ISBN 978-2-746649-17-0 © MAIrIE dE SAINT-JULIEN-EN-BEAUCHÊNE/EdITIONS dU BUECH 2012 Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L.122-5, 2) et 3) a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou de ses ayants cause est illicite » ( art. L. 122-4 ). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 2
Champaigne pour tous !
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Saint-Julien-en-Beauchêne, un riche patrimoine artistique. Située sur la départementale 75, entre Grenoble et Sisteron, la commune a souhaité créer un évènement autour de L’Assomption, tableau aux dimensions imposantes, commandé en 1671 au peintre Philippe de Champaigne par les moines de la Chartreuse de durbon, présente depuis le 12°siècle sur le territoire de la commune. Cette œuvre classée, la plus importante des Hautes-Alpes, a été récemment restaurée ; elle est aujourd’hui conservée dans l’église paroissiale du village. Le village de Saint-Julien peut également se vanter d’avoir inspiré un autre très grand peintre du 20 siècle : Paul Signac ( 1863-1935). Trois aquarelles représentant Saint-Julien sont la propriété respectivement des musées de Grenoble, Little rock (USA) et du musée national de Finlande à Helsinki. Et enfin, grâce à Jean Giono, Beaumugne, hameau de la commune de Saint-Julien, est présent dans la littérature française.
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Champaigne Pour tous ! Parcours pictural Philippe de Champaigne, 1671 Jacques Paris, 2012
Saint-Julien-en-Beauchêne Hautes-Alpes 6 Juillet - 30 Septembre 2012
Mairie de Saint-Julien-en-Beauchêne Editions du Buëch 5
L’exposition qui fait le sujet de ce catalogue a été organisée par la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne sous la responsabilité de son maire Jean-Claude Gast. Ce catalogue, coédité par la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne, initie un projet durable centré sur son patrimoine : - La Chartreuse de durbon et l’Assomption de Philippe de Champaigne, - Les œuvres de Paul Signac et Jean Giono réalisées à Saint-Julien-en-Beauchêne. L’ approche de la création artistique sous toutes ses formes , dans un petit village en milieu rural, implique la population et engage la détermination de son maire pour oser avec persévérance mettre Saint-Julien sur le devant de la scène culturelle. Ce projet n’aurait pas vu le jour sans le soutien de Frédérique Verlinden, conservateur en chef du Musée-Muséum départemental à Gap. Elle a depuis longtemps un regard attentif sur l’œuvre de Jacques Paris, pour lequel elle a organisé une résidence de travail devant L’Assomption de Philippe de Champaigne, aboutissant à la présente exposition. Ce catalogue ne serait pas ce qu’il est sans la générosité scientifique d’Alain Tapié. Il nous a autorisés à utiliser largement les textes du Catalogue publié sous sa direction : Philippe de Champaigne, 1602-1674. Entre politique et dévotion. Palais des Beaux Arts de Lille, 27 avril 2007-15 août 2007. Musée rath, Genève, 20 septembre 2007-13 janvier 2008. Alain Tapié est Conservateur en chef du patrimoine, et directeur du Palais des Beaux Arts de Lille, ainsi que du musée de l’Hospice Comtesse à Lille. Il soutient avec constance notre démarche, associant la création contemporaine au patrimoine, où qu’il se trouve. Qu’il en soit encore chaleureusement remercié.
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Merci Philippe Jean-Claude Gast Maire de Saint-Julien-en-Beauchêne J’ose espérer que vous ne me trouverez pas trop familier en vous appelant par votre prénom. Vous remarquerez que je n’aborde pas le tutoiement. Il y a quand même des limites à la bienséance !!! Vous commencez à m’être tellement proche que je ne peux m’empêcher de vous appeler Philippe. Sans le savoir vous m’avez accompagné depuis fort longtemps, quelques portraits de richelieu cachés dans les « Lagarde et Michards » pendant une scolarité poussive m’avait déjà éveillé l’œil. Et puis au gré des visites culturelles votre présence surgissait imposante parfois discrète que ce soit à Port royal, au Sénat où dans d’autres lieux historiques. Mais surtout je vous sais gré de ce tableau L’Assomption que vous avez créé pour les Chartreux de durbon. En effet grâce à lui vous avez pu réveiller au 21ème siècle notre patrimoine et notre curiosité culturelle. Nous avons été présents avec vous à Lille, à Genève lors de cette magnifique exposition de toutes vos œuvres. Toujours grâce à lui cette rencontre avec votre complice Jacques (Paris) au-delà des siècles n’est-elle pas magnifique ! Et pour en rajouter à cette soif jamais calmée je souhaite que votre collègue au style bien différent du vôtre, mais peu importe, Paul (Signac) se joigne à nous pour d’autres utopies. Sans être la grenouille qui se veut aussi grosse que le bœuf, n’est-ce pas un splendide message : que, grâce à la culture et à l’art, des communes et des habitants aussi différents aient pu se trouver et partager. La culture et l’art sont universels, sachons les préserver et les propager, l’humanité ne s’en portera que mieux. Vous avez toute ma reconnaissance pour tous ces moments forts que j’ai vécus et que je vis grâce à vous. Encore toute ma respectueuse considération, veuillez recevoir, Cher Philippe, l’expression de mes sentiments distingués.
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Eloge d’une courtoisie réciproque Frédérique Verlinden Conservateur en chef Musée-Muséum départemental – Hautes-Alpes - Gap Le public venu à Saint-Julien-en-Beauchêne, canton d’Aspres-sur-Buëch dans les Hautes-Alpes, sait-il ce que sont les Chartreux, l’Assomption de Marie, le dogme mariologique, la dévotion à la Vierge, l’apparition de la Madone en 1664 à Saint-Etienne-le-Laus, une commande artistique, la vie à Bruxelles en 1602, la mort à Paris en 1674, durbon avec ses mines de fer, de cuivre et de plomb, sa forêt et son prestigieux passé ?
Les peintres et sculpteurs, utilisent depuis le haut Moyen Age la couleur dite bleu marial pour colorer la robe de la mère de Jésus. La Toile est au XXI° siècle un écran informatique. S’y connecter permet de se répandre et d’accéder en tous lieux et tous moments à des informations et à des contacts. Les distances métriques sont abolies. Le rapport au monde a changé : les moments d’écoute et de vision s’accélèrent. Les intervalles de temps rétrécissent. La durée d’existence rallonge. Nos facultés d’attention sont sollicitées par des images renouvelées au rythme des secondes,… Etre contemporain des autres exige d’être positionné en réseau et en mobilité
A la grande Chartreuse, une communauté d’hommes de foi vit en silence dans des cellules individuelles. Ils prient 8 fois par jour... de nouvelles appartenances se créent. d’autres dépendances se tissent. Les liens sociétaux se dupliquent et s’effilochent. Les savoirs enseignés se diluent. Le copier-coller se propage.
Avec l’Assomption de la Vierge, unique et dupliquée, présentée dans plusieurs lieux de culte, l’église catholique propose un moyen de cheminer vers dieu. La mère de Jésus, au terme de sa vie terrestre, est élevée au ciel. Le 15 août en est la célébration. Au XVIIème siècle, les artistes se devaient d’avoir un génie immortel. Aujourd’hui, ils ont encore des vertus. Ils sympathisent avec nos émotions. Ils questionnent l’espérance, la souffrance, l’effort, la patience, la vie, la mort, la résurrection, le multiculturalisme… la pérennité et les mutations de l’être au monde. L’Assomption peinte par Philippe de Champaigne se trouvait dans le chœur de l’église de la maison haute de la Chartreuse de durbon. Les bâtiments ont été vendus, certains démolis. Leurs pierres ont été réemployées pour construire des maisons dans les alentours… L’œuvre est maintenant conservée dans l’église paroissiale de Saint-Julien-en-Beauchêne. La composition picturale est épurée. Le manteau Bleu Céleste enveloppe la robe rouge Passion. La Vierge est enlevée par le mouvement ascendant des anges. 8
Figures perdues entre Ciel et terre
d’un trait vif et précis, répétant le même sujet en le multipliant dans des dispositions nouvelles, Jacques Paris questionne la pensée et le sentiment. Il fragmente la composition, disperse la lumière, adoucit la manière. Sur plusieurs niveaux d’ébauches et de lecture, il croque le portrait d’une rencontre, celle qu’il vit avec le peintre Philippe de Champaigne. Il part à sa rencontre. Il questionne le chef-d’œuvre commandé en 1671, classé en 1906 au titre des Monuments Historiques. Il esquisse le contexte, décrit le sujet choisi, étudie le paysage, parcourt les ruines de la Chartreuse. Il s’approprie le tout. Il fixe pour préalable d’être agréable et sévère, généreux et exigeant. Zélé dans sa démarche, inspiré par le génie de Philippe de Champaigne, il entre dans son alchimie. Il fouille sa manière de peindre, s’enfonce, creuse, capte, divise. d’un artiste à l’autre, l’œuvre se libère de son temps. Elle nous fait entendre d’autres tonalités. d’inimaginables accords virtuoses s’harmonisent. Le tableau pénètre les dessins, les couleurs du carnet de croquis de Jacques Paris. Les deux approches trouvent leurs connections, forment un corps. L’histoire est un assemblage labyrinthique dans lequel les concepts, le réel et la beauté sont blottis. L’art contient une myriade de possibles et de repères. Il donne de la clarté à la connaissance de nos aïeux. Il singularise notre approche. Il permet d’ordonner le temps, de placer un récit, de distribuer des données. Entre nos yeux, L’Assomption de Philippe de Champaigne convoque nos facultés d’émotion, d’intuition, de mémoire et d’imagination. Nous n’avons plus à en retenir la chronologie. Notre approche doit aller au-delà d’un savoir distribué par section, discipline ou catégorie… Notre accès à l’œuvre, au lieu de superposer tous ces plans de connaissances, implique un engagement, un don, celui de l’instant du regard et de la quiétude de la méditation, celui du moment de la présence, celui de l’instant à soi. Aller vers l’œuvre, c’est traverser une part sincère de nous-mêmes. Suivre le peintre, c’est tailler avec lui dans le détail, adopter sa langue sans pour autant la parler, entrer dans sa vérité sans la mimer. Avec le temps, le tableau de la Chartreuse de durbon tient tout seul. Il ne sert aucun discours en particulier. Il gagne en voix humaines. Jacques Paris dessine sa lecture inventive de l’œuvre. Il décrypte l’insaisissable dans son cahier de croquis. Il le projette partout dans l’espace de Saint-Julienen-Beauchêne. Postulant que tout est à réinventer, il prend appui sur la rencontre et le cheminement qu’ils soient matériels, affectifs ou immatériels. Il nous implique pour fouiller L’Assomption de la Vierge. Il fait surgir ce qu’elle peut encore éveiller de curiosité et conscience. 9
Jeu du cacherrévéler, du divinhumain
Là réside une subjectivité qui appartient à chacun : l’un percevra la lumière, l’autre le trait, le troisième le vide ou le symbole… La nouveauté est que nous pouvons habiter cette œuvre, y pénétrer corps et âme, lui porter attention, comprendre son éloquence et trouver la nôtre. Jacques Paris est un peintre de l’esprit. Il médite partout. Il observe, relève, légende, exécute des croquis et des lavis. Il entremêle lignes et clair-obscur. Il nourrit sa pratique d’historien de l’art et d’enseignant pour cultiver le regard et l’approche de l’autre. Le trait, les encres produites et reproduites, fragmentées et variées, font sonner dans les rues de Saint-Julien-en-Beauchêne une rumeur particulière. Jacques Paris ensemence le village. Il nous conduit aux hasards de l’œuvre, révèle la trace du sillon des chartreux, découpe, externalise et délivre l’élévation de la Vierge sur d’autres formats. Il se joue du privé, public, éphémère, permanent… distancié de L’Assomption, Jacques Paris s’écarte du savoir, parvient au vide, à sa lumière transparente et diaphane, au rien… Il fixe une fraction, mesure les transitions, évalue la pensée qui change. Il écrit des trouées. Il passe par des pages-recueils qu’il efface et déconstruit. Son voyage se déroule par morceaux. Chaque extrait donne un accès pour tous, Il défait le point de gravité de l’ensemble. Il déstabilise le champ de force de toute composition convenue. Il préfère la périphérie, le gué et le franchissement d’une dimension à l’autre. Placées dans le quotidien de l’été 2012, les esquisses et peintures de Jacques Paris, entremêlent le vieil état des choses à l’actuel, créent des interstices, nous invitent à nous déplacer d’une tonalité à une autre. Pour voir se manifester notre Humanité, il faut être préparé. Passages, bordures, dégradés colorés, formats modestes, revêtent, tel un Manteau de fête, le village de Saint-Julien-en-Beauchêne. Cette approche à partir de la médiation de Marie forme un tissu relationnel où les parcours personnels et les sensibilités de chacun se mêlent avec courtoisie. Alors, Champaigne pour tous ! Frédérique VErLINdEN, Avril 2012.
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Une dynamique artistique entre 17ème et 21ème siècle L’Assomption nous arrive du 17ème siècle, peint par un des plus grands artistes de son temps, né et formé aux Pays-Bas : Philippe de Champaigne. Celui-ci exporte le style flamand à la cour de Louis XIII, où il va devenir un des incontournables représentant du courant classique français. Après une très belle restauration, l’Assomption est exposée, en 2007, au Palais des Beauxarts de Lille, à l’occasion de la grande rétrospective « Philippe de Champaigne, 1602-1674. Entre politique et dévotion », sous la direction de son conservateur en chef, Alain Tapié. En 2008, le tableau est prêté au Musée rath de Genève, puis revient dans son petit village de 127 habitants, Saint-Julien-en-Beauchêne. A cette occasion, en conférence dans l’église paroissiale qui abrite le tableau, Alain Tapié donne des clefs historiques et religieuses, car « devant un tableau, on peut toujours passer sans voir et regarder sans comprendre. C’est en effet à un effort de compréhension que nous convie l’œuvre de Philippe de Champaigne ». Un artiste présent dans la salle, Jacques Paris, dessine comme il le fait depuis toujours devant les œuvres qu’il rencontre et qui le touchent. Il poursuit ce travail d’études, avec le soutien du Musée-Muséum départemental de Gap, en la personne de Frédérique Verlinden, son conservateur en chef. Elle s’intéresse depuis longtemps au travail de Jacques Paris, qu’elle expose dans les collections permanentes du Musée. Jean-Claude Gast, maire de Saint-Julien-en-Beauchêne, est conscient que l’ œuvre de Champaigne, essentielle aux yeux d’un public averti, est méconnue dans le département qui le conserve, ainsi que des nombreux visiteurs qui y passent. Il a alors l’idée d’un projet qui rassemblerait plusieurs expositions, le tableau de l’Assomption et le travail d’un artiste contemporain inspiré par cette œuvre. Claire Lamy Le parcours dans le village entre les deux lieux d'exposition des œuvres de Jacques Paris, l'hôtel Les Alpins et l'église Saint Blaise, est revêtu de plaques reproduisant ses dessins et ses peintures. « Les jours de liesse, dans l'Italie de la renaissance les tentures décorant les palais sont sorties et suspendues pour pavoiser la ville, devenant en quelque sorte des vêtements, des habits de fête. L'église sort ses ornements dans des processions à travers les rues. La célèbre toile de Claude Monet « le 14 juillet » montre aussi cet habit de lumière éphémère, dans un temps saisi comme les lumières fugaces sur la façade de la cathédrale de rouen. Ainsi Saint Julien-en-Beauchêne se pare de ses richesses intérieures contenues dans le tableau de l'Assomption de Philippe de Champaigne et révélées par le travail passionné de Jacques Paris. Les reproductions sur des plaques fixées sur les maisons laissent paraître de façon éclatante son approche de cette grande peinture héritée des moines chartreux de durbon. Elles ponctuent la voie jusqu'à l'église où elle est conservée et nous orientent aussi, précieux palimpseste urbain, vers la trace tenue laissée par ces religieux puisque les ruines de la Chartreuse sont sur le point de nous échapper ». Gérard Boisard 11
L’Assomption, 1671 Philippe de Champaigne Huile sur toile. H. 2,45m ; L. 1,85m. Cadre rapporté. Statut juridique : propriété de la commune de Saint-Julien-En-Beauchêne. Edifice de conservation : Eglise paroissiale Saint-Blaise. Historique. Peint en 1671 sur commande des chartreux de durbon. Cette date est attestée par une quittance signée du peintre et conservée aux archives départementales des Hautes-Alpes ( 1H148) .Ce tableau a été classé monument historique le 12 décembre 1906 . dans la religion catholique, l’Assomption est l’enlèvement miraculeux de la Vierge au ciel, par les anges.« dans ce siècle qui voua à la Vierge une grande dévotion, Ce thème a plusieurs fois été peint par l’artiste à partir de 1620 : treize Assomptions, huit parvenues jusqu’à nous, dont 4 pour des chartreuses ». deux Assomptions de Champaigne sont conservées dans notre région : L’Assomption de Marseille, exposée au musée des Beaux-arts, a été peinte en 1646. Elle ornait l’oratoire de l’appartement d’Anne d’Autriche au Valde-Grâce. « Vive lumière, couleurs très claires et perlées, joyeuse agitation qui anime la Vierge » caractérisent le style de Champaigne pour cette œuvre. L’Assomption, peinte en 1639 pour l’église de Saint-Germain l’Auxerrois, fut saisie au moment de la révolution française, et mise en dépôt au musée de Grenoble. L’Assomption de Saint-Julien-en-Beauchêne a l’originalité d’être restée dans le lieu, ou presque, pour lequel elle a été peinte : la chartreuse de durbon, sise sur la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne. Comme les Assomptions de Bordeaux (1673) et d’Alençon (autour de 1656), elle fut commandée par les chartreux, ordre avec lequel le peintre entretenait d’étroites relations. Très longtemps méconnue, cette œuvre « constitue un repère essentiel pour reconstruire l’activité » et le style de Philippe de Champaigne à la fin de sa vie. La Vierge « s’offre à nous, compacte, calme et solennelle », baignant dans une lumière chaude, aux « couleurs vives et sensuelles » ; l’artiste nous donne une « vision très concentrée » dans laquelle Marie nous apparaît à la fois « imposante et légère ». Le style, en comparaison des Assomptions précédentes, est ici retenu, presque dépouillé, et cependant limpide.
Claire Lamy
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Philippe de Champaigne (1602-1674) Eléments de biographie.
Autoportrait de Philippe de Champaigne. Gravure de Gérard Edelink.
