agriculture policy brief
Élaborer des politiques sur les systèmes alimentaires qui soient cohérentes
Janvier 2021
Il est nécessaire d’améliorer les politiques pour relever le triple défi qui se pose aux systèmes alimentaires : simultanément assurer la sécurité alimentaire et répondre aux besoins nutritionnels de tous, fournir des moyens de subsistance tout au long de la chaîne alimentaire, et améliorer la viabilité environnementale du secteur. L’élaboration de politiques efficaces sur les systèmes alimentaires demeure complexe, car il existe des synergies et des compromis entre les différentes dimensions du triple défi et des répercussions transfrontières. Cependant, certains principes peuvent aider à rendre la tâche moins ardue. En première étape, il est important, de recenser, et si possible de quantifier, les répercussions : les synergies et compromis potentiels ne sont pas tous réels, ou d’ampleur suffisante pour peser dans l’élaboration des politiques. Même si l’on trouve des synergies, un seul instrument d’intervention suffit rarement à réaliser tous les objectifs. Il faut généralement en associer plusieurs. Quant aux compromis, ils peuvent parfois être évités en choisissant d’autres instruments. Dans d’autres cas, la société doit concilier des objectifs concurrents. Il ne s’agit pas là de régler une question purement technique, mais de poser des jugements de valeur. Plusieurs démarches concrètes peuvent améliorer la cohérence des politiques sur les systèmes alimentaires : par exemple, les analyses d’impact de la réglementation et les états des lieux, la consultation des parties prenantes, et l’amélioration de la coordination entre les communautés de responsables de l’action publique.
De quoi s’agit-il ? On attend des systèmes alimentaires à travers le monde qu’ils assurent la sécurité alimentaire et répondent aux besoins nutritionnels de tous, fournissent des moyens de subsistance à tous les acteurs de la chaîne alimentaire, et améliorent la viabilité environnementale du secteur, simultanément. Il est nécessaire d’améliorer de toute urgence les politiques pour relever ce « triple défi » (voir synthèse no1), mais les politiques qui visent à améliorer les résultats dans une dimension du triple défi peuvent également influer sur les autres dimensions de manière positive (synergie) ou négative (compromis). Compte tenu de ces interactions complexes à plusieurs niveaux, il peut être difficile d’élaborer de meilleures politiques.
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Que devraient faire les responsables de l’action publique ? Envisager la question sous l’angle des systèmes alimentaires signifie que les politiques doivent être cohérentes dans les trois dimensions du triple défi : elles doivent prendre en compte les synergies et compromis voulus aux niveaux international, national et infranational. Cette tâche peut s’avérer ardue et coûteuse en pratique. Des cadres stylisés, comme celui qui est présenté dans le graphique ci-après, peuvent aider les responsables de l’action publique à structurer leur analyse de façon à se concentrer sur les questions qu’il convient de traiter afin de trouver un train de mesures cohérent pour les systèmes alimentaires.
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Élaborer des politiques sur les systèmes alimentaires qui soient cohérentes
Graphique. Principes guidant l’élaboration de politiques cohérentes
Évaluer la nécessité de l’action publique
Recensement : évaluer, et si possible quantifier, l’ampleur des interactions entre différents objectifs stratégiques (y compris répercussions transfrontières)
Les répercussions sont
Il existe une synergie
faibles ou nulles
Il existe un compromis
Dosage :
Les objectifs stratégiques peuvent être menés indépendamment dans le cadre d’instruments ciblés
Examiner si le compromis peut être évité en choisissant des instruments plus judicieux
choisir le bon train de mesures pour atteindre les objectifs souhaités
Arbitrage : si le compromis persiste, faire un choix sociétal entre des objectifs concurrents
