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COLMAR H. S. N° 592
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préface
Si Colmar accueille chaque année plus de trois millions de visiteurs, c’est parce que la Ville dispose d’un patrimoine architectural exceptionnel, devenu l’un des moteurs du développement économique de la Cité. Notre engouement pour le patrimoine reflète un lot d’émotions sans cesse renouvelées. Tous ces lieux constituant notre mémoire sont autant de miroirs qui inspirent des sentiments d’appropriation et de respect. Les racines du passé nous permettent aussi de comprendre qui nous sommes. Ainsi, le Colmar médiéval (Koïfhus...) côtoie le Colmar de la Renaissance (maison Pfister, maison des Têtes, Corps de Garde...), le Colmar du XVIIIe siècle (lycée Bartholdi), mais sans jamais contrarier le Colmar du XIXe siècle (Théâtre municipal...) ni le Colmar plus contemporain. Tous ces « visages » colmariens sont baignés de la même lumière, la nuit venue, grâce à une politique d’illumination originale des édifices historiques. Bien sûr, ce vaste panorama se prête à merveille aux joies de la photo. Ce numéro hors-série en témoigne fort éloquemment. Le photographe a construit ses images comme des documents à valeur historique, sociale ou culturelle. Ce remarquable « focus » sur Colmar contribue à la permanence du savoir de ceux qui nous ont précédés. Le patrimoine colmarien, lui aussi, est toujours vivant car il ne peut être considéré comme une fin en soi. Il perdure, au contraire, dans l’attente des nouveaux apports qui viendront l’accroître et l’embellir au cours des siècles à venir. Son attente silencieuse exprime le sentiment que nous partageons tous, c’est-à-dire attester la présence du passé dans l’espérance du futur. La Ville de Colmar avait consacré son agenda 2006 aux richesses patrimoniales de la Cité. Aujourd’hui, « Connaissance des Arts » nous propose un regard sur Colmar, certes différent, mais toujours émerveillé par les beautés qui l’entourent. Comme si ces merveilles dévoilaient un art plus secret : l’art de vivre à Colmar.
En couverture : La maison Pfister édifiée en 1537 pour un marchand chapelier.
Gilbert Meyer, Maire de Colmar
Page de gauche : La maison des Têtes, construite en 1609 pour le marchand Anton Burger.
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sommaire
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Une cité au cœur de l’europe
entretien avec Jean-Marie Schmitt, directeur du développement culturel, Ville de Colmar
par JEAN-MICHEL CHARBONNIER
DÉCOUVRIR COLMAR
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Un haut lieu mystique
par Pantxika de Paepe, conservateur en chef du musée unterlinden
16
collégiale Saint-Martin
20 ÉGLISE Saint-Matthieu 22 Unterlinden : du COUVENT au musée 24 couvent des Dominicains 26
Martin Schongauer
28
Marchands, vignerons et artisans
par Francis LichtlÉ, archiviste de la Ville de colmar
30 Koïfhus (ancienne Douane) 32 ancien Corps de garde 34
Vins d’alsace
36
Pignons sur rue
44
quartier des Tanneurs
46
quartier de la poissonnerie
50 Hansi
52
au temps des Lumières
par Gabriel Braeuner, historien
56
Dans les soubresauts de l’histoire
58
auguste Bartholdi par Régis Hueber, conservateur du musée bartholdi
par Gabriel Braeuner
62 Une ville impériale 64
Plan : LES bâtiments remarquables
66 Guide pratique Sauf mention contraire, les photographies de ce numéro spécial ont été réalisées par Christophe Meyer. 4
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entretien
Une cité au cœur de l’Europe Entretien avec Jean-Marie Schmitt, directeur du Développement culturel, Ville de Colmar Si l’on en croit Voltaire, qui y séjourne dans les
se destinant à la carrière des armes. Les étudiants de
années 1750, Colmar serait une petite ville « tout à
cette Académie militaire venaient de l’Europe entière,
fait iroquoise ». En quoi est-elle si singulière ?
du Danemark et des pays du Saint Empire. Pfeffel
Il faut replacer cette phrase dans son contexte. Colmar
écrivait en français et en allemand, il assurait le lien
était alors le siège du Conseil souverain d’Alsace, une
entre l’esprit des Lumières et l’Aufklärung, son équiva-
juridiction constituée en parlement provincial. Voltaire
lent germanique.
s’y installa pendant plusieurs mois afin de consulter les très riches archives juridiques et historiques de la ville.
