Un périple dangereux

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ébauche du rapport de MSF | Mai 2008

Un périple dangereux :

les obstacles qui empêchent un accouchement sécuritaire chez les femmes vulnérables à Port-au-Prince

© Julie Rémy


En 2002, une jeune femme enceinte, son mari et son frère ont pris la route vers un hôpital de Port-au-Prince pour l’accouchement lorsqu’ils se sont trouvés entre les policiers et un gang de la ville. Le mari a été abattu devant elle et son frère fut si effrayé qu’il s’est sauvé avec l’argent qu’ils avaient apporté pour payer les frais d’hôpitaux. Elle était sous le choc. « La douleur était aussi forte dans mon ventre que dans mon cœur. » Elle s’est présentée seule à l’hôpital et sans le sou. Le médecin lui a alors dit « qu’il fallait de l’argent. Les pauvres ne sont pas les bienvenus ici. » Son frère est arrivé quelques heures plus tard avec l’argent. Elle a dû subir une césarienne, mais un de ses jumeaux était déjà mort. Malgré l’argent apporté par son frère, elle a dû vendre des biens pour 2000 gourdes (54 $ US) et emprunter 3000 gourdes (81 $ US) pour payer ses frais d’hôpitaux. Comme son mari était décédé, elle n’avait aucun moyen de rembourser ses dettes. Elle a donc décidé de trouver du travail en République dominicaine. Le voyage était dangereux. La nuit, lorsqu’elle traversait un champ, des hommes ont tenté de la violer. En prenant fuite, elle s’est perdue, mais elle a pu retrouver son chemin. Pendant deux ans, elle a travaillé en République dominicaine à vendre des souvenirs aux touristes. Elle a dû rentrer en Haïti, lorsqu’elle est tombée malade. Sa mère a utilisé tout l’argent rapporté pour payer ses soins médicaux. « Je ne pense plus avoir d’enfants. Être enceinte est une responsabilité de taille et il faut avoir beaucoup d’argent. » - Une veuve de 29 ans vivant dans un bidonville, octobre 2007

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© Pep Bonet/Noor

La gourde est la devise haïtienne


Table des matières

Introduction 06 Le moment critique : l’accouchement 08 re 1 étape : insécurité et violence (le passé et le présent) 10 2e étape : problèmes de transport 12 3e étape : problèmes économiques 14 e 4 étape : services de soins de santé déficients 16 5e étape : stigmatisation et discrimination 18 Conclusion 20 Annexe 22

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pour une femme enceinte qui vit dans un bidonville de Port-auPrince en Haïti, la route qui mène à la naissance de son enfant est parsemée d’obstacles qui mettent sa vie en péril.2 En Haïti, l’espérance de vie des femmes est de 58,8 ans (comparativement à celle de leurs voisines dominicaines qui est de 68 ans), alors que le taux de mortalité maternelle est évalué à 630 morts par 100 000 naissances vivantes3 (comparativement à 92 par 100 000 naissances vivantes en République dominicaine4), soit le pire dans l’hémisphère ouest. Dans la capitale, Port-auPrince, moins de la moitié des femmes enceintes accouchent dans un établissement de soins de santé. Les autres femmes doivent accoucher à la maison sans aide qualifiée, le plus souvent avec le soutien de l’accoucheuse traditionnelle.5 Les bidonvilles de Port-au-Prince ont une population de plus de 1,5 million, et ce nombre croît sans cesse. La vie est cruelle pour la grande majorité des gens et la situation est pire pour les femmes, surtout pour les femmes enceintes. La plupart de ces dernières restent à la maison au moment d’accoucher. Dans bien des cas, il n’y a pas de complications et l’accouchement est relativement sécuritaire. Toutefois, lorsque surviennent des complications, les femmes doivent prendre des décisions déchirantes. Le manque d’établissements de santé dans leur quartier, en partie dû à la violence, et au peu de compétences des accoucheuses traditionnelles pousse les femmes à aller chercher de l’aide ailleurs. Quitter la maison le soir venu est dangereux : bien des femmes hésitent à prendre le risque d’être confrontées aux gangs ou à d’autres types de violence en cours de route. La même crainte les habite lorsqu’elles prennent un taxi ou un tap-tap (moyen

