Ballroom numéro 5

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Garder la trace d’un art qu’on dit éphémère

MÉMOIRE DE LA DANSE Repères sur le Japon

LE BUTO¯

Enquête dans la ville rose

TOULOUSE DANSE Prendre soin du corps

DANSE + SANTÉ

M 07238 - 5 - F: 9,50 E - RD

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N° 5, MARS/AVRIL/MAI 2015

LES DANSES MACABRES D’hier et d’aujourd’hui www.ballroom-revue.net


ÉDITORIAL

Même pas peur oici un numéro 5 qui pourrait faire peur … un numéro en teintes sombres, rempli de figures étranges. Nous convoquons aujourd’hui des thématiques macabres non pour souligner, s’il le fallait encore, la noirceur de notre époque mais plutôt pour montrer comment la création artistique peut surgir du coin le plus sombre de la scène, de cet endroit où seul l’artiste s’aventure pour en conjurer les démons.

V

Jouer avec la mort, lui donner une figure et des gestes, l’apprivoiser pour finalement la transcender. Force est de constater que le thème traditionnel de la danse macabre a gardé toute son actualité et continue à inspirer les artistes d’aujourd’hui. Nous avons choisi de resituer le travail de deux chorégraphes contemporains qui s’inscrivent dans cette tradition tout en les mettant en parallèle avec le butō japonais, ce travail sur la fragilité du corps et la mince ligne entre vie et mort. Le corps fragile du danseur, ce corps au centre de la scène, objet de tant de soins, voire d’obsessions. Comment le préserver et éviter qu’il ne s’abîme au long de sa carrière ? Notre dossier « Danse + santé » fait le point sur les multiples techniques qui ont pris en main la santé des danseurs depuis le début du vingtième siècle, une dynamique de soins que les danseurs peuvent aussi transmettre aux non-danseurs. Au cœur de ce numéro, il y a l’idée de la mémoire de la danse. Aussi éphémère soit-elle, la danse laisse une trace, des archives, des témoignages qui persistent grâce à de multiples initiatives depuis bien

longtemps. Des approches muséales aux technologies digitales, nous vous emmenons dans divers endroits et projets qui captent, conservent, transmettent cette mémoire. En invitant Fabrice Dugied comme artiste associé, nous avons choisi de mettre en avant une collection extraordinaire, celle de la journaliste Lise Brunel qui, des années 60 jusqu’à sa mort en 2011, a été un témoin engagé de la vie chorégraphique. Grâce à Fabrice, nous comprenons mieux comment l’archive peut rester vivante, comment la mémoire peut aussi être dansée. La danse résiste, elle est vivace. Pour s’en convaincre, rien de mieux que de découvrir son implantation dans les territoires. Nous commençons ici un tour de France des villes et des régions qui dansent. Première halte à Toulouse, une ville à l’énergie débordante où danse contemporaine et danse classique sont prêts à se développer en bonne intelligence. Nous ferons également un saut par Nancy et Angers dans le cadre d’une série de rencontres avec une vague de nouveaux directeurs d’institutions chorégraphiques françaises venus de l’étranger. Parce que la danse est aussi un art engagé, nous nous devions de réfléchir à notre endroit sur les événements dramatiques qui ont frappé récemment la presse et la liberté d’expression. C’est à François Olislaeger, fidèle collaborateur de Ballroom, que nous avons demandé d’apporter son témoignage d’illustrateur sur ce sujet. Sa tribune libre est intitulée Après Charlie. Même pas peur. Olivier Tholliez Directeur de la publication

www.ballroom-revue.net ILLUSTRATION D’APRÈS UNE PHOTO D’ANDRÉ CORNELLIER LOUISE LECAVALIER : SO BLUE

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SOMMAIRE

OPÉRA MADAMA BUTTERFLY Puccini / Rustioni / Wilson PLATÉE Rameau / Minkowski / Pelly DON GIOVANNI Mozart / Lange, Stieghorst / Haneke MOSES UND ARON Schönberg / Jordan / Castellucci L’ELISIR D’AMORE Donizetti / Renzetti / Pelly LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE LA VOIX HUMAINE Bartók, Poulenc / Salonen / Warlikowski VOL RETOUR Lee / Higgins / Mitchell LA DAMNATION DE FAUST Berlioz / Jordan / Hermanis WERTHER Massenet / Lombard / Jacquot CAPRICCIO Strauss / Metzmacher / Carsen IL TROVATORE Verdi / Callegari / Ollé IL BARBIERE DI SIVIGLIA Rossini / Sagripanti / Michieletto DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG Wagner / Jordan / Herheim

IOLANTA / CASSE-NOISETTE

Tchaikovski / Altinoglu, Stieghorst / Tcherniakov

RIGOLETTO Verdi / Luisotti, Morandi / Guth DER ROSENKAVALIER Strauss / Jordan / Wernicke LEAR Reimann / Luisi / Bieito LA TRAVIATA Verdi / Mariotti / Jacquot AIDA Verdi / Oren / Py

BALLET GEORGE BALANCHINE PINA BAUSCH JÉRÔME BEL BORIS CHARMATZ SIDI LARBI CHERKAOUI WILLIAM FORSYTHE ANNE TERESA DE KEERSMAEKER EDOUARD LOCK MAGUY MARIN WAYNE MCGREGOR BENJAMIN MILLEPIED JUSTIN PECK ARTHUR PITA ALEXEI RATMANSKY JEROME ROBBINS LIAM SCARLETT CHRISTOPHER WHEELDON LA BAYADÈRE GISELLE ROMÉO ET JULIETTE ÉCOLE DE DANSE BATSHEVA DANCE COMPANY ENGLISH NATIONAL BALLET ROSAS

DANSE EN VRAC

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Festivals Expo Stages Concours Livres DVD Musique

MÉMOIRE DE LA DANSE

022 LE PASSÉ RECOMPOSÉ L’œil de la danse 025 Lise Brunel

042 TOULOUSE UNE VILLE QUI DANSE

Danser au prisme de l’archive 031 Fabrice Dugied du son 033 L’image Claude Sorin riches heures de l’Opéra 034 Les La Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris

037

Une vie à l’opéra Maurice Lenestour

CND 038 Le ou l’archive en mouvement Les archives du vivant 040 L’IMEC

Belarbi 048 Kader « Il ne devrait y avoir ni frontière ni barrière dans la danse » TRIBUNE LIBRE Charlie 054 Après Par François Olislaeger AIR DU TEMPS

Photo Amelia Bauer, Burned over #1, 2012

Licences ES : 1 1075037, 1 1075038, 2 1075039, 3 1075040

UNE VILLE QUI DANSE

COUVERTURE Illustration originale de Thomas Baas

OPERADEPARIS.FR #ONP1516 08 92 89 90 90

(0,34 € TTC/MIN)

042 ÇA BALANCE PAS MAL À TOULOUSE ! de Développement Chorégraphique de 045 Centre Toulouse Midi-Pyrénées : Le tournant des 20 ans

042 BOUZIANE BOUTELDJA, CIE DANS6T : REVERSIBLE, PRÉSENTÉ AU FETIVAL CDC. PHOTO : GILLES VIDAL

056 LA DANSE MACABRE le macabre aujourd’hui 060 Écrire Rencontre avec le travail d’Aurélien Richard Le parlement des invisibles 063 Anne Collod

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27/03 > 27/04/2015

01 53 35 50 00 www.104.fr

Mickaë

l Phelip peau Chloé Moglia Olivier Dubois Germa i n e A Radho cogny uane E l M eddeb Christ ophe H uysma Wim V n andek eybus Robyn Orli Cie Jan n t-Bi Koen A ugusti Rosalb jnen a Torre s Guer Hildeg rero ard De Vuyst RStyle Migue l More ira Romeu R una Christ ian Riz zo Halor y Goerg er

paris

066 UNE EXPÉRIMENTATION INSTITUTIONS NOMMÉE BUTO¯ 074 067 Repères sur le butō VENUS Ko Murobushi, un jeune homme D’AILLEURS 070 en résistance 076

DOSSIER

« Les institutions ne doivent pas rester figées » Petter Jacobsson

102 CRITIQUES

066 LE BUTO¯

V UES D’A IL L EURS

conception graphique Change is good / photographies : Marc Domage et Danny Willems

e c n e u q sé e s n a d

058 LES DANSES MACABRES

CRITIQUES

102 69 POSITIONS Mette Ingvartsen 102 CONTACT Philippe Découflé (UN MORCEAU DE MON ESPRIT) 104 EN-JOY Emmanuelle Vo-Dinh et David Monceau 104 GARDIEN DU TEMPS François Lamargot E AMOROSI 106 GUERRIERI Edmond Russo et Shlomi Tuizer

080 107 IM-POSTURE Fabrice Lambert DANSE + SANTÉ ME AS A STRANGER Le corps pris en main 107 MEET Andriana Seecker et Axel « Micky » Schiffler 078 082 « La question est à mon corps les meilleures conditions » 083 « Donner BLANCHE À OUAGADOUGOU de savoir si je serai Dorothée Gilbert 108 NUIT Serge Aimé Coulibaly à la hauteur, pas si je suis américain » La carrière dans l’assiette 084 Robert Swinston 108 PAUL / RIGAL / LOCK / MILLEPIED Le corps en questionnements 086 109 RHAPSODIE DÉMENTE François Verret L’engouement du somatique 087 MUSIQUE 110 SO BLUE Louise Lecavalier Les pionniers de l’antigymastik 098 089 110 LES SOLI NOIRS Yvann Alexandre Du degré zéro au trop plein : SEBASTIAN 090 Bel et Béjart face au sida 111 VOID ISLAND (La) horde RIVAS La musique de Peter von Poehl, Les contre-allées du geste 112 WAVES 094 Entretien l’indiscipline Hela Fattoumi et Eric Lamoureux avec Nathalie Hervé 058 ANNE COLLOD : LE PARLEMENT DES INVISIBLES. PHOTO : LAURENT PHILIPPE 066 KO MUROBUSHI. PHOTO : ARNOLD GROESCHEL 102 (LA)HORDE : VOID ISLAND. PHOTO : NOÉMIE BOTTIAU

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DANSE EN VRAC FESTIVALS 2

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FESTIVALS 1

Biennale de danse du Val-de-Marne 5 mars – 3 avril 2015

4

14 – 26 mars 2015 Théâtre L’Avant-Scène Cognac

Spring

3

Festival On Marche 11 – 14 mars 2015, Marrakech

6 – 31 mars 2015, Basse-Normandie

Les Incandescences

Sens migratoire : tel est le thème, ancré dans l’actualité, de la 18e édition de la Biennale de danse du Val-deMarne pilotée par la Briqueterie, qui fête à cette occasion son deuxième anniversaire. Résolument placée sous le signe de l’international, la manifestation rassemble des créations venues de nombreux pays, du Mexique à l’Autriche. Autre axe fort, elle revisite l’histoire de la danse à travers différents projets, comme le travail d’Anne Collod réactivant Parades & Changes d’Anna Halprin. Enfin, elle met en place un parcours muséal autour de l’œuvre fantastique du peintre Jérôme Bosch, en lien avec le musée du Louvre et le Mac/Val de Vitry. Afin d’élargir son audience, la Biennale s’ouvre aussi cette année au jeune public, ainsi qu’aux projets transversaux avec le CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris) et l’école de cirque de Rosny. Au total, dix créations – dont le très attendu Origami de Satchie Noro et Sylvain Ohl – et sept premières en France, présentées sur une vingtaine de lieux, porteront haut et fort les couleurs de la danse en Val-de-Marne. I. C.

