Normandises - Extrait

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Roger Jouet

Normandises Savoureuses expressions normandes traduites et commentées avec des dessins de

Miniac

En souvenir de mon ami Claude, qui connaissait si bien ces expressions normandes et les employait avec tant d’à-propos

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Avant-propos

Bien que je me sois toujours exprimé en français – du moins m’y suis-je efforcé ! – le patois normand a dès l’enfance fait partie de mon environnement familier. Mes parents, s’ils s’appliquaient à « bien parler » depuis qu’ils étaient devenus citadins – ils disaient « villois » – émaillaient constamment leurs propos de mots et d’expressions en pur normand, bien qu’ils fussent souvent persuadés du contraire. Ce sont eux qui, sans l’avoir recherché, m’ont donné le goût de notre vieux parler. Plus tard, la découverte de Louis Beuve, de Jean-Baptiste Pasturel, de Côtis-Capel et de quelques autres a renforcé mon amour de ce langage, tandis qu’André Dupont (en poésie A.-J. Desnouettes) m’associait indirectement, au cours de longs échanges aux archives départementales de la Manche, à la naissance du bulletin Parlers et traditions populaires de Normandie, aujourd’hui Le Viquet.

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Établi ensuite dans le Calvados, élu pendant trente-trois ans d’un canton rural, j’ai continué à fréquenter au quotidien des gens de tous états, pour lesquels bien souvent le normand n’était jamais loin. J’ai ainsi au fil des années entendu et noté bien des expressions qui m’apparaissaient comme autant de perles qu’il fallait sauver à tout prix de l’oubli dans lequel elles risquaient de sombrer. Ce sont elles que j’ai rassemblées ici, avec d’autres bien sûr, glanées chez les meilleurs auteurs. Je les ai choisies essentiellement pour leur saveur, leur couleur, leur force d’expression, leur originalité. Normandises - Savoureuses expressions normandes

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Je n’ai donc pas visé l’exhaustivité, mais plutôt le pittoresque et, dans toute la mesure du possible, les expressions spécifiquement normandes. Trop souvent en effet, on habille en patois normand des proverbes ou des maximes appartenant à toutes les provinces de France ; je n’ai sans doute pas totalement évité ce travers. Du moins ai-je tenté de le faire. Je ne suis ni philologue ni grammairien. Comme M. Jourdain qui disait « U » sans être conscient qu’il lui fallait rapprocher les dents sans les joindre entièrement, je « prêche patois » sans bien savoir si mon « i » perd sa mouillure à la finale ou non. J’ai donc transcrit les mots de façon à les rendre lisibles par un lecteur non spécialiste, sans toujours appliquer les règles élaborées depuis quelques décennies. Je m’en excuse auprès des puristes, qui me le reprocheront. Mais ni Rossel ni le Père Lemaître, ni même le grand Louis Beuve ne savaient analyser scientifiquement leur parler, et ils n’en ont pas moins rendu à la cause du normand des services éminents. Puisse cette modeste contribution, heureusement rehaussée des talentueux dessins de Miniac, redonner vie à quelques-unes de ces belles expressions normandes, à travers lesquelles s’exprimaient l’esprit sarcastique, l’humour, mais aussi la sagesse de nos anciens. R. J.

Avant-propos

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« Moussieu, c’est m’n amant » [C’est mon amoureux] (Chanson)

Les jeunes voisins se plaisent, et depuis quelque temps, ils ont échangé derrière la haie ce « gros baiser » dont parle la chanson. « Ils se hantent », c’est-à-dire qu’ils se voient fréquemment. Dès qu’ils se retrouvent seuls, « ils se liquent com’ une mouvette à bouillie ! » [Ils se lèchent comme on lèche le bâton avec lequel on tourne la bouillie]. Depuis longtemps déjà, ils s’apercevaient à la messe ou aux corvées, et la future ne semblait pas s’indigner des œillades qu’on lui lançait : « Laiterie ouverte rend l’cat friaund » [Laiterie ouverte rend le chat friand]. Il va falloir les marier.

Parfois, leur choix a été un peu suscité, pour aboutir à un cas de figure idéal : une union qui réunisse les terres en même temps que les cœurs ! J’ai entendu à un ami l’expression « un mariage d’un seul tenant », mais je crains qu’il ne l’ait inventée. Bien réelle en revanche est l’expression « Assemblli les barryires » [Rassembler les barrières]. La chose existe donc bien, et un maître paysan de mes amis me disait un jour : « Maître Untel, I’ n’a jamais voulu m’vendre sa grand’ pièche [pièce] ; j’lui aurais pourtant payée cher ; mais j’suis pu [plus] malin que lui, et mon gars a épousé sa fille. Comme cha, j’avons la pièche et elle ne m’a ryin [rien] coûté ! » Un mariage qui rassemble les barrières des champs, s’il fait des fermes prospères, ne fait pas toujours des unions heureuses. Un proverbe normand dit pourtant : « Ch’est pas avé la biauté d’s’âne qu’no va au moulin » « Moussieu, c’est m’n amant »