Introduction

de transport local), car ceux-ci sont difficiles à trouver dans les bidonvilles la nuit tombée. De plus, il ne faut pas négliger la barrière financière et les autres problèmes de sécurité. Avoir à débourser de l’argent pour le transport, les frais hospitaliers et les médicaments signifie que la famille devra se passer d’autres biens essentiels (la nourriture ou le loyer). Si une femme réussit à se rendre à l’hôpital à temps, il n’est pas garanti qu’un lit sera libre ou que les soins qui lui sont offerts, à elle et à son bébé, seront adéquats. Elle risque également d’hésiter à visiter une clinique à l’extérieur de son quartier à cause des remarques désobligeantes que les professionnels de la santé, le personnel de l’hôpital et les autres membres de la communauté peuvent émettre. Alarmé par le taux de mortalité maternelle et la violence omniprésente, Médecins Sans Frontières a ouvert l’hôpital Jude Anne en mars 2006 dans le but de prodiguer des soins d’urgence obstétricaux à cette population très marginalisée. Depuis l’inauguration de l’hôpital, le nombre de naissances ne cesse d’augmenter. En 22 mois, MSF a pu offrir des soins obstétricaux gratuits et de bonne qualité pour plus de 21 000 naissances, dont près de 60 % présentaient des complications qui auraient pu mettre la vie de la mère ou de l’enfant en danger. Riche de ses deux années d’expérience dans ce contexte exigeant, MSF ressent le besoin de partager son savoir pour sensibiliser les gens à la précarité de la situation et à la vulnérabilité des femmes enceintes à Port-au-Prince. MSF lance un appel à l’aide pour entreprendre des initiatives urgentes et unifiées dans le but de réduire le taux de mortalité maternelle inutilement élevé en Haïti.

Selon la définition de l’agence UN-HABITAT des Nations Unies, un bidonville est une région désaffectée caractérisée par des maisons inférieures aux normes, insalubres et non sécuritaires. Intervalle de confiance : entre 479 /100 000 et 781/100 000 4 http://www.unicef.org/infobycountry/domrepublic_statistics.html 5 Les valeurs proviennent de l’« Enquête de mortalité, morbidité et utilisation des services », 2005-6, (EMMUS IV), menée par le ministère de la Santé publique et de la population avec le soutien financier et technique de divers organismes internationaux dont l’UNFPA, l’USAID, le Centre de Contrôle et de prévention des maladies des É.-U., etc. 2 3

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IL est difficile de trouver des soins de santé lorsque vous êtes une femme enceinte vivant dans un bidonville de Port-au-Prince. Les femmes ont accès à certains soins prénataux dans les centres de santé qui se trouvent dans les bidonvilles, ceux-ci étant généralement gérés par l’Église ou les ONG. Par contre, ces centres n’offrent pas de soins durant l’accouchement. Soixante-quinze pour cent des décès maternels se produisent durant l’accouchement ou dans les heures qui suivent. Au cours des dernières années, un sentiment d’insécurité a gagné la plupart des établissements de santé : certains ont été victimes de vol à main armée, ont été la proie de balles, ont été menacés à bout portant ou leurs employés ont été attaqués. Certains centres souffrent toujours du manque de personnel soignant et d’autres répercussions.6 Durant les mois les plus mouvementés, quelques centres ont dû fermer ou être relocalisés à l’extérieur du bidonville. L’insécurité qui règne constitue le principal obstacle à la livraison des soins de santé.

Le moment critique : l’accouchement

« De nos jours, notre centre de santé est à peine fonctionnel, car le personnel médical a quitté. En 2004, l’insécurité a provoqué la fermeture du centre pendant deux ans. Maintenant, il s’agit d’un problème de personnel. Nous n’avons toujours pas de médecin. » - Une infirmière d’un centre de santé dans un bidonville, novembre 2007

À Port-au-Prince, plus de la moitié des accouchements se produisent à la maison. Les matrones (accoucheuses traditionnelles) jouent un rôle clé dans le soin des femmes enceintes, en particulier durant l’accouchement. Toutefois, lorsque survient une urgence obstétricale, l’accoucheuse ne peut pas vraiment lui venir en aide et les femmes enceintes ont alors besoin de soins de santé complets prodigués par des accoucheuses qualifiées (sages-femmes et médecins). Dans ces moments critiques, confrontées à l’incapacité des centres de santé qui sont situés dans les bidonvilles et les limites des matrones, les femmes enceintes entreprennent leur dangereux périple à la recherche de soins de santé à l’extérieur de leur quartier.

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Selon un sondage de MSF portant sur les services de soins de santé disponibles dans les bidonvilles.

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« Depuis près d’un mois, des bandits se déguisent en gens ordinaires dans un quartier tout près. Ils surprennent les gens pour les voler. Si vous n’avez rien à voler et que vous êtes une femme, ils vous violent. D’ordinaire, beaucoup de gens passaient par là, mais désormais les gens font des détours une fois la nuit tombée. » - Une femme habitant dans un bidonville, octobre 2007

Certaines femmes affirment qu’elles n’osent pas s’aventurer dans les quartiers avoisinants, même en plein jour, car elles ont peur d’être associées à leur quartier, ce qui ferait d’elles une cible de vengeance. Les cliniques mobiles de MSF situées à La Saline, Solino et Pelé Simon ne traitent pas beaucoup de femmes provenant de quartiers voisins même si elles sont à une distance de marche raisonnable. Les femmes doivent donc trouver d’autres façons d’obtenir des soins, c’est-à-dire utiliser un autre chemin ou se rendre dans une autre clinique pour éviter certains quartiers. MSF tente de remédier à ce problème de sécurité en offrant des consultations dans des endroits neutres pour ces femmes.