Évaluer la nécessité de l’action publique En première étape, pour réduire la complexité, il est utile de se demander si et quand l’action publique est nécessaire. Dans le contexte des systèmes alimentaires, l’action publique pourrait se justifier pour fournir un bien public (par exemple, R-D agricole ou réglementation sur la sécurité alimentaire) ou pour combler une lacune du marché (par exemple, réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ou le fardeau public lié aux choix alimentaires malsains). En fin de compte, se pose la question empirique de savoir si et dans quelle mesure l’action publique pourrait aider, et quels instruments seraient les mieux adaptés à cet objectif. Les responsables de l’action publique disposent d’une palette de mesures envisageables, allant des lois et réglementations à des solutions non législatives (par exemple, mener des
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campagnes d’information ou encourager les initiatives de l’industrie et de la société civile), et ont aussi la possibilité de n’en prendre aucune. Recensement : évaluer, et si possible quantifier, l’ampleur des interactions Si l’action publique se justifie, il faudra ensuite rigoureusement évaluer, et si possible quantifier, les éventuelles répercussions, y compris transfrontières. Par exemple, de nombreux pays prévoient des mesures de soutien aux revenus des agriculteurs dans le cadre de politiques, comme l’application de droits de douane sur les importations, qui renchérissent les prix alimentaires pour les consommateurs sur le marché intérieur et réduisent les débouchés pour les producteurs des autres pays. Les responsables de l’action publique doivent avoir conscience de ces répercussions éventuelles, mais
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il est essentiel qu’ils les examinent en s’appuyant sur des données factuelles et des analyses à jour. Certaines répercussions peuvent être d’ampleur assez modeste ; dans d’autres cas, il peut exister des synergies et des compromis. Tous ces cas de figure ont des conséquences différentes sur les politiques. Si les répercussions sont faibles ou nulles, mener les objectifs stratégiques séparément S’il n’existe pas de répercussions importantes, les objectifs stratégiques peuvent être menés indépendamment dans le cadre de politiques ciblées. Par exemple, certains observateurs ont laissé entendre que les politiques d’aide agricole avaient contribué à la montée de l’obésité. Cependant, d’après les données empiriques, en moyenne, les aides agricoles dans les pays de l’OCDE ont renchéri les prix sur le marché intérieur (par exemple, en raison de l’application de droits de douane), et n’ont donc pas encouragé à la surconsommation alimentaire. S’il existe une raison économique et écologique impérieuse de réformer les politiques d’aide agricole, il est peu probable que ce soit un outil efficace pour lutter contre l’obésité. Au lieu de cela, les travaux de l’OCDE ont mis en évidence une démarche en quatre volets qui permettrait d’inciter les consommateurs à faire des choix alimentaires plus sains : mesures publiques du côté de la demande (par exemple, campagnes d’information), collaboration avec l’industrie agroalimentaire à l’interface entre l’offre et la demande (par exemple, modification de la composition des produits, étiquetage), durcissement de la réglementation lorsqu’il existe un décalage entre les incitations des secteurs public et privé (par exemple, limiter la publicité à l’intention des enfants), et des mesures fiscales. En cas de synergies, doser soigneusement le train de politiques S’il existe une synergie entre deux objectifs stratégiques ou plus, il est tentant de chercher l’instrument d’intervention miracle qui soit à même de résoudre simultanément plusieurs problèmes. Mais il est rare qu’un seul instrument puisse atteindre parfaitement de multiples objectifs. Par exemple, dans de nombreux pays, les politiques en faveur de l’adoption de régimes alimentaires plus sains peuvent exiger de délaisser les produits issus des ruminants, ce qui contribuerait également à réduire les émissions de GES. Cependant, le régime alimentaire optimal pour la santé humaine coïncidera rarement à la perfection avec ce qui convient le mieux à la viabilité environnementale. Par exemple, ces régimes supposent généralement de consommer davantage de fruits et légumes, ce qui pourrait conduire à utiliser davantage de pesticides et d’eau. Par conséquent, des mesures d’intervention supplémentaires seront nécessaires pour réaliser à la fois les objectifs sanitaires humains et environnementaux. Toutefois, des synergies entre ces objectifs pourraient diminuer les efforts à déployer dans le cadre de chacune de ces politiques.
