Les disparus Tome 1 Extrait

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Extrait Chapitre 1 Santa-Monica: Joshua Mc Intyre Février 2002 -

Cours Josh! Cours!! Hurlait Ryan du haut de ses huit ans.

Le vent siffle dans mes oreilles, les arbres ne sont qu'ombres furtives. Le soleil donne au paysage une couleur arc-en-ciel. Je ne sens plus mes jambes, elles n'existent plus. Je suis aussi léger qu'une plume, une sensation de liberté sans limites. -

Cours, vole Josh!!

Les rires de Ryan se rapprochent, je peux entendre les roues de son vélo glisser sur le pavé. J'accélère encore un peu et manque de trébucher. Je me ressaisis au vol et tente de défier la gravité. Le sol pavé, laisse place à un chemin en terre qui mène vers les bois. Maman m'a toujours interdit d'y mettre les pieds. Je la revois froncer les sourcils et pointer son index l'air menaçant. « Un petit garçon ne doit jamais aller seul dans la forêt. Tu pourrais ne jamais revenir. Les bois engloutissent les petits garçons pas sages. » J'accélère encore et cours à en perdre haleine. Je fonce tête baissée vers l'interdit. Un coup de frein résonne et fait s'envoler des oiseaux de leurs nids. Le silence retombe et je me retrouve seul au milieu des pins et des chênes géants. Je ralentis en proie à des vertiges. Une bile acide brûle mes entrailles et ma gorge. Je m'arrête net et vomis un nuage vert et gluant contre un arbre. Des spasmes m'obligent à courber le dos, j'appuie mon avantbras contre mon ventre, pour tenter de contrôler la douleur. Une autre vague douloureuse me met à genoux. J'expulse une autre purée de


pois verts. Un jet brûlant et nauséabond. Des points noirs virevoltent autour de moi. J'ai chaud, j'ai froid. Je tente de respirer profondément pour ne pas m'évanouir dans ma gerbe. Tout tourbillonne. -

Josh? Josh? T'es où!!

J'entends la voix de Ryan dans le lointain. Elle semble s'amenuiser au fil des secondes. -

J'suis … la … va … chercher … m’man...

Ma voix se perd dans un gargouillis infâme. Je retiens de justesse un énième flot qui menace. Je m'écroule sur le sol, les jambes en coton. -

Josh !!!!

Sa voix est maintenant un vague écho qui se répercute dans les collines. -

Ry...an.

Je tremble de tous mes membres et tente de serrer mon sphincter. Le liquide vert menace de sortir par mon froc. Je serre encore avec les dernières forces qu'il me reste. Trop tard, un jet puissant comme un geyser inonde mon pantalon autrefois blanc. -

Non!

Je pleurniche, comme un gamin perdu dans les bois et malade à en crever. Bon sang, cela semble pourtant si réel. Je voudrais me réveiller et sortir de ce cauchemar. J'ai froid, tellement froid. De la buée sort de ma bouche, comme en plein hiver. Je tente de me redresser sans appuyer sur la partie humiliante. Un brouillard épais me fait face. -

Ma… maman…

J'implore sa venue, comme le jour où je me suis perdue au supermarché. J'étais seul au milieu de tous ces visages inconnus. Des rayons hauts comme des buildings sans fin. Des caddies, tels des loups aux yeux rouges. Un monde trop grand pour un si petit garçon.


J'étais terrifié. Mes hurlements l'avaient mené à moi. J'avais cru prendre la fessée du siècle. Mais il n'en fut rien. Elle m'avait serré contre son cœur et avait pleuré pour son petit garçon qu'elle pensait perdu à jamais. Aujourd'hui, j'ai dix ans et je retrouve cette peur de môme perdue dans un monde trop grand. -

Maman!!

Le brouillard est de plus en plus compact, des éclairs jaunes et blancs zèbrent la surface. Il s'avance et semble vouloir me dévorer. Je délire, je vois des monstres dans un brouillard imaginaire en plein été. Je n'aurais jamais dû courir comme un dingue sur des kilomètres. Vantard, je voulais impressionner Émilie. Je n'ose pas lui demander de sortir avec moi. Je sais bien qu'elle préfère Max qui s'habille toujours en cuir et fume des cigarettes en cachette. Elle me traite comme un gamin. Je voulais lui montrer que je pouvais battre son nul de Max à la course. Je l'ai battu à plat de couture dès les premiers mètres. Il s'est effondré comme une masse au premier tournant. Je n'ai pas pu m'arrêter. J'ai continué de courir droit devant, je ne sais pas pourquoi. Ryan, mon pote de toujours, m'a suivi en vélo, fier comme un pou de me voir vaincre notre ennemi. Ce sale type lui volait son argent de poche et ses goûters à la récré. Il a eu la honte qu'il méritait. -

Josh'?

Une voix familière me parvient. Elle semble se rapprocher, un murmure à mon oreille. -

Mammann!!!

Je crie de toutes mes forces, comme si toute ma vie en dépendait. Le son s'est perdu dans le brouillard, qui n'est plus qu'à quelques centimètres de moi. Il a avalé mes cris de détresse. Me rendre muet, pour l'empêcher de me retrouver. Je perds la boule, je n'aurais pas dû boire ce truc infâme qu'il m'avait tendu.


« Bois ça si t'es un homme, un vrai ». Je ne voulais pas passer pour une lopette devant Émilie. J'ai bu, d'une seule rasade, comme un homme. Émilie avait applaudi, fière de moi. Un goût d'alcool et de soda vert. Si maman l'apprend, elle me punira jusqu'à ce que je devienne un cadavre putréfié dans ma chambre. Sa voix douce et rassurante me parvient plus lointaine cette fois. Elle ne me trouvera jamais au milieu des arbres géants. Je dois crier encore plus fort. -

Maaaaaaaaaaaaaaaammmmmmmmm...

Le brouillard absorbe à nouveau le son de ma voix. Mes cris ne sont que silence. Je tends la main vers cette chose qui semble vivante. Un froid polaire dans du coton épais. Mon bras se fige, je ne parviens pas à le retirer de la brume. Je tire comme un forcené en vain. Mon bras disparaît, puis mon torse. « Maman dit, est-ce la main de la mort est gelé? Papi Jacques était froid dans son cercueil ». Je vais mourir... tout ça à cause d'Émilie.

[…]


Extrait chapitre 3 – Famille Fitzgérald

Restaurant-Bar « Le Neptune » - Santa-Monica 8 Avril 2009 J'ai le tournis à cause de toute cette paperasse qui défile sous mes yeux. Les doigts endoloris à force de tourner des pages poussiéreuses d’un autre temps. Je me frotte les tempes pour calmer une migraine qui menace. Trop d'informations s'entrecroisent. Un sac de nœuds. Un labyrinthe sans issue. Pourtant, j'ai l'intime conviction d'être sur la bonne piste. Je tiens un scoop qui fera grand bruit, à condition de savoir faire le tri dans ce flot de théories et de contrevérités. Les enfants Cowden, Virginia Dare, Sophia-Mathilda Briggs, le bus A 37 avec tous ces écoliers. J'ai l'intime conviction que je trouverais d'autres disparitions du même acabit, si je savais où chercher. Trop de coïncidences, de témoignages similaires à des époques très différentes. Cela ne peut pas être un simple hasard. Je ferme les yeux un instant. Trop de mots et d'images se battent en duel dans mes tempes. Je ne cherche pas les réponses au bon endroit. Je ne sais même pas ce que je cherche. Des disparitions, cela arrive tous les jours dans ce monde. Pourquoi est-ce que je perds mon temps ? Anna me sert un café serré. Gérante-serveuse-cuisinière. Elle est tout cela à la fois. Les bénéfices du restaurant ne permettent pas encore d’embaucher des salariés. Elle gère, l’ingérable, sans se plaindre. -

Tu vas finir avec une calvitie, comme les savants fous, si tu continues à chercher, je ne sais quoi, dans ces antiquités.

Je ne peux retenir un éclat de rire, avec cette vision surréaliste de moimême. Des rires vite effacés par le brouillard dans lequel je m’engouffre.


