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S ACTUALITÉ — LE CENTRE QUI RASSURE Cœur battant RECOR C

Sur trois étages, immédiatement voisin de la Clinique de l’Orangerie à laquelle il appartient et dont il dépend directement, le centre RECOR du 23 de l’Allée de la Robertsau affiche clairement sa nature juste sous son acronyme : Centre de réadaptation Cardiaque de l’Orangerie. Ici sont accueillis toutes celles et ceux qui ont été victimes d’un accident cardiaque et c’est une prise en charge diablement professionnelle qui les attend… es patients ont tous vécu, quelquefois très soudainement, un problème avec leur cœur. Cela va du rétrécissement d’une artère coronaire rapidement et efficacement « réglé » par la pose d’un stent (une intervention quasi routinière aujourd’hui) à l’opération à cœur ouvert des valves cardiaques en passant par un pontage plus ou moins compliqué. Quelquefois aussi, c’est l’infarctus qui s’est invité, brutal et redouté, et on y a survécu…

Dans tous les cas, il faut impérativement réapprendre à vivre avec les conséquences de la maladie, voire même prévenir d’autres épisodes pouvant s’avérer bien plus graves encore.

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C’est généralement le cardiologue ou le médecin traitant qui parlent les premiers de RECOR et qui invite le patient à pousser la porte du 23 de l’Allée de la Robertsau.

Après un check-up complet (dont un électrocardiogramme), le feu vert donné, chaque patient établit avec une cardiologue le début de son planning personnel. Vingt séances sont ensuite programmées (dix autres peuvent s’y ajouter, à l’issue du programme, si le patient en ressent la nécessité…)

Un Programme Tr S Tudi

Trois étages donc, et autant de modules invariables, chacun s’étalant sur 45 minutes soit le matin soit l’après-midi.

Les deux premiers sont affaire de condition physique. Les 45 premières minutes se passent sur un vélo ou un tapis de marche (il existe même un rameur). Sous surveillance constante par monitoring, on y travaille l’endurance et la cardio en respectant scrupuleusement les programmations fixées, surveillés par un staff de trois infirmières spécialisées en permanence sur place.

Un quart d’heure de récupération et de détente puis on entame ensuite 45 minutes de gymnastique. Six patients par groupe sont pris en charge par un des deux enseignants en éducation physique adaptée. Tout le corps est peu à peu sollicité, le thorax, les bras, les jambes, les articulations par le biais d’exercices collectifs rythmés par une discrète musique entraînante. Les trois quarts d’heure se concluent immuablement par l’incontournable séance d’étirements qui évite les courbatures du lendemain. Bien sûr, dans cet atelier, les enseignants respectent le rythme et l’âge de chacun…

La demi-journée se termine par un atelier aux thématiques très variées dit « d’éducation thérapeutique » : animé par des praticiens spécialistes, on y parle de diététique, d’équilibre alimentaire, de gestion du stress, de relaxation, de bonnes pratiques en matière d’activité physique, etc. sans oublier une information complète sur les types de médicaments assez nombreux lors de la prise en charge de ces pathologies.

Le programme RECOR est bien sûr entièrement pris en charge par l’Assurance Maladie ; mieux même, si le patient en ressent le besoin et en manifeste un intérêt évident, vingt autres séances peuvent automatiquement se mettre en place lors de chaque année civile. S

Ce consultant-formateur spécialisé en intelligence collective vient de passer le cap de la soixantaine. L’été dernier, il a réalisé une performance assez rare avec sa grande traversée des Alpes qu’il avait prévu de réaliser en 2020… juste avant que son cardiologue ne décèle ses problèmes cardiaques. Il raconte…

« J e pratique la randonnée depuis pas mal de temps » évoque Gilles. D’ailleurs, un an avant la grande traversée des Alpes telle qu’elle était prévue initialement, j’avais effectué la traversée des Vosges, de Wissembourg jusqu’à Thann, soit 410 kilomètres environ.

Pour me préparer, je marchais quasiment chaque week-end et je me sentais toujours bien en rando. Depuis une dizaine d’années, j’avais rectifié de moimême pas mal de choses concernant ma santé : arrêt du tabac, perte de poids, une quinzaine de kilos, quand même. Bref, je me sentais donc parfaitement capable de relever ce défi un peu fou de traverser les Alpes du nord au sud. Et comme j’avais décidé de dormir en refuge, j’avais déjà tracé mon parcours, effectué mes trente réservations et je me préparais donc en prévision de cette rando d’exception.