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Quand il existe des synergies, les responsables de l’action publique devraient donc s’attacher à trouver le bon dosage entre les instruments, et non à chercher la politique miracle. En cas de compromis, chercher d’autres instruments, faire un choix entre des objectifs concurrents Dans de nombreux cas les responsables de l’action publique se trouvent face à des compromis entre deux objectifs ou plus. L’expérience montre qu’il est souvent possible d’atténuer ces compromis ou de les faire disparaître en adoptant d’autres instruments d’intervention. Par exemple, subventionner les engrais pour soutenir le revenu des agriculteurs favorisera une utilisation excessive de ces produits, entraînant des problèmes écologiques. Recourir à cet instrument crée un compromis entre le soutien aux revenus agricoles et la protection de l’environnement – mais il est évident qu’un autre choix d’instrument pourrait atténuer ce compromis (par exemple, le versement de types d’aide plus découplés), voire le transformer en synergie (par exemple, la mise en place de paiements pour les services écosystémiques qui soient bien conçus). Toutefois, se tourner vers un autre instrument n’est pas toujours aussi efficace pour régler les compromis. Les responsables de l’action publique devront peut-être arbitrer entre des objectifs concurrents en faisant un choix sociétal. Si ce choix doit être fait en se fondant sur les données factuelles disponibles, il ne s’agit pas d’une question purement technique : il exige de poser des jugements de valeur en fonction des priorités d’une société et d’intérêts plus généraux. Dans les démocraties, il existe rarement une vision unanime de la façon dont ces compromis doivent être faits.
Des approches pragmatiques peuvent favoriser l’élaboration de politiques plus cohérentes Il existe de nombreuses manières différentes d’appliquer les principes énoncés dans les paragraphes précédents pour mettre en place des approches stratégiques particulières. •
Les analyses d’impact de la réglementation (AIR) peuvent améliorer la cohérence en exigeant l’évaluation ex ante des synergies et compromis potentiels, et en comparant les différentes options tout en tenant compte des effets d’interaction. Les pays de l’OCDE mènent de plus en plus souvent des AIR dans le cadre de l’examen préalable ordinaire des propositions de nouvelles lois et réglementations. La cohérence des politiques existantes peut également être évaluée en réalisant des états des lieux, qui dressent l’inventaire des politiques existantes et de leurs synergies et compromis potentiels, par exemple.
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Les consultations multi-parties prenantes peuvent concourir à améliorer la cohérence en réunissant un large éventail de perspectives et de compétences spécialisées. Elles augmentent ainsi la probabilité de recenser des synergies et compromis importants, et les moyens envisageables pour les gérer. Elles sont particulièrement utiles lorsqu’il est demandé aux parties prenantes de se pencher sur les données et les faits probants rassemblés à l’occasion d’une AIR ou d’un état des lieux, pour favoriser des discussions fondées sur des données factuelles.
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La cohérence peut être améliorée en assurant une meilleure coordination entre les différentes communautés de responsables de l’action publique (par exemple, agriculture, environnement, santé publique) et les divers niveaux de l’administration publique (par exemple, fédéral, provincial/ territorial/état, municipal/local). Les mécanismes existants vont des échanges de vues ponctuels à une intégration fonctionnelle complète. Une plus forte intégration pourrait favoriser davantage de cohérence, mais elle est difficile à réaliser et pourrait créer d’autres problèmes.
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Au niveau international, une coopération est également nécessaire pour gérer les répercussions transfrontières et éviter l’adoption de politiques incohérentes. Là encore, il existe plusieurs mécanismes, allant du dialogue et de l’échange d’informations dans le cadre des organisations internationales aux accords internationaux contraignants et à l’élaboration de normes internationales. Cependant, il n’est pas toujours aisé de mettre en place une coopération internationale, car il existe des divergences d’intérêts, de préférences et d’approches concernant l’élaboration de politiques entre les pays.
Pour en savoir plus • OCDE (2021), Making Better Policies for Food Systems, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi. org/10.1787/ddfba4de-en. • OECD (2020), Measuring distortions in international markets: the agriculture sector, https://issuu.com/oecd.publishing/docs/ measuring_distortions_in_internatio • Giner, C. et J. Brooks (2019-10-28), « Policies for encouraging healthier food choices », OECD Food, Agriculture and Fisheries Papers, no 137, Éditions OCDE, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/11a42b51en
Il est nécessaire d’améliorer la cohérence stratégique pour élaborer de meilleures politiques sur les systèmes alimentaires. Les principes guidant l’élaboration de politiques et les approches pragmatiques exposés dans la présente synthèse peuvent aider à formuler des politiques qui tiennent compte des répercussions entre les différentes dimensions du triple défi. Toutefois, il peut être parfois difficile d’améliorer les politiques du fait de désaccords concernant les faits, les intérêts ou les valeurs. Des processus d’intervention robustes sont donc essentiels pour élaborer de meilleures politiques sur les systèmes alimentaires (voir synthèse no3).
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