Centre de cas
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Sylvain Lafrance et la radio de Radio-Canada (2004) Cas produit par Claudine AUGER, Bernard CHASSÉ, et les professeurs Isabelle FORTIER et Laurent LAPIERRE1.
La radio de Radio-Canada : petite histoire Les années 1920. Le charleston, les origines du jazz, l’ère du Swing, les « Big Bands »; quelques années plus tard, La Bolduc, ses airs populaires et les vedettes qui la suivront… un vent de folles insouciances règnent sur ces années d’après-guerre et sur ce début de siècle qui sera marqué par une incroyable vague de communication. C’est à cette époque que la radio, invention qui se distingue déjà depuis quelques années, devient accessible aux Canadiens, les réjouissant de musique, de vedettes, de radio-romans. Alors que discrètement, quelques stations entrent en ondes, se voyant accorder les premiers permis canadiens de radiodiffusion, la société nationale de chemin de fer, le Canadien National (CN), installe bientôt le média de pointe dans ses trains. Peu après, le CN inaugure ses premières stations, établissant peu à peu un réseau dont la programmation, en français et en anglais, se promet de traverser le pays, et la Commission Aird recommande la création d’une société d’État qui aurait la mission de fournir un réseau public de radiodiffusion dont pourraient profiter tous les Canadiens. Il est temps, en effet, d’étudier avec sérieux la situation de cette industrie naissante et la première Commission royale d’enquête, formée en 1928 par le gouvernement canadien et présidée par John Aird, a comme mandat d’analyser les conditions de la radiodiffusion afin d’en tracer les lignes de gestion : administration, surveillance et contrôle, besoins financiers. À la suite de l’étude de ce rapport, la Commission canadienne de la radiodiffusion (CCR) est créée par la Loi canadienne de la radiodiffusion, en 1932, et remplacée à peine un an plus tard par une société d’État, la Société Radio-Canada, organisme qui bénéficiera d’une complète autonomie financière et opérationnelle mais à qui incombe également la lourde responsabilité de fournir un service de radiodiffusion dans tout le pays. Dès lors, la Société produit, diffuse et réglemente. L’aventure est amorcée.
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Claudine Auger et Bernard Chassé sont professionnels de recherche à HEC Montréal, Isabelle Fortier est professeure agrégée à L’ÉNAP et Laurent Lapierre est titulaire de la Chaire de leadership Pierre-Péladeau à HEC Montréal.
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Radio-Canada s’inscrit officiellement dans l’histoire en 1936 en prenant en charge l’effectif de 132 employés et les installations radiophoniques du CN acquises par la CCR quelques années auparavant. En tout, la jeune société gère huit stations d’État ou stations louées et 14 stations privées affiliées, et rapidement étend son réseau, à Montréal et à Toronto notamment, faisant passer le niveau d’écoute national de 49 % à 76 %. Durant les années qui suivent, Radio-Canada raffine sa programmation, l’enrichissant d’émissions rurales au réseau français puis anglais, produisant des reportages bilingues complets qui couvrent des événements d’envergure – tel celui de la visite de six semaines du roi George VI et de la reine Elizabeth en 1939 –, élaborant un service international par ondes courtes ou aménageant les premières stations FM de RadioCanada1. À cette époque, deux stations françaises occupent déjà le territoire radiophonique. CKAC La Presse, fondée en 1922, domine avec des vedettes et des radio-séries cultes, alors que CHLP La Patrie, depuis 1934, préfère une programmation qui s’appuie sur l’industrie émergente du disque, faisant la promotion des chansons françaises de l’heure. La programmation de Radio-Canada à ses débuts… En 1937 et en 1938, le programme des émissions régulières comprend de la musique symphonique, de chambre et chorale, exécutée par des groupes déjà existants ou organisés par Radio-Canada; des pièces originales et des pièces classiques, ainsi que des feuilletons, comme Un homme et son péché, très prisé à la radio française, des causeries, discussions et débats universitaires, des bulletins d’information de la Presse canadienne, des émissions religieuses, des émissions de variétés comme The Happy Gang, de la musique de danse, des matches de hockey de la Ligue nationale, des émissions enfantines et enfin, l’émission The Northern Messenger, héritée de la Commission canadienne de la radiodiffusion. Il y a bon nombre d’émissions sur des sujets canadiens, depuis celles qui traitent des ressources et de l’industrie jusqu’à celle intitulée Un fait par jour sur le Canada, fournie par le Bureau fédéral de la statistique et diffusée après les bulletins de nouvelles et de prévisions météorologiques. Au nombre des émissions américaines au programme de Radio-Canada figurent le Metropolitan Opera, le Théâtre radiophonique Lux, Charlie McCarthy et Les Séries mondiales. Radio-Canada réalise aussi ou retransmet de nombreux reportages spéciaux : le discours du roi Édouard VIII lors de son abdication, le couronnement de Georges VI, l’inauguration d’Air Canada, le Congrès de la langue française à Québec, une messe de Noël à Bethléem et le troisième anniversaire de naissance des jumelles Dionne. Lors de la crise de Munich, Radio-Canada diffuse plus de 100 reportages spéciaux en 17 jours. Aux deux réseaux, anglais et français, la qualité de la langue fait l’objet d’une attention particulière. Tiré de Radio-Canada, Un bref historique de la Société Radio-Canada, Relations publiques, Siège social, Ottawa, mars 1977.
Dès ses débuts, Radio-Canada a eu cette volonté ferme et soucieuse d’être « un instrument de progrès démocratique2 » : piquer la curiosité, ouvrir les horizons, contribuer à la connaissance et à la compréhension de l’actualité, donner le goût de l’analyse, soutenir la créativité, offrir un divertissement de qualité. C’est avec ces principes comme ligne de fond que la programmation se dessine à chaque saison. Dès 1938, les radio-romans et le théâtre envahissent les ondes : les héros de Vie de Famille, La pension Velder et Un homme et son péché partagent la vie quotidienne des auditeurs de Radio-Canada. Les romans-fleuves se multiplient, présentés tout au long de la 1
À titre expérimental seulement. Ce réseau FM sera temporairement dissous en 1962.
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Radio-Canada 1936-1986 : Dossier Radio-Canada, texte de Jean Blais, page 30.
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journée, tenant en haleine des centaines de Canadiens. Certains sont de francs succès : Rue Principale tient les ondes durant plus de 20 ans. Durant les années de la Deuxième Guerre, le réseau français introduit la réputée série d’émissions éducatives Radio-Collège : créée en 1941 par deux universitaires, Léon Lortie et Louis Bourgoin, elle se voulait un complément à l’enseignement collégial, traitant de disciplines moins abordées par le cours classique de l’époque : botanique, écologie, psychologie, biologie, théâtre. La musique, évidemment, est un pôle majeur de la programmation de la société publique. Lorsque Jean-Marie Beaudet, musicien et chef d’orchestre, prend la direction des programmes musicaux, il met immédiatement à l’antenne L’heure symphonique, consacrée à la musique classique. Pendant 17 ans, de 1948 à 1975, Les petites symphonies enchantent les soirées de la radio avec des interprètes de haut calibre. De plus en plus, Radio-Canada commande des œuvres à des compositeurs et à des auteurs canadiens, donnant aussi leur chance aux jeunes artistes et aux artistes régionaux grâce à des émissions comme Nos futures étoiles. La programmation a aussi laissé place à des émissions destinées à des publics spécifiques, s’adressant à l’auditoire féminin ou jeunesse. Ainsi, quelques émissions ont marqué la radio féminine durant les années 1940 et 1950 : Fémina, par exemple, animée par Thérèse Casgrain, abordait l’éducation des enfants, la psychologie, les connaissances générales, donnait des conseils pratiques et osait, à l’occasion, des incursions dans l’univers politique à une époque où les femmes n’y étaient guère invitées. Radio-Canada proposait également des émissions à but éducatif pour les jeunes : Le questionnaire de la jeunesse diffusé le samedi ou Nos collèges au micro, des jeux qui mettaient à l’épreuve les connaissances des étudiants. Et, pour les tout petits, Les contes de tante Lucille ont, pendant 20 ans, permis des voyages dans l’imaginaire. D’autres émissions spécialisées ont tenu l’antenne avec succès, notamment des émissions religieuses qui s’inscrivaient dans le courant des valeurs spirituelles de l’époque ou des émissions traitant d’agriculture et de ressources naturelles, prisées tant par les agriculteurs que par les citadins. Ainsi, pendant 30 ans, Réveil rural a été l’une des émissions les plus écoutées, répondant à un véritable besoin d’informations concernant tant la culture des terres, des forêts, des pêcheries, de l’environnement et d’économie agricole que du prix des bestiaux ou des denrées agricoles, le tout ponctué de chants folkloriques et de commentaires d’agronomes chevronnés. Cet horaire chargé n’aurait cependant pu être complet sans les plages réservées aux sports et aux émissions d’animation et de variétés. Jusqu’au début des années 1950, lorsque Radio-Canada inaugure son service de télévision, la radio vit donc une période de succès insouciant, une radio spontanée dont l’objectif est de plaire et d’atteindre la sensibilité des auditeurs, sans se préoccuper davantage de sondages ou de cotes d’écoute. C’est en quelque sorte l’âge d’or de la radio. Les structures sont beaucoup plus simples qu’aujourd’hui et chacun œuvre sur son propre terrain : la Société Radio-Canada assure un service national de radiodiffusion, les stations privées se concentrent sur une programmation locale. Puis, lors de la prodigieuse arrivée du téléviseur et de ses captivantes images, insolite petite boîte noire qui ouvre un univers tellement fascinant, la radio vit quelques saisons d’ombre et d’écart. Elle reprendra pourtant son dynamisme et traversera les âges avec une vitalité qui est sienne et qui s’appuie sur des forces distinctives.
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Les années 1960 se caractériseront par le développement de nombreuses nouvelles lois réglementant la radiodiffusion canadienne. En effet, à la fin de cette décennie, la Loi sur la radiodiffusion jettera des assises beaucoup plus fermes sur l’industrie. Depuis 1936, Radio-Canada a le double mandat de diffuseur national et de régulateur. En 1958, on scinde ses fonctions et la société publique se concentre désormais sur ses activités d’exploitation. C’est le Bureau des Gouverneurs de la radiodiffusion qui prend la relève en tant que régulateur, sans encore avoir le même pouvoir que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC)1 d’aujourd’hui. Le rôle de cet organisme est de favoriser l’émergence d’une culture propre, de renforcer les restrictions à la propriété étrangère, de valoriser la création de programmation canadienne et de réitérer la vision culturelle, sociale et économique de la radio et de la télévision. Finalement, en 1968, est créé le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), nouvel organisme de réglementation qui ajoutera les télécommunications à ses responsabilités en 1976. À partir de 1953, date à laquelle des circuits sont mis en place afin de relier Montréal, Ottawa et Toronto, Radio-Canada travaille activement au déploiement du réseau hertzien qui s’étendra bientôt jusqu’à Terre-Neuve, permettant par le fait même la création du Service du Nord, brisant l’isolement des populations du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et de la partie septentrionale des provinces canadiennes, à l’exception des Maritimes. En fait, la société publique continuera, avec ardeur et constance, de construire et de peaufiner ce réseau national et international, se servant de toutes les technologies à sa disposition ou s’appuyant sur certaines politiques2 pour relier à son antenne les coins les plus reculés du pays et permettre à ses auditeurs canadiens un regard sur l’international. Les années 1970 laissent également leur marque dans l’histoire de la radio de Radio-Canada. Ainsi, en 1974, alors que la société adopte un nouvel emblème, c’est l’entrée en service du réseau FM stéréo français pour les régions de Montréal, Québec, Chicoutimi, Ottawa. C’est en effet à cette époque, après la production d’une étude poussée de sa radiodiffusion, que Radio-Canada décide d’implanter, dans les deux langues officielles, des services complémentaires : la chaîne en modulation d’amplitude (AM), Radio I, serait orientée sur les nouvelles, l’information, le divertissement léger et les programmes communautaires; la chaîne en modulation de fréquence (FM), Radio II3, offrirait un menu plus étoffé et plus spécialisé, notamment dans les domaines de la musique, du théâtre et des arts, ainsi que des documentaires. Durant ces mêmes années, alors que déjà en 1969 Radio-Canada avait mis fin à la publicité sur le tabac, la radio procède à la suppression progressive de toute autre publicité4, une façon d'endosser ses responsabilités sociales. Cette décision a, de plus, favorisé la complémentarité entre radio 1
Pour plus de détails sur l’évolution et le rôle du CRTC, voir : Note sur l’industrie de la radiodiffusion au Canada, produite par Claudine Auger et le professeur Laurent Lapierre, Centre de cas, 57 pages, no 7 40 2002 001.
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En 1974, le gouvernement annonce le Plan accéléré de rayonnement de Radio-Canada pour mettre les services de radio et de télévision à la portée des localités mal desservies.
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Changement de nom pour Radio I et Radio II : Durant le célèbre épisode du verglas en 1998, Radio I a diffusé des émissions spéciales pendant plusieurs semaines. Lorsque la vie quotidienne est relativement revenue à la normale, en février, la Première Chaîne s’est installée au 95,1 FM, fonctionnant en parallèle avec Radio I au 690 AM, pour une période de transition. L’automne suivant, pour la nouvelle saison, Radio I a définitivement disparu, laissant toute la place à la Première Chaîne. C’est durant cette même année que Radio II a pris le nom de Chaîne culturelle.
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En 1975, Radio-Canada supprimera les publicités de ses émissions de télévision destinées aux enfants de 12 ans ou moins.
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publique et radio privée commerciale, favorisant l’originalité de la programmation de la radio publique, distinction beaucoup plus marquante que pour le secteur de la télévision. C’est également une période de grands développements pour l’entreprise qui décide de se doter d’un établissement à la fine pointe de la technologie à Montréal et de créer un centre de production adapté aux besoins régionaux de Radio-Canada à Vancouver en plus de mettre sur pied un service de radio et de télévision de langue française à travers tout le pays. Au cours des années, le réseau radiophonique français de Radio-Canada s’est graduellement étendu, soucieux d’en accroître le rayonnement tant dans la province de Québec que partout au Canada afin d’y desservir les minorités francophones. En outre, la société publique garde de ces années l’empreinte d’une vague tumultueuse, alors que la nation canadienne vit pleinement le défi indépendantiste du Québec, et que Radio-Canada réclame et défend ses droits de couvrir l’événement aussi librement et équitablement que possible. Depuis sa création, la société Radio-Canada a maintenu le cap sur ses objectifs, jouant un rôle fondamental auprès des Canadiens, s’attachant à répondre aux besoins les plus divers tant par des émissions régionales que par des services adaptés, comme l’introduction, au début des années 1980, du sous-titrage codé pour les malentendants dans les émissions de télévision. La société, stimulée par la concurrence ou par souci de rentabilité, reverra régulièrement son plan de développement afin d’élargir ses services : en 1983, elle regroupe des activités de commercialisation françaises et anglaises sous un organisme unique, Les Entreprises Radio-Canada/CBC Enterprises et publie La Stratégie de Radio-Canada qui mène entre autres, l’année suivante, à la diffusion 24 heures sur les réseaux stéréophoniques. Évoluant à vive allure en cette fin de millénaire, la technologie bousculera considérablement l’industrie de la radiodiffusion durant les années 1990. Radio-Canada ne se verra pas épargnée et la société devra se pencher sur la manière d’aborder ce qui en découle, dont la célèbre idée de convergence qui entraînera avec elle à la fois beaucoup de confusion et un grand nombre de débats. Ce sont donc des années de remise en question où la société publique réfléchit à son identité, d’abord avec un document intitulé Mission, valeurs, principes et objectifs où elle publie sa vision d'avenir en 1990 et, deux ans plus tard, avec l’élaboration d’un nouveau programme d’identification qui mènera, entre autres, au changement de noms des Radio I et Radio II1. La réflexion amorcée continuera de progresser et le 31 mars 1999, la direction de la société présente la vision stratégique et le plan d'avenir de Radio-Canada, Notre engagement envers les Canadiens – Plan stratégique de Radio-Canada. La société, dont l’orientation publique profondément enracinée ne se dément pas, s’interrogera – et interrogera les Canadiens – régulièrement sur son rôle particulier. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’elle présentera sur les ondes de la télévision et de la radio ainsi que sur Internet le bilan de ses activités pour l’année 1998, accordant à ses 1
Changement de nom pour Radio I et Radio II : Durant le célèbre épisode du verglas en 1998, Radio I a diffusé des émissions spéciales pendant plusieurs semaines. Lorsque la vie quotidienne est relativement revenue à la normale, en février, la Première Chaîne s’est installée au 95,1 FM, fonctionnant en parallèle avec Radio I au 690 AM, pour une période de transition. L’automne suivant, pour la nouvelle saison, Radio I a définitivement disparu, laissant toute la place à la Première Chaîne. C’est durant cette même année que Radio II a pris le nom de Chaîne culturelle.
