Dépêches (Hiver 2006)

Page 1

Vol.8, no 1

Dépêches BULLETIN

MSF

CANADA

DANS CE NUMÉRO 1

NIGER :

Niger : Pourquoi une nouvelle crise nutritionnelle affecte l’Afrique?

6

Visite des centres de santé sur les hauts plateaux des Andes

8

Sierra Leone : Offrir des soins de qualité et une chance de survie

10

Séisme en Inde et au Pakistan

11

Offrir un soutien aux survivants du tsunami

12

Les victimes silencieuses du VIH/sida

14

Mémorial : Patrice Pagé Directeur général, MSF Canada

Pourquoi une nouvelle crise nutritionnelle affecte l’Afrique?

epuis le début de 2005, MSF a déployé d’importants moyens médicaux et humains pour répondre à l’urgence nutritionnelle au Niger. Nos équipes ont soigné plus de 40 000 enfants sévèrement malnutris entre janvier et octobre, et prévoient de soigner encore 10 000 enfants d’ici la fin de 2005. En septembre 2005, 140 volontaires internationaux et 1400 employés nationaux ont été déployés dans nos 51 centres de nutrition thérapeutique fixes et ambulatoires admettant plus de 3000 enfants sévèrement malnutris par semaine. Nos équipes opèrent également deux unités pédiatriques offrant des

D

soins gratuits aux enfants de moins de cinq ans et ont distribué plus de 90 000 rations mensuelles de nourriture aux familles d’enfants modérément malnutris dans les villages les plus touchés. Dès octobre 2004, les premiers signes d’une crise alimentaire beaucoup plus importante qu’auparavant sont apparus. Suite à une évaluation conjointe des Nations Unies et de certains gouvernements, il était annoncé que 3,5 millions de personnes dans près de 3000 villages agropastoraux les plus pauvres du (suite à la page 2)

Lauréat du prix Nobel de la paix 1999


Niger

Niger s’exposeraient à une vulnérabilité alimentaire extrême jusqu’aux récoltes d’octobre 2005. Pendant le premier semestre 2005, trois fois plus d’enfants ont été admis dans les centres de nutrition thérapeutique de MSF que l’année précédente. En avril, une enquête nutritionnelle de MSF révélait qu’un enfant sur cinq des provinces de Maradi et Tahoua était malnutri. En août, une nouvelle enquête de MSF dans la région de Zinder révélait une importante dégradation sanitaire et alimentaire. Près d’un enfant de moins de 30 mois sur trois était malnutri; 5,6 % de ceux-ci souffraient de malnutrition grave et le taux de mortalité chez les moins de cinq ans s’élevait à 5,3 décès par 10 000 personnes par jour (le seuil d’urgence étant de deux décès par 10 000 personnes par jour). Près de 90 % des familles interrogées n’avaient plus de réserves alimentaires. Cette crise prévisible n’est pas une fatalité due à des facteurs naturels incontrôlables. Plusieurs gouvernements et acteurs de l’aide expliquent la dégradation de la situation par la sécheresse et l’invasion de criquets. Pourtant, ces deux facteurs combinés n’ont diminué que de 11 % la production annuelle céréalière par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. La crise nutritionnelle au Niger est plutôt un problème d’accès à la nourriture par les populations les plus vulnérables, notamment parce que le marché est contrôlé par une poignée de grands commerçants. Les prix en 2005 sont de 75 à 80 % supérieurs à la moyenne des cinq

Dépêches Vol.8, no 1

années précédentes et sont trop chers pour les familles pauvres. Elles doivent entamer leurs réserves et ne peuvent se nourrir adéquatement jusqu’aux prochaines récoltes. De plus, elles ont très difficilement accès aux soins de santé : un système de recouvrement des coûts établit un prix pour chaque acte médical ou médicament prescrit. Déterminer la nature de la crise au Niger pour définir une réponse humanitaire est totalement inapproprié. Que l’on parle de famine, de poches isolées de malnutrition, d’insécurité alimentaire chronique ou de catastrophe naturelle, ce sont les besoins qui doivent définir la réponse humanitaire et le type de programme d’aide à mettre sur pied pour préserver la vie des populations en détresse. Face à de tels niveaux de malnutrition et de mortalité infantile, MSF a déployé une opération d’urgence en fonction et en proportion des besoins des populations affectées. Mais MSF seule ne peut répondre à une telle crise alimentaire. Les grands décideurs de l’aide alimentaire au Niger (le gouvernement nigérien, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies [PAM] et les bailleurs de fonds du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest dont le Canada, les États-Unis et la France) ont délibérément choisi de déployer une politique donnant la priorité au développement à long terme et à la protection des marchés plutôt que des mesures d’urgence qui contreraient la malnutrition des populations démunies du Niger. C’est un choix politique


FAIRE PAYER LES FAMILLES SOUFFRANTES ET DESTITUÉES OU LEUR FAIRE CRÉDIT SONT DES MESURES TOTALEMENT INAPPROPRIÉES POUR ENRAYER LA MALNUTRITION SÉVÈRE.

page 3


pour une sécurité alimentaire pour les générations futures plutôt qu’une assistance nutritionnelle immédiate préservant la vie des populations. La crise nutritionnelle au Niger est donc, malheureusement, principalement le résultat de décisions politiques plutôt que la conséquence de facteurs naturels comme la sécheresse ou les criquets. Le 28 juillet 2005, au sommet de la crise alimentaire, un document préparé par USAID (l’agence gouvernementale américaine de développement international) réitérait clairement : « Récemment, les médias et certains rapports d’ONG ont fait état de conditions de famine […]. En fait, cette couverture médiatique lourde et empreinte de sensationnalisme, de même que l’éventualité d’un accroissement des ressources pour résoudre le problème […], pourraient avoir pour effet d’entraver le marché […] » Depuis le début de la crise, MSF a demandé aux bailleurs de fonds, aux Nations Unies et au gouvernement nigérien de mettre en place des mesures d’urgence pragmatiques pour répondre aux besoins immédiats des populations, soit des distributions générales et gratuites de nourriture dans les régions les plus touchées, et l’accès gratuit aux soins de santé pour les enfants affectés. Et pourtant, de novembre 2004 à juin 2005, la réponse face à la crise au Niger consiste à mettre en place un système de

Dépêches Vol.8, no 1

vente de céréales à prix modéré pour 3,4 millions de personnes. Les quantités de céréales subventionnées sont loin d’être suffisantes (12 kg par personne pour neuf mois alors qu’elles devraient être de 20 kg par mois). Dans les six régions affectées par la crise nutritionnelle, les familles les plus pauvres n’ont pas les ressources nécessaires pour acheter la nourriture, même subventionnée. En juin, la situation nutritionnelle continue à se détériorer et le gouvernement nigérien décide de créer un nouveau programme de crédit par lequel les familles s’engagent à rembourser la quantité de nourriture « prêtée »… Faire payer les familles souffrantes et destituées ou leur faire crédit sont des mesures totalement inappropriées pour enrayer la malnutrition sévère. Ce n’est qu’en août, suite à une couverture médiatique importante, que le PAM décide de distribuer gratuitement de la nourriture. Malheureusement, ces distributions favorisent les régions où les récoltes des années précédentes ont été les plus faibles plutôt que les régions directement affectées par la malnutrition. Là encore, une mesure d’aide qui ne bénéficie pas aux plus vulnérables et qui ne permet pas d’enrayer les ravages de la malnutrition. Afin de ne pas trop déstabiliser les marchés, le PAM annonçait dans son dernier rapport d’urgence qu’après seulement deux distributions mensuelles, le programme de distributions gratuites allait prendre fin au début d’octobre. De plus, le ministère de la

Santé du Niger n’a jamais, malgré ses promesses, instauré la gratuité, même temporaire, des soins de santé pour les enfants des régions les plus affectées. Les populations malnutries du Niger n’ont pas été les victimes de la sécheresse et d’invasion des criquets, mais plutôt d’un refus des décideurs de passer d’une aide à long terme basée sur le marché à des mesures d’urgence dans les régions les plus affectées. Devant cette crise, les gouvernements, les Nations Unies et les organisations humanitaires doivent donner priorité aux besoins et non aux principes du marché. L’arbitrage politique entre la préservation de vies humaines à court terme et les impératifs du développement à long terme est inacceptable.

Patrice Pagé directeur général, MSF Canada

C'est avec une profonde tristesse que nous devons vous annoncer que Patrice Pagé est décédé le 12 décembre 2005 à Toronto. Nous sommes terriblement choqués et bouleversés. Nous avons perdu un homme brillant, passionné, qui a tant donné au monde humanitaire. Nous partageons cette peine avec la famille de Patrice et avec son amie. Pour en apprendre advantage sur Patrice et sa contribution à MSF, veuillez consulter la page 14.


Lettre du terrain

Le traitement de la malnutrition

AU NIGER

« Hier, nous avons accueilli un nouveau groupe de 120 enfants sévèrement malnutris et sept d’entre eux sont morts au cours de la nuit. J’ai besoin de médecins et d’infirmières – pas dans une semaine – tout de suite! » oilà le message que nous envoyait le 4 août dernier, un médecin spécialiste de la nutrition dans un courriel adressé au réseau international de Médecins Sans Frontières. Le 8 août, je me trouvais à bord d’un avion à destination du Niger en tant que médecin volontaire.

V

Depuis 2001, MSF coordonne des centres de nutrition thérapeutique à Maradi, dans l’extrême ouest du Niger. En réponse à la crise nutritionnelle qui éclata en 2005, MSF a décidé d’ouvrir un centre thérapeutique plus à l’est, à Zinder. Connus sous l’acronyme de CRENI (Centre de récupération nutritionnelle intensive), ces centres emploient médecins et infirmières pour procurer des soins médicaux aux enfants sévèrement malnutris nécessitant une hospitalisation. On m’a initialement confié la tâche d’examiner les enfants à leur arrivée au CRENI. Certains y étaient amenés par leur mère, dans des camions arrivant des villages. La plupart étaient référés par des organisations non gouvernementales (ONG) de la région avec lesquels nous entretenons des relations de travail cordiales et bien coordonnées au niveau local. Lorsqu’on nous amenait un enfant malade, nous le traitions; après son rétablissement, ces ONG se chargeaient de le ramener, lui et sa mère, à la maison – parfois située à une longue et pénible journée de voiture. Au centre thérapeutique, les critères d’admission sont stricts. Les enfants qui nécessitent des soins urgents sont inscrits sous leur nom et numéro de dossier et sont immédiatement conduits au service des soins intensifs; ils constituent environ 20 % des nouveaux cas. Ils sont tous hypo quelque chose : hypothermique (faible température), hypoélectrolytémique (diminution du taux d’électrolyte), hypoglycémique (faible glucose). Il m’est arrivé de me précipiter vers le service avec un enfant dans mes bras pour lui

administrer moi-même du glucose afin de lui sauver la vie. Les enfants moins malades sont pesés à l’aide d’une balance suspendue, puis mesurés. On compare ensuite le rapport poids-taille à une norme établie; il doit être inférieur à celle-ci par plus de 30 % pour justifier une admission au CRENI. Et la circonférence du haut du bras doit être inférieure à 110 mm, même pas le double de celle de mon petit doigt! Presque tous les enfants répondaient à ce critère. Peu de ces enfants malnutris ont vu un médecin de leur vie. Les infections se multiplient dans leurs petits corps sous-alimentés. Leurs yeux se remplissent de pus; souvent, le muguet (une mycose de la cavité buccale) envahit leur bouche et ils souffrent de pneumonie et de gale. Tous les enfants avaient connu des épisodes de diarrhée et la plupart, de vomissements; la seule variante était la durée de ces symptômes. La moitié d’entre eux ont été diagnostiqués positifs pour le paludisme (malaria), une maladie qui peut entraîner une grave anémie et la plus meurtrière chez les enfants africains, responsable de 20 % des décès chez les moins de cinq ans sur ce continent. Dès l’admission, tous les soins nécessaires étaient initiés (traitement antipaludéen, vaccination contre la rougeole). La nourriture seule ne suffit pas à traiter les cas de malnutrition sévère. Il faut suivre un programme de soins supervisés par un médecin pour rétablir d’abord l’équilibre électrolytique et corriger la carence en potassium. Ensuite, on donne du lait dilué, puis du lait thérapeutique riche en nutriments et enfin, un complément alimentaire thérapeutique à base d’arachides, le Plumpy’nut®. Lorsqu’ils atteignent un poids suffisant, les enfants peuvent quitter le CRENI; ils seront suivis en consultation externe dans un CRENA (centre nutritionnel ambulatoire), qui fournira aussi de la nourriture pour toute la famille. Ces centres

ambulatoires sont en activité tout près des villages et sont visités par les équipes médicales une fois par semaine. Les enfants sévèrement malnutris qui ne souffrent d’aucune autre pathologie associée et qui peuvent se nourrir eux-mêmes sont directement admis dans ces CRENA. Ce système de soin ambulatoire permet à MSF d’augmenter radicalement le nombre d’admissions d’enfants sévèrement malnutris Ainsi, les CRENA permettent un suivi adéquat et facilitent l’accès aux soins médicaux des mères qui n’ont plus à voyager aussi loin et à rester à l’hôpital loin de leur foyer. En parallèle des activités médicales, les logisticiens ont installé des points de distribution de nourriture et de ravitaillement en eau, des latrines et des aires de nettoyage. Dès la troisième semaine de septembre, MSF avait établi deux CRENI et 16 CRENA, admis 7506 enfants sévèrement malnutris et continuait à soigner 5042 petits. Le taux de mortalité n’avait pas été réduit à zéro, mais les morts s’espaçaient. Mes 40 années de métier me font affirmer qu’aucune autre organisation que MSF n’aurait été capable de parvenir à ces résultats en si peu de temps.

