agriculture policy brief
Les systèmes alimentaires et le triple défi
Janvier 2021
es systèmes alimentaires englobent tous les éléments et toutes les activités intervenant L du champ à l’assiette et au-delà. l’échelle mondiale, ils doivent relever le triple défi d’assurer la sécurité alimentaire et de À répondre aux besoins nutritionnels d’une population croissante, de fournir des moyens de subsistance aux agriculteurs et aux autres acteurs de la chaîne alimentaire, et d’améliorer la viabilité environnementale du secteur. ’ils ont considérablement progressé dans les trois dimensions, les systèmes alimentaires S doivent également surmonter des difficultés importantes. méliorer les politiques peut contribuer à relever ce triple défi. Toutefois, pour que A les politiques en faveur des systèmes alimentaires soient efficaces et cohérentes, les responsables de l’action publique doivent gérer des synergies et des compromis complexes entre les trois dimensions du triple défi.
De quoi s’agit-il ? Les systèmes alimentaires englobent tous les éléments et toutes les activités intervenant du champ à l’assiette et au-delà : les personnes, intrants, processus ou institutions ayant un lien avec la production et la consommation alimentaires, ainsi que leurs produits, tels que les résultats nutritionnels ou les effets socioéconomiques et écologiques. Il existe de nombreux systèmes alimentaires différents à travers le monde, reliés entre eux par les échanges internationaux et par les défis environnementaux mondiaux, par exemple. Si certains aspects des systèmes alimentaires sont mondiaux (par exemple, le commerce international des produits de base agricoles, ou la contribution des systèmes alimentaires aux émissions de gaz à effet de serre (GES)), d’autres sont très localisés (par exemple, l’état des sols ou les traditions culturelles). À l’échelle mondiale, on attend des systèmes alimentaires qu’ils relèvent un triple défi impressionnant : •
assurer une alimentation suffisante, sûre et nutritive à une population mondiale qui devrait avoisiner les 10 milliards d’habitants en 2050 ;
•
fournir des revenus à plus de 500 millions d’agriculteurs et autres acteurs de la chaîne alimentaire, et promouvoir le développement rural ; et
www.oecd.org/agriculture
tad.contact@oecd.org
•
faire tout cela de manière viable, en utilisant essentiellement la même superficie de terres et moins d’eau, tout en s’adaptant aux changements climatiques et en contribuant à la réduction des émissions de GES.
Ces trois défis sont une partie essentielle des enjeux plus vastes qui se posent à l’humanité tout entière. Sur les 17 objectifs de développement durable définis par l’Organisation des Nations Unies, presque tous sont liés directement ou directement aux systèmes alimentaires. Il est donc essentiel de relever le triple défi en favorisant l’émergence de systèmes alimentaires productifs, viables et résilients pour réaliser les objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Cependant, à travers le monde, les systèmes alimentaires ne sont pas encore en voie d’atteindre ces objectifs. À l’échelle mondiale, plus 800 millions de personnes sont sous-alimentées et un nombre encore plus grand de personnes est en surpoids ou obèse, ces deux aspects, et d’autres formes de malnutrition, participant à l’accroissement du poids économique de la santé publique. Dans les pays de l’OCDE, le surpoids et les pathologies connexes entraîneront une perte de produit intérieur brut estimée à 3.3 %. Si la croissance de la productivité a permis d’abaisser les prix alimentaires - une aubaine @OECDagriculture
Les systèmes alimentaires et le triple défi
Graphique 1. Population, production agricole et utilisation des terres agricoles à long terme Population
Superficie agricole totale
Production agricole mondiale
1960=100
450 400 350 300 250 200 150 100 50 0
1800 1810 1820 1830 1840 1850 1860 1870 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020
Source: Les donnes sur la population sont tirées des statistiques historiques de Maddison pour 1820-1940 ; de la Division de la population de l’Organisation des Nations Unies pour 1950-2010 ; des résultats de l’extrapolation réalisée à partir des statistiques historiques de Maddison pour 1800 et 1810. Les données sur les terres agricoles (cultures et pâturages) pour la période 1800-2010 proviennent de la base de données « History Database of the Global Environment » (HYDE 3.2.), Klein Goldewijk et al. (2017). Les données sur la production agricole mondiale pour 1960-2010 sont issues de FAOSTAT (indice de la production agricole nette) ; et les données pour 2020 de OCDE/FAO (2020), « Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO », Statistiques agricoles de l’OCDE (base de données), https://dx.doi.org/10.1787/agr-outl-data-fr.
