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Explorer|Quand l’agriculture urbaine s’enracine

L’idée d’encourager l’agriculture urbaine dans les projets immobiliers sous forme de charge d’urbanisme fait son chemin. Le ministre de l’Aménagement du territoire y est notamment favorable. De son côté, une spin-off de Gembloux Agro-Bio Tech tente d’implanter le concept auprès du privé et du public. Des projets existent, notamment à Ottignies-LLN.

Texte : Xavier Attout – Photo : Green Surf et Equilis

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Que ce soit des fruits et légumes produits en toiture d’un immeuble, un potager en intérieur d’ilots voire des activités agricoles le long de chantiers, les possibilités pour implanter des projets d’agriculture urbaine dans les développements immobiliers ne manquent pas. De plus en plus de promoteurs ou de pouvoirs publics semblent intéressés par cette démarche. Et pas uniquement dans une vue de marketing environnemental ou pour vendre plus aisément leurs logements. « Il est évident que certains pourraient utiliser cette démarche à cette fin, explique l’ingénieure agronome Candice Leloup, qui a cofondé Green SURF en 2017 (Green Solution for Urban and Rural Farming), une spin-off de l’ULiège spécialisée dans l’agriculture urbaine. Mais pour que des projets réussissent, chaque cas est spécifique et il faut bien étudier toutes les composantes d’un dossier. Sans cela, cela ne fonctionne pas. Car tant la gestion de ces espaces que le cout sont des données à prendre en compte sérieusement. »

Green SURF propose des services d’accompagnement de projets d’agriculture urbaine tant auprès des pouvoirs publics que des promoteurs privés. Un modèle qui se développe de plus en plus pour répondre aux enjeux de la transition et pour permettre le développement de villes nourricières sans épuiser les ressources foncières. « Il y a une multitude de possibilités en la matière, poursuit Candice Leloup. Dans certains cas, la rentabilité et la productivité seront essentielles alors que dans d’autres il s’agira de projets non-lucratifs où l’objectif est surtout social et environnemental. Tant les modes de culture (pleine terre ou hors sol, hydroponie ou aquaponie) que les dimensions (à l’échelle d’un bâtiment, d’un quartier, d’une ville) sont variables. Sans parler du fait qu’un potager peut être individuel, collectif ou professionnel. »

Des questions terre à terre Alors qu’elle essaime à Montréal ou dans certaines villes françaises, l’agriculture urbaine perce doucement en Wallonie. Si les circuits courts et les commerces de proximité sont à la mode, il existe encore de multiples possibilités de développement. D’autant que ce type d’agriculture permet de diversifier la production par rapport à l’agriculture conventionnelle. « Il s’agit en effet d’horticulture, de maraichage voire de petit élevage. Il faut donc faire des choix. Ces deux types d’agriculture sont donc complémentaires. Il ne faut pas les opposer. L’important est de retrouver un certain équilibre entre les deux. Cela va en tout cas permettre d’améliorer l’attractivité de la ville. »

Parmi les freins, on peut avancer la méconnaissance de cette activité, la gestion et le cout de l’investissement. « Notre priorité reste de sensibiliser privé et public sur les avantages de l’agriculture urbaine. La conception et la gestion sont deux éléments à ne pas négliger. La gestion

De l'agriculture urbaine à Tivoli Green City (Laeken), quartier le plus durable au monde.

freine même souvent les promoteurs car ils se demandent qui va gérer ce projet une fois que les habitants auront pris possession de leur logement. Il faut donc créer une certaine adhésion. Enfin, les couts restent un critère important. Il faut établir un vrai business plan. »

Des pistes à Ottignies Willy Borsus, fervent partisan de l’agriculture urbaine, a évoqué il y a peu la possibilité d’encourager son développement par le biais de charges d’urbanisme. Une piste intéressante mais qui nécessitera d’être bien encadrée. « Imposer cette activité peut s’avérer contre-productif si elle n’est pas bien encadrée et réfléchie. Chaque projet est spécifique et exige des études sérieuses. Mais c’est peut-être le prix à payer pour obtenir des villes nourricières de qualité. Cela peut en tout cas amener une vraie plus-value pour la collectivité. »

