Mémoire de recherche - ENSAPL - Campagnes en projet

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CAMPAGNES EN PROJET QUELS OUTILS POUR CONCEVOIR LES PAYSAGES RURAUX ?

MÉMOIRE D’INITIATION À LA RECHERCHE Obéline Panié-Dujac ENSAP Lille - Mai 2017 Séminaire Conception & Expérimentation Sous la direction de Severine Bridoux-Michel



CAMPAGNES EN PROJET QUELS OUTILS POUR CONCEVOIR LES PAYSAGES RURAUX ? Comment penser de nouvelles formes de composition des campagnes ? Quelles sont les possibilités de projection et d’expérimentation sur les espaces ruraux ?

MÉMOIRE D’INITIATION À LA RECHERCHE ENSAPL Lille - 2017 Conception & Expérimentation Obéline Panié-Dujac

DIRECTEUR D’ÉTUDE Séverine Bridoux-Michel Architecte et chercheuse au LACTH


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I SOMMAIRE : PARCELLAIRE D’UNE PENSÉE

REMERCIEMENTS PRÉFACE

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I INTRODUCTION : LE RURAL EXISTE-T-IL ENCORE ? Question de départ Campagne et agriculture : histoire d’une rupture La ville, la campagne : la fin d’une opposition Nouvelles pratiques et nouveaux usages de la campagne Des ruralités plurielles Méthode et protocole

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I I QUELS ENJEUX POUR LA CAMPAGNE DE DEMAIN ? Avant-propos : quelles mutations pour quelles interventions ? Trois visages de la France rurale, figures & types de campagnes Qui façonne l’espace rural ? Les acteurs du projet de campagne Conjuguer espace public au rural, un trait d’union pour le paysage ?

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I I I DES PROJETS DE CAMPAGNE : ÉTUDE DE CAS Avant-propos : des démarches particulières La densification du centre-bourg de Wavrans-sur-l’Aa (62) Une «architecture du sol» à Chaliers (15) Résidence et ressources humaines à Châteldon (63)

75 79 97 111

I I I I CONCLUSION : L’ÉMERGENCE DU RURALISME ? Évolutions multiples pour des campagnes plurielles Urbanité, urbanisme ; ruralité, ruralisme ? Quels outils pour le ruraliste ?

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BIBLIOGRAPHIE TABLE DES MATIÈRES

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À mes grands-parents et mes aïeux qui ont construit la campagne d’hier et qui m’ont tant appris par leur histoire et leur humilité. Aux paysans, d’ici et d’ailleurs, qui tiennent et entretiennent les paysages. C’est par leurs actions et leur connaissance que le visage de la campagne pourra évoluer dans une relation équilibrée entre l’Homme et la Nature.

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I REMERCIEMENTS En premier lieu, je tiens à remercier les professeurs de l’ENSAP de Lille qui, durant ces quatre années, m’auront permis d’apprécier la complexité du paysage et de prendre position face au monde en tant que future paysagiste. En tant que directrice d’étude, Severine Bridoux-Michel m’a offert les conditions idéales au bon déroulement de ce séminaire d’initiation à la recherche et m’a permis de porter un nouveau regard sur les processus de conception de l’espace. Je remercie également Nicolas Canova et Denis Delbaere, qui m’ont accordé une partie de leur temps pour me conseiller et m’accompagner dans ma démarche de recherche. Un grand merci à ma mère Frédérique et à mes amis Pierre et Clara pour le fructueux travail de relecture. Je remercie vivement Lucien pour ses encouragements et ses interventions toujours riches en discussions. Enfin, je tiens à remercier tout particulièrement Gabrielle, Pauline, Daphnée et Tom pour leur soutien et leur présence tout au long de l’année.

CAMPAGNES EN PROJET _ Remerciements

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Halte sur le chemin de SaintJacques-de-Compostelle, Église de Maubourguet (MidiPyrénnées), Croquis, juillet 2016

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I PRÉFACE

Qu’est ce que la campagne aujourd’hui ? Durant mes voyages,

j’ai eu maintes fois l’occasion de parcourir les territoires ruraux de France. Ces terres habitées en conscience durant des millénaires nous donnent à voir des paysages que l’on nomme la campagne, terme qui satisfait l’identité des ruraux et déclenche l’imaginaire des urbains. Même le plus citadin des français a un morceau de campagne qui est partie intégrante de son identité. Force est de constater cependant que le modèle urbain est désormais le seul modèle admis. Pourtant, celui-ci porte des valeurs et des standards de vie, plus ou moins homogènes, qui sont d’ores et déjà présents en ville comme en campagne. Alors peut-on encore parler de campagne aujourd’hui ? C’est un fait. La campagne française disparaît sous la ville.1 Le visage du monde rural contemporain est difficile à cerner, tant il a été sujet à des bouleversements sociaux, économiques et politiques. J’ai pu constater lors de mes voyages2 qu’il existe une rupture définitive dans l’histoire des campagnes qui est due à l’émergence triomphante de la fonction résidentielle dans ces espaces ruraux. Cela a été permis par le développement d’une mobilité extraordinaire dans laquelle le parking utilitaire a remplacé l’arbre des rendez-vous d’autrefois. La ville moderne est horizontale, contrairement aux villes du Moyen-Âge, circonscrites dans leurs enceintes. La construction de la ville moderne est quand à elle est plane et linéaire, le long des axes de communication à partir desquels elle va en s’étalant de plus en plus largement.

1. Eric Hamelin et Olivier Razemon décortiquent les facettes de l’étalement urbain avec humour dans leur livre «La tentation du bitume. Où s’arrêtera l’étalement urbain ?» Hamelin, E. and Razemon, O. (2012). La tentation du bitume, où s’arrêtera l’étalement urbain. 1st ed. Broché. 2. À pied, le plus souvent dans les campagnes vidées des hommes ; Pyrénées, Cévennes, Aubrac, Lozère, Périgord...

CAMPAGNES EN PROJET _ Préface

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L’étalement urbain qui fait maintenant pression sur la campagne depuis une cinquantaine d’années est le signe annoncé d’une profonde mutation qui transforme nos territoires. Comment imaginer alors la campagne de demain ? Quelles sont les perspectives pour contrer le phénomène de l’étalement urbain, ou du moins l’intégrer dans un dialogue équilibré entre ville et campagne ? 3. Pour ne citer qu’eux, Thierry Nombreux sont les auteurs3 qui ont réalisé des ouvrages sur les Paquot, Marcel Roncayolo, Pierre constats de la nouvelle forme urbaine issue de l’étalement urbain Donadieu... ont réalisé des et qui tentent de comprendre cette problématique qui englobe un ouvrages sur l’étalement urbain

pan important de facteurs, qu’ils soient économiques, politiques, agricoles, humains... Dans le cadre de mon séminaire d’initiation à la recherche, c’est en tant que future paysagiste que j’ai choisi d’interroger le devenir de ces paysages à faible densité. À mon sens, les visages de nos territoires suffisent pour refléter notre culture. Car, outre les effets de l’étalement urbain, j’ai aussi vu dans les espaces ruraux que j’ai parcourus un potentiel pour créer autre chose, une autre façon d’habiter. À l’école de paysage on nous apprend peu à intervenir sur les espaces à faible densité, la ville étant paradoxalement le support privilégié des projets d’école. Pourtant, il me semble que les enjeux de la campagne sont tout aussi importants et intéressants que ceux de la ville et que notre métier peut participer à son aménagement. De fait, il aborde même des compétences privilégiées pour travailler sur l’espace rural : connaissance du vivant, du territoire, connaissance et mise en interactions des acteurs... Le paysagiste, bien qu’il ne soit pas le seul à pouvoir le faire, fait partie des acteurs possédant les outils qui peuvent interagir sur ces territoires à faible densité. Mais, au vu de cette complexité, comment le projet de campagne peut-il exister ? Quels sont les outils pour concevoir la campagne de demain ?

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Cette problématique très large mérie d’être examinée plus profondément. Pour ce faire, il est important de définir dans un premier temps l’espace rural et d’examiner ses différentes facettes. Cela fait l’objet de la partie introductive Le rural existe-il encore ? Ensuite, pour comprendre les enjeux que les territoires ruraux français soulèvent, j’ai choisi d’étudier leur complexité au travers d’ouvrages dédiés à cette problématique. Cela fait l’objet de la première partie Quels enjeux pour la campagne de demain ? Je souhaite par ailleurs enrichir ma réflexion des expériences de terrain et des rencontres avec les différents acteurs de l’espace rural de trois projets de campagne. Je m’efforcerai d’en dresser un panorama dans ma seconde partie, Des projets de campagne : études de cas. En conclusion, ce travail cherchera à proposer une boite à outils qui permettrait de définir les premières pistes de ce que pourrait devenir le projet de campagne.

CAMPAGNES EN PROJET _ Préface

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INTRODUCTION LE RURAL EXISTE-T-IL ENCORE ?


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I QUESTION DE DÉPART «La campagne est embrouillée entre histoires et représentations mentales. Elle reste à inventer et à s’imposer entre la nostalgie et la négation, entre le productivisme et l’utopie. Elle s’inscrit dans une dimension imprévue de la modernité, celle d’établir une contreproduction, un contre-modèle. Pour cela, elle doit « déconstruire » les représentations dont elle est victime. (...) On se prend à rêver de ces vieux villages qui, loin de muséifier les pierres et la vie, bruissaient de chants animaux, de discussions, de jeux… retrouvant leur sens.(…) Si l’urbain a besoin de verdure, de vrais produits, d’air sain, d’horizon, le rural a, lui aussi, besoin d’affirmer des valeurs renouvelées»4.

4. Farinelli, B. (2008). L’avenir est à la campagne : Solidarité, proximité, autosuffisance, alternative. Sang de la terre. P.26-52

Le visage du monde rural contemporain est difficile à cerner. La campagne que l’on a longtemps crue immobile, vient de connaître en un demi siècle, plus de transformations qu’elle n’en avait jamais supportées au cours de plusieurs millénaires. La reconstruction massive, amplifiée par un exode rural important à la suite de la seconde guerre mondiale, a annoncé un bouleversement des territoires et créé une opposition absolue entre la ville et la campagne dans une volonté moderniste unificatrice. Depuis une quarantaine d'année, c'est le mouvement inverse qui se produit ; 5. Au début des années 70, le les urbains sont de plus en plus nombreux à quitter la ville pour solde migratoire des communes s'installer à la campagne, à la recherche d'un cadre de vie plus rurales devient positif à proximité des villes. naturel et épanouissant5 (Figure 1).

Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ. P.14

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ Question de départ

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Compte tenu de ces profondes transformations, faut-il encore parler de rural aujourd'hui ? La difficulté réside dans la détermination d’une définition précise du monde rural, la notion de ruralité étant entrée dans une phase d’indétermination et a perdu son caractère d’évidence. L'homogénéisation des modes de vie entre la ville et la campagne, l'ampleur du recul démographique des agriculteurs sont autant d'éléments qui remettent en cause les distinctions établies entre l'urbain et le rural pouvant aujourd'hui paraître incongrues. De nombreuses tentatives tentent de conceptualiser, de donner une signification aboutie de l'espace rural, alors que les interprétations ville/campagne ont rendu caduques les approches de la ruralité et tendent aujourd'hui à voir non plus une campagne homogène mais bien des campagnes plurielles.

Variation annuelle de la densité de population en France métropolitaine entre 1982 et 1999 «Alors que durant les années 1980 et 1990 le dynamisme démographique de la France métropolitaine était porté surtout par les périphéries urbaines, […] Variation annuelle de la densité de population en France métropolitaine entre 1999 et 2006

Figure 1 : La fin de l’exode rural, Variation annuelle de la densité de population entre 1982 et 2006, INSEE, Recensement, 2010

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[…] désormais ce sont tous les types de territoires qui en bénéficient [d’un dynamisme géographique]. En 2006, la population reste concentrée autour du pôle parisien et des grandes agglomérations. Mais certains territoires éloignés des villes se densifient fortement. La population des espaces ruraux augmente au même rythme que celle de l’ensemble du territoire français (+ 0,7 % par an). En parallèle, de nouvelles zones de densification urbaine apparaissent le long des infrastructures.»


I CAMPAGNE ET AGRICULTURE : I HISTOIRE D’UNE RUPTURE La France, de part son histoire, est un pays très marqué par sa ruralité qui a notamment joué un rôle prépondérant dans l'économie au travers de ses multiples pratiques agricoles. Pendant longtemps, le poids agricole des campagnes dans l'économie française a été considérable et porteur de savoir-vivre et de traditions propres à chaque territoire. Le raccourci le plus courant consiste à définir agriculture comme un synonyme de campagne et ainsi de considérer l’espace rural comme un lieu de production essentiellement agricole. Mais la vision traditionnelle de l'espace rural comme seul espace de production agricole est aujourd'hui dépassée. Bien que toujours marquée par des spécialisations ancestrales, la structure des activités rurales à connu de profondes transformations. Notamment, l'agriculture y a perdu son rôle prépondérant : elle représente aujourd'hui moins d'un emploi sur dix (8% en 1999)6, alors qu'elle représentait encore en 1950 plus 6. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. de la moitié des emplois ruraux. Ce chiffre n'a cessé de diminuer Versailles: Éditions Quæ. depuis l'époque où Henri Mendras, sociologue spécialiste des P.15 7 paysanneries et des sociétés rurales, théorisait la fin des Paysans en montrant en outre que la paysannerie traditionnelle française était 7. Mendras, H. and Mendras, H. progressivement remplacée par des professionnels de l'agriculture (1993). La fin des paysans. 1st ed. Arles: Actes Sud. qui organisent leur espace de production selon un mode capitaliste (Figure 2). Même si l’agriculture reste l’un des éléments clefs de la lecture d’un espace rural et est le miroir des pratiques séculaires réalisées sur un territoire donné, il est important de mettre en avant le fait

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _Campagne et agriculture : histoire d’une rupture

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que la campagne n’est pas un atelier de production exclusivement agricole ou une réserve foncière de la ville, mais bien un milieu de vie à part entière. Même si l'agriculture n'est plus vue comme composante principale de la campagne, elle reste l’un des éléments qui a toute sa place dans ce cadre et qui doit être intégrée dans les politiques d'action territoriale. Comment alors concilier développement des campagnes et agriculture durable dans un accord commun ? Reste à trouver les voies de coexistence entre la production agricole et les autres usages de la campagne. L'agriculture doit continuer à jouer son rôle sans s'opposer à ces nouveaux usages.

Figure 2 : Photos aériennes de la Chapelle Saint-Aubert (19) de 1950 à aujourd’hui. En 1950, l’Île-et-Vilaine est composée de multiples petites exploitations agricoles cernées dans un maillage de haies bocagères. 60 ans plus tard ces terrains ont été remembrés et les cultures uniformisées par l’industrialisation de l’agriculture. Atlas des paysages d’Île-et-Vilaine, http://paysages-ille-et-vilaine.fr/

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I LA VILLE, LA CAMPAGNE : I LA FIN D’UNE OPPOSITION

La traditionnelle opposition entre monde rural et monde

urbain se traduit souvent par une définition du rural comme la négation de l’espace urbain. On a ainsi souvent tendance a opérer une dichotomie nette entre ville et campagne, opposant l’artificiel au naturel. Pourtant, ces deux types d’espaces ne sont que le résultat de phénomènes d’aménagement et à ce titre, l’un n’est pas plus artificiel que l’autre, au delà du fait que l’aménagement rural accorde une part plus importante au vivant dans son organisation. On peut chercher à comprendre cette opposition dans la perception historique de la société rurale caractérisée par «une relation étroite entre un espace local et un groupe d’individus.»8 S’opposant alors 8. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. strictement à la ville qui était le lieu de la modernité, la campagne Versailles: Éditions Quæ. était un lieu d’activités agricoles et artisanales réalisées par des P.22 populations vivant presque en autarcie et attachées à leur territoire. Aujourd'hui ces rapports ont évolué notamment avec les nouveaux usages des campagnes et les mutations sociologiques qu'elles ont subies durant les 40 dernières années, qui ont bouleversé les fondements mêmes de la ruralité. On pourrait avancer que la campagne française serait morte trois fois : en tant que monde économique autonome, en tant que catégorie sociale en soi et en tant qu'espace politique pertinent.9 C'est ainsi que la campagne est entrée dans l'ère de l'après-autonomie rurale.

9. Tout cela au prix de l’enterrement de la campagne paysanne.

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ La ville, la campagne : la fin d’une opposition

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10. «Ce qui frappe l’observateur des territoires ruraux en France, c’est bien le constat qu’il existe une rupture définitive dans l’histoire des campagnes, qui réside dans l’émergence triomphante de la fonction résidentielle dans ces espaces ruraux» Papy, F., Mathieu, N. and Ferault, C. (2012). Nouveaux rapports à la nature dans les campagnes. 1st ed. [France]: Éditions Quæ. P.7 11. Définition que l’on peut trouver dans le Larousse 12. Ce phénomène est permis par le développement de la migration pendulaire qui désigne les déplacements quotidiens des personnes de leur domicile à leur lieu de travail et inversement. Cette mobilité croissante quotidienne de ceux qui travaillent en ville et résident à la campagne illustre une dissociation entre espaces de vie et de travail qui peut être un choix pour certains et une contrainte pour d’autres.

Après un lent déclin démographique des campagnes qui s’est opéré durant la première moitié du XXème siècle, où la population rurale a vu ses effectifs diminuer considérablement sous le phénomène d'exode rural, on a pu observer, depuis les années 70, le mouvement inverse avec une augmentation de la population des villages accompagnée de phénomènes nouveaux d’aménagement et d’usages de la campagne. Ainsi, de nouveaux types d'espaces importés, souvent sur le modèle de la maison individuelle isolée, sont apparus sur le territoire, fréquemment en périphérie de village, avec une typologie d’espace et un mode d’habiter uniformisés.10 Les formes du péri-urbains se sont développées en campagne autant si ce n’est même plus qu’en ville et posent de nouvelles questions concernant les modes d’habiter à la campagne. Ce phénomène bien connu, que l’on appelle rurbanisation, s’est opéré sur nos territoires ces dernières décennies et a consisté en «un développement rapide des villages aux noyaux souvent anciens, situés à proximité de villes dont ils constituent les « banlieues ».»11. Des banlieues, à la campagne ? Du fait de l’augmentation de la mobilité des populations cherchant un foncier peu cher, un nouveau type d’usage de l’espace rural naît : la campagne devient le dortoir d’une population travaillant et consommant dans les villes et ne participant plus, de fait, à la vie de village12.

Il est intéressant de relier cette rurbanisation massive à l'entrée dans une phase d’indétermination des campagnes qui se produit à la même époque. En contradiction assumée avec le paysage traditionnel, ces nouvelles formes urbaines sont aujourd’hui porteuses, comme le souligne J.Jackson dans À la découverte du 13. Jackson, J., Carrère, X., Besse, J. and Tiberghien, G. paysage vernaculaire13, d’un état transitoire où l’espace est constitué (2003). A la découverte du d’un flou : Où se termine la ville ? Où commence la campagne paysage vernaculaire. 1st ed. Arles (Bouches-du-Rhône): Actes ? Car la ville résidentielle ségréguée à l'image des pavillons qui mitent les campagnes n'a rien de l'urbain et peu de la campagne. Sud. 20


C'est le triomphe de ces espaces qui ont participé à la mort du village et à la fin de la campagne. En résumé, le monde rural est devenu de plus en plus urbain dans notre civilisation européenne essentiellement citadine. Pourtant, la campagne ne peut pas être considérée comme le résidu de nos villes et devrait être considérée comme un ensemble d’entités rurales à part entière. La notion de campagne ne peut plus être simplement définie par opposition à la ville et à ce titre nous invite à repenser les nouvelles formes de composition des campagnes mais aussi des villes. Car on ne peut dissocier les évolutions de la ville et de la campagne, puisqu’elles sont conjointes, les deux faisant partie d’un seul et même territoire qui fonctionne en complémentarité entre espaces urbains et espaces ruraux. Dans cette perspective de nouveaux regards sur le monde rural, l'INSEE propose en 2012 de définir une approche par «bassins de vie»14 (Figure 3), avec des bassins 14. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon de vie à dominance rurale et d'autres à dominance urbaine. Ces 2030. Versailles: Éditions Quæ. bassins de vie sont définis par des petits territoires au sein desquels P.13 s'organise la vie des habitants (accès aux équipements et services les plus courants) et qui désignent finalement ce que l’on entend au sens intuitif de Pays15. En 2012, 1 666 bassins de vie structurent 15. Partie plus ou moins le territoire national, dont 1 287 sont qualifiés de ruraux au sens des étendue d’une nation : province, région, canton. Région envisagée critères adoptés par la Commission Européenne. Ces bassins de du point de vue d’une certaine vie ruraux comprennent environ 36,5% de la population française identité ou communauté 16 d’intérêts de ses habitants sur 79% du territoire. Ils concernent donc la grande majorité du Cnrtl.fr territoire français. C'est au sein de ces bassins de vie ruraux que la population a le plus augmenté au cours de la dernière décennie. Cette définition par bassin de vie amorce un tournant nécessaire dans les pratiques du projet spatial en milieu rural avec une nouvelle approche dialectique de complémentarité entre ville et campagne. Car il a toujours eu une réelle complémentarité entre la ville et sa campagne. Elle est à renouveler aujourd'hui.

