L'épaisseur du vide

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SOMMAIRE: Introduction I

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Histoire de l’épaisseur: 1 ENVELOPPE STRUCTURANTE 2 DISTINCTION ENVELOPPE/STRUCTURE 3 DISJONCTION ENVELOPPE/STRUCTURE

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II HABITER l’épaisseur: 1 2 3 4

LE MUR MASSIF HABITÉ LE MUR CREUX CONTINU LE MUR CREUX DISCONTINU LA MASSE HABITÉE

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III L’ÉPAISSEUR SUPPORT DE SENS: 1 L’APPROPRIATION (Lacaton & Vassal) 2 LA DÉMATÉRIALISATION (Jean Nouvel)

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CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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Introduction: Depuis quelques années, le développement durable est devenu une préoccupation centrale du grand public. De même, l’architecture se retrouve désormais focalisée autour de questions environnementales, de telle sorte que la notion de soutenabilité est parfois désignée comme le référent commun de l’architecture contemporaine. Ainsi, en France comme dans la plupart des autres pays européens, la production du bâti est soumise à la réglementation thermique de 2012, amenée à se renforcer en 2020. Pour atteindre les performances énergétiques demandées dans le cadre de la réalisation d’un bâtiment neuf, la façade s’épaissit en se dotant d’une couche d’isolation par l’extérieur ou d’une enveloppe décollée du reste du bâtiment. Cette nouvelle manière d’envisager la façade représente un terrain d’expérimentation sur le plan esthétique, théorique et spatial. En effet, en se dédoublant, l’enveloppe change de fonction, elle ne se donne plus simplement à voir, elle devient un espace à part entière, support de nouveaux usages. Cette réflexion a été amorcée au début du XXe siècle suite à l’invention du béton armé et de la structure poteau-poutre affranchissant la façade de son rôle structurel. «Puisqu’un mur présente un visage différent à l’intérieur et à l’extérieur (...) nous sommes arrivés au point où cette claire perception peut permettre la dissociation du mur intérieur par rapport au mur extérieur (...) et générer entre eux un espace qui peut être parcouru, ce qui ne saurait être réalisé avec un mur de pierre massif» (Louis Kahn, conférence du 14 novembre 1961) C’est dans cette épaisseur variant de quelques centimètres à quelques mètres que se joue la relation capitale de toute masse bâtie avec son environnement extérieur. Cette épaisseur parfois niée, parfois extravertie à outrance amène les questions suivantes: de quelle manière la façade est elle devenue un espace habitable? Quel est la place de l’espace dans la conception contemporaine de la façade? En quoi notre rapport physique à la façade est il modifié? Avant de tenter d’y répondre, il était nécessaire de se référer à l’histoire de l’architecture pour comprendre ce qui avait permis à l’enveloppe de se désolidariser puis de se dilater. La première partie revient donc sur l’évolution du statut de l’enveloppe, en partant de la préhistoire jusqu’au XXe siècle. La deuxième partie regroupe des projets contemporains par type d’épaisseur et expose les enjeux spatiaux qui en résultent. Enfin, la troisième partie expose deux positionnements théoriques contemporains permis par dédoublement de l’enveloppe; celui de Lacaton & Vassal et celui Jean Nouvel. 7


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I

HISTOIRE DE L’ÉPAISSEUR:

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I.1 L’ENVELOPPE STRUCTURANTE: La première forme d’habitat connue est celle de l’homo erectus qui construisait des huttes de branches recouvertes de peaux qu’il abritait dans des cavités rocheuses (500 000 av. JC). La masse minérale représentait une coupure franche avec l’extérieur et protégeait ses occupants des intempéries et des prédateurs. En adoptant un mode de vie plus sédentaire, l’enveloppe protectrice, autrefois naturelle, devient façonnée par la main de l’homme. Elle prend la forme d’un mur de pierres appareillées qui comporte deux fonctions; celle de clore l’espace et celle de supporter la toiture. De plus, pour signifier les limites du territoire qu’il s’approprie, l’homme bâti des enceintes. Leur aspect monolithique, souvent aveugle ou pourvu de très petites ouvertures, exprime un caractère défensif. Dans les temples de l’antiquité gréco-romaine (de 1200 av. JC à 476), la pierre taillée est utilisée pour constituer des murs, des colonnes et des plates-bandes, agencés selon des rapports logiques et dimensionnels. L’espace de culte au centre, est entouré de murs et les limites de l’édifice sont suggérées par les colonnes en périphérie. En s’écartant du mur, les colonnes dégagent un espace extérieur, couvert, à l’intérieur des limites de l’édifice. La colonnade inscrit donc une limite sans produire de fermeture. Elle constitue une enveloppe extérieure perméable à l’air et la lumière. Au moyen-age (du Ve au XVe siècle), l’utilisation d’outils de conception tels que la règle et le compas permettent de rationaliser la mise en œuvre. Associé à de nouveaux procédés constructifs tels que la voûte en berceau ou la coupole, les édifices gagnent en hauteur et en lumière. À l’extérieur, les murs sont rythmés part les contreforts et des arcs boutants, à l’intérieur, ce dispositif englobe les bas-cotés, de part et d’autre de la nef centrale. La construction se donne à voir au même titre que le décor qui orne les façades. À la renaissance (du XVe au XVIIe siècle), Vasari condamne le style du moyen-âge en les qualifiant d’ «ouvrages monstrueux et barbares qu’on peut appeler plutôt confusion et désordre». L’architecture se base désormais sur des principes esthétiques (symétrie, proportions et ordres) précisés dans le traité d’Alberti en 1485. Au travers ces siècles de l’histoire de l’architecture, on constate que la tradition ancestrale de la maçonnerie se perpétue accordant à la façade la fonction de clore et de porter l’édifice. Les murs massifs étaient le plus souvent homogènes, et leur adaptation aux charges croissantes vers le bas a été résolue par une augmentation progressive de l’épaisseur. Les contours qu’épouse l’édifice rendent compte des charges qui pèsent sur lui. 10


1 Grotte Rochebertier en Charente en 500 000 av. JC, France 2 Temple de Zeus à Olympie en 460 av. JC, Grèce

3 Cathedrale Saint Sernin à Toulouse, en 1080, France 4 Villa Rotondaen en Vénétie, par A.Palladio en 1566, Italie

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I.2 DISTINCTION ENVELOPPE/STRUCTURE: L’apparition de nouveaux matériaux de construction tel que le fer et le béton armé pendant la seconde moitié du XIXe siècle, va marquer un tournant dans l’histoire de l’architecture, particulièrement dans le rapport entre l’espace, la structure et l’enveloppe. En effet, ces matériaux permettent de rompre avec la continuité de la maçonnerie traditionnelle, en s’acquittant seuls de la fonction portante de l’édifice. Les architectes vont alors se pencher sur la relation entre structure et revêtement, toujours confondus dans une même épaisseur. Deux morales constructives s’opposent vis-à-vis de leur hiérarchisation; celle de Semper avec son traité «tektonischen künsten» de 1860 et celle de Viollet-Le-Duc avec ses Entretiens sur l’Architecture parus en 1863. Les architectes doivent désormais se situer vis-à-vis de nouveaux préceptes comme la vérité et le mensonge dans la mise en œuvre des matériaux, le dévoilement ou la dissimulation de la structure. Pour Viollet-Le-Duc, la construction est le noyau de la discipline architecturale, l’édifice est indissociable de son processus de construction. Ainsi, il estime que la vérité constructive est un impératif et considère l’enduit comme un mensonge. Semper envisage l’enveloppe comme une surface porteuse de sens qu’il compare au textile. Selon lui, l’ornementation doit «émaner de la technicité que requiert la mise en œuvre rationnelle des matériaux». Influencée par l’idée sempérienne de la paroi, l’architecture viennoise se singularise par l’expression du rideau continu à travers l’enveloppe nervurée. Ainsi Wagner comme Hofmann et Loos, adopte des systèmes constructifs mixtes où la paroi fait l’objet d’une attention particulière en tant que surface et instrument privilégié du langage architectural. Dans un tradition violet-le-ducienne, Gaudi libère la forme architecturale des tectoniques traditionnelles en exploitant les propriétés physiques inhérentes aux nouveaux matériaux. Combinant «force d’imagination et calcul empirique du funiculaire», il relève le défi de la complexité structurelle au profit de formes organiques continues. La façade, ponctuée d’ouvertures aux formes courbes irrégulières, apparait comme une paroi rocheuse qui suggère l’ordre de la nature. L’édifice est considéré comme une sculpture creuse modelée sur un squelette. Berlage essaye lui de conjuguer de façon cohérente les deux théories: «En principe, forme et décoration sont une seule chose. Elles naissent en même temps, grandissent ensemble, et c’est proprement à cause de leur piètre capacité de discernement que les hommes séparent ces choses, comme corps et vêtement». (Berlage, conférence du 29 octobre 1902)

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1 Château du Petit Trianon à Versailles, par A.J.Gabriel en 1765, France 2 Sagrada Familia à Barcelone, par A.Gaudi en 1882, Espagne

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3 Casa Milà à Barcelone, par A.Gaudi en 1906


I.3 DISJONCTION ENVELOPPE/STRUCTURE: La généralisation de l’utilisation des nouveaux matériaux avait permis aux architectes de distinguer la structure et l’enveloppe comme deux éléments distinct. Après avoir exploré les multiples possibilités de leur rapport au sein de la même paroi, ils vont les dissocier théoriquement et physiquement ce qui va révolutionner leur rapport à l’espace. En 1914, pour le projet Dom-Ino, Le Corbusier imagine «un système de structure – ossature – complètement indépendant des fonctions du plan de la maison: une ossature porte simplement les planchers et les escaliers». Ce système indique clairement l’articulation entre deux réalités distinctes ,le plan et la structure en béton armé. L’ossature disparaît au moment de la construction des murs, englobée soit dans l’enveloppe soit dans l’aménagement intérieur. À travers ce projet, Le Corbusier expérimente des articulations d’espaces plus libres qui l’amènent à une utilisation instrumentale de la structure. En effet, sa seule fonction est de couvrir l’espace protégé par des parois qui interviennent dans un deuxième temps. Ce modèle théorique utilisant le béton armé à maille régulière lui permet d’élaborer une série de types architecturaux aux formes géométriques, représentés comme des prismes parfaits. Le Corbusier refuse l’expression de la structure comme solution de caractérisation formelle de l’enveloppe architecturale. Il passe de l’idée d’une enveloppe en rapport avec la structure, à celle d’une enveloppe indifférente (façade libre). «Le tournant le plus important et fondamental dans l’évolution de l’esthétique puriste, qui tient au choix théorique résolu de l’indépendance entre structure portante et enveloppe» résulte des expérimentations menées par Le Corbusier dans les années 1920. Ainsi, «les cinq points d’une nouvelle architecture» qu’il publie avec l’aide de Pierre Janneret en 1927, expose ses conclusion théoriques: 1. Les pilotis: partie portante d’une maison permettant de s’extraire du sol, de récupérer entièrement le terrain à bâtir et de laisser le jardin passer sous la maison. 2. Les toits-jardins: surface de terrain supplémentaire, jardin aérien créé pour retenir l’eau sur le béton armé de la toiture le protégeant de la dilatation. 3. Le plan libre: prolongement des pilotis jusqu’en toiture, disparition du mur porteur, cloisonnement libre d’un plancher à l’autre. 4. La fenêtre en longueur: ouvertures libres et continues suivant la course du soleil. 5. La façade libre: façade libérée de sa fonction portante. 14


1 Dom-Ino, par Le Corbusier en 1914 2 Axonométrie du pavillon de L’Esprit Nouveau, par Le Corbusier 3 Plans du pavillon de l’Esprit Nouveau, en 1925 à Paris

4 Photo de l’intérieur de la «Rotonde» du pavillon 5 Photo du salon du pavillon de l’Esprit Nouveau

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Avec la définition du plan libre, Le Corbusier cerne clairement le thème central de l’architecture contemporaine. Le principe du plan libre consiste en une trame de poteaux faisant disparaître les murs et portant des planchers lisses, sans nervure apparente permettant de construire à chaque étage des cloisonnements entièrement libres, sans être superposés les uns aux autres. De plus, le mobilier lui permet d’organiser le plan, de distinguer les espaces d’un plateau sans les fermer. L’agencement des espaces, autrefois déterminé par des limites franches telles que les murs porteurs, devient flexible. L’espace jusque là statique se met en mouvement, comme en témoigne la fenêtre horizontale qui donne à voir le paysage à la manière d’un traveling cinématographique. Le plan libre permet à le Corbusier de dégager la façade, d’où son concept de façade libre qu’il développe pour arriver à la solution d’une façade entièrement vitrée; le pan de verre. La façade est donc réduite à une membrane immatérielle, un emballage de quelques centimètres, n’ayant que la fonction de marquer, et souvent d’effacer, la limite entre l’extérieur et l’intérieur. Au début des années 1920, Mies van der Rohe explore différentes possibilités d’indépendance entre structure et enveloppe. C’est lui qui théorise le premier la possibilité d’une façade totalement vitrée, dans son projet de gratte-ciel à Berlin en 1921. Dans le pavillon de Barcelone de 1929, il dématérialise la structure porteuse en la réduisant à de fins montants verticaux métalliques, de telle sorte que la toiture semble posée sur l’édifice. L’enveloppe de verre associée aux pans de murs qui dépassent de l’espace couvert font s’interpénétrer l’intérieur et l’extérieur. En revanche, pour la galerie d’art de Berlin construite en 1962, c’est la géométrie de la couverture qui détermine la position des pilier et des châssis. L’enveloppe vitrée en retrait, laisse la structure porteuse monumentale imposer sa présence, qui donne au musée des apparences de temple à base carré. La mise en place d’une enveloppe entièrement vitrée dans la Farnsworth House en 1945, permet à Mies Van Der Rohe de questionner la relation entre l’individu, la société et la nature. La structure est réduite au minimum, la limite visuelle s’efface au profit de la relation qui se tisse avec le contexte. De même, la limite physique se dissout à l’intérieur du logement, laissant place à des espaces suggérés par la disposition du mobilier. Enfin, en utilisant des matériaux industriels, il ancre sa réalisation dans son époque et tente de définir la place de l’individu dans cette temporalité. Ayant une fonction secondaire, et lui ayant enlevé sa fonction structurelle, la façade s’est vue réduite à ses fonctions de barrière mécanique, thermique, phonique, bien peu significatives en terme architecturale. Nier sa fonction d’épaisseur, c’est oublier que la façade est une limite, une frontière entre ce qui est clos (notamment l’habitat), et ce qui l’entoure (la rue, l’espace urbain ou la nature), qu’elle est en lisière de deux catégories d’espaces diamétralement opposés. C’est pourquoi, certains architectes modernes comme Louis Kahn vont s’intéresser à des modèles historiques tirant profit de l’épaisseur de la façade, pour qu’elle retrouve sa valeur transitionnelle. 16


1 Villa Savoye à Poissy, par Le Corbusier en 1930 2 Musée de Berlin, par Mies Van Der Rohe en 1965 3 Plan du pavillon à Barcelone, par Mies Van Der Rohe en 1929

4 Plan de la maison Farnsworth, par Mies Van Der Rohe en 1945 5 Photos du pavillon Allemand à l’exposition universelle de 1929 6 Photos de la maison Farnsworth dans l’Illinois

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II HABITER L’ÉPAISSEUR:

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II.1 LE MUR MASSIF HABITÉ: La période moderne marque un tournant dans l’histoire de l’architecture. En effet, avec l’invention du plan libre, les architectes rompent avec la tradition du mur porteur, élément fondamental du vocabulaire architectural. Cette modification du vocabulaire architectural a pour volonté première de s’affranchir de toute limite physique et visuelle dans la recherche de continuité spatiale. La façade dissociée de la structure est réduite à sa plus simple expression, or elle n’est pas seulement une limite. En séparant l’intérieur de l’extérieur, le privé du public, l’artificiel du naturel, elle fait office de transition. Il faut donc trouver un intermédiaire entre l’ouverture totale du plan libre et l’espace clos traditionnel. Selon Dominic Perrault, «le défi à relever consiste à transformer ce qui sépare pour en faire quelque chose qui relie». Louis Kahn pourtant protagoniste du mouvement moderne est le premier à traiter la question de la limite en dédoublant l’enveloppe pour en faire un espace. Les architectes contemporains vont s’inspirer de ce travail et mettre au point différentes solutions d’habiter l’épaisseur. Louis Kahn s’est inspiré de l’architecture traditionnelle dans sa réflexion sur le mur habité, le château de Comlongan en Écosse est l’un des exemples les plus significatif. Pour des raisons défensives, il possède des murs importants qui abritent des pièces dans leur épaisseur. Le caractère massif et homogène du matériaux de construction permet d’abriter des espaces de forme et de fonction différentes sans que cela ait un impactsur la volumétrie de l’espace central. À la différence du château de Comlongan, celui de Houdant possède des murs d’une épaisseur variable ce qui dissocient l’intérieur de la logique extérieur de l’édifice. Grâce à ces exemples, Louis Kahn distingue deux types d’espaces; «Le poché m’a appris la différence entre mur creux et mur massif, (...) j’ai fait du mur un contenant au lieu d’un plein. (...) Ainsi est venuee l’idée des espaces de service et des espaces servis.» (extrait de «Kahn on Beaux Arts trainning» de W.Jordy) L’utilisation du mur massif impose donc une hiérarchie spatiale reprise dans des projet contemporains comme la maison à Brejos de Azeitao d’Aires Mateus. Cette distinction s’exprime aussi par la forme des espaces, complexe pour les zones de services, accueillant des fonctions précises, à l’opposé de la grande pièce centrale, à la géométrie simple et rectangulaire pouvant accueillir de multiples usages. De plus, les pièces indépendantes les unes les autres sur le plan fonctionnel seront unifiées visuellement, englobées dans l’uniformité du matériau et perçues comme un seul élément. Enfin, l’évolution des techniques de construction ayant réduit l’épaisseur structurelle, il est difficile d’avoir une approche de la masse nos jours. Dans l’exemple d’Aires Mateus, la massivité est simulée dans la représentation et dans la réalité, ce qui pose la question de la légitimité d’une telle démarche, en opposition avec les réalités constructives de notre époque. 20


1 Chateau de Comlongan au XVIe siècle en Écosse 2 Donjon de Houdan dans les Yvelines, 1120 3 Maison à Bjejos de Azeitao par Aires Mateus, en 2003

4 Photo de l’intérieur 5 Coupe transversale et coupe longitudinale 6 Plan de rez-de-chaussée

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II.2 LE MUR CREUX CONTINU: À la différence du mur massif qui, pour être habité, résulte d’une opération comparable à la soustraction de matière, le mur creux continu résulte d’une opération comparable à l’addition. En effet, l’enveloppe se dédouble et s’écarte pour laisser la place à un vide qui peut être parcouru. Dans la cathédrale d’Evry de Mario Botta, le mur creux distingue clairement l’espace sacré de l’extérieur en formant une limite épaisse. Son caractère franchissable permet de mettre en relation l’intérieur avec l’extérieur. De même, les deux espaces intérieurs sont connectés puisque le vide constitue un espace de seuil pour passer de l’un à l’autre. Dans le projet de Louis Kahn pour les dortoirs d’Erdman Hall de Bryn Mawr, l’enveloppe évidée a une composition un peu plus complexe puisqu’elle est composée d’une multitude d’espaces juxtaposés, les chambres. Cette disposition permet la résolution des exigences fonctionnelles, spatiales et structurelles. En effet, les chambres en périphérie son en contact directe avec l’extérieur, tandis que des pièces de service les séparent de l’espace commun central. Le nom «mur creux continu» désigne les deux parois alors qu’elles sont séparées par un vide ce qui pose la question de l’identité de cet élément. Dans le projet de Mario Botta, les faces sont parallèles, peu espacées et d’une matérialité similaire. Ainsi, conceptuellement et spatialement, elles forment une seule entité. En revanche, dans le projet de Louis Kahn, les deux faces du mur sont largement espacées, de matérialité différentes selon leur fonction (porteuse ou séparative) et comportent des percements indépendants. La notion de mur creux continu est ici métaphorique et se lira différemment spatialement. «L’architecture devrait être conçue comme un assemblage d’espaces intermédiaires clairement délimités. (...) cela signifie une rupture avec la conception contemporaine (disons la maladie) de la continuité spatiale et avec la tendance à effacer toute articulation entre les espaces, c’est-à-dire entre l’intérieur et l’extérieur, entre un espace et un autre (entre une réalité et une autre). Au lieu de cela la transition doit être articulée en utilisant des espaces intercalaires bien définis permettant de prendre simultanément conscience de ce qui caractérise chaque côté. Dans cette optique un espace intercalaire fournit le terrain commun grâce auquel des extrêmes incompatibles peuvent encore devenir des phénomènes jumeaux» (extrait De l’ambiguïté en architecture de Robert Venturi)

Ainsi, dans le musée d’art contemporain à Kanzawa de Sanaa, il ne s’agit plus seulement d’habiter les limites de l’édifice, mais les limites de chaque pièce. La conception de cet espace de seuil résulte de l’agencement des pièces. La notion de mur creux continu est dans ce cas purement théorique. 22


1 Croquis de Mario Botta 2 Cathédrale d’Évry par M.Botta en 1995 3 Musée à Kanazawa au Japon, par Sanaa en 2004

4 Photos de l’intérieur de la cathédrale d’Évry à Paris 5 Photo de l’intérieur du musée de Kanazawa au Japon 6 Coupe et croquis de la cathédrale d’Évry

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II.3 LE MUR CREUX DISCONTINU: Le concept de mur creux discontinu provient de la dislocation du mur en une multitude de colonnes qu’Alberti définit comme «la partie la plus noble du mur». Selon lui, «Ces ordres de Colonnes ne sont autre chose qu’un mur ouvert et fendu en plusieurs endroits». Louis Kahn poursuit cette réflexion en évidant la colonne de manière à y insérer des espaces; «On savait que la masse n’était au fond pas nécessaire, parce que seul le pourtour de la masse soutenait la construction, et non la masse elle-même.» (extrait de Question aux architectes de J.W.Cook et V.Joseph, en 1974)

Pour développer le projet de la synagogue de Hurva à Jerusalem, Louis Kahn s’inspire du Temple Salomon où l’espace sacré est entouré d’un mur creux subdivisé en une multitude de pièces juxtaposées. Il réinterprète cette disposition spatiale en subdivisant l’enveloppe épaisse de la synagogue. Chaque élément, indépendant sur le plan structurel est assimilé à une colonne évidée de sa matière. La multiplication de cet élément permet d’enserrer un vaste espace central sans entraver la continuité spatiale. De plus, il réutilise sa réflexion sur les espaces servis et servants pour répartir les programmes selon leur taille et leur rôle. Ainsi, chaque colonne accueille un programme de petite taille, indépendant sur le plan fonctionnel et mis en relation par le vaste espace de culte au centre. Petits et grands espaces entretiennent une relation d’interdépendance. À l’intérieur, quatre piliers monumentaux organisent l’espace de culte, supportent la toiture de l’édifice conçue comme un dispositif lumineux. La colonne évidée est un élément ponctuel, en s’additionnant, elles forment une colonnade habitée qui enserre un vide continu. Dans le projet de Peter Zumthor pour les Thermes de Vals, l’espace est organisé par des piles creuses au x programmes autonomes. L’espace est organisé par opposition entres les masses qui renferment des espaces clos et le vide qui accueille des programmes ouverts. La multiplication des piles aux dimensions différentes permet de délimiter l’espace et leur resserrement permet de définir des seuils sans entraver la continuité spatiale. Visuellement, elles constituent des masques qui empêche la lecture de l’édifice dans son ensemble et intimisent certaines parties. Enfin, l’entrée de chaque piles est étroite de manière à créer un seuil et à préserver la massivité du dispositif. Les architectes Aires Mateus ont aussi travaillé sur ce principe pour le projet de la maison à Serra Mira de Aire à Porto. Deux types d’espaces se distinguent, les parties privatives à l’intérieur des volumes en béton qui, par opposition, définissent des espaces publiques. Spatialement, l’utilisation d’un matériaux unitaire brouille la distinction entre espaces clos et espaces fluides, ce qui provoque des perceptions ambiguës. Malgré l’opposition qui régit l’organisation spatiale, la matérialité permet de rassembler les deux ordres en un espace qui sera perçu comme un tout. 24


1 Synaguogue de Hurva à Jérusalem, par Louis Kahn en 1970 2 Maison à Serra de Mira par Aires Mateus en 2001 3 Maquette de la synagogue de Hurva en Israël

4 Photo de l’intérieur des Thermes de Vals en Suisse 5 Plan des Thermes de Vals par P.Zumthor en 1996

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II.4 LA MASSE HABITÉE: La masse habitée peut être perçue comme un épaississement maximum de la limite, de manière à lui donner une dimension spatiale, une condition matérielle. En effet, elle résulte d’un travail basé sur le vide que l’on vient creuser dans la masse. Dans la maison à Melides, construite en 2005 au Portugal, les architectes Aires Mateus utilisent cette métaphore pour agencer les différents programmes. «Les espaces auxiliaires sont installés en façade, compressés et regroupés en deux bandes construites d’épaisseur variable. Entre elles, de part et d’autre de la maison, deux entrées couvertes garantissent l’accès à l’espace principal. Le séjour occupe une position centrale, divisé en deux par un patio intérieur qui amène de la lumière indirecte. Cet espace s’organise en fonction de la lumière, des vues et des programmes. C’est l’espace secondaire de la maison, de prime abord perçu par ses limites épaisses, qui l’enveloppent et expriment un volume pur à l’extérieur.» (extrait de la monographie Aires Mateus aux édition Almenida paru en 2005)

Dans ce projet, les espaces clos ne peuvent plus être désignés comme un mur creux car les deux faces de celui-ci possèdent un écart trop important et ne sont pas solidaires (l’une est rectiligne, l’autre déformée). De plus, la proportion d’espaces contenus dans le mur est équivalente à l’espace enclos par celui-ci, ce qui provoque une dualité entre les deux ordres. Le mode de représentation utilisé par les architectes donne une lecture binaire du plan en opposant les deux types d’espaces. Jacques Lucan dans «Généalogie du poché» explique «que le mot poché était couramment employé à l’école des beaux-arts de Paris, mais aussi que c’était une notion d’atelier qui désignait ce qui n’avait pas besoin d’être précisément explicité, parce que ne possédant pas de dimension théorique particulière». La masse habitée est pochée car elle contient des pièces aux fonction précises, qui n’ont pas besoin d’être détaillées, tandis que l’espace principal peut accueillir différents usages. Ce processus de conception permet donc aux architectes de résoudre la cohabitation entre deux types d’espaces contrastés. L’idée de masse habitée est, par définition métaphorique puisqu’elle ne peut à priori pas se construire en un seul élément qu’on viendrait creuser. Les architectes mettent donc en place une «unité constructive totale» pour que la réalité du projet se rapproche le plus possible de leurs références traditionnelles et de leur conception théorique. Ils expliquent que, puisque les techniques de construction actuelles ne permettent pas d’avoir un bâtiment fait d’un seul et même élément massif évidé, ils conçoivent la structure de l’édifice de manière à ce que tous éléments soient interdépendants. En conclusion, on remarque chez certains architectes contemporains une volonté de renouer avec l’épaisseur de la construction traditionnelle même si celle-ci est aujourd’hui simulée. Elle crée des seuils et hiérarchise clairement l’espace en opposition avec la fluidité et l’effacement des limites proné par les modernes. 26


1 Plans schématiques de la maison à Melides au Portugal 2 Plan de la maison à Melides par Aires Mateus en 2003 3 Photo de l’intérieur

4 Photo de l’entrée de la maison 5 Photo de l’extérieur de la maison

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III L’ÉPAISSEUR SUPPORT DE SENS:

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III.1 L’APPROPRIATION; (Lacaton & Vassal) L’invention de la structure en béton armé et du plan libre au XIXe siècle à marqué un bouleversement du rapport à l’espace. En effet, les architectes ont rompu avec la tradition du mur porteur, élément fondamental du vocabulaire architectural. Dans une recherche de continuité spatiale, les architectes se sont affranchis de toute limite physique et visuelle. La façade dissociée de la structure a été réduite à sa plus simple expression, une paroi de verre. Aujourd’hui, la conception d’une enveloppe épaisse de quelques centimètres comme le prônait Loos ou Wagner serait impossible. En effet, la notion de développement durable, apparue dans les années 1990 s’applique désormais au secteur de la construction. Désormais, les préoccupations environnementales font partie intégrante de la conception architecturale à différentes échelles, de la ville au quartier, du bâtiment au matériaux. Ce nouvel enjeux, parfois désigné comme le référent commun de l’architecture contemporaine provoque une modification radicale de l’esthétique architecturale. En effet, les contraintes de performance énergétique amènent les architectes à trouver de nouveaux dispositifs techniques et à utiliser de nouveaux matériaux, les résilles métalliques notamment. Ce travail s’exprime surtout en façade où une enveloppe décollée vient décorer l’édifice qu’elle recouvre. L’intégration de nouvelles technologies comme la domotique accentue cette modification du langage à l’architectural. Malgré la généralisation de ce mode de conception, certains architectes comme Rudy Ricciotti dénoncent le côté normatif qui inhibe la recherche de sens et la poétique architecturale. Selon lui, la réglementation thermique mise en place par l’état laisse à priori à l’architecte une liberté totale en terme de conception, à toutes les échelles du projet. Mais on remarque que pour atteindre les performances énergétiques demandées dans le cadre de la réalisation d’un bâtiment neuf, on ne peut contourner certains dispositifs techniques tels que l’isolation par l’extérieur. Ceci amène à une généralisation de certaines techniques de construction. On peut donc déplorer le caractère contraignant de cet ensemble normatif solutionné par des recettes, enseignées aux différents acteurs du domaine de la construction. Il en découle un certain nombre d’automatismes contraires au fondement même de l’architecture, valorisant la singularité de chaque opération. Au contraire, depuis le début des années 1990, les préoccupations environnementales, sociales et économiques sont à l’origine de la création de nouvelles formes d’habitat pour les architectes Lacaton et Vassal. En effet, en s’appropriant des techniques inhérentes à d’autres domaines de construction comme la serre agricole, ils parviennent à créer des logements spacieux, peu coûteux et respectueux de l’environnement. La notion d’usages et de qualité de vie est au centre de leur préoccupation. L’espace supplémentaire et la minoration de la définition architecturale en sont le support comme en témoigne cette série de photos. 30


Opération de logements sociaux «La Cité Manifeste» à Mulhouse en 2005. Logements intermédiaires allant du T2 au T5, réalisés par Lacaton et vassal. Photos de l’intérieur des logements après appropriation de l’espace par les usagers.

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La maison Latapie réalisée en 1993 semble être le bâtiment initiateur de la pensée architecturale de Lacaton et Vassal; «toutes nos idées sur la relation au climat, l’espace dilaté, etc. y étaient déjà plus ou moins. Tous les projets que nous menons aujourd’hui pourraient s’y référer». (extrait d’un portrait écrit par M.D.Albert dans Le Moniteur)

Construite pour une famille de quatre personnes au petit budget (un couple et leurs deux enfants) elle offre une surface 120 m², et rompt avec la maison pavillonnaire traditionnelle. Formellement, c’est un volume simple de base carré, d’un coté recouvert d’un bardage en fibrociment et de l’autre par un bardage PVC transparent. L’intérieur se résume à un vaste espace organisé autour d’un bloc central regroupant les espaces de service. En ne délimitant pas physiquement chaque pièce, il crée des espace modulables et flexibles, selon les besoins et les désirs de lumière, d’intimité, de protection ou d’aération. La maison occupe la totalité de la parcelle, les limites de l’habitat englobent le jardin qui devient un espace habitable. Orientée à l’est, la serre fonctionne comme un mur trombe en hiver et fait office d’espace tampon en été. «Ces structures légères constituent un modèle d’efficacité climatique bien plus performant que le chauffage de nos maisons. Transparentes, elles récupèrent un maximum de lumière et de chaleur; en cas de surchauffe, des ouvertures entretiennent une ventilation naturelle modulable, des pare-soleil occultent éventuellement les baies, tandis que des humidificateurs maintiennent le meilleur degré d’hygrométrie.». «L’économie du système est exemplaire. Ces équipements agricoles n’utilisent que des matériaux légers, standards, pas chers, facilement montables, démontables, modulables, réparables... » (Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton dans une interview du Courrier de l’Architecte en 2009) Cette démarche «low-tech» est écologique puisqu’elle permet de dégager plus d’espace avec moins de matière. Ainsi intériorisé, le jardin change de fonction et s’offre aux appropriations les plus diverses. La réhabilitation de l’immeuble Bois-le-Prêtre semble elle aussi être un manifeste de la pensée de Lacaton et Vassal. En effet, dans une démarche minimale et économe, ils prêtent une attention particulière au qualités du site pour n’y ajouter que ce qui manque. De cette manière, ils s’opposent à la démolition de cette tour d’habitation des années 1960 pourtant située en bordure du périphérique parisien. En effet, la sobriété de la trame structurelle régulière permet à l’édifice de supporter différents types d’occupation et donc de modifications. Les architectes viennent alors prolonger les logements vers l’extérieur en édifiant autour du bâtiment une «gangue autoportée» qui abrite jardins d’hiver et balcons. Cette épaisseur supplémentaire est constituée de multiples parois fixes ou coulissantes, allant du transparent au légèrement opaque. Le bâtiment d’origine est totalement occulté par cette masse laiteuse qui dissout les limites de l’édifice. Enfin, les appartements se divisent entre un «espace de l’usage» à l’intérieur et un «espace des possibles» en façade. Cette conception de l’architecture replace donc l’usager au centre de ses préoccupations. Elle met à sa disposition des espaces support de l’invention de nouveaux modes de vie comme en témoigne la façade de cette réalisation qui s’anime selon les saisons, les heures et les personnes qui l’occupent. 32


1 Photos de la maison Latapie à Floriac en Gironde, France 2 Plans de la maison Latapie, par Lacaton&Vassal en 1993 3 Réhabilitations successives de la tour Bois-le-Prêtre, Paris XVIIe

4 Photo d’un jardin d’hiver 5 Plan de l’extension de Lacaton&Vassal réalisée en 2006 6 Schéma de la restructuration de façade

