Ré-approprions nous de l'économie collaborative ! Matthieu Lietaert * Au début du mois de décembre, les représentants de 195 pays vont se rassembler lors de la COP21 à Paris pour discuter du changement climatique. Le refrain d'une chanson me vient en tête « Parole, Parole, Parole ». Qui croit encore que des diplomates obnubilés par la croissance de leur pays respectif vont nous trouver la formule magique depuis leur tour d'ivoire ? Face à cette situation tragi-comique, que pouvons nous faire ? Suite à notre film The Brussels Business sur l'histoire du lobbying auprès des institutions européennes, j'ai ressenti le besoin d'écrire le livre Homo Coopérans 2.0 dès le moment où j'ai quitté les couloirs du pouvoir institutionnels pour regarder de plus près ce qu'il se passait dans nos quartiers, dans nos rues, et là où la démocratie représentative n'avait encore aucun élu. Ou plus précisément, là où chacun est son propre représentant. Homo Cooperans 2.0 explique le retour de la coopération après un demi siècle d'hyperindividualisme, et l'incroyable opportunité qui se présente à nous pour changer de cap au travers de l'économie collaborative. L'économie collaborative, c'est quoi au fait ? Croyez moi, c'est bien plus que UBER et AirBnB dont on nous bassine les oreilles depuis plusieurs mois. Grâce à Internet, et pour la première fois dans l'Histoire de l'humanité, des individus qui ne se connaissent pas, peuvent se connecter entre eux, en temps réel, pour s'échanger des biens (maisons, voitures, jouets, outils, vêtements, nourriture), du temps, de la connaissances et des services. La nouveauté ? Ils n'ont plus besoin d'intermédiaires. En moins de 10 ans, un réel monde parallèle a émergé pour offrir des solutions réalistes, réalisées et réalisables, et permettre d'allouer biens et services de manière beaucoup plus optimale et économique que le Marché ou l'Etat. Du jamais vu ! Allons-nous alors enfin tous vivre dans un monde de bisounours? UBER, AirBnB, Facebook & Cie vous diront que oui, mais la réponse est évidemment non ;) Michel Bauwens qui signe la préface du livre a été l'un des premiers à souligner qu'en seulement 5 à 10 ans, ces entreprises ont compris comment générer d'immenses profits grâce à la collaboration 'peer to peer'. C'est donc sur base de nos échanges, que des start-ups inconnues au régiment il y a à peine 5 ans, sont aujourd'hui devenues des géants économiques qui opèrent au niveau transnational, soulèvent des centaines de millions d'euro d'investissement et visent à assurer un quasi monopole dans leur secteur. Le tout dans un contexte de far-west économique du 21ème siècle... Qu'on se le dise, nous sommes très loin d'un monde de bisounours. Et pourtant, aussi paradoxale que ça en a l'air, nous n'avons jamais été aussi proche de détenir la solution : nous sommes à deux doigts de nous ré-approprier de l'économie collaborative. En effet, ces nouveaux géants ont plus besoin de notre collaboration que nous n'avons besoin de leurs services ;) Toutefois, nous n'aurons rien sans rien et il est primordial que nous soyons pro-actifs pour donner d'autres valeurs et d'autres objectifs à l'UBERisation de la société. Il n'y a aucun doute qu'à l'heure actuelle, ces géants sont en train de monopoliser le débat et, à coup de lobbying, de tirer le cadre législatif dans leur sens... N'est-ce pas le rôle du politique de veiller au bien commun, me direz vous ? Le phénomène a pris une telle ampleur, au niveau mondial et en si peu de temps, que nos représentants sont complètement dépassés par ces changements. Nous l'avons vu avec les taxis dans les rues de Paris, Rome, Berlin et Londres, les politiciens agissent de manière ré-active et non pas de manière pro-active. A Bruxelles, lorsque nous sommes allés voir le cabinet du Ministre-Président Rudi Vervoort pour lui suggérer qu'il fallait prendre le taureau par les cornes et qu'il y avait une réelle opportunité pour la région, on nous a dit que c'était « intéressant » et qu'on allait nous « recontacter bientôt ». Ca fait un an que nous attendons... ;) A cette époque charnière, avons nous encore le temps d'attendre qu'ils nous recontactent ? La réponse encore une fois est non.
Surtout quand la solution est à portée de main. Si c'est notre collaboration qui sous-tend les profits des géants de l'économie collaborative, pourquoi ne créons-nous pas nos propres plateformes d'échanges ? Et la bonne nouvelle est qu'un réel mouvement est en marche, et ce même en Belgique. Dans le domaine bancaire, la New B est en train de créer une banque coopérative d'un nouveau genre. La BEES Food Coop ouvrira bientôt un supermarché participatif. Cambio et Taxistop sont des pionniers en co-mobilité au niveau européen. La SMart est en passe de devenir une coopérative, des citoyens achètent leurs propres éoliennes un peu partout et, au niveau de l'habitat, le Community Land Trust prend racines. « Un autre monde est possible » est devenu réalité en une décennie. Alors, pendant que certains parlent et monopolisent les media à la COP21 ou ailleurs, nous avons aujourd'hui la possibilité de soutenir toutes ces initiatives très concrètes qui émergent autour de nous. Si le marché et l'Etat continueront d'exister, il existe déjà un contrepoids que nous pouvons soutenir. C'est à nous de faire le choix. Ré-appoprions nous de l'économie collaborative. Nos enfants nous en remercieront. * Matthieu Lietaert est auteur du nouveau livre « Homo Cooperans 2.0 – Changeons de cap vers l'économie collaborative » (Editions Couleur Livres). Il est docteur en sciences politiques, co-réalisateur du film The Brussels Business (VAF, RTBF, ARTE), co-fondateur de l'habitat groupé L'Echappée à Bruxelles et co-fondateur du supermarché BEES Coop.