Le livre de la Confiance, Abbé Thomas de Saint Laurent

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Le livre de la Confiance

AbbĂŠ Thomas de Saint Laurent



Le livre de la Confiance


Le mariage de la Sainte Vierge et de saint Joseph Voici un exemple admirable de confiance. Saint Joseph est l’époux réservé par Dieu à la Sainte Vierge qui a fait vœu de virginité perpétuelle. Cet engagement est irrévocable : Elle l’oppose même à l’ange Gabriel venu lui demander son consentement avant de devenir la Mère du Sauveur. Mais la Très Sainte Vierge s’abandonne à la volonté de la Providence tout en ayant confiance que Dieu, qui lui a inspiré ce vœu, interviendra pour en assurer l’exécution.


Elle fait confiance aussi à saint Joseph qui saura respecter sa promesse. Marie sait par révélation les dispositions de saint Joseph qui, lui aussi, a consacré à Dieu sa virginité. « Ce sont deux virginités qui s’unissent pour se conserver éternellement l’une l’autre »1 dira Bossuet. L’Ange du Seigneur apparut en songe à saint Joseph et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme: car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». (Matthieu 1, 20-21)


Société française pour la défense de la Tradition, Famille, Propriété – TFP 6, avenue Chauvard – 92600 Asnières Tél. : 01 45 55 61 88 N° Siret : 310 209 994 000 22 Hors-commerce, ne peut être vendu. ISBN : 2-901039-31-6 Dépot légal : juin 2006

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Abbé Thomas de Saint Laurent

Le livre de la Confiance

— TFP —



Jésus et la Samaritaine Jésus se tenait assis près du puits de Jacob, en Samarie. Une femme vient pour puiser de l’eau et Il lui dit : « Donne-moi à boire ». Comme elle s’étonnait, Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive ». (Jean 4, 5-42)

Chapitre premier Confiance !

Confiance ! I. II. III. IV. V.

Notre-Seigneur nous invite à la confiance Beaucoup d’âmes ont peur de Dieu D’autres manquent de foi Cette défiance leur est préjudiciable But et division de l’ouvrage

I – Voix du Christ, voix mystérieuse de la grâce qui résonnez dans le silence des cœurs, vous murmurez au fond de nos consciences des paroles de douceur et de paix. 9


Chapitre premier

Dans nos misères présentes, vous nous répétez le mot, que le Maître prononçait si souvent pendant sa vie mortelle : « Confiance, confiance ! » A l’âme coupable, oppressée par le poids de ses fautes, Jésus disait : « Confiance, mon enfant ! Tes péchés te sont remis2. » « Confiance ! disait-il encore à la malade abandonnée, qui attendait de lui sa guérison ; ta foi t’a sauvée3. » Quand ses apôtres tremblaient d’épouvante, en le voyant marcher la nuit sur le lac de Génézareth, il les tranquillisait par cette déclaration rassurante : « Ayez confiance ! C’est moi , ne craignez rien4. » Et le soir de la Cène, connaissant les fruits infinis de son Sacrifice, il poussait, en allant à la mort, ce cri de triomphe : « Confiance, confiance ! J’ai vaincu le monde5. » Quand il tombait de ses lèvres adorables, tout vibrant de tendresse et de pitié, ce mot divin opérait dans les âmes une transformation merveilleuse. Une rosée surnaturelle fécondait leur aridité ; des clartés d’espoir dissipaient leurs ténèbres ; une sereine assurance chassait leurs angoisses. Car les paroles du Seigneur « sont esprit et vie6 ». « Bienheureux qui les écoute et les met en pratique7. » Comme jadis ses disciples, c’est nous maintenant que Notre-Seigneur invite à la confiance. Pourquoi refuserions-nous d’entendre sa voix ? j

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II – Peu de chrétiens, même parmi les plus fervents, possèdent cette confiance, qui exclut toute anxiété et toute hésitation. De ce fait on peut trouver plusieurs causes. 10


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L’Évangile raconte que la pêche miraculeuse stupéfia Pierre. Avec sa fougue habituelle, il mesura d’un coup d'œil la distance infinie, qui séparait la grandeur du Maître de sa propre bassesse. Il frissonna d’une terreur sacrée et se prosternant la face contre terre : « Éloignez-vous de moi, Seigneur, s’écria-t-il ; car je suis un pécheur8. » Certaines âmes partagent cette crainte de l’Apôtre. Elles sentent si vivement leur indigence et leurs souillures, qu’elles osent à peine s’approcher de la Sainteté même. Il leur semble qu’un Dieu si pur doive éprouver à s’incliner vers elles une invincible répulsion. Impression fâcheuse, qui donne à leur vie intérieure une attitude contrainte et parfois la paralyse complètement. Comme elles se trompent, ces âmes ! Bien vite Jésus s’approcha de l’Apôtre effrayé. « N’aie pas peur9 », lui dit-il ; et il le releva. Vous aussi, Chrétiens, qui avez reçu tant de marques de son amour, ne craignez pas. Notre-Seigneur redoute par dessus tout que vous ayez peur de lui. Vos imperfections, vos faiblesses, vos fautes les plus graves, vos rechutes si fréquentes ne le rebuteront pas, pourvu que vous désiriez sincèrement vous convertir. Plus vous êtes misérables, plus il a compassion de votre détresse ; plus il désire remplir auprès de vous sa mission de Sauveur. N’est-ce pas surtout pour les pécheurs qu’il est descendu sur la Terre10 ?

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III – D’autres âmes manquent de foi. Elles ont assurément cette foi générale, sans quoi elles trahiraient la grâce de leur baptême. Elles croient Notre-Seigneur tout puissant, bon et fidèle en ses promesses ; mais elles appliquent malaisément cette croyance à leurs nécessités particulières. Elles ne sont pas dominées par cette conviction irrésistible, qu’attentif à leurs épreuves, Dieu se penche déjà sur elles pour les secourir. Le Christ nous demande pourtant cette foi spéciale, concrète. Il l’exigeait autrefois comme condition indispensable à ses miracles ; il l’attend encore de nous pour nous accorder ses faveurs. « Si tu peux croire, tout est possible à celui qui croit11 », disait-il au père de l’enfant possédé. Et dans le couvent de Paray-le-Monial, employant presque les mêmes termes, il répétait à Sainte Marguerite-Marie : « Si tu peux croire, tu verras la puissance de mon cœur dans la magnificence de mon Amour. » Pouvez-vous croire ? Pouvez-vous arriver à cette certitude, si forte que rien ne l’ébranle, si claire qu’elle équivaut à l’évidence ? Tout est là. Quand vous parviendrez à ce degré de confiance, vous verrez des merveilles se réaliser en vous. Demandez donc au Divin Maître d’augmenter votre foi. Répétez-lui, souvent la prière de l’Évangile : « Je crois, Seigneur ; aidez mon incrédulité12. » j

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IV – La défiance, quelles qu’en soient les causes, nous porte préjudice : elle nous prive de grands biens. 12


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Quand saint Pierre, sautant de sa barque, s’élançait à la rencontre du Sauveur, il marchait avec assurance sur les flots. Le vent soufflait avec violence. Les vagues tour à tour se dressaient d’un bond furieux et creusaient des gouffres profonds. L’abîme s’ouvrait devant l’Apôtre. Pierre trembla ; il hésita une seconde. Aussitôt il enfonça : « Homme de peu de foi, lui dit Jésus, pourquoi as-tu douté ?13 » Voilà notre histoire. Dans nos moments de ferveur nous nous tenons recueillis près du Maître. Vienne la tempête, le péril absorbe notre attention. Nous détournons nos regards de Notre-Seigneur pour les porter anxieusement sur nos souffrances et nos dangers. Nous hésitons ; aussitôt nous enfonçons. La tentation nous assaille. Le devoir nous paraît maussade ; son austérité nous rebute ; son poids nous accable. Des imaginations troublantes nous obsèdent. L’orage gronde dans notre intelligence, dans notre sensibilité, dans notre chair... Et nous nous affolons ; nous tombons dans le péché ; nous tombons dans le découragement, plus pernicieux que la faute. Âmes sans confiance pourquoi avons-nous douté ? L’épreuve nous frappe de mille manières. Nos affaires temporelles périclitent ; notre avenir matériel nous inquiète. La malveillance s’attaque à notre réputation. La mort brise les liens de nos affections les plus légitimes et les plus tendres... Et nous oublions quel soin paternel la Providence prend de nous. Nous murmurons, nous nous révoltons : nous augmentons ainsi nos difficultés et l’amertume de nos deuils. — Âmes sans confiance pourquoi avons-nous douté ? 13


Chapitre premier

Si nous nous étions attachés au Bon Maître, avec une confiance d’autant plus grande que notre situation semblait plus désespérée, nous n’aurions subi aucun dommage. Nous aurions marché paisiblement sur les flots ; nous serions arrivés sans encombre au golfe tranquille et sûr ; nous aurions bientôt retrouvé la plage ensoleillée, qu’illuminent les clartés célestes. Les saints ont lutté contre les mêmes difficultés que nous ; plusieurs d’entre eux ont commis les mêmes fautes. Mais du moins ils n’ont pas douté. Ils se sont relevés sans retard, plus humbles après leur chute, ne comptant désormais que sur le secours d’en-haut. Ils conservaient dans leurs cœurs cette certitude absolue, qu’appuyés sur Dieu ils pouvaient tout. Leur confiance ne les a pas confondus14. Devenez donc des âmes de confiance. Notre-Seigneur vous y invite ; votre intérêt le réclame. Vous deviendrez en même temps des âmes de paix et de lumière. j

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V – Cet ouvrage n’a d’autre but que de vous initier à la connaissance et à la pratique de cette vertu. Il vous en exposera très simplement la nature, l’objet, les fondements et les effets. Pieux lecteur, si jamais ce modeste volume tombe sous vos mains, ne le repoussez pas dédaigneusement. Il ne prétend ni au charme littéraire, ni à l’originalité. Il contient des vérités consolantes, que j’ai recueillies dans les livres inspirés et dans les écrits des saints : c’est son seul mérite. Lisez-le lentement, avec attention, en esprit d’oraison. J’allais dire : méditez-le. Laissez-vous pénétrer dou14


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cement par sa doctrine. La sève de l’Évangile en gonfle les pages : est-il pour les âmes meilleure nourriture que les paroles du Sauveur ? Puissiez-vous, en achevant cette lecture, vous confier uniquement en ce Maître adorable, qui nous a tout donné : ses trésors, son amour, sa vie, jusqu’à la dernière goutte de son Sang ! j

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Notes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Bossuet, Premier panégyrique de saint Joseph « Mon fils, aie confiance, tes péchés te sont remis ». Math. IX, 2. « Ayez confiance, ma fille, votre foi vous a guérie ». Math. IX, 22. « Ayez confiance, c’est moi, ne craignez point ». Marc VI, 50. « Prenez confiance, j’ai vaincu le monde ». Jean XVI, 33. « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ». Jean VI, 64. « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ». Luc XI,28. 8. « Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur ». Luc V, 8. 9. « Ne crains point ». Luc V, 10. 10.« Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs ». Marc II, 17. 11.« Si vous pouvez croire, tout est possible à celui qui croit ». Marc IX,22. 12.« Je crois, Seigneur ; venez au secours de mon incrédulité ». Marc IX, 23. 13.« Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Math. XIV, 31. 14.« L’espérance ne trompe point ». Rom. V, 5.

