5 minute read

Côté usagers

La FNAUT est la principale association nationale qui défend les usagers des transports. Elle fédère près de 160 associations sur le territoire. Ancien magistrat et fils de cheminot, le président de la FNAUT Grand Est, François Giordani, impliqué très tôt sur le dossier du REME, commente la saga qui a conduit au fiasco de décembre dernier…

Dès 2016, vous avez été impliqué sur ces problématiques d’évolution du TER Alsace…

Advertisement

En quelque sorte, oui. C’est en effet en 2016 qu’au sein d’une de nos associations, ASTUS, implantée à Strasbourg, nous avions participé aux travaux d’un étudiant en géographie qui avait entrepris une étude de faisabilité d’un projet tel que celui du REME. On y proposait même trois lignes traversantes, telles que celle de la seule ligne traversante du projet REME, Saverne-Sélestat. Assez rapidement ensuite, on a su que la Région Grand Est et l’Eurométropole de Strasbourg s’était mises d’accord pour faire naître le REME. Nous avons été ravis d’être associés à ce projet. Mais dès novembre 2021, nous avons commencé à déchanter quand on a pu constater que la SNCF avait du mal à respecter ses horaires. Les retards qui existaient déjà auparavant se sont aggravés, un plan de transport adapté a d’ailleurs été mis en place de janvier à juillet de l’an passé, mais il n’a jamais été vraiment respecté, les suppressions intempestives s’accumulant, pour toutes sortes de motifs, tous expliqués très technocratiquement : manque de personnels suite au Covid, manque de matériels suite au Covid là aussi, des pièces dont la SNCF avait du mal à s’approvisionner. On a même eu droit, toujours à cause du Covid, à des trains qui heurtaient de plus en plus les animaux, eux-mêmes de mois en moins chassés en raison des suites de la pandémie, nous disait-on sans rire. Puis il y a eu les difficultés d’embauche, suite au changement de statut en 2018… Bref, dès le début de l’automne dernier, on a été amené à faire part de nos craintes concernant le lancement du REME, lors de plusieurs conférences de presse. Je ne vous raconte même pas certains mails qu’on a reçus alors : « vous êtes aigris, vous êtes des mauvais coucheurs… ». Jusqu’au bout, en novembre dernier, Mme Dommange, la directrice du TER Grand Est, a soutenu que la SNCF ne raterait pas ce rendez-vous. M. Philipps, le vice-président de la Région en charge du dossier nous a même appris avoir reçu une lettre officielle allant dans ce sens. Apparemment, tant la Région que l’Eurométropole ont cru la SNCF sur parole, mais nous qui les fréquentions depuis longtemps, on ne leur a fait que très moyennement confiance.

On a donc tout fait pour attirer l’attention des décideurs sur ce risque de carence de l’opérateur national. On avait prévenu…

Et dès l’ouverture du REME le 11 décembre dernier, vous avez été amené à constater nombre de graves défaillances…

Oui, c’est exact. Dès le lundi matin du 12 décembre dernier, nous étions en place un peu partout dans les gares du réseau REME. Notre première surprise a été de constater qu’il n’y avait pas une seule information sur la présence du REME à disposition du public. Rien sur l’ensemble des panneaux électroniques des gares et des quais. Le REME, connais pas ! Personnellement, j’étais en gare de Geispolsheim. Des gens qui se rendaient à leur travail à Vendenheim ont appris par ma bouche qu’ils pouvaient désormais rester dans le même train pour se rendre à la gare de Vendenheim. Aucune information, pas la moindre communication !