On a parfois utilisé le mot « rurbain » pour caractéri-
Il devait régler un différend avec le duc de Wur-
ser Colmar. L’expression convient-elle ?
temberg au sujet d’un vignoble qu’il possédait à
Colmar a longtemps conservé un caractère rural.
Riquewihr. Il préparait également un ouvrage sur
Joseph Rey, maire de Colmar de 1947 à 1977, en parlait
l’histoire du Saint Empire romain germanique. En
comme d’un « village avec un train ». Contrairement à
dehors des bibliothèques, le philosophe des Lumières
Mulhouse, Colmar a préservé son centre ville, ce qui a
découvrit une ville dévote, avec une importante popu-
favorisé l’essor touristique. Implantées en périphérie,
lation luthérienne. Le Magistrat, c’est-à-dire le gou-
les manufactures n’ont pas affecté sa physionomie. Elle
vernement de la Cité, était partagé entre catholiques
est restée blottie derrière ses remparts jusqu’à la
et protestants, situation tout à fait inhabituelle dans
Révolution et s’est timidement développée ensuite le
le royaume de France. Quelques décennies plus tard,
long de ses routes d’accès. Sous le Second Empire,
Colmar vivra les débuts de l’industrialisation. Dans les
l’arrivée du chemin de fer a modifié la donne. Dans
années 1780, la première manufacture d’impression
les années 1950-1960, suite au déclin de l’industrie
sur étoffe des frères Haussmann emploiera plus d’un
textile, de nouvelles entreprises ont émaillé le tissu
millier de personnes. C’est une région pionnière dans
urbain, quelques grands ensembles ont été construits
ce domaine. Sur le plan des idées, Colmar doit alors
dans les ZUP. Face au développement de Mul-
sa notoriété à Théophile Conrad Pfeffel (1736-1809).
house et de Strasbourg, il fallait avant tout garder
Ce poète et pédagogue, qui avait perdu la vue dans
la main-d’œuvre sur place. La municipalité a fait appel
sa jeunesse, créa une école pour jeunes gens bien nés
à des investisseurs étrangers, d’abord américains, puis
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par jean-michel charbonnier
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une cité au cœur de l’europe
japonais, et a pris conscience des atouts touristiques de
décida d’affecter le couvent d’Unterlinden à ce musée,
Colmar, qui comptait entre 50 000 et 60 000 habitants.
et fut élu président. Cette association gère toujours le
Située sur un axe rhénan très fréquenté, au cœur de
musée ; les locaux et le personnel sont municipaux. La
l’Europe, elle offrait un cadre idyllique, à proximité des
collection s’est étoffée grâce à différents legs. La biblio-
Vosges, dans une région de tradition vinicole et gastro-
thèque municipale de Colmar, aujourd’hui la plus riche
nomique. Une politique culturelle s’est progressivement
de France, doit également son fonds exceptionnel de
mise en place. Gilbert Meyer, le maire actuel, insiste sur
manuscrits et d’incunables aux saisies révolutionnaires.
ce point : on ne peut maintenir l’attractivité économique de Colmar qu’en préservant son potentiel culturel.