-

Je ne sais pas ce que je cherche. Je n’ai aucune idée de sujet. Je perds mon temps sur des disparitions dont tout le monde s’en fout… Suis ton instinct mon chéri. L’instinct d’un journaliste est tout ce qui lui reste, quand rien ne va. Mais c’est ce que je fais. Mais c’est une voie sans issue. Pas le début d’une piste, d’un lien… rien. Ils ont disparu… jamais retrouvés et puis c’est tout. Ça me fait une belle jambe. Je vois déjà la tête du professeur…

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase qu’un vieil homme suant et haletant s’installa avec la délicatesse d’un mammouth à mes côtés. Il ne cessait de s’éponger le front en vain et semblait frôler l’arrêt cardiaque. Il portait des lunettes en écaille sur un gros nez rouge. Un béret maladroitement enfoncé sur un crâne dégarni. Il était cintré dans un costume élégant, à la Sherlock Holmes. Son ventre bedonnant y semblait à l’étroit. Pris dans une quinte de toux sans fin, il cherchait un peu d’air pour ne pas perdre ses boyaux. -

Est-ce que ça va aller ? S’inquiéta Anna. Non… Servez-moi n’importe quoi de fort ! Un brûle-estomac !

Il était à peine 10h du matin. Nous n’avons pas besoin d’un ivrogne avachi à notre bar. C’est une mauvaise publicité. Je déconseillai Ana, d’un regard, d’obtempérer à sa demande. Elle fronça les sourcils, pour me rappeler qu’elle était le seul maître de son bar. -

Allons, monsieur, il n’est pas un peu tôt pour boire de si bon matin ?

Il moucha bruyamment et prit une goulée d’air. -

C’est la fin du monde ma p'tite dame. Au point où on en est, ce n’est pas un peu d’alcool qui changera quoi que ce soit. Ok…

Anna versa un punch, dont elle seule a le secret, dans un verre bien trop grand. -

À qui ai-je l’honneur ? dit-elle en lui tendant le verre. Professeur Von-Haff, pour vous servir. Enfin, pour le peu de temps, qu’il nous reste.


Je félicitai d’un clin d’œil sa clairvoyance. Avoir un nom en cas de problème, pour s’avérer fort utile. -

La fin des temps ? Pourquoi ? Un astéroïde va nous percuter ? Un bug de l’an 2000 ? Dis Anna un peu moqueuse. Je ne peux rien vous dire, sinon votre vie serait en danger. Ils me pourchassent, car je sais trop de choses. Ils ont tué mon ami Karl. Ils l’ont massacré pour le faire parler ! Ils m’auront tôt ou tard. Je dois apporter mes documents au professeur Conrad, avant qu’il ne soit trop tard.

Il parlait à l’allure d’une mitraillette déchainée. Ses mains tremblaient de plus belle. Il avalait l’air comme si c’était du vin rouge. -

Professeur Conrad, je le connais. Pourquoi voulez-vous le voir ?

Je me suis maudit à la seconde où j’avais prononcé ses mots. Ne pas se mêler des affaires des autres et surtout ne pas discuter avec des fous. Cela peut tourner aux problèmes, dont on n’a pas besoin. D’ailleurs, m’a asséné un regard furieux. J’aurais voulu effacer le temps. Si seulement, j’avais su. -

Vous le connaissez ? Il faut que je le voie sur le champ ! C’est une question de survie du monde ! Mais-je … Will la ferme !

Anna avait un don naturel pour repérer les emmerdes naissantes. Ce type semblait être une sacrée emmerde qu’il fallait éviter à tout prix. Le vieil homme m’agrippa par la cravate et me fixa droit dans les yeux. -

-

Mon p’tit, le monde que l’on connaît est en train de disparaître. Ils font en sorte que personne ne se rende compte de rien. Mais je peux te garantir que les singeries d’Hitler seront du pipi de chat par rapport à ce qui nous attend ! Écoute mec … je ne sais pas de quoi tu parles. Mais de toute évidence, tu tiens une cuite sévère. On ne veut pas de problème ici.


-

De problème ? Votre vie ne sera qu’un lointain souvenir, quand les vrais problèmes commenceront. Il faut que je trouve le professeur Conrad tout de suite ! Ok mec … relax… je vous emmène le voir ok ? Tout va bien ! Non rien ne va … plus rien n’ira !

Anna était en larmes. Elle peinait à retenir ses sanglots. Je voyais dans son regard, le lourd regret de ne pas avoir une carabine dans son bar. Le vieil homme s’en est rendu compte et tenta de se détendre, si cela était possible dans une situation aussi électrique. -

Écoutez ma p’tite dame. Je suis désolé du charivari que je viens de faire chez vous. Mais vous comprendrez plus vite que vous ne pensez que le vieux fou qui est entré un jour dans votre bar tentait de sauver le …

Un bris de verre a rompu son monologue. Son corps massif s’est effondré sur le sol. Anna a poussé un hurlement et est restée figée. Une balle a brisé la porte vitrée pour se loger dans la tête du vieil homme. -

Anna à terre !

Ma supplique ne trouvait pas écho. J’ai foncé vers elle, pour l’obliger à s’allonger au sol. Je n’ai eu qu’une fraction de seconde pour voir un 4x4 noir partir à vive allure, et bifurquer au carrefour. Anna était entre l’hystérie et les pleurs. Je tremblais comme une feuille, incapable de parler. Je tendais une main vacillante vers la veine jugulaire du vieil homme. Il ne fallait pas être médecin pour comprendre qu’il était mort sur le coup. Il fallait que je rassemble mes idées au plus vite. Une pensée idiote me traversa l’esprit. Fort heureusement, le bar était vide. Pas de clients en panique à gérer. Nous étions seuls. Seuls. -

Anna lève toi, il faut partir !

Ils pouvaient revenir sur leur pas, finir leur besogne. Vérifier qu’il n’y ait pas de témoin ou … chercher le dossier. Mon instinct me dicte que


ce dossier valait la mort d’un homme. J’arrache la besace du vieillard, retenant un haut-le-cœur, sur la vue de son cerveau en bouillie. J’agrippe la main d’Anna et l’oblige à monter dans la voiture. Elle gagne l’hystérie cette fois et ne contrôle plus son discours. Je démarre en trombe, ne sachant pas quelle direction prendre. -

Mort … il est mort… Will… p’tain…. Mort… Seigneur. Anna, calme-toi ! Je n’ai pas besoin de ça maintenant ok ! J’ai besoin que tu prennes sur toi et que tu fermes ta gueule !

Elle tente d’étouffer ses mots et ses sanglots et pleurniche en silence. Mon stress était au maximum et sa litanie me rendait fou. Je ne savais plus comment agir, où aller. La crainte de rentrer chez nous et de les y trouver. Je pense à Jason, sa chevelure blonde et ses rires d’enfants. Si ces gens-là allaient le chercher à l’école ? Non… ils ne savent pas qui nous sommes. Ils n’ont pas dû faire attention à nous. Si… c’est notre bar. Nous retrouver est très facile. Pourquoi le ferait-il ? Nous n’y sommes pour rien. Je tente d’avaler une bouffée d’air pour la vitre ouverte. Il faut aller chercher notre fils. C’est la seule certitude que j’ai. Je donne un coup de volant sec et fais demi-tour en direction de son école. Je crains d’y voir un 4x4 noir et mon cœur cogne de rage et de désespoir. Arrivée à son école, en pleine pause récréation, je le vois en train de chahuter avec ses camarades, les rires insouciants. -

Il n’a rien ? Demande Anna épuisée. Non… mais je vais le chercher quand même. On va rentrer à la maison ? Dit-elle dans un souffle. Non … on ne peut pas prendre ce risque. Seigneur…

La courte accalmie d’Anna semble se tarir et l’hystérie la reprendre. Je prends sur moi pour la calmer. Jason, ne dois pas la voir dans cet état. Tout va s’arranger. Tout va aller mieux. Étrangement, je n’en croyais pas un seul mot. Mon instinct me dit que ce n’est que le début de nos emmerdes.

[…]


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