Construire le lien, avant l'architecture -recherche action, participation et hébergement d'urgence

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Notice de PFE écrite par Noée GEINDRE Dans le cadre de PROTOLAB 2021


CONSTRUIRE LE LIEN, AVANT L’ARCHITECTURE

Recherche-action sur la participation dans le cadre de l’hébergement d’urgence

Notice de PFE réalisée par Noée Geindre

ENSA Nantes - Protolab - 2021 - Encadré par Sylvain Gasté et Hélène Guillemot


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remerciements

Je tiens à remercier chaleureusement P’tit Ben, David, Mathieu, Ludo et Benoît, qui nous ont fait une place dans leur parcours d’habiter, se sont confiés à nous, nous ont fait confiance. C’est pour eux que le projet s’est monté, c’est grâce à eux qu’il a pris du sens. Un grand merci à toute l’équipe ASBL, à Camille, Elen, Thérèse et Matthieu qui nous ont soutenu et laissé de grandes libertés et sans qui le projet n’existerait pas. A toute l’équipe enseignante, d’un grand soutien également, toujours disponible et très à l’écoute. Merci à Sylvain, à Hélène et Wilfrid. Merci à toustes les copaines et concierges de l’Hôtel Pasteur, qui nous ont accueilli à bras ouverts et fait de ces lieux un petit bout de chez nous. A mes colocs, ami·e·s et à ma famille, qui ont accueilli les doutes et questionnements avec bienveillance et ont été là pour partager la joie. Surtout, à Violette, Nicho, Sophie et Doriane sans qui ce projet n’aurait pas vu le jour, merci pour ce semestre plein d’émotions.

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Enfin, merci à Adèle, pour les cabanes.

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Le terme construire vient du champ lexical du bâtiment mais s’emploie aussi dans d’autres contextes plus figuratifs : construire un récit, construire un discours… Construire est de l’ordre du démonstratif, du processus et du questionnement. Un processus vers un résultat ?

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« Je n’aime pas la recherche quand elle est utile qu’à ceux qui la font. (…) Mais il arrive encore trop souvent que de jeunes chercheurs – qu’ils soient des philosophes, des architectes ou des urbanistes – se déguisent en ethnologues et qu’ils demandent aux “autochtones” de leur faire cadeau de leur temps, de leurs histoires et de leurs idées pour ensuite s’en aller. Ils rentrent chez eux pour rédiger une thèse que souvent personne ne lira, sauf les membres du jury universitaire. Rien de tout cela ne me paraît utile pour le territoire et pour les personnes étudiées, pour ce que j’appelle les “recherchés”. (…) Certains chercheurs écrivent que leur présence sur le terrain peut servir à déclencher des processus. Plus j’avance et plus je trouve cette expression prétentieuse, creuse et fausse. Il est très difficile de mettre en oeuvre des processus réels et durables. Souvent la recherche s’achève avec les photos d’un banquet ou d’une rencontre qui resteront sans suite. Il me paraît donc plus honnête de se présenter comme les explorateurs “désirants” de processus en devenir, de participer à un processus en cours et de l’alimenter par notre propre énergie. Si le processus est déjà en cours, il se poursuivra même après notre sortie du terrain de jeu. Et c’est justement ici, dans la sortie du terrain, que l’on peut mesurer la qualité territoriale et politique de la recherche, sa puissance de transformation. » Francesco Careria

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sommaire

01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17

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bagage politique introduction problématiques contexte politique démarche les habitants les rencontres intuition projectuelle vers une structure «capable» un objet appropriable le regard des travailleur·se·s sociales la complexité du travail social blocages politiques rebondir la promesse d’un grand chantier conclusion postface

p.10 p.12 p.14 p.16 p.26 p.34 p.36 p.42 p.48 p.52 p.56 p.58 p.60 p.62 p.64 p.66 p.68

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01 Mon engagement en architecture se situe à la frontière du travail social. J’ai toujours cru, même avant de commencer les études, que l’architecte était un·e psychologue, un·e infirmier·e ou encore un·e travailleur·se social, avec une spécialisation dans la conception de l’espace. L’architecture comme vecteur de lien social, le bâti au coeur des interactions. Au fil de ma licence, cette conviction s’altère un peu, si bien que je décide de prendre 1 an pour mieux comprendre comment je voulais orienter ma pratique. C’est ainsi que j’atterris chez le collectif les Saprophytes, à Lille, qui expérimente autour de la permaculture humaine, avec comme outil phare le chantier participatif. Me voilà tantôt apprentie charpentière, tantôt animatrice d’atelier de bricolage dans un quartier ouvrier de Roubaix. Par la suite, je pars silloner les

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bagage politique routes de l’Inde, en quête d’autres formes de solidarités. A mon retour, j’entame le sujet de mémoire, intitulé «Mettre à l’abri, d’abord -pour une production participative de l’hébergement d’urgence en France», grâce auquel j’interroge de nouvelles manières de produire de l’hébergement d’urgence. Au coeur de mes questionnements, le participatif : comment impliquer les personnes sans-abris dans cette grosse machine institutionnelle ? Pour inscrire cette réflexion dans l’action, je participe grâce à un stage à la construction d’un diagnostic urbain sur le «sans-abrisme» pour Bordeaux Métropole. Je propose à l’agence d’urbanisme Place, pour laquelle je travaille, de récolter à l’aide d’entretiens sociologiques des histoires de personnes sans-abris ou de travailleur·se·s sociaux sur le terrain. Je mets ces récits en carte et en bédé. Cet engagement se prolonge également par le militantisme que je mène en parallèle de mes études, notamment à travers le squat nantais La Maison du Peuple et l’association Coucou C’est Nous avec qui donnions des cours de français.

