Lettre à Élise Écrire est mon unique échappatoire, dans cette moiteur et cette odeur de sang séché. Puis-je te tutoyer, ma chère Élise ? Ici, le « tu » est de rigueur. Car nous sommes tous, dans la même douleur. Tu es ma bouée de sauvetage, quand l’océan se déchaîne. Combien de lettres, t’ai-je écrit ? Des centaines, je crois. Est-ce qu’une seule a pu trouver le chemin de ta maison ? Aucune, sûrement. Ils empêchent les appels à l’aide, d’arriver à destination. Ils étouffent la vérité pour préserver le mensonge, auprès de la nation. Où peut-être est-ce toi, qui ne réponds pas. Ton adresse, est-elle seulement la bonne ? Je n’ai plus aucune certitude aujourd’hui. Ma pensée s’égrène et se perd dans la sueur et la puanteur. Cette lettre sera ma dernière. Ne crois pas que je t’en veuille, où que ce soit une rupture de cette amitié unique, qui nous unit. Elle sera la dernière, car la mort approche à grands pas. La mort, de tout ce que j’ai essayé de sauver, avec un acharnement risible. Te souviens-tu Élise, de cet acharnement qui nous caractérisait tous les deux ? Nous étions déjà, des âmes sœurs, alors que nous apprenions à marcher en couche-culotte. Tu étais la téméraire et moi le plus prudent. Tu fonçais et moi je réfléchissais à la meilleure manière d’agir. Ne jamais se lancer dans la bataille, si elle est perdue d’avance. Tu ne l’entendais pas de cette oreille. Ton adage était « Bats-toi, avec force et courage. Qu’importe le résultat. Ai la satisfaction, d’avoir essayé. Les lâches et les perdants sont ceux qui n’auront jamais tout tenté ». Il est devenu le mien avec les années. Je me souviens des éclats de rire, quand je voulais faire ce métier bien étrange, « sauver le monde ». Cela me semblait un métier à part entière, alors qu’il n’avait aucun sens, ni aucune méthode. Mon entourage riait aux éclats, face à cette croyance enfantine. Toi tu n’as pas ri, tu as mis ta main sur mon épaule et tu m’as dit « James, tu sauveras le monde, j’en suis certaine ». Ton acharnement légendaire a coulé dans mes veines. Sauver des vies, pour sauver le monde. Un sens et une méthode a pris forme. Je suis passé du cancre, assis près du radiateur, à un brillant étudiant en médecine. Diplôme en poche, je soignais des ampoules et des migraines à des gens riches et sans problèmes. Est-ce ainsi que je sauverais le monde ? Un compte en banque garni et une voiture envieuse. Une solitude que toi seule savait combler. Tu me dévisageais de tes yeux aussi verts, que la plus belle des forêts luxuriantes. « James, tu n’es pas heureux. Tu as perdu ton rêve, celui de sauver le monde ». Tu avais toujours raison, il était inutile de chercher à te contrer. Alors, je te regardais, en silence, jouer de la harpe et fredonner une chanson qui guidait les morts, vers un monde meilleur. Tu chantais pour soigner les peines et la tristesse. Moi, je soignais les blessures sur les corps meurtris.
« Ton heure, viendra James, j’en suis certaine ». Une douce litanie, devenue une évidence, une nuit d’été. J’avais le ventre dodu et repu, d’un repas pantagruélique. Les yeux ensommeillés, avachi sur le canapé. Leurs visages osseux et leurs ventres ronds de malnutrition sont apparus sur mon écran. J’aurais dû agir, comme le commun des mortels, les regarder, sans me sentir concerné. Mes yeux et mon cœur ont saigné. Tes mots me sont revenus en mémoire et j’ai su que mon chemin venait de s’ouvrir devant moi. Je suis parti avec une valise aussi légère que mon âme, vers mon destin. Ton image reste gravée dans ma mémoire. Ton sourire, ta robe blanche et tes cheveux en bataille par un vent insolent. J’aurais voulu que tu viennes sauver le monde, avec moi. Mais ton ventre rond, dans l’enfantement, t’en a empêché. Tu avais une vie à choyer. Je t’ai raconté à longueur de missives, ma vie en mission avec les médecins sans frontière. Mes mots ont dû s’évaporer, avant qu’ils n’arrivent dans tes mains. Je ne veux pas croire, que tu n’as pas souhaité y répondre et que tu m’as abandonné à mon triste sort. Je ne sais rien de ton enfant, et n’en saurais jamais rien désormais. Est-ce