À la fin de septembre 2005, les équipes de MSF à Maradi, Tahoua, Zinder, Diffa et Tillaberi au Niger avaient soigné 40 000 enfants sévèrement malnutris et distribué 8000 tonnes de nourriture gratuite à des enfants modérément malnutris et leurs familles.

Michael Hall Médecin, Zinder, Niger

Michael Hall est chirurgien à Guelph en Ontario. En 2005, il a passé six semaines à Zinder au Niger en tant que volontaire avec MSF.

page 5


Maladie de Chagas

Maladie de Chagas en Bolivie

Visite des centres de santé sur les hauts plateaux des Andes

e n’oublierai pas de sitôt les heures de trajet effectuées sur les chemins de terre à sens unique serpentant les Andes. J’étais arrivé depuis peu en Bolivie, venu dans ce pays pour observer le travail de prévention et de traitement de la maladie de Chagas entrepris par MSF. Privé de lecteur CD, avec pour toute musique d’ambiance le criaillement du radio-téléphone, le bruit du vent contre les fenêtres et le craquement des pierres sous les pneus du camion, le moment semblait bien

J

ON POURRAIT COMPARER CETTE MALADIE À UN MISSILE QUI S’ATTAQUE LENTEMENT AU CŒUR ET À L’APPAREIL DIGESTIF, SUR UNE PÉRIODE S’ÉTENDANT SUR 10, 20 OU 30 ANS

Dépêches Vol.8, no 1

choisi pour une leçon d’espagnol. Josef, le conducteur, me demanda mes impressions sur son pays natal en négociant d’une main experte l’un de ces lacets mortels annoncés, tous les 50 mètres, par de petits autels poussiéreux érigés à la mémoire d’un être cher disparu au fond du précipice. « C’est un pays entièrement différent de celui d’où je viens », lui ai-je répondu simplement. Il a souri et nous avons poursuivi notre chemin; je me sentais privilégié d’avoir été choisi pour constater de visu ce que fait MSF et pourquoi. Montrer qu’il est possible de répondre aux besoins médicaux dans des régions comme celles-ci devrait suffire à convaincre même les plus sceptiques. Qu’il s’agisse de traiter une affection peu connue comme la maladie de Chagas en Amérique latine, ou le VIH/sida dans les régions défavorisées de l’Afrique, le travail accompli par MSF prouve qu’il est possible d’offrir des services de santé à des populations marginalisées qui, jusque-là, y avaient peu ou pas accès.

La maladie de Chagas touche les classes les plus pauvres de l’Amérique latine. Elle est causée par un parasite transmis par la piqûre d’un insecte qui infeste les maisons des familles de paysans. Après les récoltes, au moment où l’on défriche ou brûle ce qui constitue leur habitat naturel, les insectes de la famille Triatominæ (connus sous le nom de chinches au Guatemala et de vinchucas en Bolivie) sautent sur le dos des animaux domestiques. Ils envahissent ensuite les maisons de campagne, qui sont fabriquées à partir de feuilles de bananier, de branches, d’herbes et de boue. La nuit venue, les insectes émergent de leurs refuges dans les toits de chaume, les murs d’adobe et les litières pour se nourrir du sang des membres de la maisonnée endormis. Ils déposent dans la plaie laissée par la piqûre des excréments qui pénètrent dans le système sanguin lorsqu’on se gratte. Ces excréments contiennent un parasite appelé Trypanosoma cruzi, responsable de la maladie de Chagas. Le porteur peut être asymptomatique pendant des


années. C’est ce qui donne à cette maladie son caractère sournois; on pourrait la comparer à un missile qui s’attaque lentement au cœur et à l’appareil digestif, sur une période s’étendant sur 10, 20 ou 30 ans. Si elle n’est pas décelée et traitée, la maladie de Chagas réduit l’espérance de vie de neuf ans en moyenne. Ses victimes succombent habituellement à une défaillance cardiaque prématurée et inexpliquée. Les populations indigènes marginalisées, comme les Guarani du sud de la Bolivie et les Ch’orti du sud-est du Guatemala, accèdent difficilement aux services de santé offerts dans les quelques établissements publics des régions rurales. Les différences linguistiques, l’écart entre la ville et la campagne et le décalage entre les systèmes de croyance traditionnelle et moderne amplifient les problèmes d’intégration pour ces populations indigènes, les principales victimes de la maladie de Chagas, au sein d’un système de santé sous-développé. Pour surmonter ces difficultés, MSF organise des consultations mobiles, démontrant qu’il est possible de dispenser des soins de santé aux populations andines dans les coins les plus reculés, et ce, en dépit des heures de route qu’il faut parcourir pour les atteindre. Les tests de dépistages sanguins (toma de muestra) effectués dans les communautés ont confirmé la prévalence jusque-là sous-estimée de la maladie de Chagas et le besoin urgent de prévention, d’éducation, de traitement et de suivi. Une trousse permet de faire des prélèvements rapides sur place sans devoir recourir à

des méthodes diagnostiques coûteuses ou des laboratoires lointains. En quinze minutes, les lancettes, tubes capillaires, buvards et autres échantillons de chromatographie livrent leur diagnostic. On demandera aux patients qui sont diagnostiqués positifs de fournir des prélèvements sanguins qui seront analysés en détail en laboratoire. On choisit ensuite un plan de traitement personnalisé en fonction de l’âge et du poids; on indique au patient la posologie à suivre au moyen d’un tableau (sans recourir à un texte). On constitue aussi un dossier et planifie les visites de suivi pour vérifier les effets secondaires du traitement et l’observance thérapeutique. Malheureusement, il n’existe aucun vaccin contre la maladie de Chagas et l’un des deux médicaments qui peuvent être utilisés pour le traitement, le benznidazole, produit fréquemment des effets secondaires toxiques et est généralement inefficace si la maladie a déjà atteint une phase chronique due à un manque de dépistage ou de traitement rapide. L’autre médicament, le nifurtimox, coûte 48 $US pour une série de traitements; l’équivalent du salaire mensuel d’un mineur bolivien. MSF participe à des activités de prévention et d’éducation grâce à des émissions radiophoniques et des spectacles de marionnettes au cours desquelles on explique quoi faire lorsque les gens trouvent les insectes dans leur demeure et l’importance du dépistage, du traitement et du suivi. Des ateliers de forma-

