7 minute read
Fondation Beyeler
GOYA, DE LA PEINTURE DE COUR À LA LIBERTÉ ARTISTIQUE…
275 ans après sa naissance, Francisco de Goya se voit consacrer à la Fondation Beyeler une des plus importantes expositions jamais réalisées à ce jour. 70 tableaux et plus de 100 dessins et gravures projettent en pleine lumière une évidence : le maître espagnol est bel et bien un des précurseurs majeurs de l’art moderne. Et Sam Keller et ses équipes n’ont rien oublié : des œuvres maîtresses en provenance des grands musées européens et américains, mais aussi d’importantes collections privées côtoient d’autres œuvres plus confidentielles dont certaines n’avaient jamais quitté leur écrin originel. Une déambulation exceptionnelle vous attend à Riehen…
Advertisement
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828) occupe dans l’histoire de l’art européen une position paradoxale : il fut en effet un des derniers grands peintres de cour d’une part, mais fut également annonciateur de la figure de l’artiste moderne.
L’exposition chez Beyeler présente tout l’éventail des genres et des sujets de prédilection de Goya (du rococo au romantisme) et permet de mieux cerner la richesse formelle et thématique de son œuvre peinte, dessinée et gravée. Conçue de manière chronologique, elle réunit des tableaux de représentation grand format tout comme des pages de carnets de croquis, mettant l’accent sur l’œuvre tardive de l’artiste. Aux cimaises sont évidemment accrochées les toiles du peintre de cour qu’il fut, réalisées pour le compte de la maison royale, de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Mais y figurent également (et surtout) des œuvres d’univers picturaux énigmatiques et inquiétants, son œuvre sacrée comme son œuvre profane, ses représentations du Christ et de sorcières, ses portraits et ses peintures d’histoire, ses natures mortes et ses scènes de genre. Dans ce domaine, on peut découvrir des œuvres que Goya crée dans un espace de liberté artistique conquis à la force de sa volonté et de son talent, et parmi elles des peintures de cabinet souvent réservées à un cercle intime. Dans l’histoire de l’art européen, Goya est l’un des premiers artistes qui s’élève avec une opiniâtreté rebelle contre les dogmes et les règles qui entravent la création artistique, plaidant au contraire pour l’impulsivité et l’inventivité de l’artiste.
TEMPS FORTS ET RARETÉS…
Aux côtés des temps forts de l’accrochage (le portrait de la duchesse d’Albe [1795] et l’emblématique Maja vêtue [La maja vestida, 1800–1807], tout comme deux tableaux rarement exposés en provenance de collections privées européennes, Maja et Célestine au balcon et Majas au balcon, que Goya peint entre 1808 et 1812), on peut admirer des peintures de genre de petit format détenues pour la plupart dans des collections privées espagnoles et à ce jour rarement montrées hors d’Espagne. Dans ces tableaux, Goya – de même que dans ses dessins et ses gravures – donne libre cours à ses inspirations intimes. Pour la première fois depuis son unique présentation à ce jour au Museo Nacional del Prado, le public pourra ainsi découvrir à la Fondation Beyeler la série complète de huit peintures d’histoire et de genre qui nous sont parvenues de la collection madrilène du marquis de la Romana. Elles seront accompagnées des quatre célèbres panneaux dépeignant des scènes de genre de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando à Madrid, prêts d’une grande rareté. Parmi les décors récurrents de ces scènes figurent les marchés et les arènes, les prisons et les institutions ecclésiastiques, les asiles de fous et les
El Aqualerre (Le Sabbat des sorcières), 1798
Hospital del Apestados (L’Hôpital de la peste), 1810
tribunaux de l’Inquisition. Les sorcières constituent également un motif majeur, par lequel Goya illustre la superstition de son temps.
Outre un remarquable et superbe groupe de gravures des Désastres de la guerre (Los desastres de la guerra, 1811–1814), l’exposition présente une sélection de planches de la série des Caprices (Los caprichos) parue en 1799, parmi elles la célèbre gravure n°43 au titre éloquent Le Sommeil de la raison enfante des monstres, qui reflète le constat résigné de Goya : ni la raison ni l’ironie et le sarcasme ne peuvent lutter contre la déraison.
LA QUINTA DEL SORDO, UN FILM RARE À NE PAS RATER
Tout comme elle le fit en 2020 pour l’exposition Edgar Hopper, pour laquelle Wim Wenders tourna en 3D un somptueux court métrage seulement visible durant l’expo, la Fondation Beyeler a confié à l’artiste plasticien Philippe Parreno le soin d’évoquer par l’image les célébrissimes quatorze peintures murales à l’huile – connues sous le nom de « peintures noires » en raison de leurs couleurs sombres – dans deux des pièces de la maison de campagne que l’artiste avait rénovée et agrandie et dans lesquelles les principaux thèmes de son œuvre trouvent leur expression critique finale sous une forme monumentale. Les peintures murales de Goya, réalisées entre 1819 et 1824, n’ont été découvertes que post-mortem. Lorsque le baron Émile d’Erlanger a acquis la maison en 1873, il a transféré les peintures sur toile et en a ensuite fait don à l’État espagnol. Depuis 1889, ces chefs-d’œuvre visionnaires sont exposés au Museo Nacional del Prado à Madrid dont elles ne sortent jamais, en raison de leur extrême fragilité.
Le film de Parreno permet au public de voyager dans le temps et de découvrir les Pinturas negras dans leur cadre original. Lors du tournage au Prado, l’artiste a pu capturer les peintures de très près, avec un souci du détail incroyable, et créer ainsi une proximité et une intimité uniques entre les peintures et l’observateur, où chaque détail et chaque coup de pinceau sont visibles. Lors des tournages, Parreno a créé une ambiance lumineuse qui imite la lumière des bougies et d’une cheminée ouverte, créant une atmosphère similaire à celle dans laquelle les peintures étaient probablement vues à l’époque. L’espace prend vie avec le grincement des planches, le crépitement de la cheminée, le bruit du vent dans les arbres ou le tintement des cloches de l’église au loin. Les sons et la lumière changent également en fonction de l’heure de la journée. La synthèse granulaire permet de créer un changement permanent du son, générant ainsi une acoustique globale qui n’est jamais la même.
Ce remarquable film est un des points forts de l’exposition GOYA à Bâle, à découvrir jusqu’au 23 janvier prochain. a
CLOSE-UP
NEUF ARTISTES FEMMES EN MAJESTÉ !
Toujours chez Beyeler, l’exposition CLOSE-UP met à l’honneur neuf artistes femmes dont l’œuvre occupe une position éminente dans l’histoire de l’art moderne de 1870 à nos jours. L’exposition s’intéresse au regard particulier que posent les artistes sur l’environnement qui leur est propre, tel qu’il s’exprime dans les portraits et les représentations qu’elles créent d’elles-mêmes. Cette juxtaposition permet de découvrir comment le regard des artistes sur leurs sujets a évolué entre 1870 et aujourd’hui, ce qui s’y reflète et ce qui le caractérise. Remarquable exposition.
Frida Kahlo, Autorretrato con traje de terciopelo, 1926
Marlène Dumas, Teeth
B erthe Morisot, Mary Cassatt, Paula Modersohn-Becker, Lotte Laserstein, Frida Kahlo, Alice Neel, Marlene Dumas, Cindy Sherman et Elizabeth Peyton : pour ces neuf femmes, développer une activité artistique professionnelle sur une large base est soudain devenu possible, pour certaines dès les années 1870.
C’est aussi l’époque à laquelle la notion du portrait fait l’objet d’une mutation profonde, qui s’accompagne d’une réévaluation radicale de la notion d’individu. Tout comme l’impressionnisme avait engagé la transformation du portrait classique, le début du xxe siècle leur permit de se détacher de toute notion de ressemblance. Le portrait est ainsi devenu une forme d’expression permettant d’explorer de nouvelles conceptions de subjectivité et de nouvelles possibilités de représentation.
Les artistes figurant dans l’exposition illustrent cette évolution de manière exemplaire. Sans que l’exposition constitue à proprement parler une histoire du portrait depuis les débuts de l’art moderne, chacune des artistes présente avec son œuvre une forme spécifique du portrait qui s’ancre dans et émane de son époque.
Des « impressionnistes » Berthe Morisot et Mary Cassatt aux plus « contemporaines » Marlène Dumas, Cindy Sherman et autres Elizabeth Peyton en passant par la toujours iconoclaste Frida Kahlo, CLOSE-UP ouvre des perspectives inédites sur l’histoire du portrait et les trajectoires des artistes présentées. Avec une centaine de prêts en provenance de musées internationaux et de collections privées en Europe, aux États-Unis et au Mexique, quelle belle idée d’avoir imaginé une telle exposition !... a
FONDATION BEYELER
Baselstrasse 101 – Riehen / Bâle Riehen est une petite commune limitrophe de Bâle facilement accessible en tram (20 mn) depuis la gare ferroviaire SBB de Bâle. Lignes 1 + 8
Horaires d’ouverture Du lundi au dimanche de 10h à 18h – le mercredi jusqu’à 20h Ouvert tous les jours de l’année, y compris jours fériés
Tarifs Expos GOYA + CLOSE-UP : Plein tarif : 30 CHF – Tarif réduit : 25 CHF Gratuit pour les moins de 25 ans
Billetterie en ligne (recommandée) www.fondationbeyeler.ch