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introduction

Le studio de projet Protolab est une option de projet montée par Sylvain Gasté à l’ENSA Nantes pour le cycle de Master en 2019, fondée sur l’idée que l’échelle 1, le prototype, est une bonne manière d’aborder le projet architectural. Pour cette nouvelle édition 2021, une étudiante de l’option propose à Sylvain de la co-monter en lien avec l’association les Hameaux Légers qui promeut l’habitat léger et les éco-hameaux partout en France. Grande première, l’option s’invente comme un produit participatif de l’équipe enseignante associée au commanditaire et à un petit groupe d’étudiant·e·s qui se retrouvent en amont du semestre pour discuter de la maquette pédagogique. Objet d’un commande réelle, le projet subit les effets de cette réalité : des aller-retours empreints des décisions politiques et des spécificités liées à un projet sans foncier fixe. Le site de projet change plusieurs fois, les demandes de subventions se multiplient, et un nouveau sujet s’ajoute au premier : l’association rennaise Saint Benoit Labre propose à une petite équipe de l’option de participer à la construction de prototypes pour un centre d’hébergement innovant dans la périphérie de Rennes.

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Peut-on soigner par l’architecture ? L’architecte peut-il être un·e sociologue, psychologue ou infirmier·e ? Ou même, s’iel donne à lire les histoires de celleux qu’on n’écoute pas, un·e romancier·e ? Et si le chantier n’était qu’une excuse pour créer du lien social ? C’est par exemple le parti-pris des Compagnons Bâtisseurs qui croient que par la mise au chantier, les hiérarchies se lissent et laissent place à une compréhension empathique des un·e les autres. Peut-on soigner par le collectif ? Est-ce qu’un collectif de personnes brisées peut soigner et ramener vers un vécu plus normatif ? Comment soigner l’intime par le collectif ? Et puis, comment garantir un résultat si tout dépend du bien vouloir des habitant·e·s ? Est-ce que si on échoue, on peut garantir qu’on a au moins essayé ? Est-ce que le test et l’erreur peuvent-être bénéfiques quand même, et donc rémunérables ? En effet, aujourd’hui on rémunère un livrable, comment rémunérer un processus ? Le droit a l’échec est-il valorisable ? Et si on ne construit jamais, est-ce qu’on a quand même construit quelque chose? Est-ce que l’énergie apportée par le rêve est suffisante ? Construire de la confiance passe surement par l’objectif de résultat (déception à maintes reprises pour un public sans abris pour qui les promesses sont souvent déçues,

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problématiques

comme nous l’explique Camille, la psychologue). Mais comment se détacher de la forme finale si l’objectif est dans le processus, et non le résultat, tout en garantissant un objet tangible, témoin d’une démarche et des liens qui se sont créés ? Quelle(s) trace(s) laisse-t-on ? Comment ne pas créer le manque ? «Mais si il faut créer le manque !» (Camille) Le manque est positif car il permet aux personnes de s’en saisir et de prendre le relais. Mais comment ne pas se rendre indispensable ? Laisser une trace par la transmission, des savoirs, des techniques, un réseau d’acteur·ice·s indépendant de nous Et puis finalement, est-ce vraiment un métier ? Le temps long peut-il être monétisé de la même manière qu’une architecture productiviste ? Comment, malgré tout, s’inscrire dans une économie de moyens ? Faudrait-il trouver un outil pour comprendre et chiffrer ce que soigner le lien social apporte en valeur quantitative à la société ? (par exemple, prendre soin d’un lieu qui se détériorera moins que s’il est abandonné. Prendre le temps de comprendre le besoin permet de réhabiliter dans la douceur, en « acupuncture »)

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contexte politique

Les acteur·ice·s L’hébergement d’urgence fonctionne par un système délégataire. En effet, les services proposés dépendent de l’État, chapotés par la DIHAL1, puis délèguent pour s’intégrer par la suite dans les territoires. Ceci explique notamment pourquoi le système d’hébergement est aujourd’hui complètement engorgé : l’action se voit souvent paralysée par les aller-retours entre les différentes institutions qui se renvoient la balle en permanence (État, Département, Métropole, Associations…). De plus, la mise en compétition des structures par le système de subventions n’aide pas à constituer une force de frappe unie contre le sansabrisme et le mal logement2. Dans le cadre de ce projet, Rennes Métropole s’associe à l’association Saint-Benoit Labre pour répondre à l’AMI « accompagnement de personnes en situation de grande marginalité dans le cadre d’un lieu de vie innovant à dimension collective ». Par « personnes en situation de grande marginalité », l’état entend ici « personnes avec un ou plusieurs chiens », qui se voient refuser l’entrée de la plupart des centres, ou encore des personnes refusant un accompagnement social descendant, voire infantilisant, système privilégié des CHU. Le contexte de ce projet est multipartenarial, comme nous l’explique l’équipe missionnée par ASBL. En effet, de nombreuses personnes sont à l’initiative de ce projet innovant et très regardé. 1 Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement 2 Près de 300 000 personnes sans domicile en France d’après la fondation Abbé Pierre

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contexte politique

L’échelle métropolitaine Rennes Métropole a identifié trois sites vacants qui pourraient être mis à disposition en bail précaire ou encore à l’aide d’une convention d’occupation, à ASBL. Le projet intervient donc en trois points aux typologies urbaines très variées : Chantepie, en périphérie Sud, un site ceinturé entre le périphérique et une grande zone commerciale mais disposant d’un grand jardin ; deux maisons accolées en centre-ville et enfin, site que nous investissons actuellement, une maison néo-bretonne à Cesson Sévigné, entre les nouveaux bureaux en construction de la ZAC ViaSilva et des champs de maraîchage.