Ma fille aînée, Mathilde, est hématologue-réanimatrice et, dans les mois précédents, elle m’a pris littéralement le chou : « Papa, tu ne vas quand même pas te lancer dans ce projet sans aller voir un toubib… » Elle a insisté si fort que j’ai fini par prendre un rendez-vous avec un généraliste, le premier depuis des années ! Il constate un peu d’hypertension, il m’ausculte et finit par me dire : « Bon, ce serait quand même bien de voir un cardiologue… »

À l’examen, ce dernier souhaite que je fasse un test d’effort un peu plus poussé, accompagné d’une coronarographie exploratoire. Nous sommes alors en mars, cinq mois avant le départ prévu de la traversée et le diagnostic tombe : rétrécissement coronaire, il faut poser deux stents, et rapidement de plus. Ce qui sera fait trois semaines plus tard, après que j’aie annulé ma rando. Je vous laisse le soin d’imaginer alors ma déception, elle a été énorme. Tellement passionné, j’ai quand même fait une toute petite rando de cinq kilomètres, fin avril, huit jours après l’intervention. Le dénivelé était ridicule, 150 mètres, et bien j’étais au bout de ma vie ! Ensuite, j’ai bossé normalement et, malgré tout, l’été suivant, j’ai quand même fait 550 kilomètres sur le chemin Stevenson et retour, dans le Massif Central, qui est assez connu (le film Antoinette dans les Cévennes a été en grande partie tourné sur ce chemin – ndlr), un circuit que j’avais suivi parce que c’était nettement plus plat que les Vosges et, a fortiori, les Alpes… »

Un an plus tard, Gilles Schacherer, obstiné, entamera donc la traversée des Alpes (lire l’encadré ci-contre).

DE PRÉCIEUX REPÈRES…

C’est son cardiologue qui attirera son attention sur le centre RECOR. Dès la pose des deux stents réalisée, le spécialiste avait insisté sur le fait que ce serait intelligent d’entamer une rééducation cardiaque. « Ce n’était pas un besoin absolu » se souvient Gilles Schacherer « mais comme je ne cessais de lui parler de mes projets de randos, il a jugé cela très pertinent. Donc, je me suis engagé dans ce parcours que j’ai réalisé en deux parties, avant la rando dans le Massif Central et juste après. Les deux premiers mois ont d’ailleurs servi en partie de préparation, même si aucun effort démentiel n’est bien sûr jamais demandé durant le programme RECOR. Ce programme m’a quand même beaucoup aidé, car il comporte aussi cette phase très intéressante de conseils et de recommandations concernant la diététique, l’hygiène de vie…

Pour la petite histoire, une fois le programme achevé, en octobre, mon cardio n’était toujours pas très chaud pour que je parte sur la traversée des Alpes. Du coup, je me suis inscrit dans une salle de sports où j’ai pas mal travaillé la cardio sur le tapis et le vélo. Je l’ai fait seul, mais en fait je me suis alors rendu compte que RECOR m’avait permis de prendre de précieux repères qui m’ont permis d’augmenter peu à peu l’intensité des efforts. Le tout, complété par les randos du week-end, m’a bien permis de retrouver ma forme d’auparavant. Puis de l’améliorer encore. En fait, je savais ce que je faisais. La rando de 550 km dans le Massif Central, c’était un cumul de 17 000 mètres de dénivelé positif. Je n’ai cependant jamais perdu de vue la traversée des Alpes, qui représentait la même distance, mais avec un cumul de 36 000 mètres de dénivelé… »

En se rappelant de son parcours dans le centre de l’Allée de la Robertsau, Gilles se souvient qu’il a eu le sentiment de gérer son ambition dans la transparence. « À mon arrivée à RECOR, j’ai tout de suite prévenu que mon objectif restait de réaliser avec succès cette traversée des Alpes. Mon cardio étant donc parfaitement au courant lui aussi, on a été trois à gérer cette situation. Avec lui, on s’était assez tôt fixé la date de mars 2022 pour qu’un nouveau test d’effort couplé avec une échographie simultanée vienne confirmer que je pouvais entreprendre ce projet sans souci. Ce qui fut fait avec, au terme, le feu vert espéré !

Un an après, le consultant dresse un bilan élogieux de RECOR. « En tout premier lieu » se souvient-il, « on te responsabilise en faisant appel à ton intelligence de la situation. L’idée de fond est de te permettre de prendre toi-même ta maladie en charge de façon très autonome. Ce point-là m’a paru déjà plus qu’intéressant, d’emblée. Le parcours brasse tout ce que tu dois prendre en compte : l’activité sportive, bien sûr, mais aussi toute la partie accompagnement sur tous les autres aspects de ton quotidien comme la gestion du stress, la qualité et la diversité de ton alimentation, la compréhension des médicaments par exemple… » S

La traversée des Alpes

« Un des grands voyages de ma vie ! »

Dix-sept mois après la pose de ses deux stents, Gilles Schacherer a donc bouclé cette fameuse traversée. « Je ne veux pas vous abreuver de chiffres » dit-il, « mais, pour faire court, le parcours c’est 595 km en 33 journées de marche, 35 570 mètres de dénivelé positif, 35 940 mètres de dénivelé négatif. Le tout représente 1 040 000 pas et tout ça pour descendre de 372 mètres, c’est-à-dire la différence d’altitude entre le lac Léman, au départ, et les plages de la Méditerranée à Menton, à l’arrivée. Faut être fêlé, non ? » rigole-t-il de façon tout à fait décomplexée…

« Tous les jours, tu te dis : mais pourquoi tu te fais mal comme ça ? Mais qu’est-ce que tu es venu foutre là ?