une fille ou un garçon ? Est-ce le mien ou celui d’un autre ? À t-il tes yeux ? Je tremble Élise et ai du mal à me concentrer sur mes mots. Ils arrivent et le temps me manque pour palabrer. Je dois écrire tout ce qui s’est passé. Quelqu’un doit savoir, pourquoi nous sommes tous morts. Pourquoi notre mission, était vouée à l’échec dès le début. Élise, tu dois savoir, pourquoi, je ne rentrerais jamais. Je me remémore mon arrivé, le cœur plein d’espoir, la rage de vaincre. Je sauverais le monde et je commencerais ici. J’étais bien sot et prétentieux. D’ailleurs, à peine arrivée, mes illusions se sont évaporées. Un homme hurlait à mon encontre, la poussière sur le visage et les vêtements, mêlée à du sang. Le vent avalait ses paroles, mais je n’ai eu de mal à comprendre son désespoir. Je me suis précipité vers lui, à une allure dont je ne m’en pensais pas capable. Il pressait ses mains, dans son entrejambe ensanglanté. Elle était en train d’accoucher, au milieu de la brousse, la puanteur et le néant. Des lits partout, des gens dans tous les recoins. Nous étions au milieu de nulle part. Je n’ai pas eu le temps de me perdre plus longuement dans mes réflexions. Il fallait les aider. Il ne cessait de hurler, la situation semblait désespérée. Une tête, deux bras… le bébé arrivait et la mère s’éteignait à petit feu. Je la ventilais comme je pouvais, lui parlais pour la convaincre de rester en vie, pour son enfant. C’est à ce moment que j’ai vu son regard. Élise, si tu avais vu son regard, il te hanterait aussi, jusqu’à la fin de tes jours. Un regard blessé, plein de haine. Un regard qui refuse la vie et attend la mort, comme bénédiction. Le cri du bébé, qui avale la vie avec volupté. Une mère qui s’en va dans un autre monde. Un bien triste destin. Les cris du bébé se sont évanouis. J’ai tourné le regard, pour comprendre les raisons de ce silence.
L’homme avait mis une serviette ensanglantée, sur son petit visage et appuyait aussi fort qu’il pouvait. J’ai hurlé et me suis précipité vers lui, pour l’en empêcher. Il était en train de tuer, ce petit être innocent. Je n’ai pas pu l’empêcher, car deux autres hommes sont venus vers moi et m’ont retenu au sol. Elise, il avait les larmes aux yeux, comme un homme qui n’avait plus aucun espoir. Quand j’ai pu révéler la tête, l’enfant était sur le ventre de sa mère. Morts, tous les deux. « Bienvenue en enfer », ont été leurs mots quand ils m’on relevé. J’ai appris une semaine plus tard, qu’ils procédaient ainsi, pour les femmes qui en faisaient la demande. Ils n’ont pas les moyens de pratiquer des avortements, alors tuer les bébés à leur naissance est la seule méthode possible. Toi, qui est l’amour même et une mère aimante, tu ne peux accepter ces procédés, d’un autre âge. Mais Élise, ses femmes, sont le courage et la bonté la plus pure. Il faut que tu comprennes, l’horreur que cela dissimule. Ces femmes, ont connus l’enfer en leur chair. Ces enfants, sont ceux d’hommes qui ne sont pas leurs maris. Des inconnus, vils et haineux. Violés et humilier les femmes, sont leurs récompenses, après avoir incendié et pillé des villages entiers. Ils les enferment dans des cages et s’en servent comme amusement. Violer plusieurs fois par jour, elles sont enterrées vivantes, quand elles ont le malheur de tomber enceintes. Certaines parviennent à s’échapper. Elles meurent dans les forêts immenses et labyrinthiques, parfois une malheureuse, trouve notre chemin. Pour le meilleur ou le pire. Élise, j’ai besoin que tu crois en ces mots. Je sais que toi seule est capable de défendre notre cause. J’ai vu de mes yeux, ce qu’ils leur font. Je n’ai pas pu les aider, j’étais sans défense fasse à leur malheur. J’étais seul et eux bien trop nombreux. Il m’a fallu peu de temps pour comprendre, que les rebelles armés n’étaient pas les ennemis. Nos soldats, ces soldats censés mettre fin au massacre, traitent ces femmes comme de la chair à meurtrir. Elles sont leurs récompenses de mois de labeur et de guerre. Elles ne sont pas humaines à leurs yeux, pas comme toi ou les femmes de notre pays. Elles sont des bêtes à dresser et massacrer à la chaîne. Quand elles viennent vers nous, tuer leurs bébés devient inévitable. Sinon, elles trouveront un moyen de s’en débarrasser, d’une manière ou d’une autre, quitte à sacrifier leurs vies. Elles sont mortes dans leurs âmes et nous sommes leur dernier espoir. Un espoir vain, car nous sommes incapables de faire cesser le carnage. Un carnage, que nous avons crée, en piétinant leurs terres et leurs guerres internes. Notre pays, s’en est mêlé et a apporté le malheur. L’herbe ne repousse plus, quand ils traversent un village. Ils sont à la recherche de rebelles, c’est ce qu’ils prétendent. Mais c’est un mensonge. Ils sont avides de cruauté et de sang. J’ai vu les rebelles défendre leur territoire et leurs familles. Ils ne sont pas les méchants. Ils sont morts, pour avoir défendu leurs terres et leurs êtres chers. Ils sont pauvres et affamés, se battent pour obtenir l’attention des autres pays. Se
battent pour faire partir ceux qui lapident les ressources de leur âme et de leur pays. En réponse, nous leur avons envoyé la mort. Je ne comprends pas pourquoi. Élise, je n’ai pas cette réponse, pourtant tant espérer. L’état ferme les yeux, les forces armées sont sourds et aveugles. Nous aussi. Nous avons peur, nous sommes terrifiés. Cette horreur n’est que l’iceberg du malheur ambiant. Les enfants des villages sont embrigadés dans nos armées. Ils servent de bombes humaines pour terrasser le camp des rebelles. Les hommes et les vieillards sont massacrés, quand ils ont un peu de chance. D’autres parviennent à fuir et son rattrapés par nos troupes et fait prisonnier. Ils arrêtent les gens qu’ils sont censés défendre et protéger contre les rebelles, qui ne leur ont jamais fait le moindre mal. Ils les utilisent pour leur amusement, et les obligent à s’entretuer dans des combats sans merci, alors qu’ils sont du même village, parfois de la même famille. Un combat d’arène, sans honneur. Un fils a tué son père, dans l’espoir de survivre. Un mensonge. Le gagnant meurt exécuter, sous les ricanements de soldats, dans l’ennui et l’alcool. Les villages meurent, car ils ne sont que les pions d’une guerre inhumaine et sans motif. Les rebelles veulent reprendre le pouvoir dans un pays qui se meurt et manque de ressource. Du moins, pas les ressources nécessaires à la vie. Ils veulent sauver ce qu’il reste. Les soldats sacrifient ce pays, pour qu’il ne reste rien aux rebelles. Comprends-tu, qui sont les vrais ennemis Élise ? Ce n’est pas à moi de juger. Mon rôle est de soigner les blessés et de remettre d’aplomb les plus mal en points, qu’importe le camp, dans lequel ils survivent. Ce sont des hommes. Ils ont des familles, ils ont des rêves. Avons-nous raison, de les soigner, pour qu’ils reprennent le chemin de la destruction? Je n’ai pas la réponse. Nous soignons aussi leurs femmes et leurs enfants. Sauver leurs maris nous semble rationnels. Peut-être que nous contribuons à cette guerre. C’est pour cela, que nous sommes devenus les ennemis de l’armée. Nous soignons les coupables et les innocents, sans être juge. Nous voulons la paix, dans un pays en perdition. L’armée nous rend responsable de leurs infimes échecs. Nous sauvons, ceux qu’ils cherchent à tuer. Qu’importe que nous soignions aussi leurs hommes. Leur cruauté, n’a pas cette réflexion. Ils sont déjà eue une vingtaine d’entre nous, dont huit médecins. Je préfère taire, la façon infecte par laquelle ils ont trouvé la mort. Mes yeux, ne veulent pas croire en de tels sévices. Ils sont morts dans l’indifférence et personne ne s’en soucieras. Leur famille, ne saura jamais la vérité. Les journaux télévisés, continuerons à trier les informations, pour cacher l’évidence. Nos soldats ont tué ce pays, nos soldats ont tué des innocents, violés des femmes et massacrés pour le plaisir. Ils sont livrés à eux-mêmes, depuis des mois, une année. Personne ne semble leur donner des directives. Ils ont carte blanche. Ils n’ont que la haine pour les guider. Ce n’est pas une guerre, mais une extermination. Les rebelles se font exterminer, les uns, après les autres.