Né en 1602 à Bruxelles, Philippe de Champaigne fait son apprentissage dans l’atelier bruxellois d’un peintre paysagiste. Comme les artistes de l’époque, il souhaite visiter rome, mais s'arrête à Paris en 1621. Il se fixe au quartier latin où il se lie d'amitié avec Nicolas Poussin ; en 1625 il commence à travailler pour son compte. Ayant regagné Bruxelles, il est rappelé un an plus tard par l’intendant des bâtiments de Marie de Médicis pour participer à la décoration du palais du Luxembourg. Commence alors une carrière de peintre à La Cour : nombreux portraits de Louis XIII, de Marie de Médicis, du Cardinal de richelieu : il est le seul peintre autorisé à peindre le cardinal de richelieu en habit de cardinal : il le représente onze fois. Il est, avec Simon Vouet, l'un des deux peintres les plus recherchés du royaume. Ces portraits, présents dans tous les livres d’histoire, sont ainsi plus connus que le peintre lui-même ! Il décore de nombreux bâtiments à Paris : le palais du cardinal, le dôme de l'église de la Sorbonne ; la cathédrale Notre-dame-de-Paris, dont le célèbre « Vœu de Louis XIII » date de 1638. Il dessine également plusieurs cartons pour des tapisseries. Il est un des membres fondateurs de l'Académie royale de Peinture et de Sculpture en 1648. À partir de cette date, il se rapproche des milieux jansénistes et devient le peintre de Port-royal. II exécute une série de portraits des moniales et des Solitaires qui sont un des sommets de son art. Il est également très proche des Chartreux dans leur esprit de renoncement et de pauvreté. Après 1654, il se heurte à la concurrence de Charles Le Brun. Il décore l'appartement d'Anne d’Autriche au Val-de-Grâce ainsi que le réfectoire de cet hôpital. Il est nommé professeur en 1655 et participe à la décoration des Tuileries, cette fois sous la direction de Charles Le Brun. À la fin de sa vie, son activité pédagogique devient plus importante : même si aucun écrit ne subsiste de sa main, il existe des transcriptions de plusieurs de ses conférences, publiées en 1669. Il y commente plusieurs œuvres, dont celles du Titien, participant ainsi au débat entre coloristes et dessinateurs et prônant une attitude modérée. Lors d’une, conférence donnée en 1669, Champaigne met en garde les étudiants contre les risques d’une imitation trop servile de leurs maitres. « Toute sa vie il s’est tenu à l’écart de rubens que pourtant il n’a jamais cessé d’admirer. » Il insiste sur l’apprentissage de la diversité : « raphaël pour la correction du dessin, Titien pour l’union des couleurs ». En conclusion du catalogue consacré à l’œuvre de Philippe de Champaigne, par le Palais des Beaux-arts de Lille, Alain Tapié note « qu’il n’y a guère de carrière plus longue que celle de Philippe de Champaigne au service des sou14
verains qui se succèdent en France de 1625 à 1674 et guère d’artiste plus investi dans la recherche d’une juste expression du sentiment religieux. Nourri de multiples expériences et porteur d’un idéal qu’il tente d’incarner, Champaigne a toujours été reconnu comme un grand peintre. Il a pratiqué tous les genres, mais c’est dans la peinture religieuse qu’on saisit le mieux les enjeux de sa pratique et qu’on peut suivre l’approfondissement de son esthétique spirituelle » Extraites du passionnant travail d’Alain Tapié, quelques phrases très éclairantes sur l’art de Champaigne : Tapié souligne « son goût de l’ordre et des gestes à l’arrêt, une réserve et une dignité, une pudeur, un art sans tapage, un réalisme fondamental, une intériorité surtout…» « Il partageait (avec rubens) une même culture de la physionomie, de la monumentalité, des drapés, de la stridence et de la franchise des coloris, de la densité de l’être dans les postures et les gestes …» « …dans leur austérité sculpturale, les plis portent le poids de l’espace, et la couleur l’intensité du temps présent… » « La peinture de Philippe de Champaigne tente…par une gestualité qui semble codée mais qui reste spontanée, comme suspendue dans l’espace, un coloris dense qui se déploie avec ampleur dans le vif et le franc, un agencement structurant des espaces qui rétablit, malgré la multiplicité des points perspectifs, la planéité du tableau… »
Claire Lamy
Philippe de Champaigne dans son siècle fameuses Provinciales en 1656 ; on peut citer aussi Jean de La Fontaine, qui avait noué de solides liens d’amitié avec robert Arnaud d’Andilly, poète comme lui. On lui demanda, en 1671, d’apposer son nom prestigieux à une anthologie de poèmes réunie par les Solitaires dans le cadre de leurs publications pédagogiques, « le recueil de poésies chrétiennes et diverses ».
Philippe de Champaigne était de tempérament pieux ; après de nombreux deuils (sa femme, son fils unique et sa fille cadette), il donne un part encore plus grande à la religion dans sa vie ; dès 1643 il fréquente Port-royal et sa fille Catherine y prend le voile en 1657 : elle figure sur le célèbre tableau l' Ex-Voto en 1662 aux côtés de la Mère Agnès Arnaud. Ce double portrait est réalisé à la suite d'une longue maladie invalidante qui affligeait Catherine et qui guérit miraculeusement. On peut imaginer dans quel état d'esprit Philippe de Champaigne peignit ce tableau !
dans la période où peu avant sa mort Champaigne peignait plusieurs Assomptions de la Vierge entre 1970 et 1974, racine qui avait fait ses classes aux petites écoles de Port-royal des Champs publiait «Bérénice », « Bajazet », « Mithridate » et « Iphigénie », Corneille «Tite et Bérénice », « Psyché » , « Pulchérie » et « Suréna » ; Molière : « Le Bourgeois Gentilhomme » en 1670 avec une musique de Lully ; et « Le Malade Imaginaire » en 1673 avec une musique de Charpentier ; Boileau, « L'Art Poétique » en 1674 et Bossuet avait déjà prononcé deux oraisons funèbres.
L'Abbaye de Port royal fut la cible, dès la prise personnelle du pouvoir de Louis XIV en 1661, de persécutions entre 1709 et 1713 : dispersion des nonnes, destruction des bâtiments de Port-royal des Champs, exhumation des corps ensevelis dans le cimetière ; pourtant nombreuses étaient les personnalités qui eurent des liens avec Port-royal à commencer par Blaise Pascal qui à l'occasion des polémiques religieuses qui agitèrent ce siècle, publia les
Elsa Micholet
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Jacques Paris, éléments de biographie. Né en 1948 au Vietnam ; Il vit en Afrique jusqu’en 1964. Il poursuit des études artistiques à Paris de 1967 à 1972. Il va dessiner tous les matins au Louvre les œuvres de Chardin, Poussin, son préféré, et delacroix. Les peintures de la grotte Chauvet l’ont aussi profondément marqué. Il travaille dans les Hautes-Alpes depuis 1975 où il enseigne. Il expose depuis 1978. Chez Champaigne, il admire la force de travail, la puissance de sa foi, « qui seule peut produire de telles œuvres », reconnaît-il, lui qui n’est pas croyant. Autre sujet de fascination, qui fait que l’artiste peut passer des heures à travailler devant le tableau : la somme de connaissances techniques, religieuses, scientifiques, bibliques, historiques, linguistiques, mythologiques, nécessaires aux peintres de l’époque pour représenter la réalité. « N’oublions pas que les peintres étaient alors les seuls grands pourvoyeurs d’images. » Et puis, « Il y a une jubilation du regard devant l’œuvre d’un autre peintre! Me trouvant devant une œuvre du passé, il se produit quelque chose qui est d’abord et reste un contact effectif, la réalisation d’une extrême proximité entre elle et moi que le dessin révèle, car il ne s’agit pas d’une interprétation, qui suppose une distance ou une posture. » Son travail artistique le conduit à fragmenter l’œuvre de Champaigne en multiples Variations, et en même temps, chacune la donne à voir toute entière. démarche précieuse, passionnante et éclairante pour le spectateur. Cette démarche plastique rappelle le travail de Picasso sur les Menines de Vélasquez et de bien d’autres : cette fascination pour la peinture d’un grand ancien, au point de la décliner indéfiniment comme pour en saisir le mystère.
Claire Lamy
Champ visuel Le travail, la grâce, l’absolu… la connaissance, le savoir de tout… grand siècle de France. Voilà le peintre d’aujourd’hui regardant ce mystère à transmettre. Le voila des heures durant chassant le détail d’un pied, d’un drapé, isolant le fragment, restituant l’énergie en touches éparses…
Et si le remède à nos manières passait par la précision d’une recherche intime, introspective ? Et si la formule du temps infini absolument passait par le regard fracturé, fractal ? Tableau, dévotion, mystère… S’y plonger, s’y dévouer.. ; trouver une voie enfin sienne : devenir.
reproduire le plaisir de cette recherche, s’y développer, s’y lover. Et restituer à autrui cette joie de n’avoir rien trouvé, mais ressenti beaucoup. du mystère de l’Assomption au ressac de nos jours, l’écume d’une époque vient aux lèvres des baroques.
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Métamorphoses Les dessins et peintures à partir de l'Assomption de Philippe de Champaigne 1/ Le travail de Jacques Paris à partir du tableau de Philippe de Champaigne s'est déroulé de 2008 à 2012 en plusieurs phases correspondant à l'évolution du dialogue établi avec l'œuvre. 2/ Il y a d'abord les dessins faits au cours de ses nombreuses stations devant l’œuvre. Le dessin ne cherche pas la capture mais fouille dans le fourmillement de telle ou telle partie du tableau à la découverte de la vie propre à chacune d'elles. 3/ Une deuxième phase prolonge l’approche des dessins sous forme de petites peintures : les Variations Baroques. Cette suite fait ressortir ce qu'il y a d'inouï dans le réalisme du tableau malgré son apparente retenue. des fragments reprographiés des dessins sont utilisés comme des matrices d'où jaillissent des couleurs faisant subir des métamorphoses aux motifs du tableau (la Vierge, les anges, les drapés). Le thème et la forme de l’Assomption commencent à se diluer, se détacher des codes religieux et picturaux auxquels l’œuvre de Champaigne obéit. 4/ dans la troisième phase, s’opère un « déplacement de point de vue ». L’Assomption, ayant en quelque sorte « couvée en lui », se retrouve dans un « ailleurs », hors de son argumentation religieuse, hors de sa fonction première de dévotion. Les peintures Manteau et Ange, correspondent à cette phase, animée d’une jubilation d’un tout autre mode : à partir de la richesse des figures de la Vierge et des anges, la somptuosité des matières des plis, la déclinaison des bleus, la textures des chairs rosées et dorées, le velouté des gris-blancs des nuages, les peintures font voir un va-et-vient entre profusion et vide, entre saturation et désir violent de respiration. 5/ Quatrième phase : le triptyque Petites Méditations montre un processus d'effacement des motifs des anges et de la Vierge, une disparition en cours. Ces collages de petits format sont une manière d'hommage et la forme non-achevée de la relation silencieuse entre les deux peintres. Afin d'établir un lien entre ce travail réalisé à l'intérieur de l'église, résultat d'un dialogue intime avec le tableau de Champaigne, et l'espace public du village, Jacques Paris a pensé un dispositif d'extériorisation. C'est à cet objectif que tendent les reproductions de ses dessins et peintures accrochées sur les murs des maisons, une trentaine de plaques d'aluminium imprimées qui ont fait l'objet d'un travail de recadrages et de retraitement des couleurs en accord avec leur fonction spécifique d'animation du parcours entre les deux lieux d'exposition des peintures aux cimaises de l'Hôtel Les Alpins (les Variations Baroques ) et sur les murs de l'église Saint-Blaise ( les dessins, les Manteaux et Anges, le triptyque Petites Méditations), en regard de L'Assomption de Philippe de Champaigne.