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Saint Elie réconforté par l’Ange Le prophète Elie, après avoir passé au fil de l’épée quatre cent cinquante prophètes de Baal, fuit la colère de la reine Jézabel. Ayant perdu courage, « il se coucha et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : “Lève-toi et mange”. Il regarda et voici qu’il y avait à son chevet une galette cuite sur les pierres chauffées et une gourde d’eau. Il mangea et but, puis il se recoucha. Mais l’ange du Seigneur revint une seconde fois, le toucha et dit : “Lève-toi et mange, autrement le chemin sera trop long pour toi.” « Il se leva, mangea et but, puis soutenu par cette nourriture il marcha 40 jours et 40 nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb ». (1 Rois 19, 5-8)

Chapitre II Nature et qualités de la confiance

Nature et qualités de la confiance I. II. III. IV. V.

La confiance est une ferme espérance Elle est fortifiée par la foi La confiance est inébranlable Elle ne compte que sur Dieu Elle se réjouit dans la privation des secours humains

I – Avec cette concision qui porte la marque de son génie, saint Thomas définit la confiance : « Une espérance 17


Chapitre II

fortifiée par une solide conviction1. » Parole profonde, que nous nous bornerons à commenter dans ce chapitre. Pesons attentivement les termes qu’emploie le Docteur Angélique. La confiance, écrit-il, est « une espérance » ; non pas cette espérance ordinaire, commune à tous les fidèles. Un qualificatif précis l’en distingue : c’est une espérance fortifiée. Remarquez-le bien cependant : il n’y a pas ici différence de nature, mais seulement de degré. Les lueurs incertaines de l’aube appartiennent au même jour que l’éblouissement du plein midi. Ainsi la confiance et l’espérance appartiennent à la même vertu : l’une n’est que l’épanouissement complet de l’autre. L’espérance commune se perd par le désespoir ; elle tolère toutefois une certaine inquiétude. Mais quand elle atteint cette perfection, où elle change son appellation contre le nom de « confiance », sa susceptibilité devient plus chatouilleuse. Elle ne supporte plus l’hésitation, si légère qu’on la conçoive. Le moindre doute la rabaisserait et la ramènerait au niveau du simple espoir. Le Prophète royal choisissait exactement ses expressions, quand il appelait la confiance « une surespérance »2 : il s’agit, en effet, d’une vertu portée à son maximum d’intensité. Et le P. Saint-Jure, l’un des auteurs spirituels les plus estimés du XVIIème siècle, voyait justement en elle une espérance « extraordinaire et héroïque3 ». 18


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La confiance n’est donc pas une fleur banale. Elle croît sur les cimes ; elle ne se laisse cueillir que par les généreux. j

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II – Poussons plus avant cette étude. Quelle force souveraine affermit l’espérance, au point de la rendre inébranlable aux assauts de l’adversité ? — La foi. L’âme confiante a retenu dans sa mémoire les promesses du Père céleste ; elle les a méditées profondément. Elle sait que Dieu ne peut pas manquer à sa parole ; de là son imperturbable assurance. Que le péril la menace, l’environne, la terrasse déjà, elle conserve sa sérénité. Malgré l’imminence du danger, elle répète la parole du Psalmiste : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; que craindrais-je ? Le Seigneur protège ma vie ; qui me ferait trembler ?4 » Il existe, entre la foi et la confiance, des rapports intimes, des liens très étroits de parenté. Pour employer l’expression d’un théologien moderne, il faut trouver dans la foi « la cause et la racine5 » de la confiance. Or plus la racine s’enfonce dans la terre, plus elle en puise les sucsnourriciers ; plus vigoureuse poussera la tige, plus opulente sera la floraison. Ainsi notre confiance se développe, dans la mesure où s’approfondit notre foi. Les Livres Saints reconnaissent la relation qui unit ces deux vertus. Le même mot « fides » ne désigne-t-il pas tour à tour l’une et l’autre sous la plume des écrivains sacrés ? j

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III – Les considérations précédentes auront peut-être paru trop abstraites. Il importait de nous y arrêter : nous en déduirons les qualités de la vraie confiance. La confiance, écrit le P. Saint-Jure, est « ferme, stable et constante, à un degré si éminent, que rien au monde ne peut, je ne dis pas la renverser, mais même l’ébranler6. » Imaginez les extrêmités les plus angoissantes dans l’ordre temporel, les difficultés les plus insurmontables dans l’ordre spirituel : elles n’altéreront pas la paix de l’âme confiante. Des catastrophes imprévues pourront amonceler autour d’elle les ruines de son bonheur, plus maîtresse d’elle-même que le sage antique, cette âme ne bronchera pas : « Impavidum ferient ruinae7. » Elle se tournera simplement vers Notre-Seigneur ; elle s’appuiera sur lui avec une assurance d’autant plus grande, qu’elle se sent plus privée de tout secours humain. Elle priera avec une ardeur plus vibrante, et dans les ténèbres de l’épreuve elle poursuivra sa course, attendant en silence l’heure de Dieu. Une telle confiance est rare, sans doute. Mais si elle n’atteint pas ce minimum de perfection, elle ne mérite pas le nom de confiance. On en trouve d’ailleurs de sublimes exemples dans les Écritures et dans la vie des saints. Frappé dans sa fortune, dans sa famille, dans sa chair, Job, réduit à la dernière indigence, gisait sur son fumier. Ses amis, sa femme même aiguisaient sa douleur par la cruauté de leurs paroles. Lui pourtant ne se laissait pas abattre ; aucun murmure ne se mêlait à ses gémissements. Il se soutenait par les pensées de la foi. « Quand le Sei20


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gneur m’ôterait la vie, disait-il, j’espèrerais encore en lui8. » — Confiance admirable, que Dieu récompensa magnifiquement. L’épreuve cessa. Job recouvra la santé ; il retrouvera une fortune plus considérable et une existence plus prospère qu’auparavant. Dans un voyage, saint Martin tomba entre les mains des voleurs. Ces bandits le dépouillèrent ; ils allaient le mettre à mort, quand soudain, touchés de repentir ou frappés d’une crainte mystérieuse, ils le délivrèrent contre toute espérance. On demanda plus tard à l’illustre évêque si, dans ce danger pressant, il n’avait pas ressenti quelque frayeur. — « Aucune, répondit-il : je savais l’intervention divine d’autant plus prochaine que sont plus éloignés les secours humains. » La plupart des chrétiens n’imitent malheureusement pas ces exemples. Jamais ils ne se tournent moins vers Dieu qu’au temps de l’épreuve. Beaucoup ne poussent pas ce cri d’appel que le Seigneur attend pour leur venir en aide. Négligence funeste. « La Providence, disait Louis de Grenade, se réserve de résoudre par elle-même les difficultés extraordinaires, qui se présentent dans la vie, tandis qu’elle laisse aux causes secondes le soin de trancher les difficultés ordinaires9. » Encore faut-il réclamer l’aide céleste. Cette aide, Dieu nous l’accorde avec joie. « Loin d’être à charge à la nourrice dont il suce le lait, l’enfant au contraire la soulage10. » — D’autres, aux heures difficiles, prient ardemment, mais sans constance. S’ils ne sont pas exaucés sur le champ, ils tombent d’une espérance exaltée dans un abattement déraisonnable. Ils ne connaissent pas les voies de 21


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la grâce. Dieu nous traite en enfants : il fait parfois le sourd pour le plaisir qu’il prend à nous entendre l’invoquer. Pourquoi se décourager si vite, quand il conviendrait surtout de prier avec plus d’instance ? Saint François de Sales n’enseigne pas une autre doctrine : « La Providence ne diffère son secours que pour provoquer notre confiance. Si notre Père céleste ne nous accorde pas toujours ce que nous demandons, c’est pour nous retenir auprès de lui et nous donner sujet de le presser par une amoureuse violence, ainsi qu’il le fit bien voir à ces deux pèlerins d’Emmaüs, avec lesquels il ne s’arrêta que sur la fin du jour et quand ils le forcèrent11. » j

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IV – Inébranlable fermeté, telle est donc le premier caractère de la confiance. La seconde qualité de cette vertu est encore plus parfaite. « Elle porte l’homme à faire peu d’état de tous les secours des créatures : soit des secours qu’il peut tirer de lui-même, de son esprit, de son jugement, de sa science, de son adresse, de ses richesses, de son crédit, de ses amis, de ses parents et de tout ce qu’il a ; soit des secours qu’il peut attendre des autres, des rois, des princes, et généralement de toutes les créatures, parce qu’il sent et connaît la faiblesse et la vanité de tous les secours humains créés. Il les regarde, comme ils sont en effet, et comme sainte Thérèse les appelait avec vérité, comme la tige sèche du génevrier qui rompt dès qu’on veut la charger12. » Cette théorie ne procède-t-elle pas d’un mysticisme faux ? Ne conduit-elle pas au fatalisme, ou tout au moins à 22


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une dangereuse passivité ? Pourquoi multiplier nos efforts pour surmonter nos difficultés, si tous les appuis doivent se briser sous nos mains ? Croisons donc les bras, en espérant l’intervention divine ! Non, Dieu ne veut pas que nous nous endormions dans l’inertie ; il exige que nous l’imitions. Sa très parfaite activité n’a pas de limites : il est l’acte pur. Nous devons donc agir ; mais nous devons attendre de Lui seul l’efficacité de notre action. Aide-toi, le Ciel t’aidera. Telle est l’économie du plan providentiel. A l'œuvre ! Travaillons de notre mieux, mais l’esprit et le cœur tournés en haut. « En vain, vous vous lèverez avant le jour13 » ; si le Seigneur n’y met pas la main, vous n’aboutirez pas. En effet, notre impuissance est radicale. « Sans moi vous ne pouvez rien faire14 », dit le Sauveur. Dans l’ordre surnaturel, cette impuissance est absolue. Ecoutez plutôt l’enseignement des théologiens. Sans la grâce, l’homme ne peut résister à toutes les tentations, si violentes parfois, qui l’assaillent. Sans la grâce l’homme ne peut pas observer, longtemps et dans leur ensemble, les commandements de Dieu. Sans la grâce, nous ne pouvons pas avoir une bonne pensée, faire la plus courte prière ; sans elle, nous ne pouvons même pas invoquer pieusement le Nom de Jésus. Ce que nous pouvons accomplir dans l’ordre surnaturel, nous vient uniquement de Dieu15. 23


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Dans l’ordre naturel même, c’est encore Dieu qui donne le succès. Saint Pierre avait travaillé toute la nuit. Il était dur à la peine ; il connaissait à fond les secrets de son rude métier. Cependant, il avait sillonné en vain les flots paisibles du lac : il n’avait rien pris. Mais il reçoit le Maître dans sa barque ; il lance ses filets au Nom du Sauveur : il fait alors une pêche miraculeuse et les mailles se rompent sous le nombre des poissons. A l’exemple de l’Apôtre, lançons nos filets avec une patience inlassable ; mais n’attendons que de NotreSeigneur une pêche merveilleuse. « Dans ce que vous avez à faire, disait saint Ignace de Loyola, voici la règle des règles à suivre : fiez-vous à Dieu, en agissant comme si le succès de chaque chose dépendait entièrement de vous et nullement de Dieu ; et cependant, en employant tous vos soins à la faire réussir, ne comptez pas plus sur eux que si Dieu seul devait tout faire et vous rien16. » j

