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I PORFOLIO . 90 I ANALYSE

Juillet 2009 - Un paysan travaille dans sa rizière en jachère le long de la RN7

Porfolio

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Rijasolo

Un artiste désormais incontournable de la photographie contemporaine malgache Rijasolo est né et a grandi en France. A partir de 2004, il effectue des retours fréquents à Madagascar et décide de s’y installer définitivement en 2011. Il explique avoir eu l’impression qu’il lui manquait quelque chose dans son identité et que la photographie lui apparaissait comme un prétexte pour ses allers-retours. En 2006, il a suivi une formation en photojournalisme à Paris (EMI- CFD). Ce photographe réalise des clichés, en noir et blanc pour la plupart, qui proposent un autre regard sur Madagascar, notamment dans les régions Atsimo ou encore Miverina.

Par Niry Ravoninahidraibe Photographies : Rijasolo

Porfolio

District d’Amboasary - sud - 2014- Un marché au zébu au lieu-dit SOATSIFA. Selon les chiffres du chef de district on a recensé 34 000 bovidés sur le ditrict d’AmboasarySud en 2010 et 12 020 en 2013. Cette baisse est dûe aux vols de zébus dans la région. Les gendarmes locaux considèrent que c’est souvent lors des marchés aux zébus que les dahalos se rassemblent et sont recrutés pour préparer des opérations de vols de zébu.

Rijasolo ne se contente pas de montrer la diversité, les traditions ou encore l’art de vivre. Ses clichés vont au-delà de l’évidence et de la capture du moment. Elles inspirent une certaine sobriété dans sa manière de remanier la luminosité. Il explique d’ailleurs que « le noir et blanc encourage une vision abstraite du monde, une vision qui rajoute de la tension dramatique ». L’artiste a toujours été sensible aux arts visuels, notamment l’art plastique et le dessin. Lorsqu’il a débuté la photographie, il a passé six années à Brest dans l’idée de capter cet environnement caractérisé par un certain militantisme. Ce fut une occasion pour lui d’expérimenter le noir et blanc avec des variations diverses : « contrastées, assez sombres, floues ou encore décalées ». Depuis son installation dans la Grande Ile, Il travaille dans le corporate et, preuve de sa sensibilité au photojournalisme, il est correspondant de l’Agence France Presse depuis 2013. Il a par ailleurs remporté le premier prix du concours d’art contemporain Paritana (Madagascar) en 2019. Il avait également remporté la première place lors du concours Leica 35 mm Wide Angle (Allemagne), en 2010.

District de Tuléar II - 2015 - ALERTA, 50 ans, une habitante du village de AMPOTAKE, entre Anakao et Betioky, dans le Sud-Ouest de Madagascar, est assise à l’endroit où sont sensées s’accumuler les eaux de pluies qui constituent la réserve d’eau potable du village. Ce réservoir est actuellement vide. Les périodes de sécheresse dans le Sud de Madagascar - période que les Malgaches appellent «KERE» - sont chaque année de plus en plus longues. Commune de Behahitse - 2015- Des membres du «fokonolona» (communauté) de Betioky rencontrés dans le village de Behahitse, district d’Ampanihy. Ils sont soumis à l’autorité d’un «Dina Be». On me dit que la plupart d’entre eux sont d’anciens voleurs de zébus mais qui se sont «rangés» (Dahalo niova fo). Ils viennent tout de même armés et protégés de leurs amulettes (ody gasy) «car on ne sait jamais» me disent-ils. Ils rendent visite au fokonolona de Behahitse pour réclamer leur dû : neuf zébus doivent être remboursés à la communauté de Betioky car un habitant de Behahitse y a volé une bicyclette. Mais le fokonolona de Behahitse n’est pas d’accord, il trouve que c’est beaucoup trop et contraire à la règle qui a été établie par le Dina Be. Normalement le remboursement devrait être de trois zébus et non pas neuf. Les deux parties se réunissent sous des tamariniers près du marché du village. Un long «kabary» (discussion, discours) d’une journée va finalement mettre les deux parties d’accord. Pour sceller ce pacte, un zébu sera tué et partagé.