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Catalogue
Jacques Paris dessins, peintures, lithographie,
dessins 1 à 11 encre sur papier, 20 x 14 cm, 2008-2011 Variations Baroques 1 à 12 teinture et collage sur papier Arches 50 x 35 cm, 2010 Manteaux 1 à 6 et Anges 1 à 6 pigment, graphite sur papier Arches marouflé sur toile 81 x 65 cm, 2011-12 Petite Méditation triptyque collage sur papier Arches, 3 x [20 x 15 cm], 2012 Variation Champaigne, lithograhie sur Arches, 65x50 cm 2011 18
dialogue pictural : Champaigne, Paris. Introduit par ce titre léger et plein de promesses, « Champaigne pour tous », l’exposition de Saint-Julienen-Beauchêne est le résultat d’un dialogue pictural entrepris par Jacques Paris avec le tableau de Philippe de Champaigne : L’Assomption. Ce grand tableau, avec les dessins et les peintures qui lui font écho, obéissent à une délectation, terme que Paris affectionne, le tenant de Nicolas Poussin. L’enjeu de cette exposition est de permettre au spectateur, de suivre la relation entre deux pratiques, deux conceptions de la peinture. Pour l’un, Champaigne, la peinture est affaire de dévotion chrétienne ; pour l’autre, Paris, elle s’inscrit dans une pratique où la foi est absente. L’itinéraire de Champaigne est marqué toute sa vie par l’élan mystique vers la figure féminine idéale. Paris n’est pas moins habité par les textes sacrés bibliques qu’il fréquente depuis longtemps, mais, en non croyant, il peint la femme et non la Vierge. Par delà les modalités de leurs peintures, l’une ancrée dans les codes du classicisme issu de la renaissance, l’autre héritée des courants essentiels les plus décisifs, selon lui, du XX siècle, cubisme et abstraction lyrique, et au-delà de la foi de l’un et de l’athéisme de l’autre, il existe une charnière, un lieu commun où s’est établi le dialogue : l’Assomption, thème pour l’un, motif pour l’autre.
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Paris peint à partir de ce qu’il voit dans le tableau de Champaigne, ce qu’il peint c’est ce que celui-ci a déclenché en lui. Champaigne peint une image correspondant à une iconographie faite de règles liées aux canons de la liturgie catholique. A ces codes acceptés, il ajoute bien sûr sa liberté créatrice : composition du tableau, disposition des figures, couleurs, toutes ses Assomptions sont subtilement différentes.
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l’absence du corps et interprètent cette montée céleste du corps de Marie comme un évènement dans le bleu du ciel : le bleu du manteau de la Vierge, dans les codes de l’iconographie mariale, marque son appartenance céleste, mais pas le ciel lui-même.
Qu’ont en commun L’Assomption de Champaigne et les peintures de Paris ?
L’art, le beau, la foi
Sans doute parlent-elles chacune du sentiment et de l’appréhension de la non séparation du ciel et de la terre ; sans doute aussi l’un et l’autre peintre éprouvent-ils chacun « à leur façon », qu’il n’y a pas forcément d’abîme entre le ciel et la terre….. c'est-à-dire en nous-mêmes ?
L’un et l’autre devant l’Assomption depuis le « début » de l’histoire de Marie (l’Annonciation), jusqu’à sa « fin » (l’Assomption), il n’y a que la figure de l’ange pour l’accompagner. Toute cette histoire parle du corps encombrant (cf. le dogme de l’Immaculée Conception) , empêtré dans la matière, de sa conception à sa décomposition « dé-tachées ». Cette histoire parle aussi de la dissolution du corps, de sa fusion avec La Nuée Céleste ( de même pour le Christ après sa mort), vers la vie sans fin de la résurrection. L’Ancien Testament dit déjà cet encombrement du corps dans ce « Libère moi des sangs » du Psaume 51, 16. dans le tableau de Champaigne, la Vierge est seule, elle occupe l’espace supérieur « séparé » d’en bas par les nuages qui la portent. Paris tire de ce motif le Manteau c’est à dire l’enveloppe. Tous deux traitent la solitude attachée à Marie : elle est une femme seule de l’Annonciation à l’Assomption, en passant par cette parole terrible à travers laquelle elle est évoquée dans son humaine maternité, parole rapportée de Jésus, son fils, peu avant de mourir : « Qui est ma mère ? » (Mathieu). dans l’Assomption, Champaigne met l’accent sur la « manifestation de la grâce qui habite cette figure perdue entre ciel et terre, sur la sensation diffuse d’une présence cachée dans l’espace ambiant qui se fait ainsi personnage principal du tableau. » Les 6 peintures Manteaux que peint Paris traitent de
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La peinture de Champaigne est comme une prière, elle exprime quelque chose que Champaigne ne peut pas inventer. L’Assomption a été peinte pour la prière des Chartreux qui vivent dans un désert, lieu le plus favorable pour provoquer la rencontre avec dieu. Paris n’a pas dans sa peinture cette conception du Beau devant être atteint, d’un Beau qui préexiste à l’acte qui le trouverait. dans ses peintures les formes sont palpitantes puisque toujours se transformant, non définitives et inattendues.
Champaigne peint avec la sublime assurance de celui qui a la foi Paris n’est pas dans le doute pour autant : ses peintures sont des espaces faits de « la variance » de toute chose. La variance exprime, selon le philosophe et sinologue F.Jullien, qu’une forme ne saurait être définitivement concevable sous un seul aspect la définissant, au risque de la faire mourir. Il souligne l’ancrage mental qui différencie radicalement les conceptions orientales et occidentales de l’art et du Beau. Le travail de Paris est très influencé par ses immersions dans les cultures de l’Asie et de l’Afrique, jusqu’à l’âge de 16 ans. « Quiconque a la foi trouve dans les histoires bibliques la matière dont est fait le buisson ardent de Moïse, il brûle sans combustion ». C’est ainsi que procéde Champaigne. Paris « ne laisse pas pour autant ces histoires en paix ». Il en revient ensuite avec « une poignée de cendres chaudes »,
comme l’écrit Erri de Luca dans « Noyau d’olive » où il témoigne de sa fréquentation assidue de La Bible, bien qu’il ne soit pas croyant. Toute la journée il revient sur ces textes qu’il tourne dans sa bouche comme on fait d’un noyau d’olive. Champaigne peut peindre le corps de La vierge assis sur des nuages soutenus par des anges. Ils sont tous tenus ensemble par son sentiment religieux. Paris voit ce tableau et peint ce qu’il appelle le Manteau, qui est une forme faite de bleus, de gris, de noirs, de rythmes, c'est-à-dire un instant du ciel. Il peint aussi des corps d’anges noyés dans le flux de nuages, flottant « entre deux eaux ».
Une quête qui se prolonge : désir d’infini et de contemplation
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En regard de la grande composition de Champaigne, Paris peint des fragments, pas des extraits, qui ont une vie autonome. Il se produit immanquablement là, une métamorphose de l’iconographie de l’Assomption, transformée par une vision et une expérience qui ne sont soumises à aucune condition préalable du ciel-espace infiniment inatteignable. L’Assomption de Champaigne peut s’interpréter comme « la quête intérieure de l’homme, face à sa liberté de penser et de croire au salut ». Le travail de Paris sur ce tableau se détourne de la quête de Champaigne dans « son essai et sa démonstration du sens du visible », son « plaisir mystique », et sa « patiente rhétorique picturale » Paris montre, en partant des motifs de cette peinture, que ceux-ci, à travers et par-delà leur style et leur nature religieuse, peuvent avoir une autre vie exprimant un désir d’infini sans métaphysique et une contemplation sans mysticisme. L’Assomption devient pour Paris, non pas un sujet mais une source qu’il décline en correspondances, tensions actives entres anges, nuages, vierge, espace, paysage, éclairage.