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V – Ne pas se décourager quand se dissipe le mirage des espérances humaines, ne compter que sur l’aide du Ciel, n’est-ce pas déjà une haute vertu ? De son aile vigoureuse la vraie confiance s’élance cependant vers des régions encore plus sublimes. Elle y parvient par une sorte de raffinement dans l’héroïsme ; elle arrive enfin au plus haut degré de sa perfection. Ce degré « consiste à se réjouir quand on se voit dénué de tout secours humain, abandonné de ses parents, de 24


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ses amis et de toutes les créatures, qui ne veulent ou ne peuvent nous aider ; qui ne peuvent ni donner conseil, ni se servir de leur adresse et de leur crédit ; à qui il ne reste aucun moyen de venir à notre secours17. » Quelle profonde sagesse dénote une pareille joie dans des circonstances aussi cruelles ! Pour chanter le cantique de l’allégresse sous les coups qui devraient naturellement briser notre courage, il nous faut connaître à fond le Cœur de Notre-Seigneur ; il nous faut croire éperdument à sa pitié miséricordieuse et à sa toute-puissante bonté ; il nous faut avoir l’absolue certitude qu’il fixe pour ses interventions l’heure des situations désespérées. Après sa conversion, saint François d’Assise dédaigna les rêves de gloire, qui l’avaient ébloui quelque temps. Il fuyait les réunions mondaines ; il se retirait dans les bois pour s’y livrer longuement à l’oraison ; il faisait d’abondantes aumônes. Ce changement mécontenta le père du jeune Saint : il traîna son fils devant l’officialité diocésaine, lui reprochant de dissiper ses biens. Alors, en présence de l’évêque émerveillé, François renonça à l’héritage paternel ; il quitta jusqu’aux vêtements, qu’il tenait de sa famille ; il se dépouilla de tout. Puis frémissant d’un bonheur surhumain : « Maintenant, ô mon Dieu, s’écria-t-il, je pourrai vous appeler plus justement que jamais : Notre Père qui êtes aux Cieux. » Voilà comment agissaient les Saints. Âmes frappées par l’épreuve, pas de murmures, dans l’abandon universel où vous êtes réduites. Dieu ne vous demande pas une allégresse sensible, impossible à notre faiblesse. Ranimez seulement votre foi, reprenez courage, 25


Chapitre II

et selon l’expression chère à saint François de Sales, « à la fine pointe de l’esprit » efforcez-vous de vous réjouir. La Providence vient de vous donner le signe, à quoi l’on reconnaît son heure prochaine : elle vous a privées de tout soutien. C’est le moment de résister à l’inquiétude de la nature. Vous êtes arrivées à ce point de l’office intérieur, où l’on doit chanter le Magnificat et faire fumer l’encens. « Réjouissez-vous en Dieu ; je vous le répète, réjouissezvous : le Seigneur est tout près18. » Suivez ce conseil, vous vous en trouverez bien. Si le divin Maître ne se laissait pas toucher par une telle confiance, il ne serait plus celui que les Évangiles nous montrent compatissant, celui que la vue de nos souffrances secouait d’un frisson douloureux. Notre-Seigneur disait à une âme privilégiée : « Si je suis bon pour tous, je suis très bon pour ceux qui se confient en moi. Sais-tu quelles sont les âmes qui profitent le plus de ma bonté ? — Celles qui se confient davantage... Les âmes confiantes sont les voleuses de mes grâces19. » j

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Notes 1. Saint Thomas, 2-2, q.129, art. 6, ad 2. 2. Ps. CXVIII. 3. Saint-Jure, De la connaissance et de l’amour de Jésus-Christ, tome III, p.3. 4. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrais- je ? Le Seigneur est le rempart de ma vie : de qui aurais-je peur ? » Ps. XXVI, 1. 5. Pesch, Praelectiones dogmaticae, tome VII, p. 51, note 2. 6. Saint-Jure, De la connaissance et de l’amour de Jésus-Christ, tome III, p.3. 7. Horace, ode 3 du livre III. 8. Job XIII, 15. 9. Louis de Grenade, Premier sermon pour le deuxième dimanche après l’Épiphanie. 10.Idem. 11.Petits Bollandistes, tome XIV, p. 542. 12.Saint-Jure, De la connaissance et de l’amour de Jésus-Christ, tome III, p.3. 13.« C’est en vain que vous vous levez avant le jour ». Ps. CXXVI, 2. 14.« Séparés de moi, vous ne pouvez rien faire ». Jean XV, 5. 15.« Cette assurance, nous l’avons par le Christ en vue de Dieu ». II Cor. III, 4. 16.R. P. Xavier de Franciosi, L’esprit de saint Ignace, p. 5. 17.Saint-Jure, De la connaissance et de l’amour de Jésus-Christ, tome III, p.4. 18.« Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps ; je le répète, réjouissez-vous (...) le Seigneur est proche ». Philip. IV, 4 et 5. 19.Sœur Bénigne Consolata Ferrero, p. 95 et 96. Imprimerie Roudil, Lyon. Cette vie a paru, en 1920, avec l’imprimatur de l’Archevêché et les déclarations prescrites par les décrets d’Urbain VIII.

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Le Bon Pasteur « Je suis le bon pasteur ; le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, qui n’est pas le pasteur et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit-il venir le loup, il laisse les brebis et s’enfuit, et le loup s’en empare et les disperse. C’est qu’il est mercenaire et ne se soucie pas des brebis. « Je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis ». (Jean 10, 11-15).

Chapitre III La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles I. II. III. IV.

Dieu pourvoit à nos nécessités temporelles Il le fait conformément à la situation de chacun Ne pas s’inquiéter de l’avenir Chercher en premier lieu le royaume de Dieu et sa justice V. Prier pour nos besoins temporels. I – La confiance, nous l’avons vu, est une espérance héroïque : elle ne diffère de l’espérance commune à tous 29


Chapitre III

les fidèles que par son degré de perfection. Elle s’exerce par conséquent sur les mêmes objets que cette vertu, mais par des actes plus intenses et plus vibrants. Comme l’espérance ordinaire, la confiance attend du Père céleste tous les secours qui sont nécessaires pour vivre saintement ici-bas et mériter la béatitude du Paradis. Elle attend, en premier lieu, les biens temporels, dans la mesure où ils nous conduisent à notre fin dernière. Rien de plus logique. Nous n’allons pas à la conquête du Ciel à la façon des purs esprits : nous sommes composés d’un corps et d’une âme. Ce corps, que le Créateur a pétri de ses mains adorables, est l’inséparable compagnon de notre existence terrestre ; il le sera encore, après la résurrection générale, de notre sort éternel. Nous ne pouvons nous passer de son assistance dans notre lutte pour la vie bienheureuse. Or pour se soutenir, pour remplir pleinement sa tâche, notre corps a des exigences multiples. Ces exigences, il convient que la Providence les satisfasse : elle le fait magnifiquement. Dieu se charge de subvenir à nos nécessités temporelles ; il y pourvoit largement. Il nous suit d’un regard vigilant et ne nous laisse pas dans le besoin. Au sein même des difficultés matérielles les plus angoissantes, ne nous troublons donc pas. Avec une assurance tranquille attendons de la main divine ce qu’il nous faut pour l’entretien de notre vie. « Je vous le dis, déclare le Sauveur, ne vous demandez pas avec inquiétude comment vous procurer les aliments pour vous soutenir et les habits pour vous couvrir. 30


La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment point, ils ne moissonnent point, ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. N’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ? ... « Et pour le vêtement, pourquoi vous inquiétezvous ? Voyez comment croissent les lis des champs : ils ne travaillent pas ; ils ne filent pas. Cependant, je vous l’assure, Salomon même dans toute sa gloire n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu habille si magnifiquement l’herbe des champs, qui pousse aujourd’hui et demain sera jetée au feu, combien aura-t-il plus de soin de vous vêtir, hommes de peu de foi ! « Ne vous inquiétez donc point. Ne dites pas : Que mangerons- nous ? Que boirons-nous ? De quoi nous vêtirons-nous ? N’imitez pas les païens qui se préoccupent de cela. Votre Père sait que vous en avez besoin. « Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît1. » Il ne suffit pas de jeter en passant un coup d’œil sur ce discours de Notre-Seigneur. Il importe de s’y arrêter longuement pour en chercher la signification profonde et pour se pénétrer de sa doctrine. j

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II – Faut-il prendre ces paroles au pied de la lettre et les entendre dans leur sens le plus étroit ? Dieu nous 31


Chapitre III

donne-t-il seulement le strict nécessaire : le morceau de pain sec, le verre d’eau, le lambeau d’étoffe, dont notre misère ne peut se passer ? Non, le Père céleste ne traite pas ses enfants avec une avaricieuse parcimonie. Le croire serait blasphémer son infinie Bonté ; ce serait, si j’ose ainsi m’exprimer, méconnaître ses habitudes. Dans l’exercice de sa Providence comme dans son œuvre créatrice, il met, en effet, une sorte de prodigalité. Quand il lance les mondes à travers les espaces, il tire du néant des astres par milliers. Dans la voie lactée, cette plage immense des nuits lumineuses, chaque grain de sable n’est-il pas une étoile ? Quand il nourrit les oiseaux, il les invite à la table opulente de la Nature. Il leur offre le blé qui gonfle les épis, les graines de toutes sortes qui mûrissent sur les plantes ; les baies que l’automne fait rougir dans les bois, les semences que le laboureur confie au sillon. Quel menu varié à l’infini pour ces humbles bestioles ! Quand il crée les végétaux, il pare leurs fleurs de grâces légères. Il cisèle leurs corolles comme des joyaux précieux ; il verse dans leurs calices des parfums pénétrants ; il tisse leurs pétales d’une soie si éclatante et si délicate, que les artifices de l’art n’en égaleront jamais la beauté. Et quand il s’agit de l’homme, son chef-d’œuvre, le frère adoptif de son Verbe incarné, Dieu ne se montrerait pas d’une générosité plus libérale encore ? Envers nous seulement il deviendrait avare ! Assurément cela n’est pas possible. 32


