La coexistence humaine et spatiale entre un hub mondial et un territoire rural

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L’aéroport Roissy - Charles de Gaulle :

La coexistence humaine et spatiale entre un hub mondial et un territoire rural

Vecteur de la métropolisation controversée du territoire Nord Francilien

le cas de l’aéroport Charles de Gaulle

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MARCHYLLIE Olivier Mémoire de Master - Juin 2018 Séminaire Repenser la métropolisation, ENSAPBx Julie AMBAL, Xavier GUILLOT, Delphine WILLIS



La coexistence humaine et spatiale entre un hub mondial et un territoire rural le cas de l’aéroport Charles de Gaulle

MARCHYLLIE Olivier, Master II Mémoire de Master - Juin 2018 Séminaire Repenser la métropolisation, ENSAPBx Professeurs référents : Julie AMBAL, Xavier GUILLOT, Delphine WILLIS


REMERCIEMENTS Je remercie d’abord le corps enseignant composé de Julie Ambal, Xavier Guillot et Delphine Willis pour leur partage de connaissances et les différents échanges que nous avons eu ensemble au fil de cette année. Ce fut un réel plaisir que de discuter avec eux des enjeux du processus de métropolisation et des grandes questions actuelles du territoire. Je remercie ensuite les différentes personnes qui ont accepté de s’entretenir avec moi sur leur quotidien avec la plateforme aéroportuaire de Charles de Gaulle ainsi que sur leur vision de l’avenir dans le coeur de la Plaine de France. Je remercie les autres étudiants du séminaire «Repenser la Métropolisation», où nous avons pu échanger ensemble sur nos différentes thématiques de recherche et débattre des futures grands enjeux du territoire auxquels nous allons être confronté en tant qu’architecte. Je remercie enfin mes proches pour leur soutien moral dans cette démarche.


SOMMAIRE


AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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I. Le territoire Nord francilien : un territoire qui bascule au coeur d’une situation de coexistence inédite.

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A. L’arrivée des aéroports et leur insertion dans le territoire 1. Définition de la coexistence 2. La question de l’avion et de l’aéroport au sein des mobilités actuelles 3. De Denver à Berlin : des situations de coexistence aéroport-ville contrastées

21

B. La coexistence entre une plateforme aéroportuaire internationale ... 1. La construction d’un système aéroportuaire qui répond aux exigences du trafic aérien 2. Une plateforme multimodale reliée au territoire 3. Une implantation contestée par la population locale

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C. ... et un territoire rural, au passé agricole fort 1. La région Ile-de-France : une région agricole soumise à la métropolisation 2. Le territoire Nord francilien : le coeur de la Plaine de France

37

II. Une coexistence difficile entre les ambitions métropolitaines fondées autour du hub mondial et le territoire rural qui l’accueille

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A. L’aéroport Charles de Gaulle à l’heure de la mondialisation 1. Paris au coeur d’une politique évènementielle mondiale 2. La transformation du groupe Aéroports de Paris 3. Le terminal 4 et le Charles de Gaulle - Express : la gestion de la montée du trafic aérien

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B. Une plateforme qui attire les regards de la première métropole française 1. La Métropole du Grand Paris 2. Le projet du Grand Paris Express : mettre Paris au niveau des mégapoles mondiales 3. Un projet qui creuse le fossé entre les élus locaux et les instances métropolitaines

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C. L’humain au milieu des ambitions privées et métropolitaines 1. Le quotidien aux côtés d’une plateforme aéroportuaire 2. Collectifs et mesures anti-bruit : faciliter la coexistence

51

6

21 22 23

28 29 32

37 38

42 43 45

46 47 49

51 55


III. Un ensemble de fractures au sein de l’échelle locale qui compromet toute coexistence entre l’aéroport et son territoire

57

A. La Seine-Saint-Denis : vers un nouveau Business Center francilien 1. Le Sud de l’aéroport Charles de Gaulle : une situation économique favorable 2. Tremblay-en-France et Aulnay-sous-bois : villes phares de la métropolisation

58

Séquano-Dionysienne

58 61

B. Le Val d’Oise : lieu de naissance d’une rupture de coexistence aéroport-territoire ? 1. Une coexistence économique forte : la symbiose Val d’Oise - Charles de Gaulle 2. La ZAC du Triangle de Gonesse : vers un nouvel Notre-Dame-des-Landes ?

63

C. La Seine-et-Marne : première victime de la fracture économique du territoire 1. Des conditions défavorables à la coexistence aéroport-territoire 2. Une offre commerciale excessive qui met à mal le commerce local

72

CONCLUSION

77

BIBLIOGRAPHIE

80

TABLE DES FIGURES

85

ANNEXES

89

7

63 66

72 73


AVANT-PROPOS


EMBARQUEMENT Le voyage et l’architecture ont toujours été deux entités très liées l’une à l’autre. En 1911, à l’âge de 24 ans, Le Corbusier entreprit un voyage de six mois à travers l’Europe, qu’il nomma « Voyage d’Orient ». Il découvrit chaque pays par le biais de l’architecture, mais aussi par ses traditions et folklores inconnus jusqu’ici du grand public. Ce voyage lui aura permis de « conforter son apprentissage, à décider de sa vocation d’architecte et à enrichir son imaginaire » (1). En dehors de l’architecture, le voyage fait plus largement écho au tourisme. L’instauration des deux semaines de congés payés par le Front Populaire de Léon Blum, le 20 juin 1936, permettra la création du tourisme en France. Il génère aujourd’hui près de 8 % du PIB et constitue 2 millions d’emplois directs et indirects (2). Si la France est considérée comme la première destination touristique mondiale avec 83 millions de visiteurs étrangers en 2016, 73,1 % des français sont partis en voyage pour motif personnel la même année (3). Le marché des jeunes voyageurs (4) a aussi le vent en poupe et représente la plus forte croissance du tourisme mondial en 2012, soit 20% des dépenses du tourisme (5). Ces chiffres montrent l’évolution des mentalités concernant le voyage et les nouvelles perspectives d’avenir pour la jeunesse en matière de déplacement. Je fais partie de cette génération de backpackers (6) prêts à explorer le monde. Revenu d’une année passée à l’étranger dans le cadre de mes études, j’ai eu de multiples opportunités de voyager et de découvrir des lieux plus ou moins touristiques, tout en développant mes compétences linguistiques. Du Royaume-Uni à l’Espagne, en passant par le Canada et les Etats-Unis, j’ai achevé mon Erasmus par la découverte du Costa-Rica et du Panama, avant de terminer mes études. Si chacun de ces voyages était différent sur le plan des paysages et cultures traversés, l’utilisation de l’avion s’est rendu inévitable, étant plus simple et beaucoup plus rapide que les autres moyens de transport. J’ai toujours été fasciné par les aéroports, ces lieux qui sortent de l’ordinaire, notamment par leur capacité à réunir en un seul espace une foule de nationalités, de cultures et d’êtres différents. C’est également un lieu qui ne dort jamais, où travaillent plusieurs dizaines de corps de métiers différents et où le temps est crucial, la vie de plusieurs milliers de voyageurs dépendant du ballet aérien. Il est défini comme un « non-lieu » par l’anthropologue Marc Augé (7), lui attribuant le rôle d’espace traversé, lieu de déambulation et de circulation imposant des villes actuelles. Il faudra attendre un quart de siècle pour que le géographe Michel Lussault (8) apporte une autre définition de l’aéroport. Il le qualifie d’ « hyper-lieu », un espace intense où s’invente des nouvelles formes de vie politiques et sociales, un espace d’expériences partagées où nous sommes là, au fond, pour la même chose. 1

17ème rencontre de la Fondation Le Corbusier, « Le rôle du voyage dans la formation de l’architecte », Istanbul Bilgi University Faculty of Architecture - Santral Istanbul Campus, 7 et 8 Octobre 2011 2

Ces chiffres proviennent de l’article « La place du tourisme dans l’économie française », publié sur le site gouvernemental : https:// www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/tourisme/la-place-du-tourisme-dans-l-economie-francaise/ 3

Direction Générale des Entreprises (DGE), « Le tourisme des français en 2016, moins de départs mais plus de dépenses », Le 4 Pages de la DGE, n°73, Juin 2017 4

Selon l’Organisme Mondial du Tourisme (OMT), un jeune voyageur fait partie de la tranche d’âge allant de 15 à 30 ans.

5

World Youth Student and Educational Travel Confederation (WYSETC), New Horizons III, Tourism Research and Marketing, 2013

6

Le terme backpacker signifie littéralement « porteur de sac à dos » et désigne un voyageur se déplaçant de façon autonome. Ce terme s’est largement répandu depuis une dizaine d’années, certains établissements n’hésitant pas à l’intégrer à leur enseigne. 7

AUGE, Marc, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, La Librairie du XXIe siècle, 1992

8

LUSSAULT, Michel, Hyper-lieux. Les nouvelles géographies politiques de la mondialisation, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2017

9


En effet, nous avons pour la plupart déjà été confronté à des scènes de départ, des scènes d’aurevoir, des scènes d’adieux au sein de ces mégastructures devenues aujourd’hui des outils-clés dans le processus de métropolisation et de mondialisation des villes. L’aéroport permet de connecter les villes entre elles et de générer une dynamique économique au territoire qui l’accueille. Si son intégration au paysage urbain diffère selon les villes, il demeure aujourd’hui la vitrine de l’état dans lequel on atterrit, la porte d’entrée qui détermine le premier ressenti de chacun dans un pays inconnu. Cette porte d’entrée est complexe, composée d’une multitude de zones à franchir, allant de la zone publique à la zone contrôlée, de la zone sousdouanes à la zone hors-douanes. Chaque usager de l’aéroport est, le temps d’un instant, propulsé dans la « Zone Internationale », guettant ainsi son futur vol, sa correspondance, l’arrivée de ses proches ou encore flâner dans les boutiques du duty-free. Si l’oeil du voyageur m’a permis la fascination pour ces ensembles aéroportuaires, comment les voir avec l’oeil d’un étudiant en architecture ? Nous apprenons en premier lieu à voir au delà des limites de l’aéroport, à rencontrer des quartiers pavillonnaires entiers où vivent au quotidien plusieurs dizaines de milliers de personnes, leur vie étant rythmée par les mouvements d’avion. C’est à cet instant qu’apparait le plus grand paradoxe des questions de mobilité : le plus important outil d’ouverture sur le monde par les airs est soumi à la gravité terrestre, ancré dans un territoire qui, autrefois rural, brouille de plus en plus les limites entre la ville et l’équipement. Par ce mémoire, il s’agit de voir si l’aéroport et son territoire d’accueil peuvent encore vivre ensemble, dans un contexte de mondialisation très présent.

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FIGURE 1 : Aéroport Adolfo-Suárez de Madrid-Barajas, terminal 4 Source : MOSO International B. V. Au cours de mon année passée en Espagne, j’ai eu l’occasion, à de nombreuses reprises, de traverser le terminal 4 de l’aéroport de Madrid. Réalisé par l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners, il accueille une grande partie des vols internationaux et se considère comme la porte de l’Europe sur l’Amérique Latine.

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INTRODUCTION


« A nous deux, Roissy ! » : N’était-ce pas aujourd’hui dans les lieux surpeuplés où se croisaient en s’ignorant des milliers d’itinéraires individuels que subissait quelque chose du charme incertain des terrains vagues, des friches et des chantiers, des quais de gare et des salles d’attente où les pas se perdent, de tous les lieux de hasard et de rencontre où l’on peut éprouver fugitivement la possibilité maintenue de l’aventure, le sentiment qu’il n’y a plus qu’à « voir venir » ? ». (9)

METROPOLISATION ET EQUIPEMENTS La question de la mobilité est un facteur clé dans le développement et le renforcement des métropoles actuelles. L’extension des tissus urbains s’accompagne d’une croissance des flux, qu’ils soient économiques, financiers, sociaux ou de mobilité. Autrefois gouvernées par un système de frontières, les villes se développent aujourd’hui sous forme de pôles, regroupant les activités économiques et culturelles, et faisant converger les moyens de transports selon une logique de hubs et de pôles d’échanges intermodaux. Dans certaines situations, c’est la présence d’un équipement ou d’une installation qui favorise le processus de métropolisation. Il agit tel un aimant en apportant avec lui une attractivité économique et sociale nécessaire au développement du territoire qui lui sert d’hôte. J’ai été personnellement confronté à cette situation dans la ville où j’ai grandi. Bien qu’il s’agisse d’une petite ville d’un peu plus de 4000 habitants, le phénomène d’urbanisation a été similaire. Il s’agit de la commune de Blaye, au Nord de la Gironde, qui accueille l’un des forteresses de l’architecte Sébastien Vauban, organisant ainsi « le verrou de l’estuaire » qui défend la cité bordelaise des agressions extérieures. L’arrivée du Centre Nucléaire de Production d’Electricité (CNPE) sur la rive droite de l’Estuaire, dans les années 1980, a entrainé l’urbanisation et l’enrichissement des communes situées aux alentours de la centrale, devenant ainsi le bassin d’emplois principal du territoire Nord Girondin. Ayant vécu au sein de cette effervescence pendant 17 ans, j’ai souhaité étudier ce phénomène à une autre échelle qu’est celle de la métropole. Dans Métropolisation et grands équipements structurants, Florence Laumière et Frédéric Leriche s’attachent à comprendre le rôle de tels équipements dans la fabrication de la ville. Ils citent notamment l’exemple de Montréal, au Canada, où « à l’issue d’un long cheminement historique, le transport collectif y apparait, depuis 1995, comme un facteur d’intégration puissant de la Région Métropolitaine de Recensement de Montréal » (10). Les modes de transport apparaissent ici comme des équipements de mobilité vecteurs de transformations socio-spatiales à l’échelle de la métropole. Je me suis intéressé à un moyen de transport en particulier, celui qui a transformé définitivement les modes de déplacement sur les moyennes et longues distances : l’avion. Au départ utilisé à des fins militaires et réservé à une classe élitiste, l’usage de l’avion s’est largement démocratisé au fil du XXème siècle et permet aujourd’hui de relier les principales métropoles du monde, le tout de plus en plus vite, à des tarifs de plus en plus avantageux. Le marché aéroportuaire est devenu imposant et selon les estimations, le trafic aérien double tous les quinze ans (11). Le nombre de compagnies aériennes s’est amplifié et le marché du vol low-cost avec lui, rendant accessible n’importe quelle destination au plus grand nombre. Les grands aéroports font la course au nombre de passagers recueillis et au nombre de mouvements d’avion, entrant ainsi en concurrence les uns avec les autres. 9

AUGE, Marc, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, La Librairie du XXIe siècle, 1992, Prologue

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LAUMIERE, Florence et LERICHE, Frédéric, Métropolisation et grands équipements structurants, Presses Universitaires du Mirail, 2004, p. 91 11

Propos de John Leahy, directeur-adjoint clients du groupe Airbus, en 2011.

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FIGURE 2 : Classement du trafic de passagers au niveau international en 2016 Source : Airports Council International (ACI)

Ces plateformes d’envergure mondiale sont des éléments clés de l’archipel mégalopolitain mondial (AMM). Cette notion, développée par le géographe Olivier Dollfus en 1996, caractérise un « ensemble de villes qui contribuent à la direction du monde, […] un symbole de la globalisation liée à la concentration des activités d’innovation et de commandement » (12). L’archipel se compose de grands ensembles urbains formés par les métropoles et mégapoles mondiales, dont les aéroports assurent la liaison en continu. Certains d’entre eux participent à la formation de nouveaux ilôts, comme ceux de Dubaï ou de Singapour, où le phénomène de métropolisation s’effectue «en entretenant des relations privilégiées avec des nœuds négligés, de second rang ou émergents» (13). Le processus de métropolisation déclenché par la présence d’une plateforme aéroportuaire est-il unique pour autant ? Qu’est ce qui différencie, au fond, l’urbanisation d’un territoire à proximité d’un aéroport et celle d’une ville comme Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Lille ou encore Montréal (14) ?

12

DOLLFUS, Olivier, La mondialisation, Presses de Sciences Po, 1996, p. 25-27, chapitre 2, « Le monde dans ses lieux »

13

FRETIGNY, Jean-Baptiste, «Aéroport : non-lieu ou point d’ancrage du Monde ?», écrits apparus dans : GHORRA-GOBIN, Cynthia, Dictionnaire critique de la mondialisation, Armand Colin, pp.30-35, 2012

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Dans Métropolisation et grands équipements structurants, les villes de Clermont-Ferrand et Saint-Etienne sont citées pour justifier la posture du tramway comme vecteur de métropolisation. Nora Semmoud, chercheuse au CNRS et à l’Université François Rabelais de Tours, démontre que le tramway est devenu «un élément d’apparat accompagnant toutes les opérations urbaines d’envergure qui visent les opérateurs économiques et les couches moyennes» (LAUMIERE, Florence et LERICHE, Frédéric, Métropolisation et grands équipements structurants, Presses Universitaires du Mirail, 2004, p. 89).

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UN EQUIPEMENT DECLENCHEUR D’INEGALITES L’identité propre de la plateforme aéroportuaire constitue un premier élément de réponse. C’est un outil d’ouverture sur le monde qui brasse en permanence plusieurs milliers de personnes chaque jour, qu’ils soient passagers ou travailleurs. Le ballet aérien pose la question des possibilités de vie autour de l’aéroport, les nuisances sonores étant de plus en plus présentes avec l’augmentation des mouvements d’avion. Situé de manière général en périphérie, il côtoie la multiplication des projets à but commercial et lucratif à ses frontières, provoquée par la transformation des centrevilles et la relégation des surfaces commerciales et industrielles (principe d’exurbanisation). Cela interroge sur le devenir des commerces des centres ruraux, entrainant la mort des centres des petites et moyennes communes aux alentours de l’aéroport. C’est ainsi que l’on distingue une fracture entre l’échelle locale, caractérisée par les communes et intercommunalités, hôtes de la plateforme aéroportuaire, et l’échelle métropolitaine. Le géographe Laurent Carroué le justifiait déjà aux débuts des années 2000 : « L’unification du monde par la mondialisation est elle-même productrice de profondes recompositions géoéconomiques des territoires. Elles se traduisent par des processus de sur intégration et de sur exclusion dont le fonctionnement des emboîtement d’échelles peut soit les neutraliser soit les exacerber » (15). La coexistence entre l’aéroport et son territoire est bien réelle, mais elle peut s’avérer différente selon les plateformes. Dans certains cas, l’aéroport est situé au coeur du monde rural, loin des zones urbanisées, comme les aéroports internationaux londoniens de Stansted ou de Gatwick, situés à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale anglaise. Pour d’autres, la limite entre ville et équipement est beaucoup moins nette.

DECOLLAGE Parmi les aéroports de rang mondial figure un mastodonte du transport aérien français. Il s’agit du premier aéroport national, le deuxième européen et le dixième mondial en termes de trafic de passagers en 2016 (16) : l’aéroport de Roissy - Charles de Gaulle. Cette méga-structure occupant un terrain de 3257 hectares au Nord-Est de Paris a abrité en son sein pas moins de 65,9 millions de passagers en 2016, ce qui représente un peu moins de la totalité de la population française. Implanté sur plusieurs communes et départements, il est devenu au fil des années l’un des pôles économiques principaux de la région Ile-de-France. Cette situation économique fait de l’aéroport un vecteur d’attractivité à la fois pour des demandeurs d’emplois, des entreprises, mais aussi pour des promoteurs. Juxtaposé sur plusieurs communes et départements de la région, il est situé à proximité du réseau autoroutier et relié au centre de la capitale par le RER B. Définir ce territoire aujourd’hui devient de plus en plus complexe, avec un maillage administratif qui ne cesse de se diviser à mesure que les années passent. Autrefois essentiellement rural, le territoire Nord francilien est aujourd’hui rattrapé par la métropole du Grand Paris. Les dizaines de milliers d’habitants qui vivent quotidiennement aux abords de l’aéroport Charles de Gaulle assistent depuis des années à la transformation de leur territoire. Cette transformation prend la forme de grands projets de zone d’activités, aux allures de nouveaux quartiers péri-urbains, brouillant au fil des années la limite entre la ville et l’aéroport. Cependant, dans le cas de Charles de Gaulle, nous allons voir que le phénomène de métropolisation du territoire s’accompagne de deux fractures.

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CARROUÉ, Laurent, Géographie de la mondialisation, Paris, Armand Colin, 2002, 254 p.

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AEROPORTS DE PARIS (ADP), Rapport d’activité et de développement durable 2016

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Dans un premier temps, les projets métropolitains et privés creusent le fossé entre la métropole et l’échelle locale, notamment en matière d’apport de nuisances sonores qui fragilisent la coexistence entre l’aéroport et son territoire d’accueil. Dans un second temps, ces projets métropolitains et privés viennent creuser les inégalités au sein de l’échelle locale. Le territoire Nord Francilien est un territoire aux inégalités économiques distinctes selon les départements, ce qui complique tout effort de coexistence. Le 17 Janvier 2018, nous avons appris l’annulation du projet d’aéroport à NotreDame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Après plusieurs années de bataille entre «pro» et «anti» aéroport, le premier ministre Edouard Philippe a annoncé le déclin de la plateforme aéroportuaire au profit de la rénovation et de l’agrandissement de l’aéroport actuel de Nantes. C’est le premier évènement du genre depuis l’annulation de la centrale nucléaire de Plogoff, en 1981, par François Mitterand. Nous pouvons parler d’une victoire de l’écologie sur la construction, d’autant plus qu’il s’agit d’une victoire d’un très large mouvement qui s’est battu pendant des années, plus que d’une victoire d’un parti politique qui, malgré ses 17 députés au pouvoir, n’a pas eu d’impacts sur la décision finale. Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, la plateforme aéroportuaire était inexistante et sa coexistence impossible avec un territoire rural riche de son environnement et de son histoire. Mais qu’en est-il de l’aéroport Charles de Gaulle ? Dans un contexte de métropolisation et d’ouverture sur le monde, l’aéroport Charles de Gaulle et son territoire d’accueil peuvent-ils encore coexister ? Dans le cadre de ce mémoire, nous entendrons par territoire d’accueil la superficie comprise dans les limites administratives des communes hôtes de la plateforme aéroportuaire, à savoir : - Roissy-en-France et Epiais-lès-Louvres dans le Val d’Oise (95) - Mauregard, Le Mesnil-Amelot et Mitry-Mory en Seine-et-Marne (77) - Tremblay-en-France en Seine-Saint-Denis (93) Nous pouvons voir ci-dessous la position de l’aéroport Charles de Gaulle vis-à-vis de ces communes franciliennes, où chacune d’entre-elles se partage une section de la plateforme :

95)

Epiais-lès-Louvres (95)

Mauregard (77)

Le Mesnil-Amelot (77)

1

2B Roissy-en-France (95)

2A

2D 2C

2F

L

M

2E

Tremblay-en-France(93)

Mitry-Mory (77)

FIGURE 3 : Vue aérienne du territoire d’accueil de l’aéroport Charles de Gaulle Source : Olivier Marchyllie

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PLAN DE VOL Pour tenter de répondre à notre problématique, nous allons mettre en place un dispositif de recherches en trois temps, mettant en scène à chaque étape de la démarche plusieurs champs disciplinaires distincts. La pluralité des champs disciplinaires est indispensable puisque l’aéroport est un objet difficilement classifiable. Chacun des temps va faire appel à un dispositif de recherche différent, de manière à optimiser au maximum les réponses à notre interrogation de départ. TEMPS 1 : ANALYSE DOCUMENTAIRE Il s’agit, dans un premier temps, de comprendre comment l’aéroport de Roissy - Charles de Gaulle est devenu, en l’espace de 44 ans, le premier aéroport français en terme de trafic de passagers. Une analyse documentaire de l’aéroport et du territoire qui l’accueille va permettre de définir et d’analyser ce bassin d’emplois, véritable moteur économique de la région Ile-de-France. TEMPS 2 : REVUE DE PRESSE Une fois l’aéroport et son territoire défini, nous allons voir et analyser sa capacité à transformer son territoire d’accueil. La presse et les médias conviennent parfaitement pour une analyse première du processus de métropolisation, puisqu’ils recensent les différentes opinions sur les transformations locales et métropolitaines. Sachant que la ville de Paris est au coeur d’une politique évènementielle et culturelle d’envergure mondiale (comme l’accueil des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024) et que l’aéroport va jouer un rôle clé dans l’acheminement des millions de visiteurs, la revue de presse va permettre d’être tenu au courant quotidiennement des avancées des différents projets architecturaux et urbains, mais aussi des ressentis de la population sur ces projets. Les seules limites de ce dispositif de recherche correspondent au caractère subjectif de certaines données, la liberté de la presse n’apportant pas pour autant l’objectivité de l’information. TEMPS 3 : LES ENTRETIENS ET L’ENQUÊTE IN-SITU Si la revue de presse permet de mettre en exergue certains points de conflits entre l’échelle locale et l’échelle métropolitaine, elle ne permet pas entièrement de comprendre la vie et la pensée des ruraux vivant en bordure de l’aéroport. Pour ce faire, une série d’entretiens a été menée auprès des habitants vivant le territoire Nord-francilien. Pendant plusieurs jours, chaque commune située autour de l’aéroport a été parcourue et plusieurs entretiens ont été menés dans chacune d’elle. Bien qu’ils ne présentent en aucun cas de manière objective l’état des lieux du territoire dans lequel vivent les interrogés, ces entretiens ont permis d’avoir une image plutôt complète de la situation de coexistence entre l’aéroport Charles de Gaulle et les différentes communes hôtes de la plateforme. Une grille d’entretiens a été élaborée et l’ensemble des entretiens est disponible en annexe.