tion des travailleurs de santé locaux sont également organisés. Si ces stratégies sont bien adaptées aux communautés locales et répondent aux besoins à petite échelle, reste néanmoins que la maladie de Chagas présente toujours un risque d’infection pour 100 millions d’individus et demeure largement négligée par les gouvernements nationaux, les organisations internationales et les compagnies pharmaceutiques. Le Groupe de travail sur les médicaments pour les maladies négligées (DNDi), un organisme de développement de médicaments à but non lucratif, co-fondé par MSF, étudie actuellement deux projets de médicaments contre la maladie de Chagas au stade pré-clinique, mais ce n’est pas suffisant. La participation aux grands projets de reconstruction des habitations rurales, les stratégies de lutte contre les vecteurs, la recherche et le développement pharmaceutiques et les protocoles de santé publique doivent de toute urgence être mis en œuvre pour combattre une maladie qui touche aujourd’hui la moitié de la population bolivienne et plus de 18 millions de personnes ailleurs dans le monde.

Kenneth Tong Responsable du développement du site Web de MSF Canada

Renseignez-vous davantage au sujet de la maladie de Chagas et du Groupe de travail sur les médicaments pour les maladies négligées au www.dndi.org. [en anglais seulement]

page 7


Sierra Leone

OFFRIR DES SOINS DE QUALITÉ ET UNE CHANCE DE SURVIE

SIERRA LEONE maginez que vous ayez à vivre pendant plus de dix ans les peurs et les souffrances quotidiennes qui accompagnent une guerre civile. Puis, imaginez une situation relativement stable n’offrant pratiquement aucune amélioration pour répondre à vos besoins humains essentiels. Voilà à quoi ressemble la dure réalité des Sierra-Léonais.

I

L’Afrique de l’Ouest demeure une région politiquement instable avec de nombreux besoins humanitaires. Les Nations Unies et les gouvernements clefs considèrent aujourd’hui que la Sierra Leone est un pays stable; toutefois, le pays reste fragile alors qu’il connaît toujours un manque d’accès aux soins de santé, un manque d’infrastructures et d’éducation, et une faible croissance économique.

Dépêches Vol.8, no 1

La Sierra Leone se classe au 176e rang en ce qui touche l’indice du développement humain, ce qui fait de ce pays l’avantdernier de la liste, aux côtés du Niger. Les indicateurs de santé sont inquiétants, l’espérance de vie des Sierra-Léonais n’est que de 40,8 ans. Les soins de santé en Sierra Leone sont rares et dispensés de façon discriminatoire; il faut payer pour obtenir des soins, si bien qu’être riche, c’est être en bonne santé. Si l’on tient compte du taux élevé de chômage et du fait que 68 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi une grande partie de la population n’a pas les moyens de payer pour se faire soigner.

La Sierra Leone a aussi procuré refuge aux dizaines de milliers de Libériens qui ont passé la frontière alors que leur propre pays était ravagé par la guerre civile. Même si le processus de paix a été entamé au Libéria, ces réfugiés continuent à préférer la relative sécurité des camps de la Sierra Leone plutôt que d’affronter les conditions de vie difficiles, incertaines et dangereuses de leur pays d’origine. Les centres de santé établis par Médecins Sans Frontières (MSF) permettent d’alléger la souffrance en dispensant des soins adéquats et de qualité à ces réfugiés ainsi qu’aux communautés qui les accueillent. Kati, Katuma et Doris (les noms ont été changés) sont enceintes; elles vivent à


Largo, l’un des camps de réfugiés de la région. Leur journée commence avant le lever du soleil. Après avoir accompli leurs tâches ménagères (aller chercher de l’eau et du bois de chauffage, préparer le repas), elles se rendent à l’un des dispensaires de MSF pour bénéficier des services de consultation, de visites prénatales et de suivi. Les soins materno-infantiles sont une importante composante des programmes de MSF en Sierra Leone, un pays où le taux actuel de mortalité maternelle est de 2000 pour 10 000 et le taux infantile de 166 pour 1000. (Au Canada, ces taux sont de 6 pour 100 000 et de 5 pour 1000 respectivement). Il y a plus de dix ans que MSF dispense des services de santé gratuits de qualité dans ce pays. Il a continué de le faire tout au long de la guerre et jusqu’à ce jour. Un peu partout dans le pays, MSF fournit des soins de santé primaires et secondaires, des programmes de vaccination, des centres de nutrition thérapeutique, des services de soin de santé mentale, des installations sanitaires et d’eau potable, ainsi que des soins maternoinfantiles. Les services de MSF sont intégrés dans un système de références et de suivi médical.

M. Mohammed, âgé de 22 ans, compte parmi les usagers dont la qualité de vie s’est améliorée grâce aux soins reçus. Il a été abandonné par sa famille et stigmatisé par la communauté après que la lèpre l’eut défiguré. Des travailleurs qualifiés de MSF lui ont rendu visite quotidiennement pour changer ses pansements et lui fournir nourriture et médicaments avant qu’il ne soit référé à un centre médical spécialisé de Freetown qui poursuit ses soins. Là-bas, il est accepté par son entourage; les repas quotidiens et les changements de pansement sont financés par MSF. Ces actions lui permettent de recevoir les soins dont il a besoin, et de retrouver son intégrité, sa dignité et une certaine qualité de vie. Le paludisme (malaria) est un problème énorme, tout au long de l’année, en Sierra Leone. Cette maladie demeure la cause principale de décès chez les adultes et chez les enfants. Mais ici, comme dans plusieurs autres pays africains, les traitements classiques s’avèrent inefficaces. Une enquête menée en 2002 a prouvé que les thérapies combinées à base d’artémisinine (ACT) procuraient un traitement optimal pour cette région. Après de

longues discussions, le ministère de la Santé sierra-léonais a finalement inclus ces nouveaux traitements dans son protocole national contre le paludisme. D’ici à la fin de l’année 2006, les ACT devraient être disponibles partout en Sierra Leone. En 2004, MSF a aussi dû répondre à une épidémie de choléra, endémique dans cette région. Plus de 700 patients ont reçu des soins, incluant des produits de réhydratation et des médicaments, dans la région de Freetown. Même si la guerre est officiellement terminée, l’avenir de la Sierra Leone demeure préoccupant. Dans cette période qui suit l’urgence, MSF a constaté que les besoins d’aide et de réhabilitation continuaient. Les équipes continuent d’apporter leur soutien, offrant des services gratuits, fiables et de qualité dans l’espoir d’améliorer les chances de survie de la population.