Ilakaka - 2007 - Un exploitant de saphir Malagasy propose la vente d’une pierre à un acheteur Sri Lankais.

Par Romy Voos Andrianarisoa

Avant de se rendre à Glasgow pour participer à la COP 26, deux mois plus tôt Romy Voos a fait partie de la délégation malgache dirigée par le Ministère de l’Environnement et du développement Durable (MEDD) lors du World Conservation Congress*, organisé à Marseille (France) du 3 au 11 septembre derniers. Elle nous donne son analyse suite à ce congrès.

Retour de pêche - région de Fort Dauphin

La biodiversité n’est pas un luxe pour intellectuels

c’est une condition de survie pour la population !

Alors qu’ils pourraient générer d’intéressants revenus liés à l’écotourisme, ces lémuriens sont chassés pour alimenter le criminel commerce de la viande de brousse.

Le Journal des Archipels :

Comment allier vie ou survie avec protection de l’environnement dans un pays comme Madagascar où les urgences sont quasi-quotidiennes et où la nature est une source gratuite de ressources ?

Romy Voos : Ce type de congrès est une occasion de rappeler que tous les êtres vivants constituant la biodi-

Photo J.Rombi ©

L’aquaculture des algues rouges dans la région de Saint Augustin (pour le marché des cosmétiques) permet de rémunérer de nombreuses familles qui limitent leurs prédations sur le milieu naturel

Lire la suite en scannant le QR CODE : versité sont tous logés sous un même toit. Que cette maison que nous partageons dispose de ressources avec une finitude réelle dont nous devons avoir conscience. Enfin, que les populations les plus vulnérables face aux impacts du changement climatique, dont nous sommes responsables, sont aussi les populations les moins armées pour affronter les conséquences. C’est donc un moment de conscientisation collective où chaque pays, chaque partie prenante, chaque être humain affrontent les conséquences de ses propres actions et comportements, pour ensuite réfléchir ensuite à de vraies solutions durables et toutes aussi collectives. Les dégâts causés sur la dégradation de la biodiversité à Madagascar aujourd’hui sont à la fois flagrants et liberticides : j’en veux pour exemple le Kere*. Nous traînons ce boulet depuis plus d’un siècle et aucune solution n’a jamais pu l’éradiquer. Il nous éclate au visage aujourd’hui parce que le réchauffement climatique a asséché les sols de manière accélérée, a perturbé notablement la pluviométrie et a réduit ainsi les espoirs de récoltes. Madagascar n’est donc plus à l’abri, et nous l’avions d’ailleurs jamais été, mais la force des réseaux sociaux et sans doute l’engagement plus affiché du MEDD nous mettent une réalité assez violente sous les yeux. Nous ne pouvons plus l’ignorer. Et renverser cette tendance de biodiversité nécessite des choix de vie courageux, collectifs et individuels, mais également un vrai leadership politique et social. Bien entendu les alternatives de vie existent : c’est précisément le rôle des grands projets transversaux tels que REDD+** ou le Fonds vert climat. REDD+ par exemple inclut des initiatives visant à enrayer efficacement et sur une zone donnée et délimitée, les dynamiques de déforestation et/ou de dégradation forestière afin de valoriser sur les marchés du carbone ou par l’intermédiaire de paiements via un fonds dédié un évitement d’émissions de CO2 mesuré, contrôlé et validé.

« Condamner la biodiversité équivaut à mettre le feu dans la maison où nous vivons tous »

JDA : Quelles sont les solutions pour allier développement économique, barrières anthropologiques et conservation de la biodiversité ?