1re étape : insécurité et violence (le passé et le présent) « Ici, la sécurité n’existe pas, seul Dieu peut nous protéger. » - Une patiente, clinique mobile de MSF, novembre 2007 © Julie Rémy

AU cours des dernières années, la violence qui a fait des ravages à Port-au-Prince n’a certes pas épargné les femmes et leur famille; de plus, elle a empêché les femmes enceintes de recevoir des soins de santé adéquats. Ces femmes errent dans ce climat d’insécurité et de violence qui règne au sein de la collectivité. Bien des patientes et leur famille ont été directement touchées par une attaque violente, et ce, au moins une fois. Plusieurs ont été atteintes par balle, ont été battues ou violées. D’autres ont vu leur maison brûlée, détruite ou saisie et un certain nombre ont même été enlevées. De plus, la grande majorité d’entre elles ont été témoins d’actes de violence infligés à une autre personne.7 Certaines femmes racontent des histoires ahurissantes d’avoir été confinées à la maison au moment de l’accouchement parce que des combats faisaient rage dans les rues. D’autres racontent des récits terrifiants qui se sont produits lorsqu’elles étaient en route vers l’hôpital.

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« Ici, les femmes n’osent pas aller dans les zones voisines, car si nous y allons, nous serons interrogées, menacées et même agressées sexuellement… Ce sont les gens ordinaires qui sont les vraies victimes des conflits qui confrontent les groupes [armés]. Nous n’osons toujours pas y aller, nous avons peur. » - Une patiente de 23 ans, hôpital Jude Anne, octobre 2007

« Je me suis trouvée sous les balles [fin 2005] lorsque je me rendais à l’hôpital pour accoucher et lorsque je suis revenue à la maison… Depuis, j’ai constamment des maux de tête. Je ne supporte plus le stress. » - Une patiente de 30 ans, clinique mobile de MSF, novembre 2007

Même si les tirs ont considérablement diminué dans les rues des bidonvilles depuis 2007, les femmes affirment que le climat d’insécurité limite toujours l’accès aux soins de santé. Parmi les survivantes de viols qui se présentent à l’hôpital Jude Anne, certaines disent s’être fait attaquer pendant la nuit et les conducteurs de transport en commun ne travaillent pas la nuit de peur d’être attaqués.

Le viol est un problème pour toute femme habitant à Port-au-Prince. Même si le viol reste un sujet tabou, les soignants, surtout ceux œuvrant dans les soins obstétricaux, partagent un lien de proximité particulier avec leurs patientes, ce qui permet aux survivantes de parler de la violence sexuelle. De mars 2006 à décembre 2007, l’hôpital Jude Anne a reçu 200 filles et femmes violées dont plusieurs habitaient dans un quartier pauvre de la ville. Environ 20 % des survivantes étaient enceintes à la suite du viol lorsqu’elles sont arrivées à l’hôpital. Certaines montraient même des signes d’une grossesse avancée.8

« Un jour, ma mère [adoptive] a appelé le parrain d’un de ses enfants pour qu’il nous garde [pendant son absence]… Il a essayé de me violer, j’ai résisté, il m’a alors frappée, lancé des objets et il m’a menacée avec un pistolet… j’étais épuisée et j’avais peur, il a donc pu me violer… Plus tard, j’ai appris qu’il m’avait mise enceinte… Mon corps avait beaucoup souffert. Je ne suis pas allée à la police parce que j’avais peur qu’il se venge et même qu’il me tue; il m’a montré son pistolet quand il m’a violée… Je n’ai pas d’amies, les autres filles disent que j’attire les ennuis parce que ma mère disait de mauvaises choses à propos des gens. Mon père me donnait de l’argent pour acheter à manger, mais il a arrêté de le faire parce que mon gros ventre l’humilie devant ses amis. Ma mère m’a même demandé de payer ma nourriture et mes sœurs m’envoient chercher l’eau toute seule. La semaine dernière, j’ai été malade et ma mère m’a amenée chez MSF, mais elle m’a demandé de lui rembourser l’argent pour le transport… Je suis si triste. Comment est-ce que je suis censée m’occuper de mon bébé lorsqu’il sera né? » - Une patiente de 16 ans, clinique mobile de MSF, novembre 2007