Green SURF a déjà travaillé sur plusieurs projets. Le plus emblématique était Tivoli Green City à Anderlecht, quartier exemplaire à plus d’un titre, primé à de nombreuses reprises pour son caractère innovant. Des potagers en toiture y ont été aménagés. « Nous y sommes retournés il y a peu et les habitants nous ont clairement expliqué les bienfaits de ces potagers sur la vie sociale locale, explique Candice Leloup, qui confirme qu’il vaut mieux réfléchir à l’intégration de l’agriculture urbaine bien en amont d’un projet. Il s’agissait d’un véritable argument déclencheur pour y acheter un bien. Et puis cela rassure aussi les communes sur la pertinence d’un projet immobilier, cela permet in fine d’accélérer la délivrance de permis. »

Pour que des projets réussissent, il faut bien étudier toutes les composantes d’un dossier. Car tant la gestion de ces espaces que le cout doivent être pris en compte. Candice Leloup, Green Surf

En Brabant wallon, plusieurs projets sont à l’étude. Dans le cadre de la réhabilitation du site des Forges de Clabecq, la société monégasque Terre de Monaco installera des bacs de terre sur les toits de plusieurs immeubles (sur 7 000 m2 auquel il faut ajouter 2 500 m2 de serres). Une équipe de six personnes sera constituée pour gérer les différents aspects de cette agriculture urbaine et un restaurant de 30 à 40 couverts est prévu sur le toit. Il se fournira principalement des produits du potager. De son côté, Green SURF espère finaliser une collaboration avec un promoteur privé dans le cadre d’un nouveau quartier à Ottignies-Louvain-la-Neuve.

Pour aller plus loin

Green-surf.com

« L’écart entre les discours et la pratique reste grand »

Les obstacles pour tendre vers le « zéro artificialisation » et pour freiner l’étalement urbain sont encore nombreux en Wallonie. Les Arènes du Territoire wallonnes tentent actuellement d’en décanter les principaux. Densification, adhésion, révision, planification : tour d’horizon avec l’Inspecteur général Michel Dachelet.

Interview : Karima Haoudy – Photo : Maureen Schmetz et JLC-SPW

Les Arènes du Territoire sont lancées depuis sont représentatifs de la diversité des manières le 29 septembre. Elles essaiment à présent d’appréhender l’aménagement du territoire. Ils sont sur l’ensemble de la Wallonie par le biais élus, militants associatifs, promoteurs, actifs dans des Maisons de l’urbanisme avant de se terminer en des organismes publics ou privés, etc. Ouvertes, janvier. L’occasion de faire le point avec l’Inspecteur les Arènes rassemblent autant des convaincus que général Michel Dachelet, l'un des architectes des de réfractaires ou des sceptiques à la réduction de Arènes qui met au cœur du débat deux enjeux de l’étalement urbain. Chacun a d’excellentes raisons taille : la réduction de l’artificialisation des sols et de de défendre sa cause et tous les arguments méritent l’étalement urbain. d’être développés. Pour comprendre ces enjeux, il est Michel Dachelet, Inspecteur général au département de l'Aménagement du territoire ESPACE-VIE Qu’attendez-vous de l’issue essentiel d’avoir une visibilité, la plus nuancée, sur les freins et les leviers.

et de l'Urbanisme de la de ces Arènes ?