16. «Le nouveau zonage en bassin de vie de 2012» https://www.insee.fr/fr/ statistiques/1281020

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ La ville, la campagne : la fin d’une opposition

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Les modes de vie s’étant uniformisés, ces relations sont désormais porteuses de nouveaux rapports à l’espace

Une alliance équilibrée peut s'instaurer entre une ville respectueuse des terres agricoles, avec par exemple la vision que propose Pierre Donadieu17 d'une agriculture périurbaine, proches des urbains leur 17. Donadieu, P. and Dalla Santa, G. (1998). Campagnes apportant les produits de consommation frais ainsi qu'une proximité urbaines. [Arles, France] : avec la nature. Et une campagne productrice de ressources et Versailles: Actes sud., Ecole nationale superieure du paysage. d'espaces naturels qui améliorent l'environnement de la ville et la rendent habitable.

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Figure 3 : Vision schématique de l’évolution des représentation des rapports ville/campagne, de l’opposition à la complémentarité Schéma personnel

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Les relations ville/campagne CAMPAGNE étaient autrefois basées sur an sm t i u la dichotomie entre ces deux Prod mondes

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I NOUVELLES PRATIQUES ET NOUVEAUX USAGES I DE LA CAMPAGNE Bernard Kaiser a formulé en 1993 l'hypothèse d'une «renaissance rurale» dans son ouvrage Naissance de nouvelles campagnes18, en rupture avec la longue période d'exode rural. Pour 18. Kayser, B. (1996). Naissance lui, la ruralité n'est ni le contraire de l'urbanité, ni son prolongement, de nouvelles campagnes. 1st ed. [Paris]: DATAR. ni la dégradation de son état ancien, ni sa résurgence. En clair, la ruralité correspond pour lui a des espaces neufs qu'il faut regarder avec un œil nouveau, pour ce qu'ils sont. Il souligne également que les campagnes sont à inventer et qu'elles représentent alors une potentialité indéniable pour l'aménagement du territoire français. Car de plus en plus, l’intérêt des individus pour la nature s'affirme et se généralise dans la société. Biens communs à préserver, les objets de nature19 introduisent de nouveaux usages qui imposent de reconsidérer l'ensemble des espaces ruraux. Conjointement à ce souhait de nature qui se généralise dans la société, c'est la campagne qui représente le plus ce cadre de vie « naturel », souvent assimilé au calme, à la tranquillité, à la sérénité... De nouveaux rêves de vie émergent, proches de la nature, mais non loin d'une grande ville, pour profiter des services de cette dernière (éducation, santé, commerces, loisirs...) sans en subir la pression spatiale. La nouvelle figure de campagne cadre de vie20 s'impose comme composante majeure de l'évolution des ruralités. Alors comment composer l'espace rural avec ces réalités ?

19. Un objet naturel est un objet créé par la nature

20. Les campagnes cadre-de-vie ont été mises en exergue parmis d’autres fonctions de l’espace rural par le sociologue Philippe Perrier -Cornet dans son ouvrage «Repenser les campagnes»

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ Nouvelles pratiques et nouveaux usages de la campagne

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Au delà de la campagne cadre de vie que l'on a pu mettre en exergue précédemment, la représentation de l'espace rural réclame plusieurs nouvelles attentes et fonctions. En effet, Bruno 21. Latour, B. et Porter, C. (2004). Latour21 définit 3 éléments de composition des campagnes de Politiques de la nature. 1st ed. demain : l'attente sociétale (patrimoine, écologie et identité), les Cambridge (Mass.): Harvard nouvelles fonctions (services écosystémiques, paysage, production University Press. de qualité), le cadre de vie et les objets de nature (biodiversité, ressource, vivant), qui sont des composantes majeures avec lesquelles il faut élaborer les projets de campagne (Figure 4). AGRICULTURE NATURE Terroir, Patrimoine

Cadre de vie, Paysage ESPACE RURAL

RURALITÉ

Figure 4 : Vision schématique de l’espace rural Nicolas Canova, Espace rural & périurbain, ENSAPL 2016

22. Farinelli, B. (2008). L’avenir est à la campagne : Solidarité, proximité, autosuffisance, alternative. Sang de la terre. P.72

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URBANITÉ

Habiter, Travailler

Cet accroissement de l'attrait des campagnes par ses objets de nature pose la question plus large de la relation qu'entretient l'homme moderne avec la nature. Car «le paysage est le produit de l’éternité par sa réalité géographique et de l’instantanéité par ses modifications sociales.»22. Il est le fruit de la rencontre entre le socle physique de la planète, œuvre naturelle née des phénomènes géologiques ancestraux et d’une multitudes d’œuvres sociales qui vont transformer ce socle au gré de leurs besoins, eux-mêmes intrinsèques d’une époque et d’une façon d’appréhender ce socle naturel. De ce fait, le paysage est l’expression de la relation qu’entretient l’homme avec la nature. L’idée de nature connaît aujourd’hui de profonds bouleversements. Définir le paysage et la nature, c’est définir l’homme, et il en a grand besoin. Comment alors définir une stratégie de développement rural durable au regard de ces bouleversements ?


I DES RURALITÉS PLURIELLES

Définir l’espace rural en une seule et même catégorie n’est

pas satisfaisant, au regard de la diversité de l’espace rural français. Des traits communs peuvent cependant rassembler des territoires en catégories (figure 5), même si mille figures cohabitent dans l'espace rural. En s’appuyant sur l’œuvre de Philippe Perrier-Cornet Repenser les campagnes23, et sur le travail de Jean-François Pinaire 23. Perrier-Cornet, P. (2002). dans son mémoire Quelle place et quel devenir pour l'espace Repenser les campagnes. 1st ed. La Tour d’Aigues: Ed. de l’Aube/ public en milieu rural ?24, on pourrait définir plusieurs familles de Datar. campagnes, selon leurs rapports à la ville : - Les campagnes urbaines : en voie d'extension urbaine. Souvent composées par des formes périurbaines (pavillons récents), situées dans la proximité de grandes ou moyennes villes. Les habitants de ces campagnes travaillent pour la plupart (40%) en dehors de leur canton, les agriculteurs y sont peu nombreux. - Les campagnes du reste : aussi appelées campagnes nouvelles par Philippe Perrier-Cornet, ce sont des espaces en cours de patrimonialisation, de part la qualité de leur cadre de vie. Souvent, cela concerne des zones de montagnes, des parcs naturels, des réserves ou des villages pittoresques. - Les campagnes du vide : ce que l'on peut appeler également le rural profond. C'est un rural dispersé, qui concerne la plupart du territoire, dans lesquelles les exploitations agricoles et forestières sont prédominantes. Les agriculteurs représentent ici 20% de la population et les logements y sont souvent anciens.

24. Pinaire, J-N. (2007). Quelle place et quel devenir pour l’espace public en milieu rural ? ENSA Nancy..

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ Des ruralités plurielles

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Il est néanmoins naïf de croire que les campagnes peuvent ainsi se définir en trois entités distinctes, ce zonage est trop réducteur pour entreprendre une étude sur la diversité des campagnes françaises de notre temps qui renferment tant de complexités et d’attributs différents. Nous préférerons donc plutôt le terme de ruralités plurielles pour distinguer les dynamiques inscrites dans les rapports ville-campagne contemporains. C’est dans cette optique que l’INSEE définit six typologies de bassins de vie à dominante rurale selon leurs rapports à la ville et leurs fonctions, qu’elles soient à dominante agricole ou résidentielle et touristique.

25. Magnaghi, A. (2011). Le projet local. 1st ed.

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Au regard de cette complexité, une évolution des pratiques de l’aménagement est nécessaire, ce sont de nouveaux outils et savoirs qui doivent être identifiés et élaborés dans le but de, pour reprendre les termes de A. Magnaghi, «re-territorialiser»25 l’aménagement du territoire dans une démarche de développement durable, à la fois culturel, social, économique et technique. Les projets doivent trouver des échelles de référence nouvelles, propres à chaque territoire et dans lesquelles ils pourront trouver leur sens. De nouvelles méthodes doivent être inventées, pour réunir et faire collaborer les différents acteurs, en jouant non plus sur l’uniformité mais sur la diversité, non plus sur l’opposition mais sur la complémentarité, non plus sur la marginalisation mais sur l’intégration des ressources et des spécificités locales dans les projets. Pour une cohérence globale et une diversité locale, une campagne post-moderne reste à inventer, ou s’invente-elle déjà ?


Wavrans-sur-l’Aa

Châteldon

Chaliers

Figure 5 : Les différentes typologies des bassins de vie à dominante rurale en France métropolitaine, les points noirs représentent la localisation des projets étudiés, traduit par l’INSEE

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ Des ruralités plurielles

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I MÉTHODE ET PROTOCOLE Une fois le contexte de notre étude défini, nous allons expliquer la méthode qui va être employée pour tenter de répondre aux problématiques très larges évoquées précédemment qui regroupent des enjeux de toutes sortes : économiques, sociaux, naturels... parmi tant d'autres. Puisque le paysage est l'expression de tout ces aspects, ce travail porte essentiellement sur la place et les outils développés dans les projets de paysage en milieu rural, ce qui ouvre plusieurs pistes de réflexion : Quelles démarches spécifiques sont invoquées par les concepteurs ? Comment le projet de campagne peut-il regarder d'un œil nouveau la question de l'aménagement des campagnes ? Comment le projet de campagne peut-il se différencier du projet urbain et même du projet de territoire, en utilisant de nouveaux outils de lecture et de projection ? La figure 6 présente de manière schématique la démarche que nous avons suivie pour construire notre réflexion. Après l’introduction qui posait les premières notions de compréhension des ambiguïtés et des complexités que recelaient la définition même du monde rural, nous aborderons dans une première partie les bases de réflexion concernant le devenir des territoires ruraux. Cela passe nécessairement par la définition de leurs enjeux. Il s’agit d’une

26. Perrier-Cornet, P. (2002). part d’examiner les nouvelles fonctions de l’espace rural, mises en Repenser les campagnes. 1st ed. La Tour d’Aigues: Ed. de l’Aube/ exergue par Philippe Perrier-Cornet dans son ouvrage Repenser les campagnes26, qui sont la fonction résidentielle (la campagne Datar.

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cadre de vie), la fonction économique (la campagne ressource) et la fonction de protection et de développement des milieux naturels (la campagne nature). Ces aspects font l’objet du premier enjeu développé dans la partie I, évolution des usages. Par ailleurs, à travers ces trois fonctions, est analysée la complexité des relations qu’entretiennent les acteurs de l’espace rural dans la gouvernance d’un territoire. Cet aspect fait l’objet du deuxième enjeu de la partie I, complexité des acteurs. Enfin, la question de l’espace public qui se pose dans les milieux ruraux dans des termes différents par rapport aux zones urbaines et les problématiques liées à son évolution constituent la dernière partie de la partie I. LES PROJETS DE PAYSAGE

LE RURAL DEMAIN

AUJOURD’HUI

ENJEU Évolution des usages

ANALYSE THÉORIQUE -Lectures -Observations

ENJEU Complexité des acteurs

ANALYSE DES DÉMARCHES & MÉTHODES DE CONCEPTION

LE RURAL

EN CAMPAGNES

ANALYSE DE TERRAIN -Lectures -Observations > Analyses

> Recherches ENJEU Espace public

Le rural existe-il encore ?

Quels enjeux pour la campagne de demain ?

Introduction

Partie I

DIFFÉRENTS AXES DE QUESTIONNEMENT

Comprendre les liens entre démarches et solutions spatiales

La collaboration Des projets de campagne comme ressource de l’action : Étude de cas Partie II

Conclusion

Figure 6 : Vision schématique de la méthode déployée pour ce travail d’initiation à la recherche Schéma personnel

CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ Méthode et protocole

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Pour tenter de répondre aux enjeux soulevés dans cette première partie, j’ai choisi de traiter, dans la seconde partie de ce travail, des initiatives concrètes dans plusieurs territoires ruraux de France. Pourquoi plusieurs ? Parce qu’il en ressort que les dynamiques rurales sont toutes uniques et que prétendre créer une boîte à outil du projet de paysage sur une seule campagne serait nier les diversités qu’elles contiennent. C’est pour cela que j’ai choisi de ne pas me focaliser sur un site en particulier, mais plutôt d’essayer de comprendre le caractère pluriel de l’espace rural en analysant plusieurs projets et en rencontrant, dans la mesure du possible, les acteurs de ces initiatives spatiales. L’étude des projets choisis développée dans la seconde partie de mon travail d’initiation à la recherche s’attache à comprendre les démarches et les méthodes mises en avant par les acteurs pour tenter de mettre en lien ces démarches avec la cohérence spatiale des projets. Comment celui-ci a fonctionné, pourquoi celui-là n’a pas marché... L’analyse des projets tentera d’apporter certains éléments de réponse à ces questionnements. En conclusion, je me suis attelée à analyser et synthétiser les éléments théoriques et pratiques des deux premières parties, afin de définir les facteurs déterminants du projet de campagne. Autrement dit, j’ai cherché à déterminer les éléments catalyseurs et les éléments inhibiteurs des différents projets de campagne pour comprendre quels mécanismes permettent leur bon déroulement et leur bonne réalisation et ainsi ouvrir les pistes sur les démarches de conception et de réalisation de l’espace rural.

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CAMPAGNES EN PROJET _ Introduction _ Méthode et protocole

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QUELS ENJEUX POUR LA CAMPAGNE DE DEMAIN ? DIFFÉRENTS AXES DE QUESTIONNEMENT


Figure 7 : Le village de Sem (66) en 1910 et en 1990. La montagne autrefois cultivée se ferme en milieu forestier Source : Depraz, S. La multifonctionnalité des espaces ruraux en France, 1 déc. 2011

Figure 8 : Terrain agricole à vendre, zone à bâtir à Loures-Barousse (65) Source : Google images

Figure 9 : Le lotissement des Voiliers à La-Faute-sur-Mer (85), qui a été l’objet de plusieurs submersions marines, notamment en 2010 où la tempête «Xynthia» a fait 29 victimes Source : Google images

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I AVANT-PROPOS : QUELLES MUTATIONS I POUR QUELLES INTERVENTIONS ?

Désormais le devenir des campagnes ne peut plus

se concevoir indépendamment de celui des villes car elles entretiennent une relation d’interdépendance : les campagnes ont besoin des villes pour la création de richesses et les services qui leur sont liés (économiques, technologiques et culturels). Les villes ont quand à elles besoin des campagnes pour offrir des lieux de vie et assurer une production agricole diversifiée afin de nourrir leur population. Plusieurs enjeux sont à distinguer concernant l’évolution spatiale des campagnes : - Les espaces forestiers dans les terres en zone de recul ou en montagne, dont le relief souvent abrupt ne permet pas l’exploitation par les moyens mécanisés aujourd’hui généralisés dans la sylviculture. D’un point de vue économique, ces espaces ne sont plus rentables et leur abandon pose la question de la fermeture des paysages (Figure 7). - Les surfaces agricoles qui sont en recul, certes faible, mais constant (Figure 8). - Les sols artificialisés en expansion sont une composante majeure de l’évolution des campagnes. Leur augmentation provoque, outre la perte des ressources naturelles et agricoles, le mitage d’espaces fragiles (littoral, zones humides), l’augmentation du

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Avant-Propos

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risque d’inondation, la dégradation des paysages, le morcellement de l’espace en zones qui entravent les continuités des réseaux écologiques (Figure 9). - Enfin l’occupation et les usages de l’espace rural : comment concilier caractère multifonctionnel du territoire rural avec une cohérence globale d’aménagement ? Comment éviter les usages concurrents entre la fonction résidentielle et récréative ? Comment marier la conservation des milieux et du patrimoine paysager à la fonction économique ? Notons également que l’évolution des campagnes contemporaines soulève des problématiques sociales importantes au regard de l’homogénéisation des modes de vie entre villes et campagnes : - La fin d’un système local et porteur de solidarités par la consécration d’un capitalisme outrancier où la valeur marchande a triomphé sur les lieux d’échanges. - L’émiettement du lien social : on remarque un repli agressif et facteur de ségrégation (porté par les actions de plus en plus individualistes) qui forment des obstacles à la constitution d’une cohésion entre des individus forts et complémentaires. Ce qui pose la question des usages de l’espace public en milieu rural. - La ville émergente : la ville post-moderne inclut mobilité, liberté et hyper-choix qui modifient les rapports d’échelle. - Une précarité institutionnelle croissante qui fragilise les acteurs de l’aménagement. Ainsi le projet de campagne doit se concevoir en tenant compte de ces problématiques spatiales et sociales qui posent les jalons méthodologiques d’une nouvelle façon de faire du projet sur ces espaces à faible densité humaine.

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C’est par le regard de Philippe Perrier-Cornet dans son ouvrage Repenser les campagnesXX que nous allons appréhender dans un premier temps la question du devenir des espaces ruraux. Dans cet ouvrage sont mis en exergue trois fonctions de la France rurale : la campagne ressource, la campagne cadre de vie et la campagne nature (Figure 10). Dans un second temps nous tenterons de décortiquer les mécanismes institutionnels et relationnels qui fondent la complexe gouvernance des territoires ruraux. Enfin, nous nous poserons la question de la présence ou non d’espaces publics en milieu rural. La complexité des enjeux de l’évolution des campagnes françaises pose des questions d’aménagement de l’espace. Celle de la préservation et de la valorisation des sols, celle de l’évolution de l’agriculture d’un système industriel à un système paysager résilient et enfin la problématique humaine entre mobilités, individualités et société. C’est plus spécifiquement par ce troisième point que j’ai décidé d’aborder cette première partie.

LA CAMPAGNE RESSOURCE

LA CAMPAGNE CADRE DE VIE

Le rural productif

Le rural résidentiel et récréatif

Agriculture, artisanat, industrie, services

Pavillon à la campagne, mouvement pendulaire, résidences secondaires, tourisme

LA CAMPAGNE NATURE

Le rural naturel

Activités de nature, pratiques agricoles, tourisme vert, politiques d’accords environnementaux

Figure 10 : Vision schématique des trois fonctions de la campagne selon Philippe Perrier-Cornet Schéma personnel

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Avant-Propos

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I TROIS VISAGES DE LA FRANCE RURALE, FIGURES ET TYPES DE CAMPAGNES La fonction résidentielle : La campagne cadre de vie La campagne cadre de vie correspond aux usages résidentiels et récréatifs des campagnes. Cette figure est née de la tendance démographique positive des communes rurales, constatée depuis 1975, et de la mobilité quotidienne croissante de ceux qui travaillent en ville et résident à la campagne. Ce phénomène pose de vastes problématiques de politiques publiques sur l’ensemble du territoire, et non plus seulement dans les couronnes périurbaines comme ce fut le cas au début du processus. C’est cette fonction qui a été la plus marquante dans les territoires ruraux ces 20 dernières années par les dispositifs spatiaux qu’elle a engendrés. Aujourd'hui, 27 % des urbains déclarent vouloir habiter à la campagne dans les prochaines années.27 À supposer qu'ils accomplissent ce souhait, la population rurale viendrait quasiment à doubler dans les prochaines décennies. Ajoutons à cela le mouvement démographique prévu par les statisticiens d'un exode massif en campagne des personnes issues du baby-boom arrivées à l'âge de la retraite et qui recherchent dans celle ci les qualités évoquées précédemment de la campagne cadre de vie. Le mitage pavillonnaire très avide d'espace qu'engendrent ces déplacements de population est une réalité avec laquelle il faut composer. Les stratégies « modernistes » de développement des territoires nous montrent aujourd’hui leurs limites.

27. Lafranceagricole.fr. (2017). Quelle France rurale pour 2020 ?. [en ligne] Disponible sur: http://www.lafranceagricole. fr/article/quelle-france-ruralepour-2020-1,0,73277709.html [Consulté le 7 Avril 2017].

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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L’étalement urbain et tout ce qu’il entraîne (banalisation des comportements, imperméabilisation des sols, mitage pavillonnaire, dévitalisation des centre-bourgs...) laisse aujourd’hui des plaies qu’il sera difficile à panser (et de penser). La campagne cadre de vie inclut les qualités que les résidents et autres usagers attribuent à l'espace rural : paysage, calme, environnement..., qui sont le plus souvent de l'ordre des biens collectifs. Ces qualités sont généralement traduites par l'essor des mobilités humaines au sein d'un territoire, qui renvoient à des processus sociétaux plus larges tels que l'évolution des modes de vie. Vivre à la fois à la ville et à la campagne requiert des modes de vie où les espaces de vie, de travail et de loisirs sont fortement dissociés et impliquent donc une grande mobilité géographique des individus. Cette dernière est permise par la présence d'infrastructures routières qui sont l’un des déterminants clefs d'un nouveau choix d’installation. On vend un pavillon dans la campagne du Roussillon avec ces termes alléchants : « à 10mn de Perpignan ». Malheureusement la voie rapide qui lie les hommes fracture aussi les milieux. Cette mobilité, l’une des conditions d'une installation à la campagne, ne peut se faire au prix de la destruction et du morcellement du territoire, permis notamment par le gaspillage des ressources foncières et naturelles. Par les coûts sociaux et environnementaux qu’ils engendrent, les mouvements de population entre villes et campagnes sont une problématique essentielle pour l'avenir des espaces ruraux et de la société urbaine. Il faut en ce sens que les accès et les réglementations sur le foncier rural soient porteurs de nouvelles formes d’habiter à la campagne. Ce constat doit nous amener à repenser de nouvelles formes d’habitat dans l’espace rural : densification du centre-bourg, réhabilitation de bâti ancien, ou tout simplement construction pensée et intégrée dans une logique durable, et non quartiers 40


catalogues subis dans les villages par la pression des promoteurs immobiliers qui cherchent à « produire » de l’habitat dans une logique de rentabilité économique. C’est cette fonction économique qui le plus souvent prime sur les autres fonctions de la campagne. En effet, l’espace rural est apparu comme un élément secondaire de l’aménagement du territoire, répondant presque exclusivement à des intérêts économiques. L’uniformisation, plus rentable à produire, a frappé en un demi siècle le territoire français. Le pays sage regorge désormais d’espaces monocordes à la pauvreté spatiale manifeste mais néanmoins rentable, alors qu’il était auparavant composé d’une multitude d’espaces ruraux façonnés par l’homme. Pourtant, ce sont bien ces qualités que les nouveaux résidents viennent chercher à la campagne. Si ces composantes porteuses d’une campagne pittoresque disparaissent ou son ensevelies sous les constructions et aménagements uniformisés, l’attrait pour les paysages de campagne sera-t-il encore le même ? Par ailleurs, la diffusion des résidences secondaires destinées aux citadins dans les campagnes établit entre villes et campagnes des relations complexes. Pour de nombreux résidents, opposés à tous projets et à toutes activités susceptibles de détériorer leur cadre de vie, la campagne ne doit être qu’un havre de paix. Cela mène à des situations de conflits d’usage qui sont les signaux des mutations de campagnes de plus en plus attractives par le capital spatial qu’elles offrent alors que dans le même temps elles restent le siège d’activités productives encore nombreuses.

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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La fonction économique : La campagne ressource La campagne ressource est définie par sa fonction économique ou de production. C'est une spécificité française d'avoir longtemps regardé les campagnes comme le lieu premier de production de richesses, notamment au travers des pratiques agricoles qui sont en France les figures historiques de la campagne et de la production de richesse. Pourtant, l’emploi et l’activité en campagne relèvent désormais en grande partie d’autres logiques que celles de l’agriculture.

28. Senat.fr. (2017). L’avenir des campagnes. [en ligne] Disponible sur: http://www.senat.fr/rap/r12271/r12-2715.html [Consulté le 7 Mai 2017].

Le rôle de l'agriculture dans les dynamiques rurales demeure néanmoins incontournable, car même si les agriculteurs n'occupent plus une place prédominante chez les ruraux («l'agriculture ne fait plus le rural», les agriculteurs représentent aujourd’hui moins de 10% de la population active rurale28), l'emprise de l'agriculture dans les campagnes est sensiblement restée la même. Mais la spécialisation productive et agricole française s'est érodée avec l'essor du productivisme agricole et a perdu dans le même temps de sa diversité. Pourtant, l’agriculture demeure le socle du développement local et peut veiller à la protection des paysages et développer leurs qualités, construire de nouveaux enjeux de patrimonialisation et veiller à la reproduction des ressources naturelles et au maintien de la biodiversité. Aujourd’hui l’agro-industrie a poussé les activités productives

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au delà du raisonnable, nous amenant à considérer ces activités comme synonyme d’accumulation de handicaps environnementaux : pollution, destruction des milieux et des paysages, déclin de la biodiversité... Pourtant, durant des siècles c’est cette pratique agricole qui a façonné les paysages dont les français sont si fiers aujourd’hui et qui participe à faire de la France la première destination touristique au monde29. Alors comment retrouver une 29. Selon l’AFP, entre 82,5 et 83 agriculture durable et respectueuse de l’environnement qui, au delà millions de touristes ont visité la France l’an dernier (en 2016), du maintien de la biodiversité, participe à son enrichissement ? En Le Monde.fr. (2017). La France premier lieu, une réorientation de la Politique Agricole Commune30 reste la première destination touristique mondiale malgré des afin de favoriser une agriculture responsable et écologique semble chiffres en baisse en 2016. [en essentielle. Par ailleurs, en tant que lieu de vie, les campagnes doivent être en mesure de fournir à leurs habitants et à leurs visiteurs la plupart des services disponibles dans la société d’aujourd’hui (commerces, soins, administrations...) Sans quoi les revenus engendrés par l’activité économique seront automatiquement dépensés ailleurs, favorisant le développement d’autres territoires, souvent urbains. Cependant, la multiplication de modèles de commerces généralisés (Carrefour contact/Carrefour city..) et la production et la consommation globalisées, alors qu'avant le milieu rural était marqué par son aspect séculaire (une grande partie des fruits et légumes consommés venaient directement du jardin potager), posent la question des alternatives possibles aux grandes enseignes : comment la production de richesses peut-elle s’inscrire dans un mécanisme de mise en valeur d’un territoire ? Il existe cependant un mouvement à contre sens qui déploie des mécanismes de mise en valeur : le terroir (notamment par la labellisation), le post-fordisme (chacun consomme ce qu'il veut et personnalise les produits de consommation) et enfin la dimension territoriale des ressources (entre le local et le global).

ligne] Disponible sur: http:// www.lemonde.fr/economiefrancaise/article/2017/02/10/ la-france-reste-la-premieredestination-touristique-mondialemalgre-des-chiffres-en-baisseen-2016_5077855_1656968. html [Consulté le 7 Mai 2017]. 30. Prévue par le traité de Rome en 1957 et entrée en vigueur en 1962, la P.A.C a considérablement transformé les paysages agricoles via notamment le remembrement largement pratiqué en France jusqu’à la fin des année 1990. Pilier de l’organisation spatiale de l’agriculture à l’échelle européenne, sa réorientation peut participer à tirer parti des complémentarités villescampagnes et valoriser les ressources spécifiques des territoires ruraux

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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De plus, dans une optique de diversification des territoires, le nécessaire changement de production et de consommation que l’on pourrait résumer par produire moins pour produire mieux, ne peut se faire que par le développement et la valorisation des ressources rurales (en premier lieu l'agriculture et la forêt), par le développement d’activités de production, mais surtout artisanales et également par l’économie liée aux services : activités liées au tourisme, aide vieillesse, éducation et santé etc... Fournissant aujourd’hui le tiers des emplois ruraux, le poids dans l'économie de ces espaces est plus que jamais susceptible de s'amplifier. En effet, même si l'agriculture demeure un secteur structurant de l'emploi rural, les services acquièrent désormais une position prédominante dans la structure de l'emploi rural, surtout par le service aux personnes et par les services liés au tourisme. Aujourd'hui accessibles par les voies automobiles31, les campagnes disposent de la plupart des services de base, l'habitat et les activités économiques se sont modernisés et les nouvelles technologies de communication les relient en temps réel au reste du monde. Ce ne sont désormais plus des espaces marginaux coupés de tout. Ce changement de représentation de la campagne a impulsé un goût nouveau pour ces espaces, que fréquentent en vacances la plupart des citadins. Les missions récréatives dans les espaces naturels prennent le pas sur la vocation initiale agricole de l'espace rural. D'ailleurs, les Français n'associent que très minoritairement 32. Perrier-Cornet, P. (2002). l'espace rural à l'agriculture : cela en concerne 10%32. La majorité Repenser les campagnes. 1st ed. d'entre eux évoque pour parler de la campagne le calme, le silence La Tour d’Aigues: Ed. de l’Aube/ et la tranquillité. C'est justement sur la richesse des ressources Datar. P. 16 locales que s'appuie le tourisme en milieu rural. Paysages, espaces naturels, cultures locales, gastronomie... sont autant de matières qui attirent de nombreux touristes aussi bien français qu'étrangers. Cela confirme l'existence d'un réel potentiel économique, mais pas seulement. En effet, le tourisme rural est en expansion continue et 31. La voiture est le mode de déplacement le plus utilisé en milieu rural : 93 % des trajets effectués en automobile, contre 87 % en moyenne en France Source : INSEE

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semble être l'occasion idéale de revaloriser les ressources locales et d'assurer le développement diversifié de ces territoires. Autour d'activités de loisirs, comme la randonnée, l'équitation, les loisirs sportifs de nature (VTT, parapente, escalade..), les espaces ruraux peuvent développer de nouvelles dynamiques touristiques sur leurs territoires. Il est intéressant de noter que ces dynamiques sont porteuses de nouveaux rapports à l’habitat touristique, qui se décline en gites ruraux, chambres et tables d’hôtes etc.. qui sont eux-mêmes porteurs d’une image de l’authentique à travers notamment la notion de terroir. Il est néanmoins important de préciser que tous les espaces ruraux ne sont pas destinés à devenir des espaces touristiques. Ce phénomène demeure très sélectif et ne concerne que les sites disposant de fortes potentialités patrimoniales, qui peuvent accueillir des touristes grâce à des hébergements diversifiés. Cependant, notons que les campagnes que l'on pourrait qualifier de banales sont aussi propices à la recherche de calme et de repos. Le mouvement général d'attraction du milieu rural contribue à affirmer le caractère multifonctionnel de ces espaces. Le tourisme est donc un élément qui doit être pris en compte dans toute prospective rurale, mais qui ne doit pas être le seul facteur de levier économique sur un territoire. Ainsi, une économie résiliente, diversifiée, localisée et attractive peut déboucher sur des alliances utiles dans un contexte très compétitif.

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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La fonction de conservation des milieux naturels : La campagne nature La campagne nature est montée en puissance récemment et concrétise l’intérêt porté par la population à la durabilité des ressources naturelles que sont l’eau, le sol, la biodiversité, dans une optique de développement durable pour la préservation des conditions de vie des générations futures. Ainsi, la lutte contre l’érosion de la biodiversité fait aujourd’hui partie des priorités dans de nombreuses politiques de l’environnement. Pourtant ces préoccupations ne sont pas neuves dans le sens où nous les concevons aujourd’hui. En effet, ces préoccupations de protection de la nature changent de dimension depuis quelques années. Même si elles restent relativement en marge des débats politiques, elles sont vivement soutenues dans les initiatives privées notamment au travers des associations naturalistes amateurs au caractère volontariste. La préoccupation écologique traduit une diffusion de plus en plus généralisée de la prise de conscience de la place de la nature dans la qualité et le cadre de vie. Les actions de conservation et de création de milieux naturels peuvent se traduire dans tous les domaines du développement ; dans l’agriculture, la gestion forestière, le tourisme, la gestion de l’eau, la construction... Tout cela avec un lien inhérent au patrimoine et au paysage. Les politiques de la nature se développent en partie sur ce nouveau modèle qui mélange nature et activités socio46


économiques, présent dans tous les champs d’activités. De manière générale, ce processus de protection de la nature se développe surtout sous la forme d’actions locales, parfois privées. Ces différentes actions se situent globalement sur les objets naturels : sites d’intérêt biologique, zones humides, bassins versants, montagne... même si l’espace agricole est de plus en plus concerné par l’extension des dispositifs de gestion de la nature. En effet, les pratiques agricoles et forestières sont les premières qui ont été tenues de s’adapter à ces attentes sociétales : certaines techniques productivistes comme l’arrachage des haies ou la foresterie monospécifique se sont vues stigmatisées, limitées ou même interdites à cause de leur impact sur l’environnement, tandis que d’autres pratiques oubliées ou considérées comme archaïques se voient au contraire valorisées et financées, comme par exemple l’irrigation gravitaire ou le pastoralisme dont les pratiques bénéfiques pour l’environnement sont désormais considérées comme vertueuses. C’est dans ce cadre que la prise en compte des questions environnementales vient remettre en cause la spécialisation de l’agriculture. Mais pas seulement. Car ce sont toutes les spécialisations spatiales qui ont autrefois dessiné les fonds de vallée (cultures, forêts, tourisme, habitat...), qui doivent aujourd’hui intégrer pleinement les préoccupations environnementales. C’est tout un ensemble de catégories longtemps pensées séparément qui sont mises en relation et qui doivent constituer un nouvel objet, un nouveau système soulevé par une nouvelle forme de recomposition. Au vu de l’érosion de la biodiversité du vivant dénoncée de toutes parts, nous pourrions être tentés de dire que notre urbanisme n’est pas compatible avec la biodiversité.

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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Pourtant, «La biodiversité est la meilleure garantie d’adaptation 33. Bradel, V. (2010-4). Espace aux changements»33 . Ce concept interpelle aujourd’hui tous les rural et projet spatial : Urbanités et acteurs de l’aménagement tant cette diversité est aujourd’hui mise biodiversité. 1st ed. Saint-Etienne: en avant par la société. Au dela du changement climatique, la Publications de l’université de nécessité de formes urbaines et rurales diverses et adaptées pour Saint-Etienne. P.13 résister aux mutations sociales et économiques semble être un des élément à mettre en avant dans les projets d’aménagement. Car l’aménagement raisonné de notre environnement est une condition nécessaire d’une part à notre survie mais également au respect de la faune et de la flore locale, de la vie du site que l’on a souvent oubliée ou ignorée dans le milieu de l’aménagement durant les dernières décennies, mais qui tend à se développer comme un des éléments essentiels des projets, pour que le projet rural serve la nécessaire mutation écologique dans laquelle notre société est engagée. Car l’espace rural, contrairement aux milieux urbanisés, est le terrain privilégié pour ces mutations au regard de l’importante part qu’il accorde au vivant dans son organisation. Pour ce faire, une politique nationale d’accords environnementaux mais également européenne doit prendre place dans ce contexte de protection de la nature qui viserait à encourager les actions publiques ou privées sans tendre vers une marchandisation ou une trop forte sanctuarisation des objets de nature. Ces préoccupations doivent s’inscrire dans des problématiques plus larges de territoire en s’insérant dans des collectifs dont le but est de recycler et de redéfinir les anciennes activités monofonctionnelles devenues multifonctionnelles.

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LA CAMPAGNE

LA CAMPAGNE

LA CAMPAGNE

RESSOURCE

CADRE DE VIE

NATURE

L’hybridation des fonctions : le rural habité Le rural Le rural productif

Le rural naturel

résidentiel et

Ces trois figures permettent d’analyser et de comprendre récréatif les processus de transformation de l’espace rural. Cependant, Agriculture, Pavillon à la campagne, Activités de nature, artisanat, mouvement dans pendulaire, pratiques agricoles, il serait facile de tomber une partition réductrice de la industrie, résidences secondaires, tourisme vert, services tourisme politiques d’accords dans cette multifonctionnalité des campagnes françaises, introduite environnementaux première partie. Car les trois fonctions développées par Philippe Perrier-Cornet ne sont pertinentes que si elles s’enchevêtrent dans le paysage et que les actions d’aménagements trouvent un équilibre entre ces trois pôles de développement (figure11). Comment dans ce contexte concilier les trois visages de la France rurale pour y déceler une source de projet ?

LA CAMPAGNE RESSOURCE IMPORTANCE DU PATRIMOINE

LA CAMPAGNE NATURE LE RURAL HABITÉ

LA CAMPAGNE CADRE DE VIE IMPORTANCE DU PAYSAGE

IMPORTANCE DES ÉCOSYSTÈMES

Figure 11 : Vision schématique d’un équilibre des trois fonctions pour le développement d’un «rural habité» L’habitat est une notion large qui ne se réduit pas au logement. C’est un ensemble de services et de fonctions sociales, économiques et culturelles accessible à partir du logement. À ce titre, il est le produit de la rencontre entre des politiques publiques et des acteurs privés et touche de ce fait à l’aménagement du territoire Schéma personnel

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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Bien trop souvent, les répartitions de ces fonctions tendent vers des espaces ruraux spécialisés (Figure 12). Pour prendre l’exemple le plus connu, la Beauce, plateau agricole depuis le néolithique, est aujourd’hui un territoire à vocation essentiellement productive (de céréales et d’élevage). Les autres fonctions de la campagne n’ont pas ou peu de place dans son organisation. Pourtant, toutes ces fonctions ont une dimension paysagère : comment alors réunir ces fonctions dans un espace autour d’une logique d’actions communes ? Lorsque l’on habite à la campagne, c’est un paysage que l’on habite. Pourtant, le renouvellement des populations rurales a engendré un brassage social et une recomposition identitaire.

Source : Google images Pas ou peu d’espaces de nature

Source : Google images Figure 12 : L’exemple de la Beauce ou le résultat d’une campagne monofonctionnelle Territoire propice par ses conditions géographique au développement de l’agriculture, la Beauce est un plateau dans lequel les espaces de nature sont absents. Cela concerne également les espaces de vie puisque la population vieillissante et très peu dense est éparpillée dans des hameaux à caractère agricole

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CAMPAGNE NATURE

CAMPAGNE CADRE DE VIE CAMPAGNE RESSOURCE Grandes exploitations agricoles, vaste étendue de cultures céréalières «Grenier à blé»

450 communes sur environ 6000 m2 Peu d’habitants, Beaucoup d’agriculteurs


Comment dans ce contexte accompagner les habitants mais également les acteurs de l’aménagement pour les sensibiliser aux enjeux du paysage, ses évolutions et les pressions auquelles il est soumis ? Point d’intersection entre nature et culture, le paysage est inhérent aux villes et aux campagnes. Celui-ci n’a été pris en compte dans les politiques d’aménagement que très récemment et la question du paysage reste souvent occultée dans les décisions d’aménagement en milieu rural, réduit à un volet subséquent. Pourtant, aborder le territoire à partir du paysage est l’une des pistes d’action pour s’inscrire dans une démarche de développement durable. La connaissance du terrain et des acteurs locaux font partie des éléments clefs pour le développement d’un projet de campagne qui doit engager des méthodes et des démarches qui répondent à chaque territoire dans sa localité et dans sa totalité. Cela ne doit pas pour autant entrer dans une idéologie qu’on pourrait qualifier de ruralocentriste et qui irait à l’encontre du processus de projet ouvert. Le projet ouvert reste incomplet, et existe pour solliciter le spectateur à collaborer à son aboutissement. Alors, l’ambiguïté, dans les interactions qu’elle engendre, devient une valeur d’ouverture de l’œuvre. La multifonctionnalité des campagnes conduit à la question de l’hybridation de ces différentes fonctions pour faire paysage. Les outils de projet dans l’espace rural restent à inventer, mais ne pourront se concrétiser que par une mobilisation forte des acteurs locaux. Car ces campagnes hybrides sont sujettes à un jeu d’acteurs divers qui participe à leur renouveau. Comment peuvent-ils permettre le développement de nouvelles méthodes de conception et d’aménagement prenant en compte la multifonctionnalité des campagnes qui font d’elles des campagnes hybrides ?