Pour simplifier, la première semaine tu en chies vraiment, parce que les Alpes, ça n’a vraiment rien à voir avec ce que je connaissais auparavant, comme les Vosges par exemple. Dans nos montagnes, il y a aussi des endroits raides à monter, mais c’est sur un kilomètre ou à peine plus. Là-bas, ça dure pendant huit kilomètres !

Quand tu te tapes les 1 200 mètres de dénivelé du Brévent qui se dresse d’un coup au-dessus de Chamonix, sous l’orage, tu surmontes un défi mental diabolique…

Cette première semaine est d’autant plus infernale que le GR accumule beaucoup, vraiment beaucoup de dénivelé, et ce, dès la première étape.

La deuxième semaine, physiquement tu t’es un peu habitué, mais c’est alors le mental qui te travaille. En permanence, tu te demandes vraiment le sens de ce que tu es en train de vivre.

Mais à partir de la troisième semaine, tu finis par trouver bien anormal de ne pas marcher. Et même durant les jours de repos, tu marches quand même un peu…

Sur la fin, dans le Mercantour, j’ai vraiment réalisé l’extrême difficulté de cette randonnée. On frôle en permanence la frontière italienne, ça monte vraiment très raide et on est en permanence dans les éboulis. Je me souviendrai longtemps de la vallée de la Roya, dévastée à l’automne 2021 par les gigantesques torrents d’eau et de boue. On découvre toujours des paysages de guerre, là-bas…

Et c’est le dernier jour, celui de l’arrivée à Menton. Tous les randonneurs au long cours te le diront, c’est le jour que tu n’as jamais cessé d’espérer atteindre depuis le début et pourtant, pour moi ça a été le jour le plus décevant. Bon, Menton, c’est mignon, mais voilà, tu retrouves de nouveau les bagnoles et tout le reste, tu vis un peu le syndrome de tout qui s’écroule autour de toi.

En fait, j’ai réalisé là un des grands voyages de ma vie. C’est un profond voyage en soi, bien sûr, mais aussi un voyage en plein cœur des problèmes du monde : en traversant les Alpes, tu es confronté à la sécheresse et pas qu’un peu, il y a plusieurs refuges où je n’ai pas pu prendre de douche, par exemple… Certains autres étaient même fermés, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire. Et dans certains lacs, il n’y avait plus d’eau…

Partout, la biodiversité est en grand danger, quand tu croises des gardes et que tu discutes un peu avec eux, ils te le confirment tristement. Tu entends aussi beaucoup parler de la gestion de la présence du loup et sa cohabitation avec la vie pastorale. C’est très compliqué. Je me suis fait attaquer par des bergers d’Anatolie, des chiens de berger qui ressemblent à des patous, mais qui sont beaucoup plus agressifs.

Et puis, tu te frottes aussi au problème du tourisme de masse, comme durant ces deux jours qui ont suivi mon étape à Chamonix, sur ce qui s’appelle le tour du Mont-Blanc. Ils sont en grappes, ça vient des USA, de Corée et ça arrive là par bus entiers. Au-dessus de toi il y a les hélicos qui, toute la journée, déposent les gens pour faire des courses en montagne. Et puis, durant les derniers kilomètres où tu longes quasiment en permanence la frontière italienne, tu réalises les problèmes de l’immigration : les migrants sont partout sur les quarante derniers kilomètres. Partout ! Les relais des passeurs et les planques abondent… »

Revenant a posteriori sur « ce coup de bambou » que fut l’irruption de la maladie dans sa vie sans que jamais le moindre symptôme ne se soit présenté en amont, et fort de sa belle expérience l’été dernier, Gilles Schacherer confirme qu’il n’oublie cependant pas pour autant ce qui s’est passé en mars 2020, ne serait-ce que parce qu’il doit « prendre désormais un traitement médical chaque matin »…

« Mais je suis déjà en train de réfléchir où je vais aller marcher cet été. J’hésite entre la grande traversée des Pyrénées, c’est encore le cran au-dessus avec ses 800 km, mais là, comme je rentre du Maroc où j’ai fait un trek dans les déserts du grand sud, un guide m’a proposé la traversée de l’Atlas en dix-sept jours via deux sommets de 4000 mètres. Du coup, j’hésite… » avoue-t-il. »

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