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III.2 LA DEMATÉRIALISATION; (Jean Nouvel) Jean Nouvel remarque que les structures n’ont cessé de s’affiner et que les bâtiments sont devenu de plus en plus transparents au cours du temps. Il accentue cette tendance depuis le début des années 1970 en essayant de faire disparaitre, conceptuellement mais aussi physiquement la présence de la matière. Il désigne ce processus par le terme «dématérialisation» et ajoute pour le réaliser une couche supplémentaire au feuilleté de la façade que les modernes avaient déjà espacé et aéré. La façade de l’Institut du Monde Arabe réalisé en 1987, basée «sur une micro-stratification que toutes les fonctions innervent comme une peau, au sens biologique du terme» constitue le prémice de son travail sur un revêtement porteur de sens. «À la manière des monochromes de Ryman, qui nous aident à mieux saisir l’essence de la peinture», son architecture au caractère énigmatique nous pousse à chercher le sens de l’architecture. En instaurant un dialogue avec les usagers, l’épaisseur de l’enveloppe est son principal outil. Jean Nouvel porte une attention particulière au contexte et tente d’élaborer une architecture qui dialogue avec. Ainsi, chaque réalisation est une réponse formelle singulière à une série d’enjeux propres au site. Pour le projet de la tour Agbar à Barcelone réalisé en 2005, il imagine un édifice qui marque l’entrée de la nouvelle diagonale. «Ce n’est pas une tour, un gratte-ciel au sens américain du terme: c’est une émergence unique au milieu d’une ville plutôt calme. Mais pas une verticale élancée et nerveuse comme les flèches ou les clochers qui généralement ponctuent les villes horizontales. Non, c’est plutôt une masse fluide qui aurait perforé le sol (...) La surface de l’édifice évoque l’eau : lisse, continue mais aussi vibrante et transparente puisque la matière se lit en profondeur colorée et incertaine, lumineuse et nuancée. Cette architecture vient de la terre mais n’a pas le poids de la pierre. Même si elle pourrait être un lointain écho de vieilles obsessions formelles catalanes portées par les mystères du vent du coté de Montserrat. Les incertitudes de la matière et de la lumière font vibrer le campanile d’Agbar dans le skyline de Barcelone (...) mirage lointain de jour comme de nuit.» (extrait de la conférence du de Jean Nouvel le 9 mai 2006)

La façade de la tour Agbar est composée d’une paroi de béton percée «aléatoirement» recouverte par une peau faite de lames de verre. La complexité de cette enveloppe et le jeux sur l’aspect des surfaces, donnent à l’édifice un caractère insaisissable et immatériel. Cet effet est accentué par les miroirs des ébrasures des fenêtres qui reflètent à la fois l’intérieur de l’édifice et son environnement. Ainsi, l’apparence de l’édifice est un véritable évènement perceptif qui change selon les jeux de lumière et de reflets. Au sommet, le mur de béton laisse place à un dôme de verre et d’acier. Vue d’en bas, en raison de son profil courbe, le bâtiment semble se dissoudre dans le ciel sans se découper précisément sur celui-ci. 34


1 Plans et coupe de la Tour Agbar, par Jean Nouvel en 2005 2 Vue d’ensemble de la ville de Barcelone 3 Photo de la tour prise depuis le parvis

4 Photo du hall d’entrée 5 Photo de l’intérieur pendant la construction

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Le façade de la Fondation Cartier réalisé en 1994 est sû rement celle qui à le plus crée l’événement tant l’espacement qui est instauré avec le corps du bâtiment et le jeu sur les apparences sont importants. En effet, Jean Nouvel à exploité les qualités plastiques du verre pour rendre les limites du bâtiment floues et perturber le visiteur. «Le visiteur qui vient pour la première fois à la Fondation Cartier est soumis à une expérience quelque peu déroutante. Quand il est sur le boulevard Raspail, il découvre tout d’abord un mur de verre qu’il doit longer pour accéder à l’entrée». L’alignement avec le bâti historique environnant fait qu’il associe ce mur à la façade du bâtiment. «Il franchit ensuite cette façade mais il se rend compte que, bien qu’étant derrière elle, il est toujours dehors, à ciel ouvert. Il aperçoit alors une deuxième façade en verre identique à la première et se demande si c’est bien une façade délimitant un volume intérieur ou une autre surface plane qu’il devra franchir pour parvenir jusqu’à l’entrée.» L’enveloppe de verre utilisée oscille entre transparence et reflet du contexte (bâti et végétal) selon les saisons, les conditions météorologiques et l’occupation intérieure. Ainsi, l’édifice offre une image différente à chaque heure du jour et de la nuit, et joue sur une apparence éphémère qui met en mouvement sa façade pourtant inerte. Le mur d’enceinte possède un double caractère; il est autonome sur le plan spatial mais dépendant sur le plan structurel. En effet, il est rattaché au corps du bâtiment par deux attaches métalliques qui le contreventent. Il semble évident que cette dépendance aurait pu être évitée grâce à une solution technique. Le mur de verre est donc dépendant conceptuellement du reste de l’édifice. Cette dualité émane de la manière dont l’architecte envisage l’architecture. En effet, il réfute la tendance à reproduire de modèles mais ne participe pas au culte de la différence, il allie la conscience du contexte à l’expression d’un concept fort. Selon lui, «l’hyper-spécificité» de chaque projet est le seul moyen de dépasser les modes et les époques. Pour la conception de ce projet, Jean Nouvel est partis du constat de l’obsolescence des espaces d’exposition traditionnels et de la nécessité de la ville contemporaine à réintégrer la nature. En conséquence, il opte pour une structure métallique tramée associée à des rideaux de verre qui permet à l’architecture de faire place au paysage et à l’œuvre. De même, il envisage la surface de deux manières antagonistes; son caractère séparatif soumis à des réglementations, et son caractère expressif émanant de la liberté de la création architecturale. Le corps de l’immeuble de la Fondation Cartier répond donc aux contraintes matérielles dont la loi fait partie alors que le mur de verre répond à une volonté conceptuelle, au caractère immatériel du sens. Au vue de ses deux réalisations, on remarque qu’à l’inverse des architectes comme Louis Kahn ou Aires Mateus qui travaillent la densité et l’épaisseur de la limite au profit d’une intériorité, Jean Nouvel opère un effacement des limites et de l’architecture au profit d’un dialogue. 36