La Brèche, Pôle National des Arts du Cirque, fédère près de vingt lieux de Basse-Normandie autour de son festival, dédié aux nouvelles formes de cirque. Les occasions ne manquent pas de faire des passerelles entre le cirque et la danse, qui se cherchent, se répondent, s’emmêlent. Parmi les 24 spectacles, le dernier grand succès de la compagnie XY, Il n’est pas encore minuit, est le fruit à la fois d’une collaboration avec le chorégraphe Loïc Touzé, et d’une incursion vers le lindy hop. La première en France de 4 × 4 surprendra à bien des égards : elle réunit les jongleurs fous de la compagnie Gandini, et des danseurs du Ballet Royal de Londres ! A côté, c’est toujours un plaisir de voir Jean-Baptiste André, aussi danseur que circassien quels que soient ses projets – ici avec Pleurage et Scintillement – ou le jeune Clément Dazin, qui prend la relève. Quant au collectif Petit Travers, dont on a déjà admiré la précision chorégraphique dans le moindre lancer de balle, il donne là sa création Nuit, avec une nouvelle ressource : la technologie numérique, qui pourrait surpasser les possibilités du corps. N. Y.

Parmi les dix-neuf compagnies programmées par le festival Les Incandescences, quelques-unes font leurs tout premiers débuts sur scène. C’est dire combien la manifestation, qui fête en 2015 sa décennie d’existence avec pas moins de treize créations, dont six premières en Ile-de-France, a à cœur de favoriser les écritures réellement émergentes et de donner leur chance aux jeunes chorégraphes. Cinq d’entre eux sont d’ailleurs accompagnés en résidence, Camille Ollagnier (Les Garçons Sauvages), Nans Martin (Parcelles 1 & 2), Sébastien Ly (Outremer), Thomas Chopin (Ordalie), Louise Hakim (Points). D’autres artistes sont déjà plus repérés comme Amala Dianor, par ailleurs danseur chez Emmanuel Gat, qui présente Man rec, et son complice Orin Camus (Cie Yma), qui propose L’homme assis. Tous sont à découvrir à Paris et en Seine-SaintDenis, dans les six lieux partenaires aux architectures et aux espaces scéniques adaptés à ces petites formes. I. C.

www.alabriqueterie.com

www.festival-spring.eu

www.dansedense.fr

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1 SATCHIE NORO : ORIGAMI. PHOTO : KARINE DEBARBARIN 2 CIE XY : IL N’EST PAS ENCORE MINUIT. PHOTO : CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE 3 LUCIE AUGEAI ET DAVID GERNEZ : W POUR ELLE. PHOTO : DAVID GERNEZ

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Festival Danse et Vous

10 mars – 17 avril 2015, Île-de-France

Le festival de danse contemporaine de Marrakech fête sa dixième édition. Plus qu’un événement ponctuel, On marche est l’occasion de présenter un travail de fond, mené toute l’année en faveur de la danse contemporaine au Maroc. Il s’appuie sur une structure de formation des danseurs, Al Mokhtabar – Le Laboratoire, initiée par Anania, la compagnie de Taoufiq Izeddiou. Soutenue par la Maison de la Culture et l’Institut Français, cette structure offre aux jeunes artistes un lieu d’apprentissage et de création dans un pays qui n’en comporte pratiquement pas d’autres. Le Festival est l’occasion de leur offrir une visibilité. Cette année sont programmés Manta d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, Contessa & L’aaroussa de Meryem Jazouli, Devenir de Youness Khoukhou et Rev’illusion de Taoufiq Izeddiou. De nombreux projets s’infiltrent également dans le tissu urbain tandis que des rencontres professionnelles s’organisent en parallèle. Et pour ceux pour qui la danse inclut la fête : une soirée anniversaire avec les amis du festival. Ma-J V. www.facebook.com/OnMarcheMarrakech

Cette sixième édition du festival charentais de danse contemporaine est aussi la dernière programmée par son fondateur, Jacques Patarozzi, parti à la retraite à la fin de la saison dernière. Placée, comme à l’accoutumée, sous le signe de la diversité des formes, la manifestation n’affiche pas moins de 14 pièces dont une création 2015, L’Effroi de Daniel Dobbels sur L’Oiseau de feu de Stravinski, et quelques-unes peu vues en France quoique multi primées à l’étranger. C’est le cas des duos Hasta Donde, de l’Israélien Sharon Friedman et Duet for two dancers de la Néerlandaise Tabea Martin, qui ouvrent la quinzaine. Qu’il s’agisse du krump (Eloge du puissant royaume) chez Heddy Maalem, de l’afrofusion pour Vincent Mantsoe (Bloody Gauta), du hip hop métissé d’Amine Boussa (Moovance), du Bal en Chine de Caterina Sagna ou de l’identité francoafricaine d’Amala Dianor (Man Rec), les chorégraphes invités revendiquent leur pluralité artistique. I. C. www.avantscene.com

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Séquence Danse 27 mars – 27 avril 2015, Le 104, Paris Si vous avez manqué certains des spectacles les plus excitants de la rentrée danse, c’est le moment de vous rattraper. Pas de création, en effet, à l’affiche de la 3e édition de Séquence Danse, le festival du CentQuatre, mais un ensemble de pièces peu ou pas vues à Paris et que l’on a hâte de découvrir. Ainsi en est-il d’Aléas de Chloé Moglia, créé dans le cadre de la Biennale des Arts du Cirque à Marseille, ou de Mon Elue Noire – Sacre 2 d’Olivier Dubois en hommage à Germaine Acogny, laquelle sera également présente avec sa compagnie Jant-Bi pour la reprise de At the same time … (2014) de Robyn Orlin. Certains des artistes programmés sont d’ailleurs associés au CentQuatre, qui les accueille régulièrement en résidence de travail. En ouverture hors les murs à La Villette, le passionnant Chorus de Mickaël Phelippeau rassemble 24 chanteurs de l’ensemble Voix humaines autour d’une cantate de Bach. I. C. www.104.fr

4 TAOUFIQ IZEDDIOU : REV’ILLUSION. PHOTO : JOUNIA GUIMARAES 5 AMALA DIANOR : MAN REC. PHOTO : JEF RABILLON 6 ROBYN ORLIN : AT THE SAME TIME ... PHOTO : PHILIPPE LAINÉ

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atelier de paris carolyn carlson

DANSE EN VRAC FESTIVALS

centre de développement chorégraphique

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festival de danse

du 5 au 20 juin 2015 Paris | Cartoucherie

www.junevents.fr

Festival Danse d’ailleurs série #3

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7 – 9 avril, Caen

Voici venu le troisième moment de ce festival, sous le prisme, cette fois-ci, du duel modernité versus tradition, illustré par le FOLK-S d’Alessandro Sciarroni qui déconstruit avec une intelligence fine d’anciennes danses folkloriques, créant ainsi de nouveaux rituels. En écho, nous pourrons assister à l’incroyable dextérité des deux gais lurons József Trefeli et Gábor Varga. Mais aussi, entre installation vidéo et chorégraphie, au travail de Mickaël Phelippeau autour des danses traditionnelles bretonnes. Enfin, à la cérémonie étrange et intime de François Chaignaud, se livrant à une exposition processionnelle convoquant des airs d’envoûtements ukrainiens, philippins et séphardiques. Au plus près des spectateurs, tel un bijou, il fait éclater une multitude de facettes corporelles intrigantes et étrangères à nos théâtres occidentaux avec, pour seul écrin à son corps presque nu, un monumental costume sculpture. T. A. G.

Festival Extradanse

Festival Le Grand bain 9 – 17 avril 2015, Roubaix

8 – 23 avril 2015, Strasbourg Alors que Pôle Sud à Strasbourg continue sa mue, précisant chaque jour un peu plus son projet de Centre de Développement Chorégraphique, se rêvant comme un lieu vivant pour le spectacle vivant, privilégiant les connexions entre artistes et publics, le Festival Nouvelles change de nom, fait peau neuve et se dédouble. En avril, il donnera lieu à Extradanse, temps fort de la saison 2015, appelé à dévoiler les multiples visages de la danse en scène. Découverte, recherche, écriture, le mouvement est au cœur de la programmation, une invitation à découvrir des artistes et des œuvres.

C’est la seconde édition de ce festival qui se veut l’événement central du CDC Le Gymnase à Roubaix, aux côtés des Petits Pas, avec à l’idée la volonté d’ouvrir en grand toutes les portes et les fenêtres de la danse contemporaine et de réaffirmer que celle-ci est riche, diverse, généreuse. A cheval sur toute la métropole lilloise, s’appuyant sur un réseau de partenaires, ce festival nous permettra de plonger dans les grands flots chorégraphiques et de naviguer entre des esthétiques multiples, des formes et formats nombreux, sans jamais perdre de vue l’exigence artistique.

Festival A Corps 9 – 17 avril 2015, Poitiers Danse, théâtre, performances … le Festival A Corps à Poitiers affirme, cette année encore, son esprit transdisciplinaire. Une programmation qui combine comme toujours un cocktail explosif de formes chorégraphiques et théâtrales professionnelles et amateur, avec la ferme volonté de faire bouger les lignes.

Au programme, le spectacle à succès de Christian Rizzo, D’après une histoire vraie, mais aussi François Verret et Julie Nioche. A découvrir, les univers de Trajal Harrell, Olga Mesa et Francisco Ruiz de Infante. Il ne faudra surtout pas manquer Badke avec ses interprètes de tous horizons qui donnent une autre idée de la Palestine et nous parlent de sa vitalité. Mais aussi le travail de Dorothée Munyaneza, artiste rwandaise qui témoigne, en glissant du chant à l’écriture, de la danse à la création. Ou encore l’intrigante Miet Warlop. T. A. G.

Ce sera l’occasion de voir ou revoir le si essentiel May B de Maguy Marin, d’avoir chaud, très chaud avec Warm de David Bobée, sans oublier le travail de la Sud-africaine Robyn Orlin. Ne ratez pas People in a field de Simon Tanguy qui malgré une utilisation parfois un peu naïve des mots présente un travail facétieux et coloré. Mais aussi la performance bondissante de Jan Martens, The dog days are over, qui interroge la danse contemporaine dans une folle et magnifique dépense d’énergie. Notons enfin les spectacles de Danya Hammoud, Jann Gallois et Cécile Loyer. T. A. G.

A découvrir, la création d’Emmanuelle Huynh inspirée par le kabuki japonais, ou l’incroyable danseur de butō Imre Thormann dans Enduring Freedom. Mickael Phelippeau tendra un miroir généreux à un jeune adolescent ; tandis que Raphaëlle Delaunay réalisera un autoportrait gonflé et réaliste. Portant le texte des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, Julien Gosselin, s’impose par son humour acide et sa cruauté ; tandis que Trajal Harrel, trublion queer et underground de la Big Apple, dans des éclairs de liberté que seuls les Américains savent mettre en spectacle, illumine Antigone. L’Autrichien Willi Dorner soulève de façon très originale des questions d’architecture et d’urbanisme grâce à la présence plastique des corps ; tandis que la Cap-Verdienne Marlene Monteiro Freitas mène une nouvelle bataille artistique, singulière et puissante. Enfin, avec Eifo Efi, il s’agira de jouir des talents immenses de deux danseurs grecs et suisses au sommet de leur art dans un maelström de mouvements et de paroles. T. A. G.

www.ccncbn.com

www.pole-sud.fr

www.gymnase-cdc.com

www.festivalacorps.com

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1 ALESSANDRO SCIARRONI : FOLK-S. PHOTO : ANDREA MACCHIA 2 BALLETS C DE LA B : BADKE. PHOTO : DANNY WILLEMS 3 JAN MARTENS : THE DOG DAYS ARE OVER. PHOTO : PIET GOETHALS

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4 EMMANUELLE HUYNH : TOZAI ! PHOTO : MARC DOMAGE

Photo : Pierre Pontvianne

Le Festival Danse d’Ailleurs porté par le CCN de Caen a fait peau neuve pour être au plus près de la création chorégraphique contemporaine. Il s’articule désormais en trois temps autour de trois projets porteurs d’une thématique singulière éclairée par d’autres propositions qui semblent faire histoire commune et enrichissent les questionnements en jeu.

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BIARRITZ ACADÉMIE INTERNATIONALE DE DANSE du 2 au 7 août 2015 classique Carole Arbo Bertrand Belem Yat-Sen Chang Isabel Hernandez Andrey Klemm Margarita Kulik Sophie Sarrote barre à terre Béatrice Legendre-Choukroun atelier Malandain Dominique Cordemans contemporain & atelier Preljocaj Youri Van Den Bosch cours garçons - adage - répertoire hébergement sur place

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DANSE EN VRAC FESTIVALS, EXPO

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Festival Tours d’horizons 9 – 13 juin 2015, Tours

8 – 30 mai 2015, Bruxelles

Dans ce festival dédié aux arts urbains, la danse est cette année à l’honneur. Les dix spectacles programmés réunissent les représentants de la jeune scène hip hop (Anne Nguyen, le duo Honji Wang – Sébastien Ramirez), les nouveaux courants chorégraphiques, avec le spectacle Krump’n Break Release de la compagnie Shifts, et des noms à découvrir tels que Philippe Almeida Aka Physs, ou Hakim Hachouche qui présente Philosophie des formes symboliques. En bonus, le Villette Street Festival propose les 7, 8 et 9 mai un Golden Stage animé par la fine fleur du hip hop international – dont les Américains de Massive Monkeys –, une grande Battle internationale 100 % Krump le 10 mai, et un Week-end Street les 16 et 17 mai en accès libre avec, au menu, des masterclasses, un bal, un concours chorégraphique … I. C.

Pour son vingtième anniversaire, le Kunstenfestivaldesarts ne change rien à ses bonnes habitudes : il s’installe à Bruxelles pour 3 semaines dans une vingtaine de théâtres et de centres d’art et dans différents espaces de la ville. Farouchement cosmopolite, le festival se revendique urbain et désigne la ville comme le lieu des échanges, l’espace qui rend visible une identité construite à plusieurs. Les propositions artistiques sont accompagnées de nombreux ateliers afin d’impliquer la population. Dans cette ville bilingue, la seule du pays dans laquelle communautés flamandes et francophones cohabitent, le dialogue n’est pas un vain mot. La revendication du KFA à faire partie « d’un réseau complexe de communautés qui rend les clivages territoriaux, linguistiques et culturels de plus en plus poreux » influence un programme sans concession. Des artistes belges et internationaux viennent ici partager leur frottement au monde avec un public prêt à être bousculé. Cette année, 31 projets dont Gala de Jérôme Bel, un habitué, ou Mariano Pensotti dont la création sera à Avignon cet été. Ma-J V.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, le programme concocté par le CCN de Tours n’est pas encore arrêté. Il ne sera connu que le 9 avril. Mais nous pouvons déjà écrire que, cette année, la quatrième édition de ce festival aura pour thème « danse et partitions ». Organisé en partenariat avec de nombreuses scènes de la ville de Tours et du territoire, Tours d’Horizons est un véritable espace d’observation de l’étendue et de la richesse de l’art chorégraphique. Il nous offre l’opportunité de découvrir de jeunes auteurs ou des chorégraphes plus confirmés et de plonger dans la diversité de la danse d’aujourd’hui et des partitions chorégraphiques, littéraires ou musicales, modernes et contemporaines qui la composent. Déjà au programme : l’indispensable May B de Maguy Marin, [oups] génération de la compagnie La Vouivre, l’atelier chorégraphique du CCNT et une pièce pour les élèves du Conservatoire de Tours, dirigés cette saison par Thomas Lebrun. Mais aussi la nouvelle création de Maguy Marin Bit, Guesch Patti, Christine Jouve, Léonard Rainis, Raymund Hoghe, Marco Berrettini, Emmanuel Gat … T. A. G.

www.lavillette.com

www.kfda.be

www.ccntours.com

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1 SÉBASTIEN RAMIREZ ET HONJI WANG : MONCHICHI. PHOTO : DR 2 FESTIVAL KUNSTENFESTIVALDESARTS. PHOTO : BEA BORGERS 3 MAGUY MARIN : BIT. PHOTO : DIDIER GRAPPE

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Villette Street Festival 4 – 17 mai 2015, Paris

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EXPO Les écritures du mouvement

(D)RÔLES DE PRINTEMPS THÉÂTRE THÉÂTRE DANSE PERFORMANCES / TUNISIE - ÉGYPTE - LIBAN DANSE Meriam Bousselmi, Sawsan Bou Khaled, Ahmed El Attar, Aicha M’Barek & Hafiz Dhaou, Hassan El Geretly PERFORMANCES

11 > 28 mars 2015

9 mars – 3 avril 2015, Angers Le Centre National de Danse Contemporaine d’Angers poursuit ses actions de développement de la culture chorégraphique en invitant au Quai l’exposition qui avait été créée au CND sur les écritures du mouvement. C’est une plongée fascinante au cœur de nombreux systèmes de notation chorégraphique qui nous attend. Une véritable complexité, qui sous-tend une vraie question : peut-on noter le mouvement ? Il est intéressant de voir comment, dès le XVe siècle, cette problématique a été traitée, et comment les diverses réponses entrent en résonance au fil du temps. Chaque document exposé ici recèle de nombreux trésors, révélant à la fois l’œuvre, mais aussi le contexte historique et culturel dont elle est issue. Sans compter les esquisses, dessins ou croquis de chorégraphes qui échappent à tout système, seuls fruit de l’imaginaire des artistes et qui nous en disent beaucoup sur les processus qui alimentent les créations. N. Y. Photo & design PASCAL COLRAT

Kunstenfestivalsdesarts

Forum du Quai – Entrée libre Le Quai – Forum des Arts Vivants Cale de la Savatte 49100 Angers. www.cndc.fr

AKALIKA 7 chorégraphie Olé Khamchanla

4 PREMIERS ESSAIS DE TRANSCRIPTION DE MOUVEMENTS, IN RUDOLF LABAN, CHOREOGRAPHIE, IÉNA, EUGEN DIEDERICHS, 1926. MÉDIATHÈQUE DU CND.

DANSE

8 > 11 avr. 2015 mer. & ven. à 20h / jeu. à 14h30 / sam. à 16h

Le TARMAC - 159 avenue Gambetta - 75020 Paris Réservations 01 43 64 80 80 - www.letarmac.fr


TOURS D’HORIZONS DANSE & PARTITIONS

DANSE EN VRAC STAGES, CONCOURS

9 - 13 JUIN 2015

MAG U Y MAR I N

AB DE R Z AK HO U MI CHR I S T I NE JO U VE L ÉO NAR D R AI NI S G U E S CH PAT T I CHR I S T I NA CHAN

Stage de formation professionnelle

R AI MU ND HO G HE

6 – 10 avril 2015 Alban Richard à l’Atelier de Paris – Carolyn Carlson

www.ccnlarochelle.com

www.atelierdeparis.org

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STAGES Stage de formation professionnelle hip hop

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23 – 25 mars 2015 En partenariat avec le CESMD de Poitou-Charentes, le CCN de la Rochelle porte un nouveau projet de formation professionnelle mené par Olivier Lefrançois pour les danseurs interprètes et formateurs en danse hip hop : Danse hip hop et AFCMD : construire des outils pour les danseurs interprètes et la transmission. A partir de l’AFCMD (analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé) au service de l’interprète et du pédagogue en danse hip hop, ateliers, lectures et analyses, mises en situation se succéderont durant trois jours pour permettre aux stagiaires de développer leurs compétences et leurs connaissances dans les champs méthodologiques

et pratiques, d’élaborer ses propres outils au service des élèves danseurs et de sa propre danse et d’acquérir une méthodologie.

B É R ANG È R E FO U R NI E R & S AMU E L FACCI O L I E MANU E L G AT MI CHÈ L E NO I R E T

CONCOURS

E MMANU E L EG G E R MO NT T HO MAS B E S NAR D CL AI R E HAE NNI

[re]connaissance 2014 : les lauréats

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C’était en novembre dernier à La Rampe, scène conventionnée d’Echirolles : 1300 spectateurs étaient réunis sur deux jours pour applaudir 12 compagnies chorégraphiques. Venues concourir pour la sixième édition de ce grand rendez-vous professionnel et public qu’est devenu [re]conaissance, trois d’entre elles sont reparties primées, décrochant résidence, coproduction et tournée. Le premier prix rassemble les énergies chorégraphiques de deux danseurs, Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours, signant le trio Des Ailleurs sans lieux. En deuxième position, Christian Ubl a quant à lui confirmé l’intérêt qu’avait déjà suscité la première partie de sa pièce Shake it out cet été aux Hivernales d’Avignon. Et c’est à un jeune collectif d’artistes que sont revenus les suffrages du public : sous l’appellation Ès, se cachent Sidonie Duret, Jérémy Martinez et Emilie Szikora. Eux aussi partiront sur les routes de France avec une [re]connaissance désormais avérée. T. A. G.

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VAL É R I E L AMI E L L E AT E L I E R CHO R ÉG R AP HI QU E DU CCNT É T U DI ANT S DU CO NS E R VATO I R E À R AYO NNE ME NT R ÉG I O NAL FR ANCI S P O U L E NC DE TO U R S

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Tournée en construction : sept 2015, Festival le Temps d’aimer à Biarritz novembre 2015, Centre culturel André Malraux à Vandœuvre-Lès-Nancy mars 2016, Le Rive Gauche de St Etienne du Rouvray

02 47 36 46 00 WWW.CCNTOURS.COM 014

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1 ALBAN RICHARD. PHOTO : AGATHE POUPENEY 2 OLIVIER LEFRANÇOIS. PHOTO : EYE N EYE

3 CHRISTOPHE BÉRANGER ET JONATHAN PRANLAS-DESCOURS : DES AILLEURS SANS LIEUX. PHOTO : CHLOË CHAMPION

© Rosa Frank

Danseur interprète, chorégraphe et enseignant, Olivier Lefrançois est un danseur hip hop de la première heure, titulaire d’un Diplôme d’Etat en danse contemporaine et d’un Diplôme de formateur de formateurs en AFCMD au Centre National de la Danse. Depuis 1983, il mène de front une carrière de danseur, d’assistant et de chorégraphe de talent comme de pédagogue. T. A. G.

Alban Richard donnera une masterclass à l’Atelier de Paris du lundi 6 au vendredi 10 avril
 de 11h à 17h. Après des études musicales et littéraires, il a opté pour la création chorégraphique. Il a dansé pour Karine Saporta, Odile Duboc, Olga de Soto, Rosalind Crisp. En 2000, Il fonde l’ensemble Abrupt et crée un répertoire d’une vingtaine d’œuvres. Son écriture est processuelle, tramée de plusieurs partitions – pour la danse, la musique, la lumière et les costumes. Ce stage a pour intitulé « Générer » et est conçu comme un laboratoire d’expérimentations autour des notions de production de mouvements, de sons, d’énergie, de présence, d’aura.
Il faudra produire quelque chose, l’avoir pour conséquence inéluctable, l’engendrer, en être la source.
En matinée, ce stage se déroulera avec la complicité d’Elaine Konopka, formée à la danse classique et contemporaine aux ÉtatsUnis, où elle a commencé sa carrière, et praticienne diplômée de la Méthode Grinberg®, une technique d’apprentissage corporel dont l’objectif fondamental est de faire revenir l’attention de l’esprit au corps, afin d’identifier et arrêter des automatismes qui nuisent à la liberté. Présentation publique le vendredi à 16h. T. A. G.

MAR CO B E R R E T T I NI

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DANSE EN VRAC LIVRES

2014 • 2015 • • • • • • • • • • ••••••••••

12 mars 2015 • 20h30

Anne Collod d’après Anna Halprin ••••••••••

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Parades and Changes

25 et 26 mars 2015 • 20h30

Tomeo Vergés Syndrome amnésique avec fabulations

L’enfance de Mammame Gallotta, Buffard, Supiot

Introduction aux techniques de danse moderne

nouvelle création

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Joshua Legg

Sous la direction de Sylviane Pagès, Mélanie Papin et Guillaume Sintès Même s’il est sous-titré « Premiers éléments », voici un ouvrage qui devra faire référence pour comprendre cette formidable charnière qu’a été mai 68. Il pose des paroles, des sentiments, des sensations, il met au jour des points de vue, il témoigne de ce bouillonnement incroyable cristallisé sur quelques semaines, tout en le reliant à un contexte chorégraphique historique plus général. En quoi y a-t-il eu un avant et un après mai 68 pour la danse ? Tout l’intérêt de ce livre réside dans la diversité à la fois des intervenants, entre universitaires et artistes, entre danseurs classiques (Jean Guizerix, Serge Keuten) et modernes (Dominique Dupuy, Odile Azagury …), mais aussi des textes, entretiens, analyse

d’œuvre (Messe pour le temps présent de Béjart), archives … qui mettent en perspective les attentes et avancées du milieu. Touchante Catherine Atlani, qui commence son témoignage ainsi « Je me présente : je suis Catherine May Atlani, j’ai soixante-six ans, et je vais vous raconter une autre histoire ». Il était temps de pouvoir enfin la lire. N. Y. Infos pratiques : Danser en mai 68, Premiers éléments, sous la direction de Sylviane Pagès, Mélanie Papin et Guillaume Sintès, éditions Micadanses en collaboration avec l’Université Paris 8. Ouvrage à retirer gratuitement à Micadanses, 16 rue Geoffroy l’Asnier, 75004 Paris, ou sur demande à contact@editiondanse.com.

Infos pratiques : L’enfance de Mammame, de Jean-Claude Gallotta et Claude-Henri Buffard, illustrations d’Olivier Supiot, Editions P’tit Glénat en partenariat avec le CCN de Grenoble, 2014, 9,90 € (5–9 ans).

Infos pratiques : Introduction aux techniques de danse moderne, de Joshua Legg, éditions Gremese 2014, 25 €.

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Danser en Mai 68

Peu d’ouvrages, particulièrement en France, sont consacrés à l’aspect technique de la danse. L’enseignement de la danse contemporaine bénéficie notamment de tous les apports des maîtres américains de la modernité. Le danseur, chorégraphe et professeur Joshua Legg (Harvard) nous permet de voyager dans les principes fondamentaux portés par les grandes figures que sont Martha Graham, Doris Humphrey, Katherine Dunham, Lester Horton, José Limón, Erick Hawkins, Merce Cunningham, Alwin Nikolais, Paul Taylor … Le « plan de leçon pratique » proposé par l’auteur pour chacun d’entre eux ne remplace évidemment pas un cours. Mais l’ouvrage trouve son intérêt dans les mots qu’il pose sur leurs pratiques, exercices et innovations, qui ont infusé nos cours techniques au fil du temps sans que l’on en connaisse réellement la provenance. A lire également pour tout l’aspect biographique et contextuel, tout aussi riche d’enseignement. N. Y. ••••••••••

LIVRES

Mammame fut l’un des spectacles emblématiques du Groupe Emile Dubois dans les années 80, caractéristique de l’esprit « tribu » qui se dégageait alors de la démarche du chorégraphe Jean-Claude Gallotta. Devenu un film sous la direction de Raoul Ruiz, puis très récemment un spectacle jeune public, voilà qu’il se décline aujourd’hui sous la forme d’un album jeunesse. L’enfance de Mammame s’inspire directement de cette version scénique pour enfants, racontant la drôle d’histoire de ces êtres mi-hommes, mi-lutins qui hantent nos théâtres. Avec eux, nous découvrirons que pour faire advenir la lumière, il faut danser, danser encore ! L’illustrateur Olivier Supiot s’en est donné à cœur joie pour croquer la joyeuse troupe et donner à leur danse toute sa légèreté, même quand l’air, l’eau, la terre ou le feu viennent s’en mêler. Un livre à lire en complément de la sortie au spectacle. N. Y.

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DANSE EN VRAC LIVRES, DVD DVD

Pina

Arouna Lipschitz – Jean-Philippe Neiva

Walter Vogel Si les éditions de l’Arche ne manquent jamais une occasion de sortir un livre ou même un DVD sur le travail de Pina Bausch, celui-ci a toutefois une saveur particulière. Il est l’œuvre d’un photographe, d’un ami. C’est ce qu’on lit instantanément dans les portraits qui jalonnent l’ouvrage : la série prise dans les années 1966–1967 découvre le visage d’une femme au regard lumineux, à la grâce espiègle, qui tranche avec les images graves ancrées dans notre imaginaire. Mais ce livre est bien plus qu’une monographie. Walter Vogel entre dans la vie et dans l’œuvre de Pina Bausch par une voie personnelle d’une grande simplicité, celle d’un compagnon de route. On la suit comme apprentie danseuse, on croise Kurt Joos, Hans Züllig ou Jean Cébron, jusqu’à l’accompagner sur les plus grandes scènes internationales. Jouant la carte de l’intimité, de l’anecdote, ce beau livre nous en apprend encore et encore sur cette grande dame en empruntant quelques moments de vie aux studios, aux répétitions, aux tournées, aux vacances … Un éclairage touchant sur une destinée autant que sur une œuvre. N. Y. Infos pratiques : Pina, Walter Vogel, l’Arche éditeur, 2014, 32 €

Rodin et la danse de Çiva Sous la direction de Katia Légeret Ce livre est à découvrir comme on ouvre une à une des poupées gigognes : ce sont d’abord des sculptures en bronze d’Inde du Sud du dieu Çiva dansant, qui ont donné lieu à des photographies, qui ont donné lieu à un texte écrit par Rodin … et qui donnent lieu aujourd’hui aussi bien à l’analyse scientifique de chercheurs en danse, qu’à l’interprétation artistique du texte en bharata-natyam ou dans le style odissi du théâtre dansé de l’Inde. Une histoire de regards qui se posent les uns sur les autres, dans une mise en abyme vertigineuse ! Il est intéressant de voir comment le plus fameux des sculpteurs donne une vision poétique de ces figures de Çiva, Roi des danseurs et des acteurs, sans pour autant en connaître les chorégraphies. Son amour pour la danse, jusque dans son œuvre, aura sans doute guidé l’écriture de ce texte. L’analyse qui s’ensuit nous conduit plus profondément dans ce lien-là, et appelle à des résonnances surprenantes jusque dans la création aujourd’hui. N. Y. Infos pratiques : Rodin et la danse de Çiva, sous la direction de Katia Légeret, Presses Universitaires de Vincennes, 2014, 25 €.

Arouna Lipschitz est philosophe. Cela se sent dans son documentaire, qui retrace l’esprit de vie et d’amour émanant de la danse d’Isadora Duncan et de François Malkovsky. Filmant au plus près les danseuses passionnées que sont Vannina Guibert et Amy Swanson, accompagnées par le pianiste de Malkowsky Alexandre Bodak, elle donne parole et corps aux mouvements de ces deux pionniers, en résonnance avec les frémissements du XXe siècle. Au plus proches des images d’archives et des corps d’aujourd’hui, Danser libre est aussi l’affaire d’une transmission entre maîtres, disciples, élèves, pour que le patrimoine de cette danse, qui pourrait paraitre surannée, reste toujours en mouvement. Le documentaire – trop court pour toutes les pistes de réflexion qu’il pourrait ouvrir – se trouve cependant au cœur d’un coffret de trois DVD. L’un d’entre eux est entièrement consacré à la reconstitution d’une quarantaine de chorégraphies créées par Isadora Duncan et François Malkowsky, rendant tangible l’esprit de ce patrimoine, dans une interprétation vivante. N. Y. Infos pratiques : Danser libre, d’Arouna Lipschitz et Jean-Philippe Neiva, sur une idée de Vannina Guibert, V2lam Productions, 2014, 32 €. www.danserlibre.com

DU 9 AU 17 AVRIL 2015

crédit photo Maia Flore / Agence VU’

Danser Libre

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DANSE EN VRAC MUSIQUE

CD Oren Ambarchi en grande forme Le culotté Quixotism, nouvel opus d’Oren Ambarchi paru fin 2014, porte bien son titre : c’est en effet en Don Quichotte que le musicien australien s’attaque aujourd’hui, entouré de quelques invités de marque, à la « grande forme ». Et livre un poème symphonique de l’ère digitale, qui sonne comme une invitation aux chorégraphes. Cela commence par un martèlement sourd d’abord inaudible, comme le tambour lointain d’un lave-linge en pleine transe qui se rappellerait lentement à votre mémoire. Ou un moulin à vent en folie. Charriant dans son ombre un maelstrom de sons, frottements, feedbacks fantomatiques, stridences de guitare et volutes de piano, quelques notes éparses de basse, et des masses orchestrales lourdes et mouvantes comme des nuages d’orage. Il faut presque cinq minutes avant que la musique ne parvienne vraiment à sortir du silence, que ce martèlement n’arrive au premier plan, et avec lui cette pulsation obsédante

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qui ne va s’arrêter que 55 minutes plus tard. Entre-temps, on aura entendu le maelstrom, le bruissement instrumental s’épandre et se métamorphoser durant près d’un quart d’heure, puis perdu toute notion du temps en se laissant entraîner à travers une théorie d’horizons variés : de dancefloors minimalistes en dépressions atmosphériques, du Gange au Niger, et de Morton Feldman à Thomas Brinkmann – arpentant un univers où les dissonances (ces accords de piano savants et étranges) semblent d’abord vouloir venir diffracter un spectre harmonique qui mérite ici bien son nom –, on aura sans bouger voyagé d’un bout à l’autre du globe (l’album a été enregistré entre Cologne, Reykjavik, Melbourne, Seattle, Londres, Los Angeles et Tokyo !). Quixotic, c’est d’abord une transe quasi psychotique, aux prises avec un rythme souverain, impérieux, implacable – comme l’était déjà Sagittarian Domain, le précédent opus solo d’Oren Ambarchi, un unique morceau de 33 minutes sous haute influence « krautrock ». Une transe qui appelle la danse, et qui fait rêver à ce que différents chorégraphes épris de musique pourraient en tirer : Anne Teresa de Keersmaeker, William Forsythe, Maud Le Pladec, ou encore la Meg Stuart du sublime Violet – autre étourdissante montée chamanique à base de pulsations répétitives.

Oren Ambarchi n’est pas le premier musicien « électronique » ou « rock » (dans son cas, les guillemets s’imposent toujours dès qu’il s’agit de frontières stylistiques : de même lorsqu’on hésite à le qualifier de « guitariste ») à oser la grande forme. L’électronique justement, dès les années 1970 outre-Rhin, a été le prétexte à de grandes fresques, le plus souvent atmosphériques, « ambient ». Des fresques circonscrites déjà, à l’époque, au format d’un disque 33 tours, simple, voire (n’ayons pas peur de l’emphase) double. Car le disque, l’album, il faut le rappeler, c’est l’« œuvre » de tous ces musiciens qui n’ont pas l’envie (ni souvent, de toute façon, les moyens) d’écrire la musique, elle remplace dans le domaine des « musiques actuelles » cette partition qui est le sésame pour appartenir à la catégorie, plus noble (ne serait-ce que parce que l’on en parle au singulier) quoique tout aussi actuelle, de la musique contemporaine. On n’hésite d’ailleurs pas à employer le mot « opus » pour désigner la nouvelle production d’un musicien pop (alors qu’on parle rarement d’« albums » au sujet des musiciens classiques, c’est beauf) … Le format CD a même ensuite permis d’allonger la durée des disques. Pas toujours pour le meilleur, si l’on songe à tous ces albums-pensums produits depuis lors, instaurant en norme une quantité de musique qui, en équivalent vinyle,

correspondait à un format – le double album – auquel les musiciens d’antan ne recouraient qu’à titre exceptionnel. Mais au moins peut-on écouter un disque d’un bout à l’autre sans avoir à changer de face … Il n’est pas plus mal que Quixotism ait d’abord paru (fin octobre) au format digital et CD, et il est presque étrange de le voir aujourd’hui édité en vinyle – hormis pour mettre en valeur sa belle pochette. Oren Ambarchi n’est pas le premier, certes, mais il n’est pas non plus le moins ambitieux. Et le terme « œuvre » ne semble pas usurpé pour aborder ce disque qui n’est pas seulement formé d’une longue place étale ouverte à plus ou moins de variations (harmoniques, sonores), comme nombre de réussites de l’ambient et de la drone-music. La trame de Quixotism est bien sûr linéaire : le motif principal est ce martèlement qui sourd d’un début à l’autre de la pièce, magnifique pattern rythmique signé Thomas Brinkmann (un maître en la manière) dont Ambarchi déclare qu’il a en effet été à la base de son travail. Mais au fil de cette pulsation répétitive et de sa lente et inexorable progression (du tremblotement et du quasi silence aux montées les plus bassy, puis retour au silence), bien que le tempo en soit invariable, il a réussi à architecturer une

succession de cinq parties très distinctes (correspondant à autant d’index du CD) qui, tantôt Lento, tantôt Sostenuto ou Cantabile, sont presque composées à la manière d’un poème symphonique. A 45 ans, l’Australien est assurément un musicien caméléon (est-ce le sens de la belle pochette en question ?). Né à Melbourne au sein d’une famille juive sépharade originaire d’Irak et formé dans une école orthodoxe de Brooklyn, batteur devenu guitariste parfois sans guitare, dont la discographie pléthorique, retrace les innombrables collaborations de Christian Fennesz à Keiji Haino, de Phill Niblock à Dave Grohl, d’Evan Parker à z’ev, Ambarchi est capable de jouer avec Sunn o))) comme d’interpréter une pièce d’Alvin Lucier sur la scène de l’Auditorium du Louvre, ou de faire paraître, chez Tzadik, un disque hommage au fondateur et premier rabbin du mouvement Loubavitch, une branche du judaïsme hassidique … Quixotism est ainsi un vrai disque cosmopolite. S’il s’agit d’un poème symphonique, alors c’est un poème de l’ère du home-studio, agençant des enregistrements recueillis à travers toute la planète, auprès de musiciens issus de toutes les sphères : Eyvind Kang, Jim O’Rourke, le pianiste John

Tilbury, et même l’Orchestre Symphonique d’Islande dirigé par Ilan Volkov … on dirait le générique d’un album de David Sylvian. (La référence/révérence n’est ici nullement anodine : le 24 novembre dernier, le grand chanteur anglais a lui aussi fait paraître en CD une longue composition, There’s A Light That Enters Houses With No Other House In Sight, autour de la voix et des textes du poète américain Franz Wright : on y retrouve John Tilbury – et c’est une autre grande réussite musicale de la fin 2014). Le donquichottisme, nous confirme un anonyme dictionnaire en ligne, c’est l’« attitude de celui qui se plaît à soutenir des causes généreuses même dans des circonstances difficiles » : défenseur d’une musique exigeante, intelligente, mais surtout diablement sensuelle et enthousiasmante, affranchie des oeillères et du qu’en dira-t-on, musique qui fuit la facilité sans jamais être difficile, Oren Ambarchi n’a certainement pas choisi ce titre pour rien. David Sanson Infos pratiques : Oren Ambarchi, Quixotism, Editions Mego, 2015, 21 €. David Sylvian, There’s A Light That Enters Houses With No Other House In Sight, Samadhi Sound, 2015, 16 €.

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MÉMOIRE DE LA DANSE

LE PASSÉ RECOMPOSÉ La danse est un art souvent qualifié d’éphémère et pourtant, sous des formes et des supports variés et complexes, elle a ses propres archives. Cette mémoire offre aux chercheurs et aux passionnés une histoire aussi vieille que les entrechats. Aujourd’hui, de l’IMEC au CND ou à l’Opéra, la préoccupation des conservateurs comme des créateurs est de rendre vivante cette matière-mémoire. Fabrice Dugied, notre artiste invité, est le dépositaire des archives de sa mère, la journaliste Lise Brunel, qui couvrent 50 ans d’histoire de la danse. Danseur et chorégraphe, il crée à partir de ces archives sonores, visuelles et textuelles La collection Lise B., une exposition-spectacle d’un genre inédit. Plus classiquement, Isabelle Lenestour, fille d’un décorateur de l’Opéra de Paris, a fait don des archives de son père à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra, pour rendre vie et visibilité à ces fragments présents du passé. CORPS COUCHÉS, AVIGNON 1986. PHOTO : LISE BRUNEL


LISE BRUNEL L’ŒIL DE LA DANSE

Considérée comme l’une des plus grandes critiques de danse du XXe siècle, elle a d’abord été danseuse puis chercheuse en cancérologie. Puis, soutenue par son mari le peintre décorateur Jacques Dugied, elle quitte la science pour se consacrer à la danse moderne … avec un magnéto à cassette, un stylo et une implication totale. Celle qui n’aimait pas le mot critique se vivait comme une transmetteuse de l’expérience chorégraphique. Voyant tous les spectacles, partant à la découverte de tous les nouveaux émergeants, elle a participé à l’éclosion de la nouvelle danse française. Portrait par Dominique Pillette.

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ongtemps je me suis demandé qui était cette charmante petite dame aux cheveux courts flamboyants que j’apercevais dans les halls de théâtres les soirs de première. J’avais remarqué l’originalité de son style, son sourire lumineux, ses yeux pétillants. Quand on me présenta Lise Brunel, à la fin des années 80, je faisais une timide entrée dans le milieu de la danse, elle y était respectée comme journaliste et critique. Une femme exigeante, engagée. Une référence. Mais aussi une personne chaleureuse, naturelle, aimant la vie, sa famille, les gens. Bien des fois, sa présence amicale m’a rendue plus supportable la foule indifférente des premières.

LISE BRUNEL, MULHOUSE 1990. PHOTO : MICHEL DELON

Née à Lyon un jour de Noël (1922), Lise nous a quittés un 1er avril (2011). Entre ces deux dates, que d’expériences, de défis, d’énergie au service de la danse, qu’elle découvrit très jeune grâce à une mère passionnée. Ensemble, elles assistent à des ballets classiques mais aussi à des spectacles plus audacieux, comme les galas de danse libre du couple Sakharoff. Lorsque l’on sait que la danse libre portait les prémices de la danse moderne et de la danse contemporaine, on est tenté d’y voir un signe, sauf que … c’est une formation scientifique qu’entreprendra la jeune Lise Brunel. L’histoire aurait pu s’arrêter mais une confrontation avec le travail

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du chorégraphe et pédagogue Loudolf Child, dont elle suit le cours à Paris, lui ouvre une voie nouvelle. Exilé, Child est l’un des premiers représentants en France de l’expressionnisme allemand. Il a fondé sa compagnie, les Ballets français modernes. Lise y dansera de 1945 à 1948. Quand il décède en 1949, elle reprend ses études scientifiques, travaille quelques années comme chercheuse en cancérologie à Villejuif. Entre temps, elle a épousé le peintre Jacques Dugied, qui deviendra célèbre comme décorateur de cinéma pour de grands réalisateurs. Il la soutient lorsqu’elle décide de quitter le CNRS pour se consacrer à sa passion : la danse moderne. Elle acquiert des connaissances pratiques, théoriques et historiques en enchaînant cours et stages – avec entre autres Karin Waehner, Kurt Jooss, Yoshi Oida, Bob Wilson. Ses premiers textes en tant que critique paraîtront dans le mensuel Danse et rythmes (1958 à 1960), puis, de 1966 à 1972, les Lettres françaises, hebdomadaire fondé par Aragon, publient ses comptes rendus de spectacles. « D’une certaine façon, sa formation scientifique n’a pas été vaine, dit sa consœur Bernadette Bonis. Lise a toujours travaillé avec discipline et rigueur, se documentant et réfléchissant beaucoup. Et, grâce à sa proximité avec le milieu du cinéma, elle était très sensible à la composition des pièces, à leur mise en

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espace. Elle avait l’œil ! » C’est si vrai qu’on ne tarde pas à la solliciter comme conseillère artistique pour la programmation de spectacles (l’ARC/musée d’art moderne, plus tard l’espace Kiron). Quand la danse moderne américaine débarque dans les années 60, Lise contribue largement à la faire connaître. « Elle a soutenu mordicus un Merce Cunningham qui recevait des tomates quand il venait en France, se souvient encore Bernadette Bonis. Et œuvré à la venue d’Alwin Nikolais, Susan Buirge ou Carolyn Carlson. »

Les chroniques de l’art vivant numéro 23, septembre 1971

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1 LISE BRUNEL ET MERCE CUNNINGHAM. PHOTO : ANNE NORDMANN 2 LISE BRUNEL STAGE BOB WILSON. PHOTO : DEJEAN

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ABONNEMENT PRO

▸ De 1968 à 1975, Lise est chargée de la rubrique

danse aux Chroniques de l’Art vivant, revue de la galerie Maeght. En 1970, les Saisons de la danse lui ouvrent leurs colonnes. On la lira aussi dans Art Press et, de 1977 à 1988, au Matin de Paris.