Johana Amar, infirmière autorisée Chef de mission, Sierra Leone

page 9


Inde et Pakistan

Séisme

EN INDE ET AU PAKISTAN DES SCÈNES RAPPELANT UNE ZONE DE GUERRE

Extraits du récit du Dr Jean-François Corty à la suite de sa mission exploratoire à Mansehra, au Pakistan, immédiatement après le séisme qui frappa le Cachemire le 8 octobre dernier. Même si MSF n’a pas expressément recueilli de fonds pour ses missions en Inde et au Pakistan, l’organisation a pu agir rapidement grâce à son Fonds d’urgence. Celui-ci lui donne la souplesse nécessaire pour intervenir promptement en cas d’urgence, sans avoir à investir l’argent et le temps qu’exige une collecte de fonds ciblée. Les dons versés à ce Fonds constituent un appui précieux. es hélicoptères déposent à chaque instant des blessés qui présentent des lésions terribles et infectées. On ne compte plus les interventions chirurgicales qu’il faut pratiquer. Partout autour de nous, des amputés et des personnes portant un plâtre se frayent un chemin dans la boue. L’urgence est totale et tout se déroule à la vitesse de l’éclair. La situation me rappelle une zone de guerre.

L

De nombreuses personnes ont subi des fractures au moment où leur maison traditionnelle pakistanaise en pierres s’est écroulée. Sept jours après le séisme, nous sommes témoins de toutes sortes de complications : blessures et plaies infectées, gangrène, tétanos. À l’heure où il s’est produit, soit huit heures du matin, de nombreux hommes travaillaient déjà à l’extérieur. C’est pourquoi la majorité des blessés que j’ai reçus sont des femmes et des enfants, victimes de l’effondrement de leur maison ou de leur école.

Dépêches Vol.8, no 1

Dans une situation d’urgence de cette ampleur, on n’a pas le temps de pratiquer des microchirurgies. Les amputations sont nombreuses. Nous prévoyons établir un « camp » médical à Mansehra, qui pourra accueillir de 500 à 1000 patients et leurs familles, un total potentiel de 5000 individus nécessitant un suivi ambulatoire, des soins médicaux, un abri, de l’eau, des latrines et de la nourriture. Nous aurons aussi besoin d’une unité de réanimation et des fournitures nécessaires pour le tétanos. Certaines personnes souffrent du syndrome d’écrasement, une défaillance des reins causée par la compression prolongée des muscles pendant la période passée sous les décombres. Il faudra s’occuper des personnes ayant subi un traumatisme psychologique, tout comme celles qui souffrent de maladies chroniques comme le diabète. Il faut trouver des fournitures pour traiter les personnes qui tombent malades alors que le système hospitalier est débordé. Le séisme en lui-même ne provoquera pas d’épidémie, mais le regroupement des victimes dans des conditions précaires doit nous inciter à la vigilance. L’hiver approche et nous pouvons nous attendre à traiter des cas d’hypothermie et d’infections respiratoires. Les montagnards ont coutume de passer l’été en altitude avant de redescendre vers les villes pour passer l’hiver avec leur famille. Sans eau et sans fournitures essentielles, la majorité d’entre eux décideront probablement de partir dès l’arrivée du froid, mais rien ne garantit que leurs familles seront en mesure de les accueillir ni même qu’elles seront toujours là.

En l’espace d’une semaine après le séisme qui a frappé l’Inde et le Pakistan, MSF avait déployé les moyens suivants : • Mobilisé 80 travailleurs humanitaires chargés de fournir une aide médicale, des services de consultation en santé mentale et du secours. • Envoyé par avion 100 tonnes de matériel médical (trousses chirurgicales, pansements) et de première nécessité (tentes, couvertures, réservoirs d’eau, nourriture) à Islamabad, capitale du Pakistan. • Distribué 10 000 couvertures, 5000 mètres de toile plastique pour abris, 80 tentes, 10 000 ensembles vestimentaires, 7000 bouteilles d’eau, deux tonnes de nourriture et une tonne de matérial médical au Cachemire indien. MSF a concentré son intervention dans les zones les plus touchées, d’où l’importance de ses activités au Cachemire, du côté pakistanais. Au 31 octobre, MSF avait : • Dépêché 150 volontaires internationaux et 100 travailleurs nationaux. • Fourni des soins de santé et psychosociaux à des centaines de survivants. • Envoyé par avion quatre appareils de dialyse pour traiter les cas de syndrome d’écrasement. • Fourni 620 tonnes de matériel de secours.


Indonésie

Soins de santé mentale à Aceh, en Indonésie OFFRIR UN SOUTIEN AUX SURVIVANTS DU TSUNAMI ne femme tente désespérément de retenir ses trois enfants tandis que l’eau tourbillonne autour d’eux. Au bout de longues minutes d’effort, au beau milieu du chaos, elle lâche prise; l’un des enfants est emporté par le courant et on ne le retrouvera jamais. Un aveugle est balayé par la vague et se retrouve seul. Une fillette le rejoint et ils s’agrippent l’un à l’autre pendant des heures. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de cette fillette. Ce que je sais, c’est que l’homme a appris plus tard, après sa sortie de l’hôpital, qu’il avait perdu sept de ses proches. Ce ne sont que quelques exemples des récits que j’ai entendus pendant mes six mois passés à Meulaboh, en Indonésie, dans le cadre d’une mission pour Médecins Sans Frontières (MSF), après le tsunami qui a frappé la région avec tant de violence le 26 décembre 2004.