Mis à part les conséquences directes des attaques violentes qui sont physiques, l’impact de la violence sur la santé psychologique des femmes est alarmant. Environ 50 % d’entre elles, après avoir été victimes ou témoins d’attaques violentes, avouent ressentir de l’anxiété ou de la peur; 20 % souffrent de maux émotifs ou sont tombées malades (p. ex. maux de tête). 104 femmes (patientes de MSF) ont répondu au sondage. 8 Pour plus d’informations à propos du programme de traitement médical et psychologique complet mené par MSF à Port-au-Prince, voir l’article « Treating sexual violence in Haiti » : http://www.doctorswithoutborders.org/news/voices/2007/10-30-2007.cfm (en anglais seulement) 7

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2e étape : problèmes de transport

Même si elles veulent se rendre à l’hôpital pour voir un médecin, l’insécurité et la peur d’être attaquée dans la rue forcent plusieurs femmes vivant dans les bidonvilles à rester confinées à la maison lorsqu’elles accouchent le soir. Les données recueillies à l’hôpital Jude Anne soutiennent les témoignages des femmes : la dernière femme en travail arrive généralement vers 22 heures. Entre 22 heures et 6 heures, rares sont les admissions. Le jour suivant, les premières femmes arrivent autour de 6 heures. Lorsque la naissance est imminente, le plus souvent elles demandent l’aide d’une matrone qui habite dans le voisinage, mais lorsqu’elles le peuvent, elles attendront jusqu’à l’aube avant de sortir de leur quartier. Quelquesunes demandent l’aide de personnes qui possèdent un véhicule et paient le montant nécessaire pour l’essence au conducteur et quelques-unes courent le risque d’entamer le parcours à pied vers l’hôpital, même si elles ont déjà entrepris leur travail. Certaines femmes ont reporté avoir été transportées jusqu’à l’hôpital par leur famille ou des voisins sur un chariot de bois et quelques-unes ont donné naissance sur le trajet.

« L’année dernière, j’ai eu de la difficulté à accoucher. Il était presque minuit et il n’y avait plus de transport. J’ai donc marché jusqu’à l’hôpital. » - Une femme vivant dans un bidonville, octobre 2007

En cas d’urgence obstétricale, un tel retard peut se révéler fatal pour une mère et son bébé.10 Par exemple, des convulsions éclamptiques risquent de causer des dommages cérébraux. Plus

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Lorsqu’une femme habitant un bidonville décide d’entreprendre un dangereux périple à la recherche de soins médicaux, le transport est le prochain obstacle à surmonter. Les services d’ambulances sont quasi inexistants; il faut donc payer pour un transport privé, option trop onéreuse pour les plus pauvres. Le soir, il est encore plus difficile de trouver du transport en commun, car, dit-on, les chauffeurs de tap-taps9 (minibus) arrêtent de travailler la nuit tombée de peur de subir une attaque violente, comme un enlèvement ou un vol à main armée. Certains acceptent de prendre le risque, mais ils demanderont

la durée d’une éclampsie11 non traitée est longue, plus mince sont les chances de survie pour la mère et le bébé. Si les patientes souffrent d’un hématome rétroplacentaire (le placenta se détache de l’utérus) ou d’un hématome pré ou post-natal, la seule chance de survie de la mère et du bébé est un traitement médical adéquat et immédiat comme une transfusion sanguine ou une chirurgie. Même si les bidonvilles sont souvent situés à proximité des hôpitaux, le moindre retard risque de constituer un danger pour les patientes.

« Une femme enceinte est arrivée à l’hôpital à 9 h et elle est décédée 15 minutes plus tard. Ses deux cousins, qui habitent avec elle, l’ont amenée. Ils disent qu’elle a perdu connaissance vers 2 h du matin et qu’elle a eu plusieurs convulsions. Il n’y avait pas de transport de disponible et il était dangereux pour eux de sortir. Elle n’avait pas de partenaire et ils ne savaient pas quoi faire d’elle… Ils sont arrivés trop tard. » - Une infirmière, hôpital Jude Anne, novembre 2007

Urgences obstétricales Voici les urgences obstétricales les plus fréquemment observées à l’hôpital Jude Anne : • Pré-éclampsie sévère : état sérieux qui est parfois observé durant la grossesse et qui est caractérisé par de l’hypertension, la présence de protéines dans l’urine et une inflammation des pieds, des mains et du visage.

probablement beaucoup plus cher, soit jusqu’à 50 fois le tarif habituel de dix gourdes (25 cents). « Je cherchais un tap-tap dans la rue [lorsque j’étais sur le point d’accoucher], il était environ 21 h alors il n’y avait pas beaucoup de circulation. Un tap-tap a passé, mais le chauffeur me demandait 500 gourdes (13,50 $ US)! » - Une femme de 24 ans vivant dans un bidonville, octobre 2007

• Éclampsie : état au cours duquel la patiente prééclamptique convulse. • Accouchement prolongé dû à une obstruction : travail excessivement long pouvant être dû à une disproportion

céphalopelvienne (la tête ou le corps du bébé sont trop gros pour le bassin de la mère) ou à des contractions inadéquates. • Hémorragie : saignement excessif qui se produit avant (antepartum) ou après (post-partum) la naissance du bébé. • Hématome rétroplacentaire : détachement de l’utérus d’un placenta en position normale avant l’accouchement.