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Si notre site est celui de Cesson, nous envisageons dès le départ le site comme temporaire, avec la possibilité menaçante d’être déplacé·e·s dans un des deux autres lieux. En effet, la ZAC labelisée «écocitée» prévoit de raser la maisonnée pour y produire des «espaces verts»...

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contexte politique

L’échelle communale et de proximité urbaine La maison que nous occupons est située au Nord de Cesson Sevigné, à 30 minutes en transports en commun du centre-ville. Même si une future ligne de métro arrivera juste à côté du terrain, l’éloignement du centre est une préoccupation première de tout le monde : les habitants sont dépendants de la ville pour la manche ou pour les services sociaux, et ne peuvent s’y rendre facilement à cause des chiens. C’est d’ailleurs pour ça que nombre de personnes à qui on avait proposé de participer au projet ont préféré rester dans la rue, tant cette dépendance est forte. Toutefois, David exprime le confort que cela représente pour lui : « J’ai toujours rêvé de vivre à la campagne, d’avoir un jardin pour y faire mon potager. Aussi je suis en sevrage d’héroïne, alors l’éloignement des potes et de la tentation, ça n’est pas plus mal. » La commune de Cesson est essentiellement composée, dans sa partie Sud, de pavillonnaire. Au Nord, on y trouve aujourd’hui 600 ha de champs de maraichage qui sont voués à disparaître au profit de la ZAC ViaSilva, un projet né en 2009, qui prévoit 40 000 nouveaux habitant·e·s. En proximité directe avec la maison, on voit pousser les nouveaux immeubles de béton de cette « éco-citée » si contestée. Des immeubles de bureaux qu’ils n’arrivent pas à vendre, en face d’une maison pour 5 personnes en accueillant 10, vouée à la démolition. Ces multiples chantiers deviendront toutefois la matière première de notre projet, avec la terre argileuse du site. 22

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contexte politique

La maison de Cesson Au premier abord, malgré les grues envahissant ce nouveau quartier, le terrain nous paraît charmant, semé de grands arbres et de massifs floraux, un chemin de terre nous mène au pavillon semi-enterré. La maison est actuellement occupée par une famille afghane placée ici par la métropole avec une convention d’occupation. Iels déménagent le lendemain pour une autre maison. Une fois à l’intérieur, nous réalisons que la maison est dans un état d’insalubrité tel qu’il la rend inhabitable : les murs sont noirs de moisissures, l’air est irrespirable, nous sortons en toussant au bout de 5 minutes. La famille afghane nous confie que la mère a des problèmes respiratoires graves et que 9 des enfants ont des problèmes d’arthrose... Le représentant de Rennes Métropole nous assure que «ça n’était pas comme ça avant», que c’est seulement dû au fait que la famille, n’en n’ayant pas les moyens, ne chauffait pas, ce qui aurait provoqué cet état d’insalubrité. Il affirme qu’avec un coup de peinture, le problème sera réglé et qu’on pourra y mettre de nouveaux habitant·e·s. Cela nous pose un cas de conscience : vaut-il mieux vivre dans la rue ou dans un logement qui rend malade ?

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contexte politique

«L’idée des CHU classiques c’est que les personnes doivent répondre à un certain cadre. Ici, le lieu se met en capacité pour les personnes hébergées. On vient à ell·eux et non le contraire. Si, à l’initiative des résident·e·s, on organise des ateliers jardin ou cuisine, c’est là que les travailleur·se·s peuvent intervenir. La démarche réside dans le fait de laisser la place aux envies des habitant·e·s, partir d’ell·eux plutôt que d’arriver avec projets et/ou envies mais faire émerger les envies autour d’un café, d’un repas... Il faut réussir à ne pas s’imposer. Notre hypothèse c’est que l’habitat puisse se faire en bâtissant, car l’expérience même d’habiter a été meurtrie pour ces personnes là. Iels ont également été l’objet de beaucoup de choses : peut-être que pour certain·e·s, l’expérience d’être l’objet d’un projet est traumatisante. Il faut suivre la temporalité du collectif et non la notre.» propos issus de la discussion avec l’équipe de travailleur·se·s sociaux

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démarche

En résidence à l’Hotel Pasteur A son démarrage, le projet s’effectue en collaboration avec deux étudiantes de l’ENSA Bretagne qui travaillent sur le même sujet. Nous décidons de nous monter en collectif et demandons un lieu de résidence à l’Hôtel Pasteur. La conciergerie nous met à disposition des lieux qui nous serviront de lieu de restitution, de mise en commun, de réunion, d’accueil et d’expérimentation. Les murs de Pasteur sont empreints de son histoire singulière, dont nous nous inspirons. C’est également un lieu clé pour notre compréhension de la solidarité rennaise et de son réseau d’acteur·ice·s. Il nous a permis de nombreuses fois de rencontrer des associations mais aussi de pousser nos réflexions sur la gestion du collectif, le rôle de l’architecte, son avenir, sa position dans le cadre d’une permanence architecturale, grâce aux discussions informelles que nous entretenons avec les autres collectifs en résidence. Enfin, ce lieu nous ancre dans une démarche de réciprocité transversale au projet : nous occupons les lieux, peignons sur ses murs, nous les approprions, en échange d’un travail que nous effectuons pour le

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collectif. Nous avons déterminé ensembles que notre apport serait une grande carte des solidarités, appropriable et accessible. Être en résidence à l’Hotel Pasteur, c’est rencontrer, apprendre, décharger, rassembler, découvrir.