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Trois visages de la France rurale

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I QUI FAÇONNE L’ESPACE RURAL ? I LES ACTEURS DU PROJET DE CAMPAGNE Entre actions publiques et initiatives individuelles Dans le cadre de notre réflexion sur les possibilités de projection et d’expérimentation du rural en France, la prise en compte des acteurs est essentielle pour comprendre les mécanismes du projet de campagne. Il semble essentiel de comprendre que les acteurs de l’espace rural ne peuvent se comparer à ceux de l’espace urbain, même s’ils relèvent tous deux d’une complexité hiérarchique propre aux acteurs publics. Car en milieu rural, l’initiative privée occupe une place sensiblement plus importante que dans l’espace urbain. En effet, la plus grande emprise des terrains privées mais également la confusion possible entre acteurs publics et privés font de l’espace rural l’expression de cette ambiguïté. Car la forte emprise du privé concède à ses projets une importante répercussion sur l’espace public, eux-mêmes porteurs parfois de cette ambiguïté : lorsque l’on se promène dans certains bourgs ruraux, la rue a plus des allures de jardin où chacun s’octroie la liberté de disposer des éléments relevant du domaine privé qui donnent à la rue un caractère personnifié.

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Qui façonne l’espace rural ?

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Le problème de cette ambiguïté s’explique dans les conflits d’usage qu’elle peut engendrer (figure 13). Car au delà de la rue, certaines pratiques, notamment celles liées à l’agriculture ou à l’industrie, sont parfois massivement refusées par les habitants des communes rurales. On assiste alors à la prédominance de fonctions sur d’autres (en l’occurence c’est la fonction résidentielle qui prends le dessus sur les fonctions productrices de la campagne). Il arrive également que certaines instances privées, notamment les associations d’habitants, participent autant, voire plus, que les instances publiques sur par exemple la protection de l’environnement et la création d’espaces naturels.

Résidents

Industriels

Agriculteurs

CATÉGORIES D’ACTEURS

Collectivités locales

Associations (chasseurs par ex)

Opposition sur le partage et les pollutions de l’eau

Figure 13 : Schématisation des acteurs de l’espace rural et des conflits qui peuvent découler de leurs interactions Schéma personnel d’après A. Torre, Libération, 6 mai 2008

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Extension urbaine, concurrence entre activités

Installations de nouvelles infrastructures (routes, éoliennes...)

CAUSE DES CONFLITS Contestation de la pratique de la chasse ou présence d’animaux

Installations polluantes, nuisances (décharges, industries...)


Une maîtrise d’ouvrage en manque d’expertise Nous partons du postulat que les campagnes doivent être regardées comme des remèdes ou des alternatives aux problèmes des zones urbaines qui demeureront sans doute les principaux pôles de création d’activité. Les trois figures de la campagne mentionnées plus haut : campagne ressource, campagne cadre de vie et campagne nature, peuvent aisément être comprises dans une optique susceptible d’inspirer des politiques dynamiques de valorisation et d’animation. La ruralité sera de moins en moins pensée indépendamment de la ville, dont elle représente l’arrièrepays géographique, économique, démographique et écologique. Pourtant, les moyens mis en œuvre aux niveaux locaux (communes et intercommunalités) sont clairement dans une situation de manque d’expertise par rapport au milieu urbain, où les estimations et les diagnostics d’experts sont prépondérants. De plus, avec la crise des budgets publics, ces politiques d’expertise territoriale ne sont pas les moins menacées. Se pose alors la question de la stabilité institutionnelle et de l’expertise territoriale en milieu rural alors que ces éléments font partie des conditions clefs du projet rural. Par ailleurs, la multiplicité des contextes d’intervention doit alimenter un important travail sur le plan des outils de gestion et de projet. Plans, contrats, chartes, directives paysagères sont quelquesunes des manifestations de la démultiplication de ces initiatives, CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Qui façonne l’espace rural ?

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qui sont porteuses de possibles confusions au sein même des services d’étude. Selon Alexis Pernet, paysagiste dplg et docteur en géographie qui a réalisé une thèse sur la notion de grand paysage, «il faut peut-être aujourd’hui considérer cette diversité d’outils comme l’expression d’une question vivante et nullement déconnectée des grands enjeux environnementaux et sociaux contemporains.»34.

34. Pernet, A. (2014). Le grand paysage en projet. Histoire, critique et expérience. 1st ed. Genève: La lisibilité et la cohérence de la politique gouvernementale Métis Presses. d’aménagement du territoire en milieu rural apparaissent comme P. 270

susceptibles d’être améliorées en raison de la complexité des dispositifs et d’une coordination insuffisante des différents niveaux de gouvernance. Ces défauts peuvent se répercuter dans la mise en œuvre des mesures au niveau local. Une synergie entre les soutiens de l’État et les moyens des collectivités territoriales dédiées à l’aménagement du territoire est donc nécessaire pour la mise en place d’outils de planification. Car une approche pragmatique et opérationnelle du projet de campagne ne peut faire l’économie d’une gouvernance adaptée qui ait été structurée en amont et qui soit capable de porter un projet sur le long terme. Cette gouvernance est un élément déterminant dans la définition même des choix de conception et pour l’acceptation du projet. La dimension formelle du projet inclut des dimensions sous-jacentes dont la dimension organisationnelle, évidemment moins visible car relevant essentiellement d’enjeux implicites qu’induit l’aspect relationnel d’un projet. Dans ce contexte, quels sont les conditions d’une gouvernance adaptée ? Comment les acteurs de l’aménagement peuvent dans leurs actions participer à l’élaboration d’un projet de campagne durable et harmonieux ? Il semble logique que dans la situation actuelle de précarité 56


institutionnelle, la gouvernance du projet soit celle d’une maîtrise d’ouvrage à la fois déterminée dans ses objectifs tout au long du processus de projet et à l’écoute de ses partenaires mais aussi de sa population. Une coordination des acteurs est alors nécessaire dans un processus où chacun peut apporter une plus-value au projet. C’est bien une capacité d’organisation des acteurs du projet, couplée à une concertation de qualité, qui contribue à l’habitabilité du projet. Car le projet de campagne ne peut être que l’articulation des multiples partenariats qui le composent et qui s’inscrivent dans une durée constructive. Associer les mondes de l’aménagement de l’architecture et de l’écologie pour une coopération ne peut qu’enrichir une dynamique de projet portée par une maîtrise d’ouvrage forte. Il convient également d’affirmer que la commune est un des piliers de la ruralité. Souvent, la/le maire et l’équipe municipale sont des acteurs centraux qui, quand ils cumulent les qualités de volontaires et d’investis, peuvent obtenir un consensus au sein des acteurs de l’aménagement et de la population nécessaire à une bonne acceptation et à un partage de la démarche de projet. Car c’est par la commune que la ruralité conserve son expression propre. Un nouvel élément rentre en jeu depuis peu ; la naissance des intercommunalités. Issues de la politique de décentralisation de l’état, l’intercommunalité35 est le principal outil de mise en 35. L’intercommunalité correspond à des découpages cohérence des politiques publiques à l’échelon local. Pourtant, territoriaux qui rassemblent un ces intercommunalités se trouvent dans des périmètres qui ne certain nombre de communes correspondent pas toujours aux bassins de vie dans lesquels pour mutualiser les compétences et les financements. devraient idéalement être déployés un grand nombre de politiques publiques décentralisées. Des progrès dans la gestion de la gouvernance territoriale sont donc à réaliser pour que la recherche d’interterritorialité soit un axe de progrès fondamental.

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Par ailleurs, pour aider un territoire à éviter l’immobilisme que peuvent favoriser les conflits d’usages, entretenir une logique de projet conçue localement, définie par des instances élues et validée par des éléments de démocratie directe (comme la création de conseils de village ou conseils de quartier), est l’un des éléments à systématiquement privilégier.

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Les outils législatifs au service du projet de campagne Le cadre du projet de campagne est aussi législatif. Il existe dans ce contexte plusieurs outils de protection, de planification et de gestion du grand paysage, qui sont des dispositifs privilégiés du projet de campagne. Nous pouvons même avancer que la France dispose d’un panel d’outils au service de la protection et de la valorisation des paysages. Cependant, ces outils n’existent que depuis le vote de la Loi Paysage en 1993. Cela marque la première fois où le paysage est évoqué dans un texte de loi, même si la protection de la nature était un sujet déjà mentionné depuis la création, le 2 mai 1930, des sites remarquables. La figure 14 présente de manière simplifiée la chronologie des différentes lois qui vont en faveur d’un développement durable dans les espaces à faible densité. Dans ce contexte, quels sont les outils qui peuvent permettre d’accompagner les projets de campagne dans le temps long du paysage ? Un tour d’horizon de toutes les lois d’urbanisme en milieu rural n’est pas nécessaire, mais il est intéressant de démarquer certains dispositifs de connaissance ou d’action, qui peuvent être des facteurs déterminants de certains projets de campagne.

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21 avril 1906 2 mai 1930

Loi sur la protection des monuments naturels et des sites : Protection des sites remarquables.

1960 Schéma d’Aménagement de la Loire Mioyenne, 1972 Cahier de l’Oréalm 10 juillet 1976

7 janvier 1983

Loi sur la protection de la nature : «La protection des paysages est d’intérêt général». Loi de décentralisation : «Chaque collectivité publique est responsable du territoire, des milieux naturels et des paysages».

6 février 1992

8 janvier 1993

Loi sur l’administration territoriale de la République : Création des Communauté de Communes ayant compétence d’aménagement de l’espace. Loi sur la protection et la mise en valeur des paysages «Loi Paysage» qui concerne tous les paysages.

1993 1er plan de Paysage - Le bassin carrier de Marquise (Boulonnais)

2 février 1995

25 juin 1999

9 juillet 1999

13 décembre 2000

Loi relative au renforcement de la protection de l’environnement : encourage les Communauté de Communes à élaborer des projets de gestion de l’espace pour restaurer et enrichir les paysages. «Loi Voynet» : Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire : création des pays. Loi d’orientation agricole : la politique agricole participe à l’aménagement du territoire en vue d’un développement durable «Loi Gayssot» : Loi sur la solidarité et le renouvellement urbain : création des SCOT, PLU et PADD

2001 Guide des plans de paysage, des Chartes et des Contrats 3 août 2009

Figure 14 : Frise chronologique simplifiée des différentes lois en faveur de la protection et de la planification du paysage Source : Ludovic Durieux, Grand Paysage, ENSAPL 2017

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24 mars 2014

«Loi Grenelle 1» : Loi qui instaure la Trame Verte et Bleue

«Loi Alur» : Loi sur la densification des zones urbaines pour lutter contre l’artificialisation des sols. Développement du PLUIntercommunal


- Les inventaires patrimoniaux : ils permettent de répertorier les zones à caractère patrimonial ou écologique. Au sein de ces inventaires, les ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Floristique ou Faunistique) et les TVB (Trames Vertes et Bleues) recensent les espaces naturels terrestres remarquables. Ce sont des bases de hiérarchisation des enjeux du patrimoine naturel. Outre un instrument de connaissance, ce sont parmi les éléments majeurs de la politique de protection de la nature et de prise en compte de l’environnement dans l’aménagement du territoire. - Les protections conventionnelles : Il s’agit d’une démarche volontaire entre différents acteurs d’un territoire (élus, agriculteurs, aménageurs, environnementalistes...) qui se regroupent pour mettre en place un projet de développement. Les P.N.R (Parcs Naturels Régionaux, créés en 1967) en sont l’exemple le plus connu. Les Plans de Paysages font également partie de ces protections conventionnelles. Ils définissent les étapes de leur mise en œuvre : état des lieux du paysage, définition des enjeux, formulation d’objectifs et propositions d’actions concrètes. La démarche PALME, créée en 1997, fonctionne également dans le but d’associer l’ensemble des partenaires et des acteurs dans une cause commune36. - Les protections législatives directes : Ce sont des lois votées au parlement qui permettent de protéger directement un territoire. Parmi ces lois, la plus connue est sans doute la Loi Littoral, instaurée en 1986, qui vise à encadrer l’aménagement de la côte pour la protéger des excès de la spéculation immobilière et permettre un libre accès au public sur les sentiers littoraux. Parmi ces protections, notons également la Loi Barnier votée en février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement. Outre les principes généraux du droit de l’environnement qu’elle institue, elle encadre les zones d’activités en entrée de ville et évite l’installation massive de boîtes à chaussures sur un certain périmètre.

36. PALME est une démarche appliquée à un territoire d’activités qui rassemble des considérations économiques, sociales et environnementales comme facteur de développement durable. La concertation entre les différents acteurs du territoire, regroupés en comité PALME, aboutit à la signature d’une charte. Un exemple dans notre région : celui de la zone d’activités de Landacres (62)

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Plus récente (2014), la Loi Alur relative au logement a une incidence sur le verdissement des P.L.U (Plans Locaux d’Urbanisme) puisqu’elle instaure un coefficient de biotope lorsque des zones urbaines sont densifiées37. De plus, cette loi lutte contre l’artificialisation des sols 37. La loi Alur donne la possibilité de fixer un coefficient en instaurant des contraintes d’urbanisation dans le PLU. Enfin, elle de biotope dans le règlement du confirme le rôle des intercommunalités avec un renforcement des PLU. Objectif : fixer une obligation PLUi devenus par cette loi obligatoires. de maintien ou de création de surfaces non imperméabilisées ou éco-aménageables sur l’unité foncière. Cette obligation peut être satisfaite de différentes manières : espace libre en pleine terre, surface au sol artificialisée mais végétalisée sur une profondeur minimale déterminée par le règlement, toitures et terrasses ou murs et façades végétalisés… Source : http://www.gnis.fr/

- Les protections réglementaires : Parmi ces protections, nous retrouvons le Plan Local d’Urbanisme, principal document de planification de l’urbanisme au niveau communal ou intercommunal. Au sein de ce document, le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) définit les orientations du projet d’urbanisme ou d’aménagement de l’entité concernée (commune ou communauté de communes). C’est un document simple et concis, donnant une information claire aux citoyens et habitants sur le projet territorial. Le Schéma de Cohérence Territorial (Scot) est un document qui détermine quand à lui un projet de territoire visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques d’urbanisme à l’échelle de plusieurs communes ou d’un groupement de communes. Ces plans, cartes et schémas doivent ainsi contribuer à réduire la consommation d’espace (lutter contre la périurbanisation), préserver les espaces affectés aux activités agricoles ou forestières, équilibrer la répartition territoriale des commerces et services, améliorer les performances énergétiques, diminuer (et non plus seulement « maîtriser ») les obligations de déplacement, réduire les émissions de gaz à effet de serre et renforcer la préservation de la biodiversité et des écosystèmes (notamment via la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques). - Les outils de connaissance : Enfin, il existe plusieurs outils de qualification et d’observation mis à la disposition de tous les acteurs

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du territoire qui leur permettent de s’appuyer sur les paysages locaux pour leurs projets. Dans ce sens ont été créés en 2000 lors de la signature de la Convention européenne du paysage, les Atlas des paysages qui identifient les paysages régionnaux et évaluent les dynamiques et les enjeux des territoires concernés. Souvent coordonnés par la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), les atlas sont réalisés par des bureaux d’études en paysage. À l’échelle du département, le CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement), né de la loi sur l’architecture de 1997, permet de promouvoir la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage par une aide à la maîtrise d’ouvrage. Ainsi, de nombreux outils sont à la disposition des acteurs du territoire pour initier un projet de campagne qui répondrait aux enjeux cités précédemment.

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I CONJUGUER ESPACE PUBLIC AU RURAL, I UN TRAIT D’UNION POUR LE PAYSAGE ? Peut-on parler d’espace public en milieu rural ? L’espace public est au cœur de la vie collective, c’est le lieu où des gens différents se côtoient, se rencontrent, parfois échangent. Dans leur diversité, ils représentent des éléments essentiels du cadre de vie. Points de repères pour les habitants et les visiteurs, ils mettent en relation les hommes et les lieux, sont porteurs de valeurs culturelles et urbaines et vecteurs de lien social. Une question primordiale, que l’on est en droit de se poser dans le cadre de cette étude, pourrait-être : qu’est ce que l’espace public en milieu rural ? Car au delà des places de centre de villages, d’autres espaces moins conventionnels posent question, car on ne les retrouve pas en ville, espace de prédilection de l’espace public. On pense notamment aux abords de ruisseau, aux alignements d’arbres, qui font partie de l’espace privé mais qui dans leurs usages relèvent de l’espace public. Ces espaces sont plus facilement décrits comme des lieux communs (dans le sens des usages communs dont ils font l’objet), que des espaces publics. Dans l’espace rural, la question de l’espace public se pose dans des 38. L’espace public représente l’ensemble des espaces de termes différents des zones urbaines. Dans sa définition première, passage et de rassemblement l’espace public relève essentiellement du domaine communal38. qui sont à l’usage de tous. Ils Pourtant, c’est avant tout un lieu de rencontre entre des usagers appartiennent au domaine 39 public. aux pratiques et aux origines multiples . Et bien souvent, l’emprise de l’espace public en milieu rural est moindre et dialogue avec 39. L’espace public est pour cela l’espace privé qui détient une place primordiale dans l’espace rural. le lieu privilégié de la démocratie. CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Conjuguer espace public au rural

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C’est ainsi que les limites de l’espace public en milieu rural s’avèrent souvent floues contrairement à l’espace public en milieu urbain qui, la plupart du temps, est très formalisé, contrôlé et mesuré. Et bien souvent, de par ces caractéristiques, les réalisations d’espaces publics dans les petites villes ou villages semblent être «hors-sol» car élaborées à partir des outils du projet urbain et ne relevant pas nécessairement d’une ruralité et d’une matérialité propre à un territoire précis.

Figure 15 : La place principale de la ville de Samer (62), commune de 4000 habitants, au début du siècle et à l’état actuel. Cette commune était le sujet de l’atelier Matérialité du semestre d’automne 2016. Dans le temps vécue comme un grand espace polyvalent, la place du Maréchal Foch, qui n’a sensiblement pas changé en terme d’aménagement, accorde désormais une place prédominante à la voirie et au stationnement Source : Google images Photo personnelle

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Contrairement à la situation des places de ville qui ont su s’adapter aux nouveaux usages et faire perdurer les anciens, les places de villages ont vu leurs usages disparaître les uns après les autres comme une peau de chagrin. Car jusqu’au XIXème siècle, la place servait d’accès au point d’eau, permettant le rassemblement des animaux et des habitants de la commune. C’était également le lieu principal des fêtes, des célébrations mais aussi des contestations de tous ordres, politiques ou autres (Figure 15). Aujourd’hui, du fait de la baisse et du vieillissement de la population, les usages sociaux des espaces publics ont pratiquement tous disparus. Il reste toujours l’abribus qui a un rôle par intermittence, mais qui est lui-même tourné vers la ville puisque c’est le point de transport souvent vers des zones urbaines où les habitants peuvent accéder aux services et aux équipements de base, disparus dans les cœurs de petites villes et de villages. La logique villageoise concentrait auparavant les usages sur le lieu central. Aujourd’hui les rares marchés et les commerçants disparaissent petit à petit et tendent à supprimer le pôle économique que représentait les centres bourgs, au profit d’une périphérie développée par l’automobile. Dans ces nouveaux espaces importés en campagne, que sont les zones pavillonnaires et les zones commerciales, l’espace public est bien souvent réduit à sa plus simple expression : une voirie à usage unique (tournée vers l’automobile) et des espaces publics qui prennent la forme d’une raquette de retournement ou d’un rond-point, peu propices à la création d’un espace public au 40. « Les espaces publics, décors sens premier : comme espace de vie, de passage, de réunions, de de vie quotidiens, sont les lieux où les hommes se reconnaissent rencontres...40 qui structure et organise l’entité de la ville.

semblables et échangent un peu de leur existence » Pierre Sansot, Jardins publics, Ed. Payot et Rivages, 1993

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Créer des rues et non des routes, des jardins et non des espaces verts, des venelles et non des impasses, impose de dépasser une approche fonctionnaliste pour aménager de véritables espaces de vie au quotidien. Envisager ainsi l’espace public permet d’enclencher une dynamique de projet impliquant les usagers et mobilisant les professionnels de l’aménagement.

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L’espace public, scène de l’identité culturelle, historique et paysagère des espaces ruraux Malgré le déclin des usages sociaux et économiques dans les espaces publics ruraux, ceux-ci conservent bien souvent le rôle de représentation des institutions politiques (mairies, écoles..) et religieuses (même si la fréquentation des églises des petites communes est sensiblement en baisse). L’espace public ne peut être négligé si l’on souhaite traiter de l’aménagement du territoire. Il peut être un espace qui met en scène l’identité historique, culturelle et paysagère qui devient alors un espace continu, structurant et générateur de ville et de liens sociaux. De plus, l’espace public en milieu rural est souvent en lien avec le patrimoine architectural et paysager du territoire, richesse dont la mise en valeur pourrait devenir un élément déterminant du projet de campagne. Car il nous faut savoir réinvestir sur la qualité de l’espace public : considérer les usages et le fonctionnement des lieux, s’appuyer sur l’existant, traiter l’espace avec modestie sont des clefs pour développer ou redévelopper des dynamiques locales. Loin des effets de mode et des recettes prémâchées, l’aménagement de ces espaces a vocation à réveler et mettre en valeur les singularités de chaque territoire, ses qualités et ses atouts, ce qui les constitue : ses paysages, son patrimoine, son histoire.

CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Conjuguer espace public au rural

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Une autre observation est à faire concernant l’espace public en milieu rural : c’est que ce n’est plus celui du monde agricole. Pourtant, il existe une demande prégnante d’ouverture des espaces agricoles à de nouveaux usages au nom de leur caractère patrimonial et paysager : randonnées, VTT, promenades sont des pratiques en sensible augmentation et en demande de nouveaux espaces. C’est dans ce sens une recomposition du contrat social unissant le monde agricole au reste de la société civile qu’il faut interroger. Ce constat nous invite à intégrer de nouvelles pratiques territoriales dans une recherche d’optimisation durable des territoires et des ressources. Il est nécessaire que ces pratiques soient innovantes, enrichissantes et mutualisantes, pour ouvrir le champ du projet dans l’espace rural. Les professionnels et les acteurs de l’aménagement se doivent d’adopter une attitude nouvelle pour la constitution d’espaces publics ruraux. Mais comment repenser de nouvelles formes de composition des espaces publics en campagne ? On parle de projet urbain mais on n’évoque jamais le projet de campagne au même titre. D’ailleurs, les outils des aménageurs sont élaborés à partir de l’espace urbain et ne s’attachent pas spécialement à valoriser les particularités locales. Le projet de campagne est aujourd’hui trop souvent mené en transposant les outils du projet urbain sur un territoire rural, sans prendre le temps de s’attacher à la connaissance des paysages. Pourtant, cette connaissance permet de contextualiser les projets d’aménagements tout en créant la concertation des différents acteurs, mais aussi de penser les espaces ruraux avec simplicité, à leur juste valeur et à l’échelle des villages et hameaux qui les composent.

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CAMPAGNES EN PROJET _ Quels enjeux pour la campagne de demain ? _ Conjuguer espace public au rural

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DES PROJETS DE CAMPAGNE ÉTUDE DE CAS


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I AVANT-PROPOS : I DES DÉMARCHES PARTICULIÈRES

Les territoires ruraux, dans leur diversité et potentialités

multiples, offrent des possibilités de projets bien souvent inexplorées. L’urbanisme tend en effet souvent à négliger ces potentialités et à uniformiser ces ruralités plurielles selon une vision technocentriste, sans prendre en compte les territoires sur lesquels il s’inscrit. Développer un projet au sein des espaces ruraux reviendrait, au vu des différentes problématiques soulevées dans le précédent chapitre, à penser le développement au plus près de son environnement afin de permettre aux communes rurales et à leurs habitants de renouer avec un sentiment d’appartenance et de conscience territoriale. Poser la question d’un projet de campagne revient à s’intéresser à diverses thématiques, en lien avec le sol, l’environnement proche du lieu du projet, cherchant à établir des rapports entre les potentiels patrimoniaux de ces milieux, ce qui existe, ce qui reste, et leurs implications quant au développement d’activités économiques et d’une attractivité nouvelle de ces espaces. Mais également de poser la question des rapports entre villes et campagnes et, en particulier, dans l’échange constant qu’elles entretiennent via les migrations pendulaires souvent quotidiennes.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Avant-Propos

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Après avoir posé ces interrogations et bases de lecture et de compréhension dans la première partie, il est nécessaire de se rattacher au concret puisque l’on parle du processus de projet, procédé unique qui consiste en un ensemble d’activités coordonnées et maîtrisées et qui s’inscrivent dans une temporalité bien particulière. Chaque projet est unique et chaque campagne est singulière, c’est pour cela que ce travail ne cherche pas à être exhaustif mais plutôt à partager plusieurs démarches et processus de projet, basés sur plusieurs échantillons du projet de campagne. Ces projets ont été choisis pour leurs démarches particulières qui ont enrichi la question sur l’avenir du projet de campagne. Nous chercherons à savoir quels processus , qu’ils soient formels, législatifs et institutionnels ou relationnels, ont été les garants d’une part d’une cohérence de projet au regard des différentes échelles du paysage et d’autre part d’une acceptation et d’une appropriation du projet par les principaux usagers. Dans cette recherche, s’appuyer sur des exemple de projets réalisés permettra d’affirmer ou au contraire d’infirmer certains points évoqués dans la première partie.

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CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Avant-Propos

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Figure 16 : l’un des nombreux fossés qui maillent le village avec en arrière plan les coteaux calcaires Photo personnelle Figure 17 : L’ancienne brasserie du village, un des « germes » concernés par le projet de densification du centre-bourg Photo personnelle

Habitants : 1290 (2014) Situation : rurale à périurbaine Paysage : vallée de l’Artois coteaux calcaires du Boulonnais (Cuesta) P.L.U : oui P.L.U.i : en cours d’élaboration Maîtrise d’ouvrage : ENRx Maîtrise d’œuvre : équipe pluridisciplinaire composée d’un urbaniste, d’un paysagiste, d’un architecte et d’un écologue Localisation du projet : en cœur de village Propriété foncière : privée

Présence de zones à valeur écologique : réserve naturelle nationale (coteaux calcaires) & fleuve Aa

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I LA DENSIFICATION DU CENTRE-BOURG I À WAVRANS-SUR-L’AA (PAS-DE-CALAIS) Le contexte : Un village entre pression urbaine et espaces naturels Wavrans-sur-l’Aa est une commune française située dans le département du Pas-de-Calais en région Hauts-de-France. Le territoire communal est inclus dans le périmètre du Parc Naturel Régional (PNR) des Caps et Marais d’Opale et est situé sur la vallée de l’Aa, fleuve prenant sa source dans les collines de l’Artois à Bourthes et qui se jette dans la mer du Nord à Gravelines après avoir traversé et drainé les marais audomarois. C’est d’ailleurs le long du fleuve que la ville s’est développée (Figure 20 et 21). La commune est caractérisée par un relief de cuesta, type de relief dissymétrique bordant les bassins sédimentaires typique de la région du Boulonnais. Sur ces nombreux reliefs sont présents des coteaux calcaires, autrefois pâturés par des ovins (notamment des moutons). Le pâturage qui entretient ces coteaux permet de maintenir des espaces de prairies calcicoles (dans lesquels on peut voir notamment de nombreuses espèces d’orchidées) qui présentent un caractère à fort intérêt écologique. Ces coteaux qui surplombent la ville sont classés réserve naturelle nationale depuis 2008. L’autre versant est constitué d’un système de monts et de vallons plus doux, propices à l’installation d’activités agricoles. Dans la vallée, le fleuve de l’Aa ainsi que ses affluents contribuent également à la richesse écologique locale.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Wavrans-sur-l’Aa

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DUNKERQUE

Grand-Fort Philippe 5200hab

89200hab

Gravelines 11500hab

CALAIS 76400hab

ée Vall

Bourbourg 7100hab

’Aa de l

Guines 5700hab

A16

40’’

A25

L’Isle-Adam <-> Bray-Dunes

Lille <-> Socx

Wimereux 7500hab

BOULOGNESUR-MER 42500hab

c l des a n o i ég turel R Parc Na

t ap s e

ale Op ’ d ais mar

20’’ ST-OMER 14200hab

Lumbres 3900hab

Wavrans-sur-l’Aa Desvres 5000hab

0

10’’

5km

Aire-sur-la-Lys 9900hab

NORD

l’Aa Routes principales (A) Routes secondaires (RN) Routes tertiaires (RD) PNR Villes et agglomérations Temps de trajet en voiture

80

1300hab

Figure 18 : Carte de localisation du village de Wavrans-sur-l’Aa dans son territoire et temps de trajet approximatif en voiture Source : Géoportail.fr Figure 19 : Carte de localisation de Wavrans-sur-l’Aa à l’échelle nationale


Figure 20 : Extrait de la carte IGN 125.000 Le village de Wavrans se déploie le long de l’Aa Source : Géoportail.fr

NORD 0

5km

Figure 21 : Extrait de photo aérienne du village de Wavrans Source : Géoportail.fr

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Wavrans-sur-l’Aa

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41. Selon l’Institut des Statistiques, une entité urbaine est considérée comme une ville à partir du seuil de 2000 habitants

42. Cartesfrance.fr. (2017). WAVRANS-SUR-L’AA - Carte plan hotel village de Wavrans-sur-l’Aa 62380 - Cartes France.fr. [en ligne] Disponible sur: http:// www.cartesfrance.fr/carte-franceville/62882_Wavrans-sur-l’Aa. html [Consulté le 18 Mai 2017].

43. Données de 2006

Figure 22 : Histogramme de l’évolution démographique de Wavrans-sur-l’Aa de 1793 à 2014 Sources : INSEE

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Au recensement de 2014, la population municipale s’élevait à 1290 habitants, ce qui fait de la commune de Wavrans-sur-l’Aa un village au regard de la classification de l’INSEE41. Notons par ailleurs que la commune est dotée d’une école primaire de 6 classes, de quelques commerces (cafés, coiffeur), d’une zone d’activités et de 15 exploitations agricoles. Le nombre de logements sur la commune a été estimé à 497 en 2007. Ces logements se composent de 471 résidences principales, 10 résidences secondaires ou occasionnelles ainsi que 16 logements vacants42. Selon les typologies de bassins de vie de l’INSEE présentées dans l’introduction, on se trouve à Wavrans-sir-l’Aa sur une jeune campagne en voie de périurbanisation considérée selon ce classement parmi les campagnes des villes (voir figure 5). En effet, du fait de sa proximité avec la communauté urbaine de Saint-Omer (20 minutes en voiture mais il n’existe aucun transport en commun qui va de Saint-Omer à Wavrans-sur-l’Aa) (figure 18), le village est sujet à une pression foncière importante, notamment de jeunes familles qui cherchent à devenir propriétaires dans la commune (Figure 22). Elle subit ainsi une variation de densité de population de +0,90%/an43. En comparaison, la variation de la densité de population moyenne française est de +0.7%/an.


La commande : Une initiative soutenue par la région «Préserver les paysages ruraux et lutter contre l’étalement urbain en expérimentant de nouvelles formes d’urbanisation, tel était l’objectif.»44 C’est dans ces termes que débute l’aventure en 2006, lorsque les paysagistes et urbanistes des Parcs Naturels Régionaux du Nord-Pas-de-Calais se réunissent à plusieurs reprises pour pousser plus loin la réflexion déjà menée par ces P.N.R sur l’évolution des communes appartenant à ces Parcs. Le projet « Vers un urbanisme de qualité, habiter autrement l’espace rural et périurbain » vise à investir le champs de l’expérimentation pour faire la démonstration qu’il est possible d’offrir des logements neufs et diversifiés tout en économisant les terres agricoles et en préservant les paysages et l’environnement. Élément primordial de cette démarche : une volonté affichée de la part des maires d’accepter de bousculer les idées préconçues pour concevoir de nouvelles formes urbaines.

44. 6 histoires pour y croire : vers un urbanisme de qualité en milieu rural et périurbain. (2016).

La commune de Wavrans-sur-l’Aa a été sélectionnée en 2008 au cours d’un appel à projet régional intitulé «Vers un urbanisme de qualité», organisé par le syndicat mixte des Espaces Naturels Régionaux et les trois P.N.R du Nord-Pas-de-Calais, et soutenu par le Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Wavrans-sur-l’Aa

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Cette aventure entreprise par 6 villes et villages de la région, avec l’intervention d’équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires, visait à sensibiliser les acteurs de l’aménagement aux spécificités de l’urbanisme durable en milieu rural et périurbain.

45. CAUE : Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement DDTM : Direction Départementale du Territoire et de la Mer DREAL : Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

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En février 2009, un jury régional composé des techniciens des PNR, des maires des 6 villes et d’un collège d’experts variés (venant du CAUE, de la DDTM, de la DREAL45...) sélectionne trois équipes pluridisciplinaires. Il est demandé au préalable que ces équipes soient composées à minima d’un paysagiste, d’un urbaniste et d’un architecte, ainsi que deux autres compétences en fonction des projets communaux (sociologues, écologues, artistes, hydrauliciens...). Du côté des communes, c’est un dispositif qui sort de l’ordinaire qui se met en place : la création de groupes de projet communaux. Ces groupes sont composés des élus locaux et de l’intercommunalité, de la DDTM, du Parc et du CAUE... dans l’objectif d’écrire en commun le cahier des charges du projet d’aménagement. Au printemps 2009, l’époque est à la mobilisation des groupes de projet et trois esquisses par projet sont présentées dans chacune des communes (une par groupe sélectionné). Chaque conseil municipal, avec l’aide du groupe de projet communal, choisit une équipe lauréate. À la fin de cette même année, l’équipe retenue se voit confier la réalisation d’un avant-projet sommaire qui présente les grandes orientations du projet. Enfin, en juillet 2010, la maîtrise d’ouvrage a la volonté de donner aux communes les clefs de la mise en œuvre du projet.


Le projet : Proposer une mutation au cœur du tissu villageois Pour le projet de Wavrans-sur-l’Aa, la problématique était la suivante : comment imaginer des formes qualitatives de développement urbain en milieu rural, en limitant l’étalement et en favorisant la mixité ? L’équipe pluridisciplinaire sélectionnée pour ce projet, composée d’un écologue (Michel Martino, Le Chêne Vert), d’un architecte (François Delhay, FG Architecture) et d’un paysagiste (François-Xavier Mousquet, Agence Paysages) a créé les conditions d’une dynamique de recherche novatrice. Car la commune prévoyait au départ une extension périphérique du village sur une zone d’intérêt naturel (une prairie humide au bord de la rivière de l’Aa) (figure 23 et 24), avec la création de nouveaux logements proches des lotissements qui inondent d’ores et déjà une grande partie des campagnes de la région. L’équipe de maîtrise d’œuvre décide très vite de requestionner cette commande et de proposer une alternative en décidant « d’abandonner les outils habituels de l’urbaniste »46, sur le postulat que la qualité et le caractère innovant 46. Mousquet, F-X. Reconsidérer du projet reposaient bien plus sur la dynamique à construire que le village comme un écosystème à Wavrans-sur-l’Aa sur la forme à atteindre. Cette dynamique trouve sa forme dans la volonté de recycler le village, composé de multiples corps de ferme dont la plupart des bâtiments ne sont plus en activité actuellement.

Bradel, V. (2010-4). Espace rural et projet spatial : Urbanités et biodiversité. 1st ed. SaintEtienne: Publications de l’université de Saint-Etienne. P.177

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Figure 23 : Le périmètre du projet initial puis la migration programmatique proposée par l’équipe de maîtrise d’œuvre Source : FG Architecture / Paysages / Biotope

Figure 24 : Photographie de la parcelle sur laquelle voulait s’implanter le projet de construction de logements neufs Photo personnelle

Figure 25 : Plan des liens environnementaux prévus dans le projet Source : FG Architecture / Paysages / Biotope

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Figure 26 : Plan des liens publics prévus dans le projet Source : FG Architecture / Paysages / Biotope

Figure 27 : Plan de localisation des germes Source : FG Architecture / Paysages / Biotope

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Cette vacance dans le bâti représente un potentiel de mutation considéré par les paysagistes comme les germes d’un projet à l’échelle de la commune. Un recensement des fermes et des espaces communaux potentiellement mutables en espaces publics a été réalisé. Ces germes sont pour la quasi-totalité situés sur des parcelles privées, ce qui a réclamé une implication de l’ensemble des habitants de la commune, dans un processus qui puisse accompagner l’évolution du village en s’appuyant sur ses habitants. La reconversion du bâti existant permettrait de densifier le village en intégrant des logements, mais aussi d’autres fonctions urbaines comme des espaces publics, des équipements ou des commerces. Pour ce faire, l’équipe de maîtrise d’œuvre propose d’abandonner l’élaboration d’un plan général d’aménagement au profit de la mise en place d’une cellule de veille, rendez-vous régulier entre maire, élus, techniciens et habitants pour identifier les opportunités et proposer les actions à mener. L’intérêt de ce type de dispositif est qu’il se permet de franchir les distinctions privé/public pour «promouvoir des solutions qui associent nécessairement les intérêts 47. Mousquet, F-X. Reconsidérer individuels de chaque habitant à l’intérêt collectif du village»47. Ainsi, le village comme un écosystème les habitants sont invités à participer régulièrement à la démarche à Wavrans-sur-l’Aa de projet et à inscrire leurs commentaires sur un ensemble de Bradel, V. (2010-4). Espace rural 6 cartes de la commune (Figure 25 à 27) qui sont exposées en et projet spatial : Urbanités et biodiversité. 1st ed. Saintpermanence à la mairie. Etienne: Publications de l’université de Saint-Etienne. P.178

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Le but est, en outre, de conserver et de multiplier les espaces ouverts et naturels et de permettre des porosités écologiques avec l’ouverture de chemins (bordés de haies), la création de mares, la reconstitution d’un lit naturel pour le fleuve... pour que les germes prennent ainsi appui sur le paysage existant.


La suite : Comment maintenir les ambitions sur le long terme ? La région a misé sur la démarche particulière initiée par l’équipe de maîtrise d’œuvre et les cellules de veille et décide d’accompagner la commune pendant 5 ans sur le plan logistique. Comme il a été précisé dans la première partie, les villages de cette taille sont rarement pourvus de bureaux d’étude d’ingénierie suffisants pour suivre le projet. Quand bien même les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement ont étés présents pour accompagner les élus locaux (PNR, CAUE...) sur la définition et l’élaboration du projet, le processus de transformation d’un centre bourg se pose dans des temporalités souvent très longues. Le maintien des ambitions du projet est une question qui se pose sur le long terme. Ce projet inhabituel requiert donc un mode opératoire bien particulier. Nous pouvons donc nous interroger sur les modalités du portage financier des différentes opérations du projet de campagne. Pour cela : «il convient d’être novateur»48. Création d’une charte entre habitants et élus ? Autopromotion ? la commune a pour l’instant choisi de mettre en place un lieu d’échange et de décision pour tous. Dans le prolongement des cellules de veille, un comité de veille a été instauré après le départ des concepteurs :

48. Mousquet, F-X. Reconsidérer le village comme un écosystème à Wavrans-surl’Aa Bradel, V. (2010-4). Espace rural et projet spatial : Urbanités et biodiversité. 1st ed. SaintEtienne: Publications de l’université de Saint-Etienne. P.178

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«L’instauration d’un comité de veille regroupant différents acteurs (élus,habitants, urbanistes, administrés, acteurs publics, opérateurs…) vise à informer en amont les propriétaires volontaires des orientations du projet d’urbanisme de la commune, puis à les accompagner dans la conception de leur projet de rénovation ou de construction afin que celui ci rencontre les orientations du projet municipal. Le comité aide également les élus à programmer et mettre en œuvre leur projet (étapes administratives, définitions des exigences vers les maîtres d’œuvre…). L’instance contribue à la pérennité du projet : en effet, la prise de décision partagée avec tous ces acteurs et les partenariats permettent à l’équipe municipale 49. Mousquet, F-X. Reconsidérer de tenir durablement le cap du projet.»49. le village comme un écosystème à Wavrans-sur-l’Aa Bradel, V. (2010-4). Espace rural et projet spatial : Urbanités et biodiversité. 1st ed. Saint-Etienne: Publications de l’université de Saint-Etienne. P.178

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L’équipe de maîtrise d’œuvre propose un phasage du projet sur 3 et 9 ans, ainsi qu’une projection à l’horizon 2030 (Figure 28). Seulement, comment ces ambitions portées sur un temps très long, adaptées au projet rural, peuvent-elles être tenues sur le long terme ? Comment mobiliser habitants mais aussi élus et professionnels de l’aménagement pour définir de manière partagée une cohérence d’action à mener et une constance dans le temps ?