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GRILLE DE VOL PROFILS ENVISAGES

ETAT

Ménage 1 : une ou plusieurs personnes résidant autour de Charles de Gaulle depuis plusieurs dizaines d’années. Ménage 2 : un jeune ménage vivant ou souhaitant s’installer à proximité de l’aéroport Ménage 3 : un commerçant d’une commune à proximité de l’aéroport Ménage 4 : un responsable politique ou membre d’un conseil municipal d’une commune à proximité de l’aéroport Najia BADI, responsable des études sur la ville et les plateformes aéroportuaires, groupe ADP

Entretiens Obtenus

Entretiens Obtenus

Entretiens Obtenus

Entretien Non Obtenu

Entretien Non Obtenu

Michèle PEGOURIE, spécialiste de l’urbanisme réglementaire, groupe ADP

Entretien Non Obtenu

Armand CAMBUSIER, responsable du foncier, groupe ADP

Entretien Non Obtenu

THEMES DES ENTRETIENS : tournés autour de l’évolution de l’aéroport, de ses débuts à ses futurs projets (connus ou non du grand public), la vie à côté de l’aéroport et leur vision de cette vie dans les années futures.

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PARTIE 1

Le territoire Nord francilien : un territoire qui bascule au coeur d’une situation de coexistence inédite


FIGURE 4 : Eglise du vieux village de Goussainville (95), classée monument historique Source : Charles Platiau / Reuters, pour Le Figaro Le village de Goussainville, à quelques kilomètres de Roissy-en-France, dans le Val d’Oise, a été le plus touché par l’arrivée de l’aéroport Charles de Gaulle. Sa population est passée de 1000 habitants à 300 habitants au milieu des années 70, après l’inauguration du premier terminal de Charles de Gaulle. Les rues de l’ancien village grouillent aujourd’hui de touristes venus admirer les ruines d’un des rares «villages-fantômes» de France. Il est la preuve vivante que le début de coexistence entre l’aéroport et le centre de la Plaine de France a été fatal pour certaines parties de ce territoire.

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Il s’agit de comprendre comment le territoire Nord francilien, centre de la Plaine de France, est arrivé aujourd’hui à générer des situations conflictuelles entre un hub mondial et une population locale fragilisée par son activité. Pour cela, il faut d’abord regarder vers le passé, aux débuts de l’aéronautique, afin de mieux cerner l’intérêt d’un tel équipement métropolitain au sein du territoire.

A. L’arrivée des aéroports et leur insertion dans le territoire 1. Définition de la coexistence Coexistence n. f. : Existence simultanée. Coexistence pacifique, principe selon lequel des Etats appartenant à des systèmes antagonistes participent à une organisation du monde qui accepte l’existence de chacun d’entre eux. (17) Coexister v. i. : Exister ensemble, en même temps. Coexistant, e. (18) La notion de coexistence au sein de l’architecture est une notion fondamentale dans le processus de fabrication des villes actuelles. La définition de « coexister » en est la preuve formelle. Il s’agit « d’exister » ensemble, en même temps, et, dans le cas de l’architecture, dans une même situation géographique. L’emploi du verbe « exister » est d’ailleurs riche de sens, renvoyant au concept primaire de la vie et de la mort et de la capacité de chacun à survivre. C’est dire la responsabilité des aménageurs du territoire, qui détiennent dans leurs mains le destin des populations actuelles qui participent à la vie de ce territoire quotidiennement. Cette capacité de survie, dans le cas de la coexistence, ne dépend plus uniquement de l’individu. Sa vie est en effet reliée à une autre entité, qu’elle soit matérielle ou non, qui porte en elle le pouvoir d’influer directement sur la situation. La coexistence entre un équipement de mobilité et un territoire peut être assimilée à une symbiose entre deux êtres vivants d’espèce différente. Les êtres impliqués sont des symbiotes et celui qui possède la plus grande taille peut être qualifié d’hôte. Nous utiliserons d’ailleurs à plusieurs reprises le terme « territoire hôte » pour désigner le territoire d’accueil de l’aéroport Charles de Gaulle. Au fil des siècles, les différentes avancées technologiques ainsi que l’évolution démographique ont contribué à la mutation des villes et à leur croissance. Des phénomènes tels que le mitage de l’espace (19), l’exurbanisation (20) ou encore la métropolisation se sont progressivement mis en place dans les métropoles mondiales. La révolution industrielle a vu l’arrivée du transport ferroviaire et des réseaux de chemin de fer, qui ont bouleversé les pratiques de mobilité et fait émerger de grandes infrastructures d’accueil et d’entreposage des locomotives et wagons. Les sociétés ont alors appris à coexister avec ces nouveaux moyens de transport. Cependant, la coexistence avec ces nouveaux équipements de mobilité ne se déroule pas toujours bien, en particulier lorsque nous parlons de transport aérien (FIGURE 4). Nous allons voir comment cet outil de mobilité s’est progressivement répandu sur tous les continents et en quoi il constitue un élément phare de la mondialisation.

17

Dictionnaire LAROUSSE CLASSIQUE, Librairie Larousse, Paris, 1957

18

Ibid.

19

Le mitage désigne un processus d’étalement urbain non maitrisé, c’est-à-dire la construction anarchique de logements ou d’infrastructures dans des territoires ruraux ou périurbains. 20

L’exurbanisation consiste au déplacement des activités des centre-villes vers la périphérie.

21


2. La question de l’avion et de l’aéroport au sein des mobilités actuelles Pour trouver les premiers aéroports, il faut aller en Allemagne où furent développées les premières plateformes aéroportuaires destinées à accueillir du public. Les dirigeables Zeppelin de la compagnie DELAG (Deutsche Luftschiffahrts-Aktiengesellschaft) se sont en effet implantés au début du XXème siècle dans plusieurs grandes villes du pays. Après la Première Guerre mondiale, l’Europe de l’Ouest s’est retrouvée pourvue d’aérodromes en quantité. A l’origine considérés comme bases opérationnelles de guerre pour la flotte aérienne, ces lieux furent réhabilitées afin d’héberger les premiers services commerciaux réguliers, notamment le service postal. Au niveau des grandes capitales européennes, les aéroports sont plus importants en terme de superficie et de services proposés. L’un des plus impressionnants fut celui de Berlin Tempelhof, pouvant accueillir les avions et leurs passagers directement sous sa canopée métallique. Outre Atlantique, l’aéroport de Newark, à proximité de New-York, impressionne à l’époque par sa piste de 488m de long, la première a avoir été construite en dur. Celui-ci a accueilli en 1930 l’équivalent de 20000 passagers sur son emprise. En 2013, à titre de comparaison, 35 millions de passagers ont décollé ou atterri sur cette même plateforme, montrant l’évolution du trafic aérien en l’espace de 83 ans (21). Si le trafic aérien a pu évolué, c’est en partie grâce à l’évolution des infrastructures et de l’implantation des activités aéroportuaires. Au départ, les aéroports ont été édifié à proximité des villes qu’ils comptaient desservir. Très peu d’aménageurs ont estimé que le trafic aérien grimperait de manière exponentielle et ont ainsi continué à développer les plateformes aux côtés des métropoles en expansion. Ce qu’ils n’avaient absolument pas prévu, c’était l’arrivée de l’avion à réaction qui a changé du tout au tout la fréquentation des aéroports. D’abord expérimental dans les années 30, les militaires n’ont pas eu d’autre choix que de l’utiliser et de l’améliorer pendant la Seconde Guerre mondiale, afin d’éviter tout retard technologique sur l’adversaire. Les avions à réaction civils font leur apparition dans les années 1950, entrainant ainsi le développement des compagnies aériennes et des plateformes aéroportuaires. Nous pouvons citer comme prouesse technologique majeure le Concorde, mis en service le 21 Janvier 1976. Cet avion supersonique aura d’ailleurs été retiré du marché le 26 Novembre 2003, notamment en raison du crash qui a eu lieu quelques années plus tôt sur la commune de Gonesse. Cet accident a entrainé la mort de 113 passagers, deux minutes après le décollage de Charles de Gaulle, le 25 Juillet 2000. La transformation de ces technologies a évidemment eu un impact sur l’architecture même des aéroports. Au départ composés seulement de pistes peintes sur de grandes superficies rurales, ils sont devenus aujourd’hui de véritables portes d’entrée sur le territoire, portes d’entrée à la pointe de l’architecture et de l’ingénierie. Cette distinction a commencé lorsque le développement de l’aviation commerciale a nécessité la création d’édifices spécialisés, tels que des hangars, tours de contrôle, terminaux … Le format de l’aéroport traditionnel, tel que nous le connaissons, est véritablement apparu dans les années 1960. Etant devenus plus que de simples aérogares, les aéroports se sont également peu à peu munis de fonctions commerciales et sociales, ne considérant plus les passagers comme de simples personnes montant ou descendant d’un aéronef, mais comme des clients à part entière de leur infrastructures. Tous ces éléments font de l’aéroport une mégastructure que certains n’hésitent pas à appeler « ville aérienne » ou « Aérocity » (22). 21

Chiffres du Port Authority of New York and New Jersey, organisation gouvernementale administrant les trois aéroports principaux de New-York. Chiffres disponibles sur : http://www.panynj.gov/airports/pdf-traffic/DEC2012_EWR.pdf 22

BOSMA, Koos, «Nathalie Roseau, Aerocity. Quand l’avion fait la ville (Aerocity: When the Plane Made the City).» The Journal of Transport History, vol. 35, no. 2, 2014, p. 256

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Ces villes dites « aériennes » continuent de voir le jour dans le monde et font l’objet de concours internationaux d’architecture. Les envolées du trafic aérien contraignent les futurs aéroports à voir grand quand à leur implantation, dans le but d’accueillir d’autres terminaux et pistes pour fluidifier au maximum le trafic de passagers au sein de leurs emprises. C’est là que la notion de coexistence rentre en jeu, puisqu’il s’agit d’implanter un nouvel équipement de mobilité au sein d’une territoire existant. Avant de s’intéresser au cas concret de Charles de Gaulle, nous allons voir qu’il existe des situations de coexistence aéroport-ville très différentes dans le monde.

3. De Denver à Berlin : des situations de coexistence aéroport-ville contrastées Les cas suivants sont importants pour comprendre que le contexte géographique dans lequel se situe actuellement l’aéroport Charles de Gaulle est beaucoup plus grave et complexe qu’une partie des aéroports internationaux de même gabarit. Parmi le classement des 20 premiers aéroports internationaux en terme de trafic de passagers en 2016 (cf. FIGURE 2, p.14), plus d’un quart provient des Etats-Unis d’Amérique. Nous retrouvons ainsi les aéroports d’Atlanta (rang 1), Los Angeles (rang 4), Chicago (rang 6), Dallas-Fort Worth (rang 11), New-York JFK (rang 16) et enfin Denver (rang 18). Nous rappelons que l’aéroport Charles de Gaulle figure au 10ème rang de ce classement, avec 65,9 millions de passagers. Au sein de ces aéroports américains, plusieurs d’entre eux sont dans une situation de coexistence que nous pourrions qualifier de stable, où l’évolution de la plateforme aéroportuaire et des activités alentours n’a aucun impact sur le contexte dans lesquels ils se situent. C’est le cas de l’aéroport d’Atlanta, où l’implantation des aérogares et terminaux en échelon permet l’installation d’autres infrastructures aéroportuaires. Celui-ci est d’ailleurs encerclé par le réseau autoroutier, empêchant ainsi toute construction aux frontières de l’aéroport et éloignant les futures constructions des nuisances sonores.

FIGURE 5 : Terminal Eastern d’Hartsfield-Jackson Atlanta International Airport, 15 Avril 1991 Source : Felix Goetting Cette photo a été prise par Felix Goetting à bord de l’ US Air Fokker 100 N863US. Il a compté 58 Eastern Air Lines jets et un Eastern Express Jetstream turboprop, disposés tous en lignes et permettant le plus de mouvements d’avion possibles.

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FIGURE 6 : L’aéroport International de Denver sous la neige, le 22 décembre 2006 Source : Ashley Niblock, Denver Airport Under Snow Nous pouvons voir sur cette photo l’aéroport international de Denver, recouvert de neige. L’avantage de cette photographie, prise au cours d’un vol San Francisco - Washington, est qu’elle met en avant les différents réseaux de l’aéroport, que ce soit les pistes d’avion ou le réseau de voiries qui le dessert. La neige permet également de voir la rareté du bâti autour de l’aéroport, permettant ainsi une coexistence sereine avec le territoire-hôte.

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En parlant d’ambitions d’extension, l’aéroport de Denver a parfaitement anticipé les futurs développements sur son emprise (FIGURE 6). D’une surface de 137,8 km2 et situé en plein coeur d’une zone aride, l’aéroport détient le record américain en terme de superficie au sol et peut ainsi librement mettre en place de nouvelles installations, allant de la piste à l’aérogare. Du fait de sa présence en zone aride, l’aéroport ne risque en aucun cas de perturber le quotidien des habitants du territoire qu’il accueille. Cela pose d’ailleurs une question importante en terme de mobilités entre l’aéroport et la ville. Puisqu’il est situé à l’extérieur de la ville, l’aéroport de Denver est situé loin du centre-ville, augmentant ainsi la distance et le temps de trajet pour tous les usagers de l’aéroport souhaitant se rendre dans le centre de Denver. Nous voyons que le choix d’implantation n’a aucun impact sur le quotidien des habitants du territoire puisque personne ne vit à proximité de l’aéroport. Cependant, il défavorise les usagers de l’aéroport, que ce soit les passagers ou les travailleurs. D’un point de vue critique, la décision d’implanter l’aéroport loin des villes est une bonne chose dans le sens où la pollution sonore et les possibilités d’aménagement ne seront en aucun cas des contraintes. La seule contrainte est l’éloignement du centre-ville, mais celui-ci peut être résolu par un système de transports efficace. Si ces aéroports internationaux sont classés aussi haut en terme de trafic de passagers, c’est qu’ils ont su adapté leur morphologie au développement du trafic aérien. En Europe, alors que certains aéroports voient leurs limites avec la ville se flouter, d’autres subissent un sort peu commun. Nous aurions tendance à penser que l’aéroport, dans une relation de coexistence, dominerait son territoire par son impact économique et sonore. Dans le cas de l’aéroport international de Berlin-Tempelhof, la nature et la vie ont repris leurs droits sur l’emprise aéroportuaire, fermée depuis Octobre 2008 en raison du déclin de son activité, reportée sur les deux autres aéroports de Berlin, à savoir l’aéroport Otto-Lilienthal de Berlin-Tegel et l’aéroport international de Berlin-Schönefeld, agrandi pour l’occasion. Considéré comme « la mère des aéroports abandonnés », cet ensemble architectural de hangars en demi-cercle mesurant 1 230 m de long a subi de plein fouet le choc pétrolier de 1973. Le modèle économique de l’aéroport fut fortement atteint et les autorités ont eu l’obligation de le fermer. Cependant, deux ans après la fermeture, le 8 Mai 2010, l’aéroport rouvre ses portes pour accueillir un immense parc de 380 hectares, soit plus grand que Central Park à New-York. Les activités y sont diverses et éco-responsables, avec la possibilité de marcher sur les anciennes pistes d’atterrissage et de cultiver des jardins partagés. Ce projet d’immense parc public en coeur de capitale a été adopté par les Berlinois, qui ont rejeté par référendum la proposition d’urbanisation de l’ancien site aéroportuaire du gouvernement de Berlin (23). En plein coeur de ville, sa transformation a complètement renversé la vapeur en ce qui concerne l’intégration de l’aéroport au sein de la ville. Il remet en cause le devenir de l’aéroport de centre-ville, dont l’activité est affectée par le ou les aéroports de périphérie. Ces aéroports de périphérie se retrouvent eux-mêmes victimes de leur succès. S’ils ne sont pas suffisamment éloignés de la métropole qu’ils desservent, ils se retrouvent rapidement encerclés par l’étalement urbain en cours. Ce phénomène est observable à Charles de Gaulle, cependant la situation est plus complexe que dans d’autres villes européennes. L’aéroport s’est en effet implanté dans un contexte où plusieurs milliers de personnes vivaient au quotidien dans ce territoire rural riche du Bassin Parisien. Nous allons maintenant voir dans quelles circonstances s’est implanté cet équipement de mobilité et comment il est devenu, en 44 ans, le premier aéroport français.

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BARTLICK, Slike, «Berlin voters claim Tempelhof», DW (Deutsche Welle), 27/05/2014

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FIGURE 7 : La Canopée de l’aéroport international de Berlin-Tempelhof, Halls 5-7, Juillet 1962 Source : FBB (Flughafen Berlin Brandenburg) La Canopée de l’aéroport international de Berlin-Tempelhof impressionnait pour l’époque, puisqu’elle pouvait accueillir directement les avions en son sein et embarquer les passagers au sec. Les hangars en demi-cercle forment les ailes d’un aigle royal, représentant le symbole de l’Allemagne. A cette époque, l’importance de l’architecture dans la conception et le design des aérogares se faisait déjà sentir.

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FIGURES 8 et 9 : Tempelhofer Feld, aujourd’hui Source : Emiko Atherton (FIGURE 8) et GrünBerlin (FIGURE 9) Destituée de toute fonction aéroportuaire, la base de Tempelhof est aujourd’hui un immense parc public, ouvert à tous les Berlinois curieux de venir fouler les anciennes pistes de cet aéroport. A l’automne 2015, certains hangars ont également accueilli plusieurs milliers de réfugiés, un programme qui s’est renouvelé les années suivantes.

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B. La coexistence entre une plateforme aéroportuaire internationale ... 1. La construction d’un système aéroportuaire qui répond aux exigences du trafic aérien Pour comprendre la nécessité d’implanter un troisième aéroport international en Ile-de-France, il faut regarder l’histoire de ses deux aînés. Ouvert en 1919, l’aéroport du Bourget est considéré au départ comme le premier aéroport civil de Paris. Sa piste en dur a accueilli des évènements majeurs dans l’histoire de l’aéronautique, tels que l’arrivée de Charles Lindbergh, le premier à avoir traversé l’Atlantique en solitaire et sans escale, le 21 mai 1927. Près de 200000 personnes se sont déplacées pour accueillir le pilote américain, montrant ainsi l’engouement de la population pour ce nouveau mode de mobilité. Après la Seconde Guerre mondiale, le groupe Aéroports de Paris (ADP) est fondé et est chargé d’exploiter les aéroports et aérodromes autour de la capitale. Même si l’ensemble du Bourget demeure le premier aéroport civil de la région, la nécessité d’une nouvelle plateforme aéroportuaire aux portes de Paris se fait sentir. En 1948, l’aérogare Nord de Orly est inauguré, aux côtés des installations de la marine américaine, encore présentes sur le site. Le 1er mars 1954, celleci quitte les lieux et l’aéroport d’Orly se transforme définitivement en aéroport civil. L’aérogare Sud est officiellement ouvert le 24 février 1961. Malgré la mise en service de l’aérogare Ouest dix ans plus tard, l’aéroport souffre de la croissance du nombre de passagers. Pour contrer la hausse du trafic aérien, une procédure des pouvoirs publics a identifié plusieurs terrains agricoles au Nord-Est de Paris, assez distants de l’agglomération, dans le but d’accueillir un troisième aéroport régional. Les avantages de ces terrains agricoles sont qu’ils ne nécessitent que très peu de travaux de démolition et offrent une surface avantageuse. Sur le plan masse de Charles de Gaulle, à la fin des années 1960, une cinquième piste avait même été envisagée . La conception de l’aérogare du nouvel ensemble aéroportuaire «Paris Nord» est confiée au polytechnicien et ingénieur des ponts Paul Andreu. Il imagine l’aéroport d’une manière très corbuséenne. La nouveauté de son dispositif réside dans l’articulation du corps central (accueil, bagages, parking) à septs satellites, reliés par des ponts. Ce système permet une circulation et un stationnement efficace des avions, toute taille confondue. Pour donner du sens à cet aérogare circulaire, l’ingénieur évite le centre et imagine un ensemble de tapis roulants traversant l’espace. Le choix de construire cinq autre unités identiques n’a pas été suivi, rendant ainsi le terminal 1 unique et singulier, sans possibilité d’évolution. L’aéroport ne va cesser de grandir au fil des années. Paul Andreu concevra quatre autres terminaux de Charles de Gaulle, conçus en anneaux et formant l’actuel aérogare 2 (2A, 2B, 2C, 2D). A peine inauguré, Aéroports de Paris réfléchit déjà à un nouveau terminal, le «2F» qui ouvrira en 1999. Enfin, entre 2003 et 2012, le terminal 2E et ses satellites d’embarquement seront construits. Ses quatre pistes constituent une technologie efficace capable d’absorber un trafic de plus en plus conséquent. D’un point de vue économique, l’aéroport de Charles de Gaulle, avec celui d’Orly et du Bourget, constituent trois atouts économiques majeurs et des moteurs de développement pour la région Ile-de-France. Une étude divulguée par Aéroports de Paris en 2010 aux lendemains de la crise montrent que ces aéroports ont généré 30 milliards d’euros de richesse (21 milliards pour Charles de Gaulle). En parallèle de l’activité aéroportuaire, ces aéroports attirent l’attention de nombreuses entreprises, des PME aux grandes entreprises internationales. On dénombre ainsi plus de 1000 sociétés ancrées dans les emprises aéroportuaires et plus encore si l’on franchit les limites du terrain.

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L’étude révèle que les employés de ces trois aéroports ont dépensé plus de 5 milliards d’euros en un an. Notre cas d’étude bénéficie dans le domaine du fret d’une balance commerciale excédentaire de 15 milliards d’euros et on estime à 20000 le nombre d’emplois qui ont été créés entre 2000 et 2010. Pierre Graff, ancien PDG de ADP, déclarait en 2010 : « Tous les départements voisins en profitent, de meilleurs transports permettraient aux moins favorisés d’y accéder plus facilement. » (24) Au total, ce sont 86000 emplois directs où le fret et Air France représentent une majorité d’entre eux. Les communes présentes aux alentours de l’aéroport ont bénéficié de la montée du trafic aérien et certaines ont vu leur taux d’emploi grimper en quinze ans (c’est le cas de Mitry-Mory avec + 68,6% d’emplois entre 1975 et 1990 par exemple) (25).

2. Une plateforme multimodale reliée au territoire Si la plateforme aéroportuaire s’est agrandi au fur et à mesure des années, elle s’est également ancrée de plus en plus à son territoire d’attache. La première connexion fut celle avec l’autoroute du Nord, l’autoroute A1. Considérée comme le premier axe routier d’envergure à relier la métropole parisienne à une autre métropole française, son idée est née au premier congrès international des autoroutes de Genève, à la fin de l’été 1931. La Seconde Guerre mondiale ayant modifié le déroulement du projet, il ne sera repris qu’au début des années 1950, avec la construction dans un premier temps du tronçon Lille et Carvin. Le reste de l’autoroute a été construit dans le courant des années 1950 et 1960, la dernière inauguration de tronçon ayant lieu le 29 Novembre 1967. L’aéroport a pu facilement ensuite se greffer à ce système autoroutier. L’autre réseau de transports majeur qui permet de relier l’aéroport au centre de Paris est le réseau ferroviaire. La plateforme aéroportuaire dispose en effet d’une gare TGV permettant l’accueil de plus d’une vingtaine de destinations nationales. Outre le TGV, c’est surtout le RER (Réseau Express Régional) qui permet l’acheminement des usagers de l’aéroport vers le centre et la région parisienne. Il permet de relier les gares principales de la capitale, comme la Gare du Nord ou Châtelet-Les Halles en une demi-heure environ. C’est le moyen le plus rapide actuellement pour aller à l’aéroport depuis le centre de Paris, malgré le fait que la ligne B du RER demeure la plus fréquentée du réseau. Il existe deux gares au sein de l’aéroport Charles de Gaulle : Aéroport Charles-de-Gaulle 1, qui dessert les aérogares 1 et 3, et Aéroport Charles-de-Gaulle 2 TGV, desservant les terminaux de l’aérogare 2 ainsi que la station SNCF. Toutes les infrastructures aéroportuaires sont reliées entre-elles par le CDGVal, un système de transport automatique. Cependant, l’aéroport Charles de Gaulle a un retard considérable en terme de transports en comparaison des autres aéroports internationaux. Il fut jugé à plusieurs reprises comme « pire aéroport du monde » notamment en raison du manque de connexion au territoire et de la difficulté pour arriver en son sein (26). C’est d’ailleurs une des priorités du groupe Aéroports de Paris que de relier efficacement son aéroport au reste de la région, l’aéroport accueillant chaque année toujours plus de passagers.

24

Discours extrait de l’article « L’aéroport de Roissy dope l’économie », Le Parisien, le 16/02/2012 à 7h00

25

IAURIF (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la région Ile-de-France), L’impact économique des aéroports, Oct. 1995, 203p 26

AMSILI, Sophie, « Roissy et Beauvais, les pires aéroports au monde », Le Figaro, le 14/09/2017 à 17h14

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plaines rurales du Bassin Parisien et l’avancée urbaine de la métropole.

L’aéroport Charles de Gaulle (2) est situé à 25 kilomètres au Nord-Est de Paris (1). Nous pouvons voir qu’il se situe à la frontière entre les

Source : Google Maps

FIGURE 10 : Localisation en vue aérienne de l’aéroport Charles de Gaulle par rapport au centre de Paris

1

2


Aéroville

Roissy-en-France (95)

A1

1

Territoire

3

2A

2B

RER B

Tremblay-en-France (93)

Epiais-lès-Louvres (95)

2C

2D RER B TGV 2E

2F

Mauregard (77)

L

B sont, pour l’instant, les deux seuls moyens pour rallier l’aéroport depuis le centre de la capitale.