La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

Tenons donc pour une vérité indiscutable que la Providence pourvoit largement aux besoins temporels des hommes. Sans doute il y aura toujours sur la terre des riches et des pauvres. Tandis que les uns vivent dans l’abondance, les autres doivent travailler et pratiquer une sage économie. Mais le Père céleste fournit à tous les moyens de vivre avec une certaine aisance, dans la condition où il les a placés. Revenons à la comparaison qu’emploie le Sauveur. Dieu a vêtu le lis de splendeur ; mais cette robe blanche et parfumée, la nature du lis la réclamait. Dieu a plus modestement habillé la violette ; il lui a donné cependant ce qui convenait à sa nature particulière. Et ces deux fleurs s’épanouissent paisiblement au soleil, sans manquer de rien. Ainsi Dieu fait-il pour les hommes. Il a placé ceux-ci dans les plus hautes classes de la société ; il a mis ceux-là dans une situation moins brillante ; aux uns comme aux autres il donne le nécessaire pour tenir dignement leur rang. Vous m’objecterez peut-être l’instabilité des conditions sociales. Dans la crise présente, n’est-il pas plus facile de déchoir que de s’élever et même que de se maintenir ? Sans doute. Mais la Providence proportionne exactement ses secours aux besoins de chacun : aux grands maux elle apporte les grands remèdes. Ce que nous enlèvent des catastrophes économiques, nous pouvons le regagner par notre industrie et notre travail. Dans les cas très rares où notre activité personnelle se trouve réduite à l’impuissance, nous avons le droit d’attendre d’en-haut une intervention exceptionnelle. 33


Chapitre III

Généralement, je le crois du moins, Dieu ne fait pas de déclassés. Il désire, au contraire, que nous nous développions, que nous croissions, que nous nous élevions sagement. Si parfois il permet une déchéance, il ne la veut pas d’une volonté antécédente à l’action de notre libre arbitre. Le plus souvent les amoindrissements sociaux proviennent de nos fautes, personnelles ou héréditaires. Ce sont des conséquences naturelles de la paresse, de la prodigalité, des passions. Encore l’homme ainsi tombé peut-il se relever et, avec l’aide de la Providence, reconquérir par ses efforts la situation perdue. j

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III – Dieu pourvoit à nos besoins. « Ne vous inquiétez donc pas », dit le Sauveur. Quel est le sens exact de ce conseil ? Devons-nous donc, pour obéir à la direction du Maître, négliger entièrement le soin de nos affaires temporelles ! — Que la grâce demande à certaines âmes la pauvreté stricte et un total abandon à la Providence, nous n’en doutons pas. Il faut constater cependant la rareté de telles vocations. Les autres, communautés religieuses ou individus, possèdent des biens : ils doivent les gérer convenablement. L’Esprit-Saint loue la femme forte d’avoir administré sagement sa maison. Il nous la montre, au livre des Proverbes, se levant de bonne heure, pour distribuer à ses domestiques leur tâche journalière, et travaillant elle-même de ses mains. Rien n’échappe à sa vigilance. Les siens n’ont rien à craindre : ils trouveront, grâce à sa prévoyance, le néces34


La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

saire, l’agréable et jusqu’au luxe modéré. Ses enfants l’ont proclamée bienheureuse et son mari chante ses vertus2. La Vérité même n’aurait pas loué si magnifiquement cette femme, si elle n’avait pas rempli son devoir. Ne pas s’inquiéter, c’est donc, tout en s’occupant raisonnablement de ses affaires, ne pas se laisser angoisser par les sombres perspectives de l’avenir et compter sans hésitation sur l’aide de la Providence. Ne nous y trompons pas : une telle confiance suppose une grande force d’âme. Il faut éviter un double écueil, le trop et le trop peu. Celui qui, par négligence, se désintéresse de ses affaires, ne peut, sans tenter Dieu, attendre du Ciel des secours exceptionnels. Celui qui donne aux soucis matériels le premier rang dans ses préoccupations, celui qui compte moins sur Dieu que sur lui-même, se trompe aussi, plus lourdement peut-être : il dérobe au Très Haut la place qui lui revient de droit dans notre vie. In medio stat virtus : entre ces deux extrêmes se tient le devoir. Quand on s’est occupé sagement de ses affaires, s’inquiéter de l’avenir, c’est méconnaître la Puissance et la Bonté de Dieu. Pendant les nombreuses années que saint Paul vécut au désert, un corbeau lui apportait chaque jour un demipain. Or il advint que saint Antoine rendit visite à l’illustre ermite. Les deux solitaires causèrent, oubliant le boire et le manger dans leurs pieuses conversations. Mais la Providence pensait à eux : le corbeau vint à son ordinaire ; il portait, cette fois, un pain entier. Le Père céleste a créé l’univers en se jouant : éprouverait-il quelque peine à secourir ses enfants dans leurs besoins ? 35


Chapitre III

Saint Camille de Lellis s’était endetté pour secourir ses malades pauvres. Ses religieux s’alarmaient. — « Il ne faut jamais douter de la Providence, leur disait le Saint pour les rassurer. Est-il si difficile à Notre-Seigneur de nous donner un peu de ces biens temporels, dont il a comblé les [païens], qui sont les ennemis de notre foi ?3 » La confiance de Camille ne fut pas trompée : un mois plus tard, un de ses protecteurs lui léguait en mourant une somme considérable. S’inquiéter de l’avenir, c’est une défiance qui offense Dieu et provoque son indignation. Quand les Hébreux, fuyant l’Egypte, se virent perdus au milieu des sables, ils oublièrent les miracles de Jéhovah en leur faveur. Ils craignirent, ils murmurèrent : « Dieu pourra-t-il nous préparer une table dans le désert ?... Pourra-t-il donner du pain à son peuple ? » Ces paroles irritèrent le Seigneur. Il lança contre eux le feu du ciel ; sa colère se déchaîna contre Israël, « parce qu’ils n’avaient pas eu foi en Dieu et qu’ils n’avaient pas espéré en son secours4. » Pas d’inquiétudes vaines : le Père veille sur nous. j

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IV – « Cherchez donc en premier lieu le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. » C’est ainsi que le Sauveur conclut son discours sur la Providence. Conclusion consolante, qui renferme une promesse conditionnelle : il ne tient qu’à nous d’en bénéficier. Le Seigneur s’occupera d’autant plus de nos intérêts, que nous nous occuperons davantage des siens. 36


La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

Là encore il convient de nous arrêter pour méditer les paroles du Maître. Une question se pose nécessairement : où se trouve ce royaume de Dieu, que nous devons chercher avant tout ? — « Il est en vous5 », répond l’Évangile. Regnum Dei intra vos est. Chercher le royaume de Dieu, c’est donc dresser à Dieu un trône dans notre âme : c’est nous soumettre entièrement à sa domination souveraine. Courbons toutes nos facultés sous le sceptre miséricordieux du Très-Haut. Que notre intelligence se rappelle sans cesse sa présence ; que notre volonté se conforme en toutes choses à sa volonté adorable ; que notre cœur s’élance fréquemment vers lui par des actes d’une charité ardente et sincère. Nous pratiquerons alors cette justice, qui dans le langage des Écritures, signifie la perfection de la vie intérieure. Nous suivrons alors à la lettre le conseil du Sauveur : nous chercherons le royaume de Dieu. Et le reste nous sera donné par surcroît. Il y a là une sorte de contrat bilatéral : de notre côté, nous devons travailler à la gloire du Père céleste ; de son côté, le Père s’engage à subvenir à nos besoins. « Jetez donc vos soucis dans le Cœur du Maître » ; exécutez le contrat qu’il vous propose : il tiendra sa parole ; il veillera sur vous et « il vous nourrira6. » — « Pense à moi, dit le Sauveur à sainte Catherine de Sienne, et je penserai à toi. » Et quelques siècles plus tard, dans le monastère de Paray, il promettait à sainte Marguerite-Marie de faire réussir dans leurs entreprises ceux qui se montreraient particulièrement dévôts à son Sacré-Cœur. 37


Chapitre III

Heureux le chrétien qui se conforme à cette maxime de l’Évangile ! Il cherche Dieu et Dieu prend ses affaires entre ses mains toutes puissantes : de quoi « pourrait-il manquer7 » ? Il pratique les vertus intérieures et solides ; et par le fait même il évite les désordres, les fautes, les vices, qui sont la cause la plus commune des insuccès et de la ruine. j

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V – La confiance, telle que nous venons de la décrire, ne nous dispense pas de la prière. Dans nos nécessités temporelles, il ne suffit pas d’attendre le secours de Dieu ; il faut encore le lui demander. Jésus-Christ nous a laissé, dans le Pater, un modèle parfait d’oraison. Or il nous y fait demander notre pain de chaque jour : panem nostrum quotidianum da nobis hodie. Ne négligeons-nous pas souvent ce grand devoir ? Quelle imprudence et quelle folie ! Nous nous privons ainsi par notre légèreté de la protection céleste, la seule souverainement efficace. Les Capucins, dit-on parfois, ne meurent jamais de faim, parce qu’ils récitent pieusement le Notre Père. Imitons-les et le Très-Haut ne nous laissera pas manquer du nécessaire. Nous devons donc demander notre pain quotidien. C’est une obligation, que nous imposent la foi et la charité envers nous-mêmes. Mais pouvons-nous hausser davantage nos prétentions et demander la richesse ? Rien ne s’y oppose, pourvu que notre prière s’inspire de motifs surnaturels et que nous restions soumis à la Volonté de Dieu. Le Seigneur ne nous défend pas de lui exprimer nos désirs ; il aime au contraire que nous agissions 38


La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

filialement avec lui. N’attendons pas cependant qu’il se plie à toutes nos fantaisies ; sa Bonté le lui défend. Il sait ce qui nous convient ; il ne nous accordera les biens de la Terre que s’ils doivent servir à notre sanctification. Abandonnons-nous donc entièrement à la conduite de la Providence et récitons la prière du Sage : « Ne me donnez ni la pauvreté ni la richesse. Donnez-moi seulement ce qui me sera nécessaire pour vivre ; de peur que rassasié je ne sois tenté de vous renoncer et de dire : Qui est le Seigneur ? Ou qu’étant contraint par l’indigence je me dérobe et que je ne blasphème le Nom de mon Dieu8. » j

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Notes 1. 2. 3. 4.

5. 6. 7. 8.

Math. VI, 25-26 et 28-33. Prov. XXI, 10-28 Petits Bollandistes, tome VIII, 18 juillet. « Dieu pourra-t-il dresser une table dans le désert ? (...) Pourra-t-il aussi nous donner du pain ou bien procurer de la viande a son peuple ? (...) Un feu s’alluma contre Jacob, et la colère s’éleva contre Israël, parce qu’ils n’avaient pas eu foi en Dieu et n’avaient pas espéré en son secours ». Ps. LXXVII, 19-22. Luc XVII, 21. Ps. LIV, 23. « Le Seigneur est mon pasteur ; je ne manquerai de rien ». Ps. XXII, 1. Prov. XXX, 8 et 9.