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Comprendre le paysage social rennais Nous rencontrons dès le début du projet beaucoup d’acteur·ice·s qui luttent contre le sans-abrisme à Rennes : des associations et organismes institutionnels clés pour mieux défricher le paysage social rennais.

démarche

Coeur résistant UTOPIA 56 La Bagagerie le SIAO La Cloche

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démarche

frise chronololo

Notre parti-pris dès le début du projet est de prendre le temps. Prendre le temps de comprendre, d’écouter, d’observer. Prendre le temps de créer un lien de confiance, de projeter collectivement des possibles pour construire au maximum un objet issu des envies et besoins . Pour, surtout, que tout le monde se sente impliqué et valorisé par le projet. Prendre le temps c’est également fédérer autour d’un projet commun, qui parle à tout le monde et où tout le monde parle de soi. Prendre le temps c’est aussi comprendre l’individualité de chacun·e pour maximiser les potentiels.

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démarche

Nous nous inscrivons dans une démarche de réciprocité : recevoir et donner en retour. Chacune de nos présences devra être un marqueur de bonne volonté, nous nous sommes fixés comme objectif de quitter chaque rencontre avec des choses que nous prenons et celles que nous laissons : un bout de portillon, des graines à germer, un stock de palettes... en échange de récits, de désirs, de matière à projet.

Nous croyons au chantier comme un outil fédérateur, qui permet de s’approprier non seulement un chez soi mais surtout la notion d’habi34

ter. Nous croyons également que le chantier permet de tisser des liens horizontaux et juste et de redonner confiance. 35


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a une formation de cuisinier et aime cuisiner pour tout le collectif

veut sa petite terrasse dans la continuité de sa chambre pour boire son café le matin en prenant le soleil

binôme de rue avec David, il aime lui faire plaisir

« il faut une tondeuse, je vois l’herbe qui pousse ça m’énerve » aimerait faire un grand graff sur la façade et a initié l’idée de tous noter leurs noms sur les murs de l’atelier Motivations : Entretenir l’extérieur Petit jacuzzi avec le coucher de soleil graffer grimper (aux arbres)

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fasciné par le kerterre ! « moi j’suis chaud pour les habitats autonomes dans le jardin »

Motivations : Serre, jardin, potager Cuisine, four à pizza

les habitants

a une tendance à se blesser

Motivations : Besoin de se défouler Serre Petite cabane dans les arbres pour se retrouver seul a besoin d’être rassuré sur le fait qu’on va vraiment faire et que les projets ne resteront pas de belles paroles

très protecteur avec sa chienne et un peu nerveux en général

« j’aimerais bien un petit atelier pour faire mes sculptures en pierre, avec quelques outils parce que les miens sont vieux » envie d’amé-

Motivations : nager un Petit atelier pour faire ses bar dans la maison sculptures Travail surtout la pierre mais un peu le bois aussi assez discret mais bavard, il est très manuel, et se dit facile à vivre. Il est le premier à exprimer l’envie d’inviter ses enfants à dormir. rêve d’une grande piscine et

aime les fleurs

Motivations : Aime travailler le bois obsédé par la cloture pour que les chiens ne s’échappent pas

Il aime se lever tôt et visiblement beaucoup les teufs. Un peu nerveux, il dit avoir travaillé en tant que charpentier ! perfectionniste

a le goût du travail bien fait rendre les choses belles

d’un toboggan

Toutes les rencontres que nous effectuons alimentent nos relations, notre compréhension empathique des besoins, envies et rêves... nous dessinons une grand carte mentale de ce qui nourrira un projet collectif parlant des individu·e·s.

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Première rencontre

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les rencontres dessin de Nicho

le 15/04/21 - présentation de qui nous sommes et de ce que nous venons faire - accueil positif et chaleureux malgré nos appréhensions ! - premier moment de réciprocité : nous allons toustes ensembles chercher des palettes sur les chantiers alentours et constituons un premier partenariat informel qui nous sera indispensable pour la suite - les ouvriers nous proposent de revenir la semaine prochaine et qu’ils auront mis de côté des chutes intéressantes - nous avons effectué notre premier acte fort, nous nous sommes découvert·e·s et rencontré·e·s dans l’action, avons assis notre envie de bien faire - les habitants ont l’air très motivés et plein de bonne volonté pour le projet - David se confie déjà sur les raisons pour lesquelles il a choisi d’accepter la proposition d’ASBL de vivre ici 38

le 16/04/21

Construire le portillon De retour à la maison, pour une deuxième journée sur place, on retrouve Benjamin assis par terre près du portillon. On va le voir, pour lui proposer notre aide, chose qu’il accepte timidement. En lui demandant ce qu’il fait et pourquoi il le fait, on se rend compte que la clôture et les portails sont une vraie problématique pour l’ensemble du collectif. Les habitants sont très protecteurs avec leurs chiens, et ont peur qu’ils s’échappent de la maison. De ce fait, on se met à trois à démonter le portillon, emmêlé dans le barbelé, puis on essaie tant bien que mal de le consolider avec du bois de palette récupéré la veille. Pour le finaliser, on achètera des charnières et un loquet.

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les rencontres

Atelier kraft et palettes le 23/04/21

Une semaine plus tard, nous faisons la connaissance des deux nouveaux habitants, Benoît et Ludovic. Après avoir longuement discuté avec Benoît, nous proposons un petit atelier, autour des rêves, des envies et des idées qu’ils ont en tête pour ce projet. On déroule un long rouleau de papier blanc, on sort quelques feutres de couleurs, ainsi que nos premières maquette et on leur demande « dis moi, tu rêves de quoi pour cette nouvelle maison ? ». Finalement on s’aperçoit vite, que ce n’est pas la meilleure méthode pour capter leur attention, et en savoir plus sur leurs envies et leurs besoins. On laisse de côté l’atelier, pour retourner sur la construction du portillon en palette, les langues se délient, ils nous parlent de leur vie, de l’avant mais surtout de l’après. Les discussions durant ces moments de construction, de partage, sont bien plus fortes et riches car elles réancrent les relations dans de la simplicité et de l’horizontalité.