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Je suis un particulier et je (me) fais un beau cadeau : je m’abonne ou j’abonne un proche et je/il reçoit le DVD « Portrait du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui »*

Je suis un pro (dans tous les sens du terme) et j’abonne ma structure

Au début des années 1970, elle repère les premiers acteurs de ce que l’on appellera la Nouvelle danse française. Les Jacques Garnier, Brigitte Lefèvre, Joseph Russillo ou Félix Blaska, une génération de danseurs chorégraphes qui cherchent à se dégager des influences de l’art officiel académique et de ses clichés en inventant leur propre langage. Ils n’ont pas de moyens, mais sont animés d’un souffle créatif extraordinaire et initient ce qui va devenir l’un des mouvements artistiques les plus vivants qui soient. D’autres jeunes créateurs émergeront à leur tour, Dominique Bagouet, Régine Chopinot, Jean-Claude Gallotta, Maguy Marin, Karine Saporta, François Verret pour ne citer qu’eux, chacun menant sa propre recherche dans des registres différents. « On voyait tout, raconte Bernadette Bonis, on se déplaçait dans des endroits improbables, des MJC, de tout petits théâtres dans des banlieues rouges … Une autre histoire de la danse était en train de s’écrire là. » Et Lise Brunel va militer activement pour organiser ce foisonnement, faire reconnaître les jeunes compagnies afin qu’elles puissent obtenir leur part de subventions et s’imposer sur les grandes scènes. Dans ce but, elle anime en 1974 un festival de la Jeune danse au Théâtre des Deux Portes à Paris, puis fonde l’association Action Danse en 1977. Inlassable, elle donne des conférences, participe à des émissions de radio (France Culture), collabore à plusieurs autres journaux (Théâtre Public et Politis), ainsi qu’à des encyclopédies et ouvrages collectifs.1 Elle est l’auteur de Nouvelle Danse française, d’un essai sur Trisha Brown.2 Elle engrange ainsi de précieuses archives, des milliers de documents, articles, affiches, photos, programmes de spectacles, enregistrements d’interviews, dossiers de créations, qui s’entassent dans sa maison de campagne et constituent aujourd’hui une véritable mémoire de la danse depuis 1958.

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Film de Pascal Villa Edité par ALBALENA

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Seule ombre au tableau : en 1982, ce poste de directrice de la Cinémathèque de la danse qu’elle espérait tant, mais n’obtiendra finalement pas. Elle sera tout de même faite chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 2010. Les dernières années de sa vie, Lise s’était trouvé une nouvelle passion : la généalogie. Encore une histoire de mémoire. Là aussi, elle s’investissait avec rigueur et enthousiasme et la fatigue ne semblait pas l’atteindre. Elle était toujours cette petite dame douce et déterminée qui avait donné tout ce qu’elle pouvait, tout ce qu’elle avait. Son héritage, préservons-le, partageons-le.

BALLROOM UN AN DÉJÀ ! Si vous avez manqué le début, les 4 premiers numéros de la collection :

1 Autrement/Fous de danse (1983), Danse à La Rochelle (1982), L’aventure de la danse moderne en France de Jacqueline Robinson (1990), Où va la danse ? (sous la direction d'Amélie Grand et Philippe Verrièle, éd. Seuil-Archimbaud, 2005). 2 Ed. Albin Michel, 1980, Ed. Bougé, 1987.

1 LISE BRUNEL, NIGHT CLUB SAVOY À PALAMOS, AOÛT 1967.

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Disponibles sur www.ballroom-revue.net

Fabrice Dugied

DANSER AU PRISME DE L’ARCHIVE Le fils de Lise Brunel a choisi de puiser dans l’incroyable somme de documents amassés par sa mère le matériau d’un spectacle, à mi-chemin entre l’installation, la performance et la danse. Au-delà de l’hommage, il veut saisir l’occasion de redéfinir sa propre conception de la danse à la lumière de 50 ans d’images et de témoignages. Il a mené ce travail créatif original avec Claude Sorin et Ninon Prouteau-Steinhausser, une doctorante de l’université Paris VIII-St Denis. Ce trio aux multiples savoir-faire nous dévoile quelques aspects de leur processus de création. Par Pierre Cléty. Aux origines Ne nous y trompons pas. Le fond du projet La collection Lise B. n’est pas de parler de Lise Brunel, mais de parler de la danse, à travers le prisme de Lise B. Permettre au public de resituer les courants, les artistes, les tensions et les révélations

1 FABRICE DUGIED. PHOTO : MYRIAM TIRLER

qui ont fait l’histoire de la danse des années 60 aux années 2000 et à cette occasion affirmer l’essence de la danse, cet « art du mouvement dans l’espace et le temps », voilà le véritable propos de Fabrice Dugied. Car si Lise Brunel est venue à l’écriture, c’est bien pour défendre cette danse moderne dont elle

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appréciait toutes les esthétiques mais qui n’avait alors aucun espace d’expression, pour en parler en termes facilement compréhensibles, pour l’apporter à tout le monde. Elle-même se disait d’ailleurs plus « journaliste » que « critique » : elle décrivait la danse de la façon la plus objective possible et s’attachait particulièrement à rendre compte du processus de création des chorégraphes. Elle se donnait la mission d’amener le public à la danse et c’est dans cette continuité que le projet de Fabrice Dugied s’inscrit.

Trio de tête Fabrice tient toujours à fédérer une grande variété de générations et d’expériences. Pour concevoir cette

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▸ œuvre, il a d’abord appelé autour de lui

Claude Sorin, amie de longue date. Claude avait rencontré Lise Brunel à l’occasion de son livre sur Trisha Brown mais aussi de son programme Les voix de la danse. Lise ayant contribué à fonder le discours sur la danse contemporaine, notamment sur France Culture dans les années 70/80, Claude Sorin lui est restée profondément attachée. Soucieux de rester en contact avec les points de vue de générations plus jeunes, Fabrice a ensuite demandé à Ninon Prouteau, qui termine une thèse sur la critique en danse à l’université Paris VIII – St Denis, de compléter ce trio avec son expertise d’historienne.

L’art et la méthode Car face au legs de Lise Brunel, le défi était de taille. Le volume de documents, de toute forme, s’étendant sur plus de cinquante ans et sur des sujets très divers, pouvait donner le vertige. Il a donc fallu un travail long, méthodique et minutieux. Une phase préparatoire de rangement, de listage, de réorganisation, avait été réalisée par Fabrice Dugied. Puis, à l’issue d’une revue générale des archives, quelques grands axes de présentation ont été choisis, très progressivement, par un travail d’allerretour entre les idées, les projections et les documents d’origine. Au final, les grandes thématiques retenues embrassent cinquante ans d’histoire. Premier thème fondateur, « les ressorts du regard » : Qu’est-ce qui a nourri le regard de la journaliste ? Sa pratique de danseuse, l’importance de son maître Loudolf Child, le quotidien des danseurs des années 60, l’arrivée en France des américains, la modern dance et la post-modern dance, mais aussi les œuvres qui lui servaient de référence. Les autres axes retenus par l’équipe ont trait aux sujets de prédilection de Lise Brunel : la danse et la théâtralité (entretiens avec Maguy Marin, Pina Bausch, Jean-Claude

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Claude Sorin

Gallotta), la composition chorégraphique avec notamment Merce Cunningham, la nouvelle danse française (thème de son livre en 1980). Les liens entre danse et politique sont aussi très présents : les conditions de vie des danseurs, les manques de représentation collective, les besoins de soutien public, autant de sujets qu’elle a défendus toute sa vie.

L’IMAGE DU SON Danseuse, Claude Sorin plonge depuis plusieurs années dans les archives sonores de la danse pour réhabiliter la parole des danseurs. Pour La collection Lise B., elle s’est emparée des nombreuses cassettes d’enregistrements de la journaliste et nous en restitue des fragments qui viendront habiter la création sonore du spectacle et de l’exposition. Par Céline Lamie.

Rendre l’archive « performative » C’est un chemin artistique complet à travers une sélection des archives du fonds Lise Brunel que La collection Lise B. propose au public. Le projet qui, au départ, était prévu comme une exposition, est bien vite devenu une performance chorégraphique, ce qui lui a donné bien plus de légitimité au sein des théâtres. Il a ainsi pu trouver les budgets nécessaires à sa production, des lieux pour le travail et la représentation, une visibilité et une reconnaissance dans le milieu professionnel. Sous cette forme, les archives pourront trouver de multiples supports pour se déployer : écrans numériques, projections vidéo, installations de type muséal, etc. Et sur la scène, elles pourront être un décor, un point de départ pour l’action ou simplement le support de l’imaginaire créatif. Le théâtre sera investi dans tous ses espaces : entrée, salles d’exposition, endroits de passage, jusqu’au plateau. Le défi que cela pose aux concepteurs est de choisir pour chaque document le bon lieu, le mode de présentation adéquat et la bonne temporalité afin que l’on en comprenne toute la valeur.

Une soirée en 3 temps Le public sera accueilli dès son arrivée par des installations montrant des archives de la collection, dont une sculpture : une femme à 6 bras tenant des sacs à mains où sont enchâssés des écrans

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numériques. Ces écrans diffuseront des citations de chorégraphes recueillies par Lise B. Il s’agit d’amorces de réflexions qui prennent souvent la forme d’aphorismes, avec surtout beaucoup d’humour. Comme cette phrase de John Cage: « Les danseurs ne dansent pas sur la musique mais sur leurs pieds ». Le deuxième temps de la soirée est le spectacle lui-même. Sur scène, une autre sculpture : une installation monumentale, cube de 4 mètres sur 4, où sont exposées 448 photographies de danse. L’installation des images se fait à vue tout au long du spectacle, comme une invitation à venir découvrir tout en détail … plus tard. Au plateau ce sont 8 personnes, dont les 3 créateurs de la performance, qui vont manipuler les archives. Les 5 danseurs ont été choisis pour représenter une grande palette d’âges : Brigitte Asselineau, Edwige Wood, Camille Ollagnier, Ashley Chen, Mié Coquempot. C’est chaque document, image, son ou texte, qui va susciter le matériau chorégraphique, sans que la danse cite tel ou tel chorégraphe. « Nous lisons par exemple des extraits de Lise Brunel où elle décrit un mouvement, et ces phrases deviennent nos partitions » explique Fabrice Dugied. « Un autre support de

création, ce sont les affiches de danse que nous déroulons comme autant de pans d’histoire ». L’équipe a aussi voulu illustrer des processus de création chers à Lise B. comme l’aléatoire, par des tirages au sort qui vont conditionner la transformation de la danse. Pour parfaire le spectacle, n’oublions pas la musique. Meredith Monk, qui était une amie proche de Lise, a non seulement soutenu dès le début ce projet mais elle a aussi donné libre accès à toute son œuvre musicale et a écrit un morceau inédit pour l’occasion. A l’issue du spectacle, le public sera invité à monter sur scène pour faire l’expérience du plateau, regarder en détail les installations et surtout il lui sera proposé d’expérimenter ce que Lise Brunel a fait toute sa vie : l’écriture sur la danse. Les concepteurs ont imaginé pour cela plusieurs moyens dont nous vous laissons la surprise. Belle conclusion, après avoir déplacé et multiplié notre regard sur l’archive, que de revenir aux fondamentaux de l’écriture, qu’ils soient en mots, en images ou en mouvements. La collection Lise B. Installation performative, les 7 et 8 mars à la Briqueterie, CDC Val de Marne et le 14 mars au Théâtre Paul Eluard de Bezons.

