend dès lors l'attachement, paradoxal à nos yeux, que ce monta gnard voue aux cultures céréalières. L'orge et l'eau qui l'irrigue sont bien plus que des notions économiques : ce sont des symboles, au sens sociologique du terme, rivaux d'un autre symbole, l'argent. Ces observations, qui seraient à creuser, sortent du champ de notre étude en ce qu'elles touchent à la période moderne, à laquelle nous ne voulons demander que des indices sur le passé. Cette période d'ailleurs ne saurait être considérée comme « normale », car elle favorise le jeu exclusif des facteurs économiques et l'accumulation paisible des acquêts. Cependant, elle favorise ainsi la récupération.La valorisation de produits comme l'amande et surtout, on l'a vu, les nouveaux débouchés offerts au travail, ont amélioré la balance, en faisant varier dans le bon sens le rapport entre les postes ^crédit et débit. Mais pas d'innovations à,proprement parler : aucun changement de nature par rapport au passé. C'est ce qui explique que les disettes, quoique moins fréquentes, soient toujours redoutables. Une année de sécheresse, et les montagnards doivent encore s'expatrier. L'enchérissement de l'orge sur les marchés du Dir renverse leur précaire équilibre. La famille souffre alors de la faim, et doit être secourue par l'État. Elle fait connaissance avec les ingrédients bizarres de la soupe populaire, et l'on connaît une « année du riz », une « année du froment », câm rrûz, eâm farina, ce qui, paradoxalement, entraîne par la suite un progrès de variété dans la consommation. Seulement, dans l'ancien temps, ces disgrâces ne trouvaient nul correct if dans l'assistance des pouvoirs publics, ou dans les salaires de l'entreprise moderne. La famine, avec son cortège d'épidémies, décimait les vallées et en perturbait les assises immobilières. Un véritable ouragan dévaste alors l'économie et le droit de la montagne. C'est l'époque noire, où l'on ramasse les morts au chwari, c'est-à-dire à pleins bâts.


LES ÉCHANGES DANS LE HAUT-ATLAS OCCIDENTAL

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La jemâa et le seigneur L'intervalle entre les crises n'était pas suffisant pour permettre les répa rations ultérieures de la légitimité. D'où des inégalités sociales à fondement, catastrophique. Elles se manifestaient selon une périodicité liée, entre autres facteurs, à, la pluviométrie de la plaine, partant au cours de l'orge. Mais elles se heurtaient à un milieu égalitaire, qui y répugnait profondément : il s'acharne, par l'épargne locale ou le pécule amassé au loin, a une récupération incessante. Reprise progressive, jamais découragée, mais toujours déçue à point, dirait-on, par l'irruption d'un nouveau fléau. Certes, la concentration économique joue, et se multiplie des aléas du milieu. Mais l'on peut dire plutôt que la lente accumulation est le fait du pauvre, de l'évincé ; tandis que la crise fait ou rétablit le seigneur. En bas de la montagne, aux aguets, un capitalisme de tout autre style, celui des boutiquiers, des transitaires, des caravaniers du Dir, se fortifie par l'usure et s'exerce aux spéculations. Tel doit être, en particulier, le rôle des intermédiaires d'Imintanout, séculairement intéressés, en bons apôtres, à aggraver les contradictions de la montagne: La montagne est donc misérable, malgré son avarice et sa .rusticité, malgré ses produits chers, sa richesse en hommes. Misérable non seulement parce qu'elle dépend du marché aux grains, mais parce qu'un afflux monétaire disproportionné au caractère de son économie la soumet à l'inflation et à la spéculation. Ainsi se multiplient les risques de sa dépendance à l'égard de la plaine. Dépendance économique. Mais aussi, parfois, suzeraineté politique ou guerrière. De la montagne s'élancèrent, au xne siècle, les Almohades. Plus récemment, ses « grands caïds » se répandirent, dans le sens méridien, du Tensift au Sous extrême. Ces chefs procèdent du pays même des démocrat ies montagnardes. Le Haut-Atlas est nourricier à la fois de la jemâa éga litaire et du conquérant. Localement, ce sont deux formes rivales. Au dehors, elles s'allient. Deux formes corrélatives en tout cas. Leur alternance, que nous pouvons suivre sur quatre siècles, tient peut-être au milieu. Gardonsnous des déterminismes simplistes. Mais notons que l'irrégularité économique du Sud maghrébin porte d'elle-même à la concentration sociale, donc en l'espèce à la seigneurie. Celle-ci trouve, dans l'Atlas des hautes vallées et de la paysannerie millénaire, une opposition ou un soutien également fidèles. Telles rencontres d'événements font de ces forces conjugées une puissance d'expansion. Certes, la montagne dépend de la plaine, qui est son grenier, son marché, sa bourse d'agio, son «échelle» sur le vaste monde. Mais son immuable ordre agraire en reçoit maintes influences. L'argent et le mercant ilisme de la plaine viennent renforcer, dans les hauts cantons, un individua lisme de travail et de rapine, le débat du pauvre et du riche, la lutte du contrat contre le statut. La montagne accumule ainsi des forces offensives. Compri mée et tourmentée, elle éclate, de temps à autre, en grande histoire. Jacques Berque Unesco, Le Caire