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Visite de l’Îlot U le 30/04/21

Nous convainquons les habitants de partir à la visite d’un éco-lieu autogéré à deux pas de la maison. Les gars traînent la patte mais une fois arrivé·e·s sur site, magie : les regards s’illuminent, les tensions s’évanouissent. Les habitants qui s’insultaient 10 minutes plus tôt rêvent ensemble de comment ils pourraient faire pareil, à Cesson. Les histoires des habitant·e·s de l’Îlot U redonnent confiance aux gars en la possibilité de construire quelque chose de bien avec peu de moyens et en peu de temps. La parole entre elleux s’installe naturellement et notre deuxième partenariat fort est monté : les uns proposent de revenir pour filer un coup de main en échange d’une formation terre crue tandis que les autres se font offrir des graines. Aujourd’hui, nous sentons que nos relations ont évolué vers quelque chose de l’odre de la confiance : David nous confectionne une tarte aux fraises qu’il nous offre avec fierté et plaisir.

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Mauvaises nouvelles...

le 17/05/21

Quand nous retournons sur site pour présenter au collectif les prototypes que nous avons imaginé, tout le monde est à l’intérieur, en réunion de crise avec ASBL. Nous partons nous réfugier dans l’appenti en attendant qu’iels sortent. P’tit Ben débarque en furie, prêt à tout casser sur son passage : «ces connards nous font déménager ! J’en ai rien à foutre moi je reste ici, j’ai pas commencé le potager pour rien et puis c’est

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mort je me suis attaché !». Nous tombons des nues : le déménagement, déjà ? Après explications d’ASBL, qui viennent également d’apprendre la nouvelle, nous présentons tant bien que mal l’idée du projet, qui résonne fortement avec la mauvaise nouvelle : démontable, adapatable. Malgré les tensions, des sourires. «J’ai l’impression que vous me présentez notre maison là !» (Ludo).

les rencontres

Atelier terre et établi ! le 18/05/21

Le lendemain, nous lançons malgré tout nos ateliers. Nous prélevons de la terre et effectuons différents tests avec elleux pour vérifier qu’elle puisse être utilisée pour la construction et transformons les deux maquettes à l’échelle 1/3 en établi pour l’atelier. La fondation Abbé Pierre passe sur site pour constater du projet et Matthieu en profite pour demander une présentation de ce que nous faisons sur site avec les gars.

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intuition projectuelle

construire le symbole du collectif Les attentes initiales d’ASBL et de Rennes Métropole sont celles d’un habitat individuel pour répondre à l’urgence de ce que n’offre pas la maison : 5 chambres, pour 10 futurs habitant·e·s. Un mobile-home en somme, un petit habitat qu’ASBL pourrait transporter dans tous leurs projets d’hébergement d’urgence. Nous décidons collectivement de proposer autre chose : il nous semble qu’ici, le premier geste à construire est collectif, doit parler de tout le monde et de chacun·e dans le collectif. C’est en effet l’enjeu d’un tel lieu : trouver sa place dans le groupe, savoir se trouver seul·e à plusieurs, en passer par le collectif pour se soigner (au sens premier du soin, «care»). Construire le collectif permet de se trouver un objectif commun et en outre d’apaiser les tensions. Nous vérifions par ailleurs cette théorie à chacune de nos visites, qui commencent souvent pleines de tensions puis nous quittons finalement le groupe avec comme trace la hâte de recommencer, des sourires et des accolades. L’idée n’est donc surtout pas de construire pour, mais de construire avec, voire même de laisser construire et d’accompagner. Notre enjeu ici est que chacun·e se saisisse de cette opportunité comme de quelque chose qui parle de ell·ui, de ses envies, peut lui servir et dont iel soit fier·e.

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intuition projectuelle

Parler d’intime L’appenti nous inspire, surtout grâce à la manière dont les habitant·e·s se le sont approprié. C’est un espace délabré, à l’abandon et pourtant, c’est le lieu que les gars investissent le plus, et surtout, qu’ils investissent collectivement, avec un projet commun et des attentes individuelles. C’est un endroit pour trainer, se ressourcer, fumer de l’herbe, trouver un peu d’intimité mais aussi le lieu de création, où ils peuvent fabriquer, bricoler. Dès le départ, ils y projettent ensembles beaucoup de choses et notamment, y inscrire leurs noms pour y «laisser une trace» de leur passage. Nous décidons très vite de ne surtout pas toucher ce lieu magique mais de s’inspirer de ce qu’il permet : de la liberté, de l’appropriation, du rêves, des envies. Un espace qui fait collectif grâce aux envies individuelles, un espace à soi.

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Faire de cette architecture un symbole, une architecture qui émane des besoins urgents d’intimité et des envies prégnantes de plaisir pour exprimer le collectif. Un objet dont ils sont fiers, un totem qui parle de leurs histoires. Un témoin des expérimentations de la matière, un espace généreux qui devient commun grâce à l’emboîtement des intimités. Une construction légère, démontable, transposable et déplaçable. Une structure insolente qu’on voit de loin et qui fait un doigt d’honneyr aux tours de bureaux de Via Silva qui poussent de l’autre côté du champ de Colza Un incubateur des désirs et des possibles, En fait, un chez-soi.

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intuition projectuelle

Cet objet, avant d’y accueillir des usages, est une grande bibliothèque de savoirs, de matières et de mémoire. Il est le témoin de cette démarche empirique et des relations qui se construisent. Il est l’occasion, par la mise au chantier, de se rencontrer et se connaitre, entre habitant·e·s, étudiant·e·s et travailleur·se·s social.