Figure 28 : Plans de phasage du projet sur 3 et 9 ans et plan à l’horizon 2030 Source : FG Architecture / Paysages / Biotope

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Le bilan: Quelle garantie pour la réussite du projet ? Wavrans-sur-l’Aa se situe dans un contexte géographique particulier, dans une région parmi les plus peuplées de France. Outre la proximité avec la ville de Saint-Omer, Wavrans se situe également proche de plusieurs autres pôles urbains comme Boulogne-surMer, Calais et Dunkerque et est relié à Lille en 1h30 par l’autoroute 25. Cette région largement urbanisée fait de Wavrans-sur-l’Aa une campagne des villes au regard de la classification de L’INSEE. Cela lui permet d’avoir accès à un panel d’initiatives financées par les organismes publics. Ce contexte régional où les ces organismes sont en grand nombre a donné lieu à un partenariat de plusieurs institutions publiques d’aménagement du territoire. Cette maîtrise d’ouvrage collaborative, par ses importants moyens, a permis par la suite de mobiliser un groupement de maîtrises d’œuvre qualifiées et diversifiées. Cette force engagée par le syndicat mixte des Espaces Naturels Régionaux et les trois P.N.R du Nord-Pas-de-Calais a été l’élément déclencheur de ce projet innovant qui expérimente de nouvelles formes d’habiter dans les bourgs ruraux. Le projet soutenu par l’équipe de maîtrise d’œuvre est certes l’objet d’une démarche novatrice dans le contexte de pression foncière que la ville subit. Cependant, le volontarisme et l’engagement de la maîtrise d’ouvrage sur le long terme est un élément essentiel à la bonne réalisation du projet, pensé sur des temps très longs, loin 92


des projets express des promoteurs. Réfléchi dans une logique de phasage et de mobilisation des propriétaires privés, le projet de Wavrans-sur-l’Aa soulève la question du suivi dans le long terme. La maîtrise d’œuvre qui s’est constituée durant le projet et qui s’est montrée investie et novatrice dans sa démarche a été mobilisée pour un temps donné sur ce projet de longue haleine. Comment pérenniser l’accompagnement du projet dans ces temporalités particulières ? Comment réussir à mobiliser la maîtrise d’œuvre dans des temps plus longs que ceux d’une mission ? Par ailleurs, un événement a modifié le cours du projet en 2014 : le changement de l’équipe municipale. Il semble que la réflexion initiée par le Parc Naturel Régional ne figure pas parmi les priorités de la nouvelle équipe, qui n’a pas souhaité répondre positivement à mes demandes d’entretien. Comment continuer la réflexion menée sur le devenir des édifices existants et vieillissants si la commune n’est plus porteuse du projet, si les commissions de veilles disparaissent ? Reste à savoir si les habitants pourront faire preuve de motivation et de volonté pour continuer à faire exister le projet. À Wavrans-sur-l’Aa, la recherche d’un processus de projet et non d’une forme a donné lieu à une démarche qui s’appuie énormément sur les ressources humaines de la ville, en laissant une grande place aux habitants dans le déroulement de projet. Néanmoins, malgré toute la bonne volonté de densifier le centre bourg sur lui-même de la part de la maîtrise d’ouvrage et des habitants, le montage des opérations immobilières reste problématique. Aujourd’hui l n’existe pas de modèles juridiques de contractualisation public-privé adaptés au montage d’une opération qui allie les deux intérêts tout en assurant une valorisation écologique du milieu.

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De nombreux modèles apparemment adéquats n’assurent que l’un des aspects du projet, la réalisation de logements, la qualification d’espaces publics, la recherche de mixité sociale, la réhabilitation patrimoniale, la restauration de continuité écologique en milieu construit et l’implication du propriétaire dans le projet. À cette première difficulté s’ajoute le peu d’appétit des promoteurs conventionnels pour ces petites opérations complexes en milieu rural. Pour quels montages juridiques opter pour créer de nouveaux outils de promotion de rénovation des bâtiments anciens en milieu rural qui prennent en compte ses temporalités particulières ?

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Figure 29 : le village de Chaliers se développe le long d’une rue qui est également le chemin de crête Source : Google images Figure 30 : Vue sur le village depuis le bas de la vallée de la Truyère Source : Google images

Habitants : 170 (2014) Situation : rurale Paysage : sur un promontoire rocheux entre la vallée de la Truyère et les monts de Margeride. P.L.U : oui P.L.U.i : en cours d’élaboration Maîtrise d’ouvrage : Mairie de Chaliers

Maîtrise d’œuvre : Atelier d’architecture Simon Teyssou Claveirole & Coudon (géomètres) Localisation du projet : en cœur de village Propriété foncière : publique

Présence de zones à valeur écologique : La Truyère

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I UNE ARCHITECTURE DU SOL I À CHALIERS (CANTAL) Le contexte : Un bourg pittoresque mais une population en déclin Chaliers est une commune française située dans le département du Cantal en région Auvergne-Rhône-Alpes. Prenant place dans les reliefs du massif central, la ville s’installe sur les bords de la Truyère, en lisière de la Margeride50. Petit bourg de 170 habitants, Chaliers recèle un caractère rural fort qui se décline dans son patrimoine architectural fait de vieilles pierres, ses ouvertures sur le paysage ou encore ses chemins piétons qui permettent de traverser la Truyère et de se promener sur le promontoire rocheux sur lequel s’est installé le village. Niché à 820 mètres environ dans un méandre de la rivière, sa superficie est de 18,37km2 (figure 30). Entouré de petits bourgs ruraux, le village de Chaliers appartient à l’arrondissement de Saint-Flour (figure 31). La densité de population du village est de 10.56 habitants par km². Le nombre de logements sur la commune a été estimé à 147 en 2007. Ces logements se composent de 79 résidences principales, 49 résidences secondaires ou occasionnelles ainsi que 18 logements vacants51. Selon la classification de l’INSEE des bassins de vie, Chaliers se situe dans un bassin de vie de campagnes productives et est considérée comme une campagne vieillie agricole (voir figure 5). Il est vrai que la commune a plutôt tendance à se vider de sa population qu’à se remplir, avec une variation de la densité de population négative (-0,11%/an) (figure 35).

50. Région montagneuse de France, située dans le Massif central aux limites des départements du Cantal, de la Haute-Loire et de la Lozère.

51. Cartesfrance.fr. (2017). CHALIERS - Carte plan hotel village de Chaliers 15320 - Cartes France.fr. [en ligne] Disponible sur: http://www.cartesfrance. fr/carte-france-ville/15034_ Chaliers.html [Consulté le 18 Mai 2017].

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Parc Naturel Régional du Livradois-Forez

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Chaliers

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10’’

5km

NORD

La Truyère Routes principales (A) Routes secondaires (RN) Routes tertiaires (RD) PNR Villes et agglomérations

Temps de trajet en voiture Laguiole Villes touristiques

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Figure 31 : Carte de localisation du village de Chaliers dans son territoire et temps de trajet approximatif en voiture Source : Géoportail.fr

Figure 32 : Carte de localisation de Chaliers à l’échelle nationale


Figure 33 : Extrait de la carte IGN 125.000 Le bourg de Chaliers se déploie sur un promontoire Source : Géoportail.fr

NORD 0

5km

Figure 34 : Extrait de photo aérienne du bourg de Chaliers Source : Géoportail.fr

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Sa situation géographique n’en est pas la moins concernée, puisque outre le fait que le village se termine par une impasse, le bourg se situe dans une région très rurale et contrairement à Wavrans-surl’Aa, il ne dispose que d’un seul pôle d’activité aux alentours : la ville de Saint-Flour, animée par ses 6 643 habitants, qui elle-même rayonne sur bon nombre de bourgs ruraux alentours. De plus, SaintFlour se situe à 30 minutes de trajet automobile et il n’existe aucun transport en commun qui rapproche le village de Chaliers à la ville la plus proche.

52. Certains sociologues (dont Pierre Bourdieu) prévoient une mutation du tourisme en milieu rural ; d’un tourisme global vers un tourisme local qui inclut la fin d’un tourisme de masse pour aller vers un tourisme de carte

Figure 35 : Histogramme de l’évolution démographique de Chaliers de 1793 à 2014 Source : INSEE

100

Notons également que cette région, malgré son faible attrait économique, dispose d’un patrimoine naturel qui fait sa renommé et qui attire chaque année de nombreux touristes, le plus souvent des marcheurs52. Le GR des pays de Saint-Flour passe au cœur du bourg et constitue un atout pour le village (figure 33).


La commande : Une histoire de réseaux (d’assainissement) Au vu du contexte du village de Chaliers, la première question que l’on est amené a se poser est : comment financer un projet de renouvellement de l’espace public alors que la ville ne comprend que 170 habitants ? Bernadette Resches, la maire de Chaliers, explique la situation dans un court-métrage qui présente le projet53: « On a perdu notre 53. Extrait du film de présentation du bourg de Chaliers coopérative laitière en 2004, qu’est ce qui peut aider à ce que le réalisé par Lazuli Films bourg puisse revivre un petit peu ? Parce qu’on se rendait compte, disponible sur : http://www. bien sûr, qu’il y avait beaucoup de résidences secondaires. Les atelierarchitecture.fr/Urba_ Chaliers.html gens qui venaient en visite nous disaient toujours « vous avez un joli bourg », alors pourquoi ne pas profiter tout simplement du site ? Il fallait donner aux gens l’envie de vivre à Chaliers. Donc comme nous avions les travaux d’enfouissement [des réseaux] à effectuer, il fallait lancer le projet mais en plusieurs tranches ; nous sommes une petite commune de 200 habitants avec les moyens qui lui reviennent donc on a fait le choix de faire tout d’affilé, de lancer le projet d’un seul coup. Le projet a débuté en 2004 ou 5, on a laissé traîner dans le temps justement parce qu’on voyait que ça allait être très compliqué. Tout en gardant des petites réserves sur notre budget. Quand on a pu obtenir des subventions, on a dit hop, on s’y jette! » Ainsi, le projet débute avec la reprise intégrale du réseau d’eau pluviale du village. CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Chaliers 101


Pour un coup total de près de 500 000 euros, financé en partie par le département et l’État, le projet est confié à l’équipe de maîtrise d’œuvre Atelier du Rouget Simon Teyssou et associés. C’est cette même équipe qui a conçu le plan d’aménagement global de la commune en 2006 et qui se voit rappelée après l’obtention des subventions. Les travaux sont effectués en deux tranches entre janvier 2013 et octobre 2014. En 2013, ce sont les réseaux d’eaux pluviales qui ont été rénovés et ceux également de l’électricité et du téléphone qui ont été enfouis conjointement. L’année suivante, le nouveau visage du bourg est progressivement apparu.

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Le projet : Un aménagement spécifique à la commune La traverse principale de Chaliers est son espace public principal, trait caractéristique des villages-rues sans épaisseur (Figure 29, 33 et 34). Cette voie était antérieurement dans un piteux état, caractérisé par une bande roulante en enrobé réalisée avec des agrégats d’origine volcanique et parsemée de reprise. La présence de bas-côtés enherbés ou de petites étendues en stabilisé servant de stationnement était permise par l’élargissement ponctuel de la voie. Les maîtres d’œuvre ont trouvé dans cette traverse un espace non sans intérêt. Le projet consistait à redessiner cette traverse en diminuant la largeur de la bande roulante, à qualifier les accotements et les seuils devant les habitations. Le village était doté d’éléments à caractère patrimonial, tels qu’un presbytère du XIIXème, une église du XIème siècle ou encore la mairie. Outre les éléments architecturaux, ce qui fait la qualité de ces espaces, c’est leur vue ; chacun est un véritable belvédère sur la vallée de la Truyère. Le projet consistait alors à mettre en valeur ces éléments avec un travail essentiellement porté sur la matérialité du sol. Devant chaque édifice singulier, trois placettes ponctuent le parcours linéaire du village-rue et agissent comme des pièces qui mettent en scène les vues sur la Truyère.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Chaliers 103


Figure 36 : La « pièce » devant le presbytère constituée d’un dallage de granit Source : ww.atelierarchitecture.fr

Figure 37 : Les bords de rue sont constitués de bas-côtés plantés de fleurs rustiques données en gestion aux habitants Source : ww.atelierarchitecture.fr

Figure 38 : Devant la mairie, un muret de pierres sèches surplombé d’un banc en bois permet d’admirer la vue sur le paysage Source : ww.atelierarchitecture.fr

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Figure 39 : En contrebas de l’église, le stationnement est intégré dans la pente et un élément de micro-architecture vient accueillir les poubelles Source : ww.atelierarchitecture.fr

Figure 40 : Devant la mairie, le traitement du sol est continu de la façade au belvédère, réalisé en bloc de gneiss Source : ww.atelierarchitecture.fr

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Chaliers 105


Chaque entité construite possédant des caractères bien distincts, le traitement du sol, sous forme de parvis, est lui aussi divisé en trois types de matérialité différentes : au niveau du presbytère, un dallage en granit qui entoure l’ancien perron (Figure 36); en contrebas de l’église se trouvait une articulation entre plusieurs parcours piétons, une forte pente et également l’intégration d’un espace de stationnement et d’un lieu d’entrepôt des poubelles sélectives (Figure 39). L’intégration de ces éléments dans le projet permet de faire de cette placette une place polyvalente avec l’installation d’un ouvrage en pierre devant le stationnement, promenade qui met en scène la vue privilégiée sur la Truyère. Enfin, au niveau de la mairie, la présence d’un matériau de sol unique de la façade jusqu’au bout du belvédère, via un traitement du sol qui permet le stationnement des voitures, une promenade mais aussi la réalisation de manifestations (mariages, fêtes...)(Figure 38 et 40). De plus, devant les habitations, différents espaces ont été aménagés pour planter dans l’espoir que ceux-ci soit entretenus par les habitants (Figure 37). Ces plates-bandes, déjà présentes à certains endroits, ont été généralisées tout au long de la rue principale. 54. Extrait du film de présentation du bourg de Chaliers réalisé par Lazuli Films Disponible sur : http://www. atelierarchitecture.fr/Urba_ Chaliers.html

55. Ibidem

106

Ce projet « d’architecture des sols »54, pour reprendre les termes de Sylvain Teyssou, est volontairement sobre et apporte une réponse locale dans une grande pertinence et ce notamment dans la mise en œuvre de son sol selon divers aspect, en lien avec la topographie, en rapport avec le bâti et par l’usage de matériaux locaux et cohérents dans ce paysage particulier. Ce projet a permis au village de mettre en valeur son identité rurale. Pour reprendre les termes de Bernadette Resches, « ce qui nous a plu dans ce projet c’est justement la simplicité : on ne voulait surtout pas de trottoir. On voulait de l’herbe, des fleurs, des matériaux que l’on trouve dans nos régions [...] On a vraiment le sentiment


maintenant que l’aménagement du bourg à été fait spécifiquement pour le bourg de Chaliers, et on le verra pas ailleurs... J’espère ! »55.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Chaliers 107


Le bilan : L’espace public fait-il le village ?

Proche de l’autoroute que relie Clermont-Ferrand à Beziers,

certes dans une région peu dense et à caractère rural productif au regard de l’INSEE, Chaliers est une commune en quête d’une nouvelle économie. Après la perte de la coopérative laitière en 2004, le village a perdu son activité économique principale. C’est dans le but de redynamiser son village que l’élue locale a fait preuve d’investissement et de volontarisme dans le projet par la recherche de financements auprès des institutions publiques. Par contre, Il est intéressant de relever que ce projet, contrairement à celui de Wavrans-sur-l’Aa, ne défend pas la convocation de l’avis des habitant. Proche des classiques schémas d’aménagement d’espace public en milieu urbain, le projet d’aménagement des espaces publics à Chaliers peut-il être regardé comme un exemple de projet de campagne ? Tablant sur la mise en valeur du paysage et du patrimoine, l’aménagement réalisé à Chaliers, fait de micro-lieux polyvalents, offre un espace public de qualité qui permet au village d’être plus attractif pour attirer les touristes mais également de potentiels nouveaux habitants. Mais cela est-il suffisant pour dynamiser le village ? Outre le fait que cette intervention apporte une plus-value évidente au cadre de vie des habitants et des visiteurs, cet embellissement ne permet pas d’apporter un dynamisme économique. Depuis, nous pouvons constaté qu’il n’y a pas eu d’installation de nouvelles activités. Néanmoins, le projet a été plébiscité dans de nombreux concours et a obtenu, en novembre 2015, le 1er prix du concours 108


régional Valeurs d’exemples - catégorie Espaces publics des communes de moins de 2000 habitants, organisé par le CAUE d’Auvergne. De plus, il a été sélectionné pour représenter la France à la 15ème biennale d’architecture de Venise (2016). Présenté au milieu des projets d’espaces publics urbains, le projet de Chaliers véhicule une certaine image de la campagne. Celle où l’espace public est conçu pour mettre en valeur les éléments marquants de l’histoire du village et utilise des matériaux locaux. Cependant, le processus de développement et de réalisation reste semblable à ceux des projets urbains. Celui-ci agit à court terme, pour répondre à une seule partie de ce que nous avons défini comme le rural habité. Celle d’une campagne cadre de vie dessinée pour des besoins urbains (résidentielle, touristique..). Même s’il fait preuve de toutes les qualités citées précédemment, il pourrait être perçu comme la manifestation d’un mouvement de muséification d’une campagne patrimoniale et pittoresque et plus sur un rural habité, fait de multiples usages.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Chaliers 109


Figure 41 : Le quartier de l’Ollière avec le château de Châteldon (XIIème siècle), en arrière plan les collines du Livarois Source : Google images Figure 42 : Maisons médiévales dans le quartier de l’Ollière Source : Google images

Habitants : 1290 (2014) Situation : rurale à périurbaine Paysage : Dans la vallée du Vauziron, entre la vallée de L’allier et les monts du Livradois P.L.U : oui P.L.U.i : non Maîtrise d’ouvrage : P.N.R du Livradois-Forez

Maîtrise d’œuvre : Collectif ETC Localisation du projet : quartier de l’Ollière, faubourg du village Propriété foncière : publique Présence de zones à valeur écologique : Présence d’une source d’eau minérale naturellement gazéifiée

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I RÉSIDENCE ET RESSOURCES HUMAINES I À CHÂTELDON (PUY-DE-DÔME) Le contexte : Un bourg de caractère dans une région attractive Châteldon est une commune française, située dans le département du Puy-de-Dôme en région d’Auvergne-Rhône-Alpes. Village de 780 habitants situé au nord du Parc Naturel Régional du Livradois Forez, à mi-chemin entre Thiers et Vichy (Figure 43), Châteldon appartient à l’arrondissement de Thiers et est relié à celui-ci et à Vichy par les lignes de bus du Conseil Départemental. Situé à l’écart de la route principale de Vichy à Thiers, à 16 kilomètres de Thiers et à 20 kilomètres de Vichy, Châteldon est relativement proche de ces deux pôles d’activités, tout à fait accessibles en voiture. D’ailleurs cette position n’est sûrement pas étrangère à l’évolution de la densité de population est dans le village positive et de +0.27 %/an.56 On voit sur la figure 47 que cette densité longtemps en déclin a commencé à devenir positive depuis les années 2000.

56. Données de 2006

La commune est située dans la région naturelle des Bois Noirs, une zone de transition entre la plaine et la montagne. Connu pour sa célèbre eau minérale naturellement gazéifiée, le bourg historique s’est développé en fond de la vallée du Vauziron, sous-affluent de la Dore, au pied du château qui s’est installé sur un promontoire (Figure XX). Le village est constitué de deux faubourgs : le centrebourg et le faubourg de l’Ollière. Ce dernier est caractérisé par un bâti ancien, modeste, quelques-fois médiéval et souvent très dégradé. CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 111


Lapalisse 3100hab

40’’ Vichy 25300hab Gannat 5900hab

20’’

A71 Orléans <-> Clermont-ferrand

Châteldon Parc Naturel Régional des Volcan s d’Auvergn

e

1290hab Puy-Guillaume 2700hab

RIOM 18800hab

A89

Gerzat 10500hab

Lezoux 5900hab Pont-du-Château 10700hab

CLERMONT -FERRAND 141400hab

0

10’’

COURNON -D’AUVERGNE

Parc Naturel Régional Courpière du Livradois-Forez 4300hab

19500hab

5km

NORD

Routes principales (A) Routes secondaires (RN) Routes tertiaires (RD) PNR Villes et agglomérations Temps de trajet en voiture

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Thiers 11600hab

Bordeaux <-> Lyon

Figure 43 : Carte de localisation du village de Châteldon dans son territoire et temps de trajet approximatif en voiture Source : Géoportail.fr

Figure 44 : Carte de localisation de Châteldon à l’échelle nationale


Figure 45 : Extrait de la carte IGN 125.000 Le bourg de Châteldon se déploie sur un promontoire Source : Géoportail.fr

NORD 0

5km

Figure 46 : Extrait de photo aérienne du bourg de Châteldon Source : Géoportail.fr

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 113


De plus, le taux de vacance des habitations était ici très important (plus de 20%). Le nombre de logements sur la commune a été estimé à 589 en 2007. Ces logements se composent de 359 résidences principales, 136 résidences secondaires ou occasionnels ainsi que 94 logements vacants. Selon la classification de l’INSEE des bassins de vie, Châteldon se situe dans un bassin de vie de campagnes productives et est considérée comme une campagne à dominante ouvrière ou industrielle (voir figure 5).

