Construire en terre crue aujourd hui Vers un dĂŠveloppement local et durable
Ecrit par : Nicolas Berenbach Seminaire : Enveloppes - Zero Energie (DE4) Directeur de Memoire : Mario Poirier Encadre par : David Serero Remis le : 8 FĂŠvrier 2018
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Avant-propos Mon intérêt pour la construction en terre crue a commencé lorsque j’ai dû chercher un sujet pour mon rapport de licence. À l’époque, comme aujourd’hui encore, j’étais intéressé par trouver une alternative à ce qui peut être fait aujourd’hui dans le monde de la construction. Trouver d’autres manières de concevoir, de construire, trouver d’autres matériaux, ne pas dupliquer un même modèle partout, etc... Je me suis penché plus précisément sur le sujet du pisé à la suite de la conférence à laquelle j’ai assisté sur la terre crue organisé par l’association Bellastock. Dans ce mémoire, j’ai agrandi mon champ d’étude et je vais m’intéresser aux différentes techniques que l’on peut trouver en France. Cela me permet de prendre en compte plus de régions et de contextes car le pisé est la technique de terre crue la plus coûteuse et n’est pas appliquée dans toutes les régions de France. On ne cherche pas à travers ce mémoire à prôner un « tout terre ». Le but est qu’au niveau local on prenne un matériau qui soit local. Que celui-ci puisse être utilisé pour construire de manière adéquate par rapport au lieu et aux manières de vivre locales mais aussi vis-à-vis du milieu et du climat. « Certes, l’architecture de terre ne peut pas et ne doit pas être considérée comme une solution miraculeuse ou passe-partout. Nos sociétés ont suffisamment souffert des illusoires promesses successives du « tout charbon », du « tout pétrole », du « tout électrique », puis du « tout nucléaire » pour ne pas adopter ces schématismes redoutables et inadaptés aux réalités. Un quelconque « tout terre » serait tout aussi absurde. Il apparait pourtant que la construction en terre est dès maintenant appelée à de nouvelles destinées. » (Centre de Création Industrielle; Centre George Pompidou, 1981, p. 15) 3
Introduction Aujourd’hui notre société est face à une crise écologique : réchauffement de la planète, destruction de la faune et de la flore, raréfaction des matières premières, etc... En Europe, les secteurs de la construction et du développement urbain sont une grande source de pollution en termes de déchets et de consommation d’énergie : ils représentent à eux seuls environ 40% de la consommation totale d’énergie et de la production de déchets (McDonough & Braungart, 2011). En France, en 2008, les déchets produits par le secteur de la construction et du bâtiment correspondaient à près de ¾ de la totalité des déchets produits1. Pour la construction aujourd’hui on utilise des matières premières qui viennent de loin, que ce soit d’une autre région, voire d’un autre pays ou même que ce soit de l’autre bout du monde. On utilise des matériaux qui émettent énormément d’énergie grise pour leur fabrication ou qui ne sont pas recyclables. Dans les dernières décennies, nous avons réalisé que nous ne pouvions pas continuer à vivre dans un système linéaire où l’on extrait, produit et détruit sans perspective du devenir de cette matière. La question de durabilité est également devenue centrale dans le débat public et dans le livre Cradle to Cradle, William McDonough et Michael Braungart posent le postulat suivant : « Toute durabilité est locale ». Si l’on souhaite lier les questions de matérialité et de durabilité, il nous faut un matériau qui puisse fonctionner dans un système circulaire mais qui permette aussi d’instaurer une durabilité locale. On connaît et on parle de plusieurs matériaux qui pourraient répondre à ces problématiques. L’un d’entre eux est disponible localement, quasiment partout et se trouve directement sous nos pieds : La terre. Ce matériau est pertinent aujourd’hui car il permet de répondre aux problématiques de la localité du matériau, de la recyclabilité, de la fabrication et la mise en œuvre peu énergivore, etc... Les constructions en terre crue sont réputées pour les nombreuses qualités de confort de 1 Le secteur du bâtiment et de la construction on produit 254.5 tonnes de déchets en 2008 dont plus de 90% de déchets inertes (terres, gravats, béton, etc.) http://www. statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/326/1097/dechets-secteur-construction.html
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vie qu’elles peuvent offrir, entre autres au niveau de l’hygrométrie, de l’inertie thermique mais aussi de la qualité de l’air. Si on met souvent en avant la terre crue pour des raisons en lien avec le réchauffement climatique, la faible quantité d’énergie nécessaire à sa transformation et donc la faible émission de CO2, on en parle moins souvent pour sa disponibilité locale et en très large quantité. Aujourd’hui un matériau qui refait surface dans les pays développés alors que depuis près de 10 000 ans que les hommes bâtissent des villes, la terre crue a été et demeure, à travers les traditions historiques populaires l’un des principaux matériaux de construction utilisés sur notre planète. C’est ainsi que plus d’un tiers des habitants du globe vit aujourd’hui dans des habitats en terre (Houben & Guillaud, 2006). Souvent marque de traditions et cultures des régions, on en trouve encore d’anciens exemples qui tiennent toujours debout que ce soient des bâtiments seuls ou même des villes entières2. La mise en œuvre de la terre crue se décline en diverses techniques qui permettent de répondre à divers besoins constructifs. Ainsi on peut utiliser la terre pour du gros œuvre ou simplement du second œuvre. La terre nous entoure et peut se trouver partout et donc théoriquement, on peut construire avec un matériau qui vient de là où l’on construit. Bien entendu en fonction de la technique de mise en œuvre souhaitée, la composition de la terre utilisée va être différente en termes de part d’argile, sable, gravier, etc. Si l’on part sur la base que « toute durabilité est locale » (McDonough & Braungart, 2011) alors il faut définir le local. Selon Magnaghi, le local est « l’espace physique – milieu des vivants – et les multiples modalités de son investissement par les humains » (Magnaghi, 2003). Dans son livre, Le Projet Local, il en arrive à la conclusion que la société dans laquelle nous vivons amène à être déraciné du local, que socialement nous ne sommes plus attachés au lieu. La matière terre, matière locale dans de nombreux cas, peut-elle être une piste pour répondre à cette problématique ? La question est de savoir ce 2 À titre d'exemple : la Muraille de Chine, la ville de Ghardaïa dans la vallée du M'Zab (XIème siècle), une grande partie du patrimoine architectural de Lyon (certains bâtiments datent du XVIIIème siècle).
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que peut apporter la matière terre au local par son utilisation dans la construction, pour faire de l’architecture ? Peut-elle ramener quelque chose de perdu par la globalisation ? De quelle manière est-ce que construire en terre crue aujourd’hui peut amener à un développement durable au niveau local ? Tout d’abord, nous verrons comment, historiquement, la terre est liée au local et pourquoi certains acteurs veulent sortir la terre de l’oubli et la remettre en avant. Les acteurs de la filière terre d’aujourd’hui ne sont pas tous les mêmes qu’il y a 40 ans et cela a une influence sur comment évolue cette filière. Puis nous nous intéresserons à comment la terre s’inscrit dans une logique circulaire de proximité, comment le cycle de vie de la terre reste local et peut, en théorie, être un cycle sans fin et différent à chaque fois. Enfin, nous verrons les différents aspects sociaux auxquels construire en terre apporte une réponse, avec le développement local des acteurs, que ce soient les professionnels, pour la construction et le développement économique, mais aussi les habitants, qu’ils aient un lien avec ce qui est construit.
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Méthodologie Le sujet de la terre crue étant un sujet d’actualité. C’est un domaine dans lequel on expérimente et on fait des recherches. Il y a des découvertes qui ont été faites et des projets innovateurs qui ont été mis en place dans les derniers mois. Il a donc été important pour moi de voir un certain nombre de conférence ou de faire des entretiens avec des acteurs de la filière terre crue1. J’ai donc pu avoir des informations des informations les plus à jour possibles sur divers projets passés, en cours ou futurs. J’ai également consulté des mémoires fait dans les dernières années par d’autres étudiants abordant le sujet de la terre. Cela m’a permis d’avoir des perspectives d’approches différentes sur le sujet. J’ai également pu y trouver parfois des informations synthétisées sur des sujets que j’aborde dans mon mémoire. Pour ce qui est des faits plus théoriques j’ai pu étudier des livres sur divers sujets qui s’entrecroisent : la terre crue bien sûr à propos des techniques, de la mise en œuvre, etc. mais également l’économie circulaire et le local.
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Hugo Gasnier, Antoine Aubinais, Paul-Emmanuel Loiret & Serge Joly
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Contents Avant-propos
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Introduction
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Méthodologie
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1. Un materiau d’hier reactualise 1.1. Historiquement local 1.2. Faire connaître 1.3. Une filière en changement
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2. Passer d’un système linéaire à un système circulaire avec la matière
2.1. Cycle de vie 2.2. Des stocks locaux 2.3. Recyclage 2.4. Réutilisation
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3. Vers une durabilité sociale 3.1. S'identifier au local 3.2. Développement des acteurs locaux 3.3. Logements pour tous
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Conclusion
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Glossaire
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Bibliographie
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Annexe
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1. Un materiau d’hier reactualise
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1.1. Historiquement local « L’architecte ne cherche point de ces choses qu’il n’est possible de trouver, ni de se procurer qu’à grands frais » (Vitruve, pp. Livre I, Chapitre 2)
Historiquement, les matières utilisées pour construire étaient cherchées au plus proches voire localement. Cela a induit des techniques locales qui étaient adaptées au type de terre que l’on trouvait à proximité. La terre est une ressource présente localement et en grande quantité sur la vaste majorité du territoire français1. Seulement, la terre qui est directement sous nos pieds n’est pas utilisable car c’est de la terre végétale et est trop riche en matière organique. La présence de matière organique n’offrirait pas un matériau solide dans le temps et favoriserait le développement de plante. Il faut 1 Figure 1 - Sur la carte on remarque que la plus grande partie du territoire est majoritairement de la terre qui est utilisable pour construire. De plus les zones majoritairement rocheuses peuvent aussi avoir dans les horizons supérieurs de la terre adéquat à la construction en terre.
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Figure 1 : Zone ne disposant théoriquement pas de terre pour construire (basé sur des données de : INRA, Base de données Géographique des Sols de France à 1/1 000 000, 1998) 12
Figure 2 : Techniques majoritaires de terre crue par régions et textures des horizons supérieurs (source : INRA, Base de données Géographique des Sols de France à 1/1 000 000, 1998) 13
donc enlever cette couche de terre végétal jusqu’à atteindre une terre plus minérale. La terre que l'on utilise pour construire est composée d'éléments minéraux qui sont caractérisés par leur taille. On a donc du plus gros au plus fin : les cailloux, les graviers, les sables, les silts ou limons et enfin les argiles (Houben & Guillaud, 2006, p. 35). Un des éléments importants dans la composition de la terre sont les particules d’argile car ce sont elles qui donnent une cohésion à l'ensemble. Il faut au minimum 10 % d'argile pour donner une cohésion à la matière. Audelà de 40% d'argile, la terre est considérée comme argileuse et donc trop plastique (Houben & Guillaud, 2006, p. 31). Les diverses techniques constructives en terre crue sont déjà utilisées depuis plusieurs siècles en France. Aujourd’hui, 15% de l’ensemble du patrimoine architectural français est une architecture de terre crue (Fontaine & Anger, 2009, p. 37). La terre utilisée pour construire est la terre locale. On peut remarquer en regardant une carte de France2 que l’on trouve des techniques spécifiques à une ou plusieurs régions qui correspondent aux types de terres que l’on trouve dans ces mêmes régions. Les régions où il y a un patrimoine de terre crue ont souvent une prédominance d’une des techniques constructives. Par exemple la région Rhône-Alpes présente surtout du pisé et en Bretagne on trouve surtout la bauge3. Souvent dans les différentes régions, les méthodes de mise en œuvre utilisées sont également adaptées à la météo locale ce qui donne pour résultat des architectures vernaculaire. Un autre point qu’il est important de préciser est que l’on ne va pas trouver des terres adaptées à la construction en terre crue partout en France, certaines régions disposent d’un sous-sol trop sableux, trop silteux ou alors ne disposent pas de terre minérale entre la terre végétale et la roche mère. Dans les deux premiers cas, il est possible de modifier la terre en changeant les proportions des différents éléments qui composent cette terre pour que celle-ci soit adéquate pour construire. Nous 2 Figure 2 – On remarque qu'il peut y avoir une relation entre la technique de mise en œuvre utilisée et la texture de la terre. Par exemple la bauge est faite en majorité avec de la terre limoneuse ou équilibrée. 3 Pour faire de la bauge il faut une terre "grasse" de préférence que l'on peut trouver dans les abords des marais. C'est une terre qui est plutôt limoneuse qu'argileuse car sinon il y aurait un retrait trop important. En Bretagne due à une forte présence de marais il y a donc la terre adéquate à la mise en œuvre de bauge (Houben & Guillaud, 2006, p. 176)
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Figure 3 : Les différents horizons de la terre (Gauzin-Muller, 2016)
Figure 4 : différents éléments composants la terre
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développerons cet aspect dans la deuxième partie du mémoire. En fonction de la région où est construit le bâtiment, il faut tout d'abord déterminer si construire en terre est le choix le plus logique. Si l'on a une autre ressource plus simple d'accès ou mieux adaptée au contexte local alors construire en terre n'est pas un choix logique. Dans le cas où construire en terre est justifié, alors il va falloir prendre en compte plusieurs paramètres pour déterminer la technique avec laquelle construire. Premier paramètre à prendre en compte : la terre elle-même, sa composition (graviers, sables, etc.) car la méthode de mise en œuvre4 ne sera pas la même en fonction de ce pour quoi on l'utilise -mur porteur, remplissage de mur, finitions de mur, sol ou plafond - ne sera pas la même. Comme nous l’avons vu plus haut, les techniques de mise en œuvre changent en fonction des régions car la terre locale/régionale est différente. On peut toutefois changer la composition de la terre en rajoutant les éléments voulus pour adapter la terre à une autre mise en œuvre. « On dit que pour une maison en terre, il faut un bon chapeau et de bonnes bottes » (Idir Kaddour & Dahli, 2015, p. 13)
Un autre paramètre à prendre en compte est le climat et donc les températures et la météorologie. Il faut faire attention à ce que la terre soit protégée de l’eau et de l’humidité venant du haut et du bas. En fonction des climats régionaux, les bâtiments devront être plus ou moins protégés des intempéries. Par exemple, plus la météo sera pluvieuse, plus il sera important d'avoir un soubassement haut et un débord de toit important5. En fonction de la région où l’on construisait, il était également possible que la terre soit combinée avec un autre matériau. Le plus souvent, 4 5
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Voir Annexe 5 Voir Figure 5
Figure 5 : Taille du soubassement et du débord en fonction de la météo – données : (Houben & Guillaud, 2006) 17
on peut trouver la combinaison de la terre avec le bois, le bois faisant office de structure et la terre de remplissage. Ces techniques souvent bien ancrées dans les sociétés et les traditions locales vont être abandonnées après la 2nd Guerre Mondiale. Il y a plusieurs raisons pour cela. Cela est tout d'abord dû à une perte de savoir-faire car une partie importante des artisans sachants sont morts sur le front. Deuxièmement, les techniques de terre crue vont faire place à des techniques industrielles plus rapides à mettre en œuvre6. Suite aux crises énergétiques et économiques des années 70, il y a une relance de l'intérêt pour les techniques de terre crue dans les années 80.