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auditeurs l’occasion de donner leurs commentaires sur les services offerts et d’exprimer leurs préoccupations, leurs suggestions et leurs questionnements. Elle prendra également le pouls en tenant des séances de consultation publiques à travers le pays, rassurée d’entendre les intervenants décrire la société publique comme un service essentiel, le souffle d’une culture, l’esprit d’une nation. Cette même année 1999 retient quelques événements importants pour la radio de Radio-Canada, événements étroitement liés aux décisions du CRTC. D’abord, pour améliorer la qualité de la réception du signal de la Première Chaîne dans la grande région de Montréal, la Radio française demande au CRTC d'augmenter la puissance du signal 95,1 FM de 17 070 watts à 100 000 watts, demande qui lui sera accordée. Par contre, la société publique voit sa demande d’autorisation pour la création d’un réseau d’information continue à la Radio française et sur Internet refusée. Tout compte fait, elle saura se tourner profitablement vers d’autres projets. Après près de 70 ans d’existence, la radio de Radio-Canada semble avoir l’avenir devant elle!
Services offerts par la radio de Radio-Canada La Société Radio-Canada (SRC) est un organisme au statut particulier œuvrant dans l’industrie de la radiodiffusion. Elle doit offrir des services variés conçus pour tisser des liens entre les Canadiens d’un océan à l’autre, malgré la distance, les réalités géographiques, les différences générationnelles et les barrières linguistiques. Elle doit propager une certaine unité culturelle. Afin de poursuivre ces nobles objectifs, son univers radiophonique se compose de plusieurs entités : la Première Chaîne, la Chaîne culturelle (et ses acolytes anglophones, Radio One et Radio Two), Radio-Canada International, un site Internet étoffé, Bande à part et Galaxie. La Première Chaîne et la Chaîne culturelle poursuivent toutes deux la même route d’unification culturelle, à leur manière. Le lien unificateur reste incontestablement l’information. La Première Chaîne, qui consacre près des deux tiers de sa grille horaire à la production locale et régionale, se concentre sur une programmation tissée d’émissions d’information et de divertissement branchées sur le quotidien, le tout conduit par des animateurs reconnus qui, de par leur personnalité, ajoutent en vivacité et en couleurs. Jusqu’à récemment, la Chaîne culturelle – présentement en réorientation1 – a été focalisée vers un contenu musical et culturel, jouant un rôle clé dans l’épanouissement et le soutien de la culture canadienne. La musique de toutes les époques et de tous les pays est prédominante mais partage aussi l’antenne avec un certain espace réflexif sur la création : théâtre, littérature, fictions radiophoniques, tableaux historiques et philosophiques. La société d’État, poursuivant la vocation originale qui est sienne, rejoint la population autochtone canadienne par son vaste réseau qui permet la diffusion dans le Grand Nord d’une programmation destinée à cet auditoire, en français, en anglais et en huit langues autochtones. À l’étranger, la société publique exploite également, au nom du gouvernement canadien, un service international de radio sur ondes courtes, Radio-Canada International, qui diffuse en sept langues. Suivant la cadence virtuelle, l’équipe des Nouveaux Médias de la SRC permet des compléments Web aux productions télévisées et radiophoniques de Radio-Canada ainsi qu’une programmation 1
La Première Chaîne et la Chaîne culturelle seront traitées en détail dans des sections qui leur sont dédiées.
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unique conçue pour les nouveaux médias, par le biais des sites Internet français, www.radiocanada.ca , et anglais, www.cbc.ca : en plus de donner des renseignements sur sa programmation et d’en diffuser certains éléments, ces sites permettent l’échange de commentaires du public. Également entité de la radio de Radio-Canada, et à ses débuts simple émission radiophonique, Bande à part possède aujourd’hui un site Web à lui seul, www.bandeapart.fm, et s’adresse à un public âgé entre 18 et 35 ans particulièrement intéressé à la musique émergente. L’aube de l’an 2000 restera profondément marquée par le début d’une turbulence technologique qui semble vouloir entraîner dans sa course effrénée tous les médias confondus. Déjà, la télévision avait depuis le milieu des années 1980 entrepris son aventure vers les premières chaînes spécialisées payantes. La porte qu’a ouvert le cyberespace n’a fait qu’accentuer le courant et ses bourrasques : l’ère du numérique était amorcée. Ainsi, l’équipe d’ingénierie de Radio-Canada, depuis près d’une quinzaine d’années, a travaillé au développement de la radio numérique et a obtenu, il y a quelques années, un permis pour l’exploitation d’un service de musique audionumérique : Galaxie1 est un service payant qui propose 30 canaux de musique continue, 24 heures sur 24, sans interruption commerciale aucune ni contenu verbal, afin de satisfaire les mélomanes multiples.
La radio : définition d’un média qui s’impose2 Lorsque l’équipe de la radio de Radio-Canada parle de « la radio », il y a là un plaisir et un respect indéniables : la radio, c’est un média riche, un média qui offre des ressources uniques, et surtout, un média que l’on aborde avec la considération d’exigences propres et qui doit être traité selon une approche particulière. Sylvain Lafrance, vice-président de la Radio française, de Radio-Canada International et responsable des Nouveaux Médias, lorsqu’il définit le médium radiophonique, aime bien se remémorer cette anecdote : Je suis né à Maniwaki, à environ 120 kilomètres au nord d’Ottawa. Vous me direz que ça ne présente pas un grand intérêt, si ce n’est qu’à Maniwaki – en fait, dans la ville voisine – il y avait une radio nommée CKML Mont-Laurier. C’était la seule radio qu’il y avait d’ailleurs. C’était une radio privée, affiliée à Radio-Canada. Et les premiers souvenirs que j’ai de la radio, sont de cette radio, CKML, où il se passait pour moi des choses absolument merveilleuses. D’abord, j’étais sûr que Lester B. Pearson, René Lévesque, Maurice Duplessis, le général De Gaulle, Raymond Lévesque, Jacques Brel, Gilles Vigneault, étaient tous à CKML Mont-Laurier! Dans ma tête d’enfant, j’imaginais que tous ces grands personnages étaient dans un même lieu, une espèce de grand studio qui avait l’air d’être vraiment une belle place. Et je rêvais que, un jour, mon père nous emmènerait à Mont-Laurier pour aller voir CKML et cette radio merveilleuse, un lieu fabuleux qui, dans ma tête d’enfant – et dans ma tête aujourd’hui – est demeuré très important. 1
Voir le site de Galaxie : www.galaxie.ca.
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Les sections suivantes puisent largement dans des entrevues réalisées à Radio-Canada de janvier à avril 2004 avec plusieurs membres de la direction : Sylvain Lafrance, vice-président de la Radio française, de Radio-Canada International et responsable des Nouveaux Médias; Alain Saulnier, directeur général de l’information; Bertrand Émond, directeur général des programmes; Christiane Leblanc, directrice des productions musicales; Louise Carrière, directrice de la Première Chaîne; Andrée Girard, directrice de la Chaîne culturelle; Guylaine Bergeron, première directrice, promotion et stratégie de diffusion. Les citations des sections qui suivent sont tirées de ces entrevues.
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Sylvain Lafrance et la radio de Radio-Canada (2004)
Au fond, quand j’y repense, je me dis que j’avais bien raison. La radio, c’est un lieu. Un lieu virtuel bien avant l’heure. Et quand on réussit, en radio, à créer un lieu comme celui-là, quand on réussit à créer dans la tête d’un auditeur, d’un enfant, d’un adulte, l’idée qu’il existe une grande place publique où on chante, où il y a des émotions, où on discute, où on débat, quand on réussit à créer ça, on vient de créer la radio. On vient de créer quelque chose de merveilleux.
À quoi il ajoute encore : Pour moi, c’est très important parce que ça fait partie des valeurs fondamentales de ce média, des valeurs qui font que la radio est ce qu’elle est. Ses émotions, son imaginaire, sa capacité de débats… c’est sans doute ce qui fait de la radio un des médias les plus merveilleux du XXe siècle, sinon le plus merveilleux1.
Pour l’équipe de Sylvain Lafrance, il y a donc, d’abord et avant tout, un lieu radiophonique, un studio où tant de monde, tout un monde, semble s’être réuni pour s’expliquer et discuter du quotidien et de ce qui se passe dans le monde, s’amuser aussi, et pourquoi pas chanter. Bertrand Émond, directeur général des programmes, complète cette définition – passionnée – de la radio : « Ouvrir la radio est un geste social. C’est se brancher à un univers paradoxalement près de soi et éloigné à la fois. » Et l’animateur, qui s’adresse directement à l’auditeur venant d’ouvrir son poste de radio, doit prendre l’antenne avec ce souci de proximité. La radio est, essentiellement, un système de valeurs protégé. Là est l’enjeu fondamental de la réussite de la radio : créer et maintenir ce système de valeurs. En outre, ajoute le vice-président, la radio est le média accessible et démocratique par excellence et son format doit respecter ce rôle de massification de la culture. D’autant plus, si la radio en question est un service public. Bref, la radio doit être comprise pour ce qu’elle est : média de proximité, média d’accompagnement, média d’émotions, média d’information. La forme de l’animation, de la présentation du contenu, doit s’adapter à ces caractéristiques fondamentales. La radio, média vivant, se comprend aussi par une certaine dimension de spontanéité : elle sait laisser place à l’événement, le rechercher, le créer, là où tout n’est pas nécessairement planifié d’avance. Et ce qui lie l’équipe de radio de Radio-Canada, ce sont cette passion et cette foi au potentiel de la radio.
Entreprise publique, caractère distinctif Radio-Canada, c’est l’histoire d’une organisation âgée de plusieurs décennies qui a traversé les époques en s’y adaptant, tout en amenant ses membres à réfléchir constamment à son rôle en tant que société publique. Pour résister comme entreprise, elle a su s’appuyer sur certaines valeurs et sculpter une culture qui est sienne aujourd’hui. Ces valeurs, partagées et véhiculées par les employés de Radio-Canada, se trouvent, selon les membres de la haute direction, plus fortes, plus intégrées que jamais, créant une réelle cohésion qui se propage jusque dans la qualité du service offert.
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Exceptionnellement, cette citation est tirée de : La radio à l’ère de la convergence, Actes du colloque tenu à Ottawa le 11 octobre 2000, Presses de l’Université de Montréal, 2001, p. 13-14.
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Sylvain Lafrance et la radio de Radio-Canada (2004)
Faut-il être idéaliste pour gérer et travailler à la radio de Radio-Canada? Un peu, peut-être... Alain Saulnier, directeur général de l’information radio et chef des politiques journalistiques, admet l’être, tout naturellement : Je suis un grand idéaliste, j’ai toujours pensé que la société dans laquelle nous vivons était une belle société, qu’il ne fallait que s’assurer que les valeurs qui y sont véhiculées soient démocratiques. C’est la raison pour laquelle je me sens si à l’aise à la radio de Radio-Canada, parce que d’une certaine manière, par ce que l’on fait, par notre travail au quotidien, nous faisons la promotion de telles valeurs. Jamais on n’entendra nos animateurs, nos animatrices ou nos journalistes tenir des propos racistes à notre antenne, ou de propos homophobes, misogynes ou sexistes. C’est contre nos principes. Et si jamais c’était le cas, je serais le premier à reprendre l’auteur de tels commentaires.
Ces valeurs qui doivent se refléter sur les ondes, ce n’est point une forme de contrôle, précise-t-il. C’est plutôt une vision particulière partagée par les employés qui, en général, sont des gens largement scolarisés et informés, caractéristiques qui correspondent à l’auditoire desservi. Un auditoire curieux et averti, composé aussi d’intellectuels, de penseurs, de leaders d’opinion. Un auditoire qui se sent à l’aise dans l’espace radiophonique de Radio-Canada, parce que rejoint par l’humanisme qui en teinte les propos, les discussions, l’animation. La Société Radio-Canada prône et défend avec vigueur des valeurs sociales claires de tolérance, de liberté d’expression, d’ouverture. Celles-ci n’empêchent pas, pour autant, que chacun, membre de la direction ou employés, puisse avoir des idées arrêtées sur nombre de sujets mais, renchérit le directeur général de l’information, « parmi mes opinions personnelles, il y a aussi la tolérance à l’égard de ceux qui ne partagent pas mes convictions ». Sans fausse modestie, et convaincue de sa mission et de son rôle en tant que société publique, la SRC se veut un véhicule pour certains repères idéologiques concernant les questionnements constitutifs d’une société. Et Alain Saulnier conclut ainsi : Nous sommes conscients que ces valeurs démocratiques véhiculées chez nous ne sont pas les mêmes que vous entendrez ailleurs, sur d’autres antennes. Concernant l’égalité des chances pour tous, l’immigration, les relations interculturelles, les enjeux politiques, économiques et sociaux, les relations homme-femme, la problématique autochtone… d’une certaine manière, il est vrai que nous sommes particulièrement ouverts à toutes les réalités. Et ça s’entend à notre antenne. Le public sait que les Marie-France Bazzo, René Homier-Roy, Jean Dussault, Joël Le Bigot, Pierre Maisonneuve ou Michel Désautels ne sont pas forcés de s’entendre sur tous les plans ou d’avoir des affinités, mais il sait que, minimalement, tous ces gens partagent des valeurs qui correspondent à ce que l’on peut définir comme image de la radio de Radio-Canada. Il sait en outre que ces animateurs poseront des questions, susciteront la réflexion, soulèveront le débat. Tout ça, pour moi, c’est l’aspect fondamental du succès de notre radio, outre l’aspect de gestion : notre positionnement s’articule autour de ces valeurs partagées.