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dans l’atelier de Champaigne, comme dans tout atelier depuis la renaissance, il y avait « le peintre des drapés », celui « des ciels », celui « des paysages »… Lui, le Maitre , avait mis en place le projet du tableau, sa composition et veillait à son accomplissement, à sa ressemblance rigoureuse au codes et au modèle parfait. La peinture de Paris ne vient pas de l’accomplissement d’un projet, mais plutôt du déroulement d’un processus ; ce qui vient ou plutôt se passe, est de nature imprévisible et inattendue, ne « colle » pas à la figuration ; sa peinture est « dans l’esprit de » , dans la consistance de ces choses ( drapés, ciels, anges, Vierge…) et veille à laisser à ces choses l’inépuisable dont elles sont faites. La recherche de la forme idéale débouche chez Champaigne sur un tableau plein, où tout est peint. Paris se plie à la mouvance et aux correspondances des choses, et cela donne une peinture faite de vides et de pleins, évitant par là l’écueil de réduire une chose à elle seule, séparée, étouffée, sans respiration. Chez Champaigne les figures de La Vierge et des anges, expriment ce qui les animent intérieurement et tous jouent comme des acteurs selon un rhétorique codifiée. Paris sort ces mêmes figures du jeu auquel elles semblaient attachées, et elles nous montrent alors leurs flux internes, leur animation. Claire Lamy
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Jacques Paris, en perspective. « La réflexion qui suit, veut éclairer l'écart de mon travail par rapport à l'Assomption de Philippe de Champaigne. Elle concerne la question de l'adéquation du style et du sujet : dans le tableau de Champaigne, je ne vois pas l'expression du mystère sensé habiter l'Assomption sous la scénographie datée, réduite à un symbolisme d'accessoires, d'ailes, de nuages..., et j'ai peine à imaginer que ce traitement réaliste du mystère puisse transporter un fidèle, ni à fortiori un spectateur actuel. En effet, l'excès de règles et la volonté de réalisme (qui caractérise l'art français surtout dès le moment où celles-ci sont dictées par l'Académie royale de Peinture créée en 1648 et dont Champaigne fut un pilier) a fini, sans compter l'épuisement par répétition des schémas iconographiques, par nuire à l'expression du spirituel ; à trop avoir arrêté le visible, les règles classiques ont empêché toute possibilité de dépassement du visible en invisible. Or n'est-ce pas le projet d'une peinture religieuse que de toucher à l'invisible (l’art roman y est parvenu, l'art gothique et celui de la première renaissance aussi, avant que le classicisme ne fige les choses)? C'est cela qu' au 20°siècle, la peinture (Kandinsky, Braque, le Matisse de la fin) a du et su retrouver en dépassant et en faisant voler en éclat ce blocage : « ça ne marchait plus ». Je suis habitué à la peinture du 17ème siècle, je la fréquente surtout à travers celle de Nicolas Poussin, et j'aime le tableau de Champaigne, en tant que peinture, mais je ne suis pas touché par son sujet. C'est une très belle peinture, à l'agencement savant et aux coloris subtils, dans laquelle Champaigne a resserré le sujet, concentré la composition et la palette colorée. Je peux comprendre qu'au 17ème siècle, elle ait suscité la dévotion des Chartreux qui la lui avait commandée. En non-croyant, aujourd’hui, je la vois plutôt en sa-
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Beau Absolu. Par contre, ils veulent renouer avec une non-séparation du sujet / objet. Ceci « justifie » à mes yeux la pérennité du style roman, qui est un art de la dimension spirituelle, pouvant toujours toucher, même le non-croyant ; cette réconciliation du propos et du style dans une œuvre, a des chance de donner à voir cette « histoire » de disparition, évaporation, désintégration du corps qui transgresse toute croyance dans toute tradition puisque concernant tout vivant.
vourant le traitement de l'espace, incandescent vers le haut, froid d'ardoise en bas, les zébrures des rais de lumière et la délicatesse des montagnes lointaines qui barrent la peinture tout en bas, mais elle ne me montre pas d' « ailleurs ». Cette saveur procurée par Champaigne, cette jubilation, m'ont en revanche conduit, dans mes travaux, « d'après » et « à partir » de sa peinture, à tenter de renouer avec une dimension ( qui n'est pas l' « ailleurs » chrétien) qui manque aujourd'hui dans le tableau de Champaigne, empêtré dans ses empêchements à voir. Pour autant, mon travail n'est pas une interprétation « contemporaine » de l'Assomption. Il a été mené dans le respect de ce que je vois dans le tableau, mais, une fois dites dans un langage pictural plus proche et plus commun, les choses se trouvent transportées et rendues à nouveau lisibles aux yeux des spectateurs d'aujourd'hui. Il s'est opéré une sorte de transmission, non pas une manipulation de l'iconographie de l'Assomption, qui appartient à l'histoire et à la sphère privée catholique où elle entre dans l'élaboration par l'église du culte marial, mais une transgression de son esthétique de l'Idéal, visant le Beau absolu, une esthétique, il faut le redire, qui proclame qu'aucune représentation sensible ne peut espérer exprimer un sujet touchant « aux fins dernières. » C 'est bien ce qui fonde l'élévation du corps de la Vierge vers l'Eternité de sa résurrection, et qu'une telle représentation doit se détacher des contingences du quotidien, de l'ordinaire de la vie : je pense tout le contraire, tout est là dans l'expérience de la vie, il faut seulement « ouvrir l'œil ».
Cette histoire-là est bel et bien contenue derrière la forme de l' « Assomption » de Champaigne, et par mes matières, mes couleurs, mes gestes, tout ce qui constitue ma peinture, elle s'extrait au moment où j'en fais l'expérience (= je peins), une expérience qui tient plus du processus en train de se faire, n'est ce pas la vraie nature de la vie...? et elle rend in fine un hommage à mon aîné : c'est à partir de sa peinture, en dégageant ce qu'elle dissimulait d'inépuisable, que j'ai tiré cela.» Propos Jacques Paris
Trois siècles après Champaigne, et à la suite de tout ce que le 20ème siècle, Cézanne, le cubisme, l'abstraction lyrique, m'a appris et montré de l'expression du spirituel, et non du religieux, (le spirituel touche les choses de l'esprit, avec ou sans foi, quelque soit la tradition et le contexte), je tente de dire ceci : mes travaux à partir de l'Assomption quittent délibérément le domaine de l'image (l’imagerie) symbolique, et ils n'ont pas vocation à nommer un 24
Variation Baroque 12
Variation Baroque 1
Paris peint comme une expérience de « la première fois », un phénomène vivant dont la condition de survie dépend du souffle que va posséder l’œuvre, de son énergie, de sa « résonnance intérieure » comme le dit Kandinsky.
du Spirituel dans l’Art
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Manteau 6
Pas une peinture à la surface de la forme, de son contour, mais dans le passage entre, à travers un processus qui touche à la transformation permanente des choses Jusqu’à l’apparente disparition qui n’est que la forme ultime perceptible par les sens humains…
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Fragments, mais pas extraits, qui ont une vie autonome. Il se produit alors immanquablement là une métamorphose de l’iconographie de l’Assomption
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Petite Meditation
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Saisir dans l’hom me intérieur, la singularité de chaque âme
Variation Champaigne Lithographie sur velin d'Arches. 2011 3 couleurs. 65x50 cm. Les Amis du Musée, dont l'action consiste à valoriser les collections du Musée-Muséum départemental, se sont engagés dans une action de diffusion, particulièrement celles des artistes contemporains vivants, par l'édition d'art d'estampes, des multiples limités par le procédé choisi. Jacques Paris, exposé et présent dans les collections, nous est apparu, en accord avec Frédérique Verlinden, conservatrice en chef du Musée-Muséum, capable de se prêter à la technique de la lithographie, ce procédé né au 19 ème siècle permettant de travailler spontanément sur les pierres de calcaire fin et de transférer sur des papiers de qualité (vélin d'Arches) l'encre des dessins et des masses de couleurs. Cette technique s'accordait parfaitement à la liberté de trait, aux couleurs nuancées et à la transparence des tons qui caractérisent sa peinture. Il a accepté de tenter cette aventure alors qu'il était en train de réaliser son travail autour de L'Assomption, et c'est ainsi qu'il est allé travailler avec Philippe Moreau, imprimeur d'art à Forcalquier, et a pu prolonger, de son propre aveu, grâce à cette technique favorisant les effets de superpositions, l'esprit baroque de l'œuvre de Champaigne. La lithographie originale signée et numérotée a été tirée à 50 exemplaires dont 30 mises en vente par les Amis du Musée.
Gérard Boisard, Président des Amis du Musée-Muséum, Gap.
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Perte de mesure entre le proche et le lointain
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Pour aller plus loin Sur la peinture de Philippe de Champaigne Catalogue Philippe de Champaigne 1602-1674. Entre politique et dévotion. Sous la direction de : Alain Tapié et Nicolas Sainte Fare Garnot Palais des Beaux-Arts de Lille. 27 avril 2007 – 15 août 2007 Musée rath, Genève. 20 septembre 2007 - 13 janvier 2008 Sur la Chartreuse de durbon La chartreuse de durbon, Nathalie Nicolas (2005) http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00667929 Sur Port-royal des Champs « Le désert de la grâce » de Claude Pujade-renaud, édition Actes Sud roman très documenté sur cette abbaye où vécue la fille de Philippe de Champaigne, celle de Jean racine et tant d’autres. L’auteure embrasse l’histoire d’un lieu de grâce que le pouvoir temporel de Louis XIV n’eut de cesse d’opprimer, détruire et transformer en désert, au risque même d’en faire un mythe. Sur la peinture de Jacques Paris www.jacquesparis.fr Œuvres dans les collections publiques -Etudes pour un portrait d'Abd el-Kader (2002-2003), 12 peintures, et rêve de la météorite (2004), 12 peintures, Musée-Muséum départemental, Gap. -Ulysse et Pénélope (2006-2007), 12 peintures, commune de Suharëkë (Kosovo). -dans la nuit d'Orion (2010), cycle de 5 peintures sur roche, ancienne mine d'argent du Fournel, L'Argentière-La-Bessée (Hautes-Alpes). -rain of burning chiles (2011), peinture murale, Americas Best Value Inn, Las Cruces, New Mexico, USA (www.youtube.com). -Constellation, 3 vitraux, chapelle des Capucins-Centre d'Art Contemporain (2011), Embrun (Hautes-Alpes). -Xoanon, peinture murale (2012), Jardin de Paix, Matha (Charente Maritime). remerciements Champaigne pour tous! a bénéficié : de l’acompagnement du Pays Buëch-Sisteronais dans le cadre d’un projet Feader, du soutient financier du Conseil Général des Hautes-Alpes, du Conseil régional PACA, de la direction régionale des Affaires Culturelles et de l’Europe. Qu’ils en soient ici remerciés. Merci pour ses patients conseils à Cécile Gacougnole, coordinatrice de l’Agence culturelle départementale au Conseil Général des Hautes-Alpes, au Pays Sisteronnais-Buëch…. Merci aux habitants du village de Saint-Julien-en-Beauchêne, qui ont autorisé l’installation de panneaux sur les façades de leurs maisons. des remerciements très particuliers à Murielle et Jean-Philippe Guibaud, propriétaires de l’Hôtelrestaurant Les Alpins, toujours impliqués dans les aventures culturelles du village.
Ont contribué à la rédaction de ce catalogue : Jacques Paris, qui tout au long de ces pages, donne des clés pour comprendre sa démarche artistique, en regard de celle de Philippe de Champaigne. Jean-Claude Gast, Frédérique Verlinden, Claire Lamy, Elsa Micholet , Olivier dalmon, Gérard Boisard. Coordination : Claire Lamy. Conception graphique : Olivier dalmon / Editions du Buëch. Crédits photographiques : Jacques Paris.
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SAINT-JULIEN-EN-BEAUCHÊNE -
10€
Champaigne pour tous ! saint-Julien-en-BeauChêne 6 Juil./30 sept 2012
Champaigne Pour tous !