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Vers une structure «capable»

FICHE TECHNIQUE DU PROJET COLZA

MISE À JOUR DU 27/05/2021 Nous souhaitons offrir une structure générique, facile à démonter, capable de recevoir plein de projets différents et de se Le projet est un ensemble de «modules» cubiques. ré-agencer en fonction des besoins, des Chaque cube de 4,5 m² accueille un usage différent qu’il contraintes de sites, des désirs habitants... est possible d’adapter en fonction des envies et des besoins des habitants, mais aussi de l’association : une Nous concevons une serre, architecture dont la une terrasse, un espace de couchage individuel, mise en oeuvre est un facile et approbureau pour les travailleur·euse·s social·e·s (liste non priable, transmise par l’équipe Careker H[KDXVWLYH HW QRQ G«ƓQLWLYH aux habitant·e·s et à l’équipe ASBL à l’aide Pour cette première étape, nous commençons avec 3 de chantiers participatifs et de notices de modules 2,70*2,70*2,70 mètres. montage. Le projet est pensé dès le début en lien avec la contrainte première du projet : le déménagement. Les modules peuvent se monter et se démonter plusieurs fois, nous avons pensé le projet en «kit de construction», avec une mise en oeuvre rapide et simple de compréhension. Les structures cubiques peuvent aussi bien être indépendantes que solidaires en s’emboitant et s’assemblant. Cela permet aussi d’avoir une hauteur et une emprise au sol varibles selon le choix de composition.

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Les possibilités d’implantations sont multiples grâce aux fondations légères sur lesquelles reposent la structure. Les vis de fondation sont réemployables et s’adaptent aux pentes de terrain. Une collaboration avec les services techniques permettra de determiner la meilleure implantation pour chaque site.

9LV GH IRQGDWLRQ :HDV\Ɠ[ lien vers une vidéo explicative : https://www.youtube.com/watch?v=aL8NXuod9sc IHXLOODUG GH FRQWUHYHQWHPHQW G«PRQWDEOH DYHF XQH YLVVHXVH

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09 Le projet est un ensemble de «modules» cubiques. Chaque cube de6,25 m2 accueille un usage différent qu’il est possible d’adapter en fonction des envies et des besoins des habitants, mais aussi de l’association. Le projet est pensé dès le début en lien avec la contrainte première du projet : le déménagement. Les modules peuvent se monter et se démonter plusieurs fois, nous avons pensé le projet en «kit de construction», avec une mise en oeuvre rapide et simple de compréhension. Les structures cubiques peuvent aussi bien être indépendantes que solidaires en s’emboitant et s’assemblant. Cela permet aussi d’avoir une hauteur et une emprise au sol variables selon le choix de composition. Les possibilités d’implantations sont multiples grâce aux fondations légères sur lesquelles

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Vers une structure «capable»

reposent la structure. Les vis de fondation sont réemployables et s’adaptent aux pentes de terrain. Une collaboration avec les services techniques permettra de determiner la meilleure implantation pour chaque site. Dans un soucis à la fois écologique, de réversibilité et de démontage, l’ensemble des élements composant la structure est réemployable. Le démontage d’un cube s’effectue en moins de trois heures et les douze sections se stockent et se transportent dans un camion ou une remorque de 2,70 mètres minimum de longueur. La robustesse du projet et sa fiabilité structurelle ont été validé par Alexandre De La Foye, ingénieur, architecte et docteur en génie civil, enseignant de l’ENSA Nantes . L’ambition de ce projet est de construire ensemble une structure capable, généreuse et générique.

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10 Cette structure, produite et appartenant au collectif, parle des désirs individuels et permet surtout de produire des espaces intimes qui accueillent différents usages : sauna, salle de réunion, serre, cuisine, terrasse... Les remplissages des «modules» se feront par diverses techniques transmises aux habitant·e·s et à l’équipe ASBL par des petits chantiers en amont ou encore par des tests auto-gérés et/ou impulsés. L’objectif de cette structure souple est de pouvoir accueillir les démarches individuelles et/ou collectives de réappropriation de l’habitat par des personnes sortant de la rue. L’idée de cette architecture est de produire des espaces collectifs où se retrouver seul·e ou à plusieurs, dans une intimité propice à l’échange ou au recentrement sur soi. Nous avons toutefois identifié pour cette première appropriation des espaces et usages utiles ou nécessaires au collectif :

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Un objet appropriable

une terrasse couverte, agrémentée de brise-soleil qui crée un espace intime où l’équipe ASBL pourrait effectuer les entretiens avec le habitant·e·s

serre en fenêtres récupérées pépinière mobile pour planter dans différents sites et s’essayer à la permaculture

un plan de travail extérieur capable d’accueillir une petite cuisine sommaire ou encore un atelier bois. en dessous se trouve un composteur en bois de palettes

une terrasse dans les hauteurs pour y accueillir les désirs de cabane dans les arbres, d’isolement, d’apaisement

une sauna en terre crue et bardages et bois de palettes, accompagné de deux baignoires réemployées pour y placer des piscines individuelles ou encore des bains pour y toiletter les chiens

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Un objet appropriable BUDGETS POUR MODULES HABITES

le cube «terrasse-réunion»

estimatif lebudget cube «terrasse-réunion»

le cube «serre»

estimatif budg

estimatif budget

Mais cette structure et ce type d’assemblage fonctionne de manière autonome et ainsi pourrait accueillir un habitat léger (construit individuellement avec les techniques transmises lors des chantiers), du mobilier intérieur dans la maison (voir photos ci-à-côté), une salle de réunion autonome dans le jardin, etc... L’objectif par cette structure génériquemodule est de construit dé- dans la halle de l’EnsaNantes cupler les possibles et de permettre à l’équipe ASBL d’accueillir les besoins et usages qui évolueront à la mesure que le projet grandit.