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Le Banquet chez Simon le Pharisien « Un Pharisien l’invita à manger avec lui ; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici une femme, qui dans la ville était une pécheresse. Ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Et se plaçant par derrière, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum. « (...) Puis il dit à la femme : “Tes péchés sont remis.” Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes: “Qui est-il celui-là qui va jusqu’à remettre les péchés?” « Mais il dit à la femme: “Ta foi t’a sauvée; va en paix”. » (Luc 7, 36-50)


Chapitre IV La confiance en Dieu et nos besoins spirituels

La confiance en Dieu et nos besoins spirituels I. La miséricorde de Notre-Seigneur pour les pécheurs II. La grâce peut nous sanctifier en un instant III. Dieu nous accorde tous les secours nécessaires pour nous sanctifier et nous sauver IV. La vue du Crucifix doit ranimer notre confiance. I – La Providence qui nourrit l’oiseau sur la branche, prend soin de nos corps. Qu’est-il cependant ce corps de misère ? Un être fragile, un condamné à mort que guettent les vers. Dans notre course folle nous croyons aller à nos affaires ou à nos plaisirs : chacun de nos pas nous rapproche du terme ; nous traînons nous-mêmes notre cadavre au bord de notre tombe. 43


Chapitre IV

Si Dieu s’occupe ainsi de nos corps périssables, avec quelle sollicitude veillera-t-il sur nos âmes immortelles ? Il leur prépare des trésors de grâce, dont la richesse dépasse notre imagination ; il leur envoie des secours surabondants pour leur sanctification et leur salut. Ces moyens de sanctification, que la foi met à notre disposition, je ne les étudierai pas ici. Je m’adresserai simplement aux âmes troublées, que l’on rencontre si souvent. Je leur montrerai, l’Évangile en main, l’inanité de leurs craintes. Ni la gravité de leurs fautes, ni la multiplicité de leurs rechutes, ni leurs tentations ne doivent les abattre. Bien au contraire, plus elles sentent le poids de leurs misères, plus elles ont à s’appuyer sur Dieu. Qu’elles ne perdent pas confiance. Quelle que soit l’horreur de leur état, quand même elles auraient vécu longtemps dans le désordre, avec le secours de la grâce elles peuvent se convertir et s’élever à une haute perfection. La Miséricorde de Notre-Seigneur est infinie : rien ne la rebute, pas même les fautes qui nous paraissent les plus honteuses et les plus criminelles. Pendant sa vie mortelle, le Maître accueillait les pécheurs avec une bonté toute divine ; jamais il ne leur refusa son pardon. Poussée par l’ardeur de son repentir, sans se préoccuper des convenances mondaines, Marie-Madeleine entre dans la salle du festin. Elle se prosterne aux pieds de Jésus et les inonde de ses larmes. Simon le pharisien contemple cette scène d’un œil ironique ; il s’indigne secrètement. « Si cet homme était un prophète, pense-t-il, il saurait ce que vaut cette femme et la chasserait avec mépris. » Mais le Sauveur ne la repousse pas. Il accepte ses soupirs, ses 44


La confiance en Dieu et nos besoins spirituels

pleurs, tous les signes sensibles de son humble contrition. Il la purifie de ses souillures et la comble de dons surnaturels. Et son Cœur Sacré s’emplit d’une joie immense, tandis que là-haut, dans le royaume de son Père, les Anges tressaillent d’allégresse : une âme était perdue et la voilà retrouvée ; une âme était morte et la voilà rendue à la vraie vie. Le Maître ne se contente pas de recevoir avec mansuétude les pauvres pécheurs ; il va jusqu’à prendre leur défense. N’est-ce pas d’ailleurs sa mission ? Ne s’est-il pas constitué « notre avocat1 » ? On lui amène un jour une malheureuse surprise dans l’acte même de sa faute. La dure loi de Moïse la condamne formellement : la coupable doit périr dans le lent supplice de la lapidation. Cependant les Scribes et les Pharisiens attendent impatiemment la sentence du Sauveur. S’il pardonne, ses ennemis lui reprocheront de mépriser les traditions d’Israël. Que va-t-il faire ? Il dira un seul mot ; cette parole suffira pour confondre les Pharisiens orgueilleux et pour sauver la pécheresse. — « Que celui d’entre vous qui est sans péché, lui jette le premier la pierre2. » Réponse pleine de sagesse et de miséricorde. En l’entendant, ces hommes arrogants rougissent de honte. L’un après l’autre ils se retirent confus ; les vieillards fuient les premiers. « Et Jésus demeura seul avec la femme. » « — Où sont vos accusateurs ? lui demanda-t-il. Personne ne vous a condamnée ? » 45


Chapitre IV

Elle lui dit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui répondit : « Je ne vous condamnerai pas non plus. Allez, et à l’avenir ne péchez plus3. » Quand les pécheurs ne viennent pas à lui, le Maître se lance à leur poursuite. Comme le père du prodigue, il attend le retour de l’ingrat. Comme le bon Pasteur, il cherche la brebis égarée ; et lorsqu’il la retrouve, il la charge sur ses épaules divines et la rapporte ensanglantée au bercail. Oh ! il n’irritera pas ses blessures : il les pansera, comme le Bon Samaritain, avec l’huile et le vin symboliques. Il versera sur ses plaies le baume de la Pénitence ; et pour la fortifier, il la fera boire dans sa coupe eucharistique. Âmes coupables, ne craignez donc pas le Sauveur : c’est pour vous spécialement qu’il est descendu sur la Terre. Ne répétez pas le cri de désespoir que poussa Caïn : « Mon crime est trop grand pour pouvoir en obtenir le pardon4. » Comme vous connaîtriez mal le Cœur de Jésus ! Jésus a purifié Madeleine, il a pardonné le triple reniement de saint Pierre, il a ouvert le ciel au bon larron. En vérité, je vous l’assure, si Judas avait été le trouver après son crime, Notre-Seigneur l’aurait accueilli avec miséricorde. Comment donc ne vous pardonnerait-il pas ? j

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II – Abîme de la faiblesse humaine, tyrannie des mauvaises habitudes ! Que de chrétiens reçoivent, au tribunal de la Pénitence, l’absolution de leurs fautes : leur contrition était sincère ; leurs résolutions énergiques. Et 46


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ils retombent dans les mêmes péchés, parfois très graves ; le nombre de leurs chutes s’accroît sans cesse. N’ont-ils pas, semble-t-il, de bonnes raisons de se décourager ? Que la constatation de notre misère nous maintienne dans l’humilité, rien de plus juste. Qu’elle nous fasse perdre notre confiance, ce serait une catastrophe, plus dangereuse que tant de rechutes. L’âme qui tombe, doit se relever au plus tôt. Qu’elle ne cesse pas d’implorer la pitié du Seigneur. Ne savezvous pas que Dieu a son heure et qu’il peut en un moment vous élever à une très sublime sainteté ? Marie-Madeleine n’avait-elle pas mené une vie criminelle ? Cependant la grâce l’a transformée instantanément. Sans transition, de pécheresse elle est devenue une grande sainte. Or le bras de Dieu ne s’est pas raccourci. Ce qu’il fait pour d’autres, il peut le faire pour vous. N’en doutez pas : votre prière confiante et persévérante obtiendra la guérison complète de votre âme. N’objectez pas que le temps passe et que déjà peutêtre votre vie touche à son terme. Notre-Seigneur n’a-t-il pas attendu l’agonie du bon larron pour l’attirer victorieusement à lui ? En une seule minute cet homme si coupable s’est converti. Sa foi et son amour ont été si grands, que, malgré ses crimes, il n’a pas passé par le purgatoire ; il occupe à jamais une place très élevée dans les Cieux.

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Que rien n’altère votre confiance. Du fond de l’abîme criez sans trêve vers le ciel. Dieu finira par répondre à votre appel et il accomplira son œuvre en vous. j

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III – Certaines âmes angoissées doutent de leur salut éternel. Elles se rappellent leurs fautes ; elles songent aux tentations si violentes qui nous assaillent parfois ; elles oublient la miséricordieuse Bonté de Dieu. Cette angoisse peut devenir une véritable tentation de désespoir. Dans sa jeunesse, saint François de Sales a connu cette épreuve : il tremblait de n’être pas prédestiné. Sa douleur était si violente, que sa santé s’altéra. Il passa plusieurs mois dans ce martyre intérieur. Une prière héroïque l’en délivra. Le saint se prosterna devant un autel de Marie : il supplia la Vierge Immaculée de lui faire aimer son Fils avec une charité d’autant plus ardente sur la Terre, qu’il craignait davantage de ne pas l’aimer dans l’éternité. Dans ce genre de souffrance, il est une vérité de foi qui doit nous consoler entièrement. On ne se damne que par le péché mortel. Or il est toujours en notre pouvoir de l’éviter ; et quand nous avons eu le malheur de le commettre, nous pouvons toujours nous réconcilier avec Dieu. Un acte de contrition parfaite nous purifiera sans délai, en attendant la confession obligatoire, qu’il convient de faire au plus tôt. Certes notre pauvre volonté humaine doit se défier de sa faiblesse. Mais le Sauveur ne nous refusera jamais les 48


La confiance en Dieu et nos besoins spirituels

grâces dont nous avons besoin. Il fera tout son possible pour nous aider dans l’affaire souverainement importante de notre salut. Voilà la grande vérité que Jésus-Christ a écrite de son Sang, et que nous allons relire ensemble dans l’histoire de sa Passion. Vous êtes-vous jamais demandé comment les Pharisiens ont pu s’emparer de Notre-Seigneur ? Croiriez-vous par hasard qu’ils y ont réussi par la ruse ou la force ? Penseriez-vous que, dans la grande tourmente, Jésus a été brisé parce qu’il était le plus faible ? Assurément non. Ses ennemis ne pouvaient rien contre lui. Plus d’une fois, pendant les trois années de sa prédication, ils ont cherché à le faire périr. A Nazareth, ils veulent le jeter dans un précipice ; à plusieurs reprises ils ramassent des pierres pour le lapider. Mais sa Sagesse divine déjoue les plans de leur colère ; sa Force souveraine retient leur bras ; et il se retire tranquillement, sans qu’on ait pu réussir à lui faire le moindre mal. A Gethsémani, quand il dit simplement son nom aux soldats du Temple qui viennent se saisir de sa Personne sacrée, toute cette troupe, frappée de terreur, tombe à la renverse. Ils ne peuvent se relever que sur sa permission. Si Jésus a été arrêté, s’il a été crucifié, s’il a été immolé, c’est qu’il l’a voulu dans la plénitude de sa liberté et de son amour pour nous. « Oblatus est, quia voluit5. » Si le Maître a répandu sans hésiter son Sang pour nous, s’il est mort pour nous, comment pourrait-il refuser 49


Chapitre IV

les grâces qui nous sont absolument nécessaires et qu’il nous a méritées par ses souffrances ? Ces grâces, pendant sa Passion douloureuse, il les a offertes miséricordieusement aux âmes les plus coupables. Deux de ses Apôtres avaient commis un crime énorme : à tous les deux il a offert son pardon. Judas le trahit et lui donne un hypocrite baiser. Jésus lui parle avec une douceur touchante ; il l’appelle « son ami » ; il tâche à force de tendresse de toucher ce cœur, endurci par l’avarice. « Mon ami, lui dit-il, pourquoi es-tu venu ? Judas, tu trahis le Fils de l’homme par un baiser ?6 » C’est la dernière grâce que le Maître fait à l’ingrat. C’est une grâce d’une telle force, que nous n’en comprendrons jamais toute l’intensité. Mais Judas la repousse : il se damne, parce qu’il l’a bien voulu. Pierre qui se croyait si fort, Pierre qui avait juré de suivre le Maître jusqu’à la mort, l’abandonne, quand il le voit entre les mains des soldats. Il ne le suit plus que de loin. Il entre en tremblant dans la cour du Grand Prêtre. Par trois fois il renie le Sauveur, parce qu’il a peur des railleries d’une servante. Il atteste par serment qu’il ne connaît pas « cet homme ». Et le coq chanta. Jésus se retourna et leva sur son Apôtre des yeux pleins de miséricordieux reproches. Et leurs regards se rencontrèrent. C’était la grâce, une grâce foudroyante, que ce regard apportait à Pierre. L’Apôtre ne la repoussa pas : il sortit aussitôt et pleura amèrement. Comme à Judas, comme à Pierre, Jésus nous offre ses grâces de repentir et de conversion. Nous pouvons les accepter ou les refuser : nous sommes libres. C’est à nous de 50