La haute direction, tout à fait consciente de cette responsabilité de construire et de préserver cette cohésion, voue à son vice-président un appui indéfectible. Plusieurs témoignages s’accordent en ce sens, dont celui de Bertrand Émond pour qui tout part d’une vision : incontestablement, Sylvain Lafrance, homme dont la vision de la radio publique est claire et ferme, sait la communiquer avec passion autour de lui. Cette conception d’une radio publique se tisse ainsi autour de valeurs précises et identifiables, partagées par les employés et recherchées par les auditeurs. Elles contribuent à la production d’un
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service de qualité et, en ce sens, pour en assurer la cohérence, certains compromis sont irrecevables. La société l’a appris à ses dépens lors d’un épisode que certains relatent avec humour pour illustrer l’importance de soupeser chacune de ses actions – qu’elle concerne la programmation, la publicité ou tout ce qui entre en lien avec le service radiophonique – en continuité avec les valeurs qui forgent l’identité de l’entreprise. Cette anecdote remonte à environ deux ans, alors qu’une idée de concours pour l’émission du matin emballe toute l’équipe, convaincue qu’elle plaira au public : on se propose d’offrir à l’auditeur gagnant la location d’une voiture, une Acura en l’occurrence, pour une durée de deux ans. Une entente est obtenue avec Honda, distributeur de ce véhicule et le concours débute. La réaction, vive, du public offusqué remet rapidement l’équipe au pas : ce n’est pas le rôle de Radio-Canada de vendre des voitures! À tout le moins, si le véhicule en question avait été écologique… Cet incident, devenu objet de réflexion fort intéressant pour la direction, lui a rappelé la nécessité de s’arrêter, à chaque projet, même une simple promotion, et de le filtrer aux valeurs de l’entreprise. Car le public lui-même, ardent défenseur de celles-ci, s’insurgera contre les écarts de conduite. Se centrer sur ce système de valeurs, canaliser le service radiophonique vers cette synergie potentiellement garante de succès, ne s’est pas réalisé sans obstacles. Avec le recul, Sylvain Lafrance pointe quelques étapes cruciales, des ruptures vécues par l’entreprise qui ont demandé, à chaque fois, réajustement et réflexion. Il mentionne, au début des années 1950, l’arrivée de la télévision, cause de remous pour la radio jusqu’alors si confortablement installée. Ou encore, dans les années 1970, la fin de la publicité, un geste lourd de conséquences – économiques entre autres. Puis, l’enjeu des identités et des frontières, entre 1995 et 2000, qu’il détaille selon trois phases dans l’histoire de Radio-Canada. Un premier temps, qui se situe des origines de l’entreprise à la fin des années 1960, inscrit le service public dans une optique de nationalisme canadien. Celui-ci se conçoit particulièrement en rapport aux États-Unis, alors que l’on cherche à se distinguer par la conception d’une programmation qui nous ressemble sur le plan national, développant du même coup tout le secteur dramatique et celui de l’information. Un second temps, à partir des années 1960 jusqu’au milieu des années 1990, est mémorable pour la montée du régionalisme au sein du Canada. Période d’effervescence où un incroyable réseau de stations régionales se construit à travers le pays, donnant la parole, tant sur le réseau français qu’anglais, à tous les discours, aussi fragmentés et divergents que peut l’être la diversité de citoyens qui peuplent l’immensité du territoire canadien. Finalement, à partir de 1995 environ, la direction remarque, dans les sondages, une vague d’intérêt étonnante pour l’international. Résultante probable de la cumulation de plusieurs facteurs, que l’on pense à l’immigration, la mondialisation, les conflits internationaux, cet engouement nouveau traduit l’intérêt des auditeurs de la radio de Radio-Canada qui veulent en savoir davantage sur le monde. Le vice-président de la radio française commente : Cette curiosité pour l’international, dépassant l’intérêt pour l’information régionale, c’était une révolution dans le monde de la radio puisque la radio a toujours été un média de proximité. Mais aujourd’hui, la proximité n’est plus du tout une question géographique. Internet permet de créer des réseaux de proximité… planétaire. Et, après observation et analyse de ce nouvel intérêt de nos auditeurs, nous nous sommes réajustés, nous avons fait évoluer notre approche, tout en conservant certaines lignes directrices fondamentales pour nous. Copyright © HEC Montréal
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Cette stratégie revue de la radio de Radio-Canada, ligne de conduite très claire qui guide programmation et animation, s’appuie sur trois grands objectifs, des objectifs qui doivent se combiner étroitement aux valeurs de la radio de Radio-Canada : •
Ouverture sur le monde : Selon les sondages de Radio-Canada, les citoyens canadiens se définissent comme des citoyens de monde, ce qui signifie comprendre et influencer le monde. La radio de Radio-Canada a donc entrepris d’élargir ses réseaux de correspondants, tissant de nouveaux liens internationaux, s’imposant comme membre actif dans certains organismes internationaux, favorisant les échanges.
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Action régionale : Cette ouverture sur le monde ne doit pas compromettre le réseau si longuement construit. Ainsi l’équipe de la radio de Radio-Canada voit à ne pas négliger son occupation régionale à son antenne, assurant sa présence sur le territoire afin que tous les Canadiens se reconnaissent là où ils sont. Cet aspect continue d’être appuyé par le développement du réseau, par l’ouverture de nouvelles stations et l’implantation de nouveaux signaux.
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Développement du talent : À la radio de Radio-Canada, le talent canadien continue fidèlement d’être soutenu dans une approche unique et propre à la culture d’entreprise, permettant aux jeunes artistes de se développer au niveau régional afin de pouvoir exporter leur talent à l’étranger. De grandes séries témoignent de ces efforts : les séries Félix Leclerc ou Diane Dufresne, talents confirmés diffusés en Europe, ou des séries faisant la promotion de jeunes talents comme celle sur Daniel Boucher, entre autres, artiste à qui la société publique a donné les moyens de participer à plusieurs festivals européens.
Une stratégie, construite sur une culture d’entreprise forte associée avec cohérence à des objectifs explicites, qui porte incontestablement un franc succès puisque la radio publique n’a jamais été aussi écoutée. En effet, aujourd’hui, la radio publique canadienne d’expression française comprend deux réseaux, la Première Chaîne et la Chaîne culturelle, où quelque 900 employés produisent chaque semaine, à la tête des réseaux à Montréal et dans une vingtaine de centres de production au Canada, près de 1 000 heures d’émissions, touchant près d’un million d’auditeurs.
Le succès de la Première Chaîne Aujourd’hui, la Première Chaîne de Radio-Canada semble avoir atteint l’écoute optimale du service public. Les 18 % de part de marché dépassent largement les prédictions les plus optimistes de la haute direction. Le regard pétillant, Sylvain Lafrance ne cache pas son enthousiasme : Il faut le dire, nous vivons une belle période. Ça fonctionne vraiment bien, notre affaire! Notre radio est de plus en plus distinctive et de plus en plus écoutée. Pourquoi on en est là, qu’est-ce qui explique ce succès? Probablement un cumul de plusieurs facteurs et de plusieurs décisions. C’est difficile à identifier, seul le recul, éventuellement, permettra d’analyser et de comprendre notre ascension. Une chose est certaine cependant : nous vivons actuellement un moment de grâce…
Néanmoins, sans tout expliquer, certains aspects ressortent nettement. Notamment, la performance des animateurs dont certains sont de véritables piliers. Sylvain Lafrance enchaîne de nouveau :
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« C’est bien meilleur le matin », l’émission animée par René Homier-Roy, n’a jamais eu autant d’écoute : plus de 300 000 auditeurs… c’est énorme. Un franc succès. Il faut dire qu’Homier-Roy incarne bien ce qu’est notre radio. C’est un type qui a tous les intérêts, il est curieux, il s’exprime bien, il est drôle. C’est un personnage multidisciplinaire, une espèce rare d’ailleurs. Marie-France Bazzo, également… elle est tellement vive et éveillée. Il y a énormément de travail derrière ce qu’elle présente. Ou le personnage plus stéréotypé de Maisonneuve, en information, une valeur éprouvée, incontournable. Et bien sûr, un Joël Le Bigot… qui obtient 30 % de part le samedi. Incroyable.
En ce qui concerne l’animation et le choix des « vedettes » dont profite la programmation, Louise Carrière, directrice de la Première Chaîne, souligne l’impact du casting, un élément délicat et pourtant majeur dans la réalisation d’une émission de qualité. D’ailleurs, elle admet trouver un grand plaisir à reconnaître les compétences des individus et surtout, à savoir les utiliser avec justesse : pour obtenir un résultat probant, les bonnes personnes doivent se retrouver au bon endroit, c’est ainsi qu’elles exprimeront tout leur potentiel. Parfois même, Louise Carrière a l’intuition d’une collaboration inusitée entre animateurs ou animatrices, qui s’avère après coup être tout simplement celle qu’il fallait. Elle se remémore l’arrivée, à l’émission du matin, de Pauline Martin, comédienne et humoriste reconnue, pour présenter la météo. Une idée qui, aux premiers abords, a semblé complètement farfelue à l’équipe de René Homier-Roy. Pourtant, la directrice, qui avait déjà travaillé de manière ponctuelle avec la comédienne et la connaissait assez pour apprécier ses dons de communicatrice, avait des raisons solides pour aller de l’avant avec son projet : considérant que l’émission du matin nécessitait un point de vue social, elle cherchait une femme pour compléter l’équipe masculine déjà en place. Mais surtout, la nouvelle présentatrice de la météo devait être capable de communiquer son plaisir sur un ton que les auditeurs du matin apprécient. En plus de souffrir le scepticisme de l’équipe d’Homier-Roy, Louise Carrière a dû fignoler ses arguments pour convaincre la candidate elle-même. En fait, ce que la directrice de la Première Chaîne attendait de Pauline Martin n’était pas centrée sur la météo en soi; elle souhaitait plutôt que cette dernière apporte une présence à l’émission : « une vedette qui fait la météo, c’est bien sympathique, mais il doit y avoir du contenu derrière tout ça », explique-t-elle. Et le bon casting ne concerne pas que les animateurs, mais aussi les réalisateurs. Comme leurs collègues au micro, ils ont leur talent propre, ont plus d’aisance dans la gestion d’une grosse équipe ou préfèrent travailler seuls à fignoler des montages. Peu importe, il s’agit de les identifier et de les placer au bon endroit « parce que ces gens-là, finalement, explique Louise Carrière, ce sont eux qui me représentent devant leur équipe et qui ont la responsabilité de diriger la production de l’émission dans un sens ou dans l’autre ». Le casting, phase initiale, étape cruciale et quelque peu stressante, exige de comprendre le sens et la vocation d’une émission, d’en établir les objectifs et les besoins afin de mettre en place la bonne équipe. Durant ce temps, il aura fallu apprendre à reconnaître le potentiel, les intérêts, les dispositions des gens avec qui l’on travaille, une aptitude particulière, un don, qui permet, confie la Directrice de la Première Chaîne, « de faire parler les gens, de les laisser s’exprimer sur ce qu’ils aiment ou n’aiment pas et à partir de toutes ces données, s’en faire un portrait par rapport aux besoins à combler ».
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De nouveau pour illustrer la subtilité du casting, Louise Carrière raconte l’intuition qui l’a guidée dans le choix de l’animatrice de l’émission pour jeunes en soirée, « 275 Allo », Valérie Letarte : Valérie était ma chroniqueuse culturelle du matin, j’étais allée la repêcher alors qu’elle travaillait pour le privé. Un jour, elle vient me voir, m’expliquant qu’avec son jeune bébé, l’horaire du matin lui était difficile. Elle ne désirait travailler que quatre jours. Pour une émission quotidienne… je ne pouvais faire ça, l’équipe de base collabore étroitement, c’est une dynamique essentielle. Je lui ai demandé réflexion et, comme une illumination, lorsqu’elle est sortie de mon bureau, j’ai su que j’avais là la fille pour animer « 275 Allo ». Valérie, jeune mère de famille, est travaillante et passionnée de la radio, et elle sait communiquer ce plaisir. Je l’ai rappelée en lui demandant qu’elle me fasse un démo. Elle était interloquée! Mais lorsque j’ai mis le démo dans mon lecteur, dès les premières minutes, j’ai su que je ne m’étais pas trompée : elle sait parler aux enfants, elle sait rendre du contenu intelligent. Et l’émission marche à merveille.
Un autre des facteurs clés du succès de la Première Chaîne réside dans la manière dont les secteurs ont été décloisonnés afin de maximiser le travail des journalistes, une véritable révolution dans la gestion d’antenne à la radio de Radio-Canada. Depuis trois ans environ, la haute direction a mis beaucoup d’énergie dans cette visée, créant à la longue un véritable esprit d’équipe. Auparavant, le travail des journalistes s’entrecroisait et se dédoublait régulièrement : un journaliste aux nouvelles et un autre aux affaires publiques pouvaient facilement se concentrer sur le même événement sans échange ou collaboration. Aujourd’hui, c’est bien différent, indique Alain Saulnier : Quand j’envoie un journaliste à l’étranger, il faut qu’il participe à tout. Par exemple, lors de la conférence mondiale sur le SIDA, j’envoie mon meilleur journaliste sur la question, Yannick Villedieu, qui couvre les questions de santé et particulièrement le dossier du SIDA depuis les débuts. Il prépare une émission sur le sujet pour Les Années Lumières du dimanche après-midi, mais durant toute la semaine de son séjour, c’est lui qui intervient tous les matins aux nouvelles et qui s’occupe du suivi des actualités pendant la journée. La productivité a été augmentée de façon phénoménale de cette manière, en plus d’influer positivement sur la qualité de ce qu’on présente.
Ainsi, actuellement, lorsqu’un journaliste couvre un événement, il se retrouve plus longtemps sur le terrain mais apporte sa contribution à tous les secteurs, participe à toutes les émissions pertinentes : les journalistes ne sont plus dédiés à une seule émission, ils forment une équipe, ils font partie d’un service. Ils travaillent pour la radio française. Plus encore, tous les autres artisans de la radio ont adopté cet esprit de collaboration, sortant littéralement de « leur silo », selon l’expression de Bertrand Émond. Avant, chacun travaillait à son émission : Marie-France Bazzo s’occupait de son émission, René Homier-Roy de son show du matin et Monique Giroux, du sien l’après-midi, et ainsi de suite. On leur a dit : « Eh, c’est une antenne ici, vous formez une gang et quand les auditeurs vous écoutent, ils doivent entendre la voix de cette équipe-là. » Et comme ce sont des gens qui ont de très fortes personnalités, il a fallu leur faire comprendre qu’ils n’avaient pas besoin d’être les copains les plus intimes du monde pour favoriser ce professionnalisme, pour échanger entre eux et collaborer au travail, aux émissions des autres.
Pour renforcer cette nouvelle dynamique, on a simplifié les autos-publicités, les réduisant au minimum et, créant une continuité d’antenne, c’est à l’intérieur des émissions qu’on a décidé de vendre le produit suivant. Par exemple, René Homier-Roy, à son émission, reçoit quelques
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instants sa collègue Marie-France Bazzo pour que celle-ci lui annonce ce qui composera la sienne quelques minutes plus tard. Tout ce processus a considérablement amélioré la communication avec le public qui doit ressentir une certaine complicité, si on désire le garder à l’antenne. Il ne doit surtout pas se sentir mis à l’écart, alors que les membres de l’équipe à l’antenne s’écoutent et se parlent paisiblement à l’abri dans leur studio, petite bulle pour initiés seulement. Inévitablement, si c’est de cela qu’il s’agit, l’auditeur décrochera. Et c’est ce qu’a éprouvé Bertrand Émond lorsqu’il est arrivé à son poste en 2000 : les animateurs, chroniqueurs, invités se « parlaient entre eux ». Selon le directeur général des programmes de la radio française, le travail effectué pour décloisonner les secteurs et créer une continuité d’antenne a également impliqué ce souci de connivence avec l’auditeur : Lorsque Pauline Martin annonce la météo et qu’elle blague avec René Homier-Roy ou que François Gagnon donne sa chronique sportive, l’animateur devient ce canal par lequel je passe, moi, comme auditeur. Il sera mon éclaireur, dont le rôle subtil est de toujours veiller à ce que je comprenne ce qui est en train de se dire, saisisse les détails de la conversation, de la nouvelle, de la blague. Il doit être capable de poser la bonne question ou de faire la remarque pertinente qui me permettra, comme auditeur, d’être engagé dans la démarche de la radio.
C’est probablement dans le caractère distinctif de la radio publique de Radio-Canada, que se trouve le facteur clé le plus significatif de son succès. Un élément dont toute l’équipe de la radio, de la Première Chaîne particulièrement, est fort consciente et prête à protéger. Selon Sylvain Lafrance, le retrait de la publicité dans les années 1970 a largement contribué à différencier la radio publique qui depuis, s’est raffinée, développant une personnalité unique, inimitable. La direction, exprime l’actuel vice-président, a toujours soutenu et favorisé cette évolution, sans tentation aucune de concurrencer les privés selon leur modèle d’affaires : Et je crois, en fait, que nous récoltons le succès de plusieurs décennies de bonne gestion, de décisions éclairées. Parce qu’il y a des gens qui ont permis à cette culture très forte de s’épanouir. C’est un succès qui est, disons-le, basé sur la tradition et sur une culture solide… c’est assez audacieux au 21e siècle! Le caractère distinctif de notre radio, de la Première Chaîne, n’a jamais été aussi évident qu’actuellement et elle livre un produit d’une grande qualité. Nous vivons une période de grand succès.