module construit dans la «couchage individuel» halleledecube l’EnsaNantes hypothèse de budget : 6850 euros

le cube «terrasse-réunion» le cube «couchage individuel»

estimatif budg

hypothèse de budget : 6850 euros

Cette structure simple peut également être facilement reproductible et ainsi se multiplier si le besoin se fait sentir.

module construit dans la halle de l’EnsaNantes

dessins de Violette et Nicho

le

hyp 685

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A plusieurs reprises, Elen, Thérèse (les travailleuses sociales) Matthieu (le coordinateur de projet) et Camille (la psychologue), nous répètent que notre présence auprès des habitants et les petits ateliers sont un «fil rouge» du projet. La construction est essentielle pour certains des habitants, qui au fil des semaines, viennent de plus en plus nous voir individuellement pour nous demander conseil sur telle ou telle structure. Très vite, la dynamique est lancée et les gars prennent des initiatives sur l’appropriation du terrain et de la maison. Nous perdons notre casquette d’étudiant·e·s et devenons des partenaires à part entière, des «membres du collectif», comme nous l’explique Camille lors d’une réunion. Nous nous adaptons donc à ses règles et prenons très vite très à coeur la règle numéro un du collectif : «tout en passe par la parole», qui signifie qu’une parole vaut promesse. L’enjeu ici est gros car nous devons nous montrer fiables afin de gagner la confiance des habitants. Camille nous rappelle toutefois l’importance des manquements, qui permettent de rappeler aux habitants que l’équipe n’est ni toute-puissante ni parfaite. Les retards ponctuels, les erreurs permettent de créer le manque et d’éviter la dépendance et donc de créer des relations hiérarchiques.

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Le regard des travailleur·se·s sociaux

Cesson le 25/05/21

Thérèse et Elen jouent le jeu du bricolage et apprennent à manier les outils

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La complexité du travail social

Parfois, la réalité est tellement dure que nous perdons espoir. Nous réalisons que nous nous sommes lancé·e·s dans du travail social sans avoir trop d’outils pour faire face à la violence des propos ou des gestes des habitants qui restent des personnes meurtries par leur passé. Je crois que nous avons parfois idéalisé le pouvoir que l’architecture a de pouvoir faire «aller mieux». La limite entre l’attachement que nous éprouvons et la limite que nous essayons de poser est parfois fine et comme nous le rappelle Elen «il est impossible de faire une cission complète entre le travail et chez soi, et donc quand ça se passe mal, on ramène tout ça à la maison.» Cela nous permet de provoquer une grande réunion de mi-parcours avec tout le monde. Nous reposons les bases de notre engagement et du leur ; eux nous rappellent que quand ils participent ils ne peuvent pas faire la manche, nous leur rappelons que nous venons bénévolement de Nantes. Cela nous permet de définir de nouvelles règles que tout le monde approuve et surtout de réassoir la motivation collective.

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une bédé de Violette Robin

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Blocages politiques

On a plus l’argent ! Pourtant, le lendemain, mauvaises nouvelles. Matthieu nous appelle désolé pour nous annoncer que sa direction n’a pas validé le budget et que nous n’aurons donc pas les 7 500 euros prévus dans la convention avec l’école (qui n’est toujours pas signée à ce moment là...) Là, vraiment, on ne comprend plus rien. Le travail que nous effectuions sur place était pourtant validé par nos interlocuteur·ice·s, dont Matthieu qui était notre hiérarchie directe. Nous comprenons qu’il y a des blocages de projet liés à des jeux politiques que nous ne maitrisons pas. Nous faisons face pour la première fois au premier problème de l’hébergement d’urgence, qui fonctionne par système délégataire et fait donc que les acteur·ice·s de terrain sont impuissant·e·s face à la prise de décision. Toutefois, dans ce cas précis, cela va à l’encontre même du travail social que met en place l’équipe ASBL depuis le début : démontrer l’importance de l’engagement de la parole. Elen nous confie : «J’étais sidérée. Si vous ne pouviez plus construire, je ne me voyais pas expliquer ça aux gars, il était hors de question que ça arrive. Ils auraient été hors d’eux, et auraient eu raison.»

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Pasteur le 26/05/21

là on est tellement fatiguées et démoralisées au retour de Cesson qu’on s’est offert des sushis pour le réconfort

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Rebondir

Comment rebondir ? Dans l’optique de comprendre ce qui bloque le projet, nous nous préparons à organiser une grande réunion avec tous·te·s les acteur·ice·s de projet : la direction d’ASBL, Matthieu, Camille, Elen et Thérèse, le représentant de Rennes Métropole en charge du terrain, nos professeur·e·s... Mais tout d’abord, nous tentons une dernière fois de rassurer ASBL sur tous les aspects du projet que nous sentons sensibles : le budget, la fiabilité et technicité, la démontabilité et réversibilité, l’adaptabilité... Nous proposons de réduire de moitié le budget en commençant par construire 3 ou 4 prototypes «modules» au lieu du 8. Puis finalement, ASBL rassuré·e·s, le budget (réduit de moitié) est débloqué ! Nous réalisons le décalage entre vision de l’architecte (qui maximise le potentiel d’un «concept») et la compréhension du commanditaire (qui fonctionne avec des contraintes concrètes). A la suite de cela, nous nous empressons de gérer les commandes de matériaux, ce qui n’est pas une mince affaire dans un contexte de pénurie et de crise sanitaire.