Nous pouvons voir toute la complexité administrative du territoire sur lequel repose la plateforme aéroportuaire. L’autoroute A1 et le RER

Source : Olivier Marchyllie

FIGURE 11 : Carte des infrastructures aéroportuaires de l’aéroport Charles de Gaulle (zoom 2 de la FIGURE 10)

Infrastructures aéroportuaires

Gonesse (95)

Vaudherland (95)

Goussainville (95)

Louvres (95)

M

Mitry-Mory (77)

2G

Le Mesnil-Amelot (77)


3. Une implantation contestée par la population locale L’implantation d’une telle plateforme aéroportuaire fut d’ailleurs vivement critiquée par la population locale. La commune de Roissy-en-France ainsi que d’autres villes de la Plaine de France ont en effet milité pour l’annulation de ce projet, une mobilisation qui nous rappelle le cas de Notre-Dame-des-Landes. Si la protestation a commencé à une échelle locale, elle s’est amplifiée de manière significative au fur et à mesure de la construction du terminal 1. En effet, de 1969 à 1972, le manque total d’informations concernant le projet aéroportuaire fait passer ce soulèvement à l’échelle départementale. Dans le Val d’Oise, deux camps se sont affrontés : les « anti-aéroport », mettant en garde contre la pollution sonore quotidienne apportée par un tel équipement, et les « proaéroport », voyant en lui la création d’un bassin d’emplois et de revenus économiques importants. Les agriculteurs ont également protesté contre l’arrivée du hub aéroportuaire, mais seulement sur une courte durée. En effet, voyant que le combat serait vain contre les aménageurs de la région parisienne, beaucoup ont préféré être dédommagé financièrement afin de se reconvertir ou de racheter des superficies agricoles loin de l’aéroport. L’ampleur des protestations a toutefois conduit l’état à prendre un arrêté consistant à diviser le territoire en 3 zones de nuisances (27) :

- - -

Zone A : interdiction de construire (5 communes - 10000 habitants) Zone B : construction de bâtiments utilitaires autorisée (60000 habitants) Zone C : extension des agglomérations limitée au maximum (180000 habitants)

Malgré cela, la contestation prit une tournure nationale, les habitants et élus locaux reprochant un manque de clarté flagrant concernant le projet d’aéroport qui se dessinait sous leurs yeux. Au cours de notre déplacement sur le territoire hôte de l’aéroport, nous sommes allés à la rencontre de ceux et celles qui le font vivre au quotidien. Les huit années de travaux de construction du terminal 1 font partie des choses qui ont marqué les habitants, comme nous le rappelle Françoise, résidant à Roissy-en-France, interrogée à la sortie de l’église (28) : « Vous seriez venu ici il y’a 50 ans, vous n’auriez vu que des champs à perte de vue ! Aujourd’hui tout est bétonné, tout est construit. On en voulait pas de l’aéroport à l’époque ! Dès qu’ils ont commencé les travaux, on savait que ça allait être l’horreur ! Les engins de chantier arrivaient tôt le matin et quand ils partaient le soir, il y’avait de la boue partout dans les rues, des canalisations détruites, des coins de murs abimés … » Françoise, 78 ans Pendant l’entretien, Françoise a mis l’accent sur un autre chantier d’envergure qui s’est déroulé quelques années plus tôt. Il s’agit de la création du tronçon Senlis-Le Bourget de l’autoroute A1, la première autoroute à relier la capitale à une métropole française. Ces 35 kilomètres d’autoroute ont été inauguré le 30 décembre 1964 par le ministre des transports Marc Jacquet et permettent de desservir l’actuel troisième aéroport francilien. Cet enchainement de travaux a été douloureux pour Françoise qui a vu son territoire s’urbaniser au fil des cinquante dernières années. Elle nous a livré sa vision de l’avenir pour son village à la fin de l’échange :

27

IBERGAY, Guy et RENAUX, Dominique, Histoire de Roissy-en-France, Neyron, Agence régionale d’édition pour les municipalités, Collection «Histoire de notre ville», 1979 28

L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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« Vous savez, ça va empirer pour vous les jeunes ! Ça va continuer à pousser partout, mais ça va continuer à gronder aussi. Regardez chez les bretons, à Notre-Dame-des-landes, je croise les doigts pour que ça ne passe pas ! On sait ce que c’est quand, du jour au lendemain, on vous pose un aéroport au pied de votre porte. Je ne leur souhaite pas le même sort ! » Françoise, 78 ans L’insertion des équipements de mobilité au sein du territoire est une question complexe. Dans le cas de Denver au Colorado, nous avons vu qu’il est aisé d’installer une infrastructure comme un aéroport puisque beaucoup de territoires ne sont pas occupés quotidiennement par une activité humaine. Dans un pays comme la France, l’implantation d’une telle infrastructure ne peut pas se faire sans l’apparition de ce que nous appelons les NIMBY (Not In My Back Yard). Ce concept, diffusé par l’historien, ethnologue et sociologue Mike Davis (29), désigne les opposants à un projet local qui leur apporterait des nuisances de toute nature. Ce fut notamment le cas lors de l’implantation de Charles de Gaulle, où beaucoup voyaient l’aéroport comme objet de nuisances pour leur quotidien. Cependant, si certains refusaient l’aéroport en attaquant l’inutilité et la dangerosité environnementale d’un tel projet, d’autres le refusaient au seul prétexte qu’ils ne voulaient pas d’une plateforme aéroportuaire au bout de leur parcelle, tout en souhaitant tirer profit des avantages qu’elle leur procurerait. Ces personnes ne sont plus alors des NIMBY mais des OIOBY, ou littéralement traduit « seulement dans les arrière-cours des autres » (30). Nous pouvons voir cela comme une forme d’égoïsme, qui ne consiste qu’à déplacer le problème vers d’autres territoires, généralement plus faibles économiquement. La généralisation d’un concept comme le NIMBY doit être modérée dans le sens où elle décrédibilise l’opinion publique. Les attitudes égoïstes viennent en effet porter tort aux vraies revendications jugées honnêtes et légitimes, telles que la préservation de l’environnement, le coût des infrastructures ou la nécessité réelle d’un projet. L’annulation du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est la preuve réelle qu’une association à l’échelle locale de militants aux revendications légitimes peut contrer un projet non nécessaire et à l’impact environnemental négatif. Or, dans le cas de Charles de Gaulle, la montée du trafic aérien et les différentes avancées technologiques ont contraint les aménageurs à construire un troisième aéroport. Le projet était ainsi nécessaire au développement futur de la capitale française, mais son arrivée fut si brutale qu’il a provoqué, en l’espace de quelques semaines, une rupture de coexistence avec son territoire. « On sait ce que c’est quand, du jour au lendemain, on vous pose un aéroport au pied de votre porte ». Ces mots de Françoise révèlent la dureté des années qui ont suivi l’ouverture du terminal 1 de Charles de Gaulle. Elle nous a d’ailleurs parlé du village voisin à Roissy-en-France, qui est celui de Goussainville.

29

DAVID, Mike, City of Quartz, Excavating the Future in Los Angeles, Londres-New York, Verso, 1990

30

Le mémoire de licence de Enea Tonolla, étudiante en géographie à l’Université de Lausanne, est à ce sujet très enrichissant quant aux différentes variantes du syndrôme NIMBY. Source : TONOLLA, Enea, «Le syndrome NIMBY comme élément de gouvernance : le cas de l’usine de traitement des déchets ménagers de Giubiasco. La dimension multi-niveaux du back-yard basé sur les différentes identités territoriales des tessinois.» Institut de Géographie de l’Université de Lausanne, sous la direction du Prof. Antonio Da Cunha, 2009

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FIGURES 12 et 13 : Le vieux village de Goussainville : au début du XXème siècle et aujourd’hui Source : Agence de presse REUTERS

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« L’aéroport a racheté pas mal de maisons autour de lui à son arrivée, beaucoup de monde est parti ! Le pire ça a été à Goussainville. Vous voyez où c’est ? Quand vous arrivez avec le RER D, vous arrivez dans la nouvelle ville. Et bien, plus au Sud, il y’a le petit village de Goussainville, quasiment désert, que des maisons en ruine ! C’est une des attractions de la région, des dizaines de maisons abandonnées, recouvertes par des graffitis et la nature. » Françoise, 78 ans Si la rupture de coexistence entre l’aéroport Charles de Gaulle et son territoire avait un visage, ce serait celui du vieux village de Goussainville. Sur des images de l’INA, nous avons retrouvé l’inquiétude de Pierre Bories, président du Comité de Défense de Goussainville, face à l’arrivée proche du premier terminal de Charles de Gaulle, le 7 Juillet 1971 : « Aujourd’hui, c’est la campagne, le silence et l’air pur. Demain, ce sera le bruit et la pollution » (31). Cette inquiétude était justifiée, quand nous voyons aujourd’hui que le vieux village de Goussainville s’est transformé en village fantôme à la suite de l’inauguration de l’aéroport. Le groupe Aéroports de Paris a incité les gens à quitter la commune en rachetant leurs maisons, au double du prix. Le résultat fut que sur les 1000 habitants de la commune au milieu des années 1970, plus de 700 ont quitté la ville, se retrouvant avec leurs maisons murées et reprises par la nature. Les photographies du vieux centre de Goussainville, cicontre, montrent la violence de l’arrivée de l’aéroport sur le territoire Nord Francilien. Elles traduisent l’arrêt de la vie dans ces rues, ou comment le quotidien de plusieurs centaines de personnes s’est retrouvé du jour au lendemain bouleversé par un équipement d’intérêt national. Certains habitants ont quand même pris le parti de rester au vieux village, en demandant des sommes considérables pour le rachat de leurs maisons. Nous avons croisé à plusieurs reprises le visage de Philippe Vieillard, inscrit à l’association de sauvegarde du vieux Pays de Goussainville, qui déclarait à propos de son village : « J’espérais que ça devienne un village touristique par son architecture, c’est devenu un village touristique par ses ruines » (32). Aujourd’hui, le village de Goussainville renait progressivement, avec plusieurs ménages qui arrivent par an, attirés par les prix bas de l’immobilier et la proximité avec le pôle économique de Roissy. Ce village est la preuve vivante que l’aéroport Charles de Gaulle a déjà rompu par le passé toute viabilité avec son territoire. Le but de notre démarche est de voir si, quarante ans après, nous pourrions avoir une situation similaire au niveau du territoire Nord francilien, dans un tout autre contexte. Maintenant que nous connaissons l’aéroport et son potentiel économique, nous allons étudier son territoire hôte, afin de comprendre comment la situation est devenu conflictuelle.

31

FRANCE 3, « Aéroport de Roissy : Goussainville, village fantôme », le 19/20 du 18/01/2018

32

AFP, « A Goussainville, l’esprit de clocher résiste au bruit des avions », ajoutée le 28 nov. 2013 sur la plateforme Youtube. URL : https://www.youtube.com/watch?v=m_yGFBJznoA

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FIGURE 14 : Plaquette résumant le secteur primaire en Ile-de-France en 2010 Source : AGRESTE, INSEE et IAU-IDF

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C. ... et un territoire rural, au passé agricole fort 1. La région Ile-de-France : une région agricole soumise à la métropolisation Il s’agit d’abord de regarder le territoire à grande échelle. Région hôte de l’aéroport Charles de Gaulle, l’Ile-de-France compte 12,1 millions d’habitants répartis sur 3% du territoire national, soit 18% de la population française. La ville de Paris (75), située au coeur de la région, représente la 3ème destination touristique au monde en 2016 avec 18 millions de visiteurs étrangers (33). Au delà, nous trouvons la Petite Couronne composée des Hauts-de-Seine (92), de la Seine-SaintDenis (93) et du Val-de-Marne (94). Enfin, nous avons la Grande Couronne englobant l’Essonne (91), la Seine-et-Marne (77), les Yvelines (78) et le Val d’Oise (95). Au sein de ces départements coexistent 65 intercommunalités (communautés d’agglomérations, urbaines ou de communes) et 1277 communes (34). L’aéroport Charles de Gaulle, en plus d’être à cheval sur trois départements différents, fait donc partie de plusieurs réunions de communes : la communauté d’agglomération Roissy - Pays de France et le septième Etablissement Public Territorial (EPT) de la Métropole du Grand Paris, à savoir «Paris Terres d’Envol». Si le tissu administratif et territorial dans lequel s’insert l’aéroport peut sembler indigeste pour beaucoup de néophytes de la géographie et de l’aménagement, la présence de terres agricoles en Ile-de-France, elle, est beaucoup plus lisible. En effet, moins d’1/3 du territoire francilien est urbanisé, laissant une part belle aux terres agricoles (49%) et aux bois, forêts, rivières et étangs (24%) (FIGURE 12 ci-contre). Ces terres sont réparties au sein des 24 régions agricoles couvrant la région et ses abords, se distinguant entre elles par l’épaisseur de limons au dessus des plateaux calcaires. Nous pouvons y retrouver différents types de cultures, même si 89% de la production agricole est une production céréalière. Etant donné la forte présence de terres agricoles en Ile-de-France, l’étalement urbain se voit obliger de confisquer chaque année plusieurs hectares au secteur primaire. La consommation des terres agricoles est importante puisqu’on estime que l’Ile-de-France a perdu 7,4% de sa surface agricole en un quart de siècle. Ces chiffres ont été rendu publics par l’IAU (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme) qui se charge de diffuser le mode d’occupation du sol, le MOS, plusieurs fois au cours d’une décennie. Les différents relevés du MOS ont démontré que le mitage de l’espace reste une solution plus aisée à mettre en place que la densification des villes actuelles. C’est en effet le développement de l’habitat pavillonnaire en Grande Couronne qui domine et qui remplace progressivement des exploitations agricoles qui se veulent de plus en plus grandes. L’agriculture est un domaine qui trouve très peu de repreneurs, surtout quand l’âge moyen des français augmente. Ainsi, le nombre d’agriculteurs diminue et l’agrandissement des exploitations n’arrange en rien leur reprise, représentant un coût financier important pour la jeunesse souhaitant s’installer sur le marché du travail agricole. Malgré tout, des efforts sont effectués en Ile-de-France concernant l’agriculture biologique, puisque l’état et la région font le nécessaire pour augmenter la surface agricole utile d’ici 2020.

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HEDRICK-WONG, Yuwa et CHOONG, Desmond, Global Destination Cities Index, MasterCard, 2016

34

Carte des intercommunalités en Ile-de-France (2017) disponible sur le site de l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme) : https://www.apur.org/fr/nos-travaux/carte-intercommunalites-ile-france

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2. Le territoire Nord francilien : le coeur de la Plaine de France Il s’agit maintenant de nous rapprocher d’un territoire qui s’appelle la Plaine de France, ou Pays de France. Considérée comme le grenier de l’Ile-de-France, la Plaine de France est une région naturelle où la qualité des sols a permis, dès le XIIème siècle, d’établir une agriculture efficiente. Tellement efficiente qu’elle a approvisionné pendant longtemps la capitale en denrées alimentaires. Pendant la révolution industrielle, le passage des lignes de chemin de fer ont entraîné l’urbanisation de plusieurs communes possédant des gares. Au XX ème siècle, la Plaine de France accueille les populations de la croissance rapide de la capitale, entrainant la création de lotissements populaires aux bords des voies de chemin de fer, comme c’est le cas à Goussainville. La crise du logement aux lendemains de la Second Guerre mondiale a transformé une partie des communes en Grands Ensembles, comme c’est le cas à Sarcelles, Aulnay-sous-Bois ou encore Tremblay-en-France. Cette crise du logement aura d’ailleurs contribué à la paupérisation du Sud de la Plaine-de-France, créant des difficultés économiques et sociales encore sensibles aujourd’hui.

FIGURE 15 : Carte de l’ancien Etablissement Public d’Aménagement (EPA) Plaine de France Source : EPA (Plaine de France)

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Intéressons nous d’ailleurs a la population qui vit sur la Plaine de France. Celle-ci a été victime de la désindustrialisation de la France, puisqu’une grande partie de l’industrie lourde francilienne se situait en Seine-Saint-Denis. Les Grands Ensembles qui accueillaient cette population ouvrière font actuellement l’objet de projets de rénovation urbaine, en partenariat avec l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine). On estime à 32 le nombre de ZUS (Zones Urbaines Sensibles) sur le territoire de la Plaine de France. Outre la classe ouvrière, les classes moyennes ont peu à peu quitté ce territoire pour d’autres territoires franciliens. Chaque année, on estime que 91000 habitants le quittent, mais cependant, le même nombre vient s’y installer. Cela montre bien le renouvellement annuel de ce territoire en terme de population. La présence de l’aéroport Charles de Gaulle aide évidemment à ce renouvellement, puisque de nombreuses familles n’hésitent pas à s’implanter près de la plateforme, afin d’économiser sur les budgets du logement et du transport. Lorsque nous nous sommes déplacés sur le territoire, nous avons pu prendre conscience du grand nombre de travailleurs qui vivent aux côtés de l’aéroport (35): « Mon mari travaille à l’aéroport Charles de Gaulle, c’est la première fois que nous montons d’Italie pour venir le voir ici. Nous avons une semaine de vacances avec le petit, alors nous avons décidé de venir voir mon mari ici. » Monica, touriste italienne « Ca va faire 5 ans maintenant qu’on est ici ! Avant on était sur Aulnay, mais mon mari travaille à l’aéroport maintenant, donc on a préféré déménager ici, pour être plus près et éviter de perdre du temps dans les bouchons. C’était le meilleur compromis entre mon poste à Aulnay et la mutation de mon mari. » Mylène, 36 ans « (…) c’est vrai qu’habiter à proximité de son lieu de travail c’est quand même un avantage. Le matin, t’as pas les bouchons, tu peux partir dix minutes avant d’embaucher. Et l’avantage c’est qu’il y’a du boulot. T’as eu la chance de trouver assez rapidement, pour ma part je finis en Juin mes études, et après je chercherai un taff dans les environs, si on décide de s’installer ici. » Pierre, 29 ans

CONCLUSION PARTIE 1

Dans cette première partie, nous nous sommes attachés à comprendre et analyser les deux grands acteurs qui s’opposent depuis 44 ans au Nord-Est de Paris. D’un côté, nous avons le premier aéroport français, véritable pôle économique de la région Ile-de-France, qui attire des centaines de travailleurs chaque année, comme Pierre ou les conjoints de Monica ou de Mylène. De l’autre, nous avons le territoire Nord francilien, le coeur de la Plaine de France, au passé agricole chargé et au fort renouvellement de population. Ces deux acteurs ont déjà cessé de coexister une première fois, lorsque les caravelles foulaient le sol de Charles de Gaulle au milieu des années 70, quelques jours après l’ouverture officielle du terminal 1 de l’aéroport. Cette rupture de coexistence s’est matérialisée par le départ de milliers de personnes résidant autour de l’aéroport, Goussainville étant la ville la plus touchée par cette violence. Nous allons maintenant voir, dans un contexte tout autre qu’est celui de la mondialisation, que l’aéroport est le déclencheur d’une fracture entre les ambitions métropolitaines et privées et l’échelle locale. 35

L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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PARTIE 2

Une coexistence difficile entre les ambitions métropolitaines fondées autour du hub mondial et le territoire rural qui l’accueille


Maintenant que nos deux « symbiotes » sont définis, il s’agit de rentrer plus concrètement dans leurs contextes actuels. Ce deuxième point va se focaliser sur les actions de la métropole du Grand Paris et du groupe Aéroports de Paris, qui vont déstabiliser, au cours des prochaines années, le fragile équilibre restauré depuis la première rupture de coexistence, 40 ans plus tôt.

A. L’aéroport Charles de Gaulle à l’heure de la mondialisation 1. Paris au coeur d’une politique évènementielle mondiale La France accueillera bientôt deux compétitions sportives internationales de renom, d’une part la Coupe du monde de rugby à XV 2023, et d’autre part les Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été 2024. Cette politique évènementielle visant à accueillir le monde au sein de la métropole est inédite. Le 13 Septembre 2017, lors de la 131ème session du CIO (Comité International Olympique), Paris et Los Angeles se sont vus attribuer respectivement l’organisation des Jeux de la XXXIIIème (2024) et XXXIVème Olympiade de l’ère moderne (2028). La France n’avait pas accueilli les Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été depuis 1924, soit un siècle d’écart entre les deux compétitions. Dans le cas de la Coupe du monde de rugby à XV, c’est la deuxième fois que la France accueille la compétition, la première fois étant en 2007. Au niveau architecture, la France a misé sur ses infrastructures existantes. En ce qui concerne les JO, 95% des salles sportives sont déjà construites ou nécessiteront peu de travaux. La compétition devrait coûter au total 6,2 milliards d’euros, selon les estimations. Ci-dessous un aperçu des différentes infrastructures qui seront utilisées pour l’accueil des 28 disciplines olympiques :

FIGURE 16 : Carte des installations sportives des Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été Source : Les Echos

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En ce qui concerne la Coupe du monde de rugby à XV 2023, 9 stades français ont été réquisitionnés pour l’occasion, stades relativement récents en raison de l’Euro de football qui a eu lieu deux ans plus tôt. Toute l’attractivité engendrée par de telles compétitions a bien évidemment un effet sur la métropolisation du centre de la Plaine de France. Mais la transformation du territoire passe d’abord par l’aéroport Charles de Gaulle lui-même.

2. La transformation du groupe Aéroports de Paris Le groupe Aéroports de Paris a une histoire qui remonte aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale où, comme nous l’avons vu, l’Ile-de-France s’est enrichie de deux aéroports internationaux, que ce soit Orly ou Charles de Gaulle. Au départ, le groupe s’appelait « L’aéroport de Paris » et était un établissement public autonome. Si l’Etat reste actionnaire à hauteur de 67,2 %, Aéroports de Paris est devenu une société anonyme le 22 Juillet 2005 et possède deux filiales spécialisées : ADP Management et ADP Ingénierie qui leur permet d’élaborer des aéroports internationaux ambitieux. La dernière grande restructuration du groupe date du 14 Avril 2016, où deux marques distinctes ont été créées : Groupe ADP d’abord, qui met sur le marché le savoir-faire de la S.A. Aéroports de Paris, représentant la marque institutionnelle, et Paris Aéroport, une marque plus voyageurs, qui réunit les trois aéroports franciliens sous une même appellation. Outre les aéroports franciliens, le groupe est aussi à l’étranger, gérant les aéroports internationaux d’Abu Dhabi, Shanghai, Casablanca, Damas… Au total, le groupe gère 26 aéroports à l’international, soit 228,2 millions de passagers en 2017 (36). Situé entre les terminaux 1 et 2, ADP s’est installé en mars 2017 au sein de son nouveau siège social. Il incarne, par son architecture contemporaine et futuriste, la volonté du groupe de mettre l’aéroport Charles de Gaulle en tête des aéroports mondiaux. « Nous avons la conviction d’exercer un métier au service du client final et pas seulement à celui des compagnies aériennes. Il est essentiel d’être au plus proche des passagers pour répondre à leur attentes et préoccupations. » (37) Ces propos d’Augustin de Romanet, président directeur général du groupe ADP, montrent la volonté du groupe d’être proches de leurs clients. Il est vrai que le groupe ADP, dans sa course à la première place européenne, a quelque peu oublié ses clients et usagers. Et l’annonce d’une troisième piste à l’aéroport de Londres-Heathrow, le 6 Juin 2018, n’a certainement pas dû enthousiasmer Augustin de Romanet. En effet, le gouvernement britannique a voté pour la création d’une piste supplémentaire sur le hub anglais, l’aéroport étant actuellement au maximum de sa capacité. Nous avons tenté d’obtenir des entretiens avec plusieurs membres du groupe ADP au sujet de leur rapport avec le territoire hôte de Charles de Gaulle, nous nous sommes également déplacés jusqu’au nouveau siège du groupe, mais nous n’avons pas eu de réponses. Pour reprendre le cas de Denver, aux Etats-Unis, le fait que l’aéroport soit éloigné de la ville demande la mise en place d’un système de transports efficient. Dans le cas de Charles de Gaulle, c’est la double sanction : d’une part, malgré son éloignement du centre de Paris, son activité dégrade la qualité de vie de plusieurs dizaines de milliers de personnes vivant à ses abords et d’autre part, le RER B ne suffit plus à desservir le centre de la capitale. C’est d’ailleurs le gros point noir de l’aéroport Charles de Gaulle, mais qui souhaite se rattraper par la mise en place du Plan Connect 2020, un plan stratégique pour les cinq années comprises entre 2016 et 2020.

36

AEROPORTS DE PARIS (ADP), Document de référence et rapport financier annuel 2017

37

GRANIOU, Laura, « On a visité : Le nouveau siège social du groupe ADP à Roissy », The Good Life, le 24/04/2017

43


FIGURE 17 : Carte de l’emplacement du futur terminal 4 de l’aéroport Charles de Gaulle Source : Le Parisien La construction du terminal 4 se fait sur une parcelle étroite comprise dans l’ensemble aéroportuaire. Le terminal 3, qui loge les compagnies aériennes low-cost, devrait être intégré au projet du terminal 4.

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3. Le terminal 4 et le Charles de Gaulle - Express : la gestion de la montée du trafic aérien Le Plan Connect 2020, comme il le laisse supposer, souhaite d’avantage connecter l’aéroport au reste de la métropole. Son atout principal est le Charles de Gaulle - Express, un projet de métro rapide capable de relier l’ensemble aéroportuaire au centre de la capitale en moins de 20 minutes. Certains le surnomment «le train pour riches», puisque le tarif annoncé est de 24€ l’aller. Cependant, pour Augustin de Romanet, ce tarif est justifié dans la mesure où le Charles de Gaulle - Express permettra de relier sans arrêt l’aéroport au centre de Paris, un gage de sécurité et de rapidité adressé aux usagers. Le 16 Novembre 2017, l’Etat a décidé d’allouer 1,7 milliards d’euros au consortium – Aéroports de Paris (ADP), SNCF Réseau et Caisse des dépôts (CDC) dans le but de démarrer la construction de cette ligne de métro. Il est vrai qu’un tel projet est indispensable dans le contexte de mondialisation que nous avons décrit précédemment, que ce soit pour ADP ou pour les usagers des aéroports. Si le Charles de Gaulle - Express n’aura pas d’impact négatif majeur sur le quotidien des habitants du coeur de la Plaine de France, quand est-il d’un nouveau terminal qui permettrait d’accueillir 30 à 40 millions de passagers supplémentaires par an, soit l’équivalent d’un Orly ? (38) «Avec ce terminal, ADP aura un nouvel Orly» (39). Les propos d’Augustin de Romanet ne peuvent pas mieux décrire la volonté extrême du groupe d’atteindre les sommets des aéroports internationaux. Avec l’arrivée des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, le groupe ADP craint une saturation de ses terminaux à l’aube de 2024. La première phase du terminal 4, car il ne s’agira que de la première phase, devrait permettre d’accueillir 7 à 10 millions de passagers supplémentaires. Ce méga-projet intra-aéroport devrait s’étaler sur une vingtaine d’années et permettre à l’aéroport d’atteindre sa capacité maximale. C’est la notion de capacité maximale qui est ici problématique. Nous ne sommes pas en présence d’une entité dont l’augmentation des capacités n’a aucun impact sur l’humain, mais d’un aéroport international dont les nuisances sonores ont déjà contribué, par le passé, à la désertification d’un village entier. Même si Augustin de Romanet assure «qu’en 2050, Roissy sera plein comme un œuf, Orly aussi. On ne créera pas un troisième aéroport parisien. Il faudra aller à Lille, à Nantes ou à Tours... pour aller prendre un vol intercontinental.» (40), nous ne pouvons qu’imaginer le fond sonore qui découlera des quelques 900000 mouvements d’avion annuels de la plateforme (aujourd’hui 480000). Nous pouvons remettre en cause la responsabilité du groupe ADP dans une telle situation, puisqu’il semble passer clairement la concurrence internationale avant la qualité de vie des habitants vivant en bordure de l’aéroport. C’est d’autant plus discutable quand certains experts affirment que, si nous suivons une montée du trafic aérien similaire à aujourd’hui, l’aéroport Charles de Gaulle ne serait pas saturé à l’ouverture du terminal 4. Si ce projet risque de fragiliser de nouveau l’équilibre rétabli entre l’aéroport et son territoire, nous allons voir que la métropole du Grand Paris a le regard posé sur le coeur de la Plaine de France, de quoi perturber la balance économique déjà instable de celui-ci.

38

GLISZCZYNSKI, Fabrice, « ADP prépare le terminal 4, la dernière grande aérogare de Roissy », La Tribune, le 05/03/2018 à 12h44

39

Ibid.

40

Ibid.

45


Source : Institut d’Aménagement du Territoire d’Ile-de-France (IAURIF)

FIGURE 18 : Carte de la Métropole du Grand Paris, à l’échelle de l’Ile-de-France


B. Une plateforme qui attire les regards de la première métropole française 1. La Métropole du Grand Paris Avant de voir quels projets le Grand Paris réserve au territoire Nord francilien, nous devons repasser à l’organisation territoriale de la région Ile-de-France, qui demeure toujours indigeste. Suite à l’approbation de deux lois successives sur les métropoles françaises, la loi MAPTAM (Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles) en 2014 et NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) en 2015, la Métropole du Grand Paris voit le jour en Janvier 2016. Pour la première fois, une intercommunalité réunit les arrondissements parisiens, les communes de la Petite Couronne et sept communes de Grande Couronne qui ont souhaité en faire partie. Le tout fait près de 7,5 millions d’habitants et se découpe en 12 territoires. Au delà de la métropole, les autres intercommunalités ont aussi connu une restructuration en ensembles d’au moins 300000 habitants. Enfin, la Société du Grand Paris (SGP) est fondée à la suite de la loi du 3 Juin 2010 qui donne la première définition du projet du Grand Paris : « Le Grand Paris est un projet urbain, social, économique d’intérêt national visant à promouvoir le développement économique durable, solidaire et créateur d’emplois de la région capitale (…) et à réduire les déséquilibres sociaux, territoriaux et fiscaux au bénéfice de l’ensemble du territoire national.» (41) La métropole du Grand Paris, deux ans à peine sa création, pose déjà problème. Nous pouvons imaginer la complexité d’un tel système territorial et administratif, à tel point que l’actuel président de la République souhaite le simplifier le plus possible. Néanmoins, si le maillage territorial est problématique, le relier l’est encore plus.

2. Le projet du Grand Paris Express : mettre Paris au niveau des mégapoles mondiales Comme nous le voyons avec Charles de Gaulle, les équipements de mobilité sont de grands équipements structurants de la fabrication de la ville. La ville de Bordeaux a vu son centre ville et son agglomération transformée après l’arrivée du tramway, mode de transport permettant de relier son centre urbain à la périphérie. Ainsi, le tramway a fait office de déclencheur de nombreux projets architecturaux et urbains au sein de la ville. C’est cette même stratégie que la métropole du Grand Paris va mettre en application au sein de son territoire, par l’intermédiaire d’un super-métro. Il s’agit du Grand Paris Express, dont la réalisation est confiée à la Société du Grand Paris. Il a pour vocation de relier les grands territoires situés en périphérie, sept d’entre eux ont été identifiés comme pôles de développement stratégiques : Saclay (pôle de l’Innovation et la Recherche), Villejuif – Evry (pôle de la Santé), La Défense (pôle de la Finance), Saint-Denis – Pleyel (pôle de la Création), Le Bourget (pôle de l’Aéronautique), Descartes – Marne-la-Vallée (pôle de la Ville Durable) et enfin notre cas d’étude : Charles de Gaulle comme pôle des Echanges internationaux et de l’Evénementiel. (42)

41

Extraits de l’article premier du projet de loi relatif au Grand Paris, texte élaboré par la commission mixte paritaire. Projet de loi du 3 Juin 2010. 42

Un ouvrage a été réalisé à ce sujet : COLLECTIFS, Grand Paris Express, manifeste de la création, collection Alternatives, éditions Gallimard, 2017

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Source : Société du Grand Paris

FIGURE 19 : Carte du Grand Paris Express et de l’année éventuelle d’ouverture de chacune des lignes


«Nous sommes les témoins de cette transformation radicale que le Grand Paris Express porte en lui, avec ses 68 gares, ses 200 kilomètres de métro automatique en rocade qui vont façonner la métropole de demain. (…) la construction du Grand Paris Express représente un tremplin économique, un levier de croissance et d’emploi pour l’Ile-de-France et notre pays. Les travaux engagés sur la seule ligne 15 Sud fournissent à ce jour de l’activité à 163 PME, dont la plupart sont des entreprises franciliennes. (…) Fruit d’une consultation inédite en Europe, le Grand Paris Express fédère tous les territoires, dans une métropole qui connaît tant d’inégalités géographiques. (…) Ce projet d’intérêt national a été l’un des arguments forts qui a permis à Paris de décrocher les Jeux Olympiques et Paralympiques. Il est l’un des atouts majeurs de la candidature de la France à l’Exposition Universelle de 2025.» (43) Ces quelques mots résument les attentes des différentes mairies de Petite comme de Grande Couronne concernant le Grand Paris Express. Lors de nos déplacements au sein du territoire, nous avons demandé aux personnes interrogées si elles étaient en mesure de citer différents projets architecturaux ou urbains en cours d’exécution sur leur territoire. Le Grand Paris Express a été cité à chaque entretien (44) : « Je trouve cela bien que ce projet existe, ça permettra de fluidifier le trafic, déjà que c’est souvent galère sur la ligne de RER B, même sur la ligne D depuis Goussainville c’était assez limite des fois ! » Lotfi, 49 ans « Sinon comme autres projets, on a entendu parler du Grand Paris Express, il passera à côté du Parc des Expos, à Villepinte. Quand on va à Aulnay, on voit aussi le chantier, à côté de la Cité de l’Europe. Au quotidien, ça ne va pas nous changer la vie, mais ça sera plus pratique pour aller à Paris, les rares fois où on y va. » Mylène, 36 ans

3. Un projet qui creuse le fossé entre les élus locaux et les instances métropolitaines Le Grand Paris Express, malgré sa volonté de connecter une grande partie de la région Ile-deFrance, a plusieurs point négatifs dont l’un risque de recréer une situation de rupture de coexistence entre l’aéroport et le coeur de la Plaine de France. Etant donné l’envergure d’un tel réseau, le budget alloué à ce transport métropolitain est conséquent. Pas assez conséquent cependant pour atteindre les objectifs fixés par la Société du Grand Paris. Ainsi, chaque ligne de métro devrait être terminée avec minimum un à deux ans de retard. Sauf que, dans le cas de Charles de Gaulle, la ligne 17 devait être terminée à temps pour les Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été 2024, ligne 17 figurant dans le dossier de candidature de la ville et permettant d’acheminer en peu de temps les passagers au centre de la capitale. Celle-ci n’arrivera finalement qu’à l’horizon de 2026, ce qui n’est absolument pas du goût des différents maires des communes hôte de l’aéroport. (45)

43

Prise de parole de Jean-Yves Le Bouillonnec, maire de Cachan et Bernard Gauducheau, maire de Vanves, retranscrite dans

l’article de KOVARIK, Patrick, « Grand Paris Express : ne pas ralentir » Les Echos, le 07/11/2017 44

L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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DELAIRE, Hendrik et COLLIN, Anne « Aéroport de Roissy : ces maires vent debout contre le Grand Paris », Le Parisien, le

04/10/2017 à 11h42

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« Nous avons absolument besoin que le tronçon nord de la ligne déclarée d’utilité publique et qui était dans le dossier de candidature de Paris pour les Jeux olympiques 2024, se fasse. Il est hors de question de voir les trains faire demi-tour juste à l’entrée de notre commune ! » Alain Aubry, maire du Mesnil-Amelot. Pour relier l’aéroport au centre de Paris en 2024, il faudra alors se contenter du RER B ainsi que du Charles de Gaulle - Express. Cette situation nous amène à penser que le groupe ADP profitera de ce retard pour maximiser ses rentrées d’argent, puisqu’un aller simple en Charles de Gaulle - Express coûtera 24€. En imaginant un RER B saturé, difficile d’imaginer une autre solution rapide pour se rendre dans le centre de Paris. Le deuxième point discutable du Grand Paris Express est qu’il s’apprête à servir de prétexte à la métropole du Grand Paris pour englober l’intégralité de la surface et une large partie des retombées économiques de l’aéroport. Les élus locaux se retrouvent alors déposséder d’un des plus grands pôles économiques de la région, sous prétexte d’unification territoriale. Notre revue de presse a permis de relever quelques réactions de ces maires (46) : « Hors de question ! Je vis très mal cette possibilité d’autant que je suis à l’origine de l’agglomération de Roissy. Cela fait 23 ans qu’on travaille tous ensemble et aujourd’hui encore avec la communauté on a bâti quelque chose. (…) Le gouvernement avait reculé à l’époque mais là, on n’est pas à l’abri d’un arrêté ministériel ou d’une ordonnance. Les craintes sont fondées même si on fera tout pour se faire entendre. » André Toulouse, maire de Roissy-en-France. « On nous a déjà coupé les bras en nous intégrant dans la Communauté d’agglomération de Roissy Pays de France, on va nous couper les jambes si on nous rattache à la Métropole du Grand Paris. » Joël Marion, maire de Compans. « Il y a quelques années, j’avais lu la possibilité que notre commune fasse partie du périmètre du Grand Paris mais, pour moi, c’était une page tournée, surtout depuis la création de l’agglomération Roissy-Pays-de-France. (…) Si j’étais persuadée que le Grand Paris s’intéresse à notre commune et à notre territoire, pourquoi pas. Mais là, je n’y crois pas. Ils sont juste intéressés par l’aéroport et ses retombées économiques. La commune y perdrait. On serait inexistant. Ce n’est déjà pas toujours simple avec la grande agglomération actuelle mais au moins on se connaît, on a les mêmes préoccupations. » Isabelle Rusin, maire d’Epiais-lès-Louvres. Si ces deux aspects du Grand Paris Express ont crée des tensions entre la métropole et les élus locaux du territoire Nord francilien, ce ne sont pas eux qui feront le plus de mal à la coexistence entre l’aéroport et son territoire. Nous allons maintenant rentrer dans la dernière phase de notre démarche, où nous avons observé les impacts de tels projets sur l’humain qui vit quotidiennement aux côtés de l’aéroport.

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DELAIRE, Hendrik et COLLIN, Anne « Aéroport de Roissy : ces maires vent debout contre le Grand Paris », Le Parisien, le

04/10/2017 à 11h42

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C. L’humain au milieu des ambitions privées et métropolitaines

1. Le quotidien aux côtés d’une plateforme aéroportuaire Au coeur de ces grandes transformations du territoire, planifiées respectivement par la métropole du Grand Paris et le groupe Aéroports de Paris, la question de la vie humaine n’a jamais été aussi importante. Pendant plusieurs jours, nous nous sommes attachés à découvrir le territoire de la Plaine de France, à explorer ses bourgs beaucoup plus anciens que l’aéroport et discuter avec ceux qui les font vivre quotidiennement. A chaque entretien, la même interrogation : comment coexister au quotidien avec une plateforme aéroportuaire ? Un … Deux … Trois … Quatre … Comme une chanson coincée dans votre tête, le comptage des avions survolant la petite commune de Roissy-en-France n’a pas été difficile à effectuer. Avec 472950 mouvements d’avion en 2016 (47), soit une moyenne d’environ 1300 avions par jour, l’aéroport Charles de Gaulle est devenu en 44 ans le voisin bruyant de plusieurs dizaines de milliers de personnes vivant au sein de son territoire d’accueil. Pour les habitants de la Plaine de France, les nuisances sonores viennent porter préjudice à leur qualité de vie. En premier lieu, celles-ci ont été jugées nocives pour la santé, notamment par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui, en 2014, soutenait que les nuisances sonores étaient à la deuxième place des causes environnementales nocives, derrière la pollution de l’air. Dans le cas précis de l’Île-de-France, une étude a été réalisée par le Crédoc, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, pour l’association Bruitparif (48), concernant la perception des nuisances sonores. Selon cette étude, le trafic aérien arrive en deuxième position des causes de nuisances sonores en Île-de-France, derrière le trafic routier. Elle nous apprend également que 24% des Franciliens attestent résider dans une aire survolée par des véhicules aériens en mouvement et que 7% d’entre eux jugent ces véhicules comme sources principales de bruit, ressenti jusque dans leurs habitations. Les résultats de cette étude ne sont pas surprenant étant donné que trois aéroports internationaux et une vingtaine d’aérodromes se partagent quotidiennement le ciel francilien. Du point de vue sanitaire, l’étude « Impacts sanitaires du bruit des transports au sein de l’agglomération parisienne » menée par Bruitparif et l’Observatoire Régional de Santé Île-de-France permet de comprendre comme un francilien perd entre sept mois et deux ans de vie en bonne santé en raison des nuisances sonores. L’étude se base sur le facteur DALY (Disability-Adjusted Life Years) de l’OMS qui permet de connaître les années de vie en bonne santé révolues suite aux différentes pathologies engendrées par cette exposition permanente. Concrètement, cela se manifeste par des troubles du sommeil qui engendrent de la fatigue et une baisse de vigilance, mais aussi du stress qui peut générer de l’hypertension et des troubles cardiovasculaires. Ainsi, l’exposition à long terme au bruit aérien a des conséquences significatives sur la santé de ceux qui le subisse. En prenant en compte les zones survolées dans le cadre de l’étude SURVOL de Bruitparif, pas moins de 1,7 millions d’habitants en Ile-de-France seraient directement confrontés aux nuisances sonores du monde aérien.

47

AEROPORTS DE PARIS (ADP), Rapport d’activité et de développement durable 2016

48

L’association Bruitparif, Observatoire du bruit en Ile-de-France, a pour mission de développer un ensemble de compétences et de connaissances dans le domaine des ondes sonores et d’en effectuer des évaluations. Dans le but d’éclairer les politiques publiques et d’axer leurs programmes d’actions, Bruitparif a demandé au Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) de mettre en place une enquête auprès des habitants de la région Île-de-France pour matérialiser la perception qu’ils ont des nuisances sonores.

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FIGURE 20 : Répartition horaire moyenne des LAmax,1s sur la commune de Epiais-lès-Louvres Source : Bruitparif, étude SURVOL

FIGURE 21 : Répartition horaire moyenne des LAmax,1s sur la commune de Roissy-en-France Source : Bruitparif, étude SURVOL

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Si le bruit a un impact sur la santé des habitants de la Plaine de France, il a également des répercussions sur leurs activités quotidiennes, notamment en période estivale. Ces quelques extraits d’entretiens, réalisés aux extrémités Est et Ouest de l’aéroport, montrent la gêne occasionnée par le bruit des avions (49) : « On peut pas nier qu’ils existent, on les entend. Je pense notamment à l’été, où dès qu’on aère la moindre pièce, on se retrouve avec tout l’aéroport dans la maison. » Lotfi, 49 ans « Les avions, au bout d’un moment, on ne les entend même plus. Sauf l’été, où l’on aurait aimé ne pas les entendre quand nous sommes en congé et que l’on souhaite aérer la maison. C’est dur d’oublier que l’on vit à côté d’un aéroport finalement. » Employée de l’aéroport « Etant donné qu’on a une des doubles-pistes de l’aéroport à côté de la maison, c’est impossible de laisser ouvert l’été ! Et j’ai remarqué qu’on entend particulièrement l’A380. Quand il décolle, on entend un gros «boum» pendant qu’on regarde la télé, c’est que ça met du temps à monter ces engins ! » Mehdi, 35 ans Pour illustrer graphiquement ces entretiens, nous allons nous baser sur l’étude SURVOL menée par l’association Bruitparif (FIGURES 20 et 21). L’étude SURVOL Au sein de leurs différents relevés figurent deux communes du Val d’Oise particulièrement exposées : la ville de Roissy-enFrance, où nous avons réalisé la majorité des entretiens, et la ville d’Epiais-lès-Louvres, située au Nord de l’aéroport. On y voit clairement l’excès de mouvements d’avion jugés nocifs pour la santé, que ce soit de jour, comme de nuit. Ces résultats sont absolument incompatibles avec le terminal 4 de Charles de Gaulle que nous avons décrits précédemment. Quand nous voyons le nombre de mouvements d’avion journaliers à la limite du danger pour l’ouïe (80 db(A) pour une journée de travail de 8h (50)), sachant que l’étude SURVOL s’est effectuée en 2009-2010, nous pouvons nous interroger sur les possibilités de vie autour de Charles de Gaulle lorsque le nombre de mouvements d’avion annuels sera passé de 480000 à 900000. Nous pourrions parler de l’irresponsabilité du groupe ADP face à cette situation de niveau de bruit critique déjà présente sur le site, avant même l’arrivée de la première tranche du terminal 4. Nous avons de grandes chances de penser que l’aéroport Charles de Gaulle ne sera plus entouré d’habitations dans les prochaines dizaines d’années à venir, lorsque nous voyons le peu d’intérêt qu’accorde le groupe aux milliers d’habitants vivant encore dans un rayon de deux kilomètres de l’aéroport. Si les nuisances sonores sont toutefois acceptées majoritairement par les habitants, la construction du nouveau terminal 4, cependant, les divise plus. L’apport de près de 420000 mouvements d’avions supplémentaires à l’horizon de 2025 engendre deux types de réactions auprès d’eux : d’un côté l’inquiétude, vis à vis du surplus de nuisances sonores engendrées par l’arrivée d’une telle extension, de l’autre la joie, concernant le nombre d’emplois supplémentaires générés et l’attractivité qui en découlera. Plus au Sud, dans le Val de Marne, à proximité de l’aéroport d’Orly, la situation est similaire.

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L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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Selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité : http://www.inrs.fr/risques/bruit/effets-sante.html

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FIGURE 22 : Vue aérienne accompagnée du Plan d’exposition au bruit (PEB) Source : Géoportail

FIGURE 23 : Carte du Plan de Gêne Sonore 2013 pour l’aéroport CDG Source : ACNUSA

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Début 2017, l’ACNUSA, l’Autorité de Contrôle des Nuisances Aéroportuaires, a préconisé le droit à la vente sans préjudice pour les propriétaires situés à proximité d’une plateforme aéroportuaire. Une partie de la population locale reproche alors aux dirigeants de l’aéroport de favoriser le départ des personnes impactées par les nuisances sonores. Il serait plus judicieux, selon eux, de mettre de l’argent dans des mesures de protection face au trafic aérien que dans l’expropriation directe des habitants (51) : «C’est mettre un plâtre sur une jambe de bois. On est en train de demander aux habitants de quitter la ville pour laisser la nuisance s’installer» Anne Michaël-Sulic, habitante de Villeneuve-le-Roi, Val de Marne «Les mesures qui consistent à permettre de délocaliser des populations, c’est la porte ouverte à une frayeur que nous avons, c’est-à-dire le développement de la plate-forme d’Orly, ce qui est absolument impensable pour des raisons de santé publique» Didier Gonzales, Maire (LR) de Villeneuve-le-Roi

2. Collectifs et mesures anti-bruit : faciliter la coexistence Pour contrer ces nuisances sonores, plusieurs moyens ont été mis en place par l’Etat, les collectivités locales et les associations afin de limiter au maximum les dégâts du bruit sur la santé et le quotidien des franciliens. En terme de réglementation nationale, plusieurs plans ont notamment été adoptés : - Le Plan d’Exposition au Bruit (PEB) permet de limiter les constructions aux abords des plateformes aéroportuaires. Sur les 600 aérodromes implantés sur le territoire français, 170 sont concernés par ce document d’urbanisme qui anticipe le développement des activités aériennes.Le PEB est mis en place par le préfet et soumis à différents organismes, allant des mairies de communes à l’ACNUSA. Il se compose d’un rapport de présentation et d’une carte recensant 4 zones de bruit, classées en fonction de l’importance de l’exposition aux nuisances sonores. Les zones A ( ) et B ( ) sont les zones de bruit fort. Au sein de ces zones, les installations liées à l’aéroport, les logements de fonction et les constructions nécessaires au secteur primaire sont les seules autorisées. La zone C ( ) correspond à une zone de bruit modéré où des constructions individuelles non groupées sont autorisées si elles sont situées dans une région urbanisée, pourvue d’équipements publics. Dans la zone D ( ), toutes les constructions sont autorisées, du moment qu’elles sont insonorisées. - Pour les personnes présentes au sein de ces zones de bruit, le Plan de Gêne Sonore (PGS) permet d’estimer le montant de l’aide à l’insonorisation de leur habitation. Ces aides proviennent du produit de la TNSA (Taxe sur les Nuisances Aériennes) versée par les compagnies aériennes. La gêne sonore s’exprime en Lden et se calcule à partir de trois variantes : le nombre de mouvements d’avions en 24 heures, le bruit émis par ce mouvement d’avion et les différences de perception du bruit entre un vol diurne et nocturne (les vols nocturnes étant beaucoup plus gênants que les vols diurnes). Les PGS de Charles de Gaulle, Orly et le Bourget indiquent que 420200 franciliens vivent à l’intérieur des 3 zones définies par ces plans et dont le niveau sonore est supérieur à 55 dB (A).

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PAIRE, Jérémie, «Nuisances aériennes: vers une indemnisation des riverains qui souhaitent vendre?», BFMTV, le 14/03/2017 à 15h14

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- Les cartes stratégiques de bruit et les PPBE (Plans de Prévention du Bruit dans l’Environnement) des grands aéroports. - D’autres procédures et restrictions d’exploitation sont mises en place pour réduire les nuisances sonores. On peut citer en guise d’exemple le décret du 20 octobre 2010 limitant la circulation des hélicoptères dans les aires à forte densité de population. - L’Etat a demandé au groupe Aéroport de Paris (ADP) de surveiller le bruit autour de ses aéroports. Le Laboratoire d’Aéroports de Paris travaille en effet à la cartographie et à la mesure du bruit des différents aéronefs circulant chaque jour sur chaque aéroport francilien. Elle participe à l’élaboration de plans comme le PEB ou le PLS à l’aide des différentes stations de mesure dissimulées autour de ces plateformes. - Des collectifs et associations de protection sont là pour informer et mettre en garde sur différentes entorses au PEB ou PGS pouvant être effectuées. L’ADVOCNAR, l’Association de Défense du Val d’Oise Contre les Nuisances Aériennes, fondée en 1986, met notamment l’accent sur l’épuisement du Fonds d’Aide à l’Insonorisation des Riverains, alimenté par la TNSA. Celle-ci a d’ailleurs été réduite de 15% sur le secteur de Charles de Gaulle, augmentant ainsi les délais des dossiers de demande d’aide à l’insonorisation qui, selon l’association, s’accumulent par milliers depuis fin 2013.

CONCLUSION PARTIE 2 L’arrivée du terminal 4 de l’aéroport Charles de Gaulle ainsi que le développement du Grand Paris Express mettent aujourd’hui la Plaine de France sous les projecteurs. Nous y avons vu une division entre une population favorable au développement économique de ce territoire, au détriment d’une qualité de vie détériorée, et une population pour qui le progrès a fait plus de mal que de bien et qui voit le projet du terminal 4 comme un coup de grâce, détruisant tout espoir de coexistence entre l’aéroport et son lieu de vie. Si les nuisances sonores révèlent un premier frein à la coexistence et touchent toutes les communes aux alentours de Charles de Gaulle, nous allons maintenant voir que le Grand Paris Express, par son passage dans le coeur de la Plaine de France, a accéléré la polarisation des activités autour de l’aéroport, ce qui aura certainement pour conséquences une deuxième rupture entre Charles de Gaulle et son territoire hôte.