6 https://fr.wikipedia.org/wiki/Terre_crue#Histoire_de_la_construction_en_terre_ crue
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1.2. Faire connaître Malgré la création de CRAterre1 en 1979, le sujet de la terre crue n’a pas été très développé avant les 10 dernières années, mis à part lors de la première exposition sur la terre crue de 1981 au centre Georges Pompidou « Des architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire » qui connait à l’époque un fort succès. Mais à part l’exposition « Ma Terre Première, pour Construire Demain » en 2010, il n’y a pas vraiment eu d’évènements d’une telle ampleur qui soit reconduit à ce jour2 (Cité de l'Architecture et du Patriomoine, 2018). Dans les 10 dernières années, on a pu voir que les évènements sur le sujet sont devenus très nombreux, que ce soit des expositions, des conférences ou encore des workshops3. En 2010, l’exposition « Ma Terre Première, pour Construire Demain » a été présentée à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris. Cette exposition, qui a été itinérante sur une période de 4 ans, est passée par 4 autres lieux en France : le Vaisseau à Strasbourg, le Forum 1 2 3
Centre de Recherche et d’Application en Terre – voir Annexe 7 Témoignage du responsable des expositions d'architecture à Beaubourg Voir Tableau 1 et voir Annexe 5 pour avoir la liste des évènements détaillés
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10 8 6 4 2 0 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Tableau 1 : Nombre d'évènement important en lien avec la terre crue (exposition, conférence, etc.) 20
Départemental des sciences de Villeneuve d’Ascq, l’EPCC du Pont du Gard et finalement le Musée des Confluences à Lyon. Cette exposition a permis de lier une approche théorique de la matière avec les textes et les images mais possédait également une partie qui proposait de manipuler la matière directement. Elle a été faite en collaboration directe avec CRAterre – ENSAG qui fêtait, lors du début de celle-ci, ses 30 ans et permettait d’atteindre un public non professionnel. « Des architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire » et « Ma Terre Première, pour Construire Demain » sont jusqu'à aujourd'hui encore, les deux seules expositions avec autant d'ampleur au niveau du nombre de visite et de la portée médiatique4. À partir de 2016 le nombre d’événements liés au sujet de la construction en terre crue devient bien plus important que les quelques années précédentes. Pour commencer, Lyon, la ville avec la plus forte concentration de bâtiment en terre crue en Europe reçoit le 12ème Congrès Mondial sur les Architectures de Terres. La ville va accueillir des événements et des conférences qui seront organisés en lien avec l’évènement annuel « Lyon 2016, Capitale de la Terre » piloté par CRAterre et avec de nombreuses collaborations dont AsTerre5, Amàco6 et l’ENSAG7. Mais il y a également de nombreux autres évènements qui sont organisés dans la région au fil de l’année en rapport avec le thème de la terre crue. Il y aura également l’exposition « Ma Terre Première, pour Construire Demain » qui sera à nouveau exposée au Musée des Confluences pour une deuxième édition. À cette occasion a également lieu la cérémonie de la première remise des prix pour les « Terra Awards » qui est le premier prix pour les architectures en terre crue. Ce prix sera par la suite quelque peu décrié pour la part importante de projet utilisant du 4 Le Centre George Pompidou et la Cité de Science et de l'Industrie sont tous deux des institutions connu et largement fréquenté (respectivement 3.3 et 2.2 millions de visiteurs soit 3ème et 5ème au niveau national) - https://fr.statista.com/statistiques/474596/billets-musee-public-national-ile-de-france/ et https://www.vousnousils. fr/2017/01/04/frequentation-la-cite-des-sciences-et-le-palais-de-la-decouverte-remontent-la-pente-598067 5 Association Terre – voir Annexe 7 6 Atelier Matière À Construire – voir Annexe 7 7 École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble
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stabilisant8 dans la terre crue. Cette même année au pavillon de l’Arsenal à Paris, l’exposition « Terre de Paris » voit le jour. Organisée par l’agence d’architecture Joly & Loiret en coopération avec CRAterre et Amàco, elle vise à sensibiliser les visiteurs sur le fait que d’énormes quantités de terre crue sont disponibles à l’utilisation en région parisienne, cette terre étant les « déchets » de nombreux chantier de la ville de Paris et de la région parisienne depuis un certain nombre d’année et plus récemment de tous les déblais nécessaires pour les chantiers du Grand Paris. Elle nous montre que les terres de Paris sont exploitables en partie comme matériau de construction et peuvent donc être utilisées pour construire une partie du nouveau parc immobilier (ENSAG, 2017). À travers ces divers évènements, les acteurs ont cherché à communiquer à divers publics. Il y a tout d’abord le grand public et donc les potentiels utilisateurs des futures constructions en terre, que ce soit à la fois les adultes mais également les enfants avec des évènements plus ciblés sur ces derniers. Nous avons ensuite les professionnels qui vont également être mis au courant à travers certaines des conférences et des expositions comme celle du Pavillon de l’Arsenal ou de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. L’ordre des architectes va aussi en faire la communication9 sur son site. Les étudiants en architecture quant à eux, futurs professionnels, en plus de ce auquel les professionnels ont accès, seront informés par la présence de certaines possibilités dans leur cursus, tel que le DSA10 Architecture de Terre à l’ENSAG ou un groupe de projet spécifique à la construction de pierre et de terre dans le cycle de Master à l’ENSAPVS11. Une partie de la démarche est de faire mieux connaître la terre crue mais également de montrer que l’on peut vivre dans des construc8 Le stabilisant le plus communément utilisé est le ciment. L’utilisation de ciment dans la fabrication d’un matériau va figer la matière et modifier les caractéristiques techniques et physiques de celui-ci. On aura donc une matière qui ne sera plus celle de la terre originale. 9 Article : Terres Contemporaines : Tour de France du renouveau de l’architecture en terre crue ! Sur : https://www.architectes.org/actualites 10 Diplôme Supérieur d'Architecture 11 École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris Val-de-Seine
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tions en terre crue et que cela peut également offrir une qualité de vie supérieure à l’utilisateur. Elle permet également de créer un lien entre ce que l’on connaît (la terre en tant que matière inerte) et ce qui pourrait former le lieu de vie (en tant que matériau de construction). Il faut accepter que le matériau ne vieillisse pas comme le feraient les matériaux industriels, transformés pour pouvoir résister aux intempéries et à l’épreuve du temps. Des matériaux qui ne sont pas figés, des matériaux qui sont vivants. Mais avant tout, les différents acteurs, durant les divers évènements vont mettre en avant le fait que la terre est disponible sous nos pieds. Dans le cadre de l’exposition « Ma Terre Première, pour construire demain » citée plus haut, le livre « Bâtir en terre - du Grain de Sable à l'Architecture » est publié comme catalogue de l’exposition. Dans celui-ci l’exemple de la muraille de Chine est utilisé montrant que la muraille est construite en fonction du milieu qu’elle traverse et donc des matériaux que l’on a sous les pieds. Dans le cadre de l’exposition « Terre de Paris », il sera de même mis en avant que, en utilisant la terre, nous utilisons de la matière qui est considérée comme un déchet. Ces déchets sont ceux créés par l’excavation de terre à la fois dans le cadre des chantiers de la région parisienne, mais également, dans les dernières années et dans celles à venir, dans le cadre des chantiers du Grand Paris. Il n’y a donc pas besoin d’aller chercher une matière première à l’autre bout du monde pour construire ici, alors que l’on pourrait utiliser des matières dont personne ne veut et dont on ne sait quoi faire. Tous ces évènements qui visent à faire connaître la terre comme matériau de construction au plus grand nombre, particuliers comme professionnels, sont souvent portés par les mêmes personnes et associations. Ils vont mettre en avant plusieurs points dont la localité de la matière, le peu d'énergie nécessaire à la transformation et la possibilité de recycler des matières considérées comme déchets. Les acteurs derrière ces évènements font partie des changements que traverse la filière terre en ce moment.
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1.3. Une filière en changement La plupart des évènements et des publications des 3 dernières décennies, dont ceux cités plus haut, est liée directement ou indirectement à un nouveau type d’acteur dans la filière terre crue : les chercheurs et les scientifiques. Bien sûr, il y a également des architectes ou des praticiens qui ont coopéré mais la présence de ces derniers est moins récurrente. Depuis la création du CRAterre en 1979, la filière terre crue a évolué en France à travers la création d’autres organismes ou associations regroupant les divers acteurs de la filière terre en France. Il y a entre autres, AsTerre en 2006 ou Amàco en 2012. La première rassemble les différents corps professionnels qui travaillent dans le domaine de l’architecture de terre. Ce rassemblement permet d’avoir des discussions sur la filière, les questionnements qui se posent vis-à-vis de son développement, etc. lors des diverses assises qui vont d’abord être au niveau de la scène française puis s’étendre au niveau européen. Lors de ces rencontres, il y a eu par le passé environ 300 professionnels, ce qui montre l’importance de l’association. Amàco est plutôt une as24
sociation organisée autour de la collaboration entre chercheurs, enseignants, professionnels de la construction, dans les domaines de l'architecture, l'ingénierie, l'art et le design1. C’est également un centre de formation pour les professionnels ou des personnes extérieures à la filière terre qui souhaitent apprendre au sujet de la construction en terre mais aussi en paille ou mixte terre paille2. On remarque qu’à travers ces associations, les diverses techniques de construction en terre sont rassemblées, ce qui permet de donner plus d’importance à la construction en terre crue en général et non seulement à la construction en bauge ou en pisé. Ce rassemblement permet d’avoir une voix plus forte auprès des institutions nationales ou européennes voire internationales et d’être vu et entendu par plus de personne concernée directement ou non par la construction en terre. La mise en commun des savoirs détenus par chacun permet de faire évoluer les diverses techniques au niveau national et d’améliorer le savoir général sur la construction en terre crue en général. Les dialogues permettent non seulement de discuter sur ce qui est, mais aussi de voir quelle est la direction générale à prendre, vers quoi devrait se tourner le développement futur des diverses techniques de mise en œuvre ou la recherche. La terre crue comme matière va permettre de réunir de nombreux acteurs. Mais concernant certaines problématiques autour des diverses mises en œuvre et leur évolution, il arrive qu'il y ait des divergences d'opinions. Au sein de l’ensemble de ces associations, on va remarquer la présence principale de deux groupes. Tout d’abord les acteurs prônant une utilisation de la terre de manière assez proche de ce qui s’est fait pendant les dernières décennies voir les derniers siècles, c’est-à-dire une approche plus naturelle et artisanale de la chose. Même si la mécanisation de certaines étapes est acceptée, ce qui doit être évité est l’industrialisation des procédés et la délocalisation de la production du matériau. De ce côté on ne veut pas perdre ce côté qui fait qu’un artisan fait un travail d’artisan, ne pas 1 Voir Annexe 7 2 http://www.amaco.org
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perdre le côté humain de la chose. « Les produits faits à la main nous plaisent parce qu’ils expriment l’humeur de l’artisan » (Fathy, 1996, p. 63) et cela se perd en partie quand l’on mécanise de manière trop importante la mise en œuvre. Il n’y a pas de refus l’innovation qui permet de rendre les tâches moins fatigantes et réduit la pénibilité du travail. De plus, si l’on parle d’industrialisation, théoriquement on centralise la production ce qui éloigne celle-ci et on quitte le niveau local. De l’autre côté, nous avons les acteurs avec une approche cartésienne et scientifique voulant faire évoluer la mise en œuvre vers quelque chose de plus mécanisé voire industrialisé. L’intérêt d’avoir un système avec des
serait d’avoir en sortit de production des matériaux
qui sont à peu près identique et donc un produit qui aura des normes. Ce procédé permet de faciliter sa mise en circulation avec un standard de qualité. Du côté scientifique, on est plus dans la recherche et l’optimisation. À la fois, on cherche à améliorer la matière première pour avoir le meilleur produit final adapté au lieu de l’utilisation et à la méthode de mise en œuvre, mais on va également chercher à améliorer la mise en œuvre elle-même pour plus de durabilité et avoir si possible une amélioration des caractéristiques techniques finales en comparaison avec les mises en œuvre traditionnelles. Du côté des artisans, on cherche aussi à améliorer la mise en œuvre et le résultat mais de manière plus pratique. Cela se fait à travers le travail sur le chantier et par tâtonnements. Mais on essaie toujours de prendre en compte le savoir-faire qui a été légué et on ne cherche pas à en faire une solution miracle qui peut s’appliquer partout. On peut noter plusieurs points (plus spécifiques que les ordres généraux de penser) sur lesquels les deux courants s’opposent. En premier lieu, la différence d’opinion vis-à-vis de l’utilisation de ciment pour stabiliser la terre. Même si, encore aujourd’hui, face à d’autres pays comme les États-Unis ou l’Australie, une grande majorité des acteurs en France sont en faveur de ne pas l’utiliser, cela est en train de changer. Il y a également l’industrialisation de certains des procédés 26
de mise en œuvre qui font débat. Un des exemples les plus importants aujourd'hui est sans doute celui du pisé. Un procédé développé par Martin Rauch permet de préfabriquer le pisé en atelier. Le procédé est le suivant : on fabrique un linéaire de pisé dans un environnement intérieur et avec les étapes qui le peuvent mécanisées. Puis on va découper ce linéaire en plus petits segments qui vont être transportés jusqu’au chantier où ils seront disposés selon leur placement dans le mur. Mais ces deux courants ne sont pas forcément très imperméables, certains acteurs sont rattachés à l’un pour une question mais rattachés à l’autre pour une autre question. Par exemple c’est le cas de Paul-Emmanuel Loiret qui fait partie du laboratoire de recherche du CRAterre mais pour autant se dit contre l’utilisation de ciment dans la terre. On remarque aussi quelque fois une différence de vocabulaire comme dans le cas du projet « Cycle Terre » qui est nommé comme usine3 par Romain Anger pour CRAterre et comme une fabrique4 par Pierre-Emmanuelle Loiret. La question est de savoir si le changement voulu par certains est nécessaire ou non. Certains de ces changements sont une approche différente vis-à-vis de la question même de l’utilisation de la terre et des arguments mis en avant pour son utilisation. Toujours est-il que, malgré ces différences sur la mise en œuvre de la terre, il y a une chose qui reste vraie et importante pour les deux courants : La terre est une ressource présente quasiment partout et en grande quantité. Grâce aux évènements mis en place et soutenus par certains des acteurs de la filière terre, un nouveau souffle a été donné à la matière terre comme alternative aux techniques conventionnelles de notre époque. Certains des points mis en avant par les acteurs au travers des évènements sont similaires à certaines des raisons pour lesquels on construisait en terre à l’origine. Notamment, la localité de la matière, ce qu’elle peut offrir en termes de matériaux de construction. Mais il faut voir si sur son cycle de vie entier, et non seulement lors de son extraction, la localité de la matière reste vrai. 3 https://www.dailymotion.com/video/x6wgoq5 4 Lors d’un entretien avec Joly&Loiret – 28.11.18
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2. Passer d’un système linéaire à un système circulaire avec la matière
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Extraction
Enfouissement
Remise à l’état original
Démolition, Déconstruction Production ou mise en oeuvre
En atelier/ fabrique
Sur site du chantier
Construction neuve
Conditionement, Transport
Figure 6 : Cycle de vie des matériaux en terre crue 29
2.1. Cycle de vie La terre crue, quelle que soit la technique utilisée, a un cycle de vie qui est très intéressant. On peut voir cela à travers l’analyse du cycle de vie qui « est la mesure des ressources nécessaires pour fabriquer un produit ou donner accès à un service, suivie de la quantification des impacts potentiels de cette fabrication sur l’environnement»1. Comme dit précédemment, la terre est dans la grande majorité des cas disponible localement et ne nécessite pas de transformation importante ce qui évite une forte consommation d’énergie. Ces points ainsi que d’autres font que la terre crue permet d’avoir une énergie grise relativement faible – même si l’énergie grise varie en fonction de la technique utilisée – en comparaison à d’autres matériaux utilisés plus communément dans l’architecture contemporaine2. L’énergie grise étant « la quantité d'énergie consommée lors du cycle de vie d'un matériau ou d'un produit : la production, l'extraction, la transformation, la fabrication, le transport, la mise en œuvre, l'entretien et enfin le re1 https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/ analyse_du_cycle_de_vie_acv.php4 2 Voir Tableau 2
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Tableau 2 : Énergie grise émise pour divers matériaux par m3 (données : (Chansavang, 2008) et https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_grise)
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0
10
100
1 000
10 000
100 000
1 000 000 Métal
Mur
Enduit
Charpente Isolation Couverture
* : (20-40 bars - 8% de ciement)
r t * it n e é é e e e lé ois che on ite Pis ndu BTC aug Acie inium éto arm cuit Plâtr imen euvr -col b ét cu o B e r b E B é e e o n C d’ um ell se d de to err de terr s All i m e e o l Bé de t i e Bo La ellul Lain Tu le d e i u C u q T Bri
Terre crue
Énergie grise émise (en kWh/m3)
cyclage, à l'exception notable de l'utilisation »3. Dans le cycle de vie se pose également la question de la durée de vie du matériau et ce qui se passe entre sa mise en œuvre et sa fin de vie – démolition, recyclage, etc. Pour ce qui est de la durée de vie, la terre est un matériau très durable si toutefois il est bien mis en œuvre. On peut voir cela avec les exemples de bâtiment en France et à travers le monde qui sont encore debout et témoignent de la durabilité de cette matière encore aujourd’hui. Nous pouvons parler entre autres de certaines cités du M’Zab4 ou plus proche de nous en France, le patrimoine d’architecture en terre de la ville de Lyon et sa région qui possède le patrimoine d’architecture de terre le plus important d’Europe. Une construction en terre crue peut tenir debout pour des dizaines voire des centaines d’années. « Le métal rouille, le bois pourrit, le ciment et la pierre sont attaqués chimiquement. La terre est constituée d’éléments déjà altérés et ne peut pas se dégrader davantage » (Fontaine & Anger, 2009, p. 101)
Si c’est un matériau qui est durable dans le temps, il faut tout de même l’entretenir car il n’est pas figé – mis à part dans le cas d’une stabilisation avec un élément qui va le transformer chimiquement tel que le ciment ou la chaux – et sera dégradé par les éléments tels que le vent et l’eau. On peut décrire la terre crue comme un matériau vivant car il va vieillir et montrer le passage du temps sur les surfaces exposées aux éléments. C’est un phénomène qui sera plus rapide lorsque la construction est neuve et va ralentir au cours du temps jusqu’à être quasiment inexistant. Pour éviter que les façades extérieures ne subissent une agression trop forte, on les recouvre souvent d’un enduit qui peut être lui-même en terre. Cet enduit va donc servir de surface d’usure qui pourra être refait quand il en sera nécessaire. L’entretien d’une construction sera donc nécessaire lorsque ces surfaces d’usure5 3 https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_grise 4 Vallées du M’Zab dans la province du Ghardaïa, Algérie 5 Système similaire à un patin que l’on va mettre sur une semelle de cuire pour
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Figure 7 : Ville de Ghardaïa dans le M'Zab, Algérie - datant du début du XIème siècle
Figure 8 : Évolution de d'un immeuble en terre crue début du XIXème siècle 56 rue Marietton, Lyon entre 1981 et 2011 - source photos : D. Alex – Petit guide des architectures de pisé à Lyon 33
seront trop usées et ne protégeront plus le gros œuvre en terre crue. La fréquence d’entretien va donc dépendre de l’orientation du mur et des aléas auxquels il fera face6. Un mur faisant face à un vent fort et à plus de pluie nécessitera plus d’entretien qu’un mur à l’abris des vents et de la pluie. Pour entretenir cette couche d’enduit il suffira de prendre une terre composée de manière similaire à celle utilisée à l’origine. Ces interventions pouvant être faite par un artisan ou alors par les propriétaires des lieux s’ils ont le savoir-faire nécessaire. La construction peut également subir des transformations assez simplement soit pour faire des nouvelles ouvertures ou faire une extension. Dans le cas du pisé, nous avons un matériau assez simple à modifier : « c’est comme couper dans du beurre ! » (Gasnier, Terre crue : recyclage, réemploi dans le cycle de vie, 2018) disent certains. Pour d’autres techniques, cela va dépendre de la transformation voulue. Pour ce qui est de la fin de vie, la terre est théoriquement recyclable à l’infini si elle n’est pas altérée chimiquement de manière trop importante. Mais les différents aspects du recyclage de la matière seront développés par la suite par rapport au principe de recyclage et de réutilisation.
éviter de remplacer la partie de cuire 6 http://www.asterre.org/component/attachments/download/GuidePise_DorotheeAlex2011.pdf
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2.2. Des stocks locaux Comme pour tout type de construction, une matière première est nécessaire à la base du processus. Pour construire en terre crue, il faut donc tout simplement la terre elle-même qui est présente sous nos pieds en source primaire, mais également la terre présente via le recyclage ou la réutilisation. La première manière de se procurer la matière première nécessaire à la construction en terre crue est tout simplement l’extraction de la terre du sol. Pour un chantier ne disposant pas de matière première, il va donc falloir se procurer la terre pour construire quel que soit la méthode de mise en œuvre utilisée. Dans ce cas, il y a plusieurs possibilités, soit l’extraction dans le seul but d’extraire de la terre, soit utiliser les terres résultantes de terrassements prévus pour l’implantation du bâtiment ou modification du terrain pour le projet. Dans le premier cas, l’extraction se fait donc sur le site du projet ou sur un site proche. Le cas de l’extraction de terre purement pour avoir de la matière est de nos jours très rare. La majorité du temps, cette 35
terre provient de la matière extraite à la suite de terrassements. Dans ce cas-là, il faut également savoir si la terre est adaptée à la technique de construction souhaitée pour la construction. Dans le cas contraire, la terre peut induire la technique utilisée pour construire. Plus communément, on va chercher de la matière première ailleurs si la terre locale n’est pas complètement adaptée à la technique de mise en œuvre utilisée pour le projet. C’est donc dans le cas où l’on veut ajouter un composant spécifique pour pallier un manque de la terre locale. Dans le cas de la construction du CEES1 à Orléans, il avait été décidé de construire le bâtiment avec des murs de pisé pour lier le bâtiment à sa fonction principale qui est de stocker des échantillons de terre. Après avoir fait des études du sol sur le site, ils ont découvert que ceux-ci n’étaient pas adaptés à la construction en pisé2. La terre étant très sableuse, elle manquait donc d’argile pour lier la matière et de gravier. Ils ont donc cherché une carrière où il y aurait des terres argileuses et graveleuses dans la région proche (Amàco, 2018)3. Comme le sol du bassin orléanais est de nature plutôt sablonneux, ils ont dû aller jusqu'à une centaine de kilomètres aux alentours de Montargis. Là ils ont trouvé des poches de terres argileuses et graveleuses qui ont permis, une fois rajoutées à la terre locale, de rééquilibrer le mélange de terre. Une autre des manières de se procurer la matière première nécessaire à la construction en terre crue est grâce au recyclage des terres catégorisées comme « déchets ». On retrouve ce phénomène sur la plupart du territoire français là où il y a des chantiers de bâtiments ou d’infrastructures qui nécessitent des excavations ou des terrassements de terrains. Si les terres extraites ne sont pas désirées pour le projet - que ce soit pour travailler la topographie ou construire le bâtiment - elles doivent donc être stockées. Dans le cas de site isolé ou en zone peu urban1 Conservatoire Européen des Échantillons de Sols – architecte : NAMA Architecture 2 Le pisé nécessite d'avoir un spectre granulométrique assez large et égale en terme de volume des divers éléments (cailloux, sables, argiles, etc.) 3 Vidéo à 1 :20
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Figure 9 : CEES à Orléans 37
isée, la matière peut être laissée sur le site ou en proximité de celui-ci. Elle ne pose donc pas de réel problème aux divers acteurs du projets. Dans le cadre des centres urbains étant pour la plupart des lieux en développement, l’intensité de l’activité et de la construction est beaucoup plus importante. Les zones fortement urbaines sont donc des zones où la problématique de ces terres extraites devient plus centrale car l’espace disponible à proximité pour stocker les terres extraites est plus rare et il faut donc aller plus loin. Cela nécessite que l’on déplace cette matière puis qu’on utilise un espace pour les stocker, ce qui en fait une opération coûteuse et énergivore. Le cas de la région parisienne en est un parfait exemple. Tous les ans en Île-de-France on extrait plus d’une vingtaine de millions de tonnes de matière. Avec les projets de réseaux de transport du Grand Paris Express, on peut y rajouter 45 millions de tonnes échelonnées jusqu’en 2030 (Loiret & Joly, 2016, p. 4). Dans le cadre de l’exposition « Terre de Paris » citée plus haut, l’idée était de se questionner sur le rapprochement possible entre ces contraintes et les enjeux de l’industrie du bâtiment. L’idée étant de réutiliser cette matière pour construire en région parisienne. Ceci permettrait de construire avec des matériaux d’origine plus proches et éviterait d’avoir à stocker au moins une partie des matières extraites. Le projet « Cycle Terre » (l'Arsenal, La Fabrique de Matériaux en Terre Crue, 2018) a vu le jour dans le cadre de cette initiative de recycler les « déchets » créés par l’industrie du bâtiment. Ce projet est une fabrique de matériaux en terre crue qui sera basée à Sevran. Le bâtiment de la fabrique devrait être construit au cours de l'année 2019. Il utilisera les terres excavées dans le cadre des chantiers du Grand Paris et notamment les infrastructures des réseaux de transports à proximité de Sevran. Cette plateforme permettrait de recycler cette matière en produisant des matériaux de construction prêts à la mise en œuvre. Lors d’une conférence donnée à l’ESA4 par Joly et Loiret5, ils précisent que le nom de ”fabrique” ou d’”atelier” est utilisé et non pas celui 4 École Spéciale d'Architecture 5 http://www.esa-paris.fr/-editions-video-.html?fbclid=IwAR0gCdEFoqZ1cogmVw79JwZCwxWDcTCDQuahqzhG3NKe1Cq6fjBxNo_UjYc&lang=fr
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Figure 10 : Image figurative du volume de terre dégagé en région parisienne sur les 15 prochaines années
Figure 11 : Principe de fonctionnement de « Cycle Terre »
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d’“usine" car il y a un souhait d’avoir un mode de production qui n’est pas industriel mais qui, en même temps, ne reste pas quelque chose de rural. Dans l’idée de cette fabrique qui agit à une échelle assez locale et restreinte, il serait possible de développer des structures sur le territoire. Il s’agirait de développer un système, soit de manière locale et permanente, soit là où il y aurait des chantiers importants. Un des buts de cette expérience est de produire des matériaux qui seraient utilisés dans un cadre local ou du moins proche. Pour le cas des zones peu urbanisées, prenons l’exemple des éoliennes (Gasnier, Terre crue : recyclage, réemploi dans le cycle de vie, 2018). Dans le cadre de l’implantation d’une nouvelle éolienne, il faut creuser un trou relativement important pour poser la fondation. Les terres issues des terrassements sont souvent utilisées pour construire des bâtiments dans les communes avoisinantes ce qui permet de les recycler.
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2.3. Recyclage Une troisième source de matière pour construire en terre crue est le recyclage d’éléments déjà construits. Ceci permet de mettre en valeur l’une des caractéristiques importante et souvent mise en avant de l’utilisation de la terre crue : le recyclage simple de la terre à partir d’un produit terminé. Cela peut être le cas d’un simple élément qui ne fonctionne pas correctement sur le chantier dû à une dégradation ou un changement du projet. Mais il y a aussi le cas d’une construction complète et donc l’utilisation du patrimoine existant. Sur un chantier, il peut arriver d’être face à un élément défectueux, que ce soit un élément fait sur place ou préfabriqué qui est arrivé avec un défaut. On peut également avoir des éléments abimés par les intempéries ou par de mauvaises manipulations. Dans le cas d’éléments en terre crue, il peut être assez simple de prendre cet élément et de ramener la matière qui le constitue à son état original. Il est ensuite simple de reprendre la terre et refaire l’élément souhaité et si possible sur le chantier même. Nous pouvons citer ici l’exemple du centre de Badonviller. Pendant le chantier, à la suite d’une mauvaise 41
manipulation et des intempéries, un pan de mur en pisé préfabriqué s’est effondré lors de sa mise place. L’architecte a décidé de remonter le mur sur le site et la même matière que celle présente dans le mur préfabriqué a pu être utilisée. On pourrait s’imaginer faire de même avec toutes les autres techniques en terre crue. « Ce qui frappe, c’est lorsque l’on fait une erreur. On détruit et au lieu de benner, on réutilise. Et ça, en effet, ça marque. On n’a pas l’habitude ». (Donzé, 2018)
Maintenant si l’on prend l’exemple d’un bâtiment ancien qui a vocation à être remplacé ou qui ne sert plus, on peut y appliquer le même système. C’est un processus qui dans l’histoire des constructions en terre crue a été une pratique courante et même traditionnelle. Il faut tout simplement démolir la construction en question et broyer la terre. C’est d’ailleurs le même procédé qui serait utilisé en cas de simple démolition d’un ancien bâtiment. Mise à part que dans ce cas-ci, la terre est recyclée pour construire autre chose. Aujourd’hui encore, c’est une pratique assez courante en Nord-Isère où l’on trouve des gens qui réutilisent les terres d’un bâtiment dont la toiture est tombée et donc revalorisent la matière (Gasnier, Terre crue : recyclage, réemploi dans le cycle de vie, 2018). Mais pour pouvoir avoir comme source de matière le patrimoine, toujours faut-il avoir un patrimoine existant. Il faut donc qu’il y ait eu par le passé une tradition constructive en terre crue. Le cas échéant, ceci n’est pas une option. De même si le patrimoine existant est trop récent et que par conséquent il est toujours utilisé et n’a pas besoin d’être démoli, on ne peut pas l’utiliser pour construire de nouvelles constructions. En quelque sorte, le patrimoine construit en terre crue est une source de matière première mais qui est inutilisable pour toute la durée de vie des bâtiments. Si l’on regarde la moyenne de vie de constructions en terre crue, on remarque que celles-ci sont relativement longue. Par 42
Figure 12 : Principe de fonctionnement du recyclage de l'élément défectueux à Badonviller
Figure 13 : Principe de fonctionnement pour le recyclage du patrimoine ancien 43
conséquent si l’on veut pouvoir prendre en compte la terre comprise dans les bâtiments existants comme stock de ressource, il faut alors prévoir un cycle qui s’échelonne sur une longue durée. Les ressources de ces bâtiments ne seront disponibles à l’utilisation qu’après qu’ils aient été démolis. De plus, dans le cas du recyclage de la terre déjà utilisée, il va falloir se demander si l’on veut reconstruire avec le même type de technique constructive ou non. Mais sachant que les techniques constructives étaient en général adaptées aux terres locales, il est peut-être plus intéressant d’employer cette même technique. Cela permet tout d’abord de se servir des connaissances tirées du bâtiment précédent si cela est possible et les améliorer si besoin. Ou alors se servir du savoirfaire des artisans locaux qui utilisent sans doute cette technique et ont donc une importante expertise de cette technique. Du moins, si la nouvelle construction nécessite un changement de technique, il ne faut pas oublier que la terre précédemment utilisée était adaptée à la technique employée pour la précédente construction. Si l’on décide de mettre en œuvre la terre avec une autre technique, il sera donc nécessaire de recourir à une transformation de la composition de la terre pour qu’elle soit adaptée à celle-ci.
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2.4. Réutilisation La dernière façon d’obtenir de quoi construire n’est pas tant par le biais de la matière que par le matériau. C’est grâce à la réutilisation d’éléments anciens sur autre projet. Ceci ne va pas être applicable à toutes les techniques et certaines seront plus aptes que d’autres à être réutilisées. Tout d’abord, pour être réutilisés, il faudra que les éléments soient pensés et conçus pour une réutilisation éventuelle dans leur futur. Il faudra donc qu’il soit possible de le mettre en œuvre plusieurs fois et également qu’il puisse être démonté d’une manière simple et qui ne remette pas en cause l’intégrité de l’élément. Pour des éléments en terre crue, cela n’est pas toujours évident car il est nécessaire de vérifier qu’ils n’ont pas été fragilisés. Cela peut être le résultat d’une importante exposition aux intempéries, mais aussi comme tout autre matériau, le résultat d’aléas au court de sa vie. Il faut également, pour pouvoir réutiliser un produit, que le maître d’œuvre soit d’accord avec l’utilisation de matériaux réutilisés dans sa construction neuve. Car ces matériaux ont déjà vécu et ne sont pas forcément exactement ce 45
à quoi le maître d’œuvre s’attend. D’autant plus que les matériaux en terre crue montrent plus facilement et rapidement leur vécu et le passage du temps. Le festival Bellastock de 2017 a été l’occasion de mettre en place un processus de réutilisation. Pour que les participants puissent construire la ville éphémère, ils ont eu accès à 17 000 BTC . Ces BTC avaient été fabriqués auparavant sur place grâce à une usine mobile développée par Craterre et Bellastock en utilisant des déblais de terre de l’île Saint-Denis. Pour les festivals de Bellastock, le but dès le départ et d’utiliser des matériaux qui pourront être réutilisés en aval du festival. Les briques étant stabilisées à 6% de ciment, elles sont relativement solides et durables. Pour les trier et sélectionner les BTC à garder, il a simplement été nécessaire à la fin du festival de faire une vérification à œil nu. Les briques fêlées ou cassées étaient mis de côté tandis que les briques ne montrant pas de défaillance ont été remises sur des palettes et reconditionnées pour leur utilisation future. Dans le cadre du festival de 2017, le projet pour lequel les BTC vont être réutilisées est un projet mené par Bellastock pour le siège social d’une coopérative à Stains. De plus, c’est la maitrise d’œuvre qui a souhaité faire de la réutilisation et il se trouvait que ce gisement de matériaux était disponible et proche. Le projet se trouvant dans la région parisienne, cela permet en plus de la réutilisation, de limiter le déplacement du produit fini. La construction en pisé préfabriqué peut être rapproché de la brique dans le fait que l’on fabrique des éléments avant la mise en œuvre du bâtiment. On compose donc le mur avec ces divers éléments que l’on va lier avec de la matière. Dans le cas de la brique avec un mortier et pour le pisé préfabriqué de la terre similaire à celle utilisée pour la fabrication du pisé. Du fait de cette similitude on pourrait se dire que les éléments de pisé préfabriqué pourraient être réutilisés dans le cadre d’un autre bâtiment en cas de déconstruction du bâtiment original. Pour cela, il faudrait donc couper le mur à la disqueuse au niveau des jointures entre les différents pans de murs préfabriqués. Une fois séparés, les pans de mur pourraient être déplacés pour être réutilisés 46
Figure 14 : Principe de fonctionnement pour la réutilisation des BTC lors du festival « Ville des Terres »
Figure 15 : Photo du festival « Ville des Terres » 47
sur un autre lieu (Gasnier, Réutilisation de matériaux en terre, 2019). Dans le cas où les pans de mur ne seraient pas adéquats pour le nouveau projet de destination, il est possible de les modifier. Le pisé est assez simple à modifier (percement, raccourcissement d’un mur, extension, etc.), ce qui permet d'adapter les éléments à une configuration différente de celle du projet d'origine. Dans le cadre de la réutilisation, on peut également se tourner vers la mixité de techniques et de matériaux. La terre dans ce cas fait office de remplissage et l’autre matériau plus rigide va servir de cadre pour maintenir la terre et ainsi créer des modules qui sont démontables. C'est le concept qui a été utilisé pour le projet Terra Nostra. Ce projet a été financé par la Caisse des Dépôts et a été réalisé dans le cadre d'un appel à projet sur l'innovation dans le logement social (Bonnevie, 2017). Il a été fait en deux étapes car la majorité des éléments ont été préfabriqués aux Grands Ateliers à Villefontaine pendant 3 mois puis assemblés à Lyon sur 3 semaines. Une partie des murs du projet était un système d'ossature bois avec un remplissage en terre crue qui servait alors d'isolant. Ces éléments, eux aussi préfabriqués ont été transportés du lieu de fabrication au lieu de montage. Ce système pouvant alors être démonté puis déplacé, monté, démonté, remonté, etc. On peut penser à un système qui fonctionnerait de manière similaire au bloc de pisé préfabriqué, qui serait réutilisé pour un autre projet ultérieurement (Gasnier, Réutilisation de matériaux en terre, 2019). Comme dit plus haut, la réutilisation d’un matériau doit être pensée avant sa fabrication car il doit pouvoir subir toutes les étapes de la réutilisation (mise en œuvre, déconstruction, déplacement, nouvelle mise en œuvre et ainsi de suite) sans pour autant que ses caractéristiques ne changent. Dans le cadre d’un matériau en terre crue, il y a de nombreuses choses qui peuvent affecter le matériau et changer ces caractéristiques et son intégrité. Cela pouvant être l’exposition aux intempéries, la fragilité des angles pour une brique de terre comprimée ou extrudée durant sa manipulation, la manière de déconstruire. Une manière de pallier certains de ces problèmes et de rajouter du ciment pour stabiliser et figer la matière. Le rajout de ciment en plus 48
Figure 16 : Projet Terra Nostra - mur préfabriqué en terre (source : M. Bonnevie, Terra Nostra)
Figure 17 : Projet Terra Nostra - le prototype en montage à Lyon (source : M. Bonnevie, Terra Nostra)
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d’améliorer les caractéristiques techniques du matériau en question permet de protéger en partie de l’eau mais aussi de rendre la matière plus solide. Il est donc nécessaire de se demander ce que l’on attend du matériau et si au cours des différentes étapes de son cycle de vie, quelque chose va l’empêcher de servir correctement à la construction. Nous l’avons vu, la terre permet d’instaurer une durabilité en termes de disponibilité de matière pour construire. Elle est disponible localement, et grâce à son cycle de vie qui permet une utilisation infinie on a un stock de matière qui ne peut que s’enrichir. L’utilisation de terre crue dans la construction ne créer donc pas de déchets et tout ce qui est démoli ou déconstruit peut alors être réutilisé. Mais la durabilité locale ne s’opère pas seulement par le biais de la matière et de ces flux. Pour que la matière soit déplacée ou mise en œuvre il faut des acteurs. Ces mêmes acteurs vont devoir entre eux, au niveau local, interagir et coopérer de manière à développer une durabilité sociale (Bignier, 2018, p. 53).
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3. Vers une durabilitĂŠ sociale
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3.1. S'identifier au local Aujourd’hui et depuis quelque temps déjà, on assiste à un phénomène de déracinement du local. « Le déracinement de l’architecture et des différents établissements humains, coupés de leur sous-sol, de leur sol, désolidarisés de leur climat, de la lumière qui les baigne et de leur histoire est semblable à celui qui brise « l’harmonie des fleurs coupées » »(Magnaghi, 2003, p. 16). Ce déracinement passe par une perte du patrimoine local et un remplacement par quelque chose de global qui se veut adaptée à l’habitant moyen. Il existe deux types de patrimoine culturel qui vont nous intéresser ici : matériel – architecture et objets – et immatériel – culture et savoirfaire – qui se complémentent. L’un se construit grâce à l’autre tandis que le deuxième existe et persiste à travers le premier. Le patrimoine est quelque chose qui lie les habitants au lieu et qui fait qu’une société est différente d’une autre, adaptée à son milieu de vie. L’utilisation de la terre pour construire localement permet de maintenir un patrimoine matériel à travers l’architecture. « L’utilisation du béton 53
armé, de l’aluminium, du plastique, de l’acier, etc., la climatisation, la mécanisation agricole, etc., coupent et dissocient aussi bien des contraintes naturelles que des traditions et des formes de constructions locales » (Magnaghi, 2003, p. 17). En construisant en terre crue, on peut faire de l’architecture pour le lieu où l’on construit. Construire avec la terre locale qui est spécifique à ce lieu va induire une technique et une manière de concevoir spécifique prenant en compte la nature, le climat du lieu et la façon de vivre de ses habitants. La façons de vivre des habitants étant elle aussi influencée par la nature et le climat du lieu. Cette manière de concevoir l’architecture nécessite donc de s’adapter aux contraintes avec ce que l’on a au niveau local. On crée une identité propre au local avec une écriture architecturale spécifique. Si l’on revient sur ce qui a été dit plus tôt, les architectures en terre à travers la France sont différentes et l’on peut déterminer la région d’origine d’une architecture de terre par ce qu’elle est – la technique utilisée, les éléments de construction, les détails techniques, etc. Les matériaux industriels sont dans la majorité des cas les mêmes à travers le monde et leur mise en œuvre est identique d’une région à l’autre. À travers ces différentes techniques de mise en œuvre, la terre permet donc de créer un lien avec le sol qui est à l’origine de la matière première utilisée pour construire. Il n’y a pas un modèle qui peut être répliqué de la même manière que l’on soit dans le nord ou dans le sud de la France. Bien entendu ces régions ont des spécificités qui vont influencer la conception du bâtiment au-delà de ce que le simple fait de construire en terre va induire. Mais ce seront des choses supplémentaires à prendre en compte qui vont dans tous les cas influencer la conception générale du bâtiment mais cela tout en étant dans les limitations d’une architecture en terre crue. Il existe aujourd’hui des architectures de terre crue contemporaines en France. Ces nouvelles constructions ne sont pas simplement basées sur le passé – passé dont il faut tirer des enseignements pour ne pas faire les erreurs déjà faites –, elles doivent aussi se baser sur les be54
soins actuels des habitants et les manières de vivre contemporaines. On a donc un nouveau patrimoine contemporain se basant sur ce qui a fonctionné par le passé. Mais le fait d’avoir des constructions qui nécessitent une connaissance spécifique au local veut dire que, pour construire, il faut un savoir-faire spécifique et des personnes pouvant appliquer ce savoir-faire. Selon les régions, la construction en terre crue peut faire partie du patrimoine local ou dans le cas contraire, être quelque chose de nouveau. Dans le premier cas, on peut donc se retrouver à perpétuer la tradition locale et travailler avec le savoir-faire connu ou alors avoir à redécouvrir ce qui se faisait avant. Dans le deuxième cas il est nécessaire de développer ce savoir-faire soit en partant de zéro ou en se basant sur ce qui est fait dans des régions avec des terres similaires. Si c’est une région avec un patrimoine déjà existant il serait intéressant d’analyser ce patrimoine pour en tirer des conclusions et pouvoirs commencer à développer un nouveau savoir-faire avec des bases spécifiques au lieu. Il ne suffit pas seulement de savoir comment faire, il faut aussi savoir pourquoi on le fait ainsi. Car il n’est pas compliqué transmettre à la prochaine génération un savoir-faire, mais si ce savoir-faire doit être perpétué, il faut que les personnes en comprennent la raison et que ce savoir-faire ne perde pas de son sens. Il y a donc la nécessité d’avoir des artisans locaux qui puissent mettre en œuvre la terre selon les spécificités locales mais également une main d’œuvre qualifiée pour l’entretien du bâtiment. L’utilisation de terre crue permet de maintenir et développer le patrimoine matériel et immatériel, respectivement l’architecture et le savoir-faire. Pour construire avec une architecture locale, il faut un matériau local et adapter celui-ci au milieu, et, pour la construire, il est nécessaire d’avoir un savoir-faire local. Le fait d’avoir ce patrimoine au niveau local permet de réenraciner la culture et les habitants, de redonner une identité propre à une communauté.
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« En plus de ses atouts en terme politique et économique, social et écologique, le matériau « terre » a un intérêt culturel et architectural. La diversité des architectures de terre et de leurs modes possibles de construction est un gage contre l’impérialisme culturel et contre le retour aux normes à caractère uniforme et passe-partout du « style international » auquel nous échappons à peine, depuis quelques années. » (Centre de Création Industrielle; Centre George Pompidou, 1981, p. 14)
La question du social ne passe pas seulement par la possibilité des habitants à pouvoir s’identifier au lieu dans lequel ils vivent grâce à un patrimoine local identifié et lié au lieu. Elle passe également par la question de l’interaction des habitants entre eux et de leur développement.
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3.2. Développement des acteurs locaux Le développement de liens entre les différents acteurs locaux permet de créer du lien social et un développement économique. On part donc dans l’optique que la terre est un matériau local et que l’on peut donc échanger au niveau local ainsi qu’avoir des échanges et des interactions en circuit court entre les différents acteurs. Le développement des acteurs locaux passe également par le développement de l’artisanat et la main d’œuvre locale. Cela passe en partie par la coopération entre les divers corps de métiers car construire seulement en terre est souvent nouveau et n’est pas forcément adapté aux diverses localités. Il est donc nécessaire que l’on prenne en compte l’utilisation de techniques mixtes pour la construction. Cela va amener au dialogue entre les divers corps de métiers pour avoir des détails de construction qui fonctionnent.
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« C’est de toute façon un avantage d’avoir cette complémentarité nécessaire entre les concepteurs et les différents corps d’état : la conception doit intégrer les questions de mise en œuvre, et pour le détail de la mise en œuvre, le maçon, le charpentier voire même le menuisier et les corps d’état techniques doivent travailler ensemble pour que tout se passe bien… » (Rigassi)
Cela passe aussi en partie par la redécouverte de ce qui se faisait avant. C’est à dire retravailler les anciennes techniques, voir ce qui est bon et voir comment améliorer avec les avancées d’aujourd’hui en terme technique et avec le partage des savoir-faire locaux d’ailleurs qui peuvent être utiles et pertinents. Construire en terre crue est également un investissement au niveau local. Que ce soit pour la matière première ou alors la main d’œuvre, elles proviennent en général d’un ou de plusieurs acteurs locaux. Si la matière est locale alors le revenu venant de la vente de cette matière revient à un acteur local. C’est similaire dans le cas de la main d’œuvre. De plus, si les personnes qui construisent sont des artisans locaux, alors on paye pour un savoir-faire local et une main d’œuvre locale, ce qui permet de faire vivre et perpétuer ce savoir-faire. Si l’on regarde sur l’ensemble des coûts d’un projet fait en terre crue, la majorité des coûts concerne la main d’œuvre. La matière première elle-même est peu chère et la mise en œuvre est souvent plus longue que pour des techniques plus courantes comme le béton et l’acier (Rigassi) ; donc la majorité de ce qui est investi dans le projet – du moins pour ce qui est de la partie construite en terre – revient aux acteurs locaux. « « intensité sociale » : on met plus d’humain pour mettre moins de pétrole, l’humain étant une énergie renouvelable qui en plus produit de la culture et des savoir-faire… » (Rigassi) 58
Figure 18 : Nombre d'heure de travail par m2 pour des murs de matĂŠriaux diffĂŠrents - source : www.tera-terre.org
Figure 19 : Pourcentage de l'investissement allant aux acteurs locaux - source : www.tera-terre.org
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On peut tout d’abord prendre l’exemple de Mayotte où le Craterre a travaillé avec les briqueteries locales pour produire les BTC nécessaires à la construction de logements. Ce choix de construire en terre au lieu du béton permet d’avoir des infrastructures de production plus petites et plus répandues sur le territoire. Les unités de production étaient au nombre de 32 réparties sur 18 briqueteries en 1982 au départ de l’expérience (Ohling, 2014). On avait donc une production plus locale qui permettait également de diminuer la distance parcourue entre la production et le lieu de construction. Dans le cadre du projet on a également un rapprochement qui se fait avec la méthode de Hassan Fathy lors de la construction du village de Gourna près de Louxor en Égypte (Fathy, 1996). Celui-ci avait redécouvert quelque temps plus tôt la technique de construction des voûtes nubiennes grâce à des maçons qu’il avait rencontrés. Après avoir testé cette technique sur plusieurs projets, il l’a choisie pour construire le village de Gourna. Il décide alors de faire participer les habitants à la construction de ce nouveau village leur permettant d’être formé par les maçons nubiens avec qui il avait travaillé auparavant. On retrouve donc ce système qui s’apparente à de l’auto-construction pour l’expérience de Mayotte où les locaux sont formés à la fabrication des BTC et à leur mise en œuvre. De plus, pour lancer le processus au départ de l’expérience, il y a eu une fabrique modèle qui a été mise en place pour voir comment les suivantes pouvaient être améliorées. C’est le même modèle qui va être utilisé pour la fabrique « Cycle Terre ». Le projet de « Cycle Terre » – déjà cité plus haut en rapport au thème du recyclage des terres localement extraites – est un autre projet intéressant car en plus de certaines similarités1 avec le projet de Mayotte, il rapproche et met en lien différents acteurs à différents niveaux (l'Arsenal, La Fabrique de Matériaux en Terre Crue, 2018) avec un total de 12 partenaires. C’est un projet où l’on va rassembler à la fois les architectes (l’agence Joly et Loiret), les promoteurs (Grands Paris Aménagement) mais aussi les politiques (la ville de Sevran). Ces 1 Idée de fabrique local, recyclage de terre considéré comme déchets, formation à la fabrication et mise en œuvre entre autres
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Figure 20 : Briqueterie à Hamaha, Mayotte
Figure 21 : Intérieur d'une briqueterie à Hamaha, Mayotte
Figure 22 : Artisans construisant des voûtes nubiennes à Gourna 61
différents acteurs vont être dans une recherche d’un même but, construire avec de la terre locale et avoir une fabrication et une mise en œuvre au niveau local (Cité de l'Architecture et du Patriomoine, 2018). Cela permet de s’insérer dans une logique d’économie locale et circulaire. Ce projet atteint même le niveau des institutions européennes. Elles vont apporter un financement à hauteur de 4,9 millions sur les 6,1 nécessaires au développement du projet test. Le projet va s'étendre sur une durée de 3 ans. Ce projet a pour but d’être un modèle comme il avait été développé à Mayotte, qui sera diffusé gratuitement et permettrait d’échanger les connaissances et les savoir-faire. Le but final si l’expérience est un succès, serait d’implémenter des unités de fabrication basées sur ce même système ailleurs. D’abord, sans doute en région parisienne avec les autres lieux où l’on a une extraction ponctuelle dans le temps (5 à 15 ans) (Cité de l'Architecture et du Patriomoine, 2018) dû au chantier du Grand Paris. Puis ces unités de fabrication pourraient être développées ailleurs en France dans des villes où l’on aurait des projets d’une même envergure. Le but de ce projet n’est pas de créer du profit au niveau monétaire, mais de faire un projet éthique duquel chacun des acteurs tire un profit humain et de l’expérience. Pour la ville, c’est un moyen de redévelopper l’économie locale et d’une certaine manière, la culture et le savoir. A l’occasion de ce projet, le but est également de former les différents réseaux acteurs de l’aménagement et de la construction tels que les artisans qui vont travailler dans l’unité de production ou les architectes et les promoteurs qui vont concevoir et construire les projets. L’utilisation de la terre pour construire permet donc de développer, à la fois les acteurs locaux eux-mêmes mais également les relations qu’il y a entre eux. Il faut que s’opère un dialogue entre les acteurs pour faire évoluer la chose dans le bon sens. Il y a donc un développement des relations sociales entre les différentes classes sur l’échelle social mais également entre les disciplines. Construire met en action divers acteurs quel que soit le bâtiment ou le type de programme. Mais le logement plus spécifiquement, permet de répondre à un des besoins sociaux fondamentales, avoir un espace de vie.