U

Devant la dévastation et les malheurs vécus par la population d’Aceh, j’ai ressenti un intense sentiment de perte; celui-ci s’est transformé plus tard en perplexité et en étonnement, lorsque je me suis rendue compte que très peu d’organisations sur place offraient des services de consultation en santé mentale. Au sein même de l’infrastructure de santé locale, des lacunes nota-

bles existaient en ce domaine, tant pour les connaissances que la formation. La situation présentait un défi intéressant pour MSF: procurer une formation de base en santé mentale aux infirmiers et au personnel des centres de santé locaux alors que nombre d’entre eux devaient surmonter leurs propres sentiments de perte et d’anxiété. La population locale avait vraiment besoin d’aide afin de mieux gérer ses émotions et ses peurs; nous avons remédié à la situation en offrant des services de thérapie individuelle et collective et en organisant des groupes de parole. « Nous avons discuté des raisons pour lesquelles les enfants quittaient l’école à toute vitesse pour rentrer à la maison lorsque le vent se levait, et pourquoi, des mois plus tard, certains couraient toujours vers les hauteurs les jours où la marée semblait plus haute que d’habitude. » Malgré l’importance de reconstruire les maisons, de remettre les terres agricoles en état et de construire des bateaux de pêche, il semble tout aussi essentiel de restaurer la confiance des gens envers leur environnement, pour eux-mêmes et leurs enfants : pour qu’ils puissent s’endormir

dans le camp où ils habitent, le soir, sans redouter qu’une nouvelle vague ne vienne, dans le calme de la nuit, dévaster leur vie une fois de plus. Parfois, j’ai eu l’impression que notre travail n’apportait qu’une toute petite contribution, vu le nombre de personnes touchées par le tsunami, nos limites d’intervention et le peu d’organisations impliquées dans les activités de santé mentale. Je sais toutefois que nous avons pu apporter quelque chose aux gens que nous avons assistés, ne serait-ce qu’en leur permettant de raconter leur histoire à une personne impartiale et sans lien avec leur expérience terrifiante. Mon souhait est qu’à l’avenir les organisations humanitaires accordent une place beaucoup plus importante aux questions de santé mentale en temps de crise, lorsque les circonstances ont transformé à jamais la vie des gens.

Michelle Chouinard Travailleuse sociale, Meulaboh, Indonésie

Pour un rapport exhaustif des activités de MSF en Asie du Sud-Est depuis le tsunami, consultez : www.msf.ca.

NOUS AVONS DISCUTÉ DES RAISONS POUR LESQUELLES LES ENFANTS QUITTAIENT L’ÉCOLE À TOUTE VITESSE POUR RENTRER À LA MAISON LORSQUE LE VENT SE LEVAIT, ET POURQUOI, DES MOIS PLUS TARD, CERTAINS COURAIENT TOUJOURS VERS LES HAUTEURS LES JOURS OÙ LA MARÉE SEMBLAIT PLUS HAUTE QUE D’HABITUDE. page 11


Soins VIH/sida

LES VICTIMES SILENCIEUSES DU ans les pays riches, le VIH/sida chez les enfants est largement maîtrisé : la prévention de la transmission de la mère à l’enfant est efficace; les nourrissons et les enfants ont accès au diagnostic et aux traitements. Or 88 % des 2,2 millions d’enfants séropositifs dans le monde vivent en Afrique et la plupart n’ont pas accès à ces services. Et parce qu’ils ne reçoivent pas de traitement, ils sont condamnés à mourir.

D

DES TAUX ÉLEVÉS DE TRANSMISSION DE LA MÈRE À L’ENFANT Plus de neuf fois sur dix, les enfants contractent le virus du VIH au moment de la grossesse, de l’accouchement ou de l’allaitement. Dans les pays riches, on réussit facilement à prévenir ce type de « transmission verticale » par différents moyens : on administre un traitement antirétroviral hautement actif (HAART) aux mères séropositives pendant la grossesse et aux nouveau-nés, quelques heures après la naissance; on peut pratiquer des césariennes; et on remplace le lait maternel par un produit sûr. Ces stratégies ont donné de très bons résultats pour réduire la transmission de la mère à l’enfant dans les pays riches. Par contre, les pays pauvres ne parviennent pas à réduire le taux de transmission de la mère à l’enfant. D’abord, la majorité des mères n’ont pas accès aux services de dépistage, si bien que celles qui sont porteuses du VIH n’entreprennent jamais de traitement. Ensuite, celles-ci n’ont pas accès aux antirétroviraux pour elles-mêmes ou leurs enfants. De plus, les césariennes pour les mamans séropositives sont rarement pratiquées dans les pays en développement. Enfin, même en supposant que certaines mères connaissent le risque de

Dépêches Vol.8, no 1

VIH/

transmission lié à l’allaitement, les solutions de remplacement n’existent pas ou ne sont pas sûres à cause de la qualité de l’eau dans les régions éloignées. Ces disparités entre le Nord et le Sud expliquent le fossé qui caractérise le VIH/sida pédiatrique : des 640 000 enfants ayant contracté le VIH en 2004, 560 000 vivent en Afrique, et seulement 100 en Europe et en Amérique du Nord. Compte tenu du taux rapide de croissance des infections dans le monde en développement, ce fossé ne peut aller qu’en s’élargissant. ABSENCE DE DIAGNOSTIC, ABSENCE DE TRAITEMENT Quelques semaines après la contraction du VIH, l’organisme réagit en produisant des anticorps. Un test de détection de ces anticorps existe et permet d’établir avec certitude la présence d’une infection à VIH et de commencer la thérapie antirétrovirale aussi vite que possible. On ne peut habituellement se fier aux seuls symptômes cliniques pour le détecter chez l’enfant. Souvent, ils ne se seront pas encore manifestés; ou s’ils apparaissent, on peut les confondre avec d’autres maladies infantiles courantes. Chez les nouveau-nés, toutefois, la détection des anticorps reste une méthode inefficace. Ceci s’explique par le fait que tous les bébés de mères porteuses du virus acquièrent aussi les anticorps de leur mère; ceux-ci peuvent rester jusqu’à 18 mois dans l’organisme. Tenter d’établir l’origine des anticorps présents chez l’enfant est une tâche extrêmement complexe. Ces difficultés relatives à l’établissement du diagnostic retardent le

début du traitement et expliquent en grande partie pourquoi la moitié de tous les enfants infectés meurent avant l’âge de deux ans.