Figure 47 : Histogramme de l’évolution démographique de Châteldon de 1793 à 2014 Source : INSEE

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La commande : Des aides de l’État pour une offre d’accueil qualifiée Le projet prend place dans le cadre du programme Habiter autrement les centres-bourgs, porté par le Conseil Général du Puy-de-Dôme et par le P.N.R Livradois-Forez, par ailleurs maître d’ouvrage du projet. Le département, en association avec le P.N.R, a été lauréat d’un appel à projet lancé par la DATAR à l’attention des départements et leurs territoires souhaitant construire une offre d’accueil qualifiée. Ce programme porte sur la question de l’accueil des nouveaux habitants et du maintien des populations existantes dans les centres-bourgs ruraux. Il se développe sur deux ans, de septembre 2011 à septembre 2013. L’ambition de ce programme consiste à concevoir et tester, sur six ensemble de bourgs ou de villages du P.N.R, une démarche de projet permettant d’accompagner les collectivités et les professionnels de l’aménagement vers le renouvellement de l’habitat des bourgs et villages (Figure 48). Sur les douze communes qui ont fait acte de candidature pour participer au programme, six ont été retenues. Elles sont représentatives des difficultés que rencontrent aujourd’hui les centres-bourgs du Massif-Central.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 115


C’est le collectif ETC qui a été retenu pour mener cette étude dans la commune de Châteldon. Le collectif se présente comme «une structure d’expérimentations urbaines et optimistes qui questionne le lien entre aménagements et dynamiques sociales. [Ils tentent] de réinventer les conditions d’émergence des projets, à mi-chemin entre l’architecture, l’urbanisme et l’art. Nos actions modifient de façon temporaire des lieux et paysages urbains entraînant le passant, 57. http://www.collectifetc.com/ l’habitant et l’usager dans des processus interactifs.57»

Figure 48 :Les ambitions du programme Habiter autrement les centres-bourgs Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

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Le projet : Habiter autrement le centre-bourg Selon le collectif ETC, les lieux de vie des centres-bourgs perdent petit à petit leurs qualités sociales du fait de l’accroissement de la vacance et de la dégradation du bâti. Le délabrement de ce bâti nuit à la qualité du cadre de vie et à l’attractivité de ces ensembles. Autrement dit, il participe à la fragilisation d’un territoire. Pourtant, les nombreux bâtiments anciens des bourgs et villages constituent des réserves foncières, déjà équipées et viabilisées pour accueillir un nouvel habitat, alternative à l’étalement périphérique. Dans sa méthode, le collectif défend une approche optimiste, s’appuyant sur les ressources humaine locales. Sa démarche particulière repose sur un rôle non pas de classique dessinateur du projet mais celui d’un accompagnateur de projets. Dans cette optique, le collectif propose de s’installer dans la commune pour y travailler, y vivre et tenir un lieu ouvert au plus proche du lieu de projet et de leurs habitants, pendant la durée de l’étude. La méthode d’intervention du collectif s’est déroulée en sept étapes qui s’appuient sur les ressources humaines locales. Les figures 49 et 50 retracent les différentes séquences de l’étude. La particularité de cette démarche réside dans la volonté du collectif à eux-mêmes habiter autrement le centre-bourg de Châteldon. C’est-à-dire de venir s’y installer, y vivre et y travailler. CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 117


Figure 49 :La démarche du collectif ETC schématisée Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

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Figure 50 :La démarche du collectif ETC schématisée Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 119


Cela pour s’immerger dans la vie de la commune au plus près des acteurs locaux. Utiliser la résidence comme outil de projet permet d’établir une permanence et d’ouvrir le local au public qui instaure un dialogue régulier qui nourrit la réflexion du projet. Ainsi, le collectif pose ses valises dans l’ancien bar-restaurant de la place centrale du quartier de l’Ollière, fermé depuis des années. La résidence est programmée sur six mois. Vient alors le temps de donner un nom au local. Souhaitant faire un clin d’œil à l’association de Châteldon T.O.U.F (Tous à l’Ollière Unis pour le Four), qui entretient et fait chauffer le four à pain du village, le collectif décide de nommer l’initiative P.O.I.L (Projets pour l’Ollière & Idées Locales). Dans ce lieu, le collectif expose son travail, son déroulé et son avancement, les projets potentiels et leurs développements. Atelier d’urbanisme improvisé pour le temps de l’étude, il dispose d’un atelier et d’espaces de stockage du matériel, d’un grand bureau, d’espaces de réunion, d’expositions et d’accueil du public. Ce lieu est un véritable support de communication et d’échanges. Pour le collectif, l’étude se base avant tout sur les rencontres avec les gens qui vivent, pratiquent et façonnent ce territoire. À chaque étape de l’étude, environ une fois par mois, un temps est consacré à la présentation de l’avancement du travail à un comité de suivi composé d’habitants, d’élus, de techniciens et du bureau municipal. Après un mois de phase de rencontres, les propos et les idées recueillis ont permis de constituer une réserve d’informations qui a servi au collectif comme base pour émettre plusieurs hypothèses de projet. Une quarantaine d’hypothèses ont été générées par le collectif. La force de ces hypothèses réside principalement dans le fait qu’elles correspondent à des besoins ou des attentes identifiées 120


durant la phase de rencontres. Onze familles de projets se sont distinguées : - Co-fabriquer nos espaces publics - Jardiner en centre-bourg - Établir une stratégie foncière et immobilière - Accompagner les projets architecturaux de chacun - Développer activités économiques et services - Faciliter les mobilités - Vers une reconquête des territoires forestiers - Valoriser les cheminements dans la commune - Redécouvrir les trésors cachés de Châteldon - Accueillir les visiteurs - Des outils de communication Ces onze axes, qui regroupent des domaines très variés, sont mis en commun par le collectif avec la création d’un cadre commun à travers la création de fiches-projets (Figure 51 à 53). Vient ensuite une semaine dite d’activation, une semaine festive pour présenter le travail du collectif à tous les Châteldonnais avec l’installation d’une exposition au P.O.I.L et à travers des journées étude-action qui rythmaient la semaine. Chaque jour, un outil-exploratoire est développé : la visite, la randonnée, le projet architectural, le marché, le chantier, la maquette.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 121


Figure 51 :Le gabarit d’une fiche de projet Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

Figure 52 :Trois exemples de fiche de projet Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

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Figure 53 :Deux exemples de fiche de projet remplies par le collectif selon les besoins et les attentes des habitants Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 123


Après une année de rencontres, de fabrication des hypothèses de projet et d’activation auprès des habitants, le collectif entame la deuxième phase du projet qui consiste à passer à la concrétisation des ambitions d’avenir pour le centre-bourg. «On pose les jalons du lancement des projets...»58. C’est aussi le moment de choisir 58. Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, certains sujets autours desquels développer le processus de projet, 2014, PDF. soulevant des questions spécifiques et pertinentes pour Châteldon. Six sujets de travail se sont alors détachés d’eux-mêmes, au fur et à mesure des discussions avec le Parc, la commune et les habitants du comité de suivi (Figure 54). Enfin, sur la dernière phase d’étude, il s’agit pour le collectif de développer des pistes de projet pour chacun des sujets de travail. Six dossiers sont ainsi réalisés, montrant des prototypes de projets à la forme transmissible pour tous (Figure 55 et 56).

Figure 54 :Les six sujets de travail qui se sont détachés Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

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Figure 55 :Cartographies réalisées par le collectif pour l’un des sujets de travail : Valoriser les espaces publics. La carte à gauche présente les éléments de diagnostic des espaces publics du village, tandis que la carte à droite présente les potentiels d’évolution de ces espaces. Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 125


Figure 56 :Deux ecemples de développement des sujets de travail Source : Collectif ETC, Projets pour l’Ollière et idées locales au P.O.I.L, 2014, PDF.

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Le bilan : Un processus de projet au rythme des habitants Nous sommes à Châteldon dans une situation géographique plus ou moins similaire à celle de Chaliers. Campagne productive au regard de l’INSEE, la différence réside principalement dans le fait que Châteldon fait partie du PNR Livradois-Forez, organisme moteur du projet. Proche des grands axes de communication qui relient Vichy à Thier, Châteldon vit au rythme de ses influences urbaines. Le collectif ETC a fait preuve d’une démarche particulièrement ancrée dans le territoire traduite par un travail en résidence. Durant un temps long (2 ans), et toujours sur place, ils ont pu impulser une dynamique au plus proche des habitants. Ce qui a permis au projet de se former à travers les nombreuses interactions et, par phénomène de ricochets, à faire émerger une multitude de propositions. Cette démarche, inscrite dans le territoire et en lien avec ses habitants, a dégagé un panel de projets qui répondent aussi bien à une campagne cadre de vie (valorisation de l’espace public - Figure 55) qu’à une campagne ressource (réactualisation des espaces commerciaux- Figure 56 ) ainsi qu’à une campagne nature. Cependant, ce dernier volet du rural habité, qui concerne la préservation et la valorisation des ressources naturelles, était bien présent au début du projet.

CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 127


Au cours du développement des six sujets de travail, la figure naturelle a laissé place à celle du cadre de vie en réduisant la nature a des petits espaces mis en scène en cœur de ville, au détriment de la campagne hors les murs (espaces naturels agricoles ou forestiers). Certaines remarques émises sur le projet de Wavrans-sur-l’Aa peuvent être également pertinentes dans le contexte de Châteldon. La prise en compte des dynamiques de longue temporalité laisse place à une réelle expérimentation d’une nouvelle façon d’habiter l’espace rural. Il en est de même pour la question du montage financier des opérations immobilières dans cette temporalité particulière. Contrairement à la commune de Wavrans-sur-l’Aa, certaines solutions se dessinent quand à la matérialisation de ces petites opérations foncières en milieu rural. Une convention opérations d’ensemble a été signée le 27 juillet 2016 entre la commune, l’EPF-Smaf (Etablissement Public Foncier d’Auvergne) et le PNR Livradois-Forez afin d’accompagner la collectivité à mettre en place des politiques foncières anticipatrices. Dans ce cadre, la commune continue ses appels à subventions dans le sens de l’étude réalisée par ETC. Auprès du Fond Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER), la ville a obtenu une subvention pour la réhabilitation de trois logements situés en plein cœur du centre-bourg, près de la place Jean Jaures où résidait le collectif. En association avec le bailleur social Ophis, elle propose également d’expérimenter l’habitat participatif sur une parcelle non bâtie. Ce troisième projet montre une nouvelle méthode d’action du projet de campagne qui s’appuie sur la petite échelle pour construire la grande échelle.

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CAMPAGNES EN PROJET _ Des projets de campagne : étude de cas _ Châteldon 129



CONCLUSION L’ÉMERGENCE DU RURALISME ?


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I ÉVOLUTIONS MULTIPLES I POUR DES CAMPAGNES PLURIELLES

Nous voyons à travers ces exemples de projets de

campagnes que les territoires ruraux sont extrêmement divers et que les enjeux auxquels ils sont soumis expriment cette variété de situation. La variété des enjeux, témoin de la variété des campagnes Françaises, nécessite une mobilisation de tous les acteurs publics. L’intervention de l’État doit s’accompagner d’une intervention des collectivités locales, capables d’assurer la prise en charge de cette diversité des situations au plus près des acteurs ruraux. Loin de constituer des images figées, les multiples visages de la France rurale sont amenés à évoluer. Ces territoires ruraux ne sont pas enfermés dans un unique schéma de développement. C’est sur cette conviction que doit se fonder l’action publique. Ces évolutions décrites précédemment conduisent à des formes différenciées de recomposition des rapports ville-campagne, nature-culture, individu-société. Une prospective Nouvelles Ruralités a été menée par un groupe de travail qui a réuni de 2006 à 2008 une vingtaine d’ateliers de réflexion. Cette prospective a pour objectif d’«explorer des futurs possibles du rural à l’horizon 2030 en réinterrogeant les catégories spatiales et la notion même de ruralité. En abordant la notion de ruralité au pluriel, dans toute sa polysémie, cet exercice prend le parti de garder cette notion ouverte sans la naturaliser, afin de pouvoir la réinterroger à partir de multiples dynamiques et innovations contemporaines (dans les pratiques, les styles de vie…).»59

59. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ. P.6

CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Évolutions multiples pour des campagnes plurielles 133


La démarche adoptée dans ce projet repose sur l’élaboration de scénarios d’évolution des ruralités à l’horizon 2030 qui prennent en compte une évolution conjointe des villes et des campagnes comme une nouvelle alliance majeure de leur transformation, forme d’interterritorialité. Les devenirs possibles des campagnes à l’horizon 2030, sont définis en quatre composantes d’évolution :

- Mobilités dans les rapports ville-campagne - Dynamiques économiques dans les campagnes - Ressources naturelles et patrimoines - Gouvernance des territoires ruraux

Ces quatre composantes ont soulevé une série d’enjeux qui ont construit les quatre scénarios, basés sur la combinaison d’hypothèses d’évolution des composantes des campagnes. Ces scénarios présentent la multitude d’évolutions possibles des territoires ruraux par l’identification des tendances émergentes les caractérisant. Suivant leur contexte et leur histoire, ils produisent des dynamiques spécifiques. Il est de mise de préciser que l’image des campagnes de France de demain serait davantage l’histoire d’une hybridation des différents scénarios que l’expression d’un seul. Non exclusifs les uns des autres, ces scénarios peuvent coexister sous des formes différentes et sur divers territoires. La méthode des scénarios a été utilisée afin d’établir des récits qui décrivent les futurs possibles des ruralités à l’horizon 2030. La prospective permet alors de s’extraire de situations qui semblent aller de soi, d’explorer des controverses en envisageant des futurs contrastés, de souligner les tensions et impasses qui peuvent découler d’évolutions tendancielles, et enfin, de repérer les émergences et ruptures possibles.

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COMPOSANTES

SCÉNARIO 1 Les campagnes

SCÉNARIO 2 Les campagnes

SCÉNARIO 3 Les campagnes

SCÉNARIO 4 Les campagnes dans

de la diffusion métropolitaine

intermittentes

au service de la

les mailles des réseaux

des systèmes

densification urbaine

des villes

métropolitains Mobilités dans les

Mobilités déterminés

Intermittences

rapports villes-

par la périurbanisation

cycliques

campagnes

de la métropole

Dynamiques économiques dans les campagnes

Économie résidentielle

Transports limités : les

Mobilité déterminée

gens se regroupent dans la ville qui s’élève en hauteur

Économie présentielle

et agricole

Économie spécialisée et fonctionnalisée par la ville

par les réseaux des bourgs et petites villes

Économie territoriale

Ressources naturelles et patrimoines

Érosion de l’espace agricole et naturel et création d’espaces sanctuarisés

Forte attractivité des espaces agricoles et naturels

Nature dans la ville et partition des espaces naturels et ruraux

Combinaison de paysages agricoles et d’espaces naturels

Gouvernance des territoires ruraux

Faible, induite par le développement de la métropole

Variété d’initiatives pour mettre en oeuvre l’attractivité des espacex ruraux

Assujettie à la planification urbaine

Forte, élaboration de projets de territoires cohérents et concentrés

Éléments de contexte Laisser-faire, transport aisé

Forte innovation sociétale, technique et de gouvernance

Crise énergétique Fortes politiques européennes des régions

Le scénario 1 : Les campagnes de la diffusion métropolitaine «En 2030, sous l’effet d’un processus de périurbanisation très poussé, une large part des espaces ruraux sont situés dans les aires d’influence des métropoles, qui atteignent parfois la taille de région toute entière. Entre ces aires métropolitaines, des espaces intermédiaires sont dévolus à l’agriculture agro-industrielle. L’expansion des zones urbanisées résulte d’un certain laisserfaire dans les politiques publiques de planification et d’un maintien des coûts des mobilités quotidiennes à des niveaux acceptables ainsi que sur l’usage de véhicules électriques.»60

Forte politiques publiques

Figure 57 :Tableau synthétique des hypothèses d’évolution des ruralités à l’horizon 2030 Source : Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ.P.32 Schéma personnel

60. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ. P.34

CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Évolutions multiples pour des campagnes plurielles 135


Ce scénario est l’expression du phénomène de périurbanisation poussé à son paroxysme qui, de manière diffuse, a donné naissance à un vaste tissu discontinu. Tissu de champs et de forêts, dans lesquels s’implantent des logements pavillonnaires plus ou moins concentrés, des infrastructures routières et des zones d’activités. Dans ce scénario, les lieux de résidence, de travail, de commerce et de loisirs sont fortement dissociés , demandant aux individus qui les pratiquent de réaliser d’importants déplacements quotidiens. Diverses métropoles régionales ont emérgé, définies pour l’essentiel par une activité économique, ce qui laisse aux espaces ruraux et périurbains une activité essentiellement résidentielle. Les paysages ruraux et périurbains se fragmentent et se banalisent. L’agriculture prend place dans un contexte de forte concurrence sur les usages du sol quand les espaces de nature sanctuarisés se développent ça et là. Finalement, ce scénario est celui du laisser-faire de l’action publique vis à vis de la périurbanisation. De fait, les ménages aménagent le territoire.

Le scénario 2 : Les campagnes intermittentes des systèmes métropolitains

61. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ. P.37

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«En 2030, un grand nombre de territoires ruraux attractifs sont connectés aux systèmes métropolitains ; les individus alternent des séjours sur ces espaces, combinant ainsi les usages de la ville et de la campagne. En lien avec une mobilité hebdomadaire ou mensuelle accrue, permise par une forte innovation sociale et technique, le rapport des individus à l’espace a évolué dans le sens d’une valorisation de la multiappartenance. Cependant en dehors de ces territoires rurauxconnectés subsistent des espaces orientés vers l’agro-industrie ou occupés par des forêts.»61


Ce scénario-ci témoigne d’un nouveau mode de vie étroitement lié au développement d’une économie métropolitaine dynamique et centrale. Multi-résidents, les individus alternent entre séjours en ville et à la campagne sur des rythmes hebdomadaires, mensuels ou annuels. Les territoires ruraux sont connectés par des réseaux de transports collectifs performants et développent une économie présentielle62. Le désir de campagne se manifeste aujourd’hui dans 62. Le terme d’« économie présentielle » désigne les activités cette valorisation des territoires ruraux. Il correspond à la recherche économiques et les besoins de d’un antidote à la ville, quête temporaire d’un paysage agréable service générés par la population et d’un beau cadre de vie. La reconfiguration des territoires ruraux présente sur un territoire, la population effectivement « s’est accompagnée d’une patrimonialisation des espaces naturels présente » en un lieu pouvant et agricoles. être différente de la population « résidente ». La population présente Le scénario 3 : en un jour donné se définit de la manière suivante: population Les campagnes au service de la densification urbaine résidente - résidents en voyage ce jour hors du département + «En 2030, les rapports villes-campagnes ont radicalement touristes présents ce jour.

changé si on les compare à ce qu’ils étaient au début du siècle. L’arrêt du développement résidentiel des espaces ruraux constitue le principal retournement de tendance par rapport aux migrations résidentielles observées il y a 30 ans. Une augmentation forte du coût de l’énergie et la mise en place de politiques de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre ont remis en cause le modèle de déplacement individuel basé sur l’automobile en limitant les mobilités des personnes. Anticipant ces évolutions, les grandes villes ont inventé de nouvelles relations avec leur arrière-pays et des formes de ruralités intra-urbaines, grâce à de fortes interventions publiques dans les domaines de l’habitat et du transport.»63

63. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ. P.40

CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Évolutions multiples pour des campagnes plurielles 137


Ce scénario découle d’un changement imposé par une variable exogène, dans l’hypothèse d’une crise énergétique. Le territoire a été bouleversé par une limitation des mobilités individuelles, liée à l’augmentation du coût du pétrole. En l’absence d’énergie de substitution et d’innovations technologiques liées aux déplacements, l’usage résidentiel des campagnes a régressé et la périurbanisation a pris fin. Face à cette crise, les villes se densifient et se verticalisent pour pouvoir y loger les nombreux ruraux venant s’y installer. Les espaces ruraux loin des villes, fortement dépeuplés, connaissent une organisation où l’agriculture industrielle est strictement séparée des espaces protégés. Les campagnes proches des villes mêlent quant à elles parcs urbains et activités agricoles, rendant la ville plus agréable à vivre.