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décider entre le bien et le mal, entre le Ciel et l’Enfer. Notre salut est entre nos mains. Le Sauveur fait plus que de nous offrir ses grâces : il intercède pour nous auprès de son Père. Il lui rappelle les souffrances qu’il a endurées pour notre Rédemption. Il prend notre défense devant lui ; il excuse nos fautes : « Mon Père, s’écrie-t-il dans les affres de son agonie, mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font7. » Le Maître, pendant sa Passion, avait un si grand désir de nous sauver, qu’il ne cessa pas un instant de penser à chacun de nous. Au Calvaire, il porte sur les pécheurs ses derniers regards ; il prononce en faveur du bon larron une de ses dernières paroles. Il étend largement ses bras sur sa Croix, pour marquer avec quel amour il accueille nos repentirs sur son Cœur adorable. j

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IV – Si jamais dans vos luttes intimes vous sentez faiblir votre confiance, méditez les passages de l’Évangile que je viens de vous indiquer. Jetez un long regard sur votre Crucifix. Contemplez cette Croix ignominieuse, sur laquelle expire le Sauveur. Regardez sa pauvre tête couronnée d’épines, qui retombe inerte sur sa poitrine. Regardez ses yeux éteints, sa face livide où le Sang précieux se coagule. Regardez ses pieds et ses mains percés, son corps déchiré. Regardez son Cœur adorable, que vient d’ouvrir la lance 51


Chapitre IV

du soldat : il en est sorti quelques gouttes d’eau ensanglantée. Il vous a tout donné ! Comment vous défier de lui ? Mais il attend que vous le payiez de retour. Au nom de son amour, au nom de son martyre, au nom de sa mort, prenez la résolution d’éviter désormais le péché mortel. Votre faiblesse est grande, mais il vous aidera. Malgré votre bonne volonté, vous aurez peut-être des chutes et des rechutes ; mais il est miséricordieux. Ce qu’il vous demande, c’est de ne pas vous endormir dans le péché, de ne pas croupir dans de mauvaises habitudes. Promettezlui de vous confesser sans retard et de ne jamais passer la nuit avec un péché mortel sur votre conscience. Heureux, si vous tenez courageusement cette sainte résolution ! Jésus n’aura pas vainement répandu pour vous son Sang précieux. Vous pourrez vous rassurer sur vos dispositions intérieures. Vous aurez le droit d’envisager avec sérénité l’effroyable problème de la prédestination : vous porterez sur votre front le signe des élus.

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Notes 1. « Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le Juste ». I Jean II, 1. 2. Jean VIII, 7. 3. Jean VIII, 9- 11. 4. Gen. IV, 13. 5. Is. LIII, 7. 6. Math. XXVI, 50 et Luc XXII, 48. 7. Luc XXIII, 34.

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L’Annonciation « “Sois sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus (...). Mais Marie dit à l’ange : “Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ?” « L’ange lui répondit : “L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. (...) Marie dit alors : “Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole!” Et l’ange la quitta ». (Luc 1, 26-38)

Chapitre V Les fondements de la confiance

Les fondements de la confiance I. L’incarnation du Verbe II. La puissance de Notre-Seigneur III. Sa bonté. I – La maison du sage est bâtie sur le roc : ni les inondations, ni les pluies, ni les tempêtes ne la renverseront. 55


Chapitre V

Pour que l’édifice de notre confiance résiste à toutes les épreuves, il faut l’élever sur des assises inébranlables. « Vous voulez savoir, dit saint François de Sales, quel fondement doit avoir notre confiance. Il faut qu’elle soit fondée sur l’infinie Bonté de Dieu et sur les mérites de la Mort et de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec cette condition de notre part, que nous ayons et connaissions en nous une entière et ferme résolution d’être tout à Dieu, et de nous abandonner du tout et sans aucune réserve à sa Providence1. » Nos raisons d’espérer sont trop nombreuses pour que nous puissions les énumérer toutes. Nous examinerons seulement ici celles que nous fournissent l’Incarnation du Verbe et la Personne sacrée du Sauveur. Aussi bien le Christ est-il la « pierre angulaire2 », où doit s’appuyer principalement notre vie intérieure. Quelle confiance nous inspirerait le mystère de l’Incarnation, si nous nous efforcions de l’étudier d’une manière un peu moins superficielle ! Qui est-il donc cet enfant qui vagit dans la crèche, cet adolescent qui travaille dans l’atelier de Nazareth, cet orateur qui enthousiasme les foules, ce thaumaturge qui fait d’innombrables prodiges, cette victime innocente qui meurt sur la Croix ? C’est le Fils du Très-Haut, éternel et Dieu comme son Père ; c’est l’Emmanuel, si longtemps attendu ; c’est celui que le prophète appelle « l’Admirable, le Dieu fort, le Prince de la Paix3. » Mais Jésus, nous l’oublions trop souvent, est encore « notre propriété ». Dans toute la rigueur de ce terme, il nous appartient ; il est à nous ; nous avons sur lui des droits 56


Les fondements de la confiance

imprescriptibles, car son Père nous l’a donné. L’Écriture l’affirme : « Le Fils de Dieu nous a été donné4. » Et saint Jean, dans son Évangile, dit à son tour : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique5. » Or si le Christ nous appartient, les mérites infinis de ses travaux, de ses souffrances et de sa mort nous appartiennent aussi. Alors comment pourrions-nous nous décourager ? En nous livrant son Fils, le Père nous a livré la plénitude de tous les biens. Sachons exploiter largement ce trésor précieux. Adressons-nous donc au Ciel avec une sainte audace ; et au nom de ce Sauveur qui est à nous, demandons sans hésiter les grâces que nous désirons. Demandons pour nous les faveurs temporelles et surtout les secours de la grâce ; pour notre pays, la paix et la prospérité ; pour l’Église, le calme et la liberté. Une telle prière sera certainement exaucée. En agissant ainsi, ne faisons-nous pas un marché avec Dieu ? En échange des biens que nous désirons, nous lui offrons son Fils unique. Dans ce marché, Dieu ne sera pas dupe : nous lui donnerons infiniment plus que nous ne recevrons de lui. Cette prière, si nous la faisons avec la foi qui transporte les montagnes, sera tellement efficace, qu’elle obtiendra, si nécessaire, même les prodiges les plus éclatants. j

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II – Le Verbe Incarné, qui s’est donné à nous, possède un pouvoir sans limites. Il nous apparaît, dans les Évangiles, comme le Maître suprême de la terre, des dé57


Chapitre V

mons et de la vie surnaturelle : tout est soumis à sa domination souveraine. Il y a pour nous, dans cette puissance du Sauveur, un autre motif très assuré de confiance. Rien ne peut empêcher Notre-Seigneur de nous secourir et de nous protéger. Jésus commande aux forces de la nature. — Au début de son ministère apostolique, il assiste aux noces de Cana. Or au cours du repas, le vin vient à manquer. Quelle confusion pour les pauvres gens, qui ont invité le Maître avec sa Mère et ses disciples ! La Vierge Marie s’aperçoit du malheur : elle est toujours la première à voir nos besoins et à les soulager. Elle jette sur son Fils un regard implorant ; elle lui murmure à voix basse une courte prière. Elle connaît son pouvoir et son amour. Et Jésus qui ne sait rien lui refuser, change l’eau en vin. Ce fut son premier miracle. Un soir, pour éviter la foule qui l’assaille, il traverse en barque avec ses disciples le lac de Génézareth. Tandis qu’ils naviguent, le vent se lève, l’orage éclate, les flots se gonflent, les vagues déferlent en hurlant. L’eau ruisselle sur le pont : le navire va sombrer. Mais Lui, fatigué par son dur travail, il dort à la poupe, sa tête divine appuyée sur les cordages. Les disciples effrayés le réveillent en criant : « Maître, Maître, sauvez-nous ; nous périssons !6 » Alors le Sauveur se lève ; il menace le vent ; il dit à la mer : « Silence, apaise-toi. » Aussitôt il se fit un grand calme. Les témoins de cette scène se demandaient avec stupeur : « Quel est donc cet homme à qui obéissent la mer et les vents ? » Jésus guérit les malades. — Des aveugles s’approchent de lui à tâtons ; ils lui crient leur détresse : « Fils de 58


Les fondements de la confiance

David, ayez pitié de nous !7 » Le Maître touche leurs yeux, et ce contact divin les ouvre à la lumière. On lui amène un sourd-muet en le priant de lui imposer les mains. Le Sauveur exauce ce désir ; et la langue de cet homme se délie, ses oreilles entendent. Sur sa route il rencontre, un jour, dix lépreux. Dans la société humaine, le lépreux est un exilé : on le chasse des agglomérations ; on évite son contact par crainte de la contagion ; on se détourne avec dégoût de sa pourriture. Ces dix malheureux n’osaient pas approcher de NotreSeigneur ; ils se tenaient à l’écart. Mais rassemblant le peu de force que leur laissait la maladie, ils lui criaient de loin : « Maître, prenez-nous en pitié ! » Jésus qui devait être sur la Croix le grand lépreux, lui qui devait être dans son Eucharistie le grand délaissé, il s’émut de leur misère. – « Allez vous montrer aux prêtres »8, leur dit-il. Et tandis qu’ils cheminaient pour exécuter son ordre, ils furent guéris. Jésus ressuscite les morts. Il en rend trois à la vie. Et par le plus merveilleux de tous les prodiges, après être mort dans les ignominies du Golgotha, après avoir été mis au tombeau, il se ressuscite lui-même à l’aube du troisième jour. C’est ainsi qu’il nous ressuscitera à la fin des temps. Il nous rendra transformés, mais toujours ressemblants à eux-mêmes dans leur gloire, ceux que nous aimions et que nous avons perdus. Il séchera nos larmes pour l’éternité. Alors il n’y aura plus ni pleurs, ni absence, ni deuils, parce que le temps de notre misère aura pris fin. Jésus commande à l’Enfer. — Pendant les trois années de sa vie publique, il rencontre des possédés. il parle aux démons sur le ton de l’autorité souveraine ; il leur 59


Chapitre V

donne des ordres impérieux, et les démons s’enfuient à sa voix en confessant sa divinité. Jésus est le Maître de la vie surnaturelle. — Il ressuscite les âmes mortes et leur rend la grâce qu’elles avaient perdue. Pour prouver qu’il possède réellement ce pouvoir divin, il guérit un paralytique. — « Quel est le plus facile, demande-t-il aux scribes qui l’entourent, quel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit et retourne à ta maison9. » Il était bon de méditer longuement sur la puissance du Sauveur. Lorsqu’il s’agit de notre bien, jamais le Maître n’hésite à mettre son pouvoir divin au service de son amour pour nous. j