Voir l’encadré intitulé « Urgences obstétricales » pour une définition de l’éclampsie et d’autres urgences obstétricales observées à l’hôpital Jude Anne. L’éclampsie est généralement rare, mais sa prévalence est élevée en Haïti.

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Moyen de transport local.

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en raison des problèmes économiques, les femmes enceintes qui vivent dans les bidonvilles sont vulnérables et elles pensent rarement à entreprendre le périple pour aller chercher des soins maternels à l’hôpital. Depuis 2007, le tarif d’un accouchement par voie vaginale dans un hôpital public spécialisé en obstétrique de Port-au-Prince12 est de 500 gourdes (13,50 $ US) et de 3000 gourdes (81 $ US) pour une césarienne, ce qui représente environ 48 fois le salaire minimum13 quotidien dans un endroit où plus de la moitié des gens sont sans emploi.

3e étape : problèmes économiques

De plus, les frais de médicaments ne sont pas compris dans le prix. Les médicaments coûtent parfois autant que l’accouchement et peuvent facilement dépasser les 40 $ US lorsque la femme a besoin d’une césarienne. Comme une grande majorité des femmes sont sans emploi, elles avouent devoir recourir à l’aide financière de leur conjoint, de la famille ou de leurs amis, ce qui fait de l’imprévisibilité des frais de santé un obstacle majeur. Nombre d’entre elles sont dans une situation précaire, car elles ne peuvent pas compter sur le soutien de leur conjoint. L’insécurité a également des conséquences socioéconomiques. Les vols à main armée sont fréquents, menaçant les maigres économies que les femmes réussissent à faire pour payer les soins de santé.

« Je n’ai absolument rien. Des fidèles venus prier à l’hôpital ont payé ma facture et d’autres femmes m’ont donné des serviettes hygiéniques. » - Une femme vivant dans un bidonville, octobre 2007

« À l’hôpital Général, j’ai acheté beaucoup de médicaments [à l’accouchement], ils ont coûté presque 5000 gourdes (135 $ US) en tout. Mon mari a donc emprunté l’argent à un voisin… Nous avons essayé de le rembourser de temps en temps, quelques centaines de gourdes [quelques dollars] à la fois… Ça fait maintenant deux ans, mais nous n’avons pas encore tout remboursé. » - Une femme de 36 ans vivant dans un bidonville, octobre 2007

Les femmes affirment ne pas pouvoir payer les frais pour les soins de santé, les médicaments ou le transport vers un hôpital. Plusieurs d’entre elles restent tout simplement à la maison pour donner naissance à leur enfant. Elles appellent parfois une matrone et espèrent que l’accouchement se fera sans problème. Lorsqu’elles décident d’aller à l’hôpital, parce qu’elles ont une complication ou que la douleur est trop grande pendant l’accouchement, la solution la plus fréquente est d’emprunter de l’argent aux amis et aux proches ou de vendre des biens pour se procurer de l’argent et payer les soins de santé. Il arrive même que des femmes demandent de l’aide de purs étrangers lorsqu’elles n’ont personne vers qui se tourner. « [Lors de l’accouchement, je me suis d’abord rendue à l’hôpital Isaie-Jeanty] parce que j’avais eu mes consultations prénatales à cet endroit. Mais ils m’ont demandé de payer avant de m’admettre pour que j’accouche… [Je suis donc repartie pour me rendre à l’Hôpital Jude Anne, car] je n’avais pas d’argent pour payer, parce que je n’ai pas de travail. Le père du bébé m’aide parfois, mais lorsqu’il n’a pas de travail, il ne peut rien me donner. » - Une patiente de 18 ans, hôpital Jude Anne, septembre 2007 Comme il offre des soins obstétricaux gratuits, l’hôpital Jude Anne est vite devenu le seul endroit pour ces femmes vulnérables. Plus de la moitié des patientes qui s’y présentent le font parce que les soins sont gratuits et qu’elles n’ont aucune autre option.14

« Ils ont dit [avec sarcasme] que comme je n’ai toujours pas payé, je ne devrais pas souffrir [donc je n’ai pas besoin de soins]! (Son dernier accouchement remonte à 2003) » - Une patiente de 22 ans, clinique mobile de MSF, novembre 2007