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PARTIE 3

Un ensemble de fractures au sein de l’échelle locale qui compromet toute coexistence entre l’aéroport et son territoire


FIGURE 24 : Paris Nord II, aux croisements de l’A1, l’A3 et l’A104 Source : Zoned’activité.com

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Malgré ses nuisances sonores, l’aéroport Charles de Gaulle demeure une plateforme économique imposante en Ile-de-France et attire chaque année de nouveaux travailleurs en son sein. Nous allons voir que cette situation économique, accompagnée de la dynamique de projets d’Aéroports de Paris et de la métropole du Grand Paris, attire d’autres acteurs économiques en quête d’attractivité. Cependant, ces nouveaux projets vont s’implanter dans un territoire déjà économiquement contrasté. La balance économique entre le Val d’Oise, la Seine-Saint-Denis et la Seine-et-Marne est en effet très différente d’un bout à l’autre de la Plaine de France. L’arrivée de ces projets divisent énormément les locaux et va probablement creuser le fossé des inégalités entre ces départements.

A. La Seine-Saint-Denis : vers un nouveau Business Center francilien 1. Le Sud de l’aéroport Charles de Gaulle : une situation économique favorable Au Sud de la plateforme aéroportuaire, le département de la Seine-Saint-Denis dispose d’une zone économique efficiente qui, comme le Val d’Oise, crée une coexistence économique entre l’aéroport et les différentes entreprises qui s’implantent à l’Est de l’autoroute A1. Cette zone fait partie du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF), utilisé pour maintenir la croissance urbaine et démographique stable de la région francilienne. Cet outil de planification du territoire a été approuvé le 27 Décembre 2013 et met la priorité sur le développement du Sud de l’aéroport Charles de Gaulle. Le Sud de la Plaine de France, majoritairement en Seine-Saint-Denis, dispose en effet de réserves foncières importantes et a toujours été considéré comme un territoire au fort potentiel pour les aménageurs, les entreprises et autres secteurs d’activités en quête d’attractivité et de connectivité au territoire. Bien avant l’arrivée de l’aéroport Charles de Gaulle, la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) Citröen, ou Paris Nord I, et la plateforme routière Garonor sont construites au cours des années 1960 sur ce secteur. Garonor a été conçue dans le but précis de créer des centres périphériques où disperser les marchandises à destination de l’agglomération parisienne. Quelques années auront suffies pour faire de cette plateforme un véritable carrefour logistique où transite plus de huit millions de tonnes de marchandises par an. Cette plateforme routière compte aujourd’hui plus de 300 entreprises et fait travailler plus de 4500 salariés. Cela montre tout l’intérêt que suscitait déjà cette zone, alors qu’aucun avion ne volait encore dans le ciel de la Plaine de France. Ce territoire est structuré par un pôle d’attraction important, en lien direct avec la présence de l’aéroport Charles de Gaulle. Il s’agit de Paris Nord II (FIGURE 20), un Parc International d’activités décidé au début des années 1970, pendant le chantier du terminal 1, par l’Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne (AFTRP). Relié à tout mode de transport, ce pôle est un quartier d’entreprises, aussi diverses qu’elle soient, s’étendant sur 385 hectares et où travaillent chaque jour plusieurs milliers d’employés. L’arrivée de l’aéroport Charles de Gaulle n’a pas eu d’impacts immédiats sur la croissance économique du département, comme dans le Val d’Oise. Cependant, plusieurs vagues d’entreprises ont pu être observées au sein de Paris Nord II, coïncidant avec la montée du trafic aérien et la montée en puissance de la plateforme aéroportuaire. Le phénomène d’ouverture sur le monde, rendu possible par l’implantation de l’aéroport Charles de Gaulle, attire le regard de la Chambre du Commerce et de l’Industrie de Paris (CCI). Celle-ci ouvrira en 1983 le Parc des Expositions de Villepinte, qui accueille congrès internationaux et grands salons professionnels tout au long de l’année.

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FIGURES 25 et 26 : Localisation et programmation de la Zone d’Activités AEROLIANS Source : Aérolians

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Toute cette attractivité engendrée par la forte potentialité économique du département en terme de transports est en grande partie due à la présence de l’aéroport Charles de Gaulle. Le département n’a pas tardé d’ailleurs à orienter toutes ses politiques d’aménagement et de coopération économique autour de la plateforme aéroportuaire.

2. Tremblay-en-France et Aulnay-sous-bois : villes phares de la métropolisation SéquanoDionysienne L’unique commune de Seine-Saint-Denis qui accueille l’aéroport est la commune de Tremblay-en-France. Avec plus de 35000 habitants, elle a le privilège de bénéficier des retombées économiques importantes de Roissy Pôle, des terminaux 2A et 2C et de toute la zone de fret située dans son emprise communale. Elle accueille également la ZAC Charles de Gaulle, dont le nom fait directement référence à l’aéroport et facilite l’attrait de nouvelles entreprises souhaitant bénéficier de la proximité immédiate des transports et de l’influence du pôle économique. Cette proximité est dans l’œil des aménageurs du Grand Paris qui comptent profiter des vastes emprises disponibles sur la commune pour implanter un nouveau business center francilien. Il s’agit du projet Aerolians (FIGURES 21 et 22), dont les travaux d’aménagement ont commencé en 2013 sur la grande ZAC de 200 ha, située au Sud de Charles de Gaulle. Les activités de ce nouveau bassin d’emplois (entre 15000 et 20000 nouveaux emplois estimés) se tournent essentiellement autour de trois secteurs : l’économie de la connaissance et de l’innovation, la logistique à haute valeur ajoutée et le tourisme d’affaires. En terme d’économie de la connaissance, la région Ile-de-France a toujours été très bien classée dans le domaine de la recherche, avec près de 155000 chercheurs. Cette zone d’activités, dont la surface de plancher est estimée à 850000 m2, comprend deux grandes parties : - un parc multifonctionnel d’activités internationales, d’une superficie de 150 ha, investi par une multitude d’entreprises, du service à la personne au High-Tech. - L’agrandissement du Parc des Expositions de Villepinte, évoqué plus haut, avec en prime la création d’une Cité de l’évènementiel. Le parc d’affaires comporte d’hors et déjà plusieurs édifices, notamment une partie du Silk Road Paris (Paris Asia Business Center), un centre d’activité et de commerce BtoB (Business to Business) mis en place pour les exportateurs et producteurs européens et asiatiques. Les 1000 comptoirs créés seront au final accompagnés des services et équipements tels que commerces, restaurants, hôtels … Aux côtés de Silk Road Paris figurent également le Spirit Business Center, les surfaces du groupe immobilier Barjane et d’autres terrains du groupe GPA (Grand Paris Aménagement). Par la création de ces parcs d’activités aux sonorités anglophones, la métropole du Grand Paris espère attirer encore plus d’entreprises et de marchés internationaux sur la commune de Tremblay-en-France. Elle souhaite aussi attirer les habitants de la métropole, et notamment les Parisiens, à découvrir les potentialités des communes de petite et grande couronne, notamment par l’intermédiaire d’équipements culturels et sportifs. Sur la commune de Tremblay-en-France, ce souhait s’exprime architecturalement par le Colisée, une nouvelle salle de spectacle de 10000 places, adossée à une salle complémentaire de 1500 à 1800 places. Le maire de la commune bataille actuellement avec la région pour la mise en place de ce projet, dont les subventions ne seront accordées que lorsque le Colisée sera considéré comme un équipement à part entière des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.

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Lors de notre déplacement sur la commune de Tremblay, le développement d’Aérolians était vu d’un bon oeil : « Toutes ces entreprises qui s’installent à côté de chez nous, à Aerolians, ça va faire un bien fou à l’économie du 93. Y’a des gens qui s’installeront à Tremblay, ça va redonner un peu plus de vie aussi ... Mais encore une fois, je comprends que ça dérange des gens. Nous on s’est installé y’a à peine 5 ans ici. Mais s’il y’a des gens qui vivent depuis des dizaines d’années et que, du jour au lendemain, ils voient arriver des bulldozers, pas sur que l’économie du 93 ils en aient quelque chose à faire à ce moment-là ! » Mylène, 36 ans Outre Tremblay-en-France, la ville d’Aulnay-sous-Bois a toujours vu l’aéroport Charles de Gaulle comme un tremplin économique inévitable, malgré l’absence de contact direct avec la plateforme. Entre 1985 et 2000, en pleine explosion du trafic aérien, la commune a mis en place l’IADE (Institut Aulanysien de Développement Economique) qui a permis un ancrage solide des entreprises aulnaysiennes sur le pôle aéroportuaire et des services de formations aux métiers de l’aéronautique. Cela explique la richesse des entreprises présentes sur la commune, qu’elle soient spécialisées dans les transports ou non (laboratoire Guerbet, Xérox ou encore L’Oréal). Le constructeur automobile PSA (Peugeot-Citroën) a disposé de 180 hectares de terrains au Sud de la zone d’activités Paris-Nord, pendant près de 42 ans. Le 30 Novembre 2017, la commune, représentée par Bruno Beschizza (LR), a signé la convention d’acquisition des terrains dans le but de développer «la plus grosse opération d’aménagement d’Ile-de-France, un périmètre plus grand que la Défense ! » (52). Sur ces 180 hectares vont émerger les ateliers de maintenance des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express, des entrepôts logistiques, 2500 logements, commerces, services de proximité et un campus des métiers. La création de ce nouveau quartier aulnaysien se fera en collaboration avec l’Etat, représenté par Grand Paris Aménagement.

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ALLIX, Grégoire, «Aulnay-sous-Bois lance la reconquête de la friche PSA», Le Monde, le 29/11/2017 à 11h01

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B. Le Val d’Oise : lieu de naissance d’une rupture de coexistence aéroportterritoire ? Au niveau de l’autoroute A1, au Sud de l’aéroport, le Val d’Oise et la Seine-Saint-Denis s’échangent un long regard. Ce regard a commencé en 1968, lorsque les anciens départements franciliens de la Seine-et-Oise et de la Seine furent requalifiés et transformés en ceux que nous connaissons aujourd’hui. Le Val d’Oise, contrairement à la Seine-Saint-Denis, se prépare à accueillir un méga-projet d’envergure nationale et internationale.

1. Une coexistence économique forte : la symbiose Val d’Oise - Charles de Gaulle Au niveau de la Plaine de France, le Val d’Oise est représenté majoritairement par la ville de Roissy-en-France et quelques communes situées à ses abords. L’installation de la plateforme aéroportuaire n’a pas eu immédiatement d’impact économique sur l’Est du Val d’Oise, empêchant ainsi la formation d’une Zone d’Activités Liées à l’Aéroport, ou ZALA. Cependant, voyant le développement du trafic aérien et la montée en puissance du troisième aéroport francilien, baptisé au début « Paris Nord », le département a modifié son plan de croissance économique et mise sur la plateforme aéroportuaire. En effet, à la fin des années 1980, le secteur de Roissy-en-France explose et atteint les 33000 emplois, le transport devenant ainsi le premier centre d’activités du département. Le développement de Roissy-en-France a naturellement suivi, avec une amélioration des espaces de vie du centre-ville et une forte urbanisation. Cette urbanisation fut telle qu’en 1990, la moitié des habitants du Val d’Oise résidaient dans les quinze communes les plus proches de l’aéroport Charles de Gaulle. Lors des entretiens, plusieurs interrogés ont déclaré avoir vu se mettre en place la valorisation de Roissy-en-France (53) : « Après sincèrement j’ai rien à redire à cette ville. On est à côté de tout, les rues et les places sont propres, y’a plein d’aménagements, des jeux pour enfants, des bancs, des poubelles ... Mais vous devriez voir l’été, ça grouille de monde, et surtout ça parle toutes les langues, il y’a beaucoup d’étrangers ! » Lotfi, 49 ans « On se dit que la vie à côté d’un aéroport est horrible, mais je trouve que la ville est vraiment bien. Il y’a plein d’aménagements, on a trouvé ce parc pour enfants avec mon fils, et surtout qu’est ce que c’est propre ! Toutes les rues et les places sont très propres, avec beaucoup de bancs, de poubelles ... Non vraiment c’est une très jolie ville ! » Monica, touriste italienne Outre le domaine de l’habitat, la partie valdoisienne de la Plaine de France connait une tertiairisation importante, les exploitations agricoles étant de plus en plus convoitées par les aménageurs du territoire. Par la présence de la plateforme aéroportuaire, plusieurs sièges sociaux, bureaux, hôtels et sociétés de fret et d’entreposage se sont installés aux entrées de Roissy-en-France.

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L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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Sa visite en pleine semaine fut d’ailleurs une expérience qui a confirmé la présence dans la commune de nombreux actifs travaillant au sein de l’aéroport. La boulangerie de la rue Dorval et la brasserie de l’Avenue Charles de Gaulle affichent complet le midi, les espaces verts de la ville sont remplis de joggeurs et plusieurs entretiens attestent la présence de ces personnes qui font vivre chaque jour le plus grand aéroport de France : « Les gens travaillent plus ou moins tous à l’aéroport ici ! On fait nos journées, on fait nos nuits, l’aéroport ne s’arrête jamais ! C’est sur que la qualité de vie ici, c’est pas la même que «sous les tropiques», mais au moins on est à côté de notre travail, on se connait plus ou moins tous et on perd pas notre temps chaque matin dans les embouteillages. » Employée de l’aéroport « Avec le développement du commerce international, ça a ramené plein de monde ici, tout le monde connait quelqu’un qui travaille à l’aéroport ou dans les sociétés autour. Mon voisin, par exemple, il travaille à Fedex, je le croise tous les matins en partant de chez moi ! » Lotfi, 49 ans Un grand nombre d’entreprises cherchent également des entreprises sous-traitantes dans tous les champs d’activités reliés à l’activité aéroportuaire. Ce réseau d’entreprises soustraitantes est très présent dans le Val d’Oise, renforçant ainsi une certaine forme de coexistence économique entre l’aéroport et le département. Cette coexistence économique est importante puisqu’un ensemble de relations peut ainsi émerger entre les grandes entreprises telles que Fedex, Air France, ADP et le tissu de PME-PMI valdoisiennes, créant ainsi une pérennité économique non négligeable à la construction de cette partie du territoire. L’implantation de ce tissu d’entreprises, bureaux, parcs d’activité n’est pas le fruit du hasard puisque cette partie de la Plaine de France est la partie la mieux connectée au réseau de transports, qu’il soit routier (autoroutes A1, A16 et A104), ferroviaire (gares TGV, ligne D du RER) ou aérien (l’aéroport Charles de Gaulle). En plus d’une bonne connexion au reste du territoire, les entreprises du Val d’Oise reçoivent le soutien du Comité d’Expansion Economique du Val d’Oise (CEEVO), crée en 1972, dont le but est de mettre en relation l’ensemble des acteurs du département pour permettre la croissance économique de celui-ci. Il permet de mettre également le département sur la scène nationale et internationale, rendu possible par la présence de l’aéroport Charles de Gaulle et d’une campagne de médiatisation importante, notamment grâce à l’espace « Informations Entreprises Val d’Oise », situé au sein de la gare d’interconnexion TGV de la plateforme. Pour accueillir ces actifs, plusieurs opérations immobilières se mettent actuellement en place sur l’Est du département. Les communes de Louvrès et de Puiseux-en-France se préparent à accueillir un éco-quartier, désigné comme l’un des sites prioritaires pour la construction de nouveaux logements dans le Grand Paris. Ce projet a obtenu en 2014 le label officiel «Eco-quartier» de niveau 1 et comporte 3340 logements éco-responsables, de la maison individuelle aux logements collectifs. La forme et l’esthétique de chaque habitation diffère, de manière à donner une mixité architecturale en même temps qu’une mixité sociale et intergénérationnelle. Une série de commerces et d’équipements publics est implantée le long de l’éco-quartier, en plus de 19 hectares d’espaces verts.

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L’ensemble est divisé en trois zones distinctes : - le Quartier Gare, le plus dense, s’organise autour d’une place commerciale reliée au pôle multimodal de la ville, comprenant le RER D, le réseau de bus et les vélos. - le Quartier des Frais-Lieux le plus étendu, accueillera à terme environ 2 000 logements, le tout dans une ambiance végétale très marquée. - le Quartier du Bois du Coudray, ville-jardin.

FIGURE 27 : Quartier Gare, éco-quartier de louvrès et Puiseux-en-France Source : architecture-urbanisme.fr

Si ce projet s’inscrit dans un phénomène de métropolisation important au niveau de l’Est du Val d’Oise, un autre projet a subi une médiatisation beaucoup plus importante et est en train de devenir progressivement le nouvel Notre-Dame-des-Landes.

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2. La ZAC du Triangle de Gonesse : vers un nouvel Notre-Dame-des-Landes ? Au centre de la Plaine de France se situe la commune de Gonesse, voisine de Roissyen-France. Sur cette commune sont implantés plus de 280 hectares de terres agricoles, bordant l’autoroute A1, et séparant les quelques 26000 habitants de l’axe autoroutier. Ces terres agricoles sont classées parmi les plus fertiles d’Europe, notamment en raison des sols limoneux, permettant l’accueil de grandes cultures de céréales et de betteraves sucrières. Autrefois très répandues dans le Nord de Paris, elles sont aujourd’hui victimes du processus de métropolisation de la capitale. Mais ces terres ne sont pas les seules menacées d’artificialisation. La Fédération Nationale des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (FNSafer) s’alarme en effet de la reprise de l’artificialisation des terres agricoles françaises, qui avait diminué de moitié entre 2007 et 2014. On estime ainsi à 28000 le nombre d’hectares de foncier agricole livré à l’urbanisation pour l’année 2016 (54).

FIGURE 28 : Carte localisant le Triangle de Gonesse Source : Le Parisien

Si l’on prend l’avion de l’aéroport Charles de Gaulle, en direction de l’Ouest, nous pourrons voir que l’ensemble des terres agricoles de la commune de Gonesse forme un gigantesque triangle d’environ 750 hectares. Si 400 hectares de ce triangle ont été sanctuarisés, 280 souhaitent être aménagés. Cette urbanisation prendrait la forme de deux projets : un quartier d’affaires international (comprenant, entre autres, un ensemble de bureaux et d’activités technologiques, hôtels centres de formation et équipements sportifs et culturels) et le projet Europacity, prenant à lui seul 80 hectares.

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Etude du FNSafer disponible sur leur site : http://www.safer.fr/protection-environnement-paysages.asp

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La volonté d’aménagement du triangle de Gonesse remonte à plus de 30 ans et les collectivités territoriales, par le vote du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF) en 2013, ont déclaré leur souhait d’ urbaniser ce vaste espace. Cela permet de comprendre le quasi-mutisme actuel des représentants régionaux et nationaux écologistes face à l’artificialisation de ces terres agricoles. L’ironie du sort veut que Europacity prenne place à quelques centaines de mètres du lieu où s’est déroulé la conférence de Paris sur le changement climatique COP21. Depuis son lancement, ce projet est au coeur d’un ensemble de débats entre locaux, acteurs politiques et aménageurs du territoire. L’annulation de la création de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en Janvier 2018 a d’ailleurs soulevé le débat à l’échelle nationale et pose la question de l’implantation de telles mégastructures, dans un contexte de métropolisation et de mondialisation.

FIGURE 29 : Carte des communes ayant perdu des terres agricoles entre 2000 et 2010 Source : Le Parisien

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FIGURE 30 : Vue aérienne du Triangle de Gonesse, sous les traits du nouveau plan masse de BIG Source : Chroniques d’Architectures

FIGURE 31 : Vue du Parc Aquatique du projet Europacity Source : Le Parisien

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Il faut dire que le projet Europacity affiche clairement son ambition de rayonnement métropolitain, national et international. Premier projet privé de France, avec pas moins de 3,3 milliards d’euros injectés dans le projet, il est orchestré par le groupe Immochan, dirigé par la famille Mulliez. Europacity assume son allure de méga-projet, avec, entre autres, ses 2 700 chambres d’hôtel, ses 230 000 m2 de commerces, son «parc d’aventures» et sa piste de ski artificielle. Le plan masse est signé BIG (Bjarke Ingels Group) et le 9 Février 2018, la maîtrise d’ouvrage a révélé les 9 cabinets d’architectures lauréats pour les 9 sites emblématiques du projet.

PROGRAMME

AGENCE D’ARCHITECTURE

Halle d’exposition

Bjarke Ingels Group (BIG)

Salle de concert

Hérault Arnod

Hôtel du Parc Aquatique

Chabanne Architectes

Hôtel 3 étoiles

Atelier(s) Alfonso Femia

Hôtel 5 étoiles

Atelier COS

Hôtel et Centre des Congrès

Atelier d’architecture Vincent Parreira (AAVP)

Hotel « Design et Convivial » et Centre culturel pour enfants

Franklin Azzi Architecture

Cirque contemporain

Clément Blanchet

Centre culturel dédié au Septième Art

UNStudio

Ces lauréats sont issus d’un concours d’architecture d’initiative privée mis en place par le groupe Immochan et le groupe chinois Wanda, entre Juillet et Décembre 2017. La maîtrise d’ouvrage, ainsi que les collectivités territoriales justifient l’existence de ce projet par la création des emplois que peut générer une telle mégastructure. En effet, les deux projets qui prendront place au coeur du Triangle de Gonesse devraient créer à eux plus de 50000 emplois, dans un territoire où l’on comptabilise le plus de chômeurs de longue durée en Ile-de-France. Le quartier d’affaires générerait le plus de ces emplois (40000 estimés) et 11500 emplois directs seraient crées par Europacity. Lors du séjour aux abords de l’aéroport, nous avons récolté les réactions à ce sujet, pouvant être regroupées en deux catégories. La première catégorie concentre les personnes favorables au projet et qui véhiculent les mêmes arguments que l’alliance Immochan-Wanda, élus et collectivités territoriales. Selon elles, Europacity permettrait de ramener de l’emploi dans la région, créerait une source d’attractivité et des fonds économiques importants au développement du territoire. « Je ne vois pas de mal au projet Europacity, ça va ramener un peu plus de monde dans le coin, ça va faire de l’emploi ! En plus, pour les gamins d’ici qui n’ont pas la chance d’aller à la neige, je trouve que l’idée d’une piste de ski artificielle c’est pas mal ! » Client de la Brasserie Le Village, à Roissy-en-France « Le seul projet dont j’ai un peu entendu parler c’est Europacity, j’ai des amis de Gonesse qui m’en ont parlé. (…) on m’a dit que ça allait ramener des emplois dans le coin, je trouve que c’est une bonne chose, après j’en sais pas plus ! » Michel, 66 ans

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FIGURE 32 : Découpage prévu du Triangle de Gonesse Source : Le Parisien

FIGURE 33 : Le développement d’un nouveau quartier d’affaires Source : Le Parisien


La deuxième catégorie regroupe les personnes contre le projet. Celles-ci soutiennent d’ailleurs le collectif « Non à Europacity », collectif pour le Triangle de Gonesse formé en mars 2011, à la suite de l’annonce du projet Europacity. Ce collectif enveloppe une quinzaine d’associations, dont quatre départementales, et milite activement pour l’abandon de ce projet. Leurs actions passent par les manifestations, comme celle du 21 Mai 2017, mais aussi des sessions « Plantation » où des centaines de personnes viennent planter les terres agricoles du Triangle de Gonesse, en signe de protestation contre l’artificialisation de ces parcelles. Le parallèle avec Notre-Dame-des-Landes est tel que lors de la manifestation du 21 Mai 2017, plusieurs cars de Nantais sont venus participer à l’opération « Plantons et Marchons », apportant leur soutien aux militants anti-Europacity. Le président du CPTG (Comité Pour le Triangle de Gonesse) avait d’ailleurs résumé le ras-le-bol ambiant : «Nous avons trois décharges, deux aéroports et deux autoroutes sur notre petit territoire, ça suffit, il faut s’opposer à ce projet nuisible et très coûteux ». (55) Deux différences majeures sont cependant à relever entre le projet Europacity et l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. La première est que, pour le moment, aucune ZAD (Zone à Défendre) n’a été établie sur le Triangle de Gonesse. La deuxième est que si la bataille juridique est terminée du côté de Notre-Dame-des-Landes, elle est actuellement intense du côté d’Europacity, et ce, à toutes les échelles. Dans l’ordre, la Commission des pétitions du Parlement Européen a été saisie pour violation de plusieurs directives européennes concernant l’absence d’évaluation globale du caractère cumulatif des différents projets du Triangle de Gonesse. Cette commission a été saisie par le député européen écologiste Pascal Durand, dans le courant du mois de mai 2016. Au niveau national, plusieurs procédures ont été déposées, la plus importante étant le recours contre l’arrêté préfectoral de création de la ZAC du Triangle de Gonesse, en Novembre 2016. Le Mardi 6 Mars 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a officiellement annulé cet arrêté préfectoral et met fin à la création de la ZAC du Triangle de Gonesse. Celui-ci a décidé que « l’étude d’impact mise à disposition du public dans le cadre de l’enquête publique, ayant eu lieu du 25 Avril au 25 Mai 2016, était insuffisante sur plusieurs points, ainsi que l’avait d’ailleurs relevé l’autorité environnementale dans son avis du 2 Mars 2016. Le dossier mis à disposition du public ne précisait pas suffisamment de quelle manière les besoins énergétiques du projet allaient être couverts. Le tribunal a également relevé que l’étude était insuffisante s’agissant de l’incidence du projet sur la qualité de l’air, compte tenu notamment des émissions de CO2 induites par les déplacements de touristes, eu égard à la création d’Europacity. Enfin le tribunal a estimé que l’étude d’impact n’avait pas suffisamment procédé à l’évaluation des incidences environnementales du projet cumulées à celles des travaux de création de la ligne 17, alors que les deux projets sont liés. » (56) En effet, comme nous l’avons vu précédemment, le Grand Paris Express, avec la ligne 17, devrait desservir l’aéroport Charles de Gaulle. Pour le Val d’Oise, le seul arrêt du Grand Paris Express se situant sur son emprise est l’arrêt présent à Europacity. Pour les responsables politiques du département, le projet doit obligatoirement se faire pour dynamiser l’économie et l’attractivité du Val d’Oise. A tel point que le 9 Mai 2018, l’Etat et l’agence GPA (Grand Paris Aménagement) ont fait appel de la décision du tribunal de Cergy-Pontoise concernant l’annulation de la ZAC du Triangle de Gonesse. Cette décision n’a pas démotivé les opposants au projet, qui proposent une alternative à Europacity, baptisée CARMA (Coopération pour une Ambition Rurale et Métropolitaine Agricole).