Colmar semble également avoir joué un rôle pionnier
L’extension du musée Unterlinden (un budget de plus
en matière de sauvegarde du patrimoine ?
de 40 millions avec les aménagements extérieurs)
La ville se distingue par le nombre élevé de monu-
marque une étape particulièrement importante.
ments classés ou inscrits à l’inventaire des Monuments historiques. Cette liste comporte des bâtiments
Ce musée, l’un des plus fréquentés en région, est
médiévaux, des édifices civils de la Renaissance,
géré par la Société Schongauer, une association à
des constructions de l’époque moderne, sans parler
but non lucratif fondée en 1847. Un statut pour le
des monuments de Bartholdi, auteur de la statue de
moins étonnant puisque Colmar n’a pas abrité de
la Liberté à New York. Il fallait mettre ce patrimoine en
grandes collections privées d’œuvres d’art au cours
valeur. Dans les années 1960, le centre ville était
des siècles passés...
devenu très vétuste. La loi Malraux sur les secteurs
Il n’y a effectivement pas de tradition de mécénat à
sauvegardés a permis la rénovation du quartier des
l’époque moderne. Au XVIIIe siècle, la ville était surtout
Tanneurs. Le quartier de la Poissonnerie a fait l’objet
réputée pour ses bibliothèques. La présence d’une
d’une campagne de restauration plus tardive et plus
collection aussi extraordinaire est due au hasard. Ses
raisonnée. De multiples interventions ont été effec-
richesses proviennent pour l’essentiel des confisca-
tuées dans le centre concernant aussi bien les façades,
tions révolutionnaires. Les abbayes bénédictines de
monuments classés, que le pavage des sols. Il faut
Haute-Alsace, qui comptent parmi les plus anciennes
mentionner aussi la création de la Médiathèque dans
d’Europe, détenaient de fabuleuses œuvres d’art qui
l’ancien hôpital du XVIIIe siècle et la réhabilitation de la
auraient dû être transférées à Paris après un simple
place voisine du 2 Février. La place Rapp, qui était un
transit à Colmar. Mais le Retable de Matthias Grüne-
infâme parking, a elle aussi été redynamisée.
wald et autres peintures de la commanderie des Antonins d’Issenheim sont restés dans le chef-lieu. Sous la
Quels sont les principaux axes de l’offre culturelle ?
monarchie de Juillet, divers membres de la nouvelle
Un musée d’Histoire naturelle a été créé. Le musée du
bourgeoisie d’affaires se sont associés à des ecclésias-
Jouet, géré par une association très dynamique, a
tiques et à des magistrats pour créer la Société Schon-
franchi en 2012 le cap des 70 000 visiteurs, ce qui en fait
gauer. Charles-Joseph Chappuis, le maire de l’époque,
l’un des plus fréquentés de France dans sa spécialité.
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grandes dates 823 Le nom latin de Colmar (Columbarium ou « colombier ») est mentionné pour la première fois dans un acte de donation de l’empereur Louis le Pieux, fils de Charlemagne. 1226 Colmar apparaît dans un texte comme une ville à part entière (civitatis). 1278 Charte de franchise octroyée à la ville par Rodolphe de Habsbourg. 1354 Colmar prend part à la création de la Décapole, fédération des dix villes impériales d’Alsace. 1360 Colmar est dotée par l’empereur Charles IV d’une nouvelle constitution qui consacre la victoire des bourgeois sur les nobles. 1480 Construction du bâtiment actuel de l’ancienne douane, ou Koïfhus.
1536 La guerre des Paysans crée des troubles à Colmar – où apparaissent les premiers sympathisants de la Réforme. 1575 Introduction tardive de la Réforme à Colmar.
militaire de Colmar par le poète et pédagogue Pfeffel. 1790 Colmar devient chef-lieu du département du Haut-Rhin. 1800 Colmar devient siège de la préfecture et de la Cour d’appel.
1635 Traité de Rueil plaçant Colmar sous la protection du roi de France.
1854 Une épidémie de choléra fait de nombreuses victimes.
1648 Traité de Munster en Westphalie : les Français quittent Colmar, dont l’immédiateté d’Empire est confirmée.
1871 Par le traité de Francfort, Colmar partage le sort de l’Alsace annexée à l’empire allemand.
1679 Traité de Nimègue : Colmar devient « ville royale française ».
1918 Le 18 novembre, les troupes françaises entrent dans Colmar en liesse.
1698 Installation du Conseil souverain d’Alsace à Colmar qui devient la capitale judiciaire de toute la province.
1945 Le 2 février, libération de la ville après les durs combats de la « poche de Colmar ».
1753 Voltaire séjourne pendant treize mois à Colmar. 1773 Création de l’Académie
Chronologie établie par Gabriel Braeuner
Premier monument public réalisé par Bartholdi, la statue du général Rapp, le plus populaire des Colmariens, a été présentée à l’Exposition Universelle de 1885 à Paris, puis exposée sur les Champs-Élysées, avant d’être transférée à Colmar.