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III – C’est que Notre-Seigneur est adorablement bon : son cœur ne peut pas voir souffrir sans être déchiré. Cette pitié lui a fait accomplir quelques-uns de ses plus grands miracles spontanément, avant d’avoir reçu aucune prière. La foule le suit à travers les montagnes désertes de la Palestine ; pendant trois jours elle oublie pour l’entendre de boire et de manger. Mais le Maître appelle les Apôtres : « Voyez ces pauvres gens, leur dit-il ; je ne puis les renvoyer ainsi : ils tomberaient en défaillance sur la route. J’ai pitié de cette foule10. » — Et il multiplie les pains qui restaient à ses disciples. 60


Les fondements de la confiance

Une autre fois, il se rendait dans la petite ville de Naïm, escorté d’une troupe nombreuse. Presque aux portes de la cité, il rencontra un cortège funèbre. C’était un jeune homme que l’on portait à sa dernière demeure : il était fils unique et sa mère était veuve. Sans espoir désormais, n’attendant plus rien de la vie, la pauvre femme suivait lamentablement le corps de son enfant. La vue de cette douleur muette bouleversa le Maître : il fut ému de miséricorde. « Pauvre affligée, lui dit-il, ne pleurez plus11. » Et il s’approcha de la civière où gisait le cadavre ; et il rendit le jeune homme vivant à sa mère. Âmes meurtries par l’épreuve ; consciences troublées par le doute peut-être, peut-être aussi par le remords ; cœurs brisés par la trahison ou par les deuils ; vous qui souffrez, croyez-vous que Jésus n’ait pas pitié de vos douleurs ? Vous ne comprendriez rien à son immense Amour. Il connaît vos misères ; il les voit et son Cœur en est touché. C’est sur vous qu’il jette aujourd’hui son cri de compassion ; c’est à vous qu’il redit, comme à la veuve de Naïm : « Ne pleurez plus, je suis la Résignation ; je suis la Paix ; je suis la Résurrection et la Vie ! » Cette confiance, que devrait nous inspirer naturellement sa Bonté, Notre-Seigneur nous la réclame explicitement. Il la pose comme une condition essentielle à ses faveurs. Nous le voyons, dans l’Évangile, en exiger des actes formels avant d’accomplir certains miracles. Pourquoi lui, si tendre, se montre-t-il en apparence si dur envers la Chananéenne qui lui demande la guérison de sa fille ? Il la repousse à plusieurs reprises ; mais rien ne la rebute. Elle multiplie ses supplications touchantes ; rien 61


Chapitre V

n’arrête son inébranlable confiance. C’est précisément ce que veut le Sauveur : « O femme, s’écrie-t-il avec une admiration joyeuse, comme ta confiance est grande ! » Et il ajoute : « Qu’il te soit fait selon ta volonté12. » La confiance obtient la réalisation de nos désirs : NotreSeigneur lui-même nous l’affirme. Étrange aberration de l’intelligence humaine. Nous croyons aux miracles de l’Évangile, puisque nous sommes des catholiques convaincus ; nous croyons que Notre- Seigneur n’a rien perdu de sa Puissance en montant aux Cieux ; nous croyons à sa Bonté, que prouve sa vie tout entière... et nous ne savons pas nous abandonner à la confiance. Nous connaissons très mal le Cœur de Jésus. Nous nous obstinons à le juger d’après nos faibles cœurs : on dirait vraiment que nous voudrions réduire son immensité aux mesquines proportions des nôtres. Nous avons de la peine à admettre son incroyable Miséricorde envers les pécheurs, parce que nous sommes vindicatifs et lents à pardonner. Nous comparons sa tendresse infinie à nos petites affections. Nous ne comprenons rien à ce feu dévorant qui faisait de ce Cœur un immense brasier d’amour, à cette passion sainte pour les hommes qui le dominait tout entier, à cette charité folle qui le poussa des abaissements de la crèche au sacrifice du Golgotha. Et nous ne pouvons pas dire avec l’apôtre saint Jean, dans la plénitude de notre foi : « Nous croyons à son Amour !13 » O Maître adorable, nous voulons désormais nous abandonner entièrement à votre amoureuse conduite. Nous vous confions le soin de notre avenir matériel. Nous ignorons ce que nous réserve cet avenir, chargé de 62


Les fondements de la confiance

menaces. Mais nous nous mettons entre les mains de votre Providence. Nous vous confions nos peines. Elles sont bien cruelles parfois. Mais vous êtes là pour les adoucir. Nous vous confions nos misères morales. Notre faiblesse nous fait craindre toutes les défaillances. Mais vous nous soutiendrez et nous préserverez des chutes. Comme votre Apôtre préféré qui reposait sa tête sur votre poitrine, nous nous reposerons sur votre Cœur divin ; et selon la parole du Psalmiste, nous nous y endormirons dans une paix délicieuse, parce que vous nous avez établis, ô Jésus, dans une inaltérable confiance. j

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Notes 1. Les vrais entretiens spirituels. Ed. d’Annecy, t. VI, p.30. 2. Cf. Act. IV, 11. 3. Is. IX, 6. 4. Is. IX, 6. 5. Jean III, 16. 6. Math. VIII, 25. 7. Math. IX, 27. 8. Lc. XVII, 13-14. 9. Marc II, 9-11. 10.Marc VIII, 2. 11.« Ne pleurez pas ». Luc VII, 13. 12.Math. XV, 28. 13.I Jean IV, 16.

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L’Enfant-Jésus au Temple « Et il advint, au bout de trois jours, qu'ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant; et tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. « A sa vue, ils furent saisis d’émotion, et sa mère lui dit : “Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi, nous te cherchons, angoissés”. Et il leur dit : “Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ?” » (Luc 2, 40-52)

Chapitre VI Les fruits de la confiance

Les fruits de la confiance I. II. III. IV. V.

La confiance glorifie Dieu Elle attire sur les âmes des faveurs exceptionnelles La prière confiante obtient tout Exemple des saints Conclusion de l’ouvrage

I – Le plus magnifique éloge qu’on puisse faire de la confiance, consiste à en montrer les fruits : ce sera le sujet 65


Chapitre VI

de ce dernier chapitre. Puissent les considérations suivantes encourager les âmes inquiètes à vaincre enfin leur pusillanimité et à pratiquer parfaitement cette précieuse vertu ! La confiance n’évolue pas dans les sphères plus humbles des vertus morales ; elle s’élance d’un bond jusqu’au trône de l’Eternel, jusqu’au cœur même du Père céleste. Elle rend un excellent hommage à ses Perfections infinies ; à sa Bonté, parce qu’elle n’attend que de lui les secours nécessaires ; à sa Puissance, parce qu’elle dédaigne toute autre force que la sienne ; à sa Science parce qu’elle reconnaît la sagesse de ses interventions souveraines ; à sa Fidélité, parce qu’elle compte sans hésitation sur la parole divine. Elle participe donc à la fois de la louange et de l’adoration. Or il n’y a pas, dans les manifestations de la vie religieuse, d’actes plus élevés que ceux-là : ce sont les actes sublimes, à quoi s’occupent au Ciel les Esprits bienheureux. Les Séraphins se voilent la face de leurs ailes en présence du Très-Haut, et les choeurs angéliques lui répètent éperdument leur triple acclamation. La confiance résume, dans une lumineuse et très douce synthèse, les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Aussi le prophète, ébloui par l’éclat de cette vertu, se sent-il incapable de contenir son admiration et il s’écrie dans son enthousiasme : « Béni l’homme qui se confie en Dieu !1 » 66


Les fruits de la confiance

Mais par contre, l’âme défiante outrage le Seigneur. Elle doute de sa Providence, de sa Bonté, de son Amour. Elle va chercher le secours des créatures ; parfois même de nos jours, elle se livre à des pratiques superstitieuses. La malheureuse s’appuie sur des soutiens fragiles : ils se briseront sous son poids et la blesseront cruellement. Et Dieu s’irrite d’une pareille offense. Il est raconté, au quatrième livre des Rois, qu’Ochozias, tombé malade, envoya consulter les prêtres des idoles. Jéhovah s’en irrita ; il chargea le prophète Élie de terribles menaces contre le souverain : « N’y a-t-il pas un Dieu en Israël, pour que vous consultiez Béelzébub, le dieu d’Accaron ? C’est pour cela que vous ne vous relèverez pas du lit où vous êtes, mais vous mourrez très certainement2. » Le chrétien défiant de la Bonté divine, qui accroche son espoir aux créatures, ne mérite-t-il pas le même reproche ? Ne s’expose-t-il pas à de justes châtiments ? La Providence ne veille-t-elle pas sur lui, pour qu’il s’adresse follement à des êtres débiles, incapables de lui venir en aide ? j

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II – « Ne perdez pas votre confiance, dit l’apôtre saint Paul ; car elle mérite une grande récompense3. » Cette vertu procure en effet, une telle gloire à Dieu, qu’elle attire nécessairement sur les âmes des faveurs exceptionnelles. Le Seigneur a déclaré plus d’une fois dans les Écritures avec quelle généreuse magnificence il traite les cœurs confiants : 67


Chapitre VI

« Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai ; je le protégerai, parce qu’il a connu mon Nom. Il criera vers moi et je l’exaucerai. Je serai avec lui dans ses tribulation ; je l’en tirerai et le glorifierai4. » Quelles promesses pacifiantes, dans la bouche de Celui qui punit toute parole inutile et qui condamne la plus légère exagération! Ainsi donc, au témoignage de la Vérité même, la confiance écarte de nous tous les maux. « Parce que vous avez choisi le Très-Haut pour votre refuge, le mal ne viendra pas jusqu’à vous et les fléaux n’approcheront point de votre tente. Car il a commandé à ses Anges de vous garder dans toutes vos voies : ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre. Vous marcherez sur l’aspic et le basilic ; et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon5 ». Parmi les maux dont nous préserve la confiance, il faut en première ligne placer le péché. Rien de plus conforme d’ailleurs à la nature des choses. L’âme confiante connaît son propre néant comme celui des créatures ; c’est pour cela qu’elle ne compte ni sur elle-même, ni sur les hommes et qu’elle met en Dieu tout son espoir. Elle se défie de sa misère ; elle pratique par conséquent la véritable humilité. — Or ne savez-vous pas que « l’orgueil est le principe de toutes nos fautes6 », « le commencement de la ruine7. » Le Seigneur se détourne du superbe ; il l’abandonne à sa faiblesse et le laisse tomber. La chute de saint Pierre en est un exemple terrible. 68