Dès la fin de l’après-midi de ce même lundi, tout a commencé à dérailler, sans jeu de mots. Et tout s’est amplifié, de jour en jour. Ce qui a amené la SNCF à mettre en place leur fameux plan de transport adapté pour les quinze jours de vacances de Noël, sur la base d’une offre diminuée d’un quart. Ce plan a été prolongé par un deuxième plan du même type dès le 3 janvier, avec, notamment sur la ligne de Molsheim, une suppression de la moitié des omnibus. À notre énième demande d’explications, l’opérateur national a sorti une nouveauté jamais entendue jusqu’alors : il n’avait pas anticipé les difficultés d’exploitation en gare de Strasbourg. Notamment un argument assez stupéfiant : les trains allaient plus souvent faire le plein en gare basse et devaient donc de façon plus nombreuse « cisailler » les voies pour ravitailler. Occasionnant ainsi des perturbations plus nombreuses elles aussi sur le trafic entrant et sortant de la gare de Strasbourg. Apparemment, personne n’avait anticipé le fait que si on utilisait beaucoup plus de trains, il y aurait automatiquement beaucoup plus de mouvements pour qu’ils se ravitaillent ! Pour éviter de commenter de façon excessive ce sujet, je voudrais dire qu’à la lecture du dernier plan en 46 points transmis par Mme Dommange, il n’était pas la peine d’être un expert pour s’apercevoir que la quasi-totalité de ces points aurait largement pu être anticipée bien en amont. Il y a quand même assez d’ingénieurs des Mines ou de Polytechnique à la SNCF pour gérer tout ça, non ?

Au fond, que nous dit ce fiasco ?

Il nous dit d’abord, à mon avis, que les élus de la Région et de l’Eurométropole ont voulu à tout prix que le REME démarre très vite et que ça marche. En fait, les techniciens de la Région Grand Est nous avaient d’ailleurs fait part de leur pessimisme sur la mise en place des fameux 800 trains supplémentaires chaque semaine.

Ce fiasco nous dit aussi que la SNCF s’est peut-être retrouvée coincée par la proximité de l’ouverture de certaines lignes à la concurrence (ces lignes concernent la vallée de la Bruche et le transfrontalier vers Offenbourg – ndlr). Ce n’était peutêtre pas le moment pour elle d’avouer qu’elle ne pouvait pas tenir ses engagements… Ce fiasco révèle aussi des carences flagrantes en termes d’organisation, ce qui nous fait nous demander s’il n’y a pas partout à la SNCF un savoir-faire et beaucoup de compétences qui se seraient perdus durant toutes ces dernières décennies… Enfin, ce que nous vivons chez nous, en Alsace, avec cette triste expérience fournit une preuve éclatante qui en dit long sur ce qui s’est passé depuis très longtemps maintenant : les réseaux régionaux ont été délaissés par la SNCF, on a tout mis sur le TGV. Il aurait fallu équilibrer un peu plus les investissements…

Sous la pression de la Région, la remise en circulation des omnibus a été exigée. Ça vient de se passer à Limersheim où ne s’arrêtait plus le seul train du début de matinée que les lycéens et les gens qui allaient bosser pouvaient prendre !

On est très au fait de tous ces manquements. Dès le début décembre, on a mis en service avec l’aide d’un informaticien un logiciel qui nous permet d’accéder à toutes les open datas (les sources d’information ouvertes au public – ndlr) de la SNCF. On recense ainsi en temps quasi réel toutes les suppressions, mais aussi les retards de moins de quinze minutes ainsi que ceux de moins de trente minutes, y compris sur les lignes de l’étoile ferroviaire de Strasbourg non concernées par le REME. Ce tableur est désormais actualisé chaque soir.

Et au niveau des usagers, comment se manifestent-ils ?

Inutile de vous dire qu’ils sont très remontés. Depuis que je suis devenu président de la FNAUT Grand Est en 2017, on n’avait jamais eu autant de mails, SMS, courriers ou d’appels téléphoniques. Tout y passe, y compris les demandes portant sur les premières semaines de décembre janvier qui ne seront pas indemnisées dans le cadre de la réduction du montant des abonnements portant sur févriermars-avril. Si la SNCF refuse de prendre en charge les indemnités demandées pour les périodes de décembre-janvier, nous avons promis de saisir le médiateur des transports sur les demandes de ces usagers. Les situations que nous décrivent les gens sont quelquefois cauchemardesques. On ne compte plus ceux qui ont été licenciés à cause de leurs trop nombreux retards, les gens en rade sur les quais de gare et j’en passe…

Jamais je n’ai autant répondu à des demandes d’interview venant de la presse nationale et régionale. C’est assez incroyable… » c

This article is from: