Par-delà les obstacles dans l'environnement des affaires au Bénin
LE RISQUE ET LA PEUR Le Bénin, dans la sous-région ouest-africaine, œuvre résolument à s'assurer un cadre plus favorable pour son émergence. Nul doute que les Béninois, individuellement et collectivement autour d'associations ou d'organisations civiles, sont préoccupés du développement de leur pays et y travaillent. Néanmoins, au-delà des facteurs matériels et économiques d'un tel développement à assurer sur le long terme, existent d'autres facteurs non moindres au niveau social. L'un de ces facteurs, tout autant fondamental que les autres, se cristallise manifestement dans la peur de prendre un risque. La peur, à y voir de près, est symptomatique de beaucoup de blocages et d'indécisions chez le citoyen béninois. Elle fausse tout bon jugement sur les situations, sur les problèmes ou difficultés de tous ordres. Elle entrave les perceptions et empêche une bonne recherche des solutions. Elle ne favorise pas une projection normale sur l'avenir, voire une attitude prospective ni une vision perspective. Nous sommes bel et bien face à un problème lié aux ressources humaines, ressources capitales au cœur de la vie des entreprises créatrices de richesses. Aujourd'hui, on entend de plus en plus des Béninois dire que, sans les initiatives privées, sans les affaires et un bon climat pour leur développement, aucune avancée économique ne serait possible, car le principe commence par s'admettre clairement: c'est l'entrepreneuriat privé, et non l'Etat, qui fait la richesse d'un pays. Si un tel enjeu est avéré désormais dans ce contexte, il est aussi indispensable d'attirer l'attention, non seulement des citoyens, en général, mais encore des promoteurs économiques, des acteurs sociaux et des gouvernants, en particulier, sur cet aspect des fondamentaux de tout développement socioéconomique. Savoir faire face au risque pour le prendre. C'est là toute la préoccupation de la présente réflexion qui vise à lever les appréhensions handicapant le développement des initiatives chez les Béninois et au Bénin, tant dans les entreprises privées que surtout dans l'administration publique. Elle s'articule sur les deux axes ci-après: I- La peur et le risque: deux états de choses à distinguer; II- Du goût du risque pour le développement personnel, social et économique au Bénin.
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I- La peur et le risque: deux états de choses à distinguer Précisons, d'entrée, qu'il s'agit de risque et de peur chez le Béninois, tel qu'ils s'observent au quotidien, dans les comportements et la vie sociale, économique, voire politique, comme faits sociaux paralysants à la longue pour tout développement. La peur et le risque sont, ensuite, deux choses - états de choses - à distinguer l'une de l'autre: en les confondant, tout passe pour la peur chez les Béninois, tout inspire et fait entretenir la peur et, ce, de façon dommageable et préjudiciable pour leur propre gouverne, leur sécurité, l'image du pays, voire l'avenir de toute une société pourtant travaillant à sortir de l'ornière du sous-développement. La peur, enfin, empêche de prendre le risque en tout: dans la vie courante face aux problèmes et aux solutions qu'ils imposent; dans la vie socioprofessionnelle, au contact des réalités du travail et de ses exigences pour améliorer les performances administratives et atteindre de meilleurs rendements; dans les arènes politiques tout comme dans les pratiques de la gouvernance politique elle-même, à travers les prises de décisions ou leur mise en œuvre conséquente... Bref, le risque, au sein de la société béninoise, semble faire bonne assise à la peur et, de façon manifeste, dirait-on, les Béninois voient trop vite le danger venir de tous côtés! I.1 La peur: un phénomène humain psychologiquement normal Définie par Le Petit Robert comme un « phénomène psychologique à caractère affectif marqué, qui accompagne la prise de conscience d’un danger réel ou imaginé, d’une menace », la peur est l’un des ressorts psychologiques communs à tous les animaux normaux. Chez les humains de notre ère, on n’a plus seulement peur pour sa vie, mais aussi pour sa famille, ses biens, son travail, ses idéaux, sa réputation, ses convictions, son honneur, son avenir… Force est de constater, dans cette définition du phénomène, qu’un certain jugement, une perception du danger se trouve, normalement, à l’origine de la peur. Ainsi, en tant que manifestation psychologique naturellement liée à l’instinct de conservation ou de survie caractéristique du règne animal, elle peut survenir chez tous les hommes sans exception et sans être le propre d’une société ou d’une région. Elle apparaît donc comme un comportement normal, réaliste car faisant suite à un danger réel. En revanche, dans bien des cas, elle s’observe aussi comme un phénomène anormal de dysfonctionnement psychologique, le danger qui en serait à l’origine pouvant être concrètement inexistant, imaginé et infondé. Aussi suis-je amené à tenter une approche socioanthropologique de la peur, à partir d’une hypothèse a priori de la différence des conditions relativement au contexte de la vie en Occident, d’une part, et aux contextes africain, en général, et béninois, en particulier, d’autre part. I.2 Une approche de la peur dans le monde occidental La peur n’est pas un phénomène-apanage d’un peuple, qu’il soit du Nord, du Centre, du Sud, ou d’ailleurs. Cependant, à observer l’Occident en grosso modo, ce qui fait peur ou ce qui constitue le plus la peur, c’est l’insécurité. À titre très illustratif, voici ce qu’écrit à 2
propos Guy Gweth, un auteur de l’univers occidental. Parlant en résumé des « usines à peur », cet auteur dit : « Préoccupation séculaire, la sécurité est devenue l’obsession des temps modernes et plus encore dans les pays riches. (…) Depuis des décennies en Occident, le thème de l’insécurité a porté au pouvoir des capteurs d’émotions, des metteurs en scène, des storytellers, des acteurs d’un public affairs’show (…) Au menu: la peur de l’ennemi, des islamistes, des immigrés, des délocalisations, des fonds souverains, du chômage, de la pollution, etc. »
Dans l’autre versant de la jungle mercantiliste de la mondialisation, tout fait office de sécurisation, voire de psychose sécuritaire. Protection des marchés, fidélisation tenace des clients ou satisfaction-clients par peur d’un clash dans la part de marché, connexion à outrance sur les consommateurs à travers le e-business et autres atouts new-Tech (TIC) ; le segment sécuritaire connaît une croissance exponentielle jamais démentie. Les offres à foison de logiciels en protection informatique ou l’omniprésence de Big Brother via ses dizaines de millions de cameras de surveillance sur la place publique européenne sont autant d’indices de la peur en Occident. Les analystes estiment, par exemple, qu’un individu habitant Londres est filmé 300 fois par jour! De quoi le mettre en garde à tout bout de champ dans ses agissements contre la sécurité publique. En plus de ces engins de la peur assez répandus dans l'univers occidental, on peut noter un regain de peur entretenue autour d'autres sources d'insécurité que sont les maladies, voire des maladies fatales. Dans cette frange de maux qui répandent la terreur, l'on cite: les cancers, les ACV, les infarctus... La peur que suscitent ces maladies chez les individus semble normalement manifester une réaction naturelle sur fond de l'instinct de conservation: sachant, avec un cancer en phase terminale ou non, que l'on n'a plus longtemps à vivre, n'a rien de moins stimulant pour s’engager dans des affaires à risque qui nécessiteraient plus de temps pour prospérer. Mais au final, c’est incontestablement le champ politique qui emporte la palme d’or dans la fabrication des produits de communication à base de peur. En notre ère, ceci vaut autant pour l’Occident que pour les autres parties du monde. En Occident, la peur semble, en somme, se fonder sur des éléments empiriquement justifiés, même si un certain principe de précaution trop ambiant et trop préoccupant sème davantage l’épouvante, créant un imaginaire collectif en butte aux guets-apens publics. Néanmoins, le souci de veiller les uns sur les autres collectivement, au niveau de l'État et au niveau de la société et des personnes, prédispose davantage à prendre conscience d’un destin commun. Cela entraîne que le risque à prendre, ou à ne pas prendre, se substitue à l’insécurité ou à la peur du danger, et souvent, un danger publiquement connu ou avéré d'un point de vue existentiel. Car, objectivement, le danger prévu et à éviter devient un dispositif en vue de la sécurité collective. La sécurité est alors le système immunitaire de la communauté ou de la société, et donc favorable à la recherche d'un bien tant commun qu’individuel. S’il y a donc, en amont, des « usines à peur », c’est en vue des intérêts des citoyens à sauvegarder en aval autour d'enjeux collectivement prédéterminés comme sources d’insécurité. Il en est ainsi de la vie dans l’entreprise en milieu occidental, avec l'évolution des savoirs et savoir-faire en management, notamment. De façon ordinaire, l’employé une fois embauché considère son travail comme une source de bien-être social, personnel, matériel, moral et même spirituel. Et il en arrive même à la peur de perdre son travail, de sorte qu’il ne court pas le risque de se laisser aller à des fautes graves de licenciement (outils de travail endommagés, gaspillages des matériaux, du temps, retards au travail ou absences au poste, etc.). Autant le cadre juridique existant protège l'employé dans ses droits divers, autant le travailleur fait face à beaucoup de contraintes du travail au risque de répondre d'une faute éventuelle vis-à-vis du droit du travail. Ainsi, dans beaucoup de pays, surtout dans les pays développés, le salaire prend un sens plus astreignant pour le travailleur 3
(l'ouvrier mérite son salaire!), faisant l'objet plutôt d’une compensation par rémunération au prorata du travail fourni comme valeur ajoutée induite à l’entreprise par l'employé sur la durée de son travail. On peut alors être ouvrier à mi-temps chez Renault, les matinées, passer à l'usine de production du chocolat, l'après-midi pour quelques heures, puis se donner, en même temps que son loisir, quelques heures de service nocturne payant dans un restaurant d'Amsterdam ou d'ailleurs... En effet, dans ces conditions, chacun (employeur, travailleur) se trouve face à un engagement à contrepartie estimée, face à une responsabilité à la fois individuelle et sociale. La responsabilité individuelle s’entend comme la nécessité de prendre le risque de s’engager ou non à s’assurer un revenu dans le choix d’un travail, tandis que la responsabilité sociale correspond à ce que l’argent gagné soit à l’avantage de la pérennité de l’entreprise qui assure ce gain. L’individu porte l’entreprise à son développement en même temps que celle-ci le porte à son tour en faisant en sorte à lui maintenir son cadre de travail et à lui assurer son travail. En tant que partenaires, ces deux parties se mettent comme en condition de se risquer l’un envers l'autre, l'un pour l’autre sans que les intérêts de l’un ne se trouvent contrariés ou compromis par l’autre. Et chaque partie prend des risques en connaissance de cause, notamment en connaissance des motivations reçues ou attendues, mais aussi de ce que la loi dispose en matière de droit du travail. La loi devient comme le gendarme commun à tous : ne dit-on pas que la peur du gendarme est le début de la sagesse ? Tout compte fait, en Occident où les droits humains et l'État de droit connaissent un certain progrès dans le temps, le respect de la personne et du cadre de vie favorise généralement un développement basé sur le goût du risque et la mise en œuvre, à la fois, de capacités personnelles et de dispositifs sociaux au profit des initiatives. Avec cette limite que, si on n’a peur ni de son cadre de vie, ni des uns et des autres, on n’a pas moins peur de l’étranger dont la présence, comme on s’imagine dans la plupart des pays occidentaux et dans bien des cas, pourrait importuner et empêcher de tourner en rond. L'univers occidental, comme on peut s'en apercevoir, offre donc globalement un cadre de vie plus fiable pour les individus, avec la sécurité sociale comme un minimum social commun dans la plupart des États. D'où, un pareil contexte de privilèges sociaux disponibles est de loin moins comparable à ce qui s'observe comme précarités ailleurs et qui amène à distinguer des mondes (tiers-monde, quart-monde, etc.). L'on comprend, par conséquent, que dans un tel espace sécurisé, les personnes disposent réellement d'une marge de manœuvre plus grande et plus favorable, qui les amènerait à prendre effectivement des risques les faisant prospérer. Au contraire, dans un contexte aussi complexe que celui africain où beaucoup de choses sont à refaire, où on observe un grand nombre de priorités à la fois, le risque devient lui-même un risque à ne pas encourir, suggérant d'emblée la peur d'avancer. I.3 La peur en contexte africain et béninois Sans pouvoir développer toute la problématique au sujet de la peur en contexte africain, il m'importe d'en évoquer quelques aspects dans le cadre de cette analyse qui met en cause peur et risque chez le Béninois. Ce qui entraîne ordinairement la peur chez les gens au Bénin s'apparente, dans la plupart des cas, à une fausse perception, un mauvais jugement ou une mauvaise appréciation des réalités. Prenons l'exemple suivant, très courant au sein de la population béninoise et portant sur les questions de santé, en général.
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Pour de nombreux Béninois, l'hôpital n'est pas le premier recours en cas de mauvaise santé. Ainsi, nombreux sont les Béninois qui optent pour un parcours plus complexe et occulte pour «chuter» finalement à l'hôpital en dernière instance, voire en désespoir de cause. Ceci va à contre-courant des politiques de développement en matière de santé consacrées par les gouvernants et autres partenaires financiers. Malgré donc les efforts de l'Etat à mettre en place, à grands frais, des infrastructures sanitaires accessibles au grand nombre des populations, les recours en cliniques ou en milieux hospitaliers, les consultations d'un médecin interviennent secondairement au grand dam de hauts risques encourus d'avance et même à frais très onéreux. Cet état de choses est révélateur d'une dramatisation de la maladie, en général, de certaines maladies localement jugées comme provenant de mauvais sorts, en particulier; d'où, la condition sine qua non d'un remède «efficace» à la guérison se trouve principalement dictée dans beaucoup de milieux par le détour thérapeutique vers d'autres «principes actifs». Ces derniers sont disponibles, non à l'hôpital mais davantage dans les recettes prescrites par le guérisseur ou le charlatan du village, plus indiquées, selon l’opinion locale, pour « guérir le mal à ses racines ». Si ce n'est lui, le charlatan ou de plus en plus le gourou (agent traditionnel reconnu pour ses actions prestigieuses, prêtre ou pasteur de l'Eglise à laquelle on appartient ou non...) passent pour des consultants capables d'aider à conjurer le mal, à « maîtriser le sort » ou à « tenir le taureau par les cornes », qu'il s'agisse d'autres affaires, en l'occurrence dans le domaine commercial. On assiste parfois, à certains niveaux dans le secteur des affaires au Bénin, en commerce notamment, à une sorte de marginalisation des principes de l'offre et de la demande, de la concurrence même, au profit de pratiques déloyales qui entravent toute dynamisation des affaires. Peut-être, est-ce trop de constater que, pour bon nombre de Béninois même instruits, entreprendre (des affaires) suppose la prise en compte d'impondérables – et l'on sait qu'il en existe réellement, rien qu'à voir les réseaux de favoritisme qu'il faut entretenir – qui nécessitent une marge financière à alimenter sur le fonds de commerce. Ceci peut intervenir dès le démarrage mais peut aussi être pérenne à court, moyen ou long terme. C'est avec cette marge du capital que l'entrepreneur commençant s'attrire comme la clémence du ciel, les faveurs d'un intervenant hors-jeu susceptible de donner le coup d'accélérateur à la prospérité des affaires. Une sorte d'assurance-tout-risque à laquelle souscrivent, semble-t-il, bon nombre de femmes de l'hypermarché international de Dantokpa à Cotonou. Ainsi, le jeu concurrentiel du marché se trouve falsifié et, pour beaucoup, les clients ne se fidélisent, bon gré mal gré, qu'à la marchande ayant «blindé» les alentours de son comptoir vers lequel tous se ruent le plus souvent. Par conséquent, la bataille concurrentielle n'est pas à mener autour de la qualité ni des atouts du marketing dont disposerait cette marchande, mais plutôt dans l'identification de son charlatan contremaître ou d'un tout autre capable de proposer la formule magique d'un avantage concurrentiel plus à même de réduire à néant les étagères de la voisine qui a bon an mal an pion sur rue autour de vous et vous empêche de réaliser de bonnes recettes au quotidien. Cette situation ainsi décrite du fait des mentalités est courante même à des niveaux plus élevés dans le monde des affaires au Bénin. La soulever n'a d'intérêt ici que de cibler les considérations, les comportements et les spéculations habituelles sous-jacentes à la question de la peur, mais surtout à celle de la prise du risque dans un environnement où beaucoup de représentations sociales échappent à la rationalité du monde moderne. Pourtant, le risque zéro en affaires n'existe pas! 5
I.4 La peur comme état subjectif socialement et économiquement défavorable Des deux points précédemment analysés, il s'observe que la peur est d'abord une projection des individus qui peut atteindre un degré d'intensité collectif. Dans ces conditions, la peur ou le trop de peur généralement répandue entraîne forcément dans une dérive sécuritaire qui fait mobiliser davantage de ressources en même temps qu'elle vous décape des buts ou objectifs à poursuivre. Il s'agit donc d'une denrée qui, lorsqu'elle est produite et se développe, se transforme en drame psychologique pouvant affecter ou infester tout un peuple, tout un réseau social économiquement vital. Dans le cas de l'Occident, par exemple, la peur trouve ses relents et ses imbrications dans des produits de consommation grand-public, dans le marketing, et désormais le ebusiness des harcèlements publicitaires – il suffit d'ouvrir une page Internet sur Yahoo, Hotmail ou autres URL pour le constater – mais encore dans les communications politique et religieuse de notre ère. La peur a tout l'air aujourd'hui d'un besoin fondamental qui se crée et qui demande à être entretenu chez les peuples. Et, sans doute, chaque univers social y va de ses peurs et de ses moyens de les entretenir ou d'y suppléer. D'un côté, la peur nourrie d'insécurité tous azimuts fait l'objet de précautions multiples à prendre au quotidien. Mais, ce ne sont pas seulement les boules de neige subites ni les embouteillages monstres dans certaines grandes villes occidentales, ni même les factures et impôts salés et fréquents qui suscitent la peur. Ces éléments de circonstance sont connus et acceptés dans des habitudes sociales prescrites qui évitent la panique du danger, même s'ils sont générateurs de stress parfois maladifs. C'est autour des précautions à prendre ou non que s'observent les différences de comportement par rapport à un environnement comme celui du Bénin. Ici, l'on pourrait comprendre qu'avec tant de dispositifs, de moyens et d'usages face aux situations de danger ou de risque, les personnes sont en mesure de choisir et de mieux choisir, selon les cas. Autrement dit, chaque risque est perçu comme possible ou non selon que l'on dispose de moyens (au plan moral, spirituel mais surtout matériel et financier) pour y faire face. Le risque à encourir est mesurable et les dépenses qu'il nécessiterait peuvent être estimées. Car, les besoins de toutes sortes se trouvent déjà pris en compte par ceux qui entendent tirer profit de la peur socialement entretenue. Il en est ainsi du commerce dans le secteur informatique de nos jours: autant d'anti-virus pour autant de virus générés à longueur de jour, tandis qu'aux premiers âges du développement de l'informatique, rien d'aussi nocif qu'un Trojan ou un Cheval de Troie n'existait. Ainsi donc, la peur, état socialement défavorable, se trouve être économiquement aussi défavorable partout au monde. Elle devient une source informelle de revenus dans certains milieux. En Afrique et surtout de ce qui s’observe au Bénin, la peur surgit de beaucoup de perceptions fondées sur l’irréel, sur de choses absolument improbables. Et, là où le bât blesse, ces considérations infondées alimentant la peur empêchent les individus de prospérer au-devant des risques à prendre sans qu’ils s’en aperçoivent réellement. Pourtant, le plus important dans les affaires, c'est dans la manière de percevoir le risque non comme un danger mais comme une perception favorable et réellement surmontable.
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I.5 Le risque comme une perception objective et positive Si la peur étouffe, paralyse et empêche parfois tout mouvement en avant, le risque, par contre, favorise une certaine dynamique de l'action: est risque ce qui appelle à agir. De fait, en face du risque, l'individu est capable d'estimer le coût de son action et peut se déterminer ou non à prendre le risque. En ce sens, de façon pratique, à mon avis, si l'entrepreneur mesure le risque qu'il court en cherchant à se "faciliter" la tâche pour gagner son marché par le passoir de la corruption, il ne le courrait pas. En revanche, prendre la corruption comme un risque en affaires plutôt qu'un danger relève d'un système des choses qui installe des anomalies à la place de normes ISO! Car, de là, les nombreux manquements à l'exécution normale des marchés et projets, les désagréments qui apparaissent de part et d'autre au constat de situations beaucoup plus compliquées que le point de départ ayant consacré le projet ou le marché à réaliser. Au-delà de cette nuance de la différence entre le risque et le danger dans le domaine des affaires, il m'importe de présenter dans la suite deux cas de figures en matière de prise de risque. Le premier cas part de l’hypothèse pour laquelle, selon que votre environnement ou vos conditions de vie vous privilégient ou vous sont peu favorables, vous avez plus ou moins le choix de prendre des risques. De cette observation, il ressort que des personnes nanties ou disposant de plus de moyens sont plus à même de prendre des risques que d’autres individus socialement moins privilégiés. Autrement dit, suivant les réalités de disparités sociales, les couches les plus défavorisées n’ont pas souvent le choix de prendre certains risques pourtant potentiellement favorables à les faire sortir de leurs conditions. Ces individus sont dans la plupart des cas limités dans leur manière d’envisager le risque à prendre, car déjà limités par le peu de moyens dont ils disposent pour se suffire. Même s’ils s’aperçoivent de la nécessité de prendre le risque, de ses avantages en vue, ils restent peu outillés à y avancer à bon droit. Non pas (toujours) qu’ils ont besoin d’aide, mais parfois parce que le risque à encourir se trouve mal estimé ou surestimé pour ne jamais être risqué à leur avantage. Ils n’ont pas le choix; ou alors, leur choix se trouve limité parce que disposant d’une marge de manœuvre très réduite. Tandis que les autres, ayant plus de privilèges et issus de milieux plus favorables ont plus de choix à opérer et, du coup, sont capables de prendre tel risque plutôt que tel autre. Si nous considérons certains aspects de la vie économique courants au Bénin dans le milieu commercial, les personnes qui s’adonnent au trafic transfrontalier avec le Nigeria et à la vente de l’essence frelatée dite «Kpayo», commerce pourtant interdit, ne sont pas pour autant sans moyens de se livrer à ce type d’affaires à hauts risques. Seulement, se limitant à une simple envie de gagner, ils manquent d’objectivité et de réalisme dans leur penchant pour le danger dont tôt ou tard nombreux sont ceux qui en paient le prix. Cependant, par rapport au chômage et au manque d’emploi, de nombreux vendeurs et vendeuses sont dans ce métier à la solde, semble-t-il, de grands opérateurs économiques, gros profiteurs en aval de ce trafic à la limite inhumain. Et, puisqu’un grand nombre de consommateurs s’y abonnent pour son coût plus abordable, il n’y a qu’à faire en sorte à satisfaire leur demande en hausse permanente. C’est là toute l’illustration d’une perception fausse et négative du risque en affaires.
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Dans le second cas, on peut constater que l’Etat qui se trouve au premier chef des prises de décision dans la gouvernance du pays, est mieux disposé à prendre des risques plus grands et plus pertinents que les personnes physiques (les citoyens) ou morales (les entreprises). En effet, on observe pratiquement dans tous les Etats au monde que les gros investissements publics (infrastructures routières, écoles, hôpitaux, etc.) sont du ressort des gouvernants, tandis que les organisations/entreprises font face à des enjeux d’investissement moins lourds et moins onéreux, qui correspondent à leurs capacités financières et à la taille de leurs entités. De la même façon, au sein d’une entreprise, les travailleurs se trouvant à un niveau inférieur par rapport à la hiérarchie ne sont pas en mesure de prendre des décisions ni de courir des risques dont ils ne détiennent pas les moyens d’y avancer de façon optimale. Ainsi, il y a donc un minimum de conditions propices pour optimiser tout type de risque à prendre. Car, sans avoir la mesure de la situation, sans en avoir les ressorts ni les expériences, l’on ne peut prétendre encourir des risques à tout moment. Il s’agit alors de s’adapter à la double logique de la perte et du gain inhérente au risque en affaires. D’où, si les Béninois ont du mal à prendre des risques, serait-ce sans doute parce qu’ils n’acceptent pas de perdre, ou plutôt leur désir de tout gagner?
II- Du goût du risque pour le développement personnel, social et économique Il n’est pas surprenant que certains comportements de peur chez les Béninois soient caractéristiques d’un refus d’accepter les pertes et les insuccès comme dynamiques des affaires. Sans chercher à développer ici cet état de choses, je préconise certaines solutions utiles ou des pistes à explorer en vue de renverser à terme cette tendance à occulter la donne qu’est la perte, voire celle consistant à renoncer au risque. II.1 Le Béninois et son refus du risque Le directeur d'une société d'assurance à Cotonou témoigne que l'environnement béninois, en termes de prise de risque, est très limité. La peur fausse toute approche bénéfique du risque que l’on prend trop vite pour un danger. En matière d’assurance, ajoute-t-il, les gens préfèrent immobiliser leurs avoirs dans l'achat de parcelles et de plusieurs hectares de parcelles que de souscrire à une quelconque assurance. Les seuls types d'assurance auxquels souscrivent d’habitude les Béninois sont l’assurance-automobile, l’assurance-santé puis l’assurance-épargne de plus en plus acceptée. Rares sont ceux qui optent pour l’assurance-vie. Cette réticence aux assurances illustre bien la compréhension et le refus du risque même dans le milieu des affaires. En fait, l’on se trouve dans un contexte où l’incapacité à voir loin des uns et des autres désoriente même le peu de gens qui décident de s’essayer à cette sorte de vertu du risque en affaires. Le risque s'intègre aux affaires. N’entend-on pas souvent dire que celui qui ne risque rien n’a rien? Mais, dans les comportements des Béninois, tout porte à dire que qui ne risque rien ne perd rien. Et donc, on note une tendance au statu quo, à l’immobilisme et à un manque d’audace. Pourtant, de plus en plus d’individus s’aventurent au Bénin dans des formes de risques hasardeux et mortels à travers des brigandages et des actes de braquage très odieux. Ce sont autant de travers sociaux qui ne concourent nullement aux vrais enjeux de recherche d’une vie de qualité correspondant à des progrès économiques palpables. De mon point de vue, l’engouement des Béninois à investir dans l’occupation du sol et 8
dans l’immobilier n’a rien de pertinent dans la durée pour voir le pays se développer. Au contraire, la course à la propriété foncière est génératrice de beaucoup d’ennuis sociaux en lien avec la peur et toutes sortes de hantises. Et, l’un des handicaps sérieux qu’affrontent bon nombre de Béninois victimes des procès sans fin dans les tribunaux, c’est évidemment au cœur de la guerre du foncier avec les litiges domaniaux. Manifestement, on dirait qu’ici on s’attache à la terre sans nécessairement chercher à la cultiver pour la faire fructifier… Or, il faut bien se mettre à produire des richesses pour pouvoir en jouir. II.2 L'éducation (scolaire) au risque L’une des voies fondamentales à explorer pour parvenir à cette culture du goût du risque au Bénin se trouve être l’éducation. À ce niveau institutionnel primordial de la vie en société, il est important, à mon avis, que les instituteurs et les enseignants, en général, indiquent aux enfants comment distinguer entre le danger et le risque. Car, il s’agit de proposer à la société béninoise d’aujourd’hui et de demain les ressources humaines nécessaires et appropriées au relèvement des défis de son émergence économique. Or, l’état des lieux présenté plus haut atteste à plus d’un titre d’un environnement social où la peur est systématiquement entretenue au détriment de la prise de risque capitale dans tout enjeu de développement favorable. Ainsi, il est nécessaire que l’éducation, en général, et l’éducation scolaire, en particulier, soit appuyée sur le besoin impératif d’une sorte de spiritualité du risque. La spiritualité ou la culture du risque s’entend ici avant tout comme une disposition mentale – morale et psychologique – des Béninois susceptible de corriger cette perception illogique et épuisante du danger en toutes choses, cette foi à l’irréel. De manière plus concrète, avec les nouveaux programmes d’études désormais en vigueur dans les milieux scolaires, il s’agit de tenir compte d’une telle incohérence soulignée par la question de la peur et du risque pour entrevoir au mieux les ingrédients pédagogiques de l’approche dite par compétence. À mon entendement, c’est en vue même de cette approche par compétence que l’école d’aujourd’hui doit déjà se pencher sur cette question tout aussi liée à la mentalité des personnes qu’aux visions et ambitions collectives porteuses du progrès économique et social. De la sorte, le besoin de corriger cette tendance généralisée à la peur chez les Béninois s’entend comme un besoin primaire mais davantage comme l’un des facteurs primordiaux dont il importe de tenir compte pour l’évolution sociale et économique du pays. La sagesse africaine n’admet-elle pas aussi qu’il faut un esprit sain dans un corps sain? Par ailleurs, avec les avantages apportés par les récents progrès en matière de communication, l’alphabétisation et l’instruction apparaissent comme des enjeux favorables à la culture du risque. Pour preuve, l’usage d’un téléphone cellulaire à portée de tous impose un changement des habitudes sur fond d’un besoin de communiquer plus prononcé, à la faveur d’un développement des liens sociaux et, partant, d’une dissipation des sentiments de peur et de méfiance des autres. Cette sorte d’obligation à communiquer que favorisent la téléphonie cellulaire et autres nouvelles TIC, amène de plus en plus des Béninois marginalisés à se tirer d’affaire et se libérer d’un enfermement dans l’ignorance auquel ils sont voués du fait d’un manque de scolarisation dans leur passé. Et ainsi, même si entreprendre des affaires n’est pas tant une question de diplômes, il suppose une libération des ressources intellectuelles propice pour amener à estimer le risque et à le prendre à bon escient. 9
II.3 La sensibilisation à des pratiques sportives et ludiques Entre autres solutions à la question de la peur et du risque, le sport est un atout à développer chez les Béninois. En réalité, la pratique des sports s’apparente à un déploiement physique en vue d’une reconstitution mentale. Or, non seulement il s’observe que les Béninois n’ont pas des habitudes de sport très prononcées, mais surtout il n’existe pas assez d’espaces publics destinés à la pratique du sport. D’où, les jeunes dans les quartiers sont obligés de prendre d’assaut les ruelles à la recherche d’un terrain de football. En outre, la plupart des pratiques sportives et ludiques sont promises à l’effort et davantage à la compétition. L’effort et la compétition supposent un mouvement vers un but, vers un objectif à atteindre et, sans doute, dans la plupart du temps, un prix à y gagner ou, du moins, un regain d’énergie vitale et de tonus. Un espace de jeu de football, de handball ou autres est un véritable lieu de confrontation objective où les énergies de l’agressivité et de la violence caractéristiques du règne animal se trouvent libérées et recyclées sous forme d’énergies renouvelables nécessaires à la vie et à une bonne vision des choses. Dans une telle partie ludique, chacun connaissant d’avance (ou apprenant à connaître) les règles du jeu, s’invite à les respecter sous peine d’être disqualifié. Les risques à prendre nécessitent l’effort et le respect des normes de la compétitivité. Et, tout comme il n’existe pas de risque zéro en affaires, il n’existe pas non plus de risque zéro en matière sportive ou ludique. Les adversités s’affrontent en jouant, c’est-à-dire en se mettant à l’épreuve pour parvenir au but, au score, à la différence dans l’effort. Ceci, à juste titre, semble être une illustration effective de la concurrence en matière d’affaires. La concurrence en affaires vise à entraîner les acteurs dans un effort soutenu de maîtrise des risques. Or, il appartient à chacun de s’appliquer au respect des règles et de déployer des moyens suffisants pour satisfaire ses buts de profit, de rentabilité et de performance autour de risques inhérents. Penser donc que la concurrence nécessite la chasse aux sorcières ou le recours aux faiseurs de pluie ou de gri-gri, c’est s’inscrire indûment dans une logique de faillite et sans issue amenant à une dispersion d’énergies et de fonds de commerce. II.4 Contrer les a-priori suggestifs de la peur: une question d'hygiène mentale Visiblement, on observe dans le monde entier aujourd’hui l’invention et l’intervention de nouveaux engins de peur. Il convient donc, comme je le montrais plus haut, de relativiser la question de la peur de part et d’autre des contextes, du point de vue culturel, économique et politique. En Occident, loin des peurs basiques et primaires, la hantise devient en cette ère de la communication un phénomène largement médiatique. Au plan social, l’éclatement des familles engendre une communauté humaine virtuelle aux prises avec un modèle social décomposé et segmenté autour du travail, des institutions socio-éducatives et des fortifications du pouvoir politique. Un tel modèle social impose un modèle économique plus contraignant pour tous. L‘Etat fragilisé avec la mondialisation cherche à renforcer la cohésion des individus mais en entretenant un climat de peur. Peur de la montée de l’islamisme, peur des terroristes, peur des étrangers, peur du réchauffement climatique…
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Cependant, d’un autre côté, en l’occurrence en Afrique et plus spécifiquement au Bénin, la nation semble moins importante comme entité et les individus sont très vulnérables à la peur. Aussi, ces derniers sont-ils maintenus dans d’autres types de peur basiques qui entravent toute capacité d’affirmation de soi, toute forme d’autodétermination en dehors des formes de leadership approximatives disponibles, la plupart du temps, dans les seules arènes politiques. Il apparaît donc que le secteur privé béninois et surtout l’administration publique sont confrontés à un défi majeur intrinsèquement lié des vulnérabilités souvent occultées au niveau des ressources humaines. Ces vulnérabilités, pour être corrigées, ont avant tout besoin d’être tenues comme telles, c’est-à-dire comme provenant d’un détour de l’imaginaire collectif au profit de schémas défavorables, contradictoires et pas nécessaires pour le progrès. Ce sont les a-priori de la peur qui se colportent sans raison de génération en génération et que les Béninois vraisemblablement placent à l’affiche d’une certaine tradition souvent nommée dans les expressions comme «les réalités de chez nous» (qui méritent vraiment d’être en guillemets). C’est d’ailleurs ces vitraux de la tradition irréels, jamais suffisamment transparents et militant contre les efforts de développement auxquels tout un pays se consacre, qu’il faut chercher à remettre en cause et corriger. Ceci, malheureusement, reste un paramètre dont ne tiennent jamais compte les définitions de politiques ou de stratégies de lutte contre la pauvreté.
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Toute analyse faite, la question de la peur autour du risque, notamment au Bénin, reste bel et bien une problématique ordinairement ignorée ou occultée par rapport aux enjeux de développement. Pourtant, toutes les sociétés, toutes les nations développées au monde sont passées de l’étape de la hantise primaire et infantile à l’audace rationnelle et bénéfique qu’entretiennent les grandes visions sur mesure. La peur, cette faille primordiale dans le système immunitaire humain, est, comme le souligne la sociologie post-moderne, la porte d’entrée préférée des hackers psychiques dans le vol de nos identifiants comportementaux. Elle peut être un puissant frein au développement. De nos jours, la peur dans les sociétés occidentales joue de nouveaux rôles qui sont de loin semblables à un embrigadement des personnes et, à terme, des ressources dans des enjeux obscurantistes peu prospères. Évoquant le cas de l’Afrique noire, en général, Guy Gweth écrit: « L’usage abusif de la peur ici, contrairement à certains pays d’Asie, en est venu à plomber le développement humain, économique et social. Et il faut bien le dire, l’autoritarisme politique, la crainte de feu générée par des sectes, l’humidité de la corruption dans les affaires ou la mousson du tribalisme… ne sont que la partie visible de l’iceberg. Au-delà de ces phénomènes (certes, non négligeables mais) de surface, c’est dans le sous-sol des us, des coutumes et des traditions que résident insidieusement les mécanismes les plus ingénieux d’exploitation par la peur. Une machine à fabriquer des exdividus au mieux, au pire des êtres entravés par les sangles invisibles du passé, et forcément recalés aux concours actuels du décollage économique. »
Un tel décryptage du phénomène de la peur en Afrique est identique à ce qui subsiste dans le cas du Bénin, ainsi qu’il a été analysé sur le fait d’un manque manifeste du goût du risque chez les Béninois. 11
En définitive, la peur est un psychodrame et toute société devrait en guérir absolument pour être libre de toute action motrice du développement. Il est alors nécessaire de parvenir à se libérer de ces considérations qui sont des faiblesses au plan interne, des incohérences au regard des nombreux défis que le Bénin entend relever pour le mieuxêtre de ses populations à travers leurs efforts quotidiens au travail. Cela peut procéder d‘une thérapie collective de choc, mais l’éducation et surtout la pédagogie des enseignants peuvent aider à y parvenir dans le temps. Dans un environnement national instable où persistent des peurs basiques, l’Etat et les gouvernants sont les plus indiqués pour donner aux citoyens plus de chances, plus de garanties et d’assurances à même de les aider à prendre des risques favorables à la vie et au bien-être social. C’est là le gage d’un changement social et économique, la dimension où doit s’ancrer le changement véritable, celui des mentalités. Luc M. Assogba, Chargé d’Etudes et de Relations Médias / CIPB
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