ROZES Matthias Matthias.rozes@free.fr 20900579 Mardi 26 avril 2011
M4CCS PHOTOGRAPHIE ET PRESSE Compte rendu de lecture : Situation du reportage, actualité d’une alternative documentaire « Situation du reportage, actualité d’une alternative documentaire » est un article critique sur la profession de photojournaliste. Il a été publié en 2001 dans la revue Communication, revue de sciences humaines qui analyse les communications de masses. L’auteur, Gilles Saussier, qui est lui même photographe, va dans ce texte livrer son point de vue sur la profession, mais surtout sur l’évolution que connaît le métier de photographe.
Il est donc lui même à l’origine de la chaine
photographique car il est producteur d’images. Son approche est celle du praticien et non celle du théoricien de l’image. Dans ce texte, il se base principalement sur son expérience personnelle, durant la Guerre du Golfe ou pendant les inondations du Bengladesh. Il aborde les sujets tels que le fonctionnement médiatique de l’image d’actualité, la construction du personnage « photojournaliste », les formes conventionnelles de reportages photographiques et l’alternative actuelle par la création de nouvelles formes photographiques. Gilles Saussier commence son analyse en expliquant que, lors de ses débuts de reporter-photographe, il avait une certaine image de la profession, une image dite « héroïque » qui, selon lui, viendrait de ses ainés ayant couvert le conflit de la guerre d’Indochine. Ainsi, il espérait lui aussi, en se rendant sur des terrains de guerre, acquérir « l’aura » de ses prédécesseurs et produire des images qui marqueraient l’histoire. Mais une fois sur le terrain, il va se rendre compte que la réalité ne correspond pas du tout à ses attentes. Il espérait, en effet trouver des sujets qui lui permettraient de rapporter l’événement en photographie, seulement rien en matière de symbolisme iconographique ne pouvait rendre compte de cette guerre. Il va alors comprendre que les photographies qui ont le plus de succès et qui
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sont largement publiées dans la presse du monde entier sont les photographies qui correspondent à un archétype déterminé, à une construction iconographique. Il insiste sur le fait qu’une seule photo traitant d’un fait secondaire peut devenir une « image symbole » d’un événement qui efface l’importance des autres faits. Saussier pense que cette construction médiatique est dangereuse car elle modifie la perception des événements d’actualités et donc de l’histoire. Pour lui, la production photographique des événements d’actualités se conforme à des critères iconographiques qui permettent une lisibilité de l’image par sa construction. Ces standards photographiques, qui sont des condensés d’événements, sont orchestrés par les médias eux-mêmes qui imposent des normes et des figures types. L’image de guerre type aurait été codifiée durant la guerre du Vietnam. Ces modèles picturaux et leurs constantes omniprésences dans la presse ont pour effet la destruction de toute valeur critique et de toute pertinence historique. L’auteur du texte déplore un certain traitement de l’information. La multiplication d’objets photographiques dans les médias a pour conséquence la création d’un engouement médiatique pour tel ou tel événement de l’actualité. Plus l’événement a la possibilité de produire des formes photographiques qui correspondent aux attentes iconographiques de la presse, plus cet événement sera médiatisé. Cette sélection par la dramatisation de l’événement par l’image, a pour effet un traitement inégal des événements d’actualités dans la presse et donc remet en cause l’importance objective de l’évènement. Saussier prend pour exemple les inondations de 1988 au Bangladesh qui ont fait 2 000 victimes et qui ont bénéficié d’une couverture médiatique importante sur la durée car elles étaient riches en images. Il oppose cet événement à un autre qui toucha également le pays, le cyclone de 1991 qui provoqua la mort de 130 000 personnes, mais qui, faute d’images suffisamment dramatiques, ne perdura pas aussi longtemps dans la presse. Pour Gilles Saussier, un photographe devrait, s’il a du talent, passer outre le manque de sujet dramatique et construire à partir de cette absence un autre type de représentation de l’actualité. C’est ainsi que le « reporter de fond » est apparu. Ce journaliste reste plus longtemps sur le terrain des événements afin d’obtenir le plus grand nombre de documents visuels sur un sujet spécifique. Ces photographes
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veulent se différencier dans un milieu de plus en plus dominé par la standardisation médiatique et par le marché de la presse people. Ainsi, la figure du reporter de fond se construit. C’est alors que va se construire la figure du photoreporter. Mais pour Gilles Saussier, ces journalistes de fonds construisent en définitive une sorte d’autoglorification de leurs temps passé sur le terrain. Les médias vont utiliser ces grands reporters à des fins de promotion : en valorisant la qualité et l’intégrité de leur travail et surtout leur « héroïsme ». Cela dans le but de confirmer ou de créer l’image de marque de telle ou telle institution médiatique. En théorie, le reporter de terrain devrait faire en sorte de se fondre dans le paysage qui l’entoure afin de se rendre invisible et de pouvoir prendre des photos « sur le vif ». Mais on se rend vite compte que cette posture est déterminée culturellement et historiquement. Parfois cette volonté d’invisibilité est confrontée à des « réalités sociales hostiles » qui sont des freins, voire un blocage total au travail du photographe. S’ajoutent à cela la présence physique du photographe qui influence aussi l’attitude du sujet. L’observateur fait lui même partie de son observation. Gilles Saussier pense que le photographe veut lui même s’inscrire dans l’histoire. Ainsi l’instant décisif, le fait d’être au « bon endroit au bon moment », est conditionné par la situation du photographe sur le terrain et le contexte du reportage. La véritable alternative apparaitra lorsque les journalistes conscients des dérives du système médiatique vont se tourner vers un autre milieu, le monde de l’art. Ils vont chercher dans l’art des apports économiques aussi bien qu’idéologiques. Passant de la photographie de reportage à une photographie documentaire, de nouvelles formes vont apparaître. Dans la photographie documentaire, le portraitiste construit des fresques sociales. Le portrait se différencie du reportage qui se passe de la parole et souvent de l’identité des sujets photographiés. Pour Saussier, il faut allier qualité d’image et qualité de témoignage ce qui est un véritable travail de journaliste. Ainsi, la photographie documentaire s’oppose à la photographie de presse par le refus d’effets préétablis. Les portraits de Gilles Saussier proposeraient selon lui une « vision informée », c’est la proposition alternative de l’auteur.
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Les photographes occidentaux ne peuvent, lors de reportage en Orient, rendre compte d’un paysage qui est modifié par l’activité humaine. En effet les paysages ne vieillissant pas, le seul moyen imaginé est de prendre en photo des figures humaines comme allégorie symbolique, figure artistique. La photographie est donc ici, informative mais fait aussi appel aux sentiments. Contrairement à la photographie de presse, la photographie documentaire et le portrait se doivent de produire une libération du sujet et doivent faire abstraction des paramètres qui suscitent le malaise. Les photographes doivent alors faire attention à ne pas entretenir les stéréotypes ou les conditions sociales qu’ils critiquent. La création est ainsi le fait de « faire le lien » entre quelque chose ou quelqu’un qui existe. L’exposition des photographies doit être faite dans des lieux qui préservent le sens des photographies sans les déformer. L’auteur rappelle que l’expression « in situ » ne veut pas forcément dire qu’il faille exposer les photographies là où elles ont été faites mais dans un cadre qui protège le contexte. Le souci de contextualisation des œuvres est au cœur de la tradition documentaire. Si le lieu est important, la contextualisation d’une exposition doit se faire par le biais d’éléments informatifs qui entourent les photographies. Dans « Situation du reportage, actualité d’une alternative documentaire » Gilles Saussier part d’un constat, il en explique les causes et en tire la conséquence. Il critique le système médiatique qui veut que la puissance iconographique de l’image prenne le pouvoir sur l’actualité. Il constate que ce n’est pas l’importance de l’événement qui fait l’actualité mais l’abondance de ses représentations iconographiques qui dicte et dramatise le traitement de l’information. Une construction médiatique s’opère donc lorsque la même image se répète dans différentes publications et n’offre finalement qu’une vision restreinte d’un événement d’actualité. Les conséquences de ces pratiques sont la dévalorisation de l’objet image comme marqueur historique et le désintéressement de la presse pour certains évènements majeurs de l’actualité à cause de leurs faibles potentialités iconographiques. De ce constat, va apparaître une nouvelle forme de journalisme, « le reporter de fond », qui reste plus longtemps sur le terrain des évènements et qui de ce fait, accumule les photographies sur un sujet précis. La récupération de l’image de ses reporters par le système médiatique à des fins commerciales va avoir
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pour effet l’opposition à la photographie de reportage d’une partie de la profession et l’adoption d’une nouvelle forme : la photographie documentaire. Cette nouvelle forme qu’explore l’auteur à travers des portraits se rapproche du milieu de l’art. La photographie documentaire pour être reconnue comme telle doit avoir un sens allégorique et surtout doit être contextualisée. Sans cela elle ne s’oppose en rien à la photographie de reportage. Ce glissement de la profession vers une alternative qui se revendique plus artistique, remet clairement en question l’utilisation de la photographie dans la presse. Mais l’alternative d’aujourd’hui ne finira-t-elle pas elle-même par être rattrapée et remise en cause par ces mêmes dénonciateurs ? En effet, comme l’explique Naomie Klein dans son livre No logo, les alternatives culturelles finissent systématiquement par être absorbées par le « mainstream » (qui serait ici le dispositif médiatique). Plus qu’une véritable alternative, ce déplacement de la photographie des journaux vers les galeries sacralise de plus en plus la position du photographe. Mais le milieu de l’art, peut, aussi dénaturer « l’esprit » d’une photographie : en la sortant de son contexte initiale et en lui attribuant une valeur monétaire, qui va souvent à l’encontre du message porté par l’image. Le texte de Saussier date d’une dizaine d’années, peut-être qu’aujourd’hui cette évolution est plus facilement perceptible.
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