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3.3. Logements pour tous Une des choses les plus importantes qui définies les hommes est d’avoir un toit, un « chez soi ». A l’origine, l’homme a cherché à se couvrir car en sortant des grottes, il fallait tout de même être protégé des intempéries, du soleil mais aussi parfois des autres êtres vivants. Aujourd’hui, l’habitat est plus qu’une simple protection ; c’est là où on vit, on mange, on dort, c’est le foyer, là où la famille se retrouve, là où l'on va se construire et participer à la vie collective. Le logement intègre une dimension sociale forte ; c'est pour l'être humain un besoin vital. Dans certaines sociétés humaines, le droit au logement est considéré comme constituant un droit naturel. En France par exemple, un droit au logement opposable est institué depuis le 1er janvier 2008, sous la loi DALO . Ne pas avoir de lieu où l’on habite nous met en marge de la société, on n’est pas fixe. Construire en terre permet de construire des maisons tout comme bon nombre d’autres matériaux mais elle va présenter certains avantages que d'autres ne vont pas avoir. Tout d'abord, la terre va offrir de la régulation hygrothermique, un déphasage thermique intéressant, 63
une bonne isolation acoustique ou alors des qualités esthétiques et plastiques (Chansavang, 2008). De plus, comme dit plus tôt, c’est un matériau qui n’est pas cher et qui se trouve souvent localement. Il peut donc permettre d’offrir à toutes et à tous un logement, que ce soit une grande maison ou alors un logement simple. Les exemples de grandes envergures d'hier ou d'aujourd'hui sont souvent plus orientés vers le logement social. Il y a entre autres l'exemple de Mayotte. Ce sont 18 000 logements qui y ont été construits sur 30 ans avec le CRAterre en partenariat avec les acteurs locaux. Il y a 30 ans lorsque s'est posée la question de comment répondre à la crise du logement qui sévissait à l'époque, il y a eu deux possibilités pour construire. D'un côté, le béton et de l'autre, la terre (Ohling, 2014). La première option aurait amené à importer le système de construction occidental et donc abandonner tout lien avec ce qui pouvait se faire sur place. La deuxième option quant à elle permettait d'utiliser un matériau local et en lien avec les manières de construire de l'île. L'exemple des constructions du Domaine de la Terre qui se trouve en Isère construites entre 1982 et 1985 ont pu montrer que l'on pouvait construire du logement social en terre de qualité. Presque 35 ans après, la plupart des habitants sont restés dans leur logement original et sont contents de l'espace de vie que leur offrent ces habitats (Filali Maltouf, 2018). Les bâtiments eux-mêmes sont toujours en bon état et n'ont pas nécessités de lourds travaux de réhabilitation même si un entretien régulier est nécessaire. Par la simplicité de mise en œuvre de certaines techniques en terre crue, l'auto-construction complète ou partielle par les futurs habitants est possible. Dans le cas de la BTC, il est possible de n'avoir qu'une simple presse pour produire le matériau puis la mise en œuvre peut se faire seule si les habitants disposent du savoir-faire pour monter des murs avec les briques. On peut en faire de même avec l'adobe qui est d'un principe de mise en œuvre similaire à la BTC. Hassan Fathy en construisant la ville de Gourna en est un bon exemple. Pour construire les divers habitations et bâtiments, il a fait appel aux habitants et leur a demandé d'aider les artisans qui avaient le savoir-faire pour 64
Figure 23 : Logements en BTC à Mayotte
Figure 24 : Logements en pisé par F-H. Jourda et G. Perraudin à Villefontaine 65
construire (Fathy, 1996). De plus, dans le cadre de ces constructions à Gourna, Hassan Fathy offrait un espace de vie plus spacieux mais toujours moins cher que si l'on avait voulu construire le même nombre de logements avec du béton. Certaines associations ou regroupement de professionnels et d’amateurs permettent de coopérer sur des chantiers. Il y a l’exemple de Twiza, un site internet qui permet de mettre en lien des professionnels qui travaillent dans le milieu de l’écoconstruction. Ce site propose également des chantiers ouverts de construction ou de rénovation sur des projets en terre crue. Cela permet apprendre des expériences de chacun mais aussi d’avoir la supervision et le suivi par des professionnels. L’association Enerterre, fonctionne un peu dans ce sens-là mais va pousser à un système basé sur l’entraide entre les personnes faisant parti de l’association . Les participants peuvent être aidé sur leur propre chantier et en retour aider sur divers chantiers qui pourraient avoir lieu sur le même territoire et au niveau local. Cela permet de créer du lien entre les participants et faire une activité qui fait vivre la communauté. La construction en terre crue peut également être une solution pour reconstruire les logements après une catastrophe dans la zone sinistrée ou dans un besoin urgent. Comme l'a montré CRAterre en 1986 à l'occasion de l'année internationale des sans-abris, il est possible de construire rapidement en terre. Ils ont décidé de construire une maison en moins de 24 heures seulement en terre. Le nom du projet est très simple et explicatif : « Maison des 24 Heures ». Grâce à ce projet, ils ont pu montrer que l'on pouvait construire complètement en terre et cela dans un temps court. Cette construction est toujours utilisée aujourd'hui mais en tant que bureau. Pour cet exemple, il faut bien prendre en compte que la technique de la BTC a été choisie pour sa rapidité de mise en œuvre depuis l'extraction jusqu’à la pose en comparaison à d'autres techniques en terre. Même si les exemples précédents sont des logements qui visent à être accessibles au plus grand nombre par leur prix et leur simplicité 66
Figure 25 : Village de Gourna par H. Fathy
Figure 26 : Maison des 24h fait par le CRAterre Ă Grenoble 67
de fabrication, il ne faut pas penser que la terre est utilisée seulement à ces fins-là. Il y a aussi de nouveaux projets en phase de développement ou de construction qui utilisent la terre pour construire. Il y a l'exemple cité plus haut des 1000 logements à Sevran qui utiliseront en partie les matériaux fabriqués par la fabrique de « Cycle Terre ». Un second projet, situé également en région parisienne nommé « Manufacture-sur-Seine » utilisera lui aussi les matériaux en provenance de la « Cycle Terre ». Ce projet est le lauréat dans le cadre de l’appel à projet de « Réinventer la Seine » sur un ancien terrain des Eau de Paris. C’est une collaboration entre Quartus et plusieurs architectes : Wang Shu, Joly & Loiret et Lipsky+Rollet. « Manufacture-sur-Seine » un quartier qui devrait être fait principalement avec divers matériaux en terre, allant du pisé à l'enduit en passant par la BTC. La terre, encore une fois, est une solution parmi d’autres pour construire du logement. Elle offre la possibilité de construire de nombreuse manière différente en fonction de la où l’on construit et de la terre dont on dispose. Surtout elle permet de construire avec un matériau peu cher et généralement local. De plus par son accessibilité que se soit au niveau sa proximité géographique ou au niveau financier, la terre permet à tous de construire, que se soit pour des personnes avec peu de revenus ou au contraire des personnes avec un revenu important. C’est un matériau qui, au travers des ces diverses mises en œuvre, permet dans certain cas d’être mis en œuvre par des amateurs, avec ou sans aides de professionnels.
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Figure 27 : Maison contemporaine en terre crue (pisé) à Ayerbe, Espagne
Figure 28 : Perspective du projet « Manufacture-sur-Seine » à Ivry-sur-Seine 69
Conclusion La terre crue a toujours été une matière du local. Hier cette localité et la spécificité de la terre qui en découle amenait un caractère local à l’architecture. La matière permettait de lier les habitants au lieu par le biais de l’architecture. Aujourd’hui les acteurs qui font la promotion de cette de la terre mettent en avant certaines de ces raisons pour y revenir. C’est une matière qui est locale, son utilisation se fait proche de son lieu d’extraction et lie la construction au lieu. Elle permet d’avoir une réserve de matières premières quasiment inépuisable. Les constructions en terre crue s’inscrivent dans le système circulaire car la terre est réutilisable de manière infinie. Son utilisation dans certains cas permet de revaloriser de la matière mise de côté et considérée comme déchets. On a également une source de matière présente à travers ce qui est construit, le patrimoine. Il peut être à la fois un stock de matière première comme de matériaux de construction. C’est un stock de matière qui devient disponible lors de sa déconstruction ou démolition. Donc la matière qui est utilisée au départ sera soit retournée à sa source dans le même état qu’au moment de son extraction ou alors sera réutilisée pour construire, en gardant les mêmes qualités que dans l’ouvrage précédent. Mais au-delà de l’aspect de la durabilité locale de la matière, il y a autre chose. Les flux de matières ne se feraient pas sans les acteurs locaux, ces acteurs pouvant être des habitants ou des professionnels de la filière terre. Les acteurs seront locaux du début à la fin. Ce seront eux qui mettront en œuvre la matière ou qui vivront dans les bâtiments qui en sont faits. Cela permettra d’avoir des professionnels qui connaissent le contexte dans lequel ils travaillent et qui ont un savoir-faire qui s'applique au local. Si l'on travaille avec un savoir-faire local alors on construit quelque chose auquel les acteurs locaux peuvent s’identifier et qui peut se lier au reste du patrimoine local. En plus de cela, les savoir-faire locaux sont en général adaptés au contexte local (climat, 70
nature, etc.) ce qui permet au bâtiment de mieux s’intégrer dans le lieu, dans l’espace et dans le temps. Le fait de fonctionner dans un système local amènera les divers acteurs à travailler et dialoguer entre eux. Il y aura donc nécessairement la création de liens sociaux et économiques entre les divers acteurs ou groupement d’acteurs. De plus ce fonctionnement permettra d’apporter un échange de savoir et permettra, suite au dialogue, de comprendre les nécessitées et les attentes de chacun pour que l’ensemble du travail se face en prenant en compte les autres. « Leurs maisons seraient conçues à partir de matériaux locaux biologiquement et techniquement réutilisables ; le fait de recourir à ces matériaux et aux artisans du coin générerait de l’activité économique locale et un soutien financier à un maximum d’habitants ; ce qui aiderait les autochtones à constituer une communauté et à rester en lien avec l’héritage culturel de la région, que la spécificité esthétique des structures contribuerait en elle-même à perpétuer ; et enfin, engager des artisans locaux qui apprendraient aux jeunes à se servir des matériaux et des techniques locales encouragerait des liens intergénérationnels. » McDonough W. & Braungart M., Cradle to Cradle, p.161
L’emploi de la terre crue pour construire au niveau local permet d’avoir une durabilité à différent niveau, tout d’abord environnementale car la matière extraite localement ne nécessite pas de transformation importante coûteuse en énergie, et peut, en fin de vie être retournée d’où on l'a extraite. Économiquement, car la terre est durable et installe une circulation locale infinie de la matière première, un travail entre les acteurs locaux et une plus-value de la main d’œuvre locale. Nous avons ensuite l’aspect social car l’emploi de terre crue permet de faire une architecture locale qui est adaptée à la population et au milieu dans laquelle elle se trouve, elle instaure ou ramène une culture et un savoir-faire local, elle permet de lier l’habitant au lieu. Construire 71
en terre permettra de créer de la richesse matériel et immatériel au niveau local par le biais des acteurs locaux avec une matière ellemême local. Mais il faut bien sur prendre en compte que si l’on compare les paramètres des différents « locales » on arrive à des résultats de « local » bien différents. Nous allons avoir des indicateurs différents en termes de densité, de climat, des habitants, etc. Si l’on prend en compte tous ces facteurs différents il est nécessaire se poser la question de savoir si ce modèle fonctionnerait bien sur ces différents « locales ». Si la construction en terre peut être un modèle de durabilité au niveau local cela peut-il s’appliquer sur des « locales » qui sont très différents ? Ensuite on peut se demander si ce système peut se voir appliquer à d’autres matériaux locaux. Peut-on en tirer les mêmes conclusions pour l’architecture de bois ou de pierre quand ces matériaux sont accessibles localement ?