Wallonie. MICHEL DACHELET. Nous espérons pouvoir Pourquoi la question de la réduction de mettre en évidence les obstacles qui se présentent l’artificialisation nécessite-t-elle encore sur la route qui doit nous mener en 2050 vers aujourd’hui d’être en débat ? le « zéro artificialisation ». Un objectif repris Le temps du débat n’est pas achevé car l’écart entre les dans la Déclaration de Politique régionale. Dans discours et la pratique est encore grand. Si la prise de cette démarche et en parallèle aux Arènes, a conscience des limites de la gestion non parcimonieuse de notre territoire est communément acceptée, force

Le zéro artificialisation est, pleinement est de constater dans les faits que l’étalement continue et concrètement, à la rencontre des enjeux climatiques et énergétiques qui travaillent sa marche en avant. On autorise encore aujourd’hui des centres commerciaux, des immeubles à appartements ou des lotissements, avec ouverture de voiries notre territoire et bien au-delà. et éloignés des centralités sans que ces décisions n’émeuvent la population. Et paradoxalement, les été mis en place un groupe de travail chargé de projets denses visant au renforcement des centralités mesurer l’artificialisation et de proposer des outils suscitent le plus souvent des réactions tenacement appropriés pour en assurer une maitrise. Les Arènes hostiles. Entre l’étape préliminaire de la conscienticonstituent un exercice participatif, mené en huis sation et celle déterminante du passage à la déciclos avec des acteurs-clés du territoire couvert par sion-action, il y a une marge considérable. Ce passage chacune des Maisons de l’urbanisme. Ces acteurs sera rendu possible par un basculement sociétal,

L'objectif des Arènes est de tracer des routes vers le « zéro artificialisation ».

comme nous l’enseigne l’histoire des transitions. Et un des éléments fondamentaux, pour moi dans les Arènes, c’est de pouvoir mesurer, en Wallonie et dans chacune des provinces, la capacité et la maturité de notre société à prendre des décisions qui récolteront l’adhésion collective, autour de cet enjeu.

Pourquoi est-ce si difficile d’atteindre le « zéro artificialisation » ? Quels sont les freins ?

Sans hésitation, le frein majeur est le plan de secteur ! Tout en étant un garde-fou, le plan de secteur légitime l’urbanisation de territoires mal situés et la consommation de surfaces vierges. À moyen terme, nous devrons travailler à sa révision même si elle est laborieuse en termes de compensations financières, de longueurs procédurales et d’effets impopulaires que sa révision pourrait susciter. Mais, à court terme, il faut remettre sur le métier le travail de planification du territoire tant à l’échelle régionale que locale notamment quand je vois que certains Schémas communaux peinent à renforcer leurs centralités et densités. Il faut aussi, et c’est fondamental, réconcilier tous les acteurs qu’ils soient élus, militants associatifs, promoteurs, etc., avec une vision d’un développement du territoire ajusté aux enjeux. C’est en proposant d’autres modèles de vivre ensemble, générés par des tissus résidentiels denses, que nos choix individuels pourront prendre la mesure de la finitude de nos ressources.

Dans Le Monde diplomatique, l’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheynan soulignaient que « la pandémie de Covid 19 invite à repenser une société respectueuse des équilibres environnementaux et à la hauteur des enjeux climatiques ». En quoi le « zéro artificialisation » pourrait contribuer à l’émergence de cette société ?

C’est l’assise même du « zéro artificialisation », son fondement. Il s’agit de limiter l’utilisation du sol pour laisser à l’agriculture et à la biodiversité une chance de se développer, d’exister, d’une part. Et d’autre part, cet objectif rend possible, par le renforcement des centralités, une mobilité la plus dé-carbonée possible. Le « zéro artificialisation » est, pleinement et concrètement, à la rencontre des enjeux climatiques et énergétiques, qui travaillent notre territoire, et bien au-delà.

Retrouvez l’interview complète sur Espacevie.be

Pour aller plus loin

> Retrouvez la genèse des Arènes du Territoire sur espacevie.be ou dans le numéro 298. > Les résultats des Arènes seront à retrouver dans Espace-vie et sur mubw.be.

Pour bien comprendre

Par artificialisation, on entend tout processus par lequel des surfaces sont retirées de leur état naturel, forestier ou agricole. L’artificialisation induit un changement irréversible, dans l’utilisation du sol au profit de fonctions urbaines (habitat mais aussi surfaces commerciales, services publics, commodités, espaces publics, infrastructures de transports, parkings, etc.). Source : Réduisons l’artificialisation des sols en Wallonie, vadémécum, CPDT, 2019.

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