RÉSUMÉ PAR NICOLE SCHUSTER du livre de Cécile Coulon
LES GRANDES VILLES N’EXISTENT PAS Dieu a fait la campagne, mais l'homme a fait la ville. La Tâche, William Cowper (Cité dans Les grandes villes n’existent pas, Cécile Coulon).
Si vous venez d’un «bled», d’un «trou», de la cambrousse, c’est-à-dire d’une des vingt-six mille communes de moins de mille habitants que compte la France, et avez donc été «élevé en plein air, comme les poules du voisin», il est très probable que vous vous reconnaissiez dans le livre de Cécile Coulon intitulé «Les grandes villes n’existent pas»1. L’écrivaine part d’une compilation de remarques désobligeantes communément émises par les touristes à propos de son village (et qui sont extrapolables aux villages de campagne semblables au sien), du genre: «Ici, c’est le paradis pour les enfants, l’enfer pour les adolescents» ou: «quelle horreur d’être jeune dans ce coin!», «c’est loin de tout». «On comprend pourquoi ça ne coûte pas cher d’investir dans la pierre». Elle répond à ces commentaires en faisant le récit du quotidien sans histoire qui anime son village et duquel il ressort que les choses et le paysage échappent à la radicalité des changements imposés par la «modernité». Les nombreux aphorismes aigres-doux qui jalonnent sa narration confèrent à celle-ci une aura de stratégie orientée vers la défense offensive. Mais, il ne faut pas se tromper : l’humour, le sarcasme, le sérieux et la poésie contenus dans le ton qu’elle emploie rend la lecture de ce «témoignage de la vie en campagne» très agréable et divertissante.
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Cécile Coulon, Les grandes villes n’existent pas, Edition Points, Paris, 2020.
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Dans ces espaces ruraux, «on y habite pour rêver d’en partir, on les quitte pour rêver d’y revenir». Dès le premier chapitre, cette déclaration nous immerge dans l’univers de Cécile Coulon : celui des racines, de l’attachement aux terres rurales, de l’exil, thèmes qu’elle aborde aussi dans son livre «Une bête au paradis»2. La vie, dans cette petite commune, est tournée vers l’extérieur, non l’intérieur, et les déplacements à pied ou à vélo sont au cœur de la mobilité. Qu’il y ait du soleil, du vent, de la pluie ou de la neige, le temps est un élément parmi d’autres et n’exerce aucune influence sur les mouvements des villageois. Par contre, la mobilité et l’interaction se voient freinées par certaines barrières psychologiques auto-imposées, à l’instar de celle qui fixe les frontières territoriales et sociales en-deçà des rues situées à plus d’un kilomètre du lieu où on habite. Seules la possession d’un scooter à l’adolescence et l’obtention du permis de conduire quelques années plus tard permettent de franchir le seuil de l’émancipation spatiale et de faire du conducteur de l’engin salvateur la cible du respect et de l’envie des copains et rivaux. Qu’importe si ce désir d’émancipation se traduit par une boisson prise à la terrasse du café de la localité d’à côté. Ce qui compte, c’est de goûter le sentiment d’évasion ressenti dès qu’on s’éloigne du regard vigilant des parents et des voisins, même si on revient au bercail quelques heures plus tard. Dans le village, il n’y a ni librairie, ni magasin de vêtements de mode. En revanche, une épicerie, une boucherie, une boulangerie assurent l’alimentation des familles. Cependant, il faut se presser, car, dès 11 heures du matin, les étalages sont vides. Inutile de préciser que, dans ces conditions, les touristes qui sont victimes de la pathologie du
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Cécile Coulon, Une bête au Paradis, Edition L’Iconoclaste, Paris, 2019.