Le scénario 4 : Les campagnes dans les mailles des réseaux des villes

64. Mora, O. (2008). Les nouvelles ruralités à l’horizon 2030. Versailles: Éditions Quæ. P.43

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«En 2030, les rapports villes-campagnes se sont réorganisés pour limiter la tendance de périurbanisation des grandes agglomérations encore observée il y a 30 ans. Les migrations résidentielles se sont portées plutôt vers des bourgs ruraux, des petites villes et des villes moyennes; depuis le début du siècle, les espaces périurbains des métropoles n’ont eu qu’une croissance démographique modérée. Des campagnes résidentielles et productives se sont structurées ; les équilibres territoriaux y reposent sur une complémentarité ville-campagne, sur une diversité de formes productives, et sur l’affirmation d’une gouvernance territoriale par projet.»64 En 2030, les individus ne sont plus attirés par les grandes agglomérations, mais par les villes moyennes ou petites et par les bourgs ruraux. Des complémentarités entre la ville et la campagne sont permises par une répartition équilibrée des populations et des


activités. Les territoires sont des espaces multipolarisés, structurés par des réseaux de villes et de bourgs, où espaces ouverts et réseaux urbains sont fortement imbriqués. Ces réseaux permettent désormais aux résidents ruraux d’avoir accès à une gamme complète de services et d’emplois, distribués sur l’ensemble des villes. C’est une économie territoriale équilibrée qui s’est développée ici. Les emplois sont localisés en grand nombre dans les petites villes. Différentes agricultures (intensives, conventionnelles, bio, etc.) coexistent. Les espaces agricoles et forestiers s’imbriquent avec des espaces naturels protégés. Ces paysages complexes et divers fournissent un cadre de vie recherché et renforcent les fonctions écologiques des milieux. La gouvernance territoriale garantit de fait une articulation stable entre les différents usages, les habitants, les activités et prenant en compte les écosystèmes et la culture. Elle s’appuie sur une forte mobilisation des acteurs locaux impliqués dans des projets de territoire, animés par des collectivités territoriales et soutenus par des politiques publiques nationales. Ces quatre scénarios explorent ainsi des dynamiques contrastées d’évolution des campagnes. Bien que l’horizon commun soit 2030, ils ne s’inscrivent pas nécessairement dans les mêmes temporalités car certains, plus que d’autres, supposent des mutations radicales des comportements et des modes de gouvernance. Les deux premiers s’appuient sur des évolutions tendancielles et les amplifient (la périurbanisation dans un cas, la multiappartenance et la mobilité dans l’autre). Les deux suivants sont eux des scénarios de rupture (crise des énergies fossiles dans un cas, évolution profonde des pratiques indiduelles et de la gouvernance dans l’autre). Chaque scénario représente l’illustration d’un avenir possible, sans véritable exclusion des autres. Dans un contexte d’évolution rapide des formes urbaines à l’issue incertaine, les scénarios construits par la prospective présentés ci-dessus montrent que la capacité des acteurs à transformer leur territoire est déterminante. CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Évolutions multiples pour des campagnes plurielles 139


La diversité actuelle des ruralités et la pluralité de leurs évolutions possibles impliquent de rester attentif à la diversité des territoires. Il n’existe pas une seule et unique direction en ce qui concerne l’avenir des territoires ruraux. Alors que les espaces urbains ne sont plus les villes d’autrefois, de nouvelles formes de campagne se dessinent. En effet, les mutations importantes, soulevées tout au long de cette recherche, sont en cours dans les espaces ruraux. Elles mettent en jeu des transformations importantes dans les relations ville-campagne (migrations résidentielles, mouvement pendulaire, tensions sur les usages de l’espace etc.) et rendent inopérantes les distinctions faciles entre urbain et rural. Ces évolutions conduisent la réflexion prospective à dépasser cette dichotomie et invitent à explorer à nouveau la notion même de ruralité, dans ses acceptions et ses avenirs pluriels.

140


CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Évolutions multiples pour des campagnes plurielles 141


142


I URBANITÉ, URBANISME I RURALITÉ, RURALISME ?

Les territoires ruraux ont eux aussi entrepris leurs mutations

vers des campagnes post-modernes, selon leurs propres ressources 65. Dans Le projet local, Alberto et caractéristiques. Ces expériences sont peut-être plus modestes Magnighi revisite la question qu’en ville, frugalité des moyens oblige. Elles sont surtout moins locale dans les échelles de l’aménagement du territoire et valorisées, moins diffusées. Il paraît important d’aller puiser dans ces réflexions, ces travaux et ces réalisations, pour définir ce qui les dénonce : « Le développement économique conventionnel, relie. Les politiques publiques devraient pouvoir s’inspirer, comme perçu au travers de la seule elles l’ont fait pour les métropoles, des expériences concrètes croissance du PIB - indicateur des territoires ruraux. Aussi diversifiées et contrastées soient-elles, pour le moins équivoque et de plus en plus contesté -, souffre elles sont riches d’enseignement. Cette attention au terrain devrait d’un mal profond et rédhibitoire redevenir le leitmotiv des politiques publiques, en lui redonnant : il est déterritorialisé. » C’est selon l’auteur ce processus qui une juste mesure, surtout dans un contexte où les restrictions organise l’uniformisation des budgétaires réduisent les marges de manœuvre des collectivités modes de vie et l’interdépendance locales. généralisée, engendrant la dégradation de la qualité de vie sur tous les territoires, même Actuellement, les territoires ruraux français sont mis à mal par nos ceux des villes les plus riches. modèles spatiaux, tendant à l’uniformisation des modes de vie, Pour renverser ce schéma, il des architectures et des paysages selon le modèle urbain et ce, en appelle à « un développement local auto-soutenable » qui ne rupture avec leurs spécificités propres. Cela a pour effet d’entraîner les phénomènes de déterritorialisation65 et de déruralisation. Il peut exister que dans l’essor d’un projet politique autant public est alors primordial de repenser la question du local au sein du qu’individuel et par la reprise projet d’aménagement territorial, ce qui apparaîtrait comme une en main de leurs espaces de vie possible solution à la reprise de conscience de ce territoire, d’une par les acteurs locaux. « L’utopie c’est de retrouver le sens du local. reterritorialisation. » disait déjà Françoise Choay en 2001. Cette nécessité est plus que jamais d’actualité.

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Cependant, il importe de ne jamais considérer un territoire de manière isolée. Tout territoire, même celui en apparence à l’écart des grandes dynamiques métropolitaines, entretient des relations d’interdépendance avec d’autres. Dans les espaces peu denses, il faut considérer le maillage, le fonctionnement polycentrique, les échanges entre réseaux de petites villes et de villages comme inscrits dans une constellation, à l’image du dernier scénario de la DATAR. À proximité des métropoles, mais aussi des infrastructures qui donnent accès à des flux métropolitains (autoroutes, ports, gares TGV), il faut considérer là encore les influences qui transforment aussi bien le destin économique que la vie quotidienne des habitants des communes rurales. Le ruralisme est un terme ancien qui désignait les peintres des paysages ruraux. Ce terme a été remis au goût du jour notamment dans le travail de fin d’étude de Thibault Dury Ruralités et 66. Dury, T. (2016). Ruralités et transformations66, où il défend la prise en compte du sol et de la transformations. ENSA Clermont- nature dans une réflexion se rapprochant du ruralisme. ferrand.

Pour cela, penser les bassins de vie comme des écosystèmes peut sembler être une attitude qui va dans le sens des nouveaux rapports ville-campagne. Attitude accompagnée par le développement d’outils d’aménagement porteurs de cette relation équilibrée et complémentaire. Un écosystème est un ensemble dynamique d’organismes vivants qui interagissent entre eux et avec le milieu dans lequel ils vivent. Penser les spécificités d’un urbanisme rural en ce sens, au travers d’une méthode précise, reviendrait à parler du ruralisme comme d’un art, d’une science et d’une technique de l’aménagement de nos territoires ruraux. Un ruralisme qui découlerait d’une synergie entre décideurs politiques, professionnels de l’aménagement territorial et de la construction, mais aussi des habitants. Cela ne permettrait-il pas alors de développer diverses stratégies de projet territorial, local 144


et paysager, respectivement source de bien commun, d’identité et de durabilité pour ces espaces ruraux ? Ne serait-il pas également envisageable d’appliquer cette méthode, ce changement de focale issue du ruralisme sur les villes, pour permettre à ces dernières et à leurs populations de retrouver un sentiment d’appartenance à leur territoire ? Cette application d’un ruralisme, considéré dans sa capacité à générer une réflexion et une conception du territoire dont le local serait la source, permettrait ainsi de renouer un lien étroit entre ces territoires urbains et leur environnement proche. Aborder le territoire à partir du paysage, par une étude de terrain approfondie, est l’une des pistes d’action pour s’inscrire dans une démarche de développement durable. L’identification et la valorisation des ressources locales font partie des éléments clefs pour le développement d’un projet de territoire qui allie le rural à l’urbain. Celui-ci doit engager des méthodes et des démarches répondant à chaque territoire dans sa localité et dans sa totalité. Traiter le projet par le paysage, c’est aussi assimiler et utiliser ces temporalités longues, à l’image de la graine qui devient arbre, dans les processus de projet. Concevoir l’aménagement des territoires de demain, qu’ils soient urbains ou ruraux, nous obligera à les apprécier dans leur ensemble. Il s’agira alors de développer des complicités fertiles entre ces deux entités que sont l’espace urbain et l’espace rural Français, où «les rapports ville-campagnes ne doivent [plus] être vus comme une 67. Vincent Pineteau, président du collectif ville-campagne, dialectique d’opposition, mais de complémentarité»67. Revue Sol & Civilisation, Lettre 54, 2014, p.16

CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Urbanité, urbanisme. Ruralité, ruralisme ? 145


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I QUELS OUTILS POUR LE RURALISTE ?

La création d’une nouvelle méthode d’approche et de

conception quant à l’aménagement des territoire ruraux, et ce, à diverses échelles d’intervention, pourrait permettre un développement viable des territoires ruraux. Quels seraient les outils utiles à l’application de ce ruralisme émergeant ? L’analyse de trois démarches de projet de campagne a permis de dégager plusieurs éléments de réponse et de donner de la matière au discours théorique de la première partie de cette recherche. En premier lieu, on ne peut faire évoluer la campagne sans en impliquer les habitants. Les deux projets qui ont tenté d’opérer une mutation du tissu villageois en tenant compte de sa ruralité, ceux de Wavrans-sur-l’Aa et de Châteldon, sont des projets qui ont puisé chez les habitants de véritables ressources de projet. Sur ces deux ateliers de campagne, les études confirment que le travail collectif sur le devenir d’un territoire commence toujours par la collecte des récits des habitants qui témoignent, par la reconnaissance de cette profondeur culturelle, de liens avec une géographie et une identité. Cette démarche incite à aller au-delà des périmètres de réflexion premiers lors du projet. Le projet de campagne se fonde en grande partie sur cette première richesse, culturelle et humaine. Plus qu’en ville, lieu de l’anonymat, la campagne est le lieu privilégié d’une proximité importante entre les citoyens, permise par la faible densité humaine de ces espaces. Répondre à des dynamiques globales en agissant à l’échelle locale est l’un des éléments à mettre en valeur dans ces processus de co-conception.

CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Quels outils pour le ruraliste ? 147


Par ailleurs, une maîtrise d’ouvrage investie et volontaire est systématiquement nécessaire pour une stratégie globale publique mais aussi privée. Cet élément est rendu possible par une proximité importante entre citoyens et élus , plus facilement permise dans ces espaces à faible densité. De plus, l’écart réduit entre expertise citoyenne et expertise externe et le pragmatisme induit par le manque de moyens, précédant de bien des années les réductions budgétaires actuelles, sont des principes qui permettent une capacité à l’innovation et à la mutualisation des ressources pour des modes d’aménagement plus judicieux. Les trois projets présentés précédemment ont en commun qu’ils ont été initiés et subventionnés par des organismes régionaux (P.N.R, D.R.E.A.L...) ou départementaux (C.A.U.E...). Les relations entre Etat et petites collectivités locales demeureront néanmoins ambiguës tant que ces dernières ne seront pas dotées d’une ingénierie propre et de services qui leur permettraient de naviguer dans la complexité croissante des textes réglementaires. Et cela, avec suffisamment d’autonomie pour pouvoir consacrer leur énergie à l’émergence d’un projet politique qui navigue du global au local. Le piège à éviter serait celui d’une campagne dépendante de ces organismes, incapable d’être maîtresse de ses choix. Les territoires ruraux sont en capacité de revendiquer une force de projet et une capacité d’action qui leur sont propres. Cela n’exclut pas d’avoir conscience des phénomènes externes globalisés, et des interdépendances entre ville et campagne, comme nous l’avons souligné. Seulement, retrouver une dynamique qui repose sur ses propres ressources est fondamental, pour l’économie, mais aussi culturellement et politiquement. Les ressources des territoires ruraux sont des richesses certes moins spectaculaires que celles produites par les grandes métropoles, mais non moins essentielles. Outre l’inscription dans une échelle locale, ces ressources propres, 148


actuelles ou latentes, sont inscrites dans la géographie et l’histoire économique et culturelle de notre territoire. C’est particulièrement évident pour les bourgs et territoires ruraux, dont l’importance dans l’histoire de la nation est souvent retranscrite à travers le patrimoine ou le paysage. D’une certaine manière, la Loi Paysage de 1993 a retranscrit dans les textes l’importance que la nation accordait à cet héritage culturel, sous toutes ses formes. Les politiques publiques, ont accentué cette valorisation du milieu rural qui a entraîné le paysagiste à s’y pencher et à se positionner en tant que véritable acteur du projet de campagne. En somme, le cadre méthodologique de la mise en œuvre de ce type de projets est encore à inventer. Aujourd’hui, il faut penser le rural à travers la focale du rural et non plus à travers celle de l’urbain. Pour ce faire, les méthodes des projets de campagne devront s’adapter à ce contexte particulier, où il est souvent plus délicat de maintenir les temporalités longues du projet. Se posera alors la question des missions données aux maîtrises d’oeuvre, définies le plus souvent sur le temps de l’étude et non sur le temps propre au projet. Ces missions gagneront à s’établir sur une plus longue durée, avec des dynamiques à plus petites échelles. Ces dernières pourront faire l’objet d’un travail d’acupuncture dans ce contexte caractéristique. Plusieurs dimensions seront à prendre en compte quant à la création d’une boîte à outils du projet de campagne. Ce sont les dimensions de la temporalité longue, des plus petites échelles de projet et de la force vive que représente la concertation des habitants. C’est dans ce cas de figure, dans cette pluralité des enjeux, qu’un paysagiste aimera à être appelé. Cet acteur polyvalent est dans la capacité de jongler entre des notions complexes à la rencontre entre l’homme et la nature.

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Architecte du vide et du temps, il travaille avec le vivant, outil évolutif, et son métier se situe dans cette dynamique de cycle, d’évolution, des temps du paysage. Une première étape à cette démarche, antérieure à la définition de cette boîte à outil, consistera à changer les représentations, à inverser le regard et à mettre en avant les nombreux atouts de chaque territoire rural.

69. Françoise Choay, « L’utopie c’est retrouver le sens du local » (interview), Station Luxembourg, n° 2, 2001, supplément du Courrier International, 2001, n° 523.

150

Dans tous les cas, ces territoires représentent un enjeu majeur pour les actions qui seront menées dans les décennies à venir. Il paraît urgent de s’en saisir. Comme le dit à juste titre et sans détour Françoise Choay, la question est bien ici de chercher «de nouvelles formes sociales et de nouvelles formes d’habiter qui nous arriment à la terre et nous fassent, dans la différence, réaliser notre destin d’hommes.»69.


CAMPAGNES EN PROJET _ Conclusion _ Quels outils pour le ruraliste ? 151


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CAMPAGNES EN PROJET _ Bibliographie 157


I TABLE DES MATIÈRES

I SOMMAIRE : PARCELLAIRE D’UNE PENSÉE I REMERCIEMENTS

4 7

I PRÉFACE

9

I INTRODUCTION : LE RURAL EXISTE-IL ENCORE ? Question de départ Campagne et agriculture : histoire d’une rupture La ville, la campagne : la fin d’une opposition Nouvelles pratiques et nouveaux usages de la campagne Des ruralités plurielles Méthode et protocole

15 17 19 23 25 29

I QUELS ENJEUX POUR LA CAMPAGNE DE DEMAIN ? Avant-propos : quelles mutations pour quelles interventions ? Trois visages de la France rurale, figures & types de campagnes La fonction résidentielle : la campagne cadre de vie La fonction économique : la campagne ressource

La fonction de conservation des milieux naturels : la campagne nature L’hybridation des fonctions : le rural habité Qui façonne l’espace rural ? Les acteurs du projet de campagne Entre actions publiques et initiatives individuelles Une maîtrise d’ouvrage en manque d’expertise Les outils législatifs au service du projet de campagne Conjuguer espace public au rural, un trait d’union pour le paysage ? Peut-on parler d’espace public en milieu rural ? L’espace public, scène de l’identité culturelle, historique et paysagère des espaces ruraux

158

35 39 42 46 49 53 55 59 65 69


I DES PROJETS DE CAMPAGNE : ÉTUDES DE CAS Avant-propos : des démarches particulières La densification du centre-bourg de Wavrans-sur-l’Aa (62) Le contexte : un village entre pression urbaine et espaces naturels La commande : une initiative soutenue par la région Le projet : proposer une mutation au cœur du tissu villageois La suite : comment maintenir les ambitions sur le long terme ? Le bilan : Quelle garantie pour la réussite du projet ? Une «architecture du sol» à Chaliers (15) Le contexte : un bourg pittoresque mais une population en déclin La commande : une histoire de réseau (d’assainissement) Le projet : un aménagement spécifique à la commune Le bilan : l’espace public fait-il le village ? Résidence et ressources humaines à Châteldon (63) Le contexte : un bourg de caractère dans une région attractive La commande : des aides de l’État pour une offre d’accueil qualifiée Le projet : habiter autrement le centre-bourg Le bilan : un processus de projet au rythme des habitants ?

75 79 83 85 89 92 97 101 103 108 111 115 117 127

I CONCLUSION : L’ÉMERGENCE DU RURALISME ? Évolutions multiples pour des campagnes plurielles ? Urbanité, urbanisme. Ruralité, ruralisme ? Quels outils pour le ruraliste ?

I BIBLIOGRAPHIE I TABLE DES MATIÈRES

133 143 147

153 159

CAMPAGNES EN PROJET _ Table des matières 159



The plannings made during the last 50 years have modified our representation of French countryside. In spite of a general awareness, the city spreads and is partitioned, the fertile land becomes scarce, the natural spaces are broken up, the car imposes itself as unique social bond. The Wise Land was struck in half a century by the infernal march of urban sprawl. The countryside is confused, even the term of rural space is no longer satisfactory in view of the evolutions that transformed it. Is it possible to transform the world today? At a time when the urban model, the only accepted model, is present both in the city and in the countryside. At a time when economic development, which organizes the lifestyles standardization and economic interdependence, suffers from profound evils, is everything lost? The evolution’s observation of the countryside leads us to think of new forms of inhabiting, constructing and living the rural territory. Through the analysis of inventive approaches, new tools of projection and experimentation are highlighted to design the future of these low density territories. It is possible to do otherwise, but this requires, beyond an awareness, a real change of the actors of the development’s paradigm for the emergence of a local and sustainable countryside project.

Les aménagements faits durant les 50 dernières années ont modifié notre représentation des campagnes françaises. Malgré une prise de conscience générale, la ville se diffuse et se cloisonne, la terre fertile se raréfie, les espaces naturels se morcellent, l’automobile s’impose comme unique lien social. Le Pays Sage a été frappé en un demi siècle par la marche infernale de l’étalement urbain. Les campagnes s’en trouve embrouillées, même le terme d’espace rural n’est plus satisfaisant au regard des évolutions qui le transforment. Transformer le monde, est-ce encore possible aujourd’hui ? À l’heure où le modèle urbain, seul modèle admis, est présent autant en ville qu’en campagne. À l’heure ou le développement économique, qui organise l’uniformisation des modes de vie et l’interdépendance économique, souffre de maux profonds, tout est-il perdu ? Le constat de l’évolution des campagnes nous amène à penser de nouvelles formes d’habiter, de construire et de vivre le territoire rural. À travers l’analyse de démarches inventives, de nouveaux outils de projection et d’expérimentation sont mis en exergue pour concevoir l’avenir de ces territoires à faible densité. Il est possible de faire autrement, mais cela nécessite, au delà d’une prise de conscience, un réel changement de paradigmes des acteurs de l’aménagement pour l’émergence d’un projet de campagne local et durable.


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