Faire vivre les mots de la danse. Voilà la motivation profonde de la danseuse, chorégraphe et archiviste sonore Claude Sorin. Passionnée de danse et de radio « ce média chaud », elle a découvert, lors d’un travail de recherche pour une formation universitaire, une mine d’or détenue par l’INA : des milliers d’heures d’enregistrements inédits de chorégraphes. « Je pensais qu’il fallait trouver un moyens pour faire entendre ces archives, en restituer le souffle et le grain de la voix. » Des archives des années 30 comme celles de Martha Graham ou Serge Lifar, à celle de Carolyn Carlson, Pina Bausch, Merce Cunningham, Dominique Dupuy … Des archives de l’INA à celle du Centre National de la Danse, Claude Sorin a eu la chance de découvrir une grande partie des interviews des chorégraphes du XXe siècle. « Dans ma recherche, je cherchais la parole des chorégraphes sur leur travail. Un temps de parole où s’établissait un vrai dialogue avec l’interviewer. C’est intéressant de voir grâce aux archives sonores comment la parole de la danse évolue et se transforme à travers ce que les artistes revendiquent selon les époques. Surtout que beaucoup de chorégraphes n’ont pas écrit ». Ce travail d’écoute et de recherche extrêmement chronophage, Claude Sorin l’a mis en action pour le spectacle La collection Lise B. autour des interviews sonores réalisés par la journaliste « qui avait ce désir de rendre compte de la parole de l’artiste, d’être au plus près du travail et du processus de fabrication. » Près de 200 cassettes

1 RÉPÉTITIONS DE LA COLLECTION LISE B. – PHOTO : MYRIAM TIRLER

(environ 200 heures d’enregistrements) que Claude a écoutées avec Fabrice Dugied, réécoutées et sélectionnées avec parfois l’impression de « chercher des aiguilles dans une meule de foin ». Claude pré-monte tout dans sa tête et connait presque tout par cœur, jusqu’aux intonations elles-mêmes, à force d’entendre et de réentendre les bandes. « Outre les propos des chorégraphes, il y a des choses étonnantes, enregistrées lors d’improvisations musicales ou dans des cours et que nous allons utiliser pour mixer. Une façon de travailler autrement la question de l’illustration sonore ». La création sonore du spectacle est réalisée par le pianiste et compositeur Jacques Labarrière. Depuis quelques années, pour faire partager aux danseurs et non-danseurs ses découvertes, Claude Sorin, assistée de la documentariste d’Hélène Cœur, a mis au point des studios d’écoute où le public, installé confortablement, peut profiter de montages sonores organisés autour d’une thématique. « L’archive sonore peut permettre d’être traversé par des perceptions, des sensations et ainsi de se construire ses propres images. C’est une expérience merveilleuse d’enlever l’œil et de faire percevoir autrement ». Prochains studios d’écoute : Danse jazz en parole le 19 mai au CND à Pantin Les archives sonores de Lise Brunel peuvent être consultées à la médiathèque du Centre National de la Danse.

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LES RICHES HEURES DE L’OPÉRA Dépendante de la BNF, la Bibliothèque-Musée abrite au Palais Garnier une partie de la mémoire de l’Opéra de Paris. Tableaux, bustes, objets personnels, mèche de cheveux, dessins, maquettes, les grands noms du spectacle ont laissé leur empreinte. Les achats et donations permettent d’enrichir ce fonds inestimable. Par Céline Lamie.

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a Bibliothèque de l’Opéra a été créée en 1866, 200 ans après la naissance de l’Académie de musique et de danse. Sagesse d’un temps où, l’Opéra étant en concession privée, il était plus prudent de confier à un organisme d’Etat la conservation de la mémoire de ce lieu. Depuis 1935, elle est dépendante de la bibliothèque nationale de France (BnF). La France est ainsi le seul pays au monde où une bibliothèque nationale conserve le patrimoine d’un théâtre. « Nous avons l’avantage

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d’être dans les locaux mêmes de l’Opéra, ce qui est bien commode, et d’appartenir à la bibliothèque nationale de France (BnF) qui consacre quand même d’autres moyens pour la conservation et la publication des catalogues. Et puis il est vrai que la mémoire n’est pas le souci majeur de l’Opéra qui est toujours dans le présent et même dans l’avenir et se préoccupe un peu moins des choses anciennes », nous confie Pierre Vidal, conservateur. En suivant un dédale de couloirs et d’escaliers dérobés, on débouche sur le plus grand des magasins, fermé par une porte blindée et correspondant aux préconisations en matière de sureté, de température, d’hygrométrie … Dans cet antre de la mémoire sont entreposés des objets et des documents venant de donations, d’acquisitions ou directement de l’Opéra, certains datant du XVIIe siècle. Des centaines de tableaux, de bustes, d’objets en tout genre, certains de grande valeur documentaire ou artistiques,

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d’autres plus anecdotiques comme la mèche de cheveux de Berlioz, un morceau de ruban du chausson d’une danseuse étoile ou la marotte « tête porte chapeau » de la danseuse culte de la fin du XIXe et égérie de Théophile Gauthier, Marie Taglioni. « On conserve beaucoup de choses autour de la danse mais la danse elle-même on ne la conserve pas. Elle échappe à toute conservation », souligne, facétieux, Pierre Vidal. Dans les archives pour beaucoup déjà numérisées, un chercheur ou un chorégraphe pourra découvrir tout ce qui est mis en oeuvre par un théâtre pour produire un spectacle : notation chorégraphique, de Feuillet à Preljocaj, arguments de ballets, partitions, maquettes de costumes et de décors sous leur forme plane et leur forme construite, affiches, billets, programmes, photos de répétitions et de spectacles, la presse, ainsi que des objets emblématiques comme des chaussons, des miroirs, quelques tutus, etc…

Des fonds venus de tous les horizons La majorité des archives de la Bibliothèque de l’Opéra est le reflet de l’activité du théâtre, mais on y trouve aussi une quantité assez importante venant de l’Opéra Comique, qui lui aussi a eu son ballet, et les fonds de nombre de compagnies d’avant-garde parisienne qui sont passées par l’Opéra de Paris ou qui n’y sont jamais venues comme les Ballets Suédois. La bibliothèque possède également un fonds gigantesque sur les Ballets Russes, fruit de donations ou acquis dans des ventes publiques à l’époque où ce genre de documents faisait moins partie d’un marché dans le monde de l’art. Dans les années 50, la bibliothèque a reçu une partie des Archives internationales de la danse de Rolf de Maré. La dernière grande collection accueillie est le don effectué par le Ballet-Théâtre Contemporain, compagnie créée en 1968, qui comprend des maquettes de décors réalisées notamment par

1 MAQUETTE DE MAURICE LENESTOUR POUR LE LAC DES CYGNES. PHOTO : SYLVAIN PELLY 2 ESQUISSE DE DÉCOR DE MAURICE LENESTOUR POUR CASSE-NOISETTE. PHOTO : SYLVAIN PELLY

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▸ Sonia Delaunay, Karel Appel, Alexander Calder et

Edouard Pignon. Ces dernières donations ont permis d’enrichir et de moderniser les collections.

Des acquisitions parfois difficiles à obtenir « On aimerait que certains artistes nous versent leurs oeuvres, confie Mathias Auclair, conservateur. Nous argumentons sur la visibilité, la pérennité que cela donnerait à leur travail mais cela ne leur fait ni chaud ni froid … Jusqu’au moment où ils se rendent compte que tout le monde a oublié leur passage à l’Opéra. » A l’inverse, certains tentent de se créer une postérité en voulant faire don de leurs œuvres à la BnF.

ET ROLF DE MARÉ CRÉA LES ARCHIVES INTERNATIONALES DE LA DANSE Rolf de Maré, visionnaire, collectionneur, amoureux des arts est né à Stockholm le 9 mai 1888 dans une riche famille d’aristocrates. Fondateur, mécène et animateur des Ballets suédois créés en 1920, celui que l’on nomme parfois le Diaghilev suédois décida en 1932 lorsque ses ballets cessèrent d’exister de fonder les Archives internationales de la danse (A. I. D.), afin d’initier une réflexion sur la mémoire de la danse. Il imagina de créer à Paris, sa ville d’adoption, un vaste organisme consacré uniquement à l’art de la danse sous toutes ses formes et à toutes les époques. Les A. I. D. avaient pour but de réunir, de centraliser et de promouvoir tout ce qui avait trait à la danse d’un point de vue artistique, technique, historique et anthropologique ; Rolf de Maré entreprit ainsi de nombreux voyages afin de poser les bases d’une approche anthropologique de la danse. Pour promouvoir les talents, les A. I. D. organisèrent des concours chorégraphiques internationaux qui comptèrent, parmi leurs participants, des figures marquantes de la danse. À la suite de la dissolution des Archives internationale de la danse en 1952, Rolf de Maré fit don des collections documentaires à la Bibliothèque musée de l’Opéra. Ce grand ambassadeur de la danse mourut à Barcelone le 28 avril 1964. Pour aller plus loin, plongez vous dans le magnifique livre de Erik Näslund, Rolf de Maré, édité par Actes Sud.

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« Il y a un certain nombre d’artistes qui croient que sous prétexte que le sujet de leur art est un grand danseur ils peuvent tout nous donner. Je ne vous dis pas le nombre de portraits kitch de Noureev, de Callas ou autres, que je pourrais acquérir tous les jours », ajoute Pierre Vidal. Depuis longtemps, les conservateurs de l’Opéra font un travail d’acquisitions soit en sollicitant des dons soit par achat dans les ventes publiques ou auprès d’héritiers. Aujourd’hui, à l’heure où les restrictions budgétaires obligent à sélectionner de plus en plus les acquisitions onéreuses, il reste salutaire de récupérer certains documents provenant des activités de l’Opéra, même si leur créateur ou leur gestionnaire a tendance à vouloir les conserver pour lui-même. « Le théâtre est un lieu passionnel, affectif, où l’on a le sentiment d’appartenir à une famille, analyse Mathias Auclair. Et donc la tentation est grande lorsque l’on quitte l’Opéra de partir avec des documents. Souvent d’ailleurs avec la sensation que l’on protège son travail. Alors il faut faire comprendre qu’en nous remettant les documents ils seront mieux conservés, que ça servira au plus grand nombre et que les documents seront bien mieux valorisés qu’en étant exposés uniquement chez eux. » Il arrive parfois que le Service interministériel des Archives de France réclame des objets en vente sur des sites ou dans des ventes publiques même si parfois il est difficile de prouver que ce sont des documents publics. « Rien n’empêche un dessinateur quand il réalise des maquettes de décors de faire, comme Chapelain-Midy, un jeu pour l’opéra et un pour lui. Dans les ventes on voit ainsi souvent des maquettes de décors et de costumes réalisés pour l’Opéra », confirme Pierre Vidal. Situé dans le Palais Garnier, le musée de l’Opéra est ouvert au public mais l’accès à la bibliothèque est réservé au personnel de l’Opéra de Paris et aux chercheurs titulaires d’une carte « Recherche » de la BnF.