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[Ce n’est pas avec la beauté de son âne qu’on va au moulin]. Comprenons que la beauté, en l’occurrence celle de la mariée, ne permettra pas à elle seule de faire des achats ; mieux vaut donc qu’elle « ait du byin » [du bien], et qu’elle soit « d’guérie des "hélas" » [qu’elle n’ait pas lieu de se plaindre, financièrement]. Le mariage est une chose naturelle… « I’ n’faut pas pu parler d’amour aux jeunes gens que d’montrer d’la confiture ès éfants » [Il ne faut pas plus parler d’amour aux jeunes gens qu’il ne faut montrer de la confiture aux enfants]. Comprenons qu’ils ne demandent qu’à s’enflammer. D’ailleurs, « deux tisons font un meilleu feu [un meilleur feu] qu’un seul ! »

Et les hommes diront entre eux avec un sourire complice et une litote de bon aloi : « L’Bon Dieu n’nous a pas donné cha pour mesurer d’la fieu ! D’abord, cha n’s’rait pas c’mode ! » [Le Bon Dieu ne nous a pas donné ça pour mesurer de la farine. D’ailleurs, cela ne serait pas pratique !]

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Du futur mariage, on cause naturellement dans le pays, surtout à partir du moment où les fiancés « sont encagis ». Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de les emprisonner en attendant la noce. L’expression signifie seulement que les bans sont publiés et affichés dans le placard grillagé de la mairie, la « cage ». On dira aussi qu’ils « sont pendus à la mairie » ou qu’ils « se sont fait pendre » ! On commente naturellement le physique du futur couple. Si le garçon est d’une grande banalité, voire fort laid, mais travailleur, on dira à son sujet : « Biau qu’a tous ses membres » [Beau qui a tous ses membres]. Normandises - Savoureuses expressions normandes

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Expression pleine de bon sens qui signifie qu’un homme capable de travailler n’a pas besoin d’autres qualités physiques.

De la mariée qui n’apporte rien en biens, que sa bonne volonté, on dira de même : « Elle n’a que les dés d’sa main » [Elle n’a que les doigts de sa main, sous-entendu pour travailler]. Les plus méchants (ou les plus riches) diront : « Elle n’a qu’ses chinq dés pou’ s’gratter l’tchu ! » [Elle n’a que ses cinq doigts pour se gratter le cul !] D’une mariée plutôt laide, les plus charitables diront : « Elle est d’celles dont on ne dit ryin » [Elle est de celles dont on ne dit rien]. Cette formule pleine de tact n’augure pas d’un physique bien attirant ! De toute façon, il est toujours possible de rencontrer l’âme sœur complémentaire : « Il n’y a pas d’vieux caôdron qui n’trouve sa crémaillère » [Il n’y a pas de vieux chaudron qui ne trouve sa crémaillère] ou bien encore : « Tout fagot trouve son hart » [Tout fagot trouve son lien]. Si la mariée a déjà un certain âge, on dira : « Elle a failli rester su’ l’pot [sur le pot] ! » Mais on pourrait ajouter : « C’est dans les vieux pots qu’on fait la bonne soupe ».

Si le couple n’est guère reluisant moralement, on rappellera que : « L’auge est faite pour le cochon ! » « Moussieu, c’est m’n amant »

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Elle n’a qu’ses chinq dés…

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De toute façon, on n’a pas à juger, car « I’ n’est qu’sé à ses noches ! » [Il n’est que soi à ses noces]. Comprenons que chacun est maître de ses affaires et connaît seul ses motivations.

Dans Louis Beuve (L’Épicyire), on trouve l’expression suivante : « No dyit qu’ol épouose eun vrai sot : o s’mariera l’jou d’Saint’ Querreue ». Il y a là un jeu de mots sur « so’ » qui signifie « sot », mais aussi « soc de charrue », d’où la référence à cette sainte totalement imaginaire que serait sainte Querreue [charrue]. À propos de sots, on disait beaucoup autrefois que « le régiment » dégourdissait les garçons un peu simples. C’était sans doute vrai, quand le cas n’était pas trop grave, mais on disait aussi : « L’régiment est byin honnête ; i’ les rend com’ i’ les a pris » [Le régiment est bien honnête ; il les rend comme il les a pris], voulant dire par là que quand on y partait bêta, on revenait de même.

Mais revenons à nos amoureux. Si les parents ont décidé de faire une grande noce, même un peu au-dessus de leurs moyens, on dira ironiquement : « C’est la noche à Tout-écrase ». Ce « Tout-écrase » étant bien sûr un personnage à la fois fastueux et vaniteux.

Si la mariée arbore un beau sourire dès le matin, les plus coquins commenteront : « Elle en rit d’à c’sé » [Elle rit en pensant à ce qui va se passer ce soir]. 8

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