Pourtant, ce que garde bien en vue le vice-président de la radio française, c’est que l’objectif n’est pas d’être le premier sur le marché montréalais ou ailleurs. Selon lui, un des défis du service public est de définir correctement les critères de succès. Qu’est-ce que le succès… parce que pour la radio publique, le succès n’est pas de se battre contre les CKAC ou les CKOI, radios privées dont le modèle d’affaires est diamétralement opposé. Le succès de la radio de Radio-Canada est d’atteindre l’écoute optimale pour une radio publique, que la direction estimait à environ 12 % des cotes d’écoute. Avec l’actuel 18 %, elle dépasse avec étonnement ses propres prédictions! La cible, en termes de résultat, étant difficile à définir clairement, Sylvain Lafrance explique qu’il faut tenter d’établir une sorte de dénominateur commun basé sur les objectifs par station, le temps d’écoute des auditeurs, leur niveau de scolarité, la population, la concurrence, et bien d’autres facteurs encore. Puis, il s’agit de se fixer un objectif, sans intention de battre autre concurrence que soi-même. Enfin, il faut rester sur ces gardes, même en ces temps bénis, pour s’assurer de conserver ce caractère distinctif et vérifier que le produit corresponde encore aux critères d’un service public.
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La raison d’être de la radio de Radio-Canada est de produire une radio publique utile, accessible, essentielle, de qualité. Voilà ce qui importe vraiment. La Première Chaîne doit ainsi rester bien enlignée sur sa mission et continuer à évoluer dans sa spécificité tout en maintenant sa cote d’écoute.
Les défis de la Chaîne culturelle Tout dernièrement, de lourdes décisions ont été prises concernant la destinée de la Chaîne culturelle, une partie affaiblie et quelque peu égarée de la radio de Radio-Canada. Saisir les motivations de la haute direction concernant le récent verdict exige d’abord un regard sur le chemin parcouru par la Chaîne culturelle et l’impasse où elle s’est finalement retrouvée. La Chaîne culturelle a été fondée en 1974 pour une clientèle largement littéraire. D’abord radio où la conversation dominait, elle a rapidement vu sa programmation se spécialiser vers un contenu musical. Pour soutenir une programmation de musique spécialisée de haut niveau, les politiques d’embauche ont énoncé des critères de sélection très pointus, en exigeant, par exemple, une maîtrise en musique pour un poste d’assistance à la production. Incontestablement, l’équipe de la Chaîne culturelle était formée pour sonder en profondeur les grands maîtres de la musique. Elle cherchait à traduire un monde d’une manière que le commun des mortels n’arrivait malheureusement pas toujours à suivre. À l’époque de sa création – avant l’ère des magazines spécialisées, de la télévision spécialisée ou d’Internet, la Chaîne culturelle comblait un besoin certain par l’ouverture d’une fenêtre éducative : aujourd’hui, les auditeurs de la radio de Radio-Canada sont pour la plupart branchés à Internet où ils trouvent aisément les informations pointues qu’ils recherchent. Leurs besoins ont ainsi considérablement changé. Les 2,3 % de part de marché, qui auraient pourtant pu sembler satisfaisants pour une chaîne publique spécialisée, cachent néanmoins quelques ombres inquiétantes. On pourrait croire qu’avec 300 000 auditeurs – son sommet étant 340 000 auditeurs au milieu des années 1990, la Chaîne culturelle maintenait sa communauté de fidèles. C’est oublier l’effet de tous ces nouveaux émetteurs installés un peu partout au Canada, lui permettant d’augmenter considérablement sa distribution. C’est également négliger la perte d’écoute de 50 % sur le territoire de Montréal… En effet, lors de l’entrée en ondes de CJPX en 1998, la radio classique de Jean-Pierre Coallier, le choc de la concurrence a frappé de plein fouet la Chaîne culturelle, qui a perdu la moitié de ses auditeurs. Et même si le service public ne joue pas au duel des cotes d’écoute, la réaction du public était inquiétante et, significative. Il était temps de se questionner en profondeur et de réagir devant les faiblesses de la Chaîne culturelle. La plus grande difficulté de la deuxième station française publique provient peut-être du fait de ne pas avoir su dégager sa propre identité, ou plutôt, de s’en être taillée une trop sélective, presque hermétique. Enfermée dans ses contenus savants, elle est devenue une radio de spécialistes, avec une façon d’animer didactique qui ne réussit plus à créer le contact avec son public. Ce qui amène la direction à penser que la deuxième chaîne a failli à son mandat de communication et n’a pas évolué dans la bonne direction. Copyright © HEC Montréal
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Pourtant, cela demeure une radio qui a une place, avec son fil conducteur culturel. Une radio qui offre aussi des émissions de grande qualité et une riche variété musicale. Ce sont là des caractéristiques qu’il faut, selon Sylvain Lafrance, conserver : Il faut changer le discours de fond afin de le faire évoluer vers l’extérieur tout en préservant la qualité, la diversité musicale; tout en maintenant des propos culturels denses et intelligents. Bref, faire de la Chaîne culturelle une radio qui assimile le média radio, qui a une lisibilité radio, non pas une lisibilité littéraire. C’est tout un défi, mine de rien! Et je suis convaincu qu’une telle radio a sa place, un espace pour parler de l’ensemble des activités culturelles au pays. Une radio dynamique, qui sait s’ajuster aux événements : un musicien reconnu est décédé hier, alors adaptons le programme et passons quelques-unes de ses pièces. Une radio qui bouge, non pas une radio sclérosée dans sa programmation. On ne fait pas de la radio comme on enregistre des DVD!
Il s’agirait donc d’adapter la forme de la Chaîne culturelle pour lui donner un format radiophonique. À une ère où il est si simple, pour une clientèle intéressée et spécialisée de trouver de l’information très ciblée sur un sujet précis, les auditeurs de la radio ne sont plus disponibles pour écouter 12 heures d’une émission sur tel ou tel illustre littéraire connu uniquement de quelques spécialistes. Le contexte a évolué. Les habitudes d’écoute ont changé. Et la radio, média accessible et démocratique par excellence, doit avoir ce souci de démocratisation de la culture. La majorité de ceux qui écoutent de la musique sur la Chaîne culturelle ne sont pas musicologues… ce ne sont que des auditeurs qui aiment bien la musique et qui désirent être accompagnés dans leur écoute. Autre défaillance de la Chaîne culturelle : l’existence d’un malentendu qui sème la confusion – et la frustration? – chez les auditeurs. Une émission musicale, à la Chaîne culturelle, est souvent une émission qui parle de musique… alors que l’auditeur moyen espère entendre des pièces musicales. Lorsqu’il ouvre son poste à cette station, alors qu’on y a annoncé trois heures de musique sur tel auteur ou telle époque, il s’attend à entendre de la musique et non des propos sur la question. Il s’intéresse au concert en tant que tel, non aux commentaires qu’en fait l’animateur, aussi qualifié soit-il. Et ce public, qui recherche une radio d’accompagnement, écoutée tout en vaquant à ses occupations, semble avoir été satisfait par l’entrée en onde de CJPX. Sans compter les chaînes hyper-spécialisées qui, de plus en plus, envahissent le paysage radiophonique. Vers quelle voie se diriger dans ce contexte? Comment intégrer le volet culturel à des émissions plus musicales? Comment recréer le contact avec un auditoire qui, tout en désirant une radio consistante, se voit rebuté si elle est trop savante? Où se trouve l’équilibre, le caractère distinctif de la Chaîne culturelle de Radio-Canada, justifiant son existence même? En fait, selon Andrée Girard, directrice de la Chaîne culturelle de la radio française de RadioCanada, rencontrée à l’hiver 2004, alors que la réflexion à propos de la Chaîne culturelle bouillonnait, le questionnement s’inscrit dans une grande complexité : La question la plus troublante est la suivante : une radio qui est une chaîne culturelle, fait-elle de la culture ou fait-elle de la radio? Un questionnement qui semble simple mais qui risque de tout chambouler. Nous devons respecter notre mandat, qui est lié aux arts et à la culture. Et puis, ne pas oublier notre spécificité en tant que service public. Par ailleurs, ce que nous cherchons à créer, c’est une radio dont le climat sera différent de celui des autres radios : un climat chaleureux, convivial, où l’information – toujours au cœur de nos préoccupations, reste possible. Une chaîne généraliste dans sa spécialité, la Copyright © HEC Montréal
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musique. Et surtout, surtout, préserver cette qualité du son, une qualité des enregistrements qui est la nôtre. Créer l’atmosphère d’un grand studio avec au centre un piano et des gens qui circulent tout autour, arrivant à l’antenne, à leur rendez-vous…
Forger une radio culturelle différente, dans un espace qui lui soit unique, dégager le caractère distinctif de la seconde chaîne francophone de radio, voilà un défi d’envergure. Façonner le caractère distinctif de la Chaîne culturelle est une opération d’autant plus délicate que le danger d’absorber, dans l’opération, le public de la Première Chaîne n’est pas négligeable : alors que près de la moitié des auditeurs de la Première Chaîne se branche régulièrement à la Chaîne culturelle, la haute direction est particulièrement consciente du risque. « À quoi servirait de lancer une émission le matin animée par Christiane Charrette, même très centrée sur la culture… elle entrerait en concurrence directe avec l’émission de René Homier-Roy. On ne ferait que déplacer l’auditoire radio-canadien », commente Sylvain Lafrance. Peu à peu, la réflexion s’approfondit, une orientation se dégage. Changer la forme de la Chaîne culturelle pour la rendre davantage radiophonique, en essayant, le plus possible, d’éviter une rupture trop évidente. Donner un son nouveau à l’antenne pour créer cette chaleur, cette accessibilité, et favoriser le rapprochement avec les auditeurs. Pour ce faire, la stratégie de la Chaîne culturelle ne prévoit pas s’appuyer sur des animateurs porteurs, contrairement à la formule de la Première Chaîne. Il n’est pas question de mettre en péril la qualité de l’animation et la crédibilité de ses artisans puisque les objectifs poursuivis ne sont pas les mêmes. Et la Chaîne culturelle doit trouver son identité propre par des moyens qui lui sont adaptés. Une réelle métamorphose reste à venir : une radio essentiellement musicale, la disparition de plusieurs émissions, et la présentation différente des contenus maintenus. La réflexion, longuement mûrie, a porté ses fruits. En mai 20041, dans un vent d’espoir printanier, Sylvain Lafrance, vice-président de la radio publique, dévoilait en conférence de presse la nouvelle voie de la Chaîne culturelle. Des changements historiques, qui marqueront les annales de la société publique. En plus de changer de nom, la deuxième chaîne verra 90 % de sa programmation modifiée pour se consacrer exclusivement à la musique classique, au jazz, à la chanson française et aux musiques du monde. La Première Chaîne, radio généraliste et d’information, prendra en quelque sorte la relève alors que lui sera transféré un certain contenu culturel, par l’ajout à sa programmation d’une douzaine d’heures par semaine. La nouvelle chaîne musicale, dont le nom et la programmation seront dévoilés lors du lancement au début septembre, sera dirigée par Christiane Leblanc, qui succèdera à Andrée Girard. Évidemment, ce n’est pas sans remous que la nouvelle a été accueillie, plusieurs intellectuels et auditeurs ont été ébranlés, choqués même, de voir disparaître ce qu’ils considéraient comme « un espace sacré de liberté d’être, de penser et d’écouter2 ». Si tous semblent admettre volontiers que des changements s’imposaient, c’est tout un débat culturel qui est lancé. Un dossier à suivre.
1
Voir les annexes 2 et 3.
2
Citation tirée de l’édition du samedi 29 et dimanche 30 mai 2004, Le Devoir, « Disparition de la Chaîne culturelle de RadioCanada – La culture, c’est se tenir debout dans la masse », par Aline Apostolska. Voir l'annexe 3.
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L’information : le fil conducteur La cohésion de la radio de Radio-Canada tient largement à sa préoccupation d’une information de qualité intégrée, sous plusieurs formes, à sa programmation. Cette volonté d’informer le public canadien remonte aux origines même de la société publique alors que le Service des nouvelles de Radio-Canada est inauguré le premier janvier 1941 : Jusque-là, les bulletins de nouvelles étaient presque tous rédigés par la Presse canadienne, qui restera encore la principale source d’information par la suite. Mais Radio-Canada établit ses propres salles de dépêches nationales et régionales. Le service central du réseau anglais est à Toronto, celui du réseau français à Montréal. Elle prend pour règle l’exactitude et l’objectivité du reportage, la simplicité dans la rédaction et interdit la publicité commerciale dans ses émissions de nouvelles. Dès l’automne de 1941, plus de 20 pour cent du programme de Radio-Canada est consacré aux nouvelles1.
Plus de 60 ans plus tard, l’information, véritable fil conducteur, maintient sa position, plus que jamais et surtout en ce qui concerne la Première Chaîne. Une information variée, continue, adaptée aux différentes émissions. Un département complet se consacre désormais à l’information radio et gère l’activité journalistique alors qu’il y a quelques années à peine, l’information radio et télévision était administrée par une seule et même direction, ne favorisant guère la synergie et l’enthousiasme des journalistes dédiés à la radio : « Le jour où deux directions distinctes ont été créées, le positionnement à long terme de notre radio, en termes d’information, a pris un tournant stratégique décisif et profitable », explique, convaincu, le directeur général de l’information, Alain Saulnier. Totalement indépendant désormais, le département de l’information radio garde toutefois des liens privilégiés avec son homologue de la télévision. À chaque semaine, les directeurs se rencontrent pour conclure des ententes de partage et pour discuter de projets à long terme, favorisant une collaboration généreuse et abondante, tout en respectant certaines frontières, certaines limites qui, une fois dépassées, risqueraient de compromettre l’identité radiophonique, ajoute Alain Saulnier : Quand j’envoie un journaliste à l’étranger, par exemple, je n’ai aucun problème à ce qu’il intervienne au réseau RDI, mais par téléphone. Je ne suis pas d’accord pour qu’il passe une journée entière à prendre des images avec un caméraman pour un reportage télé. Par contre, il peut aisément collaborer par un compte-rendu téléphonique, c’est tout à fait logique d’organiser une telle participation à la télévision si celle-ci n’a personne pour couvrir un événement alors que j’ai un journaliste sur place. Cette façon de faire est désormais très bien comprise par la télévision française et c’est un modèle qui augmente considérablement la productivité de nos employés et leur permet de travailler partout, avec le plaisir de participer à une grande équipe. La question est de doser le type d’intervention.
En outre, le directeur général de l’information, également chef des politiques journalistiques, défend avec vigueur l’indépendance de ses journalistes et veille au maintien de la liberté de presse. Il ne pourrait jamais accepter qu’un chroniqueur artistique assiste aux Oscars aux frais de Miramax pour témoigner qu’un Denys Arcand ou autre y trouve son trophée. Il tient à n’entretenir aucun doute concernant l’indépendance la plus complète des journalistes à l’égard de toutes formes de lobby ou autres groupes de pression patronaux, syndicaux, gouvernementaux, 1
Extrait tiré de : Radio-Canada, Un bref historique de la Société Radio-Canada, Relations publiques, Siège social, Ottawa, mars 1977, page 10.