Ma chère Élise, je n’ai pas la force, ni le temps de te raconter tout ce que j’ai pu voir, tout cela n’est qu’une goutte dans l’océan de l’abomination. Je voudrais préserver ta foi en l’homme et en l’humanité. J’ai perdu la foi et l’espoir. Je perdrais ma vie, pour avoir voulu sauver le monde. Je n’ai pas la lâcheté de fuir. Je ne peux pas les abandonner derrière moi. Pour aller où ? Ils ont barricadé les aéroports et les routes. Nous sommes prisonniers et à leur merci. Tout le pays est devenu une prison. Mes mains tremblent, j’ai peur. Élise, j’ai si peur. Je ne suis pas prêt à mourir. Qui peut affronter la mort, sans la craindre. Parfois, il vaut mieux choisir sa mort, que de la laisser dans les mains du mal. Les soldats arrivent, j’entends leurs armées et le cliquetis morbides de leurs tanks. Nous sommes une trentaine ici, sans armes, sans moyen de défense. Nous éliminer, sera d’une facilité révoltante. Je suis le seul rescapé de la mission. Je n’aurais pas le temps de t’expliquer, pourquoi mes confrères ont trouvé la mort, pour avoir voulu sauver quelques innocents. Je dois agir au plus vite. Élise, j’espère que tu trouveras le courage, de me pardonner. Le pardon pour un homme, qui doit commettre un crime, pour éviter aux plus faibles des souffrances atroces. Je t’implore, de garder une image bénie et parfaite de celui que j’ai été. Je dois donner une pilule de cyanure à tous, aux femmes, enfants, aux blessés, pour leur donner un mort paisible. Je ne savais pas quoi faire d’autres. Je ne peux les sauver. Élise penses-tu, qu’il nous restait un espoir ? J’espère avoir fait le bon choix. Je garde un peu de courage, pour enfin oser te dire, ce que la lâcheté n’a jamais pu me permettre. Je t’aime Élise, je t’aime depuis toujours. Mon cœur est convaincu, que cet enfant est le mien. Une bénédiction pour notre union furtive. Pourvu que vous ayez trouvé le bonheur, dont je suis privée depuis des mois. Tes mots ne me sont jamais parvenus. Peut-être une punition divine, ou une rancœur qui te guide. Je prie, que tu puisses lire ces mots. Ils seront ma rébellion, ma vérité, la lumière dans cet enfer. Ma façon de sauver le monde en pointant du doigt, le véritable ennemi. Je viens d’avaler cette pilule au goût horrible. J’ai peur Élise. James ---------------------------------------Cher James, Je ne reçois pas de réponses à mes nombreux envois. Ai-je commis une faute, pour mériter une telle attitude ? Avez-vous trouvé un meilleur bonheur, loin des vôtres ?
Je me permets d’insister mon cher James, car je ne vous reconnais pas dans ce silence. J’ai la certitude que mes courriers vous sont adressés, puisque ceux-ci sont confiés à nos valeureux soldats, qui mettent un point d’honneur à les transmettre, afin de garder le moral des troupes au plus haut. J’essaie de ne pas garder rancœur, mais mon cœur est blessé. J’aurais voulu avoir vos mots, pour soigner ma tristesse de ne pas avoir de vos nouvelles. Mon fils est né et est le plus cadeau du ciel. Notre fils. J’aurais voulu vous le dire, j’avais la certitude que cela vous aurait empêché de nous quitter pour sauver le monde. J’aurais été bien ingrate, de priver ces malheureux de votre présence bienveillante. Sachez cher James, que j’attends votre retour avec impatience. Je garde l’espoir, que nous puissions construire un avenir avec cet enfant. Je garde un lien, aussi infime soit-il, en suivant avec vigilance, la moindre information, sur la situation des troupes et des missionnaires. Les rebelles perdent du terrain, grâce au courage de nos soldats bénis par notre dieu, tout puissant. La guerre devrait bientôt s’achever et donner un peu de répit aux médecins sur place. Je prie chaque jour, pour que nos soldats soient rendus à leurs familles, sains et saufs. Qu’ils veillent sur vous et vous protègent de ces sauvages, sans foi, ni loi. Ils accomplissent leur devoir en redonnant la paix aux innocents de ce pays, face eux rebelles cruels. Leur redonner une dignité perdue. Je prie que notre dieu, pardonne leurs outrages et qu’ils fassent pénitence pour l’éternité en enfer. Nos soldats sont valeureux et pleins de bonté, pour ramener la sérénité dans ce pays en souffrance. Je vous envoie tout mon amour, mes prières et garde l’espoir de vous revoir un jour. Si cela ne doit jamais être le cas, j’espère alors que c’est le bonheur qui vous gardera loin de moi et de votre fils. Élise