La stratégie actuelle en matière de diagnostic du VIH chez l’enfant repose sur des appareils de laboratoire de haute technologie excessivement coûteux, qui permettent de mesurer la charge virale (nombre de particules virales présentes dans le sang). Leur coût peut atteindre jusqu’à 140 000 $US; ces appareils sont rarement disponibles dans les pays en développement. Or même les appareils les plus adaptés à ces pays se vendent entre 7000 $US et 30 000 $US pièce. De plus, chaque test peut coûter jusqu’à 125 $US. Autres contraintes : ces appareils exigent des techniciens hautement qualifiés et un approvisionnement constant en électricité. Il y a aujourd’hui un urgent besoin de mettre au point un test de mesure de la charge virale simple et abordable, pouvant être utilisé dans les milieux à faible technologie, et qui permettrait aux médecins de poser un diagnostic et d’entreprendre le traitement. À ce jour, les sociétés multinationales spécialisées dans ce domaine n’ont manifesté aucun intérêt à l’égard de ce problème, tout occupées qu’elles sont à satisfaire des intérêts de nature commerciale. Médecins Sans Frontières (MSF) tente actuellement d’identifier et de promouvoir des projets qui puissent répondre à ces besoins. DES MÉDICAMENTS INADÉQUATS ET COÛTEUX Dans les pays riches, les enfants et les bébés porteurs du VIH sont diagnostiqués rapidement et traités à l’aide d’une thérapie antirétrovirale (ARV), une stratégie qui s’est avérée efficace pour lutter contre la maladie et


/sida prolonger la vie. Jusqu’à ce que l’enfant soit capable d’avaler des comprimés, on lui administre les médicaments sous forme de sirops ou de poudres mélangées à de l’eau.

Aussi simples qu’elles puissent paraître, toutefois, ces méthodes ne conviennent pas toujours dans des contextes isolés ou pauvres. Certains sirops doivent être réfrigérés après ouverture, ce qui nécessite que la maison du patient soit équipée d’une source d’approvisionnement fiable en électricité. Quant à la poudre, elle nécessite un accès à de l’eau potable. Certains médicaments doivent être mesurés à l’aide d’une seringue pour veiller à administrer la bonne dose, une tâche trop complexe pour certains soignants. Par ailleurs, plusieurs de ces produits ont un goût infect. Pour trouver des solutions à ces problèmes, l’UNICEF et l’OMS ont consulté des spécialistes, en novembre 2004, dans le but d’améliorer l’accès aux préparations antirétrovirales pédiatriques. Ceux-ci ont recommandé que les liquides ne soient utilisés que dans le cas des nourrissons pesant moins de 10 à 12 kilogrammes, et que l’on préfère des préparations solides pour les enfants plus âgés. Même si ces lignes directrices sont utiles, elles n’offrent pas de solution adéquate. L’un des problèmes est le coût élevé des préparations pédiatriques, qu’elles soient sous forme liquide ou solide, comparativement aux médicaments pour adultes. Prenons un exemple : traiter un enfant de 10 kilogrammes, pendant un an, avec de la Stavudine, de la Nevirapine et de la Lamivudine peut coûter jusqu’à 816 $US, alors que le même traitement reviendrait à 182 $US pour un adulte.

CONDAMNÉS À MOURIR SANS AVOIR REÇU DE TRAITEMENT, LA MOITIÉ LES ENFANTS SÉROPOSITIFS DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT N’ATTEIGNENT PAS L’ÂGE DE DEUX ANS.

Par ailleurs, il n’existe tout simplement pas de médicament adéquat pour les enfants. La plupart des sociétés pharmaceutiques ne produisent que des préparations liquides. Aujourd’hui, on ne trouve pas d’équivalent pédiatrique des combinaisons à dose fixe (différents produits réunis en un seul comprimé) qui ont été mises au point pour les adultes. Ce sont des produits particulièrement utiles, parce qu’ils simplifient le traitement et donnent d’excellents résultats sur le plan clinique, immunologique et virologique. LES PROFITS PASSENT AVANT LA VIE HUMAINE Même si des traitements adaptés aux besoins des patients ont vu le jour au cours des dernières années, seulement deux fabricants de médicaments génériques, l’un en Thaïlande et l’autre en Inde, sont en voie de développement d’une combinaison à dose fixe pour les enfants, qui, dans un cas comme dans l’autre, ne sera pas sous forme de sirop. La plupart des sociétés pharmaceutiques ne s’intéressent pas à l’élaboration de préparations pédiatriques, étant donné que les pays les plus riches ont réussi, dans une large mesure, à prévenir la transmission de la mère à l’enfant. Par conséquent, le marché se limite aux seuls pays en développement, ce qui ne constitue pas une incitation assez forte sur le plan commercial pour faire bouger les choses. En outre, les enfants porteurs du VIH dans les pays en développement n’ont pas accès au traitement dont ils ont besoin, souvent sous prétexte que leur mort est inévitable. C’est une idée dont il faut absolument se défaire. En 2004, le sida a fait 15 millions d’orphelins âgés de moins de 18 ans, dont un grand nombre de séropositifs. La plupart ont été recueil-

lis par leurs grands-parents, une autre personne ou un orphelinat, ou encore vivent dans la rue. Le sort qu’ils subissent aujourd’hui confirme que la recherche pharmaceutique devrait être motivée par les besoins et non par les profits. Les gouvernements, les bailleurs de fonds internationaux et l’industrie ont le devoir de veiller à ce que tous aient accès à des outils de diagnostic et à des traitements adéquats et efficaces. Presque tous les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce, dont le Canada, ont signé la Déclaration de Doha entérinant le principe de l’accès aux médicaments pour tous, y compris les enfants. Nous sommes impatients de voir ces paroles traduites en actions.

LA TOURNÉE MSF À l’été 2006, une exposition interactive présentée par MSF visitera huit villes du Québec et de l’Ontario. Les participants découvriront ce qu’est la vie d’une personne atteinte d’une maladie négligée recevant des soins de MSF dans un pays en développement. Ils pourront aussi faire l’expérience d’une consultation avec un médecin de MSF qui a travaillé sur le terrain. De plus, ils pourront en apprendre davantage sur les options limitées quant aux traitements et la lutte constante pour un accès à des médicaments essentiels. L’exposition se terminera à Toronto et coïncidera avec la XVIe Conférence internationale sur le sida qui se tiendra à Toronto en août. Pour des mises à jour sur cette tournée, visitez www.msf.ca/tournee2006

page 13


Mémorial

PATRICE PAGÉ Directeur général, MSF Canada DÉFENSEUR INFATIGABLE DES POPULATIONS EN DANGER, PATRICE A APPORTÉ SA VIVACITÉ D’ESPRIT, SON SAVOIR, SA SENSIBILITÉ AUX CAUSES DES PATIENTS DE MSF. IL A DÉMONTRÉ SA PASSION POUR LA JUSTICE DANS TOUT CE QU’IL ENTREPRENAIT.

Dépêches Vol.8, no 1

atrice Pagé a joint Médecins Sans Frontières (MSF) en 1999 en tant que responsable terrain (RT) pour une mission au Sud Soudan. Il avait auparavant travaillé deux ans au Rwanda pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Il a poursuivi son parcours avec MSF comme responsable de terrain en Sierra Leone et au Kosovo, puis comme chef de mission en Érythrée, en République démocratique du Congo, en Guinée et au Libéria.