RV : Il y a sans doute 3 niveaux d’engagements pour permettre le reversement de situation indispensable à la reconstruction de la biodiversité à Madagascar. J’en profite pour rappeler ici que notre pays rassemble 80% d’espèces animales et végétales endémiques soit 5% des espèces endémiques du monde! C’est un vrai trésor dont chacun de nous, en tant que citoyen et patriote, a la responsabilité de préserver et protéger. Je voudrai rappeler aussi que la préservation de cette biodiversité n’est pas un luxe pour les intellectuels : c’est une condition de survie pour la population ! La biodiversité est notre source de vie avec la qualité de l’air que l’on respire, la qualité des eaux que nous consommons et la diversité des aliments que

nous consommons. Pour aller dans un exemple concret et répondre sans détour à cette question, il suffit d’analyser le cycle de vie des pêcheurs. A force de non respect à la fois des dates de fermeture de pêche (ayant pour objectif de permettre la reproduction des espèces et le maintien ainsi des stocks), et de pratiques de pêches intensives et permissives des acteurs industriels sur nos côtes, nous sommes confrontés aujourd’hui à une déplétion sévère des ressources. Résultats : les fonds marins sont saccagés, la survie des espèces est menacée chaque jour, des espèces ont même disparu dans le silence et l’inaction totale! Et au bout de cette chaîne, la victime principale reste le pêcheur malgache qui ne peut plus ni s’alimenter, ni nourrir sa famille et encore moins maintenir sa source de revenus.

« Un ventre affamé n’a pas d’oreilles »

Les solutions existent pour ces pêcheurs : plusieurs projets ont été mis en place par Blue Venture par exemple, ou encore par des initiatives locales de l’association des femmes de pêcheurs à Majunga. Il s’agit d’allier la création de nouvelles activités génératrices de revenus, avec des techniques de réhabilitation de la biodiversité marine (programme de plants de coraux etc) mais surtout, un accompagnement social et antrhopologique des populations afin de les sensibiliser, de leur faire comprendre et de les impliquer dans des nouveaux modes de vie. On ne peut pas imposer des changements de vie qui perdurent depuis des décennies si on ne permet pas une compréhension et une appropriation des problématiques par les bénéficiaires. Et souvenez-vous : un ventre affamé n’a pas d’oreilles… Donc il faut d’abord s’assurer que les alternatives de revenus et d’alimentations soient proposées de manière pragmatiques et pérennes tout en avançant en parallèle sur des solutions urgentes de préservation de la biodiversité. Et c’est bien ce challenge à deux vitesses qui est difficile, mais vital, et qui encore une fois, doit engager un leadership politique à tous les niveaux, du plus haut jusqu’au fokontany (quartier NDLR) !

*Kere : phénomène climatique de sécheresses chroniques qui semble s’aggraver ces dernières décennies.

** REDD» (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation forestière) est un mécanisme créé lors de la Conférence des Parties UNFCCC, pour inciter économiquement les grands pays forestiers tropicaux à éviter la déforestation et la dégradation des forêts.

*La France est l’un des pays fondateurs de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’Union a été créée en 1948 à Fontainebleau, car c’est dans sa forêt qu’a été créée la première aire protégée au monde. Depuis lors, l’UICN s’est développée pour devenir le réseau environnemental le plus vaste et le plus diversifié au monde, avec 1 300 organisations membres et 15 000 experts dans 160 pays.

La déforestation sévit partout dans le pays. Ici un biotope unique sur les flancs d’un volcan à Nosy Be détruit par le feu.

Une spécialiste du développement durable

Romy Voos Andrianarisoa est titulaire d’un Master of Business Administration (MBA) en développement durable (CSR & Sustainability/Royaume Uni), d’un Master en Commerce International (France), du diplôme des grandes écoles de Commerce en Marketing et Communication (France) et d’un Master of Art in Diplomacy du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS ). Actuellement présidente de la commission développement durable et Éthique des affaires du GEM (Groupement des Entreprises de Madagascar), elle a travaillé ces dernières années dans le secteur pétrolier (CSR Manager pour Madagascar Oil, Country Manager chez BP Madagascar puis pour la CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) qui vient de reprendre l’exploration des blocs de BP dans le Canal de Mozambique.

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