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Glossaire Local : l'espace physique – milieu des vivants – et les multiples modalités de son investissement par les humains. Durabilité/Soutenabilité : configuration de la société humaine qui lui permette d'assurer sa pérennité. Cette organisation humaine repose sur le maintien d'un environnement vivable, sur le développement économique et social à l'échelle planétaire, et, selon les points de vue, sur une organisation sociale équitable. Réutilisation : réutiliser un objet qui a pour fonction d`être réutilisable (ex : gobelet de plastique). Récupération : donner un nouvel usage à un objet obsolète, une revalorisation d’un objet qui a déjà servi pour une utilisation similaire et extensive. Recyclage : il y a une perte de mémoire de l’objet primaire car on transforme la matière première et on ne garde pas la forme et ni les traces d’un usage précédent. Réemploi : (prend des trois précédents) on réutilise quelque chose qui n’avait pas comme vocation primaire d’être réutilisé ; on récupère un objet pour un nouvel usage et donc on économise ; on recycle en mettant l’objet dans un nouveau cycle mais on garde les traces de l’histoire de la matière.
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Annexe
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Annexe 1 : Entretien téléphonique avec Hugo Gasnier le 20-12-18
Hugo Gasnier est un expert en architecture et construction en terre au CRAterre depuis 2012 après avoir fait le DSA (Diplôme Supérieur d’Architecture) Architecture de terre à L’ENSAG. - Est-ce que pour vous le réemploi est une problématique qui est importante par rapport à la terre crue ? Moi je fais une thèse sur la revalorisation des terres de déblais du Grand Paris. Je suis en train de finir. C'est une thématique qu'on a beaucoup travaillé ces derniers temps. Mais après la question du réemploi il y a plusieurs dimensions qui sont dedans. On peut utiliser une terre qui vient d'une fouille du coup c'est considéré comme du réemploi. Mais encore ce n'est pas du réemploi c'est plutôt du recyclage parce qu'on le transforme et on le valorise en matériau après. Soit on cherche à revaloriser un bâtiment qui a été démoli en terre et ça c’est aussi c'est du recyclage. Du réemploi en tant que tel c'està-dire qu'on aurait un matériau qui est formé et qu'on réutilise d'une autre manière. Par exemple une brique d'un édifice qui a été démonté et qui est réutilisé après. - J'ai parlé avec quelqu'un qui travaille chez Joly & Loiret. On m'avait bien dit que qu'on pourrait considérer comme réemploi le cas des terres de Paris. Après moi j'étais au départ plus en train de parler du cycle de vie, du coup développer sur le matériau lors de la déconstruction/démolition d'un bâtiment. Ça dépendra peut-être plus des techniques en fait car je suppose qu'un mur en pisé il faudra le faire retourner de la terre ? Ouais c'est ça on est obligé de le faire retransformer en terre pour pouvoir le réutiliser derrière. Après aujourd'hui c'est vrai que ça dépend ce que vous regardez. Si vous regardez dans l'histoire de la construction terre, il a énormément d'exemples qui ont récupérés les terres d'un ancien bâtiment pour pouvoir en faire un nouveau. Dans le NordIsère on retrouve souvent des gens qui récupèrent les terres d'une maison où la toiture est tombée pour pouvoir la revaloriser derrière dans des nouveaux bâtiments en pisé ou construits avec d’autres techniques. C'est une pratique qui traditionnellement et hyper cou77
rante, très fréquente en fait. Des bâtiments en terre neuf aujourd'hui on n'en a pas qui sont démolis. Donc en soit le réemploi il faut qu'il y ait un cycle de vie qui soit réalisé pour qu'on puisse considérer qu'on fasse du réemploi derrière. Aujourd'hui on n’a pas assez de bâtiment qui ont construit en terre de l'époque contemporaine. Même des bâtiments aujourd'hui du domaine de la terre de 1982. Ces bâtiments sont en cours de réhabilitation. Il y a toutes les techniques, du bloc de terre comprimée, de la terre allégée, du pisé. Tous ces bâtiments, aujourd'hui, quand ils sont réhabilités, on change uniquement le second œuvre. Comme c'est du gros œuvre la terre, ce n'est pas touché ou transformer. Donc on n'a pas forcément de remploi de terre car on ne touche pas là structure principale du bâtiment. Ça c'est plus les questions de cycle de vie. Après pour les questions des terres de déblais, terres d'excavation qui sont extraites et qui sont réemployées, ça c'est quelque chose de plus important. On a beaucoup de bâtiments qui utilisent des terres de terrassement. En fait dans la majorité des projets qui sont construits on ne prend pas la terre dans une carrière. Ce sont des terres qui proviennent des terrassements qui sont à côté. On a des projets où on a récupéré des terres qui viennent d'éolienne, des constructions d'éoliennes. Quand ils font une éolienne, ils creusent une grosse fondation pour la fixer dessus et cela fait des énormes tas de terre qu'on a déjà réutilisé dans certains projets. Il y a des projets qu'on a construit récemment où la terre provient directement de la fouille du bâtiment. Ça c'est un cas vraiment beaucoup plus rare car cela signifie que le nature de la matière corresponde à ce que l'on va mettre en œuvre derrière. Toutes les terres ne sont pas bonnes pour n'importe quelle technique. Il doit donc y avoir un diagnostic, une anticipation de savoir quelle terre nous avons sur notre terrain, comment on va la mettre en œuvre et quels sont les contraintes. Ce sont des exemples. En fait c'est hyper fréquent, c'est la majorité des cas. - Pour la matière terre, en termes de stabilisation, est-ce que si partiellement stabiliser il est certain que ce n'est pas réversible ou existe-t-il des solutions autre pour avoir un matériau plus solide ? Ah ça c'est faux ! c'est complètement faux. Sur la stabilisation il y a plein de gens qui ont discours complètement faux. Ce n'est pas parce que c'est stabilisé que ce n'est pas réemployable. Au contraire vous 78
prenez une brique et vous les stabilisées. Pour faire du réemploi d'une brique il vaut mieux qu'elle soit stabilisée, qu'elle ne le soit pas. Par exemple c'est le parti pris qu'on a pris quand on a fait la ville des terres avec Bellastock. Pendant le festival on a décidé de stabiliser les briques exprès, justement pour pouvoir avoir ce réemploi des briques par la suite. Parce que si vous ne la stabilisée pas et on l'aurait utilisée comme ça sans protection, les briques s'il avait plu elle n'aurait pas pu être revaloriser derrière. Alors que là aujourd'hui on est sur un projet de revalorisation de ces briques dans un autre projet par la suite. C'est en cours là, justement Bellastock va travailler sur tout le processus de tri, de transformation ou d'adaptation des briques pour pouvoir les réutiliser dans un autre projet derrière. Donc en fait la question la stabilisation ça dépend à quelle échelle on regarde. Si on regarde juste au niveau du matériau effectivement on transforme ses propriétés parce qu'avec un stabilisant hydraulique on va figer les argiles. Mais par contre, ça fige un matériau dans le temps, ce qui derrière facilite son réemploi si on veut garder la nature du matériau. Ce n'est pas aussi tranché, ce n'est pas aussi noir ou blanc la stabilisation aujourd'hui. Autre chose ce n'est pas parce que le matériau est stabilisé que derrière on ne peut pas en refaire un autre matériau. Un gros exemple que vous pouvez peut-être utiliser où approfondir dans votre mémoire c'est l'exemple de la filière Mayotte. Un gros boulot qu'on a mené depuis une trentaine d’années. Les entreprises produisaient des blocs à partir des terres qu'elles récupéraient des terrassements. Cela a évité que les terres qui étaient sorti du terrassement soit jetées dans le lagon de Mayotte, donc ça permet de récupérer un déchet et d’en faire des matériaux. On a finalement favorisé de l'activité en local avec des petites briqueteries locale et il stabilise bloque. Est-ce que c'est intelligent ? Est-ce que ce n'est pas intelligent ? Est-ce que c'est mauvais les stabiliser ? En fait là c'est intéressant de le stabiliser car sans la stabilisation ils n'arrivaient faire les blocs. Ça permet du coup de revaloriser les ressources locales. Certes le ciment n'est pas local, Ce n'est pas "écologique" on le sait tous. Mais si on n'utilisait pas le stabilisant dans ce cas spécifique on n'aurait jamais su valoriser toute cette terre et en faire ces 18000 logements à Mayotte sur 30 ans. C'est considérable, c'est une des plus grosses expériences en terre. Et les acteurs sur place vous diront : "oui mais bon le ciment ce n'est pas bien, faudrait pas en mettre" mais vous prenez une brique vous la broyée, vous la concassée, on la recomprime derrière avec un peu de 79
ciment et on a de nouveau une brique. En fait ce n’est pas pour autant qu'on n'arrive pas à la réinjecté dans le cycle. - Après ça serait spécifique aux briques en terre comprimés où ça pourrait être le même cas dans d'autres technique je pense notamment au pisé ? Moi je ne connais pas d'autres technique qui sont vraiment stabilisés le pisé est parfois un peu stabilisé mais cette à très faible dose sauf aux États-Unis vraiment il stabilise beaucoup plus. Mais en France il y a très peu de stabilisation, c'est de l'ordre de 1 à 2 pourcents maximum quand on pense stabiliser. Ça veut dire que ça ne change pas la nature du matériau. Bauge il ne faut même pas penser à mettre du stabilisant, en torchis non plus et adobe non plus. Parce que si vous mettez du ciment au moment où vous moulé votre pâte ça ne marche pas du tout. C'est vraiment une question de de quelle ressource on a et en fonction on adapte car il y a plusieurs manières de faire. - Il y avait également la question au niveau des infrastructures, sontelles déjà mises en place ou ne sont-elles pas nécessaires car on se trouve au niveau local ? Par exemple s’il y a une entreprise qui démoli ou qui déconstruit un bâtiment en terre ? C'est déjà une chose assez rare. Ce que je vous disais dès le début ça n'arrive pas toutes les semaines de démolir un bâtiment en terre sauf dans les zones où on a un patrimoine en terre qui est déjà assez ancien et là il y a plus de démolition. Est-ce qu'il y a des filières déjà existantes ? Dans ce cas-là c'est le terrassier qui va s'occuper de l'excédent de matériaux et puis Aujourd'hui il n'y a pas suffisamment de construction neuve en pisé pour absorber tout ce qui est déconstruit donc la plupart du temps c'est remis en terrassement pour le revaloriser. Ce n'est pas revalorisé en bâtiment nécessairement comme sur le patrimoine du Nord Isère. - Est-ce que la question de la revalorisation ou du réemploi du matériau vous semble pertinent comme question ? Dans le réemploi il y a cette idée qu'on a quand même un matériau qui a emmagasiné tout un ensemble de caractéristiques qui sont des dimensions, des résistances à la compréhension, etc. quand on fait 80
du réemploi on se sert de cette matière qui est figée sous forme de matériau. Ce n'est pas une ressource qu'on recycle, c'est un matériau qu'on réemploi. Aujourd'hui il y a un vrai potentiel sur le recyclage des terres de déblais et ça ne concerne pas uniquement Paris c'est sur tout le territoire c'est la thèse que je suis en train de développer et que je finalise bientôt j'espère. C'est un vrai potentiel pour la construction mais il y a toujours des contraintes c'est possible techniquement ce n'est pas vraiment compliqué mais il y a tout un ensemble de contraintes de réglementation de filière d'acteur c'est cet aspect-là qu'il faut travailler et faire évoluer.