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parapublics ou privés. La force de l’information, c’est sa liberté, aussi idéaliste cela puisse-t-il sembler. Autrefois président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la FPJQ1, Alain Saulnier a élaboré, avec son équipe de l’époque, le guide de déontologie des journalistes au Québec, première référence en la matière. En tant que patron de l’information à la radio, il peut intervenir pour un rappel à l’ordre si l’on déroge de ces valeurs déontologiques, base même de l’indépendance du personnel journalistique dont la responsabilité est lourde, très lourde. Et le mot d’ordre, celui qui doit faire vibrer chaque parole en onde, est « rigueur, rigueur, rigueur ». Ce qui est affirmé doit relever de sources solides et ne pas chercher à brimer la vie privée sans que ce soit – et la frontière est parfois nébuleuse – de l’intérêt public. Ce fil conducteur de l’information, cette « pin dans le shish khebab » comme on la surnomme avec humour à l’interne, s’est étonnamment solidifié depuis le célèbre 11 septembre 2001. Si jusque-là, la radio assumait ce rôle de média de l’instantané qui informait rapidement et efficacement des derniers événements, elle est devenue de plus en plus écoutée et appréciée pour ces émissions d’analyse. Alors que le monde s’est tourné vers la télévision pour voir avec stupeur cette phénoménale tragédie du terrorisme, les cotes d’écoute des réseaux d’information de télévision, RDI, CNN et autres ont escaladé d’un bond leurs statistiques les plus audacieuses. À la radio, on présentait évidemment de nombreuses émissions spéciales mais spontanément, le public s’est tourné vers le petit écran pour constater l’ampleur du drame. Puis, quelques semaines plus tard, la radio de Radio-Canada connaissait son plus fort succès d’écoute pour son analyse en profondeur de la situation : la radio délaissait sa peau d’information instantanée pour endosser un rôle beaucoup plus dense, celui d’expliquer. Cette métamorphose a harmonieusement été absorbée par la révolution dans la gestion d’antenne de la Première Chaîne qui s’est ouverte sur le monde dans une continuité qui semblait, finalement, aller de soi. Les événements du 11 septembre, relate Bernard Émond, se sont déroulés durant l’émission de Marie-France Bazzo et c’est elle qui a tenu l’antenne alors qu’avant, nous aurions fait entrer une équipe de chroniqueurs pour une émission spéciale d’information. Marie-France, elle-même amoureuse de New York, a vu la scène en direct à la télé devant elle et elle a spontanément couvert l’événement en compagnie de ses invités, dont Denise Bombardier ce jour-là et des journalistes qui sont venus à son émission. C’est un énorme bouleversement dans la culture d’antenne, réussi par la confiance mise en nos animateurs et nos journalistes, leur permettant une réelle ouverture sur l’actualité et sur le monde.
Acceptant cette responsabilité d’analyse et d’explication de l’information, un rôle complexe, la radio de Radio-Canada poursuit sa voie par la création d’une radio exigeante, pénétrante. Mais les résultats – ceux de la Première Chaîne surtout – permettent d’affirmer que la qualité et l’intelligence de l’information peuvent être compatibles avec l’écoute.
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Site de la FPJQ : www.fpjq.org.
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Fausse menace numérique et gestion des nouveaux médias La radio numérique est une réalité qui s’approche : elle demeure coûteuse mais devient plus accessible. Cette technologie, qui offre une qualité sonore aussi grande que celle du disque compact et qui permet d’écouter sa chaîne préférée sans variation de fréquence quel que soit l’endroit et avec un son constant, entraînera des changements dans les règles du jeu de la radiodiffusion. Puisque chaque chaîne de radio numérique aura une puissance égale, aucune station ne pourra plus profiter d’une antenne plus puissante que les autres. Aussi, le récepteur numérique, grâce à son petit écran, rend possible la transcription de quelques lignes de textes : avantage intéressant à exploiter, en ce qui concerne la réception de courriels par exemple. On peut même imaginer qu’il permettra des privilèges tels que l’accès à des concerts exclusifs, grâce à une carte d’abonnement informatisée. Depuis une quinzaine d’années, l’univers médiatique est hanté par une obsession technologique telle, qu’elle inhibe un certain sens critique. Les nouvelles technologies, assure-t-on, agiront comme un raz-de-marée, bouleverseront tout sur leur passage, ne laissant qu’un grand territoire ultra moderne dont tous les horizons convergeront vers une unique direction. Cela promet d’être la voie du futur dans ses promesses les plus flamboyantes. Il faut donc s’empresser d’investir massivement dans la technologie, au risque de disparaître… « Faux! », s’insurge le vice-président de la Radio française et également responsable des Nouveaux Médias. « Une énorme confusion règne : on assimile convergence des technologies et convergence des médias. Tout le monde va vers le numérique, c’est vrai, mais il n’y a aucune convergence dans le monde des médias, dans le rôle du média1. » C’est une erreur fondamentale puisque cette supposée convergence des médias n’existe pas : la radio s’écoute dans des conditions tout à fait différentes de la télévision, qui elle-même a ses modalités propres, comme tout autre média. Accroissant, peut-être, la méprise, cette « obsession de certains dirigeants de médias qui porte sur la capacité de distribution multi plateformes à l’infini des mêmes contenus, et non sur la qualité et la diversité intrinsèques de ces contenus. Les médias copient des médias qui copient des médias pour créer plus d’écoute des mêmes contenus2 ». En fait, le numérique ne menace pas d’aplanir les frontières entre les médias, de les faire disparaître; il est plutôt une occasion d’échange offrant de nouvelles capacités de communication intermédiatique. Les motivations et les lieux d’écoute de la radio n’ont pas fondamentalement changé depuis plusieurs décennies. Il faut s’attacher à comprendre le produit et à le respecter : « plus que jamais, faire de la radio », prône solennellement Sylvain Lafrance qui continue sur sa lancée : Être nous-mêmes plus que jamais, avec une ambition décuplée de faire de la radio. Nous nous sommes concentrés là-dessus, développant une stratégie très proche de la radio, entièrement adaptée à notre produit et fondée sur une connaissance d’un marché qui est celui de la radio. Et à partir de ces connaissances, distinguer notre radio. Ce qui, d’ailleurs, nous a permis d’accroître notre distance avec les privés, un écart pratiquement infranchissable. Ils peuvent améliorer leurs salles de nouvelles avec la fine pointe de la technologie, ils peuvent réviser la routine d’analyse… mais nous avons développé un champ d’expertise unique dans le monde de la radio, une distinction qui risque de s’intensifier. 1
Voir l'annexe 4 : texte de Sylvain Lafrance, La convergence.
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Extrait tiré de La convergence, par Sylvain Lafrance. Voir l'annexe 4.
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Nous avons près de 250 pigistes et correspondants à travers le monde et des alliances avec toutes les grandes radios francophones… Ce n’est pas rien! C’est la spécificité des médias qui sera leur planche de salut, et non leur capacité à répéter inlassablement les mêmes contenus. En fait, plus l’information, l’émotion ou la personnalisation est considérée comme une marchandise, plus nous nous éloignons du rôle fondamental qu’est celui de l’information, particulièrement dans le service public, le rôle de nourrir le débat démocratique et de permettre aux citoyens de faire des choix plus éclairés1.
Rien n’empêche, évidemment, de profiter de la valeur ajoutée d’Internet et de se doter d’outils qui élargissent la vision du produit radiophonique. Ainsi, la radio de Radio-Canada peut compter sur les ressources de l’équipe des Nouveaux Médias, dirigée pendant un certain temps par Christiane Leblanc. Musicienne de formation, elle a travaillé à la Chaîne culturelle durant de nombreuses années avant de se voir offrir le poste de directrice des Nouveaux Médias. Si peu familière avec la nouvelle technologie, elle a pourtant été séduite par le défi de transmettre la culture de Radio-Canada à cette jeune équipe de « cerveaux informatiques » et de réussir une formidable rencontre entre musique et nouveaux médias. Juste avant de quitter son poste à la Chaîne culturelle, Christiane Leblanc avait négocié avec le célèbre musicien Louis Lortie l’enregistrement de 15 concerts de piano solo et musique de chambre, de l’œuvre de Beethoven. Tout était prêt et… elle a quitté pour les Nouveaux Médias. Désolée de ne pouvoir participer à un projet aussi audacieux, qu’elle avait organisé de surcroît, elle décide de l’adapter à Internet. Créer un événement et démontrer la possibilité d’exploitation du potentiel unique de chaque médium. Approchant de nouveau Louis Lortie, elle lui a exposé son plan inusité, un peu fou : elle désirait le filmer durant une classe de maître avec deux jeunes pianistes d’ici, à leur piano à queue, entourés de sa dizaine d’élèves. Suivrait une heure de clavardage où le maître pourrait répondre, en direct, aux questions du public… L’expérience a connu un succès et a été répétée, à chaque fois réinventée. Outre le bonheur de retourner en coulisse près des musiciens, Christiane Leblanc était fascinée par ce mélange des gens, mélange des genres : Pour des gens qui ne sont pas musiciens, cet accès intime à la musique, sans le faste des salles de concert, est assez extraordinaire : certains ont développé un amour de la musique par ce biais-là. Dans la sécurité de leur univers, ils étaient transportés dans un autre monde. Et ce que j’ai le plus apprécié, je crois, c’est cette possibilité de réunir des gens qui n’avaient jamais travaillé ensemble. Oser ouvrir les portes de différents secteurs et se donner un regard plus large, plus vaste. Créer un événement. Et souvent, je leur ai dit, à ma jeune équipe : les sites Web, c’est bien plaisant… mais on ne travaille pas pour un journal, on travaille pour la radio. C’est sur cette base qu’il faut construire.
Christiane Leblanc a écourté son séjour aux Nouveaux Médias pour diriger un secteur nouvellement créé, la production musicale, qui s’occupe désormais de tous les styles musicaux. Elle sera, d’ici peu, la nouvelle directrice de la Chaîne culturelle transformée. Communiquer l’image d’une radio publique Il y a cinq ans à peine, aucune équipe de communication n’était entièrement dédiée à la radio de Radio-Canada. Partageant un service de communication avec la télévision, la radio bénéficiait de 1
Ce dernier paragraphe est tiré de La convergence, par Sylvain Lafrance. Voir l'annexe 4.
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très peu de publicité, le budget alloué servant principalement sa collègue, machine lourde et vorace. De par son statut particulier de service public, son existence télévisuelle était bien connue. Pourtant, produit d’une classe à part, la radio restait dans l’ombre. Jusqu’à ce que la haute direction lui attribue une équipe, avec budget adéquat et mandat précis, qui veillerait enfin à son image. Aujourd’hui, le service de communication de la radio de Radio-Canada, dirigé par Guylaine Bergeron, compte une trentaine de personnes à Montréal et quelque neuf employés en région. L’équipe s’occupe de la publicité, de la promotion, des relations publiques, de la communication interne, de stratégie de diffusion et d’analyse de marchés. Au tout début, se tailler une place n’a pas été sans heurt et l’équipe a dû faire ses preuves, se rappelle la première directrice, promotion et stratégie de diffusion : Lorsqu’on a formé cette équipe-là, elle n’avait aucune crédibilité. Il a fallu la construire et ce fut un parcours de longue haleine. On ne nous prenait pas vraiment au sérieux. Radio-Canada, c’est une boîte dont la culture est très forte mais qui est excessivement intransigeante. Il a fallu faire comprendre que notre travail serait profitable à tous les artisans de la radio de Radio-Canada car si nous avions une des meilleures programmations sur le marché… il fallait aussi la faire connaître! Et pour y arriver, il était nécessaire de sacrifier un peu du budget de la programmation au budget promotionnel et publicitaire. Ce n’est pas facile de faire accepter ça… Ce qui nous a grandement secourus, c’est le soutien de notre vice-président. Sylvain Lafrance croyait profondément en nous et tout ça n’aurait jamais été réalisable sans son appui inconditionnel.
Tout le projet communicationnel était à construire. Les animateurs vedettes de la Première Chaîne étaient à peine associés à la radio de Radio-Canada. Les grandes séries spéciales, sur René Lévesque, Diane Dufresne et autres, il fallait les annoncer. Cette radio-là, une radio intelligente avec son contenu consistant, elle risquait de se refermer sur elle-même dans un courant élitiste. Il fallait l’ouvrir sur les gens, l’ouvrir sur les auditeurs. L’équipe de communication a mis en œuvre différentes activités en ce sens, réalisant des sorties d’émission, favorisant des partenariats et des associations, avec le Musée des beaux-arts de Montréal entre autres, organisant des concours en onde – une révolution en soi, développant des produits promotionnels adaptés à la personnalité de la radio de Radio-Canada. Un tourbillon d’énergie que la radio n’avait encore jamais expérimenté. La stratégie des communications s’est d’abord centrée sur la programmation du matin, un segment décisif sur lequel capitaliser. Viendrait ensuite le segment de fin de journée, « le retour à la maison ». Car si toutes les émissions désiraient un accent promotionnel, il était indispensable de prioriser les actions. Peu à peu, les campagnes publicitaires se sont développées, s’ajustant aux périodes de sondage1, misant de plus en plus sur les personnalités vedettes. Se servant de toutes les ressources disponibles, la direction des communications a appuyé une promotion dite croisée, soit un échange entre la radio et la télévision : de la publicité des émissions télé, comme Zone Libre, à la radio; des annonces à la télévision d’émissions radiophoniques, comme celle de René Homier-Roy. Enfin, augmenter la vision par des panneaux publicitaires ou de la publicité dans les journaux et les magazines, priorisant, ici encore, les animateurs vedettes. 1
Depuis l’arrivée de l’équipe de communication, la stratégie de programmation et de diffusion de la radio de Radio-Canada s’est arrimée aux sondages BBM afin de maximiser ses forces. Un élément de base essentiel pour toute stratégie médiatique afin d’identifier le bon créneau de diffusion. Voir le site de BBM : http://www.bbm.ca/fr/home.html
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Ce dynamisme dont a fait preuve l’équipe des communications depuis sa création quant au développement d’une promotion externe et à la consolidation de l’image de la radio publique, elle l’a également déployé pour édifier une communication à l’interne qui jusque-là était réduite au minimum. Dans cet univers d’intellectuels et d’artisans informés et critiques, la réussite ne peut s’accomplir sans l’adhésion de ce personnel à qui doivent être explicitement communiqués les objectifs et les valeurs de la radio de Radio-Canada. À chaque année, Guylaine Bergeron développe un plan de communication à l’interne, également déposé en région, et multiplie les rencontres afin de responsabiliser les gestionnaires par rapport aux objectifs poursuivis. Chaque membre du personnel doit connaître, comprendre et s’approprier les buts et projets de l’entreprise. Bâtissant avec dynamisme sa crédibilité, l’équipe des communications a élargi sa portée d’action. Aujourd’hui, les compétences acquises lui permettent d’apporter une opinion pertinente quant au moment de diffusion d’une série spéciale, et lui donnent un regard dont la distance est bénéfique aux secteurs avec lesquels elle collabore. Elle joue désormais un rôle d’influence.
Portraits de gestionnaires : la haute direction de la radio française de RadioCanada Sylvain Lafrance, vice-président de la radio française de Radio-Canada Entré à Radio-Canada en 1978 à titre de journaliste, Sylvain Lafrance a gagné une solide expertise du métier – il a été rédacteur aux nouvelles, réalisateur, producteur et directeur des émissions, avant de prendre le poste de vice-président de la radio française de Radio-Canada en janvier 1998. Il est également vice-président de l’ensemble des Nouveaux Médias des quatre composantes, radio et télévision, de langues française et anglaise, de CBC/Radio-Canada. Ce secteur comprend les sites Internet de la radio et de la télévision publiques canadiennes. En outre, Sylvain Lafrance dirige Radio-Canada International (RCI) et est président du conseil d’administration d’ARTV, la chaîne de télévision canadienne de langue française dédiée aux arts et à la culture. Devant un personnel aussi large et où chacun a sa spécialité, son expertise propre, Sylvain Lafrance met en évidence l’importance d’un leadership rassembleur. Les journalistes, professionnels indépendants à l’esprit vif et bien structuré, ont besoin d’une autonomie prodigieuse. Visionnaire ayant visiblement tout à fait compris l’essence même de son personnel, il traduit ainsi son mode de gestion : Le journalisme est une spécialité en soi, un travail qui commande une très grande liberté d’action. Même chose en ce qui concerne l’animation, voyez-vous. Qu’est-ce que ça veut dire, être le patron de Joël Le Bigot? … car dans le fond, Joël, il contrôle ce qui se passe à son micro, il est lui-même patron de bien des choses. Et il faut le laisser aller car ta force, la force de la radio, c’est sa propre force à lui. C’est sa nature, sa personnalité. Si son émission roule bien, c’est pour ces raisons-là. Il ne faut donc pas l’encadrer, mais juste essayer de le guider dans une trajectoire, semi-cohérente… car elle ne peut l’être entièrement.
