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« L’écart entre les discours et la pratique reste grand »
Les obstacles pour tendre vers le « zéro artificialisation » et pour freiner l’étalement urbain sont encore nombreux en Wallonie. Les Arènes du Territoire wallonnes tentent actuellement d’en décanter les principaux. Densification, adhésion, révision, planification : tour d’horizon avec l’Inspecteur général Michel Dachelet.
Interview : Karima Haoudy – Photo : Maureen Schmetz et JLC-SPW
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Les Arènes du Territoire sont lancées depuis le 29 septembre. Elles essaiment à présent sur l’ensemble de la Wallonie par le biais des Maisons de l’urbanisme avant de se terminer en janvier. L’occasion de faire le point avec l’Inspecteur général Michel Dachelet, l'un des architectes des de Arènes, qui met au cœur du débat deux enjeux de taille : la réduction de l’artificialisation des sols et l’étalement urbain.
ESPACE-VIE : Qu’attendez-vous de l’issue de ces Arènes ?
MICHEL DACHELET : Nous espérons pouvoir mettre en évidence les obstacles qui se présentent sur la route qui doit nous mener en 2050 vers le « zéro artificialisation ». Un objectif repris dans la Déclaration de Politique régionale. Dans cette démarche et en parallèle aux Arènes a été mis en place un groupe de travail chargé de mesurer l’artificialisation et de proposer des outils appropriés pour en assurer une maitrise. Les Arènes constituent un exercice participatif, mené en huis clos avec des acteurs-clés du territoire couvert par chacune des Maisons de l’urbanisme. Ces acteurs sont représentatifs de la diversité des manières d’appréhender l’aménagement du territoire. Ils sont élus, militants associatifs, promoteurs, actifs dans des organismes publics ou privés, etc. Ouvertes, les Arènes rassemblent autant des convaincus que de réfractaires ou des sceptiques à la réduction de l’étalement urbain. Chacun a d’excellentes raisons de défendre sa cause et tous les arguments méritent d’être développés. Pour comprendre ces enjeux, il est essentiel d’avoir une visibilité, la plus nuancée, sur les freins et les leviers.
Pourquoi la question de la réduction de l’artificialisation nécessite-t-elle encore aujourd’hui d’être en débat ?
Le temps du débat n’est pas achevé car l’écart entre les discours et la pratique est encore grand. Si la prise de conscience des limites de la gestion non parcimonieuse de notre territoire est communément acceptée, force est de constater dans les faits que l’étalement continue sa marche en avant. On autorise encore aujourd’hui des centres commerciaux, des immeubles à appartements ou des lotissements, avec ouverture de voiries notre territoire et bien au-delà. et éloignés des centralités sans que ces décisions n’émeuvent la population. Et paradoxalement, les projets denses visant au renforcement des centralités suscitent le plus souvent des réactions tenacement hostiles. Entre l’étape préliminaire de la conscientisation et celle déterminante du passage à la décision-action, il y a une marge considérable. Ce passage sera rendu possible par un basculement sociétal, comme nous l’enseigne l’histoire des transitions. Et un des éléments fondamentaux, pour moi dans les Arènes, c’est de pouvoir mesurer, en Wallonie et dans chacune des provinces, la capacité et la maturité de notre société à prendre des décisions qui récolteront l’adhésion collective, autour de cet enjeu.
Pourquoi est-ce si difficile d’atteindre le « zéro artificialisation » ? Quels sont les freins ?
Sans hésitation, le frein majeur est le plan de secteur ! Tout en étant un garde-fou, le plan de secteur légitime l’urbanisation de territoires mal situés et la consommation de surfaces vierges. À moyen terme, nous devrons travailler à sa révision même si elle est laborieuse en termes de compensations financières, de longueurs procédurales et d’effets impopulaires que sa révision pourrait susciter. Mais, à court terme, il faut remettre sur le métier le travail de planification du territoire tant à l’échelle régionale que locale notamment quand je vois que certains Schémas communaux peinent à renforcer leurs centralités et densités. Il faut aussi, et c’est fondamental, réconcilier tous les acteurs qu’ils soient élus, militants associatifs, promoteurs, etc., avec une vision d’un développement du territoire ajusté aux enjeux. C’est en proposant d’autres modèles de vivre ensemble, générés par des tissus résidentiels denses, que nos choix individuels pourront prendre la mesure de la finitude de nos ressources.
Dans Le Monde diplomatique, l’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheynan soulignaient que « la pandémie de Covid 19 invite à repenser une société respectueuse des équilibres environnementaux et à la hauteur des enjeux climatiques ». En quoi le « zéro artificialisation » pourrait contribuer à l’émergence de cette société ?
C’est l’assise même du « zéro artificialisation », son fondement. Il s’agit de limiter l’utilisation du sol pour laisser à l’agriculture et à la biodiversité une chance de se développer, d’exister, d’une part. Et d’autre part, cet objectif rend possible, par le renforcement des centralités, une mobilité la plus dé-carbonée possible. Le « zéro artificialisation » est, pleinement et concrètement, à la rencontre des enjeux climatiques et énergétiques, qui travaillent notre territoire, et bien au-delà.
Retrouvez l’interview complète sur Espacevie.be
Pour aller plus loin
> Retrouvez la genèse des Arènes du Territoire sur espacevie.be ou dans le numéro 298. > Les résultats des Arènes seront à retrouver dans Espace-vie et sur mubw.be.
Par artificialisation, on entend tout processus par lequel des surfaces sont retirées de leur état naturel, forestier ou agricole. L’artificialisation induit un changement irréversible, dans l’utilisation du sol au profit de fonctions urbaines (habitat mais aussi surfaces commerciales, services publics, commodités, espaces publics, infrastructures de transports, parkings, etc.). Source : Réduisons l’artificialisation des sols en Wallonie, vadémécum, CPDT, 2019.