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BARROUX, Rémi «Mobilisation contre le megaprojet Europacity dans le Val d’Oise», Le Monde, le 21/05/2017 à 23h58

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Communiqué du 6 mars 2018, disponible en intégralité sur le site du tribunal de Cergy-Pontoise.

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Ce projet améliore la qualité des parcelles agricoles existantes et met en place de nouvelles productions maraîchères. Sur la base de l’économie circulaire, il associe à chaque exploitation des unités de transformation et de conditionnement des produits, des logiques de circuits courts de distribution et se distingue également par le recyclage des biodéchets. Avec un impact sur la Plaine de France et plus largement sur la région, le projet CARMA fait participer les habitants des territoires voisins du Triangle de Gonesse et leur permet de bénéficier d’une alimentation saine à des prix très abordables. D’un point de vue critique, le projet Europacity est extrêmement complexe. Son apport d’emplois et d’attractivité pour l’Est du Val d’Oise est indéniable, mais au prix de combien d’emplois de commerçants ruraux perdus à cause de la programmation commerciale excessive qu’il propose ? Nous allons voir que la Seine-et-Marne est la première victime de cette offre commerciale outrancière. Le deuxième aspect délicat d’un tel projet est apporté par l’annulation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Si un projet comme Europacity est également annulé, quelles sont les chances pour qu’un autre projet de cette envergure voit le jour en France dans les prochaines années ? La légitimité du pouvoir décisionnel pourrait être remise en cause, même s’il ne faut pas accepter tous les projets, à n’importe quel prix. Car les motivations des différents groupes anti-Europacity (les «Europasdutout») sont sensées, notamment du point de vue écologique. Nous pouvons nous interroger sur le réel intérêt d’une piste de ski artificielle à 20 minutes au Nord de Paris, un divertissement onéreux qui prend le pied sur plusieurs centaines d’hectares de terres agricoles qui sont aujourd’hui de plus en plus nécessaires pour nourrir la population et faire survivre le secteur primaire en France.

C. La Seine-et-Marne : première victime de la fracture économique du territoire En Seine-et-Marne, la dynamique de développement n’est pas la même que dans les deux départements précédents. Au contraire, la polarisation des activités autour de l’autoroute A1 et le renforcement de l’offre commerciale contribuent à la désertification des centres ruraux et à la fermeture des commerces de proximité.

1. Des conditions défavorables à la coexistence aéroport-territoire Il s’agit de comprendre comment, aujourd’hui, les communes de Seine-et-Marne accueillant Charles de Gaulle sont en clair désavantage économique face aux communes du Val d’Oise ou de Seine-Saint-Denis. La première raison est que le département n’a jamais misé sur la potentialité de la plateforme aéroportuaire. Au cours d’un colloque organisé en 1991 à propos des aérovilles, la Seine-et-Marne était la grande absente des discours alors qu’elle accueille, comme ses voisins, des installations aéroportuaires. Les effets de la présence de l’aéroport sur le développement économique du département n’ont pas été évoqué, contrairement au Val d’Oise, qui avait pourtant une situation économique similaire. Ce manque de visibilité a été particulièrement pénalisant pour la jeunesse et les chômeurs de la Seine-et-Marne, sachant qu’une bonne partie des installations de l’aéroport se situe tout de même sur l’emprise départementale. En conséquence, une grande partie du pourtour de l’aéroport situé dans le département est classée non constructible, rendant impossible la croissance de certains villages.

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Pour tout de même inverser la balance économique, les collectivités territoriales mettent en place des zones d’activités pour au mieux bénéficier des avantages de l’aéroport. C’est le cas notamment au Mesnil-Amelot, où cohabitent des secteurs tels que la logistique, l’hôtellerie ou encore l’agro-alimentaire. Nous avons eu l’occasion de parcourir cette ville lors de notre déplacement sur la Plaine de France. La différence avec la commune de Roissy-en-France s’est immédiatement ressentie, notamment au niveau de la dynamique observée dans les espaces publics. Pour autant, ces deux communes ont toutes deux des espaces collectifs flambant neufs, construits grâce aux subventions données par l’aéroport. Ce manque de fréquentation a aussi été observé dans une autre commune de la Seine-et-Marne, située elle au Sud-Est de l’aéroport. Il s’agit de la ville de MitryMory, accueillant le deuxième doublet de pistes de la plateforme aéroportuaire. La ville est scindée en deux parties bien distinctes : le coeur de village historique, construit autour de l’église SaintMartin, et la zone industrielle de Mitry-Compans, accueillant 2500 emplois sur une superficie de 250 hectares. A titre de comparaison, nous avons vu précédemment que la zone d’activités d’Aérolians, sur la commune voisine de Tremblay-en-France, devrait accueillir entre 15000 et 20000 emplois, sur une superficie de 200 hectares. Cette faible densité d’activités s’explique par l’éloignement du pôle dynamique de Roissy et de Tremblay, malgré un réseau routier très développé pour la commune. En plus des nuisances sonores de l’aéroport Charles de Gaulle, la commune reçoit celles du Bourget, où décollent et atterrissent chaque jour plusieurs centaines d’avions à basse altitude. Etant donné que l’aéroport ne fait pas partie des 10 plus importants aéroports du pays, il n’est pas soumis aux mêmes contrôles de protection du bruit que Charles de Gaulle ou même Orly. Ce dispositif s’est vu renforcé en 2013, par la mise à jour du PEB (Plan d’Exposition au Bruit), mais dérange tout de même les habitants Seine-et-Marnais. Dans la revue de presse (57) ou pendant les entretiens (58), nous avions relevé certaines réactions à ce sujet, notamment au Mesnil-Amelot : « Nous sommes pourtant plus gênés par Le Bourget que par Roissy, (…) Surtout près du canal de l’Ourcq. Ce sont de petits avions bruyants, qui décollent lentement et nous survolent entre 1 000 et 3 000 mètres d’altitude. Les plaintes des riverains reviennent souvent dans les réunions de quartier.» José Hennequin, maire (PS) de Villeparisis (77) « (…) pendant ma jeunesse, on les entendait peu, on en voyait quelques-uns dans la journée, mais ce n’était pas dramatique. Mais plus ça allait, plus on a compris qu’on allait en avoir continuellement. C’est devenu une usine Charles de Gaulle. (…) Comme tous les gens partent en vacances, on a le droit à un ballet aérien incessant, et imaginez même pas profiter de votre terrasse dans ces conditions ! Après on finit par s’y habituer, c’est comme tout. Là dans le restaurant, on les entend à peine, mais c’est sur que ça reste contraignant pour certaines choses. » Catherine Semprez, gérante de Chez Cri-Cri au Mesnil-Amelot (77), 49 ans « Par contre, je ne vous cache pas que ça m’inquiète un peu par rapport aux avions. Ca sous-entend forcément que le nombre d’avions va augmenter, donc niveau bruit ça ne va pas aller en s’arrangeant ! Même si, au final, on s’habitue à voir et entendre ces engins, ça reste assez désagréable et j’espère que ça sera encore vivable ici après la construction … » Mehdi, 35 ans

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METIVIER, Alexandre «Les nuisances du Bourget dans le collimateur», Le Parisien, le 05/05/2009 à 07h00

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L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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Si les nuisances sonores contribuent à fragiliser la coexistence entre l’aéroport et les communes de Seine-et-Marne qui le bordent, nous allons voir que l’offre commerciale de la Plaine de France fait en réalité beaucoup plus de dégâts que les ondes sonores.

2. Une offre commerciale excessive qui met à mal le commerce local Le Nord de la Région Ile-de-France dispose de plusieurs centres commerciaux de grande superficie. En tête de proue, nous retrouvons le complexe O’Parinor, ouvert en 1974 et accueillant 210 magasins sur 90 000 m2 de surface de vente. En deuxième position, au Sud Ouest de Charles de Gaulle, une étendue commerciale de 84000 m2 baptisée « Aéroville » s’est développée entre le terminal 1 et Villepinte. C’est l’exemple type de centre commercial de périphérie qui attire plusieurs millions de visiteurs annuels. Le président de l’aéroville espérait 12 millions de visiteurs par an, visant le bassin d’habitation local, regroupant 1,8 millions de personnes dans un rayon de 30 minutes (59). Les magasins de ce centre sont ouverts jusqu’à 20h, permettant d’attirer les passagers en transit de nuit de l’aéroport. Malgré ces volontés, nous avons entendu à plusieurs reprises que cet immense centre commercial n’avait pas le succès attendu (60) : « Déjà, je ne sais pas si vous avez vu en arrivant, mais il y’a un énorme centre commercial à l’entrée de l’aéroport, ça a quelques années maintenant, ça s’appelle «Aéroville». Et bien déjà que ça ne marche pas très bien, je ne vois pas pourquoi ils s’entêtent à créer des commerces, alors que ceux de nos villages souffrent énormement. Après, c’est le problème de la centralisation, on regroupe toutes les activités en plusieurs zones, mais après faut pas s’étonner s’il n’y a plus de vie dans les petites communes. Ils avaient fait ça avec le Stade de France, tout s’est rabattu autour de la Plaine - Saint-Denis. On parlait du Grand Paris Express tout à l’heure, mais c’est la même chose qui se produit avec le Grand Paris hein. On donne toujours plus de pouvoir aux régions, personnellement je ne suis pas pour parce que tout le local passe à la trappe. » Lotfi, 49 ans

« Déjà, au niveau de Roissy, ils ont implanté y’a quelques années l’Aéroville, à l’entrée de l’aéroport. C’est un immense truc, il y’a je ne sais combien de commerces là-dedans ! Mais ça ne marche pas tant que ça, et ça nous porte tort ! » Catherine Semprez, gérante de Chez Cri-Cri au Mesnil-Amelot (77), 49 ans Au sein d’un territoire déjà saturé en commerces (FIGURE 30), les petits commerces des centres-villes ruraux souffrent, que ce soit dans notre cas d’étude comme partout en France. Le 28 Février 2017, le quotidien The New-York Times en faisait d’ailleurs sa une (61). Le journaliste Adam Nossiter avait rapporté ses écrits d’une visite d’Albi, dans le Tarn, où la désertification commerciale se ressent fortement dans les rues du centre ville. La France est en effet le pays européen avec le plus de centres commerciaux, et ce malgré un taux de vacance de 10,4 % en 2015, contre 6,1% en 2001. Ces grands centres commerciaux, ainsi que le commerce en ligne, mettent à mal les petits commerces qui finissent par mettre la clef sous la porte, et ce malgré leur présence historique. 59

BERTRAND, Philippe et CHAUVOT, Myriam «Aéroville : le plus grand centre commercial inauguré en Ile-de-France depuis vingt ans», Les Echos, le 15/10/2013 à 18h55 60

L’intégralité des entretiens est à retrouver en ANNEXE.

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NOSSITER, Adam «As France’s Towns Wither, Fears of a Decline in ‘Frenchness’», The New-York Times , le 28/02/2017

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FIGURE 34 : L’offre commerciale abondante du Nord de l’Ile-de-France Source : Le Parisien

Pour contrer cette situation, des initiatives locales sont mises en place dans certaines villes moyennes françaises. Nous pouvons citer la ville de Noyon (60) qui, depuis Juin 2013, a mis en place le projet « Ma boutique à l’essai ». Avec ce projet, n’importe qui dispose de 6 mois pour lancer son commerce dans le centre ville, et peut ainsi tester les retombées de son activité. Cette initiative est un succès et est en cours de développement en France. En Seine-et-Marne, pour autant, la situation économique inquiète fortement les commerçants. Nous avons rencontré Catherine Semprez, la gérante du bar-restaurant Chez Cri-Cri, au Mesnil-Amelot. Elle nous a confié son inquiétude vis-àvis de l’implantation de nouvelles structures commerciales en Plaine-de-France. En effet, les projets tels que Europacity ou Aérolians amènent avec eux des superficies commerciales conséquentes et contribuent encore plus à la polarisation des activités autour de l’autoroute A1.

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A tel point que Catherine voit l’avenir d’un mauvais oeil : « Très sincèrement, je pense à partir. Je sais pertinament que tout est joué d’avance, que le gouvernement a déjà prévu ses grands projets, grands projets qui mettront des années à venir et malheureusement le temps a déjà fait des dégâts sur Cri-Cri. La concurrence est devenue beaucoup trop forte, mes petits habitués ne me suffiront plus bientôt à faire marcher le restaurant. C’est triste au final de me dire que c’est cette concurrence qui me fait partir d’ici plutôt que le bruit des avions ! Mais là vraiment c’est allé trop loin. » Catherine Semprez, gérante de Chez Cri-Cri au Mesnil-Amelot (77), 49 ans Les mots de Catherine sont assez durs et prouvent que l’aéroport Charles de Gaulle s’apprête de nouveau à entrer en rupture avec son territoire, 40 ans après la désertion de Goussainville. Ce n’est plus à cause des nuisances sonores, mais d’une balance économique totalement déséquilibrée. Nous avons tendance à penser que la situation pourrait s’arranger avec l’arrivée du Grand Paris Express sur la commune du Mesnil-Amelot. Mais les différentes communes limitrophes de l’aéroport en Seine-et-Marne pourront-elles attendre plus de temps l’arrivée de ce super-métro, déjà repoussé d’une à deux années ? «De notre côté par contre, je doute très sincèrement qu’une gare s’implantera au Mesnil. Déjà qu’ils galèrent à faire venir le supermétro jusqu’à l’aéroport, alors nous on va l’attendre longtemps ! Le plus triste dans l’histoire, c’est qu’ils voulaient que ça soit prêt pour les JO ! Mais vu comment c’est parti, on est pas prêt de les voir les athlètes !» Catherine Semprez, gérante de Chez Cri-Cri au Mesnil-Amelot (77), 49 ans La programmation commerciale des méga-projets comme Aérolians ou Europacity est irresponsable, vu l’offre déjà présente sur le territoire. Cette situation n’est malheureusement pas la seule au niveau de la partie Seine-et-Marnais de la Plaine de France. La ZAC intercommunale des Deux Moulins en construction sur la commune de Saint-Mard, proche voisine du Mesnil-Amelot, menace également les commerces ruraux environnants. L’ouverture de la boulangerie de la ZAC a fait perdre 20% de chiffre d’affaires à certaines boulangeries de Dammartin. C’est toute un territoire qui est donc affecté par la concentration des activités en plusieurs points économiques stratégiques. L’homogénéisation des activités sur l’ensemble du territoire serait la solution à ces futurs villages désertés.

CONCLUSION PARTIE 3 La présence de l’aéroport Charles de Gaulle scinde le centre de la Plaine de France en trois parties. La première est un espace économique en plein développement et qui fait office d’accueil à un méga-projet controversé. Le deuxième est un espace économique déjà développé qui se prépare à accueillir le futur business center francilien. Enfin, le troisième est un espace économique avec un retard conséquent sur ses deux rivaux et dont l’abondance de l’offre commerciale condamne certains commerces de centre ville à plier bagages. Ces trois espaces économiques correspondent aux limites départementales sur lesquelles se développe l’aéroport Charles de Gaulle. Si le Grand Paris Express est censé sortir l’Est du territoire d’accueil de l’isolement, il faudra attendre 2030 pour voir passer les trains sur la commune du Mesnil-Amelot. D’ici là, les communes de Seine-et-Marne de la Plaine de France espèrent un renversement de la balance économique.

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CONCLUSION


L’étude du phénomène de métropolisation en cours sur le territoire d’accueil de l’aéroport Charles de Gaulle nous montre bien la complexité de la mise en place d’un tel processus de fabrication de la ville. Comment urbaniser un territoire rural déjà fortement impacté par la présence de la plateforme aéroportuaire ? Construit sur d’immenses parcelles agricoles, son développement a entrainé avec lui la transformation physique du centre de la Plaine de France, mais aussi le renouvellement de sa population. Aujourd’hui considéré comme l’un des principaux bassins d’emplois de la région, l’aéroport Charles de Gaulle affiche ses ambitions à l’échelle européenne et mondiale par la construction d’un nouveau terminal. La capacité d’attraction d’un tel équipement de mobilité fonctionne, puisque les aménageurs du Grand Paris et les collectivités territoriales en profitent pour installer ce qu’ils considèrent comme les futurs grands projets de la métropole francilienne. Au milieu de ces projets privés et métropolitains, nous nous sommes attachés à voir si l’humain pourra toujours coexister avec un équipement comme Charles de Gaulle à ses côtés. Par l’intermédiaire des revues de presse mais surtout du déplacement effectué sur site, nous avons d’abord tenté de comprendre comment il vivait aux côtés d’un aéroport. Ce n’est pas forcément des situations que chacun de nous connait et ce fut une réelle expérience que de passer 3 jours à seulement quelques centaines de mètres du premier aéroport français. Nous avons rencontré de nombreux profils, de tout âge et de tout horizons, au sein des différentes communes entourant l’aéroport. Ce déplacement a réellement permis de mesurer les différents impacts qu’avaient la plateforme sur l’urbanisation et le quotidien des dizaines de milliers de personnes qui contribuent chaque jour à faire vivre ce territoire. En arrivant sur le site, le premier impact est immédiat. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre le ballet aérien, auteur de nuisances sonores qui dégradent la qualité de vie des personnes vivant au sein de la zone de gêne sonore. Avec l’arrivée du terminal 4, nous pensions que les nuisances sonores auraient eu raison de la coexistence entre Charles de Gaulle et son territoire d’accueil. Finalement, par l’intermédiaire des entretiens, nous nous sommes rendus compte que le bruit ne serait qu’un élément perturbateur, que beaucoup se sont acclimatés à entendre les aéronefs et ont adapté, de ce fait, leur quotidien au trafic aérien. L’attractivité de l’aéroport est telle que les gens choisissent de s’implanter de plus en plus près de leur lieu de travail, à des fins économiques, au détriment d’une qualité de vie saine. Cependant, nous avons réalisé que cette implantation ne se faisait pas de manière uniforme au sein du territoire. Ce n’est pas les nuisances sonores qui auront raison de la coexistence entre l’aéroport et son territoire, c’est la polarisation des activités au sein même de celui-ci. Le phénomène de métropolisation génère des zones de surintégration et des zones de surexclusion. Le centre de la Plaine de France, au final, n’échappe pas à cette règle puisque les fortes disparités économiques, la montée des nuisances sonores ainsi que la polarisation des activités au Sud-Ouest de l’aéroport ont contribué à la désertification de l’Est du territoire hôte de Charles de Gaulle. Celle-ci s’explique notamment par la fermeture des différents commerces de centre-ville, provoquée par l’augmentation de l’offre commerciale déjà démesurée sur le territoire. Le plus célèbre projet sur le banc des accusés demeure Europacity, dont l’impact écologique sur le Triangle de Gonesse est au coeur d’un débat d’envergure nationale, dans une atmosphère similaire à celle de Notre-Dame-des-Landes (NDDL). La construction d’un tel projet privé interroge en effet sur les limites que nous pouvons fixer au processus de métropolisation.

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Dans le cas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la situation de coexistence entre l’aéroport et son territoire n’a jamais existé et n’existera jamais. Les manifestants et tous les collectifs organisés contre le projet ont réussi à faire abroger la mise en place d’un tel équipement. Mais il semblerait difficile de dessiner une limite au développement de l’aéroport Charles de Gaulle, dans le cas où une situation de coexistence est déjà en place depuis plus de 40 ans. Plusieurs associations, qu’elles défendent la montée des nuisances sonores ou la destruction des terres agricoles, s’imposent comme des régulatrices du processus de métropolisation. Elles ont espoir que le développement de leur territoire passe par des alternatives éco-responsables et respectueuses de l’humain et de l’environnement, plutôt que dans le simple bétonnage d’une région chargée d’histoire. Si la situation continue au même rythme qu’aujourd’hui, le coeur de la Plaine de France revivra la même situation que 40 ans auparavant, à savoir la rupture de la coexistence entre le territoire et l’aéroport Charles de Gaulle.

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BIBLIOGRAPHIE


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LE SAINT, Rozenn, « Europacity, le futur Dubaï aux portes de Paris », Marianne, 21/05/2016, 14h00 https://www.marianne.net/societe/europacity-le-futur-dubai-aux-portes-de-paris PAIRE, Jérémie, «Nuisances aériennes: vers une indemnisation des riverains qui souhaitent vendre?», BFMTV, le 14/03/2017 à 15h14 POUPEAU, Thomas, « Aulnay : feu vert pour aménager le quartier sur l’ancien site PSA », Le Parisien, 24/07/17, 22h41 RAMBERT, Francis, « Orly/Roissy : l’évolution d’un concept », D’Architectures, no 55, mai 1995 REKACEWICZ, Phillipe, « Aéroport : de l’espace public à l’espace privé », Le Monde Diplomatique, 13/02/2013 https://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/REKACEWICZ/48733 SARTRE, Maurice, « Palmyre, l’Universelle prise au piège de l’histoire », Libération, 01/08/2017, 19h26 http://www.liberation.fr/debats/2017/08/01/palmyre-l-universelle-prise-au-piege-de-lhistoire_1587609 TREGUIER, Eric, « Guerre des méga-projets entre le Val d’Oise et la Seine Saint-Denis », Challenges, 30/11/17, 08h00 VIGOUREUX, Thierry, « Un nouvel aéroport va être construit à Roissy-CDG », Le Point, le 16/06/2017, 18h12

Rapports : ADP, Document de référence et rapport financier annuel 2017, 2018 ADP, Rapport d’activité et de développement durable 2016, 2017 FRANCE, Projet de loi relatif au Grand Paris, Sénat, 3 Juin 2010 https://www.senat.fr/rap/l09-491/l09-4913.html FRANCE, Secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l’immigration, Les orientations de la politique de l’immigration et de l’intégration - Huitième rapport établi en application de l’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, La Documentation française, Janvier 2012 HEDRICK-WONG Yuwa et CHOONG Desmond, Global Destination Cities Index, 2016 https:// newsroom.mast e rcard.com / wp -con t e n t / u p l oa d s / 2 0 1 6 / 0 9 / F I N A L -G l ob a l Destination-Cities-Index-Report.pdf

83


Travaux de mémoire ou de thèse : ALIAGA, Alicia, « Signalétique intermodale dans les aéroports : comment faciliter l’accès aux transports collectifs et services de mobilités pour les touristes ? », Association de Science Régionale de Langue Française, 5-7 juillet 2017, Université Panteion, Athènes, Grèce http://asrdlf2017.com/asrdlf2017_com/envoitextefinal/auteur/textedef/26.pdf BOSMA, Koos, «Nathalie Roseau, Aerocity. Quand l’avion fait la ville (Aerocity: When the Plane Made the City).» The Journal of Transport History, vol. 35, no. 2, 2014, p. 256 FRÉTIGNY, Jean-Baptiste, « Aéroport : non-lieu ou point d’ancrage du Monde ? », Archives ouvertes, 3 Avril 2013 https://hal-univ-diderot.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/807195/filename/dictionaerop-preprint.pdf FRÉTIGNY, Jean-Baptiste, « La frontière à l’épreuve des mobilités aériennes : l’exemple de l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle », Archives ouvertes, 3 Avril 2013 https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00807188/document FRÉTIGNY, Jean-Baptiste, « Les mobilités à l’épreuve des aéroports : des espaces publics aux territorialités en réseau. Les cas de Paris Roissy-Charles-De-Gaulle, Amsterdam Schiphol, Francfort-sur-le-Main et Dubai International. », Archives ouvertes, 7 Mars 2015 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00951463/document MAKARÉMI, Choraw, «« Vies « en instance » : le temps et l’espace du maintien en zone d’attente. Le cas de la « Zapi 3 » de Roissy-Charles-De-Gaulle », REVUE Asylon(s), N°2, octobre 2007 http://www.reseau-terra.eu/article664.html TONOLLA, Enea, «Le syndrome NIMBY comme élément de gouvernance : le cas de l’usine de traitement des déchets ménagers de Giubiasco. La dimension multi-niveaux du backyard basé sur les différentes identités territoriales des tessinois.» Institut de Géographie de l’Université de Lausanne, sous la direction du Prof. Antonio Da Cunha, 2009

Vidéos : AFP, « A Goussainville, l’esprit de clocher résiste au bruit des avions », ajoutée le 28 nov. 2013 sur la plateforme Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=m_yGFBJznoA AIGP (Atelier International du Grand Paris), Le Grand Paris d’Aujourd’hui et de Demain, vidéo ajoutée le 7 Novembre 2016 sur la plateforme Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=3EvT3zCkfzU FRANCE 3, « Aéroport de Roissy : Goussainville, village fantôme », le 19/20 du 18/01/2018 https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-3/19-20/aeroport-de-roissy-goussainvillevillage-fantome_2568711.html 84


TABLE DES FIGURES

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FIGURE 1 : Aéroport Adolfo-Suárez de Madrid-Barajas

11

Source : MOSO International B. V. URL : https://www.european-business.com/moso-international-bv/portrait/

FIGURE 2 : Classement du trafic de passagers au niveau international en 2016

14

Source : Airports Council International (ACI) URL : http://www.aci.aero/

FIGURE 3 : Vue aérienne du territoire d’accueil de l’aéroport Charles de Gaulle

16

Source : Olivier Marchyllie (base : https://www.geoportail.gouv.fr/)

FIGURE 4 : Eglise du vieux village de Goussainville (95), classée monument historique

20

Source : Charles Platiau / Reuters, pour Le Figaro URL : http://immobilier.lefigaro.fr/article/sous-les-avions-ce-village-abandonne-se-bat-pour-survivre_97f062ec-61d011e5-ab2a-75954d224542/

FIGURE 5 : Terminal Eastern d’Hartsfield-Jackson Atlanta International Airport, 15 Avril 1991

23

Source : Felix Goetting URL : https://www.sunshineskies.com/atlanta-airport-1990s.html

FIGURE 6 : L’aéroport International de Denver sous la neige, le 22 décembre 2006

24

Source : Ashley Niblock, Denver Airport Under Snow URL : https://www.flickr.com/photos/44124467258@N01/331750884/

FIGURE 7 : La Canopée de l’aéroport international de Berlin-Tempelhof, Halls 5-7, Juillet 1962

26

Source : FBB (Flughafen Berlin Brandenburg) URL : http://www.berlin-airport.de/en/press/media-centre/photos/2008/tempelhof/index.php

27

FIGURE 8 : Tempelhofer Feld, aujourd’hui Source : Emiko Atherton URL : https://www.trover.com/d/zItq-tempelhofer-feld-berlin-germany

27

FIGURE 9 : Tempelhofer Feld, aujourd’hui Source : GrünBerlin URL : https://gruen-berlin.de/en/tempelhofer-feld/visitor-information

FIGURE 10 : Localisation en vue aérienne de l’aéroport Charles de Gaulle par rapport au centre de Paris

30

Source : Google Maps

FIGURE 11 : Carte des infrastructures aéroportuaires de l’aéroport Charles de Gaulle (zoom 2 de la FIGURE 10)

31

Source : Olivier Marchyllie (base : https://www.google.fr/maps)

FIGURE 12 : Le vieux village de Goussainville : au début du XXème siècle et aujourd’hui Source : Agence de presse REUTERS (via Huffington Post) URL : hhttps://www.huffingtonpost.fr/2013/09/28/photos-transformation-village-fantome-nord-paris_n_4009117.html

86

34


FIGURE 13 : Le vieux village de Goussainville : au début du XXème siècle et aujourd’hui

34

Source : Agence de presse REUTERS (via Huffington Post) URL : hhttps://www.huffingtonpost.fr/2013/09/28/photos-transformation-village-fantome-nord-paris_n_4009117.html

FIGURE 14 : Plaquette résumant le secteur primaire en Ile-de-France en 2010

36

Source : AGRESTE, INSEE et IAU-IDF URL : https://www.iledefrance.fr/territoire/agriculture-espaces-ruraux

FIGURE 15 : Carte de l’ancien Etablissement Public d’Aménagement (EPA) Plaine de France

38

Source : EPA (Plaine de France) URL : https://fr.scribd.com/doc/253967119/150117-Atlas-EPA-MD-pdf

FIGURE 16 : Carte des installations sportives des Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été

42

Source : Les Echos URL : https://www.lesechos.fr/18/02/2016/LesEchos/22132-086-ECH_jo---le-dossier-de-paris-2024-marie-cartepostale-et-banlieue.htm

FIGURE 17 : Carte de l’emplacement du futur terminal 4 de l’aéroport Charles de Gaulle

44

Source : Le Parisien URL : http://www.leparisien.fr/tremblay-en-france-93290/un-nouveau-terminal-a-l-aeroport-de-roissypour-2025-21-06-2017-7075401.php

FIGURE 18 : Carte de la Métropole du Grand Paris, à l’échelle de l’Ile-de-France

46

Source : Institut d’Aménagement du Territoire d’Ile-de-France (IAURIF) URL : https://geo.valdemarne.fr/portail/geo-service/cartotheque?f%5B0%5D=im_field_mot_cles%3A415

FIGURE 19 : Carte du Grand Paris Express et de l’année éventuelle d’ouverture de chacune des lignes

48

Source : Société du Grand Paris URL : http://defense-92.fr/transports/grand-paris-a-la-defense-devedjian-et-cesari-inquiets-de-la-mise-en-servicerepoussee-a-2027-23001/attachment/carte-grand-paris-express

FIGURE 20 : Répartition horaire moyenne des LAmax,1s sur la commune de Epiais-lès-Louvres

52

Source : Bruitparif, étude SURVOL URL : https://survol.bruitparif.fr/

FIGURE 21 : Répartition horaire moyenne des LAmax,1s sur la commune de Roissy-en-France

52

Source : Bruitparif, étude SURVOL URL : https://survol.bruitparif.fr/

FIGURE 22 : Vue aérienne accompagnée du Plan d’exposition au bruit (PEB)

54

Source : Géoportail

FIGURE 23 : Carte du Plan de Gêne Sonore 2013 pour l’aéroport CDG Source : ACNUSA URL : https://www.acnusa.fr/fr/le-bruit-et-la-cartographie/la-cartographie/pgs-plan-de-gene-sonore/15

87

54


FIGURE 24 : Paris Nord II, aux croisements de l’A1, l’A3 et l’A104

58

Source : Zoned’activité.com URL : http://www.zonedactivite.com/zone_d_activites/galerie_photo/Paris-Nord-2--i63.htm

FIGURE 25 : Localisation et programmation de la Zone d’Activités AEROLIANS

60

Source : Aérolians URL : https://www.aeroliansparis.com/fr/

FIGURE 26 : Localisation et programmation de la Zone d’Activités AEROLIANS

60

Source : Aérolians URL : https://www.aeroliansparis.com/fr/

FIGURE 27 : Quartier Gare, éco-quartier de louvrès et Puiseux-en-France

65

Source : architecture-urbanisme.fr URL : http://projets-architecte-urbanisme.fr/ecoquartier-louvres-puiseux-roissy-charles-gaulle/

FIGURE 28 : Carte localisant le Triangle de Gonesse

66

Source : Le Parisien URL

:

https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2018/03/09/europacity-l-urbanisation-du-triangle-de-gonesse-en-5-

infographies_5268529_3244.html

FIGURE 29 : Carte des communes ayant perdu des terres agricoles entre 2000 et 2010

67

Source : Le Parisien URL

:

https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2018/03/09/europacity-l-urbanisation-du-triangle-de-gonesse-en-5-

infographies_5268529_3244.html

FIGURE 30 : Vue aérienne du Triangle de Gonesse, sous les traits du nouveau plan masse de BIG

68

Source : Chroniques d’Architectures URL : https://chroniques-architecture.com/huit-laureats-concours-europacity/

FIGURE 31 : Vue du Parc Aquatique du projet Europacity

68

Source : Le Parisien URL : http://www.leparisien.fr/gonesse-95500/video-europacity-on-ne-fera-pas-dubai-aux-portes-deparis-27-09-2017-7291269.php

FIGURE 32 : Découpage prévu du Triangle de Gonesse

70

Source : Le Parisien URL

:

https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2018/03/09/europacity-l-urbanisation-du-triangle-de-gonesse-en-5-

infographies_5268529_3244.html

FIGURE 33 : Le développement d’un nouveau quartier d’affaires

70

Source : Le Parisien URL

:

https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2018/03/09/europacity-l-urbanisation-du-triangle-de-gonesse-en-5-

infographies_5268529_3244.html

FIGURE 34 : L’offre commerciale abondante du Nord de l’Ile-de-France Source : Le Parisien URL

:

https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2018/03/09/europacity-l-urbanisation-du-triangle-de-gonesse-en-5-

infographies_5268529_3244.html

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ANNEXES


ENTRETIENS PARIS - CHARLES DE GAULLE - Journées du 16 et 17 Mars 2018 Déplacement 1 : ville de Roissy-en-France (Val d’Oise) Observations sur site : du centre de Paris, nous atteignons la ville de Roissy-en-France par le RER D jusqu’à la ville de Goussainville, puis un autobus menant au coeur du bourg. Sur site, la ville est assez petite, concentrée autour d’un centre historique et de plusieurs commerces de nécessité. De grandes zones résidentielles forment le pourtour du centre-ville et constituent ainsi de grandes cités dortoirs où vivent principalement des employés de l’aéroport. Le bruit des avions est omniprésent, un avion décollant ou atterrissant en moyenne toutes les trente secondes. Leur présence visuelle est également inévitable, le premier doublet de pistes étant situé à seulement quelques emcablures du centre ville. Les espaces publics de la commune sont très développés et bien entretenus.

Données préalables : pour plus de facilités de rédaction, on nommera (O) la personne recevant les réponses de l’entretien et (I) la personne acceptant d’être soumise à celui-ci. Les photographies présentées dans cette annexe sont des photographies personnelles. Matinée : installation à la Brasserie Le Village, située sur l’avenue principale de la commune. ENTRETIEN 1 : type : entretien court (5 minutes) contexte : discussion au comptoir de la brasserie Le Village Profil : Michel, 66 ans, dit «Mino», est un habitué de la brasserie. Chaque fin de matinée, il vient prendre sa bière au comptoir et lire son journal. Il habite à Roissy-en-France depuis 25 ans.

90


O : Depuis combien de temps vivez-vous à côté de l’aéroport ? Quelles ont été les raisons de votre installation à ses abords ? I : Je me suis installé à Roissy il y’a 25 ans maintenant. A la base je suis de Meaux, c’est pas très loin d’ici, mais la boîte où je taffais a mis la clé sous la porte. J’ai commencé à chercher du boulot et puis j’ai trouvé un poste de technicien à Charles de Gaulle. J’ai fini ma carrière à l’aéroport et aujourd’hui je profite de ma retraite. O : Qu’est ce qui, finalement, vous fait rester à Roissy-en-France ? I : Qu’est ce qui j’irai faire ailleurs ? J’ai 25 ans de ma vie ici, je vis seul, je vois mes proches sur Meaux ... Et puis j’ai tous mes amis ici, j’ai mes habitudes de vie. Tous les matins je descends ici, je bois ma bière, je lis le journal, et je regarde les courses PMU. Je joue au tiercé, on sait jamais, ça m’arrondirait ma retraite ! Et vous vous êtes baladé dans la ville ? C’est propre, y’a plein de bancs, plein de trucs faits par la mairie. Non je vais finir mes jours ici, j’ai aucune raison de m’en aller ailleurs. O : Comment avez-vous adapté vos habitudes de vie par rapport à l’activité aéroportuaire ? I : Au début c’était compliqué ! Vous avez un espèce de bourdonnement incessant du matin au soir, sans possibilité d’y changer quoi que ce soit, faut bien que les gens partent en vacances ! Je ne laisse pas mes fenêtres ouvertes l’été, je laisse juste ouvert 5 minutes pour ventiler, mais pas plus, même après tant d’années ici ! Mais bon, au bout d’un moment, on finit par s’y habituer. O : Comment avez-vous évoluer ce territoire, depuis 25 ans ? I : Ca a bien changé en 25 ans ! Qu’est ce que ça a poussé partout ! Mais bon c’est bien, ça a ramené du monde. Y’a plein de touristes aussi, ils viennent ici entre deux correspondances. O : Avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : Oui, vaguement. J’avoue que je ne m’y intéresse pas trop, je me dis que de toute façon, on peut pas aller contre le progrès, donc tout ça là, ça va s’agrandir, encore, encore. Le seul projet dont j’ai un peu entendu parler c’est Europacity, j’ai des amis de Gonesse qui m’en ont parlé. O : Qu’est ce que vous pensez de ce projet ? I : J’en pense pas grand chose, on m’a dit que ça allait ramener des emplois dans le coin, je trouve que c’est une bonne chose, après j’en sais pas plus ! Mais comme je vous ai dit, ça fera que grandir, je suis plus tout jeune donc je vais regarder les choses bouger ! Bon je dois vous laisser, je m’en vais à Meaux. Bonne journée ! Fin de l’entretien ENTRETIEN 2 : type : entretien long (45 minutes) contexte : discussion au comptoir de la brasserie Le Village Profil : Lotfi, 49 ans, bailleur social, travaille au comptoir de la brasserie. Il réside à Roissy-enFrance depuis un peu plus d’un an. O : Depuis combien de temps vivez-vous à côté de l’aéroport ? Quelles ont été les raisons de votre installation à ses abords ? I : Personnellement, ce sont les aléas de la vie qui m’ont conduit à m’installer ici. Ma femme

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et moi avons divorcé il y’a deux ans maintenant. Je lui ai laissé mon domicile à Goussainville, et je suis venu m’installer ici. J’ai choisi de vivre ici notamment pour les prix avantageux des logements, étant situé à côté de l’aéroport les prix sont assez compétitifs, mais aussi parce que c’est situé à mi-distance entre mon ancien domicile à Goussainville et mes secteurs d’activité, notamment sur Montreuil-sous-bois. D’ailleurs, beaucoup de gens se trompent, ici c’est Roissyen-France, et l’aéroport c’est l’aéroport Charles de Gaulle, et non l’aéroport Roissy - Charles de Gaulle. Beaucoup de personnes sont étonnées quand je dis que j’habite à Roissy, ils pensent que j’habite dans l’aéroport, et ignorent totalement qu’il existe une commune du même nom. O : Comment avez-vous adapté vos habitudes de vie par rapport à l’activité aéroportuaire ? I : Vous savez, avant de venir vivre à Goussainville, j’habitais au Bourget. Vous voyez la gare de RER B au Bourget ? Et bien j’étais juste en face, le bâtiment blanc juste en face. Donc quand vous vivez plusieurs années d’affilée à côté d’une gare, où vous entendez les wagons jusqu’à deux heures du matin, finalement vous vous y habituez. Et paradoxalement, j’entends moins les avions ici, à Roissy-en-France, qu’à Goussainville, où j’ai vécu pendant plus d’une vingtaine d’années. Je pense que c’est une histoire de propagation des ondes. Ici, les avions viennent juste de décoller, et comme il y’a beaucoup d’hôtels autour de Roissy, et bien ils protègent plus des ondes sonores. On peut pas nier qu’ils existent, on les entend. Je pense notamment à l’été, où dès qu’on aère la moindre pièce, on se retrouve avec tout l’aéroport dans la maison. Mais sinon dès qu’on referme les fenêtres, le double vitrage est efficace, on les entend moins. Après sincèrement j’ai rien à redire à cette ville. On est à côté de tout, les rues et les places sont propres, y’a plein d’aménagements, des jeux pour enfants, des bancs, des poubelles ... Mais vous devriez voir l’été, ça grouille de monde, et surtout ça parle toutes les langues, il y’a beaucoup d’étrangers ! O : Comment avez-vous vu évoluer ce territoire, depuis 25 ans ? I : Alors je dirais que Roissy a beaucoup mieux évolué que Goussainville. A Roissy, ça a évolué dans le bon sens, ils ont su garder les traditions, mettre en valeur certaines parties du patrimoine. Il y’a une manne financière assez énorme, l’aéroport verse aux communes des subventions assez importantes, ce qui fait qu’on a des rues et des places qui sont biens. A Roissy, ils ont d’ailleurs, il y’a quelques années, fluidifier la circulation en élargissant des voies, refait toutes les voiries. Après, je trouve ça normal quand même, on n’a pas une qualité de vie non plus idéale à cause du trafic des avions, du coup je comprends que l’aéroport donne des sous aux communes pour les rénover. Après, ça reste une commune très dynamique, on a le centre international des congrés qui attire plein de monde aussi, je crois qu’ils attendent des fonds supplémentaires. En même temps pour Roissy, ça se comprend, on l’appelle la «Porte de France», c’est la première chose que les touristes voient en arrivant, c’est comme une sorte de visage qu’il faut porter. Goussainville, c’est pas pareil, la construction s’est fait anarchiquement, il n’y a pas eu de projets d’urbanisme comme à Roissy. Les constructions se sont plus portées sur le logement social, ça a poussé comme des champignons à Goussainville. O : Et au niveau de l’aéroport en lui-même, comment l’avez-vous vu évoluer ? I : A vrai dire, on a plus entendu l’évolution que vu ! Il y’a beaucoup plus de trafic, que ce soit des avions ou des voitures. Mais bon ça se comprend, un équipement comme ça, ça attire du monde, il y’a plein d’avions qui arrivent et qui repartent, ça crée de l’emploi aussi évidemment. Avec le développement du commerce international, ça a ramené plein de monde ici, tout le monde connait quelqu’un qui travaille à l’aéroport ou dans les sociétés autour. Mon voisin, par exemple, il travaille à Fedex, je le croise tous les matins en partant de chez moi ! Après on est moins au courant de ce qu’il se passe au sein de l’aéroport en lui-même, je suis plus au courant

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des projets ou des choses qui se passent autour. O : Justement, avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : Déjà il y’a le Grand Paris Express, le projet de supermétro. On est assez tenu au courant làdessus, au Bourget d’ailleurs, ils voulaient déplacer la gare RER, et faire une extension de ligne de métro. Je trouve cela bien que ce projet existe, ça permettra de fluidifier le trafic, déjà que c’est souvent galère sur la ligne de RER B, même sur la ligne D depuis Goussainville c’était assez limite des fois ! Après j’ai entendu que la ligne 17 allait être retardée et ne pas être prête pour les JO de 2024. Je ne sais pas si vous avez fait gaffe en venant, mais il y’a une grande banderole sur la mairie annexe qui indique qu’une pétition va être lancée contre ce retardement. Pour ma part, du moment que cette ligne est construite, ça me va très bien ! Après, j’ai entendu qu’ils allaient construire un nouveau terminal à l’aéroport Charles de Gaulle. Je ne suis pas plus inquiet que ça, après tout il faut laisser le progrès venir aussi, c’est sur qu’au bout d’un moment le trafic d’avions est saturé et qu’il faut des infrastructures pour le gérer. Ca embauchera plus de gens aussi, vous imaginez pas comment ça grouille de monde là-dedans ! Et après j’ai vaguement entendu parler du projet Europacity au niveau du triangle de Gonesse. Quand on est sur la route de la Patte d’Oie de Gonesse, il y’a une grande pancarte «Non à Europacity». Mais j’ai pas plus d’informations sur ce projet. O : (Explication du projet Europacity à Lotfi) Après ce que je vous ai raconté sur Europacity, que pensez-vous de l’annulation de la création de la ZAC du Triangle de Gonesse ? I : Et bien je pense qu’on est passé à côté d’un désastre écologique assez important. Vous voyez, dans le cas du futur terminal de l’aéroport Charles de Gaulle, ça ne me dérange pas forcément parce qu’il faut bien gérer tous les avions. Mais si vous me dîtes qu’ils veulent implanter d’autres commerces supplémentaires, un parc d’attraction et je ne sais quoi, je me dis que ça va forcément faire du tort aux commerces ruraux. Déjà, je ne sais pas si vous avez vu en arrivant, mais il y’a un énorme centre commercial à l’entrée de l’aéroport, ça a quelques années maintenant, ça s’appelle «Aéroville». Et bien déjà que ça ne marche pas très bien, je ne vois pas pourquoi ils s’entêtent à créer des commerces, alors que ceux de nos villages souffrent énormement. Après, c’est le problème de la centralisation, on regroupe toutes les activités en plusieurs zones, mais après faut pas s’étonner s’il n’y a plus de vie dans les petites communes. Ils avaient fait ça avec le Stade de France, tout s’est rabattu autour de la Plaine - Saint-Denis. On parlait du Grand Paris Express tout à l’heure, mais c’est la même chose qui se produit avec le Grand Paris hein. On donne toujours plus de pouvoir aux régions, personnellement je ne suis pas pour parce que tout le local passe à la trappe. Ils cherchent à construire vite, pour les 5, 10 prochaines années, mais je suis persuadé qu’il faut voir les investissements sur du 30, 40, 50 ans. O : Finalement, comment voyez-vous le futur aux côtés d’une plateforme qui a besoin de place pour se développer, mais qui est tout de même incontournable de nos villes actuelles ? I : Je pense que ça évoluera dans le bon sens. Sincèrement, c’est pas le surplus d’avions qui vont modifier mon quotidien, on finit par s’y habituer. Après, je pense qu’il faut fixer des limites de développement à certains projets, comme Europacity finalement, parce que ce sont des projets qui émergent trop vite et certainement sous-utilisés. Il vaut mieux agrandir nos communes raisonnablement, et garder nos commerces de centre-ville. Regardez, on est pas bien depuis tout à l’heure, à discuter ? Tant que ça, ça ne change pas, je n’aurai aucune raison de m’en aller. Fin de l’entretien

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Début d’après-midi : exploration de la commune de Roissy-en-France ENTRETIEN 3 : type : entretien court (5 minutes) contexte : rencontre sur un banc aux jeux pour enfants Profil : Monica, tranche d’âge 25-35 ans, est une italienne dont le mari français travaille à l’aéroport Charles de Gaulle. Elle est seule aux jeux pour enfants, son enfant profitant des différentes structures de jeu. Conversation en anglais. O : Depuis combien de temps êtes-vous à Roissy-en-France ? I : Oh vous savez, ça ne fait que trois jours que je suis ici. Mon mari travaille à l’aéroport Charles de Gaulle, c’est la première fois que nous montons d’Italie pour venir le voir ici. Nous avons une semaine de vacances avec le petit, alors nous avons décidé de venir voir mon mari ici. Vous voyez le bâtiment avec le portail jaune ? Et bien mon mari a un petit appartement dedans. O : Comment trouvez-vous la commune de Roissy-en-France et ses alentours ? I : Je vous avoue que je m’attendais à vraiment pire. On se dit que la vie à côté d’un aéroport est horrible, mais je trouve que la ville est vraiment bien. Il y’a plein d’aménagements, on a trouvé ce parc pour enfants avec mon fils, et surtout qu’est ce que c’est propre ! Toutes les rues et les places sont très propres, avec beaucoup de bancs, de poubelles ... Non vraiment c’est une très jolie ville ! Après, nous avons passé une journée à Paris depuis que nous sommes ici, c’est une très belle ville aussi ! O : Que pensez-vous, pendant ces quelques jours, de la vie quotidienne aux côtés d’un aéroport ? Votre mari vous a t’il raconté les raisons de son installation ici et son quotidien ? I : Bon c’est sur qu’on ne peut pas louper les avions, je dois avouer que je me suis amusée à les compter le premier jour tellement il y’en avait, sortant d’ici, de là ! Mais au final, on s’y habitue. Ca va faire 3 ans et demi que mon mari s’est installé à Roissy. Il s’est installé ici parce que son boulot est juste à côté, ça réduit enormément les temps de trajet. C’est vrai qu’il a mis un moment à s’habituer au bruit des avions, après c’est une habitude à prendre ! Fin de l’entretien ENTRETIEN 4 : type : échange bref (1 minute) contexte : rencontre devant une rue d’un quartier pavillonnaire Profil : Deux dames d’une quarantaine d’années s’apprêtent à partir au travail, elles quittent leur domicile au sein d’une zone pavillonnaire. Résumé : Les gens travaillent plus ou moins tous à l’aéroport ici ! On fait nos journées, on fait nos nuits, l’aéroport ne s’arrête jamais ! C’est sur que la qualité de vie ici, c’est pas la même que «sous les tropiques», mais au moins on est à côté de notre travail, on se connait plus ou moins tous et on perd pas notre temps chaque matin dans les embouteillages. Les avions, au bout d’un moment, on ne les entend même plus. Sauf l’été, où l’on aurait aimé ne pas les entendre quand nous sommes en congé et que l’on souhaite aérer la maison. C’est dur d’oublier que l’on vit à côté d’un aéroport finalement.

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ENTRETIEN 5 : type : entretien long (20 minutes) contexte : rencontre sur le parvis de l’Eglise Saint-Eloi Profil : Françoise, 78 ans, réside à Roissy-en-France depuis toujours. O : Depuis combien de temps êtes-vous à Roissy-en-France ? I : Depuis toujours ! J’ai grandi dans la maison de mes parents, qui fut aussi la maison de mes grands-parents, et celle de mes arrières-grands-parents. J’allais travailler à Gonesse, un peu plus loin, et le soir je revenais chez mes parents. O : Comment avez-vous vu évoluer ce territoire, depuis 78 ans ? I : Vous seriez venu ici il y’a 50 ans, vous n’auriez vu que des champs à perte de vue ! Aujourd’hui tout est bétonné, tout est construit. On en voulait pas de l’aéroport à l’époque ! Dès qu’ils ont commencé les travaux, on savait que ça allait être l’horreur ! Les engins de chantier arrivaient tôt le matin et quand ils partaient le soir, il y’avait de la boue partout dans les rues, des canalisations détruites, des coins de murs abimés … Juste avant on avait eu droit à l’autoroute du Nord, c’était la même histoire ! O : Comment avez-vous adapté vos habitudes de vie par rapport à l’activité aéroportuaire ? I : Au début c’était très difficile ! Même s’il y’avait beaucoup moins d’avions qu’aujourd’hui, dès que les vents devenaient des vents d’Ouest, on entendait les avions qui décollaient et qui atterissaient. Vous savez, on n’avait jamais vu ça nous ! L’aéroport, c’est sur que ça a quelque chose de fascinant, on voit tous ces grands appareils les uns à côté des autres, tout ce monde étranger dans la même pièce ... Mais dès qu’on passe à côté, croyez-moi que ce n’est pas du tout la même histoire ! L’aéroport a racheté pas mal de maisons autour de lui à son arrivée, beaucoup de monde est parti ! Le pire ça a été à Goussainville. Vous voyez où c’est ? Quand vous arrivez avec le RER D, vous arrivez dans la nouvelle ville. Et bien, plus au Sud, il y’a le petit village de Goussainville, quasiment désert, que des maisons en ruine ! C’est une des attractions de la région, des dizaines de maisons abandonnées, recouvertes par des graffitis et la nature. Aujourd’hui, à mon âge, je n’entends presque plus les avions, sauf quand on ouvre les fenêtres évidemment, là on ne peut pas les louper ! O : Avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : On entend surtout parler d’Europacity ici, vu que c’est juste chez nos voisins à Gonesse. Ca fait du bruit ce projet, on se croirait de nouveau à la construction de l’aéroport ! Ils vont encore nous raser des champs pour couler du béton, déjà que les agriculteurs arrivent pas à vivre. Mais j’ai l’impression qu’on ne peut rien y changer, même s’ils ont crée des collectifs et des actions contre ce projet, je pense que ça se fera quand même. Vous comprenez, les terrains autour de l’aéroport c’est des mines d’or pour ces gens-là, ils ont l’aéroport à côté, l’autoroute, le train, le RER et bientôt le Grand Paris Express. O : Et que pensez-vous, justement, de l’arrivée du Grand Paris Express sur la commune ? I : Encore faudrait-il qu’il arrive ! Il parait qu’ils l’ont repoussé encore, il ne sera pas là pour les Jeux Olympiques. Après honnêtement ça ne me dérange pas, on a besoin de transports neufs, le RER est dans un état !