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consumérisme propre aux grandes villes ne se sentent pas tellement dans leur élément. «Pour les enfants et les adolescents, les deux poumons d’un village sont le stade et l’école municipale s’il y en a une». Les deux sont des centres d’éducation. Le stade est le lieu de «foot» par excellence (lequel, dans ce cas, a peu à voir avec le jeu officiel et ses règles rigides). Il réunit, depuis leur plus tendre enfance, les mordus de ce sport, les dilettantes et ceux qui s’y intéressent de loin. Dans le village de l’écrivaine, le foot illustre l’adage selon lequel: «le sport unit les gens». Comme elle l’affirme : «il est au cœur de la collectivité, il anime les conversations, les rues et les soirées, les familles ; il permet les rencontres, les fêtes, les banquets » et, lors des matchs, enfants, adolescents, adultes et vieillards sont tous présents, n’ayant pour seul objectif que celui de passer un bon moment. La preuve est que, ces jours-là, «l’apéro dure plus longtemps que le match lui-même». C’est vers lui également que les pas se dirigent quand on n’a pas de scooter ni de voiture et que l’on cherche à tuer l’ennui. Il y aura toujours quelqu’un pour converser, faire passer le temps, parce que le stade est «le lieu de rencontres, de retrouvailles, de drague». L’autre espace de socialisation fondamental est, comme Cécile Coulon l’indique, l’école. Elle encourage le rapprochement entre enfants, mais aussi entre parents, et ceci grâce aux réunions de parents d’élèves. Il arrive (souvent) que, dans ces villages, une classe primaire unique regroupe plusieurs catégories d’âge. Lorsqu’on habite loin de l’école, il est nécessaire de se lever très tôt le matin pour ne pas rater le «car», c’est-àdire le bus chargé du ramassage scolaire. Le car tient un rôle d’importance quant à l’expérience pratique de la socialisation étant donné que l’emprunter signifie se plier aux normes hiérarchiques qui règlementent le rapport entre les passagers, à savoir : entre les «grands» et les «petits»,
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les garçons et les filles, et, parmi eux, entre ceux qui pensent avoir atteint un certain degré de popularité et ceux qui sont insignifiants. «Si le stade et l’école peuvent être comparés aux deux poumons du village, la salle des fêtes est son foie». Celle-ci se trouve parfois près de la mairie ou, le plus souvent, en périphérie du village (afin d’éviter que le bruit ne parvienne aux oreilles de grincheux). Elle accueille la célébration d’une foule d’activités et événements. Les jours de fête, et notamment lors de la réalisation annuelle du « loto de l’école», pères et mères acceptent que leurs enfants se soustraient à leur autorité durant quelques heures. De cette manière tous peuvent s’amuser sans contrainte et en toute confiance, comme si le temps restait suspendu et, avec lui, les responsabilités des uns envers les autres. Ouvert six ou sept jours sur sept, le PMU, ou bar-tabac, s’érige, lui aussi, en centre de retrouvailles des villageois et en dit beaucoup sur l’ordre des rapports sociaux régnant dans ces petites communes. «On n’y met pas les pieds avant dix-huit ans» à moins d’être accompagné/e d’une personne majeure. Avoir 18 ans, c’est être reconnu l’égal des clients du PMU, qui désormais incluent ces nouveaux initiés dans les cercles de discussions touchant à la politique, aux courses, au foot …. et à la vie des autres. L’église: croyants et mécréants succombent au charme mystique de son atmosphère, au sacré de son architecture. D’une manière tacite, elle impose des valeurs, une discipline morale et vestimentaire, et les discours religieux qui s’y prononcent orientent les fidèles. Les moins fidèles s’efforcent aussi de «s’y montrer sous leur meilleur profil». Tous les membres de la commune réagissent au son de ses cloches dont la musique célèbre les baptêmes, les communions, les mariages, les naissances et lamente les disparitions. Comment ne pas être au courant de la vie de chaque famille quand les événements qui marquent leur existence sont annoncés si ouvertement au public? Et n’y-a-t-il pas de 4
meilleure occasion que le dimanche, après la messe, pour s’enquérir l’un de l’autre, ainsi que des absents, de leur développement personnel, de leurs projets familiaux, quoiqu’on ne les fréquente pas ? La rue prouve être une autre grande promotrice des rencontres fortuites ou planifiées. Quand on s’y croise, s’ensuit une longue conversation qui s’étend sur des heures, alors que, dans bien des cas, on pensait qu’elle se limiterait à quelques mots échangés en l’espace de quelques minutes. Ces endroits-clés, où les rapports entre voisins évoluent d’une façon identique depuis des générations, sont témoins de la naissance d’amitiés, de premiers flirts, d’amours platoniques ou en voie de réalisation pratique, et également de défis et rixes. Vu que «les murs ont des oreilles, mais des oreilles bienveillantes», tout processus d’interaction, dont la valeur évènementielle promet d’entretenir les commérages, sera, à peine ébauché, connu et commenté par les villageois. On sourit quand on lit dans «Les grandes villes n’existent pas» qu’«à la campagne, vivre dans 60m2 s’appelle ‘la misère’, alors que vivre à quatre dans trente mètres carrés à Paris s’appelle ‘la Bohême’». Et on se pose la question : qui est le prisonnier? L’habitant de la grande ville entouré de béton qui ne connaît ni la nature ni les animaux que les gens de la campagne côtoient en permanence ou les villageois dont l’environnement est une «cage familière, sans barreaux pour leur permettre d’en sortir quand bon leur semble, s’en éloigner, et d’y revenir sans peur»?
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