Ce leadership rassembleur, c’est donc une manière ferme et subtile à la fois d’amener toute son équipe dans une même direction sans jamais brimer la personnalité de chacun, force créatrice en Copyright © HEC Montréal
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soi, de créer un encadrement abstrait fondé sur une culture d’entreprise, des valeurs partagées, un fil conducteur. Alain Saulnier, directeur général de l’information radio et chef des politiques journalistiques Avec en poche une maîtrise en sciences politiques, Alain Saulnier a rapidement intégré la grande équipe de Radio-Canada où il a pris une expérience diverse, en tant que journaliste, recherchiste, réalisateur, notamment pour la télévision. Entre une courte escapade à Radio-Québec et son implication intensive à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, il a toujours été très près de l’information et des affaires publiques, quelle que soit sa tâche. En avril 1997, il a intégré l’équipe des nouvelles à la radio de Radio-Canada pour devenir, cinq ans plus tard, directeur général de l’information radio. Lui qui avait longtemps rugi contre les patrons avait envie de se hasarder à les surpasser. Malgré des journées longues et chargées, Alain Saulnier dit trouver un grand plaisir à être patron. C’est probablement parce qu’avant tout, il a réussi à atteindre un équilibre fondamental pour lui entre vie personnelle et vie professionnelle. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle il a accepté un poste de direction à la radio, et non à la télévision qui exige des heures tardives incompatibles avec la vie de famille. Très tôt le matin à son poste, il a ainsi le loisir de s’occuper de son enfant en fin de journée. Un équilibre qu’il ne serait certes pas prêt à sacrifier et qui ne l’empêche pas, pourtant, d’être disponible 24 heures sur 24, comme l’impose son mandat, alors que ses journalistes correspondants à travers le monde peuvent avoir des urgences à régler en tout temps. En tant que dirigeant, il apprécie avoir les moyens d’établir une certaine influence sur les événements, un pouvoir qui contribue à l’avancement, un pouvoir au service des valeurs qui lui sont chères et qu’il retrouve dans son milieu de travail, et qu’il partage avec ses collègues. Des valeurs qui portent un service public fort et utile. Alors que certains préjugés persistent quant aux gestionnaires de service public, il s’exprime librement sur cette notion de service public en laquelle il croit sincèrement : Nombreux sont ceux qui accusent, ou ont accusé, les services publics de ne pas savoir gérer… et la tentation a peut-être été grande, pour certains, d’emprunter au privé ses modèles d’affaires. Pourtant, alors que jusqu’à récemment le privé semblait toujours avoir raison, plusieurs scandales récents, ici et là, mettent en lumière ses faiblesses. Ici, à la radio, nous avons toujours appliqué un modèle économique qui prenait en compte les notions de service public. Et c’est vrai que nous avons aussi développé une meilleure gestion. Tout en conservant des éléments très clairs, dont le goût de servir un auditoire payeur de taxes dont nous devons respecter la pluralité d’opinion. Nous avons donc la responsabilité d’offrir une très grande diversité à notre antenne. Un service public riche, capable de donner une référence de qualité, résulte à mon avis en une société plus avancée sur le plan de ses valeurs. Et je crois que notre radio publique contribue, en quelque sorte, au rehaussement de la qualité de vie des citoyens.
Mais si les convictions sont solides, la tâche reste parfois complexe, surtout en ce qui concerne la gestion d’une équipe de journalistes, intellectuels et penseurs, à l’esprit bien structuré, dont les commentaires peuvent être adroits et tranchants. Selon Alain Saulnier, outre le fait qu’il faille avoir une expérience personnelle du métier, être soi-même informé est une règle de base Copyright © HEC Montréal
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incontournable. C’est parfois épuisant, voire stressant, mais c’est la seule manière efficace d’appliquer une gestion saine. Et surtout, ajoute le directeur de l’information, prendre le temps de parler avec eux, d’argumenter, d’écouter, d’exposer les différents points de vue. Ce type de personnel n’accepte pas une autorité arbitraire et des décisions sans fondement. L’autorité doit être fondée sur une solide crédibilité. La direction compose également avec un syndicat très actif dont certains membres sont particulièrement militants. À la suite de plusieurs conflits dans l’histoire de Radio-Canada, le syndicat garde une humeur combative et méfiante. Ce passé lourd, traîné comme un boulet, rend parfois les situations complexes et délicates, et seule une grande ouverture d’esprit et un souci d’équité aiguisé permet de stabiliser les relations. Près de 90 % des dépenses du budget que doit gérer Alain Saulnier sont reliées aux effectifs. Alors que les rentrées de fonds sont entièrement assumées par le soutien gouvernemental – contrairement à la télévision qui s’appuie aussi sur la publicité – le directeur confie qu’actuellement, le défi le plus préoccupant reste le financement à long terme. Car toute coupure budgétaire implique le licenciement de personnel, une insatisfaction regrettable qui menace l’équilibre. Bertrand Émond, directeur général des programmes et chef des grilles de diffusion radio Bertrand Émond a commencé sa carrière à Radio-Canada à titre de journaliste il y a plus de 30 ans. Son parcours, riche en expériences programme, lui a permis d’explorer tant la radio que la télévision, dans diverses fonctions régionales et nationales. Depuis 2002, il est directeur général des programmes de la radio française de Radio-Canada et chef des grilles de diffusion. À ce titre, il est responsable de toutes les émissions de la programmation générale, au réseau et en régions, à la Première Chaîne, à la Chaîne culturelle et à Radio-Canada International. Évoluant dans le milieu radiophonique depuis tant d’années, Bertrand Émond émet une règle de base limpide et incontournable : en tant que média de la parole, la radio doit favoriser la communication en tout temps, et ce, partant de la gestion. Lorsqu’il est arrivé dans son équipe, c’était le règne de la note de service, se rappelle-t-il : Quand je suis débarqué ici, dans l’équipe de Montréal, tout le monde s’écrivait. Quelqu’un voulait me dire quelque chose, il m’envoyait une note de service en terminant, « j’attends votre réponse »… Je prenais la note, je la glissais dans un dossier que je gardais sur le coin de mon bureau. Je la laissais dormir. Puis, quand je me baladais sur l’étage – j’appelle ça « marcher l’étage » et je le fais régulièrement, on m’accrochait pour me reprocher de ne pas avoir répondu. Alors je répondais à leur note, de vive voix. Et lorsqu’on me demandait si j’allais confirmer par une note, je disais non, je viens tout juste d’y répondre.
Dans l’équipe de la Chaîne culturelle surtout, longtemps gérée par des écrivains et des musiciens, l’écriture était férocement enracinée. Il a fallu, avec patience, cultiver la communication directe. Aujourd’hui, comme le suggère Bertrand Émond à ses cadres, une bonne nouvelle peut aisément se confirmer par écrit, mais la mauvaise, elle se présente mieux en personne… Par ailleurs, en toute circonstance, rien de tel qu’un contact humain.
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Car le directeur général des programmes, lorsqu’il se définit en un mot, se qualifie de très humain avant tout. Et lorsqu’on le rencontre, il est facile d’y croire. Pour cet homme qui, avant de devenir journaliste, a étudié la théologie, les valeurs humaines – le respect, la générosité et la communication – sont indispensables au gestionnaire. De cette manière, il pourra construire des relations professionnelles saines et efficaces, basées sur la confiance. « Et quand tu as gagné la confiance de quelqu’un, ça vaut mille notes de service! », conclut-il. En fin de carrière, coach et mentor plus que gestionnaire interventionniste, Bertrand Émond partage la clé d’une gestion réussie : Être gestionnaire, c’est avoir des contacts humains. Développer des rapports de confiance avec des personnes. Pour les rendre possible, pour se sentir bien avec l’autre, il faut surtout être bien avec soi, il faut se faire confiance à soi-même. Savoir tenir tête, défendre ses idées, mais avec respect et écoute. Les gestionnaires que j’ai rencontrés qui ont eu des parcours réussis, ceux dont la gestion m’a impressionnée, étaient des gens généreux.
Louise Carrière, directrice de la Première Chaîne Le parcours de Louise Carrière s’est d’abord inscrit dans la production et y restera étroitement associé. Alors qu’elle a débuté à Radio-Canada à titre d’adjointe à la réalisation, elle a rapidement eu l’occasion de se démarquer lors de remplacements ponctuels, permettant d’acquérir l’expérience nécessaire pour se voir confier des projets d’importance. Ainsi, pendant plusieurs années, elle a fait équipe avec Michel Désautels, Gérard-Marie Boivin, René Homier-Roy et Christiane Charrette, prenant en charge la réalisation de leurs émissions. Chevauchant l’univers radio et télévision, elle raconte avoir eu la chance de débuter dans une station régionale, véritable laboratoire où il est possible de participer à toutes les étapes du processus de production, source d’apprentissage extraordinaire. Elle déplore, comme d’autres membres de la direction d’ailleurs, que la relève soit si peu disposée à faire leurs premières armes en région. Forte de cette solide expérience à la production acquise dès ses débuts à Radio-Canada, l’actuelle directrice de la Première Chaîne peut s’appuyer, dans la gestion de son personnel, sur cette crédibilité que lui confère une totale compréhension du processus de réalisation. Elle se sent parfaitement outillée pour gérer vedettes et artisans de la radio : Puisque j’ai si longtemps moi-même fait de la production, les gens avec qui je travaille savent que je ne leur raconte pas n’importe quoi. C’est excessivement important lorsque j’évalue, que je critique ou complimente un employé : habituellement, mes commentaires sont bien reçus. C’est d’autant plus précieux lorsque j’ai à déplacer un animateur qui n’est pas à sa place… lui annoncer que je ne remets pas en question son talent mais qu’au lieu d’être responsable de l’animation d’une émission, je le verrais davantage à une chronique… Il faut être solide pour expliquer pourquoi on en arrive à ce genre de décision.
La pratique de gestion de Louise Carrière implique une communication directe. Les gens apprécient cette franchise, se sentent respectés, d’autant plus que ce qui est dit s’appuie sur des faits concrets, se réfèrent à des événements précis. Pour cette gestionnaire exigeante et perfectionniste, ce type de gestion entraîne les gens à se dépasser. Entourée de fortes personnalités qui, pour libérer leur créativité, ont besoin de latitude, elle confie qu’il faut savoir, à certains moments, poser des limites. En riant, elle révèle qu’on l’a surnommée « la dame de fer » : consciente de ses
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talents, de ses faiblesses aussi, et forte de ses succès, elle sait qu’elle ne pourrait ni modifier sa personnalité ou sa manière de parler aux gens et encore moins changer sa passion pour la radio… Pour assurer une gestion saine, forte, efficace, la dame de fer sait s’entourer d’un personnel qui se complète et qui forme une équipe dynamique, créatrice. Le point de départ, rappelle-t-elle, c’est le casting : mettre les bonnes personnes au bon endroit. Ensuite, elle peut faire confiance, déléguer et administrer dans le plaisir. Andrée Girard, directrice de la Chaîne culturelle Formée en littérature, Andrée Girard a, durant son parcours qui l’a menée à la direction de la Chaîne culturelle, butiné ici et là, prenant diverses expériences dans le milieu culturel. Elle a été coordonnatrice, journaliste et agent de projets au ministère de la Main-d’œuvre et Immigration avant de se fixer, pendant une dizaine d’années, à Radio-Canada – Rimouski où elle a œuvré en tant que recherchiste-interviewer, chroniqueuse et animatrice à la radio et à la télévision. Puis, guidée par son amour de la musique, elle a fondé – avec des gens du milieu, le Conseil québécois de la musique qu’elle a dirigé pendant près d’une décennie, donnant une voix au milieu professionnel de la musique. Depuis 1998 à la direction de la Chaîne culturelle, Andrée Girard a porté un défi de taille : permettre à la deuxième chaîne francophone de Radio-Canada de s’épanouir, de se réinventer et de trouver sa véritable voix. Alors que la Première Chaîne vit des heures de gloire, la directrice de la Chaîne culturelle a dû maintenir le cap de sa radio, priorisant la réflexion des derniers mois, long et intensif processus qui mènera aux métamorphoses depuis peu dévoilées. Attirée peut-être vers de nouveaux projets, Andrée Girard cèdera bientôt sa place à Christiane Leblanc à la direction de la chaîne en devenir. Christiane Leblanc, directrice de la production musicale Élevée dans un univers de musique alors que sa mère, une voix magnifique, remplissait le salon des airs de la Traviata, Christiane Leblanc a été happée par la passion de la radio dès le premier instant où elle est entrée dans un studio. Depuis ses débuts et jusqu’à ce qu’elle accepte le défi des Nouveaux Médias, elle a collaboré à la Chaîne culturelle, principalement en tant que réalisatrice et coordonnatrice de la production musicale. Depuis novembre 2001, elle est directrice de la production musicale de la radio française. Cette musicienne qui avait toujours vécu pour le développement concret de ses idées s’est vu imposer un deuil lors de son saut en gestion : celui de laisser aller ses idées ou de voir celles des autres se réaliser. Par ailleurs, elle s’y sentait prête : C’est vrai que j’aime inventer, créer, réaliser des idées. Mais j’ai toujours été reconnue, je crois, comme une organisatrice. Je gère bien les idées des autres. J’ai toujours, dans mon équipe, quelques personnes très créatives, si absorbées par leur créativité que si elles n’étaient pas guidées, d’une certaine manière, on serait toujours en déficit! J’adore travailler avec ces gens-là. Je leur laisse une grande liberté et, dans un climat de crédibilité et de respect, je suis là pour leur dire, à un moment, que leur idée est géniale mais qu’en la réorganisant ou en la modifiant de telle façon, ce serait plus rentable, plus proche de nos moyens. J’aime beaucoup trouver le moyen de faire les choses différemment, trouver un autre chemin, essayer du nouveau.
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Cette aptitude à saisir les choses autrement lui a toujours servi à adapter la musique au média radiophonique. Par exemple, changer l’ordre d’un concert (enregistré) pour mieux l’intégrer à la radio, en fonction de l’heure d’écoute, du jour de diffusion. Briser les habitudes et créer un événement car la radio ne peut vivre sans souplesse, sans spontanéité. Affichant un air malicieux, elle confie : Vous savez, il ne faut pas toujours demander la permission. Et je vous dirais qu’en rétrospective, j’ai souvent brisé des traditions même sans plan établi. C’est un peu fou, j’imagine que ce n’est pas ce qu’un gestionnaire devrait dire, mais… c’est purement de l’intuition. Je me suis toujours grandement fié à mon instinct, en testant sans toujours m’en rendre compte, jusqu’à ce qu’à un certain moment, après quelques expériences dans une direction, une logique s’illumine d’elle-même. Et là, le projet est mûr, je peux l’officialiser, demander un budget, le mener à bien. Au départ, ce n’était ni clair, ni rationnel. Comme une vision qui se crée au fur et à mesure. Je suis des pistes tout à fait intuitivement.
Musicienne et mélomane, passionnée d’un média qu’elle comprend et respecte, gestionnaire qui a su faire ses preuves et qui ne craint pas le défi, que nous réserve la future directrice de la Chaîne culturelle de demain… Un dossier à suivre. Guylaine Bergeron, première directrice, promotion et stratégie de diffusion Guylaine Bergeron a toujours travaillé dans le domaine des communications. Diplomée en communication et en sciences politiques, elle a d’abord été journaliste-lectrice à la télévision avant de devenir conseillère en communications à la Ville de Chicoutimi, puis à la société Alcan. En 1992, le Forum Communications Affaires publiques inc. lui confie d’importants dossiers de communication pour différents organismes privés et publics comme la Régie de l’assurance maladie et le ministère de l’Éducation du Québec, la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Brasserie Labatt et Marion Merrell Dow du Canada. Trois ans plus tard, elle est engagée à la Fédération des caisses populaires Desjardins de Montréal et de l’Ouest du Québec à titre de conseillère principale aux communications institutionnelles. Riche de cette expérience dans les secteurs privé, public et coopératif, Guylaine Bergeron est recrutée par Radio-Canada en 1999 comme chef des relations publiques de la radio. Elle s’est rapidement démarquée et, en 2003, elle obtient le poste de première directrice, promotion et stratégie de diffusion. Relevant directement du vice-président de la radio française de RadioCanada, Mme Bergeron voit maintenant à l’analyse stratégique des choix de diffusion de la programmation afin de maximiser l’offre du service public. Ayant exploré plusieurs types d’entreprises, ses racines n’étaient pas particulièrement ancrées dans le service public. Elle confie avoir été happée, pourtant, par la culture de la radio de Radio-Canada : Maintenant, je suis très « service public ». Au départ, j’ai été fascinée par la compétence que l’on trouve ici, par la richesse des gens qui font cette radio. Par la dureté, aussi. C’est très exigeant de faire des communications à la radio de Radio-Canada puisque tout le monde s’y connaît, finalement. Et il y a beaucoup de personnalités très fortes. Mais c’est aussi excessivement stimulant.