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ANNALES APPENDICE XVIe SIÈCLE

1510 1510 1548

Idma. Élection et tarification. L'opposition à Vanflus est frappée d'une о d'amende. a. Umgan. Mariage. Le çadaq convenu est de 200 dinars. Mais il n'est pas versé ; seu lement cautionné par le père et gagé sur une part d'hoirie. Azendo (Demsira). Apport de l'épouse, 1 noyer : 8 0. XVIIe SIÈCLE

1604 1612 1612 1614 1635 1636 1642 1643 1669

Irohalen (Demsira). Apport de l'épouse. 1 vêtement de laine, des outres, de la soie, des ceintures et 1 coffre sont évalués, au prix du souq, à 37 m. Au revers de l'acte, 1 vête ment de laine, des voiles de tête en soie, des outres, sont évalués à 24 m. Iguntar. Évaluation. 1 vache : 5 m. Srira (Demsira). Apport de l'épouse. 47 m. Soie, vêtements, ceintures, bijoux, vache. Ammern. Apport de l'épouse. 20 .moutons et caprins, 1 voile, 2 haïks : le tout évalué à 52 m. Ammern. Vente de terrains. 3 m 19 o. Tajjelt. Vente d'arbres. 2 noyers pour 19 o. « Monnaie à 4 ujuh Го. » Taddart (Dwiran). Codification sous le patronage d'un saint. Intégralement chiffré en o. Meurtre : 100 о ; trahison : 600 o. a. Irzzi. Vente d'un noyer. 6 0. Azendo (Demsira). Évaluation. 1 vache : 5 m. XVIIIe SIÈCLE

1703

Amesker (Demsira). Restitution de l'apport de Vépouse. L'évaluation au souq donne l'équivalence suivante : la mesure d'orge, 1,5 о ; la farine, 10 p. 100 plus cher ; le qubb (4 kg.) d'huile, 3 mu ; le qubb de beurre, 5 m. 1704 Asserato (Demsira). Partage. 1 fusil avec accessoires : 16 m bâliya. 1708 Akhferga (Demsira). Apport et acquêts de l'épouse. 9 m. 1708 Iguntar (Demsira). Apport de l'épouse. 14 m. 1721 Amesker (Demsira). Vente. 1 mule : 20 m. 1729 Azendo (Demsira). Composition. La diâ pour meurtre est fixée à 35 m. 1736 Akhferga (Demsira). Conversion en argent du salaire d'un fqih. L'âbra d'orge à 8 o. 1747 I. u Geryun. Opposition au moqaddem, 0,50 o. Rixe, 50 o. Violation de domicile, débauche, vol de nuit : 100 o. Vol de jour, 50 o. 1747 a. Bkhayr (Demsira). Diâ d'un homme. 3Q m. 1748 Azendo (Demsira). Répétition des droits de la veuve. Le çadaq : 15 m. Évaluation : 1 ovin, 3 о ; 1 caprin, 2 о ; 1 bovin, 2 m ; 1 ânesse, 1 m ; 1 ruche, 2,5 о ; un qubb de beurre, 5 mu ; 1 qechchaba, 5 m ; les churût comprennent : 80 mesures d'orge, 8 toisons, 1 bélier. 1749 Srira (Demsira). Apport de Vépouse. La masse est évaluée à 14 m. 1754 Ammern. Règlement de dettes. Un père règle 80 о dus parson fils. Il dégage sa responsab ilité pour toutes dettes ultérieures. 1755 . a. H'adduyws. Élection et tarification. Rixe, 2 m. Violation de domicile, 100 о ; vol de jour, 50 o. 1755 Ad'erd'ur. Élection et tarification. Vol (de moutons ou avec violation de domicile). Dispute, 1 о ; menace au couteau, 50 о ; coup de couteau, 100 о ; menace au fusil, 50 о ; coup de fusil, 100 о ; flagrant délit dans le champ du voisin, 12 о ; obstruction à déci sion judiciaire, 100 о ; défaut de comparution, 50 о ; pacage dans les défens du village, 12 о ; délit de pacage, 1 о ; opposition kl'anflus, 12 о ; défaut au ban d'irrigation, 12 o. 1761 Iguntar et Irohalen (Demsira). Élection et tarification. Vol domiciliaire, 5 m ; coup de fusil, 5 m ; de couteau, 5 о ; insultes, 1 о ; opposition au moqaddem, 5 w. 1761 Ammern. Réméré. 20 о sikka jadida ismâiliyya. 1763 Ammern. Évaluation par la jemâa. Une part de propriété sur une maison, 20 m. 1771 I. u Geryun. Élection et tarification. Rixe, 1 m ; menace au couteau ou au fusil, 2 о ; coup de couteau ou de fusil, 50 о ; violation de domicile, 10 m ; défaut de comparution, 5 о ; rupture du tour de garde ou d'hospitalité, 12 mu. 1777 Bulawan. Achat d'un verger. 23 m sikka de M. Ismâ'il.