Les fruits de la confiance

Dans les desseins miséricordieux de sa Sagesse, Dieu permettra peut-être que l’épreuve frappe pour un temps l’âme confiante : rien cependant ne l’ébranlera ; elle demeurera immobile et ferme « comme la montagne de Sion8 ». Elle conservera « la joie au fond de son cœur9 » et, malgré le fracas de l’orage, elle s’endormira « en paix, comme un enfant, dans les bras du Père.10 » Elle se laissera porter jusqu’au terme bienheureux de son voyage ; car Dieu sauve « ceux qui espèrent en lui.11 » Mais ce ne sont là que faveurs purement négatives. Dieu comble de ses bienfaits les plus positifs l’homme qui se confie en lui. Ecoutez avec quelle ample poésie le prophète expose cette vérité : « Heureux l’homme qui met sa confiance au Seigneur, et dont le Seigneur est l’espérance. Il sera semblable à un arbre transplanté au bord des eaux, qui plonge ses racines dans le sol humide : il ne craindra point, quand viendra la chaleur. Sa feuille sera toujours verte ; il ne sera pas en peine au temps de la sécheresse et ne cessera jamais de porter du fruit12. » Pour faire ressortir par un contraste saisissant la paix radieuse de ce tableau, contemplez le sort lamentable de celui qui compte sur les créatures : « Maudit l’homme qui met sa confiance en l’homme, qui s’appuie sur la chair et dont le cœur se retire du Seigneur. Il sera semblable au tamaris du désert, ... il demeurera dans la sécheresse, dans une terre salée et inhabitable13. » j

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Chapitre VI

III – Enfin, ce n’est pas la moindre de ses prérogatives, la confiance est toujours exaucée. On ne saurait trop le répéter : la prière confiante obtient tout. Avec une insistance très accentuée, les Écritures nous recommandent de ranimer notre foi, quand nous présentons à Dieu nos humbles requêtes, « tout ce que vous demanderez avec foi dans votre prière, vous le recevrez14 », déclare le Sauveur. L’apôtre saint Jacques tient le même langage : il veut que nous demandions « avec foi, sans hésiter. Celui qui doute, ressemble aux flots inconstants de la mer : dans cette disposition qu’il ne prétende pas être exaucé15 ». Or de quelle foi s’agit-il dans les textes précédents ? — Non pas de la foi habituelle, que le baptême infuse dans nos âmes ; mais bien de cette confiance spéciale, qui nous fait attendre fermement l’intervention providentielle dans une circonstance donnée. Notre-Seigneur le dit explicitement dans l’Évangile : « Quoi que ce soit que vous demandiez dans la prière, croyez que vous l’obtiendrez ; et cela vous sera accordé16 ». — Le Maître ne pouvait pas désigner plus clairement la confiance. Nous pouvons avoir une foi très vive et douter cependant que Dieu veuille accueillir favorablement telle de nos demandes. Avons-nous la certitude, par exemple, que l’objet de notre désir convienne à notre vrai bien ? Nous hésitons donc. Cette simple hésitation, remarque un théologien, diminue l’efficacité de notre prière17. D’autres fois, au contraire, notre assurance se fortifie au point de chasser complètement le doute et l’hésitation. 70


Les fruits de la confiance

Nous sommes tellement certains d’être exaucés, qu’il nous semble déjà tenir en main la grâce sollicitée. « En considération d’une confiance si parfaite, écrit le R. P. Pesch, Dieu nous fait parfois des faveurs, qu’il ne nous aurait pas faites sans cela. En effet, le bien que nous lui demandions, ne nous était pas nécessaire ; ou encore ce bien ne réalisait pas les conditions requises, pour que Dieu fût tenu à nous l’accorder en vertu de ses promesses18 ». Le plus souvent, d’ailleurs, cette assurance intérieure est l’œuvre de la grâce en nous. « Aussi, conclut le même auteur, une confiance singulière d’obtenir telle ou telle grâce, est une sorte de promesse spéciale, que Dieu nous a fait de nous l’accorder19 ». Un mot de saint Thomas résumera cette courte discussion. « La prière, dit le Docteur Angélique, tire son mérite de la charité ; mais son efficacité impétratoire lui vient de la foi et de la confiance20 ». j

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IV – Les saints priaient avec cette confiance ; et Dieu se montrait à leur égard d’une infinie largesse. L’abbé Sisoïs, comme le rapporte la vie des Pères, priait pour un de ses disciples, qu’avait abattu la violence de la tentation. « Que vous le vouliez ou non, disait-il à Dieu, je ne vous quitterai pas que vous ne l’ayez guéri ! » Et l’âme du pauvre frère retrouva la grâce et la sérénité21. Notre-Seigneur daigna révéler à sainte Gertrude que sa confiance faisait une telle violence à son Cœur Sacré, qu’il ne pouvait s’empêcher de la favoriser en toutes cho71


Chapitre VI

ses. Et il ajoutait qu’en agissant ainsi il satisfaisait aux exigences de sa Bonté et de son Amour pour elle. Une amie de la même sainte priait depuis quelque temps sans rien obtenir. « J’ai différé de t’accorder ce que tu me demandais, lui dit le Sauveur, parce que tu ne te confies point en ma Bonté comme ma fidèle Gertrude. Aussi je ne lui refuserai jamais rien de ce qu’elle me demandera22. » Enfin voici, au témoignage du bienheureux Raymond de Capoue, son confesseur, comment priait sainte Catherine de Sienne : « Seigneur, disait-elle, je ne quitterai pas vos pieds, votre présence, tant que votre Bonté ne m’aura pas accordé ce que je désire, tant qu’il ne vous plaira pas de faire ce que je veux. » « Seigneur, poursuivait-elle, je veux que vous me promettiez la vie éternelle, pour tous ceux que j’aime. » Puis avec une admirable hardiesse, elle tendait la main vers le Tabernacle. « Seigneur, ajoutait-elle, mettez votre main dans la mienne. Oui, donnez-moi une preuve que vous m’accorderez ce que je vous demande. » Que ces exemples nous invitent à nous replier sur nous-mêmes ; examinons un peu notre conscience. Posonsnous, avec un pieux auteur, la question suivante : « Mettons-nous dans nos prières une confiance extrême, quelque chose de cet absolutisme de l’enfant qui sollicite de sa mère un objet auquel il tient ; l’absolutisme de ces petits mendiants qui nous poursuivent et à force 72


Les fruits de la confiance

d’importunité sont exaucés ; surtout l’absolutisme à la fois si respectueux et si confiant des saints dans leurs demandes23. » j

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V – Une conclusion se dégage naturellement, impérieusement, de cette courte étude. Âmes chrétiennes, employez tous les moyens en votre pouvoir pour acquérir la confiance. Méditez beaucoup sur le Pouvoir infini de Dieu, sur son immense Amour, sur son inviolable Fidélité à tenir ses promesses, sur la Passion de Notre-Seigneur. Mais ne vous cantonnez pas indéfiniment dans la spéculation. De la réflexion, passez à l’action. Faites très souvent des actes de confiance ; que chacune de vos occupations vous soit une occasion de les renouveler. C’est surtout aux heures de difficultés et d’épreuve, qu’il faudra les multiplier. Répétez fréquemment l’invocation si touchante : « Cœur Sacré de Jésus, j’ai confiance en vous ! » Notre-Seigneur disait à une âme privilégiée : « La seule petite prière : Je me fie à vous, me ravit le Cœur parce qu’en elle sont compris la confiance, la foi, l’amour et l’humilité24. » Ne redoutez pas d’exagérer dans la pratique de cette vertu. « Il ne faut jamais craindre, en supposant cependant que l’on mène une bonne vie, il ne faut jamais craindre d’avoir une trop grande confiance. Car de même que Dieu, à raison de sa véracité infinie, mérite une croyance en 73


Chapitre VI

quelque sorte infinie ; de même, à raison de sa puissance, de sa bonté, de l’infaillibilité de ses promesses, perfections qui ne sont pas moins infinies que sa véracité, il mérite une confiance infinie25. » N’épargnez donc pas les efforts. Les fruits de la confiance sont assez précieux pour que vous peiniez à les cueillir. Et si jamais vous veniez à vous plaindre de n’avoir pas retiré les merveilleux avantages que vous vous promettiez, je vous répondrais avec saint Jean Chrysostome : « Vous dites : J’ai espéré et j’ai été confondu. Étranges paroles. Ne blasphémez pas les Écritures. Vous avez été confondu parce que vous n’avez pas espéré comme il convenait ; parce que vous vous êtes découragé ; parce que vous n’avez pas attendu la fin de l’épreuve ; parce que vous avez été pusillanime. La confiance consiste surtout à se redresser, dans la souffrance et le péril, et à lever son cœur vers Dieu26. j

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Les fruits de la confiance

Notes 1. Jer. XVII, 7. 2. II Rois 1, 6. 3. Hébr. X, 35. 4. Ps. XC, 14 et 15. 5. Ps. XC, 9-13. 6. Eccl. X, 13. 7. Prov. XVI, 18. 8. Ps. CXXIV, 1. 9. Ps. IV, 7. 10.Ps. IV, 9 et 10. 11.Ps. XVI, 7. 12.Jérém. XVII, 7 et 8. 13.Jérém. XVII, 5 et 6. 14.Math. XXI, 22. 15.Jac. I, 6 et 7. 16.Marc XI, 24. 17.Pesch, Praelectiones dogmaticae, t. IX, p. 166. 18.Pesch, ibid. 19.Pesch, ibid. 20.Somme théol., q. LXXXIII, art. 15, ad 3. 21.Vita Patrum, lib. VI. 22.Saint-Jure, Delaconnaissanceetdel’amourdeJésus-Christ,t.III,p.27. 23.Sauvé, Jésus intime, t. II, p. 428. 24.Sœur Bénigne Consolata Ferrero. cf. la note 19 du chapitre II. 25.Saint-Jure,Delaconnaissanceetdel’amourdeJésus-Christ,t.III,p.6. 26.Saint Jean Chrysostome. In Ps. CXVII. j

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Table des Matières Chapitre I : Confiance ! I. II. III. IV. V.

9

Notre-Seigneur nous invite à la confiance Beaucoup d’âmes ont peur de Dieu D’autres manquent de foi Cette défiance leur est préjudiciable But et division de l’ouvrage

9 10 11 12 14

Chapitre II : Nature et qualité de la confiance

17

I. II. III. IV. V.

17 18 19 22

La confiance est une ferme espérance Elle est fortifiée par la foi La confiance est inébranlable Elle ne compte que sur Dieu Elle se réjouit dans la privation des secours humains

24

Chapitre III : La confiance en Dieu et nos nécessités temporelles

29

I. Dieu pourvoit à nos nécessités temporelles II. Il le fait conformément à la situation de chacun III. Ne pas s’inquiéter de l’avenir

29 31 34 77


IV. Chercher en premier lieu le royaume de Dieu et sa justice

36

V. Prier pour nos besoins temporels

38

Chapitre IV : La Confiance en Dieu et nos besoins spirituels

41

I.

La miséricorde de Notre-Seigneur pour les pécheurs

41

II. La grâce peut nous sanctifier en un instant

44

III. Dieu nous accorde tous les secours nécessaires pour nous sanctifier et nous sauver

46

IV. La vue du Crucifix doit ranimer notre confiance

49

Chapitre V : Les fondements de la confiance

53

I.

53

L’Incarnation du Verbe

II. La Puissance de Notre-Seigneur

55

III. Sa Bonté

58

Chapitre VI : Les fruits de la confiance

63

I.

63

La confiance glorifie Dieu

II. Elle attire sur les âmes des faveurs exceptionnelles 65

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III. La prière confiante obtient tout

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IV. Exemple des saints

69

V. Conclusion de l’ouvrage

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