Parlant de la gestion de son équipe, elle avoue qu’une de ses premières préoccupations est de conserver l’adhésion à l’interne du personnel. Celui-ci, en effet, a vécu une longue période de compression durant les années 1990 et les marques restent vives et profondes. Et cette cohésion actuelle a exigé beaucoup d’efforts, d’énergie et de moyens pour la reconstruire. Le personnel de la radio de Radio-Canada, c’est sa mine d’or. C’est son investissement premier. C’est son succès. Copyright © HEC Montréal
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Guylaine Bergeron raconte aussi qu’elle a un grand plaisir à diriger son équipe, pratiquant une gestion autonome. Elle est présente, accessible mais appréciant elle-même une certaine liberté d’initiative, laisse à son personnel les moyens de développer, de se développer : Mon équipe est jeune et dynamique. C’est facile de gérer ces gens-là! Pourtant, 30 personnes, ce pourrait être beaucoup plus compliqué… Et puis, c’est aussi très agréable de travailler avec mes collègues à la direction. Ce sont des gens de métiers, des gens passionnés. Mais peut-être que ce serait un peu moins facile si nous ne vivions pas, en ce moment, cette ère de performance et de grand succès…
L’avenir… Entrée la tête haute dans ce deuxième millénaire teinté de mondialisation et d’effervescence technologique, la radio publique est plus dynamique, plus forte que jamais. Le succès de sa Première Chaîne semble lui donner des ailes, période de grâce et d’union avec son public. Malgré une haute direction qui semble consciente des risques d’une telle gloire, vit-on éternellement et sans danger un tel succès? Quant à la Chaîne culturelle, les transformations majeures qu’elle est en train de mettre en œuvre lui permettront-elles de se sculpter une identité aussi distinctive que sa consoeur, et surtout, de rassembler le public perdu? Une chose se dégage clairement, qui donne sa vigueur à l’équipe de la radio française de Radio-Canada : la cohésion véritable d’une ligne de pensée, alimentée par cette passion, ce respect évident pour la radio et l’auditeur.
2004-09-20
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Annexe 1 Données financières Tirées de l’État consolidé des résultats et du fonds effectif des rapports annuels de CBC/Radio-Canada 2002-2003 et 2001-2002
2003
2001
(en milliers de dollars)
REVENUS Publicité et ventes d’émissions Services spécialisés Divers DÉPENSES Coûts des services de Télévision et Radio Services spécialisés Transmission, distribution et collecte Radio-Canada International Paiements aux stations privées Administration nationale Amortissement des immobilisations Perte d’exploitation avant financement gouvernemental et impôts Financement gouvernemental Crédit parlementaire d’exploitation Financement affecté à Radio-Canada International Amortissement du fonds d’immobilisations reporté Résultats nets avant impôts Charge/Recouvrement d’impôt sur les bénéfices et des grandes sociétés Résultats nets de l’exercice Solde du compte du fonds effectif, début de l’exercice Financement du fonds de roulement Solde du compte du fonds effectif, fin de l’exercice
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2002
30
284 410 123 271 73 154 480 835
319 257 117 722 82 383 519 362
350 259 107 672 60 461 518 392
1 197 501 117 277 56 176 14 470 11 140 15 461 117 695 1 532 720
1 150 557 104 076 61 850 16 626 16 760 15 402 130 806 1 496 077
1 046 266 93 423 57 838 15 774 14 282 15 907 149 294 1 392 784
(1 051 885)
(976 715)
(874 392)
937 432 15 501 118 049 1 070 982 19 097
840 404 15 418 130 953 986 775 10 060
794 058 15 520 147 301 956 879 150 632
(1 002)
(1 332)
2 688
20 099
11 392
147 944
124 052
108 660
(43 284)
4 000
4 000
4 000
148 151
124 052
108 660
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Annexe 2 La Chaîne culturelle devient entièrement musicale Au menu : musique classique, jazz, chanson et musique du monde Paul Cauchon Édition du samedi 8 et du dimanche 9 mai 2004 De grands bouleversements s'annoncent pour cet automne à la radio de Radio-Canada. Ainsi, la Chaîne culturelle changera de nom et deviendra uniquement une chaîne musicale, consacrée à la musique classique, au jazz, à la chanson française et aux musiques du monde. Quant à la Première chaîne, elle ajoutera 12 heures par semaine de contenu culturel à sa programmation. Autrement dit, certaines émissions de l'actuelle Chaîne culturelle déménageront sur la Première chaîne. Ces nouvelles orientations ont été annoncées hier aux employés de Radio-Canada par le viceprésident de la radio publique, Sylvain Lafrance, qui rencontrait par la suite quelques journalistes. Radio-Canada avait entrepris cet hiver un processus de réflexion sur l'avenir de la Chaîne culturelle, mais les conclusions de cette réflexion sont plus profondes que ce qui avait été prévu. « C'est le plus gros changement que connaîtra la Chaîne culturelle en 30 ans, qui verra 90 % de sa programmation modifiée », a dit Sylvain Lafrance. La Chaîne culturelle s'est étendue à la grandeur du Canada francophone depuis deux ans, à la suite d'un programme spécial de création de 20 nouvelles fréquences, des Maritimes à la Colombie-Britannique, programme qui avait reçu un financement spécial de huit millions de dollars. Mais à Montréal, particulièrement, « la Chaîne culturelle ne va pas très bien, soutient Sylvain Lafrance, avec une durée d'écoute faible et des auditeurs infidèles ». Il faut dire que la chaîne a connu beaucoup de changements ces dernières années, ce qui n'aide pas à fidéliser un auditoire. Sylvain Lafrance soutient que ces changements ne sont pas provoqués par les bouleversements actuels dans le paysage radiophonique de Montréal, avec la mise en place d'une nouvelle fréquence FM parlée au 98,5 et l'arrivée ce printemps d'une nouvelle station jazz. « L'urgence d'agir vient plutôt de l'absence de diversité musicale dans le paysage radiophonique », soutientil. La nouvelle chaîne musicale veut s'adresser aux 35 à 54 ans, mais elle entend également développer toute la nuit une nouvelle programmation pour les 16 à 34 ans, dans l'esprit des musiques différentes et émergentes de Bande à part.
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Il est possible que la nouvelle chaîne présente aussi des magazines à contenu verbal, mais ce seront des magazines consacrés à la musique. La Première chaîne demeure évidemment une grande chaîne généraliste d'information, mais on veut enrichir son contenu culturel. L'ajout de douze heures culturelles par semaine est un exercice complexe si on ne veut pas toucher aux succès actuels de la radio publique. On sait déjà que le magazine sportif de fin de soirée Y en aura pas de facile quitte l'antenne, ce qui libère des heures. Sylvain Lafrance n'a pas voulu hier donner de détails précis sur la nouvelle grille-horaire, mais il a indiqué que la Première chaîne pourrait présenter un « grand plateau culturel » le dimanche après-midi. Et on cherche à créer un « café littéraire » hebdomadaire, ditil. La nouvelle chaîne musicale continuera à présenter des concerts en direct. De même, RadioCanada a l'intention de développer encore plus les séries documentaires radiophoniques, et on veut coproduire encore plus d'émissions et de séries avec les radios publiques francophones européennes. Plusieurs questions demeurent encore sans réponses à la suite de ces annonces, bien sûr, dont le sort des émissions de grands débats qu'on entendait sur la Chaîne culturelle. La nouvelle chaîne musicale sera dirigée par Christiane Leblanc, qui prendra la place d'Andrée Girard. Et c'est le 6 septembre que la nouvelle programmation et le nouveau nom doivent être lancés, ce qui représente un délai très rapide.
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Annexe 3 Disparition de la Chaîne culturelle de Radio-Canada – La culture, c'est se tenir debout dans la masse Aline Apostolska Journaliste culturelle, écrivaine, directrice de collection et administratrice du Centre québécois du PEN International Édition du samedi 29 et du dimanche 30 mai 2004 La culture, c'est comme l'amour : la vraie question n'est pas combien mais comment. Ainsi, à l'annonce, si subtile, de la disparition de la Chaîne culturelle de Radio-Canada, notre devoir de vigilance, individuel mais surtout collectif, devrait nous conduire à nous concentrer non pas sur le nombre d'heures d'émissions culturelles qui seront « transférées » à partir de la fin d'août sur la Première Chaîne mais plutôt sur ce dont il est effectivement question : la disparition d'un espace sacré de liberté d'être, de penser et d'écouter. Entendons-nous sur un point de départ : la décision de supprimer cette chaîne culturelle-là est sans doute une bonne décision, qui s'imposait de facto. Après quelques années passées à la dénaturer par petits bouts, soit en enlevant des personnes ou des émissions dont le ton, la forme ou les deux à la fois commençaient à dater pour introduire quelques autres personnes ou émissions plus en phase avec la réalité culturelle actuelle, et surtout avec leur mode d'expression, cette chaîne avait fini par devenir un objet hybride non identifié. La Chaîne culturelle n'avait guère plus que son nom : «ça parlait» trop pour une chaîne musicale, mais « ça parlait » bien trop peu pour quelqu'un qui cherchait vraiment un espace où des gens parlent à des gens. C'est ici que la question est « qui parle de quoi et comment? » et non pas « combien de temps ». Où sont les gens qui suscitent une réflexion de fond, des débats de fond, des entrevues longues et denses, une création libre de contingences médiatiques et mercantiles, avec une parole qui se déploie et avec une perspective différente de celle du magazine, sachant que le magazine, sous toutes ses formes, reste le domaine incontestable et incontesté de la Première Chaîne, laquelle, justement, a bétonné son identité, avec la crédibilité et le succès qui vont avec? Agitation Sachez ceci : personne autant que les acteurs quotidiens de la Chaîne culturelle n'a répété ceci au cours des quatre ou cinq années précédentes. Invité à des journées de réflexion depuis février 2004, le personnel de la chaîne était heureux qu'on daigne enfin l'entendre, chacun sachant qu'il aiguisait lui-même l'épée de Damoclès qui pendait sur sa nuque. C'est ainsi que « les gens de la Chaîne culturelle » ont été les premiers à applaudir à l'annonce de leurs funérailles, le 7 mai à 10 h, comme s'ils prononçaient leur propre éloge funèbre, et ce, à mon avis, au grand étonnement des cadres en présence et du vice-président lui-même. Masochisme? Non pas. Professionnalisme. Être inquiet pour son avenir personnel n'empêche pas d'approuver la transformation d'une fréquence déjà presque musicale en véritable espace musical varié et cohérent. Alors maintenant, il reste ces gens, dont on semble se préoccuper autant que des oeufs au moment de faire une omelette. Le 14e étage de la Grande Maison, celui de la chaîne moribonde, où régnait jusque-là une rare et intelligente convivialité, ressemble ces temps-ci à un cimetière à l'air raréfié tandis que l'agitation Copyright © HEC Montréal
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secoue le 13e étage de la Première Chaîne, qui n'en manquait déjà pas. Qui va aller où, et pour faire quoi? On propose des boulots au rabais, et il faudrait dire merci et faire comme si c'était une promotion! Pourtant, malgré cette hypocrisie, là encore, la question se pose à un niveau plus collectif que simplement individuel. Va-t-on réussir à se caser quelque part ou va-t-on s'inscrire au chômage? Est-ce que cette question, bien sûr cruciale pour chacun, va masquer le fait qu'il s'agit, avec la disparition et non le transfert de la Chaîne culturelle, d'un virage de société? Va-t-on répondre au comment et au pourquoi par un combien? Combien d'heures de culture, et combien d'auditeurs pour l'écouter? Tout cela fait miroiter un très dangereux miroir aux alouettes : plaquer 12 heures de culture (et, docteur, combien de cuillères à soupe de sirop?) à la Première Chaîne permettrait de bénéficier du large auditoire de celle-ci, ce qui va forcément renvoyer à modeler le contenu, les invités et la forme au goût du plus grand nombre, et non pas le contraire. Méchant sapin. Ne pas confondre Quantifier la culture est aussi dangereux que de confondre la création et le spectacle, l'imaginaire et le divertissement, une oeuvre et ses résultats commerciaux, l'être et le faire, l'apparence des faits avec leur mobile intérieur véridique. C'est oublier, ou sembler le faire, que l'argent sert à créer, et non le contraire. La Première Chaîne remplit bien son propre mandat, et imaginer qu'elle change sa forme pour intégrer d'autres contenus ne semble ni possible ni souhaitable, sans compter que cela conduirait à une hybridité supplémentaire. Conclusion : c'est l'espace libre d'une création libre, qui témoigne de l'effervescence culturelle d'ici, qui disparaît. Et pas plus que le télécopieur n'a aboli le téléphone, dire qu'un médium se substituera à un autre, télévisuel ou électronique, est absurde et malhonnête. La preuve se trouve au sein même de Radio-Canada : qu'y a-t-il à Artv qui ne vienne pas d'ailleurs? Le secteur même des nouveaux médias, qui avaient mobilisé tant de fonds, ne vient-il pas de disparaître, renvoyant tout son personnel? La couverture des Jeux d'Athènes n'est-elle pas réduite à une peau de chagrin, évidée de toute dimension socioculturelle autre que les colonnes en stuc qui ornent l'entrée du bâtiment... à Montréal! Par ailleurs, comment ne pas s'inquiéter qu'on ait sauvé de justesse Télé-Québec ou la Cinémathèque, et pour combien de temps? Qui va gober qu'un seul « café littéraire » – la tarte à la crème de l'absence d'imagination! – prétende offrir ne serait-ce que le plus minimal reflet de la création littéraire d'ici mais aussi francophone dans son ensemble? Où irai-je écouter un écrivain me parler de sa vision du monde, celle qui me nourrit vraiment, même s'il est peu connu et n'est pas la « vedette » du moment, celle que je vois déjà partout à longueur d'émissions, de journaux et de comptoirs de best-sellers en librairie? Sur France-Culture, sinon sur CBC One, où je vais trouver satisfaction, je vous le garantis. Et encore, la littérature reste « privilégiée » dans sa couverture. Que dire du théâtre, de la danse, des arts visuels, de l'histoire... Méchant laminage, par la sélection radicale de la visibilité, efficace et rentable. Or, quelle que soit la manière dont on tourne et retourne la question, on ne sait que trop bien que le fait d'établir des liens systématiques entre culture et rentabilité reste un malentendu. Un malentendu mortifère. L'absence d'un espace adéquat abolit la véritable possibilité de vulgarisation, choisie et maîtrisée, pour la remplacer par la seule simplification, générale et indistincte.
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Le silence Mais ce qui me sidère au-delà des mots reste ceci : la totale et absolue passivité du milieu artistique et intellectuel. Alors, voici donc un « pays » où on supprime un espace médiatique sans aucun problème. Oh, quelques bruits de couloir, quelques courbettes, deux ou trois larmes, et c'est bien tout. Pourtant, bien plus que les employés de la défunte Chaîne culturelle, c'est ce milieu qui est concerné par cette disparition, pour ne pas dire uniquement lui. Or ce milieu s'accroche à la promesse des fameuses 12 heures en serrant les dents et les fesses, et bientôt en allumant des cierges, sur un credo qui oscillera entre la jérémiade et le regret. Nul débat de fond, aucun questionnement. On en viendrait à conclure qu'en effet, l'espace d'une culture libre et active à la radio n'a aucune raison d'être. Dans ce cas, la Première Chaîne remplira en effet tous les rôles et comblera tous les besoins, et on acquiescera à la perversion mathématique selon laquelle il y aura plus de culture puisqu'il y aura plus d'auditeurs! Dire que les foudres tombent, encore récemment d'ailleurs, sur les dirigeants de France-Culture qui osent vouloir changer un peu les choses! Les 4 % de cote d'écoute de France-Culture restant infimes à côté de l'audience de France-Inter et même de FIP, c'est donc des foudres qui défendent un espace inviolable de liberté d'être, de penser, d'écouter, d'échanger et... de s'opposer. De se tenir debout dans la masse, selon ma propre définition de la culture. Sans doute faut-il se réjouir de la disparition de cette chaîne culturelle-là car, désormais, une vraie chaîne culturelle, au ton et à l'image du moment, reste à créer. Peut-être.
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Annexe 4 La convergence par Sylvain Lafrance Nos récentes discussions sur les différents projets de « Content management » ou de « convergence inter-médias » m’on parfois fait sursauter. J’ai l’impression que nous avons largement débattu des potentiels technologiques et des différents plans d’affaires pour nous permettre d’atteindre un niveau de convergence perçu comme « optimal ». Nous avons toutefois parlé très peu, à mon avis, des questions de fond qui devraient sous-tendre ces différents projets. Mettre en commun quels contenus pour offrir aux canadiens quels programmes? Le potentiel d’échange des nouvelles technologies n’a de sens que pour enrichir le programme offert ou créer de réelles économies d’échelle. Nous devons donc poser, à priori, la question plus fondamentale des enjeux qui confrontent aujourd’hui la radio et la télévision publiques au pays. Et ces enjeux tournent tous autour du fait que, pour occuper une place centrale dans un environnement médiatique fragmenté et dans un marché d’information plus ouvert, le service public doit d’abord miser sur la personnalisation, le caractère distinctif de ses antennes, la qualité objective de ses programmes et la diversité des valeurs et des voix qu’il propose aux Canadiens. C’est à ce prix que les citoyens lui accorderont leur confiance. Je m’explique… en faisant d’abord un peu d’histoire.
CONVERGENCE, « CONTENT MANAGEMENT » ET AUTRES FUSIONS DE GENRES…. L’idée de convergence dans le monde des médias est réellement apparue au tout début des années 90 dans l’euphorie générale entourant le développement des nouvelles technologies. Elle recoupe aujourd’hui un certain nombre de réalités pourtant fort différentes qui vont de la convergence technologique aux fusions d’entreprises en passant par les différentes formes de synergie, de « multimédia » ou encore de multi plateformes. Pour l’essentiel, la naissance de l’idée est fondée sur une réalité technologique : le développement du numérique fait en sorte que, pour la première fois, les différents médias transitent globalement par des standards communs et peuvent donc « se parler ». Ce potentiel technologique aura donné lieu à un embrasement des projets de conglomérats multimédias, de développement horizontal des activités médiatiques. Les grandes fusions, tant internationales que nationales, témoignent bien de l’espoir suscité par ce nouveau potentiel. C’est la naissance d’un nouvel eldorado technologique. Ce potentiel technologique est d’ailleurs à la base d’une énorme confusion dans le monde des médias : l’impression que la convergence des technologies signifie, à coup sûr, la convergence des médias. Pourtant, si l’Internet est voué à un bel avenir, aucune étude sérieuse ne démontre
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actuellement un aplanissement des frontières entre nouveaux médias et médias traditionnels. Chaque média trouve actuellement sa place dans cet univers nouveau et joue un rôle qui lui est propre. Cet « emballement » économique pour le monde des médias a par voie de conséquence fait naître deux idéologies dominantes dans le discours médiatique : l’idéologie technologique et celle de l’industrialisation des contenus. Ces deux discours dominants méritent d’être étudiés sérieusement pour en comprendre à la fois le potentiel et les risques. L’OBSESSION TECHNOLOGIQUE La naissance d’une technologie ou d’un potentiel technologique entraîne toujours une série de discours prospectivistes intéressants. En 1950, les éditeurs canadiens de journaux craignaient que la naissance du fac-similé n’entraîne la disparition de leur industrie. Inutile de publier un journal sur papier si chaque citoyen peut recevoir via son téléphone les plus grands journaux du monde imprimés en format « personnalisé »!!! La naissance du magnétoscope est aussi agrémentée d’histoires fabuleuses. Elle annonçait la fin des grilles de programmation puisque chaque citoyen fabriquerait sa propre grille en enregistrant les émissions qui lui plaisaient!!!! Le résultat aujourd’hui c’est qu’un magnétoscope est plutôt devenu un projecteur pour vidéo-cassettes. C’est que toute lecture de l’avenir médiatique qui ne passe que par le potentiel technologique est fatalement incomplète. Des centaines d’expériences montrent que l’usager n’est pas asservi à la logique des technologies et des marchés. Son premier intérêt est lié au contenu. C’est une leçon fondamentale du monde des médias qui devrait nous amener à être prudent et à ne pas céder à l’engouement des nouveaux « vendeurs de solutions » fondés sur une obsession technologique. L’OBSESSION INDUSTRIELLE Le phénomène de convergence a aussi entraîné dans le monde des médias une seconde obsession tout aussi dangereuse. Trop souvent, la logique industrielle a tendance à dominer l’orientation et les choix des entreprises médias. Une supra-logique industrielle s’impose malheureusement audelà des réalités médiatiques. Le programme devient un « produit ». L’information devient un « contenu ». Ce « produit » et ce « contenu » passent par une lecture de nature industrielle des choses. On peut l’enfermer, le redistribuer sous diverses plateformes. La variété des supports de distribution entraîne inéluctablement une hausse de la clientèle cumulative. Bref, c’est la renaissance d’une forme de Taylorisme appliqué à la création, aux émotions et à l’information. Il est intéressant de noter que la première obsession de certains dirigeants de médias en ce début de siècle porte sur la capacité de distribution multiplateformes à l’infini des même contenus, et non sur la qualité et la diversité intrinsèques de ces contenus. Les médias copient des médias qui copient des médias pour créer plus d’écoute des mêmes contenus. Copyright © HEC Montréal
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Anecdote personnelle. J’étais à la maison lundi soir. Le débat sur le leadership libéral dérape quand Paul Martin et Allan Rock diffèrent d’opinion sur les règles d’adhésion au parti. Paul Martin s’écrit : « J’en ai marre (I’m fed up) ». Le soir à la maison, toutes les télés, toutes les radios répétaient inlassablement ce « J’en ai marre ». La plupart des sites Web en offraient la version audio-vidéo. Il m’aurait sans doute été possible d’entendre 500 fois ce « j’en ai marre ». Malgré tout, les médias continuent sur cette obsession de créer de nouvelles plateformes pour distribuer plus du même contenu. Pourtant, et j’y reviendrai plus tard, c’est la spécificité des médias qui sera leur planche de salut, et non leur capacité à répéter inlassablement les mêmes contenus. En fait, plus l’information, l’émotion ou la personnalisation est considérée comme une marchandise, plus nous nous éloignons du rôle fondamental, qu’est celui de l’information, particulièrement dans le service public, le rôle de nourrir le débat démocratique et de permettre aux citoyens de faire des choix plus éclairés.
À titre d’exemple, l’idée maintes fois évoquée de créer une structure horizontale et centralisée pour la production des nouvelles, m’apparaît comme l’expression claire d’une obsession industrielle et technologique excluant toute réflexion de nature journalistique. Pour une radio, se priver d’un système spécifique de cueillette des nouvelles, c’est se priver de sa capacité d’expliquer, de contextualiser ou de personnaliser toute forme d’information qui pourrait aider ses auditoires à comprendre. Une radio est un lieu, un espace, doté de ses valeurs et d’un discours spécifique – C’est un tout. L’expérience de la BBC en matière de bi-média démontre bien les dangers de dissocier une antenne, avec ses valeurs et sa personnalité, de sa compétence clé, l’information. « Radio 5 » est récemment revenue dans le giron des services de radio justement pour cette raison. Plus que le phénomène de concentration, c’est l’obsession « industrielle » des médias qui constituent actuellement la plus grande menace à la qualité de l’information et du débat citoyen dans ce pays. L’AVENIR DES MÉDIAS Quels médias souhaitons-nous offrir aux Canadiens dans un horizon de cinq ans? C’est une question fondamentale qui doit précéder de loin la question des outils ou des plateformes. L’univers médiatique est de plus en plus fragmenté et cette tendance continuera de s’accentuer. De plus en plus de chaînes naîtront, qui ne feront que redistribuer des programmes déjà disponibles autrement en tentant de se créer une petite place dans cet univers. Je poserai ici une hypothèse; les chaînes qui se distingueront dans quelques années, seront celles qui auront réussi à se doter d’une personnalité spécifique, d’un caractère distinct, d’un bouquet de valeurs susceptibles de créer la fidélisation de l’auditoire. Ces chaînes seront synonymes de qualité et d’enrichissement de l’espace public.
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C’est dans ce créneau que nous devons retrouver les chaînes du service public. Nos plateformes de diffusion ne seront pas des « amalgames » de contenus venus de partout, mais des « lieux », des « espaces » de création, d’émotions, d’information et de diffusion. L’enjeu pour la Société Radio-Canada, c’est de renforcer SA sonorité, SA présence à l’écran et sur le Web et de les décliner sur des offres médiatiques distinctes et dotés de personnalités propres. On voit tout de suite apparaître les limites de certaines des philosophies trop technologistes de « Content management » et surtout, l’importance de « calibrer » nos investissements entre le type de programmes conçus pour usages horizontaux (trans-média) et ceux qui doivent coller aux préoccupations et aux valeurs d’offres spécifiques comme ARTV, la Chaîne culturelle ou Country Canada. En fait, le glissement actuel entraîné par une obsession technologique nous éloigne de ce qui me semblait être notre approche de gestion depuis deux ans : diminuer les investissements dans les structures et les systèmes pour réinjecter de façon optimale dans la production de programmes. Ce débat sur l’équilibre entre les programmations horizontales et verticales doit précéder tout débat de fond sur les outils, les processus, les structures et les investissements. Considérer la convergence comme une évolution naturelle, Darwinienne et incontournable ou comme un investissement inévitable, serait à tout le moins actuellement prématuré. Le véritable enjeu des médias de service public, le véritable défi, est un défi médiatique plus qu’un défi technologique ou managérial.
En conclusion Vous aurez bien compris que mon biais, c’est que nous sommes actuellement très tentés, voire obsédés par les discours technologistes et industriels, et trop peu centrés sur les véritables enjeux qui façonneront le service public de demain. Les décisions liées au « Content management » ou plus récemment au « Content development » me semblent dirigées entièrement par des questions de processus et de technologies et ne s’accompagnent pas suffisamment de débats de fond sur les enjeux « programmes » ou sur les enjeux liés aux rôles fondamentaux que nous devons jouer pour dessiner le paysage médiatique canadien de la prochaine décennie. Pourtant, dans mon esprit, les principaux enjeux ne sont ni technologiques, ni industriels. La convergence des technologies ou les « synergies » inter-médias n’ont de sens que si elles entraînent de véritables économies d’échelle ou encore un véritable enrichissement des informations transmises à l’auditoire. Au moment où s’accentue le débat sur la mondialisation et le danger qu’elle représente au niveau des identités culturelles, nationales et régionales, le service public devient plus essentiel que jamais.
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Il est impératif qu’une réflexion de fond sur les programmes et les médias que nous offrirons aux Canadiens accompagne toute réflexion sur les outils, les processus et les technologies de production de ces programmes. Ma proposition serait de créer un forum dédié prioritairement à cette réflexion programme fondamentale pour l’utilité et la survie du service public. Je crois fermement à la force du groupe, à l’idée d’une Société Radio-Canada plus intégrée, ainsi qu’au rapprochement des diverses composantes de la Société. Le succès des différentes démarches que nous avons entreprises jusqu’à maintenant en matière technologique sera d’autant assurée, qu’il s’accompagnera d’une réflexion approfondie sur les grands enjeux programmes. Nous disposons d’une équipe de gestion solide, capable largement d’affronter les défis qui se posent à nous. Un peu de sens critique ne fera que garantir le succès. Sylvain Lafrance – Mars 2002
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Annexe 5 Prix remportés par la radio de Radio-Canada depuis le 12 mai 2003 Mai 2003 Grand Prix du journalisme 2003 Radios francophones publiques Ginette Lamarche, pour le reportage « Les Enfants esclaves du Mali »
Août 2003 Prix Justicia – mention Association du Barreau canadien Danny Braün, Lucie Benoit, pour leur documentaire intitulé « Toute la vérité »
Septembre 2003 Prix Italia – meilleur site Internet, catégorie « Cross Media » Radiotelevisione Italiana (RAI) Le site Archives de CBC/Radio-Canada
Octobre 2003 Prix Racines Conseil provincial des sociétés culturelles Radio-Canada (télé et radio) – Moncton Prix Éloize – catégorie « meilleure couverture médiatique » Association acadienne des artistes professionnels du Nouveau-Brunswick Carole Saint-Cyr, chroniqueuse culturelle – Moncton
Novembre 2003 New York Festivals 2003/International Interactive Awards – médaille de bronze, catégorie « Éditorial » Le site Archives de CBC/Radio-Canada Prix Paul-Gilson Culture – catégorie « Entretien » Radios francophones publiques L'émission Ici, tout est permis, animée par François Dompierre Membre honorifique Festival Harvest Jazz and Blues Brigitte Lavoie, réalisatrice à Moncton Prix Jean-Michel-Gauthier Fédération professionnelle des journalistes du Québec Pascale-Marie Dufour, journaliste, pour son reportage intitulé « L'alcoolisme chez les jeunes »
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Prix Raymond-Charrette Conseil supérieur de la langue française Jean Fugère, chroniqueur littéraire à l'émission Pourquoi pas dimanche? Prix de journalisme en loisir – catégorie « Radio » Conseil québécois du loisir 1er prix : Mohamed Lofti pour « Touche pas à mon parc » (diffusé à Macadam tribu); 2e prix : Robert Frosi pour « 56 pattes pour un rêve »; 3e prix : Catherine Pépin pour «Une ligue d’improvisation pour les nouveaux arrivants : une belle façon de briser la glace » (Macadam tribu)
Décembre 2003 Prix Boomerang – Grand Prix Éditions InfoPresse Site Internet, zone jeunesse Prix Boomerang – meilleur site Internet, catégorie « Événement » Éditions InfoPresse Section spéciale des nouvelles de Radio-Canada sur la couverture de la guerre en Irak
Janvier 2004 Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres République française Monique Giroux, animatrice de l’émission Les Refrains…
Février 2004 Prix Grafika – catégorie « site Web » Éditions InfoPresse, en collaboration avec la Société des designers graphiques du Québec Le site www.bandeapart.fm/mutek Œuvres magistrales – catégorie « Radio » Trust pour la préservation de l’audiovisuel du Canada (TrustAV) Radiofiction La Cloison de Jacques Languirand (1971); les émissions Radio-Bigoudi (1956) de Guy Maufette (1956) Officier de l’Ordre du Canada Bureau du gouverneur général du Canada Jacques Languirand
Mars 2004 Prix « Mérite du français au travail » Office québécoise de la langue française Site Intranet linguistique, Manon Laganière et toute son équipe
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Avril 2004 Prix Anima 4 Radios francophones publiques Joël Le Bigot, animateur des émissions Samedi et rien d'autre et Pourquoi pas dimanche?
Mai 2004 Concours national de journalisme Science et Société – catégorie « Reportage radio de plus de 30 minutes » Association canadienne des rédacteurs scientifiques L'équipe des Années-lumière pour l'émission spéciale « Objectif Mars » Prix Paul-Gilson Musique – catégorie « Animation d'une émission » Radios francophones publiques Myra Cree, animatrice, émission spéciale Il était une foi diffusée dans la nuit du 24 au 25 décembre 2003
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