P

Patrice est arrivé au bureau de MSF à New York en 2001 en tant que responsable des programmes. Très impliqué dans le dossier Arjan Erkel, il a exigé et obtenu des entretiens au plus haut niveau auprès du gouvernement américain ainsi qu’auprès des Nations Unies. Il a aussi participé activement aux efforts de pression en faveur de la résolution 1502 du Conseil de Sécurité de l’ONU relative à la sécurité du personnel humanitaire votée en

août 2003. Il a quitté MSF en 2004 pour prendre la direction des programmes d’urgence d’UNICEF à la frontière du Tchad et du Soudan. En août 2005, il a été nommé directeur général de MSF Canada. Avocat diplômé de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et de l’École du Barreau du Québec, Patrice était également un diplômé de l’Institut International des Droits de l’Homme de Strasbourg. Il a pratiqué le droit du travail avec la Confédération des Syndicats Nationaux à Montréal pendant deux ans. Défenseur infatigable des populations en danger, Patrice a apporté sa vivacité d’esprit, son savoir, sa sensibilité aux causes des patients de MSF. Il a démontré sa passion pour la justice dans tout ce qu’il entreprenait. Il avait 33 ans. Il nous manquera à tous terriblement.


LES CANADIENNES ET CANADIENS

EN MISSION

AFRIQUE DU SUD

IRAN

Peter Saranchuk

Magdalena Gonzalez

BURUNDI

KENYA

Pierre Labranche Diane Rachiele Isabelle Rioux Catherine Mason

Sylvain Groulx

CAMBODGE Nicole Tanguay

LIBÉRIA Brian Baker Patricia Gould Serena Kasparian Patrick Laurent Chris Monnon

COLOMBIE

MALAWI

Tyler Fainstat Darryl Stellmach

Chantal St-Arnaud

MYANMAR CÔTE D’IVOIRE Matthew Calvert Denise Chouinard Jennifer Grant Hélène Lessard Claudine Maari Brian Ostrow Elaine Sansoucy David Tu

ÉTHIOPIE Isabelle Aubry

HAÏTI Rosianne Ayotte Sylvain Charbonneau

INDE Karen Abbs

INDONÉSIE Vivienne Rowan Christo Wiggins Beverly Winder

Jim Newton Manisha Rajora

NIGER Catherine De Ravinel Jacinthe Larivière Dominique Proteau Danielle Trépanier

NIGÉRIA Fredéric Beaudoin Aloma Boyce Adam Childs Nancy Dale

OUGANDA

Michael Hall Sajida Hussain Kathleen Skinnider

RÉPUBLIQUE CENTRAFICAINE Alain Calame Émilie Frédérick Jacinthe Pressé

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Heidi Chestnut Stéphanie Ferland André Fortin Jean-François Harvey Dawn Keim Judy MacConnery Jean-Sébastien Matte John Paul Morgan Marlene Power Leslie Shanks Sophie Villemaire

RÉPUBLIQUE DU CONGO Brenda Holoboff Martine Vézina Sophia Kapellas Grace Tang

Richard Poitras Tom Ripley

SIERRA LEONE

PAKISTAN

SOMALIE

Ian Adair Adrienne Carter David Croft David De Bold Marise Denault

Violet Baron Sylvain Deslippes Naomi Fecteau Bruce Lampard David Michalski

Laura Lau

SOUDAN Reshma Adatia Frank Boyce Stephanie Faubert John Hazleton Harry MacNeil Zayd Majoka Tiffany Moore Michel-Olivier Lacharité Simona Powell Mireille Roy Nasser Salam Arun Sharma Sheila Stam Vanessa Van Schoor Richard Zereik

TCHAD Kevin Coppock Mike Fark Frédéric Dubé François Riffaud Jacques Caron Benoît Wullens Lindsay Bryson

Dépêches Médecins Sans Frontières 720, av. Spadina, bureau 402 Toronto, Ontario, M5S 2T9 Tél. : (416) 964-0619 Téléc. : (416) 963-8707 Numéro de téléphone sans frais : 1.800.982.7903 Courriel : msfcan@msf.ca Site Web : www.msf.ca Rédactrices : Dominique Desrochers Caroline Veldhuis Directrices de la rédaction : Laurence Hughes linda o. nagy Collaborateurs : Johana Amar, Michelle Chouinard, Jean-François Corty, Nancy Forgrave, Michael Hall, Patrice Pagé, Kenneth Tong Tirage : 95 000 Graphisme : Artshouse Communications Inc. Impression : Warren's Imaging and Dryography Hiver 2006

TURKMÉNISTAN Rhiannon Hughes Safo Visha

ZAMBIE Eva Lam Sima Patel Paulo Rottman Chris Warren

ZIMBABWE Don Chambers Cheryl McDermid

ISSN 1484-9372

Crédit photos : Cyril Bertrand , Sebastian Bolesch, Doris Burtscher, Roger Job, Didier Lefevre, David Levene, Bruno Stevens / Cosmos, eduard compte verdaguer, Anne Yzebe

page 15


LA SOCIÉTÉ SANS FRONTIÈRES ’une des plus grandes joies que me procure mon travail à Médecins Sans Frontières (MSF) est l’occasion d’entretenir des rapports authentiques avec nos merveilleux donateurs et donatrices.

L

MSF a récemment lancé la Société Sans Frontières pour remercier et exprimer sa reconnaissance envers les personnes qui ont désigné MSF en tant que bénéficiaire dans leur testament ou ont fait un don par l’intermédiaire d’une rente ou d’une assurance-vie. En tant que membre, vous serez invité aux activités organisées par MSF dans votre région et votre nom sera publié dans notre rapport annuel et sur notre site Web. Votre témoignage d’appui incitera d’autres personnes à effectuer un don du même type. Je vous invite

Nancy Forgrave Directrice adjointe, dons spéciaux et planifiés (416) 642-3466 / 1 800 982-7903 nforgrave@msf.ca

www.msf.ca 1470, rue Peel, bureau 220 Montréal QC H3A 1T1

à en apprendre davantage sur la Société Sans Frontières et les façons de donner en communiquant avec moi. MSF doit son existence au principe humanitaire selon lequel tout citoyen du monde a droit à l’aide médicale. Votre promesse de soutien nous permet d’intervenir rapidement et efficacement auprès des populations dans le besoin aux quatre coins du monde, tout en témoignant des circonstances dont elles sont victimes et en défendant leurs intérêts, lorsque nécessaire. Merci de manifester votre compassion et votre générosité à leur égard. Nancy Forgrave Directrice adjointe, dons spéciaux et planifiés


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.