pour les consommateurs - elle a également accentué la pression sur les revenus des agriculteurs qui n’ont pas pu faire face à la concurrence. Dans certains pays, cette situation a favorisé un exode rural massif. La production alimentaire inflige en outre d’importants dommages à l’environnement : l’agriculture est directement responsable de 11 % des émissions de GES dans le monde, et deux fois plus si l’on tient compte des effets indirects du changement d’affectation des terres.
la production agricole à la croissance de la population, mais aussi à augmenter la production par habitant de plus de 45 %, avec des conséquences importantes pour répondre aux besoins nutritionnels et alimentaires à un coût abordable. Par ailleurs, si la production agricole totale a triplé, l’utilisation des terres agricoles au niveau mondial a progressé seulement de 10 à 15 %, car les nouvelles techniques et technologies ont permis aux agriculteurs de produire beaucoup plus d’aliments par unité de terre.
Ces sérieux problèmes sont souvent perçus comme la preuve que les systèmes alimentaires sont complètement « brisés ». Toutefois, cette vision néglige les progrès considérables qui ont été accomplis dans les trois dimensions du triple défi. Depuis 1960, la population mondiale a plus que doublé, passant de 3 milliards d’habitants à environ 7.5 milliards d’habitants aujourd’hui (graphique 1). Les systèmes alimentaires à travers le monde ont réussi non seulement à adapter
Une grande partie de cet accroissement de la production était initialement dû à l’utilisation plus intensive d’intrants (engrais, pesticides, irrigation), qui a fait émerger de nouveaux problèmes environnementaux. Cependant, ces dernières décennies, l’augmentation de la production agricole a été de plus en plus tirée par l’innovation, les gains d’efficacité et les progrès technologiques, qui ont permis de réduire l’empreinte écologique par unité d’aliment produit.
Tableau 1. Principales réalisations et lacunes des systèmes alimentaires dans les trois dimensions du triple défi Principales réalisations
Principales lacunes
Sécurité alimentaire et nutrition
La population mondiale est passée de 3 milliards d’habitants en 1960 à 7.5 milliards d’habitants aujourd’hui, et la quantité d’aliments est suffisante
Plus 800 millions de personnes sont sousalimentées, et un nombre encore plus grand de personnes est en surpoids ou obèse, participant à l’accroissement du poids économique de la santé publique
Utilisation des ressources naturelles et changements climatiques
La production a augmenté grâce à l’amélioration de la productivité, plutôt qu’à l’utilisation accrue des terres
Un tiers des sols de la planète sont dégradés ; la moitié de la surface agricole mondiale est soumise à un stress hydrique ; et la production agricole contribue à 11 à 24 % des émissions mondiales de GES
Moyens de subsistance et développement rural
Le développement a permis aux agriculteurs pauvres d’être absorbés dans d’autres secteurs
Les revenus agricoles sont soumis à une pression constante à la baisse des prix ; il existe des pressions à l’exode rural
www.oecd.org/agriculture
tad.contact@oecd.org
@OECDagriculture
Cette hausse de la productivité a également permis une baisse sensible des prix alimentaires, qui a bénéficié à des milliards de consommateurs à travers le monde. Le tableau 1 résume les principales réalisations et lacunes des systèmes alimentaires dans les trois dimensions du triple défi. La pandémie de COVID-19 qui s’est déclenchée au début de l’année 2020 a exercé une pression supplémentaire sur les systèmes alimentaires, mais le « triple défi » existait déjà bien avant, et persistera après. Par conséquent, tout en faisant face aux problèmes immédiats soulevés par la pandémie, les gouvernements doivent continuer d’investir dans les politiques afin de surmonter le triple défi à moyen et à long termes.