1 Photo de la façade de la Fondation Cartier de jour 2 Photo de la façade de la Fondation Cartier de nuit 3 Plans de la Fondation Cartier, Paris XVIIIe, par Nouvel en 1994

4 Photo de l’entrée prise depuis le Boulevard Raspail 5 Photo prise depuis l’intérieur

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CONCLUSION: «Le but essentiel d’un bâtiment est de fermer l’espace (...) et de séparer l’intérieur de l’extérieur» (Robert Venturi, de l’ambiguïté en architecture)

Cette citation met en évidence le caractère fondamental du traitement de la limite en architecture. En effet, depuis tous temps et à tout âge, l’homme exprime la nécessité de se confectionner et de s’approprier un enveloppant garant d’une protection, qui remonte à la naissance. Tout d’abord massive, homogène et hermétique, la limite était synonyme de protection face au monde extérieur. Puis, grâce à l’évolution des savoirs faire, l’homme à réduit l’épaisseur de la maçonnerie de telle sorte que, en s’ajourant, le mur est devenu le support de l’interface entre la sphère intérieure et la sphère extérieur.e Ainsi, l’enveloppe a été, au cours de l’histoire de l’architecture, le support de l’expression de la relation de l’homme au monde. L’époque moderne, au XIXe siècle, a marqué un tournant dans l’histoire en affranchissant la façade du rôle qui consistait à tenir le bâtiment debout. Détachée de la structure du bâtiment, les différentes fonctions de l’enveloppe, (isolation, étanchéité, vue, finition, ornement), qui auparavant étaient pincées et fusionnées dans une même épaisseur, un même plan vertical, ont pu être séparées et désolidarisées. De cette manière, la limite a progressivement acquis une dimension spatiale. De nos jours, la limite est un espace de transition qui ne cesse d’être réinterprété par les architectes contemporains. Tantôt dense pour enserrer un espace intérieur, tantôt évaporée pour mettre en valeur sa capacité à incarner des notions théoriques, l’épaisseur de la limite se plie désormais à de nouvelles préoccupations environnementales. Il en découle une révolution de l’esthétique architecturale comme le prouve la vulgarisation actuelle de l’ornement. Les architectes se penchent donc sur l’infinité des moyens de la mise en œuvre de l’enveloppe architecturale. Le dédoublement de la peau lui confère désormais des caractéristiques plastiques; légère, souple, transparente, des caractéristiques technologiques et une caractéristique dynamique, mouvante. Nécessairement, la modification progressive de la conception de la façade a modifié son rapport à l’espace. Le rapport de l’usager à la façade a lui aussi été bouleversé et semble suivre l’accélération des vitesses de circulation des hommes et des informations. Pour pousser plus loin ce raisonnement, il serait donc nécessaire d’étendre la réflexion de la limite à d’autres domaines de connaissance tels que l’art ou la philosophie. De même, il serait nécessaire d’élargir la notion de limite pour comprendre la relation que la façade entretient avec l’espace urbain.

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BIBLIOGRAPHIE LIVRES: FANELLI Giovani et GARGIANI Roberto - «Histoire de l’architecture: Structure et Revêtement» - PPRU - 2008 GROCI.D, VERGA.M.J. - «Enveloppe & Murs: réflexion sur l’enveloppe du bâtiment» - Edisud - Juillet 2002 LUCAN Jacques - «Généalogie du poché, de l’espace au vide» - Matières n°7 - 2004 RICCIOTTI Ricciotti - «HQE, les renards du temple» - Al Dante

PÉRIODIQUES: AIRES MATEUS - «Aires Mateus» - Almenida - 2005 Belo Rodiea Joao, Campo Baeza Alberto - «Aires Mateus» - 2G n°28 - janvier 2004 DREVON Jean François - «AMC hors série: Jean Nouvel» - Groupe Moniteur - 2002 ILKA et RUBY Andreas - «2G Libros Books: Lacaton & vassal» - Gustavo Gili - 2007

SITES INTERNET: ? Emilie - «Enveloppant/Enveloppé» - LespaceDeLentreDeux - Mars 2009 (http://lespacedelentredeux.blogspot.fr)

AMY Sandrine - «Les nouvelles façades de l’architecture» - Appareil - 2008 (http://revues.mshparisnord.org/appareil/index.php?id=287)

PICON Antoine - «Architecture Sciences et Techniques» - Encyclopaedia Universalis - Février 2009 (http://lewebpedagogique.com/hida/files/2009/03/histoire-de-larchitecture-universalis-2.pdf)

MÉMOIRES: «Façade ou Façadisme» - (ENSAG) «Les différents statuts de l’enveloppe» - Axelle Voye -2007 (ENSAG) «Entre Deux, l’espace transitionnel de l’enveloppe» - Kara Djamel - 2007 (ENSA Paris Val De Seine) «Le mur habité» - Benjamin Laurent & Marine Puissant - Janvier 2011 - (ENSA Marne La Vallée)

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Remerciements: Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire Monsieur Frédéric Guillaud. Je le remercie de m’avoir encadré et encouragé malgré la distance qui nous séparait. Je tiens à remercier Florian Golay d’avoir pris le temps de participer à la soutenance de ce mémoire. J’adresse mes sincères remerciements à Hania Prokop pour cette année enrichissante à tous points de vue. Enfin je remercie mes parents et mes amis pour leur soutien inconditionnel.



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