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O : (Explication du projet du terminal 4 à Françoise) Après ce que je vous ai raconté, pensez-vous que l’arrivée de ce nouveau terminal aura un impact sur votre quotidien ? I : Non, à mon âge, quelques avions en plus ne changeront rien. On s’y habitue à force ! Et si ça peut embaucher du monde tant mieux, tant que c’est sur leur terrain. Ca devient problématique, comme pour Europacity, où l’on met dehors les gens pour bétonner des champs entiers. Et je ne pense pas que niveau écologique ce sera une prouesse non plus ! O : Finalement, comment voyez-vous le futur aux côtés d’une plateforme qui a besoin de place pour se développer, mais qui est tout de même incontournable de nos villes actuelles ? I : Vous savez, ça va empirer pour vous les jeunes ! Ça va continuer à pousser partout, mais ça va continuer à gronder aussi. Regardez chez les bretons, à Notre-Dame-des-landes, je croise les doigts pour que ça ne passe pas ! On sait ce que c’est quand, du jour au lendemain, on vous pose un aéroport au pied de votre porte. Je ne leur souhaite pas le même sort ! Fin de l’entretien

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Déplacement 2 : ville du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) Observations sur site : une fois la matinée et le début d’après-midi passé à Roissy-en-France, nous partons de l’autre côté de l’aéroport, à l’Est, sur les communes du Mesnil-Amelot et de Mauregard, situées en Seine-et-Marne. La commune du Mesnil-Amelot est plus petite que Roissy-en-France, avec en périphérie une zone industrielle faisant face à l’aéroport. Comme à Roissy, la commune dispose d’espaces publics et d’équipements diversifiés, le tout dans un état de propreté impeccable.

Milieu d’après-midi : installation à Chez Cri-Cri, bar-restaurant situé sur la place de l’Eglise SaintJean

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ENTRETIEN 6 : type : entretien long (20 minutes) contexte : discussion au comptoir du bar Chez Cri-Cri Profil : Mehdi, 35 ans, employé du restaurant Chez Cri-Cri, vit au Mesnil-Amelot depuis 4 ans maintenant. O : Depuis combien de temps vivez-vous à côté de l’aéroport ? Quelles ont été les raisons de votre installation à ses abords ? I : Je me suis installé au Mesnil-Amelot il y’a tout juste 4 ans. Je cherchai du boulot dans la restauration, et j’ai vu l’annonce de Catherine sur internet. Je suis venu passé l’entretien et j’ai été pris. Du coup ça va faire 4 ans que je travaille ici ! O : Comment avez-vous adapté vos habitudes de vie par rapport à l’activité aéroportuaire ? I : Ben je dois vous avouer que c’est pas tout le temps facile. Etant donné qu’on a une des doubles-pistes de l’aéroport à côté de la maison, c’est impossible de laisser ouvert l’été ! Et j’ai remarqué qu’on entend particulièrement l’A380. Quand il décolle, on entend un gros «boum» pendant qu’on regarde la télé, c’est que ça met du temps à monter ces engins ! Sinon, à part ça, je trouve pas cela hyper gênant non plus, c’est des habitudes de vie à prendre vous savez ! Et l’aéroport essaye aussi de réduire comme il peut la gêne qu’il procure. Tous les dix ans, ils viennent changer toutes les fenêtres double-vitrages des communes situées autour de l’aéroport. O : Comment avez-vous vu évoluer ce territoire, depuis 4 ans ? I : A la base, j’ai grandi à Drancy, dans le 93, donc j’ai pas franchement mis un pied dans le coin jusqu’à ce que je trouve un job ici. Juste j’ai entendu parlé du Grand Paris Express, qu’ils voulaient faire venir le supermétro jusqu’à l’aéroport. Après j’ai pas trouvé qu’il y avait eu énormement de changements au Mesnil-Amelot en 4 ans, ça a pas trop bougé ! O : Justement, hormis le Grand Paris Express, avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : Non, à part le Grand Paris Express, j’avoue ne pas être au courant de ce qu’il se passe ... O : (Explication du projet de construction du terminal 4 à Mehdi) Après ce que je vous ai raconté sur le terminal 4, pensez-vous que sa construction soit une bonne chose ? I : Je pense qu’effectivement ce sera une bonne chose, ça ramène toujours plein d’emplois ce genre de projet, donc c’est bon pour l’économie. Par contre, je ne vous cache pas que ça m’inquiète un peu par rapport aux avions. Ca sous-entend forcément que le nombre d’avions va augmenter, donc niveau bruit ça ne va pas aller en s’arrangeant ! Même si, au final, on s’habitue à voir et entendre ces engins, ça reste assez désagréable et j’espère que ça sera encore vivable ici après la construction ... O : (Explication du projet Europacity à Mehdi) Après ce que je vous ai raconté sur Europacity, que pensez-vous de l’annulation de la création de la ZAC du Triangle de Gonesse ? I : C’est franchement une bonne chose, ce genre de projets n’aurait absolument servi à rien ici, regardez y’a déjà une concurrence commerciale très forte dans la région, alors je doute qu’implanter plus de commerces serve à quelque chose. Surtout que ça nous porte du tort à nous, dans l’histoire, les gens n’iront plus faire leurs courses en centre-ville, mais dans des

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centres commerciaux énormes. Et cette histoire de piste de ski, qu’est ce qu’ils imaginent, qu’on est à Dubaï ou un truc comme ça ? Surtout que j’imagine qu’ils faisaient la promotion de ces activités, mais c’est sûrement pas tout le monde qui aurait pu se payer ça ! O : Finalement, comment voyez-vous le futur aux côtés d’une plateforme qui a besoin de place pour se développer, mais qui est tout de même incontournable de nos villes actuelles ? I : Etant donné que ça fait peu d’années que je suis ici, je n’aurai aucun problème à partir si ma qualité de vie est trop dégradée par les avions. Je pense que c’est bien que les choses bougent de plus en plus, ça crée de l’emploi et ça fait venir du monde. Mais est-ce-que ça fera venir du monde ici, en Seine-et-Marne ? J’en suis moins certain ... Vous pouvez en parler à Catherine de ça, elle vit depuis toujours ici. ENTRETIEN 7 : type : entretien long (50 minutes) contexte : discussion au comptoir du bar Chez Cri-Cri Profil : Catherine, 49 ans, gérante du restaurant Chez Cri-Cri. O : Depuis combien de temps vivez-vous à côté de l’aéroport ? Quelles ont été les raisons de votre installation à ses abords ? I : J’ai toujours vécu au Mesnil-Amelot, depuis 1969 ! Ma mère, et avant ma grand-mère ont tenu ce bar et j’en suis aujourd’hui la patronne. O : Comment avez-vous vu évoluer ce territoire, depuis 1969 ? I : Oh ça a bien changé ! Et pas qu’en bien ! Je suis né pendant les travaux de l’aéroport, ils disaient que Orly et le Bourget n’étaient plus dans la capacité d’accueillir plus d’avions. Ils ont trouvé des terrains agricoles, ça n’a pas manqué, ils ont fait un aéroport dessus. Ah ça je peux vous le dire, mes parents ont manifesté contre ça ! Y’a eu beaucoup de mouvements de protestation, mais qu’est ce que vous voulez ! Une majorité de paysans face aux aménageurs de la région, qui c’est qui gagne ? Il suffit de tendre l’oreille pour le savoir ! Ils l’ont inauguré en 1974, si je me souviens bien, mais ça a bien changé depuis. Avant, il n’y avait qu’un seul terminal, c’est sur il était impressionant pour l’époque, tout en rond comme ça ! Et forcément, on arrête pas le progrès, alors il y’en a eu d’autres. Mais après, ça a eu un effet à double tranchant pour nous si vous voulez. D’un côté, on gagnait une clientèle, mais de l’autre, on a vite appris ce que c’était qu’un avion. Et encore, pendant ma jeunesse, on les entendait peu, on en voyait quelques-uns dans la journée, mais ce n’était pas dramatique. Mais plus ça allait, plus on a compris qu’on allait en avoir continuellement. C’est devenu une usine Charles de Gaulle. Après j’ai entendu Mehdi tout à l’heure, je suis d’accord sur le fait que ça ramène de l’emploi et c’est tant mieux pour l’économie. Mais c’est infernal maintenant, surtout l’été. Comme tous les gens partent en vacances, on a le droit à un ballet aérien incessant, et imaginez même pas profiter de votre terrasse dans ces conditions ! Après on finit par s’y habituer, c’est comme tout. Là dans le restaurant, on les entend à peine, mais c’est sur que ça reste contraignant pour certaines choses. O : Avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : Oh ça bouge bien en ce moment ! Mais pas pour nous ! Il y’a d’abord le Grand Paris Express, alors ça on en a entendu parler, ça rouspète pas mal de l’autre côté parce qu’ils vont retarder la ligne 17 ! De notre côté par contre, je doute très sincèrement qu’une gare s’implantera au Mesnil. Déjà qu’ils galèrent à faire venir le supermétro jusqu’à l’aéroport, alors nous on va

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l’attendre longtemps ! Le plus triste dans l’histoire, c’est qu’ils voulaient que ça soit prêt pour les JO ! Mais vu comment c’est parti, on est pas prêt de les voir les athlètes ! Après, pour ma part, ce qui m’inquiète le plus c’est quand même les projets du type Europacity qu’ils sont en train de nous faire dans le Val d’Oise. Tout fout le camp là-bas ! Regardez l’école d’aéronautique, vous saviez qu’ils voulaient l’implanter au Mesnil-Amelot avant ? Et bien ils ont changé l’implantation, ils ont finalement été la mettre au Bourget ! Et c’est pareil pour tout ! O : Qu’entendez-vous par «c’est pareil pour tout» ? I : Que c’est devenu complètement inégal d’un bout à l’autre de l’aéroport. Ils ont complètement modifié administrativement les choses, et encore au Mesnil-Amelot on est pas trop à plaindre, par rapport à d’autres communes à côté. La Métropole du Grand Paris n’est clairement pas une bonne chose pour nous, ça a eu un impact sur les subventions données à la mairie. Vous comprenez, l’aéroport est situé sur trois départements au final, sauf qu’il n’y avait que la SeineSaint-Denis qui faisait partie du Grand Paris avant. Sauf que maintenant, la métropole a son emprise sur nous, et ils polarisent tout au niveau du Val d’Oise et de la Seine-Saint-Denis ! On est comme l’arrière-cour de l’aéroport. Et qu’est ce que je me réjouis de l’annulation de Europacity, ça aurait été le coup de grâce pour tous les commercants de Seine-et-Marne, et certainement d’autres communes du Val d’Oise et de Seine-Saint-Denis. O : En quoi le projet Europacity aurait-il été une menace pour vous ? I : Parce qu’on en peut plus de la concurrence des grandes surfaces, tout simplement. Déjà, au niveau de Roissy, ils ont implanté y’a quelques années l’Aéroville, à l’entrée de l’aéroport. C’est un immense truc, il y’a je ne sais combien de commerces là-dedans ! Mais ça ne marche pas tant que ça, et ça nous porte tort ! La fréquentation a baissé par ici, pourquoi venir au Mesnil-Amelot, alors qu’on a tout en sortant de l’autoroute ! Et le pire dans l’histoire, c’est que ça a donné des idées à d’autres. Sur la commune de Saint-Mard, ils sont en train de lancer un projet de zone commerciale, en ce moment même ! C’est en train de tuer les commerces de centre-ville à vitesse grand V, et on va manifester contre cela, croyez-moi on va descendre dans la rue ! Faut que les élus et le gouvernement voient les choses après, comment ça évoluera après, parce que c’est seulement après que ça va faire mal. O : (Explication du projet de construction du terminal 4 à Catherine) Après ce que je vous ai raconté sur le terminal 4, pensez-vous que sa construction soit une bonne chose ? I : Ben je pense que ça sera une bonne chose pour certains, une mauvaise pour d’autres, et notamment pour nous. Ca va être la même histoire, il ne faut pas se leurrer. Ca va ramener un potentiel économique, mais ça va filer dans le Val d’Oise, ou en Seine-Saint-Denis ! Et on aura plus d’avions pour couronner le tout ! O : Finalement, comment voyez-vous le futur aux côtés d’une plateforme qui a besoin de place pour se développer, mais qui est tout de même incontournable de nos villes actuelles ? I : Très sincèrement, je pense à partir. Je sais pertinament que tout est joué d’avance, que le gouvernement a déjà prévu ses grands projets, grands projets qui mettront des années à venir et malheureusement le temps a déjà fait des dégâts sur Cri-Cri. La concurrence est devenue beaucoup trop forte, mes petits habitués ne me suffiront plus bientôt à faire marcher le restaurant. C’est triste au final de me dire que c’est cette concurrence qui me fait partir d’ici plutôt que le bruit des avions ! Mais là vraiment c’est allé trop loin. Fin de l’entretien

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Déplacement 3 : ville de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) Observations sur site : le lendemain, c’est au tour du dernier département hôte de l’aéroport d’être visité. La commune de Tremblay-en-France fonctionne comme Goussainville. Au Nord de l’autoroute A104 sont implantés le village historique, les grandes parcelles agricoles et les sites de projet du Grand Paris. Au Sud de l’autoroute se prolongent sans fin plusieurs kilomètres de tissu pavillonnaire et les services et équipements municipaux. ENTRETIEN 8 : type : entretien court (15 minutes) contexte : rencontre sur le parvis de l’église Profil : Mylène, 36 ans, habitante de Tremblay-en-France, va rendre visite à un ami. O : Depuis combien de temps vivez-vous à côté de l’aéroport ? Quelles ont été les raisons de votre installation à ses abords ? I : Ca va faire 5 ans maintenant qu’on est ici ! Avant on était sur Aulnay, mais mon mari travaille à l’aéroport maintenant, donc on a préféré déménager ici, pour être plus près et éviter de perdre du temps dans les bouchons. C’était le meilleur compromis entre mon poste à Aulnay et la mutation de mon mari. O : Comment avez-vous adapté vos habitudes de vie par rapport à l’activité aéroportuaire ? I : Vu qu’on est au Sud de l’aéroport, on entend moins les avions que des personnes à Roissy ou au Mesnil-Amelot. Bon là on les entend quand même parce qu’on est dehors, mais par rapport à notre ancien appartement à Aulnay, on a clairement pas ressenti de grande différence. Après on est beaucoup plus dépendant de la voiture qu’avant, ça je dois l’admettre. On est assez mal desservi par les transports pour le moment, mais on fait toujours plus d’économie qu’avant en termes de carburant. On reste à côté de tout, là en même pas 5 minutes vous êtes à l’Aeroville, et vous avez tout ce que vous voulez. Mon mari s’arrête faire les courses en rentrant, c’est à 5 minutes de son travail et 5 minutes de la maison, donc c’est parfait ! Pour dépanner après, on a la petite supérette, mais sinon c’est vrai qu’il y’a peu de petits commerces à Tremblay village. O : Comment avez-vous vu évoluer ce territoire, depuis 5 ans ? I : Le changement on l’a pas trop vu dans le village, par contre là où ça bouge c’est quand on prend la route de Villepinte, là y’a des grues depuis un ou deux ans maintenant. Je crois qu’ils construisent une grande zone d’entreprises, un immense truc. Mais ça se construit de partout après, l’aéroport attire du monde. O : Le projet que vous décrivez est la zone d’activité Aérolians. Hormis cela, avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : Ben juste à côté de Aérolians, ils veulent faire une salle de concert. Enfin on ne sait pas trop si ça se fera ou non, je crois avoir lu que la région ou l’état ne veut pas avancer de subventions tant que ce n’est pas déclaré officiellement comme équipement pour les JO. Mais c’est bien, avec ça et toutes les entreprises qu’ils vont créer, ça va ramener du monde dans le 93. C’est bien pour l’économie ! Sinon comme autres projets, on a entendu parler du Grand Paris Express, il passera à côté du Parc des Expos, à Villepinte. Quand on va à Aulnay, on voit aussi le chantier, à côté de la Cité de l’Europe. Au quotidien, ça ne va pas nous changer la vie, mais ça sera plus pratique pour aller à Paris, les rares fois où on y va. Mais je crois qu’on est pas prêt de l’avoir encore, ils ont décalé à 2027 ou 2030 !

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O : (Explication du projet de construction du terminal 4 à Mylène) Après ce que je vous ai raconté sur le terminal 4, pensez-vous que sa construction soit une bonne chose ? I : Bien sûr ! Il y’a tellement de chômage dans le département que plus y’aura de l’emploi, mieux ce sera ! Franchement qu’on entende un avion toutes les 30 secondes au lieu de toutes les 45 secondes, ça va strictement rien changer. Après c’est vrai qu’on est sûrement pas les mieux placés pour parler de ça puisqu’on est moins exposé que d’autres. Vous irez leur demander aux habitants de Roissy ou même du Mesnil pour voir ce qu’ils en pensent ! O : (Explication du projet Europacity à Mylène) Après ce que je vous ai raconté sur Europacity, que pensez-vous de l’annulation de la création de la ZAC du Triangle de Gonesse ? I : Ben c’est dommage pour eux, ça aurait pu être génial d’avoir un truc de loisirs à 10 minutes de la maison ! Qu’est ce qui a fait que ça a été annulé ? (Explications des raisons de l’annulation) I : D’un point de vue écologique, je leur donne raison. Après on ne peut pas faire de fumée sans feu. Du moment que ça crée des emplois et que ça booste un peu l’économie, je ne comprends pas pourquoi c’est une mauvaise chose ! Toutes ces entreprises qui s’installent à côté de chez nous, à Aerolians, ça va faire un bien fou à l’économie du 93. Y’a des gens qui s’installeront à Tremblay, ça va redonner un peu plus de vie aussi ... Mais encore une fois, je comprends que ça dérange des gens. Nous on s’est installé y’a à peine 5 ans ici. Mais s’il y’a des gens qui vivent depuis des dizaines d’années et que, du jour au lendemain, ils voient arriver des bulldozers, pas sur que l’économie du 93 ils en aient quelque chose à faire à ce moment-là ! O : Finalement, comment voyez-vous le futur aux côtés d’une plateforme qui a besoin de place pour se développer, mais qui est tout de même incontournable de nos villes actuelles ? I : Ben avec tous ces beaux projets, ça ne pourra qu’être beau n’est-ce-pas ? On a notre quotidien, on roule pas sur l’or non plus, mais le principal c’est qu’on puisse payer le loyer et vivre correctement. Je dois y aller, bonne journée à vous ! Fin de l’entretien ENTRETIEN 9 : type : entretien court (10 minutes) contexte : rencontre sur la route Profil : Pierre et Sarah, 29 et 28 ans, jeunes rencontrés sur la parvis de l’église de Tremblay-enFrance. O : Vivez-vous à Tremblay-en-France ? I : Non on n’y vit pas ! Pas encore du moins ! O : Vous songez habiter dans les parages ? I : En fait Sarah a trouvé un travail dans une entreprise à côté de l’aéroport, à 5 minutes d’ici. Du coup, on a pris un week-end pour venir voir les possibilités de vivre ici. I2 : Faut dire que ça nous faisait un peu peur, l’idée de vivre à côté de l’aéroport, surtout par rapport au bruit des avions. Au final ça fait une petite demi-heure qu’on est là, et je dois avouer qu’on les entend quand même un peu. J’ai peur de ne pas m’y habituer totalement.

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I : Après, on va en discuter, mais c’est vrai qu’habiter à proximité de son lieu de travail c’est quand même un avantage. Le matin, t’as pas les bouchons, tu peux partir dix minutes avant d’embaucher. Et l’avantage c’est qu’il y’a du boulot. T’as eu la chance de trouver assez rapidement, pour ma part je finis en Juin mes études, et après je chercherai un taff dans les environs, si on décide de s’installer ici. O : Vous êtes originaires de quel coin ? I : On habite actuellement à Chelles, dans le 77 (Seine-et-Marne). O : Avez-vous eu connaissance des différents projets architecturaux et urbains en cours au sein du territoire ? Si oui, lesquels ? I : On est au courant du Grand Paris Express, on avait regardé sur internet pour voir comment Tremblay était desservie, et on a vu que le GPE passait pas loin, au Parc des Expositions. Donc ça nous a intéressé de suite, c’est cool de savoir qu’on pourra aller dans le centre de Paris en peu de temps. I2 : Oui l’avantage aussi de se rapprocher de Roissy c’est de ne pas forcément mettre un rein dans les loyers. Ca devient limite dingue les prix dans la capitale. I : C’est clair, et si on est pas forcé de trop utiliser la voiture, ça nous permettra d’économiser et de mettre un peu d’argent de côté, pour quelques années. O : (Explication du projet de construction du terminal 4 au couple) Après ce que je vous ai raconté sur le terminal 4, pensez-vous que sa construction soit une bonne chose ? I : C’est parfait ! Ca va créer plus d’emplois, je pense que le chômage touche autant le 93 (SeineSaint-Denis) que le 77 (Seine-et-Marne) donc ça sera forcément bon pour l’économie. I2 : Après j’espère que ça fera pas trop d’avions en plus, on est pas encore habitué ! O : (Explication du projet Europacity au couple) Après ce que je vous ai raconté sur Europacity, que pensez-vous de l’annulation de la création de la ZAC du Triangle de Gonesse ? I : On ne savait pas du tout ! Ben ça aurait été bien je trouve, ça aurait pu créer pas mal d’emplois. I2 : Après on peut comprendre les gens que ça dérange aussi, s’ils vivent là depuis super longtemps, c’est normal d’être chamboulé quand on a un truc qui pousse juste à côté de chez soi. On aurait pu aller au ski à 10 minutes de la maison aussi ! (rires) O : Ces différents projets n’auront pas d’influence sur votre futur choix de domicile ? I : Non je ne pense pas, après on va bien prendre le temps de la réflexion ! I2 : Oui voilà, excusez-nous on nous attend, bonne journée ! Fin de l’entretien

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L’aéroport est un outil de mobilité fascinant des villes actuelles. Symbole fort de la mondialisation, il fait partie de la liste des équipements structurant la fabrication des métropoles. Cependant, si notre oeil de voyageur voit l’aéroport comme un moyen de transiter de d’un point A à un point B, quand est-il de notre oeil d’architecte ? L’architecte voit le territoire dans lequel s’insert la plateforme aéroportuaire. Si certaines villes comme Denver ont leur aéroport international au milieu d’étendues désertes, d’autres se situent au coeur d’espaces habités et vécus quotidiennement par des milliers de personnes. C’est le cas de notre aéroport d’étude qui n’est autre que le premier aéroport français et dixième mondial en terme de passagers : l’aéroport Charles de Gaulle. Ce hub mondial est un des principaux pôles économiques de la région Ile-de-France. Situé au Nord-Est de la capitale, il s’insert dans le coeur de la Plaine de France, dans un maillage administratif et territorial des plus complexes. Son arrivée a entrainé la création d’une situation de coexistence, telle une symbiose entre deux êtres vivants d’espèce différente. Cependant, dès les premiers mouvements d’avion, la symbiose pris fin et une rupture violente entre l’aéroport et son territoire hôte s’est produite, matérialisée par le départ de centaines de personnes qui ont cédé une partie de leur vie au groupe Aéroports de Paris. Aujourd’hui, l’équilibre est rétabli entre l’aéroport et son territoire. Mais dans un contexte dominé par l’arrivée de compétitions internationales comme les Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été 2024, le territoire hôte de Charles de Gaulle attire les regards de la nouvelle Métropole du Grand Paris. Par son projet de super-métro, celle-ci va, sans le vouloir, contribuer à la fragilisation de la coexistence entre l’aéroport et le coeur de la Plaine de France. En plus d’une augmentation des nuisances sonores qui contribuent à la dégradation de la qualité de vie et de la santé des habitants, c’est la polarisation des activités économiques au niveau de l’axe autoroutier qui va contribuer à la création de zones de surintégration et de surexclusion. C’est le cas des communes de Seine-et-Marne qui sont victimes du phénomène d’exurbanisation et de l’offre commerciale outrancière du pôle économique à la frontière Val d’Oise - Seine-Saint-Denis. Grâce à une démarche alliant recherche documentaire, revue de presse et entretiens, nous avons pu voir qu’une situation de coexistence entre l’aéroport Charles de Gaulle et son territoire hôte sera certainement difficile à maintenir, dans un contexte de mondialisation qui pèse sur la vie des ruraux.


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