LES ÉCHANGES DANS LE HAUT-ATLAS OCCIDENTAL 1778 1779 1788 1799 1790 1791 1792 1793 1793 1794 1798

313

Ida и Geryun. Election et tarification. Violation de domicile, 100 о ; coup de feu, 50 о ; obstruction à décision judiciaire, 50 о ; défaut de comparution, 50 о ; participation à rixe, 50 о ; responsabilité dans l'échec d'une expédition, 1 m. I. и Geryun. Achat de créances. Le porteur a racheté un rahn pour 5,5 « de la frappe de Mawlay Ismâ'il », puis a versé 8 о « même frappe », plus 5 mu comme salaire au notaire pour quatre jours de dépouillement d'actes. Taddert (Dwiran). Khulù*. Le rachat du çadaq est fixé à 20 m. Tasa. Élection et tarification. Vol de nuit, 100 о ; vol de jour, 50 о ; rixe, 100 о ; coup de couteau, 100 о ; menace au couteau, 1 m ; coup de pierre, 5 о ; dispute, 1 о ; défaut au tour d'hospitalité ou de mosquée, 1 o. Taddert (Dwiran). Réméré. 40 о jadîda. Asserato (Demsira). Partage successoral. 1 esclave masculin, 30 m ; 2 femmes avec enfants, 100 m. Wenchkrir. Vente et règlement de comptes. Une valeur de 30 o, représentant des vête ments ; et de 10 m, prix d'un esclave. Imintanout. Commandite. La talkast d'huile, 5 o. a. Bkhayr (Demsira). Vente d'un fusil. 20 m. Ammern. Banquet funéraire. 2 çâ d'orge, à 3,5 о l'âbra ; 3,5 talkast d'huile, à 10 ujjuh l'une (4 kg.) ; 1 talkast de beurre à 3,5 о ; 1 mudd de blé à 4 о l'âbra ; 1 çâ d'amandes à 2 о l'âbra ; 1 mouton, 8 о ; le linceul, 12 o. Ad'erd'ur. Élection et tarification. Vol, adultère, meurtre, coup ou menace de couteau ou de fusil, 100 о ; rupture de défens, défaut aux travaux d'intérêt général, 50 o. XIXe SIÈCLE