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La promesse d’un grand chantier

En selle de nouveau, nous voilà à la préfabrication des 4 modules qui seront montés sur site la semaine suivante lors du temps clé du semestre : le grand chantier. Nous pensons cette semaine à venir comme un grand moment de communion et de fierté collective : construire enfin ce dont on parle et qu’on invente depuis plusieurs mois permet de réassoir la parole comme un acte concret et de redonner confiance aux promesses. Nous pensons que ce temps fort permettra aux habitants de se saisir concrètement de cette notion d’habiter et d’en prendre possession par l’acte de construire. L’idée que «si j’ai fait c’est à moi et donc je peux en jouir librement» est au coeur des enjeux de ce projet. Nous choisissons donc avec les habitants les horaires de chantier afin de correspondre au mieux à leurs contraintes personnelles. L’enjeu à venir sur chantier est la place que nous allons prendre : coordinateur·ice plutôt que chef·fe de chantier.

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Ce projet nous permet de replacer le rôle de l’architecte au coeur de l’action et du terrain. Cette place priviliégiée, proche des usager·e·s, permet à l’architecte de me mieux se saisir du programme et de l’aspect politique de l’architecture, et non d’en subir les effets. Iel peut alors mettre ses connaissances de l’espace au service du groupe et orienter des décisions qui auront un impact fort sur le collectif. (C’est par exemple le cas lorsque nous proprosons de construire un objet collectif en premier plutôt qu’une chambre individuelle qui aurait fait l’objet de l’accompagnement d’une seule personne). Si l’architecture accueille le soin, comme c’est le cas ici avec de l’hébergement d’urgence, elle se doit de soigner elle même. C’est il me semble ce que nous avons tenté d’expérimenter avec P’tit Ben, Mathieu, David, Ludo et Benoît, les habitants de la maison de Cesson. Nous avons fait le pari que c’est construisant qu’ils pourront se saisir de l’acte d’habiter. L’acte d’habiter, ça n’est pas seulement celui d’occuper un lieu, mais surtout se l’approprier, y avoir des attaches émotionnelles, en prendre soin. C’est ici aussi que nous avons un rôle : comment permettre de prendre soin et replacer les habitant·e·s au coeur de la gestion de leur propre habitat. Nous pensons que le chantier, outre son aspect catartique, permet ici de se réappro-

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Conclusion

prier la notion de possession («cet espace est à moi, c’est moi qui l’ait construit !») et surtout d’être fier·e de soi à travers la réalisation de quelque chose d’à la fois utile au collectif, et beau. Le plus bel accomplissement selon nous serait de revenir et d’observer que les gars se sont saisi de cette structure pour en faire autre chose, car c’est ici que l’architecture aura joué son rôle de soignant : pour s’approprier chez soi, en prendre soin, il faut déjà aller mieux soi-même. Cela voudra dire que ce que nous avons laissé est au-delà de l’objet, c’est dans l’expérience, les ressources. Je ne vois l’avenir de l’architecture, ou de mon rôle d’architecte, que sous ce prisme social. Dans un contexte de crise sociale, où la métropolisation est sous les feux des projecteurs, comment permettre à la ville de se réinventer sur elle-même ? Selon moi, c’est par une écologie radicale, celle de la réhabilitation douce et non de la démolition, mais surtout par une solidarité maximale : donner une place à cell·eux qu’on ne regarde pas. Le soin de l’espace est l’outil privilégié de ce travail social que je souhaite mener dans le futur.

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Pour aller plus loin... Ce projet m’a permise d’aborder concrètement plein d’hypothèses émises lors de mon mémoire1. Toutefois, cela me donne l’envie d’aller plus loin et d’approfondir certains aspects : - Bien que la participation bénévole des habitants aux chantiers soient intéressante et démontre une forme d’intérêt au delà d’un cadre financier, il me semble important, surtout dans le cadre d’un travail avec des personnes précaires, de valoriser financièrement le travail effectué. Dans le futur, j’aimerais mettre en place des contrats Pôle Emploi rémunérés ou encore des formations reconnues. Cela permettrait en outre de percevoir la maison comme un outil direct de «réinsertion» (ici, professionnelle). - Le cadre scolaire a dans ce projet délimité un temps très court (3mois), qui nous a à la fois permis de faire plein de choses et d’accélerer les processus mais je m’interroge sur la notion du temps, de prendre le temps. Je pense qu’il est possible de faire émaner les envies des habitants plus encore et donc d’être au plus proche des besoins.

Postface

- Cette expérience s’achève un peu brutalement, avec en fond de bouche un goût de pas-fini. Comment part-on ? progressivement, brutalement ? Cela repose la question du manque. Comment se termine un permanence architecturale ?

Orientations professionnelles Nous avons évoqué avec Matthieu la possibilité de continuer un peu à travailler avec ASBL, cela permettrait entre autres de continuer la dynamique lancée, d’accompagner lors du déménagement à venir pour permettre une transition plus douce, d’assurer un suivi de la structure (la démonter et remonter à Chantepie) mais surtout de prolonger le travail sur un aspect cette fois plus individuel, accompagner un ou plusieurs habitants à la construction d’un habitat léger autonome dans le jardin. Je m’interroge également sur la possibilité de prolonger ce travail avec une thèse CIFRE, une HMONP en permanence ou encore peut-être de l’inscrire dans la Preuve par 7 ?

1 Mettre à l’abri, d’abord - Pour une production participative de l’hébergement d’urgence en France

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Dans le cadre de l’option Protolab 2021 à l’ENSA Nantes, un collectif d’étudiant·e·s s’associent à l’association d’hébergement d’urgence Saint Benoit Labre pour accompagner un groupe de jeunes sortant de la rue sur la notion d’habiter dans le cadre d’un lieu de vie collectif. Au fil des rencontres se monte l’histoire d’un chantier permanent entre désirs collectifs et besoins d’intimité. Une notice de PFE écrite par Noée Geindre et encadrée par Hélène Guillemot


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