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Annexe 2 : Entretien téléphonique avec Antoine Aubinais le 15-01-19
Antoine Aubinais est le co-fondateur de Bellastock en 2006 et s’occupe aujourd’hui du développement international. - Y a-t-il bien eu 30 000 BTC de fabriquées pour le festival ? Non, il y en a eu 17 000 - Comment avez-vous décidé si les BTC fabriquées seraient réutilisées après le festival ? Aviez-vous déjà des projets en tête ? Le principe même du festival c’est de flécher les matériaux utilisés durant l’expérimentation vers d’autres projets de manière en gros qu’il n’y ait pas de chute ni de déchets à l’issue de l’expérimentation. Donc oui on avait fléché une certaine partie des briques déjà avant la fin du festival mais pas les 17 000. On avait pensé à un local poubelle pour Paris habitat. Ça malheureusement ça n’a pas fonctionné mais aujourd’hui on a trouvé un autre projet qui est le siège social d’une coopérative qui va être réalisé à partir de cet été. Dans tous les cas, la règle que l’on c’était donné et que l’on avait donné aux participants était de reconditionner les BTC comme ils les avaient trouvées, donc sur les palettes et prêtent à être réutilisée. - Où pourrais-je trouver des informations sur l'usine mobile utilisée pour trier la terre ? Ce qu’il faut savoir sur cette usine mobile c’est que le travail qui a été mené par Hugo Gasnier qui est un chercheur de Carterre. - Ensuite je m'intéresse plus à l'après festival et au devenir des BTC. Quelles ont été le ou les processus utilisés vous pour savoir si une BTC était aptes ou non à être réutilisée ? Sont-ils compliqués ? Dans la mesure où les BTC ont été stabilisée à 6% de ciment elles sont relativement solides et dure et à partir du moment où elles ne sont pas brisées ni fêlée, tu vois le contrôle tu le fais toi-même en voyant la brique. Ce que l’on avait fait c’est que l’on a fait des files de participant qui triaient les BTC. Celles qui récupéraient les BTC brisées 82
ou fêlées et celles qui reconditionnaient celle qui étaient intact. Il n’y a donc pas de processus mécanisé. - Sur quels types de projets les BTC ont-elles été utilisées ? Ou se trouve ces projets ? Pour l’instant le seul projet est celui du siège social de la coopérative et il se trouve à Stains dans le 93. - A-t-il été simple de convaincre les maîtres d'œuvre / d'ouvrage d'utiliser les BTC réutilisées dans les projets concernés ? C’était même un souhait de la maitrise d’œuvre et de la maitrise d’ouvrage. On avait déjà le projet en cours ils avaient le souhait de travailler avec nous à partir des gisements de réemploi. Nous on leur a dit qu’on avait un stock de blocs de terres comprimés que l’on avait gardé suite à l’évènement la ville des terres et ils nous ont dit Banco, on peut les réutiliser pour certaines parties du bâtiment. - Connaissez-vous d'autres projets où un matériau en terre crue (BTC, pan de mur de pisé préfabriqué, adobe, etc.) a été réutilisé dans la même idée que pour les BTC l'ont été après le festival ? Alors ça non pour le coup. Du moins pas en terre crue. […] Un projet qui se démonte c’est le projet qui avait été mené Craterre, là demande à Hugo, il pourra t’en parler. C’est un prototype qui a été fait avec le financement de la caisse des dépôts, c’était un appel à projet qui s’appelle : l’innovation dans le logement social et ce qu’ils ont fait c’est qu’ils ont monté tout en préfabriqué et toutes la terres qui a été utilisées était dans des cadrant en bois donc je sais qu’ils l’ont démonté puis remonté à un autre endroit. Hugo pourra rentrer dans le détail car il était responsable du chantier avec Maxime Bonnevie.
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Annexe 3 : Entretien téléphonique avec Hugo Gasnier le 25-01-19
- J’avais quelque question plus par rapport à la réutilisation de matériaux pour des projets spécifiques. Déjà pour le projet Terra Nostra, j’aurais aimé savoir si les panneaux de bois rempli avec de la terre étaient remplis aux Grands Ateliers puis après déplacés avec la terre ou alors s’ils étaient remplis une fois à Lyon ? En fait tout le prototype Terra Nostra il a été préfabriqué aux Grands Ateliers donc en fait chaque morceau à été préparé, la terre était déjà mise dans les éléments de bois. Après l’idée c’est que la finition en terre, la dernière couche d’enduit on la fait au dernier moment pour rattraper des petits problèmes qu’il y aurait pu avoir durant le transport. - En théorie est-ce que les panneaux qui ont été utilisés pourraient être démontés puis réutilisé dans une autre construction ou alors ils sont vraiment faits à des dimensions spécifiques ? Bah c’est comme pour tout bâtiment je pense. Oui se sont des dimensions spécifiques au projet. Je vois le type de dimensions qu’il faudrait pour que ce soit réutilisé. - Je pensais au cas des BTC que l’on va démonter et je voulais savoir si vous pensiez que ce serait possible avec du pisé préfabriqué d’appliquer un système similaire. Parce qu’ils sont amenés sur le chantier, après on les montent et on met de la terre entre les différents blocs. Mais est-ce que ça serait envisageable de les démonter et de les réutiliser après ? Ah bah ouais complètement. À mon avis c’est pas compliqué du tout. Après ça n’a jamais été fait mais je ne pense pas que ce soit compliqué. Par contre il faut juste retrouver la ou il y a eu les connexions mettre un coup de disqueuse dans les joints et il faut trouver le système pour les relever. Après il faut voir si économiquement c’est jouable. - Par rapport à la maison des 24h qui avait été faite en 1986, je n’ai pas réussi à trouver des informations ailleurs que dans le livre fait pour l’exposition « Ma Terre Première », existe-t-elle toujours ? 84
Oui le bâtiment existe encore, il y a eu plein d’utilisation différente. À la base ça devait être un bâtiment vraiment temporaire juste pour faire la démonstration des BTC. Du coup c’était vraiment pour faire la démonstration du potentiel de construire. L’idée c’était que l’on puisse vraiment construire des bâtiments hyper économiques en 24 h avec de la terre. L’objectif c’était d’en faire une première démonstration le campus de Grenoble a accepté de l’accueillir de façon temporaire puis sur le campus ils l’on concerné. Ça a été pendant longtemps une agence de voyage géré par une asso. C’est devenu des archives et là ils sont en train de la réhabiliter pour pouvoir en faire, alors ils veulent mettre des capteurs dedans pour voir comment ça se comporte au niveau thermique et tout ça. Donc c’est un petit projet qui est resté dans le temps quoi. - Et c’est le seul modèle qui a été fait ? Il n’y a pas d’autres exemples qui ont été fait après ? Ça c’est un modèle de base qui a servi pour la construction de tous les logements à Mayotte. C’est vraiment lié en fait, c’est la même période, 86 c’est la période où il y a eu les premières expérimentations qui ont été mené pour la construction de l’habitat économique à Mayotte. Ce n’est pas exactement le même modèle. Le modèle de dôme qui est utilisé sur la maison des 24 h c’est le même que l’on retrouve sur les cas de dôme que l’on retrouve sur Mayotte mais on en a eu que deux exemplaires. Il y en a un qui est encore construit.
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Annexe 4 : Composition et état hydrique de la terre nécessaire pour les différentes techniques de construction en terre crue
Source : (Houben & Guillaud, 2006)
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Annexe 5 : Liste des évènements en lien avec la terre crue depuis 2007
Pavillon de l’Arsenal (depuis 01.01.07) : -Expositions : •Terre de Paris (13.10.16 - 08.01.17) -Conférences : •Matériaux durables pour demain (10.05.07) •Les Mardis du Pavillon Circulaire (cycle de conf.) - Matière, Matériaux & Réemploi (01.12.15) •La Ville Expérimental (17.03.16) organisé par le CAUE94 •Terre de Paris (12.10.16) Joly & Loiret •1 Architecte, 1 Bâtiment (cycle de conf.) - Wang Shu : One Village and One Museum (25.01.18) •La Fabrique de Matériaux en Terre Crue – Projet Inédit d’Economie Circulaire (27.09.18) •Remarque l’absence du matériau Terre dans le cycle de conférence Petites Leçons de Ville (cycle de conf) – Matière de Ville : Emploi et réemploi des matériaux de construction parisiens en tant que sujet à part entière mais cité dans la conférence sur la brique (03.05.18) -Ateliers / Workshop : •Jeux de Construction en Terre – Atelier Jeune Public dans le cadre de l’exposition Terre de Paris (Tous les dimanches entre 13.10.16 - 08.01.17) Cité de l’Architecture et du Patrimoine (depuis 01.01.13) : -Conférences : •Les Rendez-vous métropolitains - Sevran, création d’un écoquartier à partir des déblais du Grand Paris (14.02.18) •Hommage à André Ravéreau architecte (1919-2017) - Entre engagement et transmission (12.03.18) •Les Entretiens de Chaillot - « La voie des milieux », par Serge Joly et Paul-Emmanuel Loiret, architectes, Joly & Loiret, Paris (28.05.18) 88
Autres lieux d’expositions : -Expositions : •Cité des Sciences et de l’Industrie – Ma Terre Première pour Construire Demain (06.10.09-22.08.10) puis itinérance dans 4 autres villes. Le Vaisseau à Strasbourg (09.2010 – 09.2011) ; Forum Départemental des sciences de Villeneuve d’Ascq (09.2011 – 03.2012) ; L’EPCC du Pont du Gard (03.2012 – 09.2012) ; Le Musée des Confluences à Lyon (09.2012 – 03.2013) puis de nouveau en 2016 dans le cadre de Lyon 2016, capitale de la terre (23.02.16 - 17.07.17) •Arc en rêve centre d’architecture – Wang Shu Lu Wenyu (31.0528.10.18) •Arc en rêve centre d’architecture – Terre d’ici : Ivry-sur-Seine | Biganos (12.07 – 28.10.18) -Colloque : •Dans le cadre de Lyon 2016, Capitale de la Terre, le 12ème Congrès Mondiale sur les Architectures de Terres est reçu à Lyon (11-14.07.16). De nombreux autres évènements (expositions, conférences, workshops, etc.) sont organisés tout au long de l’année 2016. -Festivals : •Grain d'Isère : depuis 2002 mais plus forte affluence depuis 2013 (2012 : 328 puis 2013 : 1300 d'après les données disponibles sur craterre.org -Médias divers : •Documentaires : ARTE Regards - La Maison de Demain (16.11.18) ;
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Annexe 6 : Organisme principaux de la filière terre crue
-Craterre – Centre de recherche et d'application en terre (source : http://www.craterre.org/) : •Création : 1979 •But : - Mieux utiliser les ressources locales, humaines et naturelles, - Améliorer l'habitat et les conditions de vie, - Valoriser la diversité culturelle. •Membre : Equipe pluridisciplinaire et internationale, CRAterre est une Association et un Laboratoire de recherche de l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble, qui rassemble chercheurs, professionnels et enseignants, et travaille avec de nombreux partenaires -AsTerre – Association Terre (source : http://www.asterre.org/) : •Création : 2006 •But : -Le regroupement et la promotion des entreprises et des techniques de terre crue ; -La transmission des savoir-faire et le développement des formations concernant la terre crue ; -La mise en place de règles professionnelles relatives aux différentes techniques de construction en terre crue, traditionnelles et contemporaines ; -Favoriser les échanges entre les professionnels, avec les partenaires de l’acte de bâtir, au niveau national et européen. •Membre : -Le collège des membres de droit composé de l'Association des Artisans du Torchis, de la CAPEB Haute Normandie déléguée par la CAPEB et du Parc Régional Naturel des Boucles de la Seine Normande au titre de l'Association des Parcs ; -Le collège des membres actifs : artisans, artisanes, chefs d'entreprise exerçant une activité dans la construction en terre crue, producteurs de matériaux ; -Le collège des membres associés : partenaires de l'acte de bâtir : architectes, ingénieurs, associations, organismes de formation initiale et continue, parcs régionaux, associations de valorisation du patrimoine, maisons paysannes, CRAterre, Conseil d'Archi90
tecture, d'Urbanisme et de l'Environnement (CAUE)...... -Amàco – Atelier Matière À Construire (source : http://www.amaco. org/) : •Création : 2012 •But : un centre de recherche et d'expérimentations qui vise à valoriser, de manière sensible et poétique, les matières brutes les plus communes comme le sable, la terre, l'eau, le bois, la paille, etc. •Membre : une collaboration entre chercheurs, enseignants, professionnels de la construction, dans les domaines de l'architecture, l'ingénierie, l'art et le design. •Partenaires fondateurs : les Grands Ateliers (Isère), l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble (ENSAG, unité de recherche Architectures Environnement et Cultures Constructives, laboratoire CRAterre), l'Institut National des Sciences Appliquées de Lyon (INSA Lyon) et l'École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de Paris (ESPCI Paris)
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Annexe 7 : Usine mobile utilisĂŠe Ă pour le festival Ville des Terres
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La terre est une matière qui est local de deux manières, à la fois par sa disponibilité mais aussi par l’architecture qui découle de son utilisation pour construire. Elle est disponible localement et en grande quantité et en fin de cycle de vie, peut revenir à son état original ou alors être réutilisée pour de nouveau édifices. Elle peut être mises en œuvre de multiples manières ce qui résultent en dans une forte diversité dans les architectures qu’elle crée. Une différence d’architecture permet de pouvoir s’identifier à un lieu, de la même façon que la matière lie au local. Son utilisation bâtir va également amener au développement local et des acteurs par le biais d’échanges sociaux et économiques.
Mots clés : Terre, Local, Durable, Social, Cycle de vie