L’hôpital de référence au niveau de la maternité à Port-au-Prince est la maternité de Isaie-Jeanty. Le tarif d’un accouchement dans les hôpitaux publics de Port-au-Prince varie entre 300 et 1000 gourdes pour un accouchement par voie vaginale, et entre 2500 et 3750 gourdes pour une césarienne. En janvier 2008, le ministère de la Santé publique et de la population a promis d’offrir des soins obstétricaux gratuits dans les hôpitaux publics. 13 Le salaire minimum est de 70 gourdes (1,90 $ US) par jour. 14 Entrevues avec des patientes sélectionnées au hasard à l’hôpital Jude Anne (182 entrevues ont été menées entre septembre et novembre 2007). 12

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Certaines femmes arrivent à surmonter les obstacles pour quitter leur quartier et se rendre à l’hôpital, mais elles ne savent pas si les hôpitaux où elles se rendent pourront les soigner. En cas d’urgence lors de l’accouchement, les femmes hésitent à se rendre dans les hôpitaux publics à cause du manque de soins de qualité. Les femmes affirment que le problème le plus fréquent est le manque de service et la négligence de la part du personnel envers ceux qui ne peuvent pas payer. Certaines se sont vu refuser tous soins, car les services étaient interrompus à cause de l’absence de médecins et d’anesthésistes, de grève ou de pannes électriques. Les hôpitaux publics parviennent difficilement à combler les besoins des femmes enceintes. Ils associent la faible qualité des services au manque de ressources. Le personnel rencontré s’est plaint du manque de matériel et d’équipement, comme des trousses d’obstétriques et des médicaments. Souvent, les chirurgies sont impossibles, car il y a une panne d’électricité due au mauvais fonctionnement des génératrices de l’hôpital ou à une interruption du service électrique de la ville. Les médecins et les infirmières sont souvent absents, car leur salaire ne suffisant pas à payer les factures, plusieurs possèdent un deuxième emploi ou maintiennent une pratique privée. Les chirurgiens et les anesthésistes sont rarement présents, car ils ne travaillent qu’à temps partiel. Le personnel formé ne travaille que le jour et ce sont les résidents et les internes qui soignent les patients la nuit. Cette pratique est problématique lorsqu’une césarienne doit être pratiquée. Les employés contractuels sont payés tous les trois à quatre mois et lorsqu’ils reçoivent leur salaire, le montant ne représente qu’environ 50 à 60 % de la paie prévue. Cette incapacité à payer les salaires est une des principales raisons expliquant les nombreuses grèves dans les hôpitaux publics au cours des dernières années.

4e étape : services de soins de santé déficients « (L’an dernier) nous sommes allés à cinq hôpitaux, mais aucun n’a voulu nous recevoir. » - Une femme vivant dans un bidonville, octobre 2007

« Les femmes sont mal reçues. Il n’y a pas suffisamment de personnel, les médecins résidents ne sont pas assez

qualifiés, mais ils sont souvent seuls pour régler toutes sortes de situations. Les médecins de garde ne sont jamais présents. » - Une infirmière qui travaille à la fois dans un hôpital privé et un hôpital public, octobre 2007

L’hôpital Général, l’hôpital d’obstétrique de Isaie-Jeanty, l’hôpital La Paix, l’hôpital Carrefour et l’hôpital Sainte-Catherine sont des hôpitaux publics de Port-au-Prince qui offrent des services d’obstétrique et où les femmes vont accoucher.15 Toutefois, même si MSF concentre ses efforts sur les femmes qui présentent des troubles obstétricaux, l’hôpital Jude Anne a pratiqué, depuis son inauguration en mars 2006, presqu’autant d’accouchements que tous ces hôpitaux ensemble combinés.16 Lors des entrevues, 28 % des patientes de l’hôpital Jude Anne ont affirmé s’y être rendues après s’être vu refuser des soins ailleurs, alors que les autres 72 % s’y sont rendues directement. Soixante-sept pour cent ont affirmé avoir choisi Jude Anne pour la qualité des soins ou pour sa réputation.17 « [Je me suis rendue directement à l’hôpital Jude Anne pour accoucher], parce qu’il n’y avait pas de médecin pour me soigner, surtout à une heure si tardive. » - Une patiente de 33 ans, hôpital Jude Anne, septembre 2007 Ces témoignages nous ont permis de comprendre pourquoi l’hôpital Jude Anne pratique un si grand nombre d’accouchements chaque mois. De mars 2006 à décembre 2007, l’hôpital a offert des soins d’obstétrique gratuits et de qualité lors de 21 009 naissances, soit une moyenne mensuelle de 955 naissances. Près de 60 % de ces naissances ont présenté des complications qui auraient pu mettre la vie de la mère et de l’enfant en danger.

La maternité de Isaie-Jeanty possède 80 lits et l’hôpital Jude Anne en compte 75 (augmentation par rapport à 55, l’an dernier). Les deux centres sont spécialisés dans les soins obstétricaux. Le nombre de lits dans le département d’obstétrique et de gynécologie des hôpitaux suivants est : hôpital Général – 93; Carrefour – 40; hôpital Sainte-Catherine – 29; hôpital La Paix – 19. MSF a travaillé en collaboration avec le ministère de la Santé publique et de la population à l’hôpital Sainte-Catherine de septembre 2005 à 2007. 16 Voir l’annexe pour voir le nombre d’accouchements effectués mensuellement dans ces hôpitaux en 2006 et 2007. 17 Les entrevues ont été réalisées de façon aléatoire auprès des patientes de l’hôpital Jude Anne (de septembre à novembre 2007). 18 Ces chiffres comprennent les accouchements par voie vaginale, les césariennes, les accouchements assistées à l’aide de ventouses obstétricales ou de forceps. 15

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5e étape : stigmatisation et discrimination « J’ai peur des hôpitaux publics parce qu’ils t’humilient et tu souffres. » - Une femme vivant dans un bidonville, octobre 2007

Parmi les obstacles rencontrés par ces femmes vulnérables, mentionnons également la peur des regards désobligeants, de la part de leur communauté ou du personnel de l’hôpital. Les femmes habitant dans les bidonvilles sont souvent victimes de discrimination à cause de leur origine, de leur statut ou de leur apparence. Ce phénomène alimente l’auto-exclusion et le découragement à chercher des soins de santé. Certaines femmes se sentent honteuses d’aller à l’hôpital et préfèrent accoucher à la maison, car elles n’ont pas de vêtements ou d’accessoires pour le bébé. Elles affirment être gênées de devoir aller à l’hôpital pieds nus, parce qu’elles ont perdu leur seule paire de sandales. D’autres disent souffrir de maladies cutanées et elles sont mal à l’aise à cause de leur apparence. « Une fille de 14 ans qui était enceinte de neuf mois a refusé de sortir de sa maison de peur que les gens ne sachent qu’elle est enceinte si jeune, malgré des symptômes évidents de pré-éclampsie : pieds enflés et troubles visuels. Nous l’avons trouvée et l’avons amenée à la clinique mobile. » - Un travailleur de proximité de MSF, août 2007 L’attitude du personnel dans les centres de santé n’est pas très encourageante. Nombre de femmes affirment avoir été insultées ou humiliées dans les hôpitaux parce qu’elles étaient enceintes à un si jeune âge, abandonnées par leur conjoint, pauvres ou parce qu’elles vivent dans un bidonville. Nos patientes nous ont confié que le personnel de certains hôpitaux publics ne les avait pas bien accueillies parce qu’elles n’avaient pas de vêtements propres ou qu’elles étaient très maigres à leur arrivée au centre. « C’est une question d’apparence. Il arrive que des gens ne reçoivent pas de soins à cause de leur apparence; si elles sont sales, par exemple. Celles dont l’apparence est soignée sont examinées rapidement. » - Une patiente, clinique mobile de MSF, novembre 2007 La stigmatisation et la discrimination, qu’elles soient une réalité ou une perception, peuvent être une cause de mortalité maternelle. Elles mènent à un retard dans la demande de soins de santé, prolongent la période de risques et compromettent la qualité des soins de santé.

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pour une femme vivant dans un bidonville de Port-au-Prince, le périple qui mène à la naissance d’un bébé est pavé d’obstacles. L’insécurité, la violence et les problèmes de transport limitent physiquement l’accès aux soins de santé et lorsqu’elle réussit à se rendre à un centre de santé, elle peut rarement payer les frais pour les services rendus, ces derniers étant souvent inadéquats. Pour alimenter leur détresse, les gens mêmes qui devraient leur prodiguer des soins et faire preuve de compassion risquent de les traiter avec dépit à cause de leur statut.

Conclusion

Quand les femmes vulnérables tombent enceintes, elles n’ont d’autres choix que d’affronter ces obstacles. La détresse, la destitution, la discrimination et les risques qu’elles prennent, surtout au moment de l’accouchement, sont inacceptables. Si la grossesse présente des complications, celles-ci pourraient leur coûter la vie. En janvier 2008, le ministère de la Santé publique et de la population annonçait l’implantation d’un programme de soins obstétricaux gratuits. MSF soutient une telle initiative et ne peut qu’espérer sa mise en application. Toutefois, pour réduire le taux de mortalité maternelle extrêmement élevé qui menace les femmes enceintes de Port-au-Prince il faudra une approche beaucoup plus globale. Le défi du ministère de la Santé publique et de la population est de rendre les soins d’obstétrique plus accessibles aux femmes des bidonvilles. Il faut élaborer des stratégies qui permettront d’offrir des soins de base en obstétrique dans ou près des bidonvilles tout en ayant la possibilité de référer rapidement les urgences vers un centre d’obstétrique public. Les hôpitaux publics doivent être en mesure d’offrir des soins d’urgences en obstétrique dont les césariennes et les transfusions sanguines et ce, peu importe l’heure et le jour. La mort maternelle n’est pas une mort naturelle. Réduire les risques de mortalité durant l’accouchement doit devenir une priorité en Haïti.

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© Julie Rémy


AnnexE

Nombre mensuel d’interventions chirurgicales, y compris les césariennes pratiquées à l’Hôpital Jude Anne mars 2006 à décembre 2007

Médecins Sans Frontières en Haïti Soins obstétricaux offerts par l’hôpital Jude Anne et ses cliniques mobiles autres

Depuis mars 2006, MSF gère un programme de soins d’urgence en obstétrique à l’hôpital Jude Anne, Delmas 18, Port-au-Prince. Ce programme vise à réduire le taux de mortalité maternelle en offrant des soins obstétricaux gratuits aux femmes enceintes, en particulier celles vivant dans les bidonvilles de Port-au-Prince. Le programme souhaite atteindre les objectifs généraux suivants : 1. Procurer un accès continu (24 h/7 jours) à des soins obstétricaux aux femmes qui ont été suivies dans une des cliniques mobiles de MSF et lorsque des complications demandent une attention spéciale ou une chirurgie d’urgence durant l’accouchement. 2. Procurer un accès gratuit à des consultations pré et post-natales, dont les conseils sur le dépistage volontaire du VIH, aux femmes enceintes qui vivent dans les régions desservies par les cliniques mobiles de MSF. Le nombre mensuel d’accouchements et de consultations ne cesse de grimper. Depuis son lancement jusqu’en décembre 2007, le programme a permis d’effectuer : • 21 009 accouchements (ou 955 par mois), dont plus de la moitié présentait des complications mettant la vie de la mère ou du bébé en péril • 12 581 consultations prénatales (ou 572 par mois), 46 % desquelles étaient une première consultation • 14 860 consultations post-natales (ou 675 par mois) • 185 patientes ont tiré profit du traitement préventif contre la transmission du VIH de la mère à l’enfant

curettages laparotomies (y compris les hystérectomies) LIGATURES des trompes césariennes

Nombre mensuel de consultations périnatales à l’hôpital Jude Anne et dans les cliniques mobiles de juin 2006 à décembre 2007

consultations anténatales

Nombre mensuel d’accouchements à l’hôpital Jude Anne : mars 2006 à décembre 2007

consultations post-natales

L’hôpital Jude Anne a une capacité absolue de 75 lits, une salle d’opération, une salle d’accouchement, une zone de triage, un laboratoire et une pharmacie. Elle comprend également un service de consultations externes pour assurer les consultations pré et post-natales et le VCT (Conseil sur le traitement volontaire des patients atteints du VIH). MSF possède également des cliniques mobiles ouvertes trois fois par semaine pour les consultations pré et post-natales et pour le VCT dans les bidonvilles de Solino, Pelé Simon et La Saline.

autres procédures césarienne accouchements vaginaux

Nombre de lits (maternité et obstétrique) et moyenne mensuelle d’accouchements à Jude Anne et dans les 5 principaux hôpitaux publics de Port-au-Prince (vaginaux et césariennes)19

Maternité Isaie-Jeanty

hôpital Général

hôpital Carrefour

hôpital La Paix

Sainte-Catherine (MSPP/ MSF)

Jude Anne (MSF)

Total

Lits

80

93

40

19

29

75

336

2006

134

270

218

104

225

780

1731

2007

200

375

350

150

318

1090

2483

22

MSF œuvre en Haïti depuis 1991. Pour l’instant, il assure le fonctionnement des programmes suivants : • Centre de traumatologie avec la possibilité de chirurgie, hôpital de la Trinité, Delmas 19, Port-au-Prince • Centre de réhabilitation avec un programme destiné à l’encadrement des victimes de violence sexuelle, Pacot, Port-au-Prince • Centre de stabilisation pour les victimes de violence et d’urgences traumatologiques, Martissant 25, avec des cliniques mobiles dans diverses zones de Martissant et un service d’ambulances, Port-au-Prince • Formation des infirmières anesthésistes de niveau national, Cange, Port-au-Prince En décembre 2007, MSF a transféré ses programmes de l’hôpital Sainte-Catherine et du Centre de santé CHAPI de Cité Soleil au ministère de la Santé publique et de la population, après deux ans de collaboration. Les chiffres pour 2006 sont les valeurs officielles remises par chaque hôpital public à l’Organisation mondiale de la santé. Toutefois, les valeurs de 2007 ont été estimées à partir d’entrevues menées auprès des responsables du service de maternité ou des registres tenus par les hôpitaux. Le nombre de lits (maternité et obstétrique) repose également sur des entrevues menées auprès des hôpitaux respectifs.

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msf.ca


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