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un musée du XXIe siècle À l’étroit dans l’ancien couvent des Dominicaines, le musée Unterlinden devait trouver des cimaises pour accrocher ses œuvres, une salle d’exposition à la mesure de ses ambitions et des infrastructures dignes d’un musée du XXIe siècle. Une occasion inespérée se présenta en 2003, lorsque le bâtiment des Bains municipaux, magnifique établissement dédié à l’hygiène et au sport, daté de 1906, ferma ses portes. Sa proximité avec le musée favorisa le projet. L’agence bâloise de Jacques Herzog et Pierre de Meuron s’imposa lors du concours international lancé en 2009. Le visiteur se rend dans ce musée de demain en passant par la place de la Sinn, puis par celle d’Unterlinden où coule la Sinnbach, petit canal dégagé pour l’occasion, où des gradins ont été aménagés. Dès l’entrée, il aperçoit le cloître délimité par les salles consacrées à l’art médiéval et à la Renaissance. Dans la chapelle de l’ancien couvent trône le fabuleux retable d’Issenheim. Archéologie, arts décoratifs, arts et traditions populaires, art du XIXe siècle sont présentés thématiquement sur les trois niveaux du bâtiment ancien. On accède aux nouvelles constructions et aux anciens bains de manière souterraine : trois grandes salles en enfilade creusées sous la place Unterlinden conduisent le visiteur vers l’art des XXe et XXIe siècles. Cette section ainsi que les réserves et la salle d’exposition temporaire sont abritées dans l’immense nef à quatre niveaux. En parfaite symétrie avec la chapelle du couvent, d’un volume proche, ouverte de baies ogivales au dessin résolument moderne, elle est habillée de briques et couverte de plaques de cuivre. L’ancien bassin accueille l’Office de tourisme de Colmar, au rez-de-chaussée, et une très grande salle événementielle à l’étage qui a conservé ses décors originaux en céramique et ses verrières zénithales. Pantxika de Paepe
Vue intérieure de la future extension du musée Unterlinden confiée à l’agence d’architecture Herzog & de Meuron.
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une cité au cœur de l’europe
Le musée Bartholdi a été agrandi et réaménagé, avec de
en avril-mai et un Festival consacré au jazz en septembre.
nouveaux espaces consacrés au Lion de Belfort et à la
La salle de musiques actuelles, le Grillen, a été agrandie
statue de la Liberté. L’offre théâtrale n’est pas négligeable.
récemment. Il faut également mentionner le Salon du Livre,
Le théâtre municipal, construit au XIXe siècle sous la
qui a lieu le dernier week-end de novembre et draine en
monarchie de Juillet, accueille la Comédie de l’Est qui a
deux jours quelque 30 000 visiteurs. Dans les prochaines
obtenu récemment le classement en Centre dramatique
années, la bibliothèque devrait accueillir un Centre euro-
national d’Alsace. Autre particularité locale : l’Opéra natio-
péen du livre ancien. Ce sera le prochain chantier après
nal du Rhin, un syndicat intercommunal créé entre Stras-
l’extension du musée Unterlinden, qui oblige à repenser
bourg, Mulhouse et Colmar. La ville s’est dotée d’un atelier
entièrement ce secteur de la ville. Le concours d’architec-
de formation aux arts plastiques et nous avons le projet
ture a été remporté par Herzog & de Meuron, à qui l’on
de créer un véritable pôle d’art contemporain. Dans le
doit des réalisations aussi importantes que la Tate
domaine musical, Colmar s’est forgée une belle réputa-
Modern de Londres ou le stade olympique de Pékin. En
tion avec un Festival international de musique classique
somme, Colmar s’efforce d’échanger sa vieille singularité
en juillet, un Festival alliant musique de chambre et jazz
contre des positions d’excellence. n 11
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