Que devraient faire les responsables de l’action publique ? À l’heure actuelle, nombre de politiques agroalimentaires ne parviennent pas à produire de bons résultats dans les trois dimensions du triple défi. Le recours aux politiques de soutien à l’agriculture illustre bien ce manque de cohérence. Dans les 54 pays membres et non-membres de l’OCDE couverts dans le rapport annuel de l’OCDE intitulé Politiques agricoles : suivi et évaluation, les agriculteurs reçoivent 536 milliards USD par an d’aides publiques ; les deux tiers de ces aides sont financées par la hausse des prix à la consommation et des versements couplés à la production, y compris des subventions aux intrants d’un montant variable
(OECD, 2020). Ces politiques qui maintiennent des prix intérieurs supérieurs aux prix à l’international font peser un lourd fardeau sur les consommateurs pauvres et compromettent la sécurité alimentaire. On constate également que les aides couplées peuvent aggraver les effets sur l’environnement en incitant les agriculteurs à accroître la production et à intensifier l’utilisation d’intrants préjudiciables pour l’environnement (Henderson & Lankoski, 2019). Elles peuvent en outre entraver les efforts d’adaptation aux changements climatiques en contraignant les agriculteurs à produire certaines cultures alors même que les conditions s’y prêtent de moins en moins. Malgré quelques progrès au début des années 2010, où les gouvernements ont privilégié des mesures de soutien mieux ciblées qui créent moins de distorsions (par exemple, des mesures davantage axées sur l’innovation et les conseils aux agriculteurs), les réformes sont aujourd’hui en grande partie au point mort. Pour relever le triple défi, les politiques doivent être non seulement cohérentes, mais aussi suffisamment ambitieuses pour produire les meilleurs résultats possibles dans les trois dimensions. Ce qui rend cette tâche ardue, ce sont les interactions considérables qui existent entre les dimensions du triple défi, car les politiques adoptées dans un domaine peuvent avoir des répercussions sur les autres dimensions. Le triple défi fournit un cadre structurant simplifié pour tenir compte de ces interactions (graphique 2). D’après ce cadre, si certains objectifs peuvent être poursuivis plus ou moins indépendamment grâce à des politiques ciblées (parties du diagramme qui ne
Graphique 2. Exemples de synergies et de compromis dans les systèmes alimentaires
Moins de bétail, mais moins de protéines disponibles
Sécurité alimentaire et besoins nutritionnels
Revenus agricoles vs. prix à la consommation Création de revenus et sécurité alimentaire
Régimes alimentaires plus sains et moins d’émissions
Utilisation des ressources et changements climatiques
Moyens de subsistance et développement rural
Prix du capital naturel vs. revenus agricoles Paiements des biens publics Note: En vert, les exemples de synergies, et en rouge, les exemples de compromis. Source: OCDE.
www.oecd.org/agriculture
tad.contact@oecd.org
@OECDagriculture
Les systèmes alimentaires et le triple défi
se recoupent pas), il pourrait exister des synergies et des compromis importants entre les trois dimensions du triple défi (parties qui se recoupent). Par exemple, les recommandations alimentaires de plusieurs pays laissent entendre que la population devrait limiter sa consommation de viande rouge. Parce qu’elles diminuent la demande de viande de ruminants, elles devraient également contribuer à la réduction des émissions de GES (synergie). Toutefois, les mesures qui entraînent une baisse de la production animale peuvent réduire l’offre de protéines dans des régions où elle reste faible (compromis) ainsi que les moyens de subsistance (compromis). Il faut tenir compte de ces interactions entre différents objectifs stratégiques lors de l’élaboration des politiques, afin d’éviter des effets indésirables (en cas de compromis) ou d’obtenir tous les avantages possibles (en cas de synergies). Le cadre du triple défi contribue à l’élaboration de politiques sur les systèmes alimentaires qui sont plus efficaces et cohérentes en cela qu’il met en évidence les synergies et les compromis existant entre des domaines d’intervention qui ont historiquement trop souvent été traités isolément. À l’heure actuelle, il existe des écarts importants entre les mesures qui contribueraient efficacement à relever le « triple défi » et les mesures adoptées dans de nombreux pays. Ces lacunes s’expliquent par le fait qu’il est difficile de recenser les synergies et les compromis et de les traiter (synthèse no2), mais peut également traduire des difficultés à améliorer les politiques qui seraient dues à des désaccords concernant les faits, les intérêts ou les valeurs (synthèse no3).
www.oecd.org/agriculture
tad.contact@oecd.org
Pour en savoir plus
• OCDE (2021), Making Better Policies for Food Systems, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi. org/10.1787/ddfba4de-en. • OCDE (2020), Politiques agricoles : suivi et évaluation 2020 (version abrégée), Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/10578a8d-fr. • OECD (2020-04-29), COVID-19 and the food and agriculture sector: Issues and policy responses, http://www.oecd.org/coronavirus/ policy-responses/covid-19-and-the-food-andagriculture-sector-issues-and-policy-responsesa23f764b/ • OECD (2020-06-02), Food Supply Chains and COVID-19: Impacts and Policy Lessons, http:// www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/ food-supply-chains-and-covid-19-impacts-andpolicy-lessons-71b57aea/ • OECD (2020-06-02), COVID-19 and global food systems, http://www.oecd.org/coronavirus/ policy-responses/covid-19-and-global-foodsystems-aeb1434b/ • OCDE (2019), The Heavy Burden of Obesity: The Economics of Prevention, OECD Health Policy Studies, Éditions OCD, Paris, https://doi. org/10.1787/67450d67-en. • Henderson, B., et Lankoski, J. (2019). Evaluating the environmental impact of agricultural policies. Paris: OECD Food, Agriculture and Fisheries Papers, no 130, Éditions OCDE.
@OECDagriculture