1803 1808 1809 1813

I. и Gerryun. Élection et tarification. Vol de nuit, 3 m ; vol de jour, 1 m ; rixe, 1 m. Taddert (Dwiran). Rachat. 2 oliviers dégagés pour 25,5 o. Ammern. Vente. Prix d'une paire d'anneaux d'argent : 40 o. Taddert (Dwiran). Mariage. Vache, 100,5 m ; voiles, 2 о et 5 m ; ceinture, 5 m ; 2 vête ments de laine, 60 m ; 1 izar neuf, 10 m. 1816 Tasa. Élection et tarification. Défaut au tour d'hospitalité ou de mosquée, 50 о ; vol, 10 m ; coup de couteau, 100 m. 1816 Imesker (Demsira). Composition. La diâ d'une femme, 15 m. 1824 I. и Geryun. Mariage. Le çadaq est fixé à 50 m de sikka Abbâsiya, dont 4 m de naqd. Évaluation du douaire à 80 m sikka Ismâiliyya. 1825 a. Bkhayr (Demsira). Reconnaissance de dette, h'âbra de seigle à 0,85 m. 1826 a. Bkhayr (Demsira). Inventaire d'une maison. 1 houe, 1 pioche, 1 soc en fer, 1 moule à mouture, 15 о ; 4,5 ça de seigle à 2 m le ça0, c'est-à-dire 1 m l'âbra ; 2 poteries de Taroudant, 1 m, 8 ujuh ; 3 réchauds de terre, 10 mu ; 1 cruche, 7 mu ; 4 coqs à 4 mu pièce ; 2 çâ° d'orge, 30 о ; 2 000 noix à 4 о le mille ; de la vannerie, 3 o, 1 mu ; 1 métier à tisser à long montant, 4 о ; 1 battant de porte, 6 о ; 15 balles de plomb, 3 mu ; etc. 1828 Igerwal. Frida. Contribution d'un notable, 26 o. 1836 I. и Geryun. Élection et tarification. (Incomplet.) Manquement au tour de mosquée, 1 m ; obstruction à décision judiciaire, 10 m. 1837 a. Bkhayr (Demsira). Composition pour une blessure faciale. 27 o. 1838 Nfifa. Diâ d'un homme. 35 m. 1836 I. и Geryun. Reddition de comptes du moqaddem. Prix d'ovins : 4, 3, 7, 9, 3 0 selon le cas (soit en moyenne 5 о l'unité). Le budget d'une jemâa s'élève environ à 17 m de ren trées correspondant à un chiffre de dépenses de même ordre. 1845 I. и Geryun. Élection et tarification. Manquement au tour du ťťaleb, 10 m ; vol, 10 m ; menace au couteau, 50 о ; coup de couteau, 10 m; rixe, 10 m; défaut de comparution, 10 m. 1846 Azendo (Demsira). Partage. 1 vache, 4 m. 1851 Tajjucht (Demsira). Vente à terme (usuraire). 1 500 noix à 4 mu le mille à livrer en uktuber. 1851 a. Waddjar (Ida и Mahmud). Vente à terme (usuraire). 6 ça0 d'orge, à 2 mu le ça0. 1851 I. и Geryun. Élection et tarification. Vol, 20 m « en darâhim d'argent nouveau ». 1861 ' BulÀwan. Achat de verger. 10 oliviers et demi pour 41 m. 1862 Taddert (Demsira). Augments. Évaluation d'impenses, 3 о la qâla (2 coudées) de pisé. Façon de la toiture, plus la nourriture, évaluées à 20 m. 1863 Bulâwan. Composition pour blessure. 40 o. 1866 Ammarn. Vente. 6 rťel d'amandes : 6 ujuh, soit 0,5 o.


314 1868 1891 1892 1896 1897

1903 1912

ANNALES Akhferga (DemsiraJ. Apport + acquêts de l'épouse. 23 m. a. H'adduyws. Élection et tarification. Manquement au tour de mosquée, 10 m ; défaut de comparution, ou d'exécution judiciaire, coup de couteau, 10 m et 3 réaux ; querelle 4 réaux ; rixe, prise à partie de Vamchardo, 10 m. Bulawan. Achat d'un verger. 600 m moins 43 о (sic).a. Ali Iz'em (Dwiran). Acte de main-levée. La participation correspondant à 4 ans de travail est évalué à 10 m. Mssid (Dwiran). Constitution de douaire. 1 vache pleine, 200 m; h'aïk neuf, de laine, 40 m ; pendentif, 197 m ; chiffres soit majorés, soit reflétant une phase d'inflation accentuée. XXe SIÈCLE Idma. Indemnisation. A la suite d'un vol d'ovins, sont versés 3 réaux « de frappe hasanie », et la valeur d'une part d'association sur un bovin. a. H'adduyws. Élection et tarification. Manquement au « tour » de Sidi Lah'sen u Tiqqi, 3 réaux ; au « tour » du ťťaleb, 10 m ; querelle, 3 réaux ; coup de couteau, 3 réaux.

N. B. — Les villages dont le nom n'est pas suivi de celui de la tribu appartiennent au seksawa. Abréviations : m = mithqâl ; о = uqiyya ; mu = mûzûna. (Documents d'archives privées.)

J. B.


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