1 TÊTE À CHAPEAU DE MARIE TAGLIONI DANS LES ARCHIVES DE L’OPÉRA GARNIER. PHOTO : SYLVAIN PELLY 2 ARC DE GUILLAUME TELL ET DIVERS BUSTES DANS LES ARCHIVES DE L’OPÉRA GARNIER. PHOTO : SYLVAIN PELLY 3 PIERRE VIDAL, CONSERVATEUR EN CHEF ET DIRECTEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE MUSÉE DE L’OPÉRA DE PARIS. PHOTO : SYLVAIN PELLY

UNE VIE À L’OPÉRA Isabelle, fille de Maurice Lenestour, décorateur à l’Opéra, a fait don du travail de son père aux archives de l’Opéra. Ou comment une collection privée rentre dans la mémoire collective.

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on père, Maurice, décédé à l’été 2014, est rentré en 1945 à l’Opéra comme stagiaire. Il avait 16 ans. En hiver, le matin, dans ces grands ateliers du boulevard Berthier qui abritent en partie aujourd’hui le théâtre de l’Odéon, il mettait la chaudière en route avant que tout le monde n’arrive. Une fois la pièce à température raisonnable, il réchauffait les couleurs qui étaient faites avec de la colle de lapin et des pigments et qui, pendant la nuit, gelaient et devenaient des morceaux de glaçons inutilisables. Il prenait des cours du soir et peignait en dehors de ses heures de travail, et au bout de quelques années, à force de mettre la main à la pâte et de regarder travailler les autres, mon père est devenu décorateur. Puis, après des années de carrière, il est devenu chef-décorateur et là, il a signé ses propres décors. Au début des années 80, il est devenu conseiller technique de l’administrateur. Mon père aurait voulu continuer son travail de chef-décorateur, mais l’époque avait changé et il a été victime d’une mutation totale de la scénographie. Sans le savoir, il était à la charnière entre deux époques : on passait des décors peints très détaillés,

à des concepts de décors beaucoup plus modernes et souvent dénudés. Quand mon père est tombé malade, il y a quelques années, j’ai eu envie de pouvoir redonner vie à son trajet artistique et professionnel et de faire don à l’Opéra de toutes ces maquettes qu’il avait emportées avec lui et qui devaient pouvoir servir au plus grand nombre plutôt que de rester dans des cartons. Mais qui contacter ? Après des recherches sur internet, une personne du Musée des Arts décoratifs m’a aiguillée vers la BnF qui s’occupe des archives de l’Opéra. Mais pour que cette donation soit utilisable, il fallait que je classe toutes ces archives dans leur chronologie ; savoir à quel moment il avait fait tel décor et occupé tel poste. Jacqueline, la compagne de mon père qui était danseuse et qui a elle aussi fait toute sa carrière à l’Opéra, se souvenait de tout : du nom de tous les ballets, de tous les opéras, de qui était chef décorateur à telle époque, qui était l’administrateur … Cela m’a pris trois ans pour mieux comprendre. Une fois que j’ai pu situer ces archives dans une histoire et une temporalité, cela commençait à devenir très intéressant pour la BnF. Je leur ai apporté ses maquettes de décors,

MAQUETTE DE DÉCOR DE MAURICE LENESTOUR POUR CASSE-NOISETTE. PHOTO : SYLVAIN PELLY

peintes à la gouache, de même que des maquettes signées par d’autres artistes, certaines dédicacées « merci à Maurice pour ton coup de main(s) », et puis des maquettes de costumes, des fiches de payes, des contrats de travail, etc. Lorsque j’ai ouvert certains de ses cartons, j’y ai découvert des documents très précieux, comme des dizaines de comptes rendus de réunions du personnel de l’Opéra qui fourmillent de détails. Des costumières ou des musiciens n’étaient pas d’accord avec telle ou telle nouvelle mesure ou réorganisation prise par la direction … et puis il y avait aussi les réunions à propos d’anciens décors et costumes : savoir ceux que l’on allait garder, ceux qui allaient être stockés et dans quel hangar … Des pages et des pages qui permettent de comprendre comment marchait une grosse machine comme l’Opéra. Je suis émue et ravie que cette mémoire retourne à la source. Qu’elle vienne s’inscrire dans une mémoire collective. Bien entendu, toutes ces recherches m’ont permis de mettre en lumière le travail de mon père mais aussi de mieux comprendre ce personnage complexe et peu bavard. »

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explique t-il. Des artistes comme Régine Chopinot ou Catherine Diverrès se sont alors demandées de quelle transmission elles étaient responsables. »

LE CND OU L’ARCHIVE EN MOUVEMENT

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Chaque année, au Centre National de la Danse à Pantin, des milliers de documents transitent entre les mains du directeur du département Patrimoine, Audiovisuel et Editions, Laurent Sebillotte. Une histoire de la danse « in progress » qu’il construit avec minutie, au plus près de la création. Par Eve Beauvallet.

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l n’y a pas si longtemps, les réticences à l’égard de la trace, du document, étaient largement partagées par les chorégraphes : on s’interrogeait sur l’intérêt des captations qui, la plupart du temps « écrasent », « appauvrissent » les pièces, on s’accordait à dire que la mémoire de la danse, art de l’éphémère par excellence, résidait dans les corps des danseurs – danseurs considérés comme seuls archives possibles de la danse. Et puis, sensiblement, les mentalités ont bougé. La question du répertoire, la réflexion sur le patrimoine et la mémoire de la danse sont aujourd’hui envisagées comme des problématiques majeures, suscitant

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hypothèses, appropriations et commentaires jusque dans les spectacles mêmes. Aux avant-postes de ce changement d’optique, le travail éléphantesque, en terme d’archéologie et d’accompagnement d’artistes, opéré par le Centre National de la Danse depuis sa création en 1998, au travers du département Patrimoine, Audiovisuel et Editions. L’arrivée dans le paysage chorégraphique de cet établissement atypique, « pensé pour n’être pas uniquement une école, uniquement un musée ou uniquement un théâtre, mais qui permette de croiser différents modes d’accès à la danse », se souvient le directeur du département Laurent Sebillotte, a permis de donner aux artistes un rôle actif dans la création du patrimoine. Et de créer, petit à petit, des cercles vertueux. Laurent Sebillotte, lui, parle plutôt de convergences d’envies et d’événements pour expliquer cette inflation de curiosité pour l’histoire de la danse: « L’arrivée du CND a coïncidé avec l’époque des premiers renouvellements à la tête des Centres Chorégraphiques Nationaux, un moment où une génération de chorégraphes s’est intéressée à la manière de structurer sa documentation,

Le CND s’est ainsi développé comme un outil complémentaire à la bibliothèque du Musée de l’Opéra, en constituant d’une part une collection de référence (sur le XXe et XXIe, avec un accent inédit sur l’international), en imaginant aussi une manière de réactiver le répertoire via la pratique (avec ses opérations Danse en Amateur et répertoire basées sur le remontage d’œuvres) ou en insistant sur la diffusion du patrimoine (le CND soutient la plateforme de vidéos de danse Numeridanse.tv, portée par la Maison de la Danse de Lyon). En ce qui concerne la collection, Laurent Sebillotte résume les spécificités de son travail ainsi : ne pas opposer les types de ressources (vidéos, textes, photos, « je crois beaucoup aux archives sonores également »), documenter la danse via des faisceaux multiples (les artistes, mais aussi tous les acteurs de la danse : pédagogues, théoriciens, notateurs, collectionneurs), et pour ce qui est de la collecte des traces visuelles, ne pas nécessairement privilégier les versions canoniques des oeuvres (qui sont conservées par d’autres organismes comme l’INA) : « Ce que nous avons apporté de nouveau, il me semble, c’est d’envisager avec le même intérêt toute documentation produite par les artistes qui puisse favoriser le remontage et nourrir les chercheurs (répétitions, pédagogie, etc.). » D’autre part, la politique du CND est de privilégier la quasi simultanéité de la collecte et de la création. D’où un dialogue étroit avec des chorégraphes comme Christophe Haleb qui se voit conseillé sur la prise de notes de ses créations. Ou récemment avec Fabrice Dugied pour La collection Lise B., regards sur la danse contemporaine, création à partir des archives de sa mère, la critique de danse Lise Brunel disparue en 2011. « Il est propre au CND d’être un lieu où la danse se fabrique, revient-il. Nous n’attendons donc pas que la collection soit le résultat passif de conditions de transmission parfois hasardeuses (documents perdus, illisibles …)… Le risque, sans doute, c’est de créer trop d’archives. » Autour de 15000 supports vidéo de toutes natures (captations, documents de travail, etc.), plus de 110 fonds constitués autour d’organismes ou de personnalités pour la plupart des trente dernières années … Des fonds qui s’avèrent parfois

gigantesques à traiter : « Quand Hervé Robbe a quitté le CCN du Havre et a proposé ses archives au CND, il les a déposées sous forme de disque dur, avec des milliers de dossiers (notes, croquis, vidéos). » On se tromperait en pensant que la dématérialisation des supports et l’arrivée du numérique a facilité la tâche des employés du département. Problèmes de conservation d’une part, les mémoires informatiques étant extrêmement fragiles (avec des problèmes de formats propriétaires qui dépendent d’éditeurs de logiciels) et supposant des gestes techniques chronophages (les actes de préservation devront être réalisés tous les 3/5 ans). Problème de profusion, d’autre part, le numérique encourageant, par exemple, à prendre des milliers de photos. Un sacerdoce ? Ce qui est sûr, c’est que patience, technique et qualité d’interprétation sont nécessaires à ce travail de recoupement et d’indexation qui seul permet de rendre lisible le patrimoine. Soit les qualités qui font défaut à la majorité des vidéos de danse en circulation sur les plateformes comme YouTube et que l’archiviste observe avec appréhension. « Pas de dates, pas de mise en contexte, pas d’informations ». Dommage, si l’on considère comme lui que l’« on regarde d’autant mieux la danse quand on comprend ce qui la travaille. »

VIDÉODANSE Mémoire vive de la danse contemporaine depuis sa création en 1982, fond d’archives (plus de 2500 vidéos) mais aussi festival porté jusqu’en 2012 par Michèle Bargues, VidéoDanse est aujourd’hui envisagé comme un appendice au Nouveau Festival du Centre Pompidou. L’occasion d’ouvrir la danse à un autre public, en l’occurrence celui de l’art contemporain, de gagner en temps de visibilité – les films étant projetée durant plusieurs mois dans l’espace 315 – et de fédérer les deux événements autour d’une thématique commune : l’an passé la mémoire, cette année le jeu. « Nous avons retenu trois angles, explique Valérie Da Costa, commissaire invitée : la scène comme aire de jeu (avec les vidéos de Jean Babilée, Merce Cunningham ou le Waterproof de Daniel Larrieu), les règles du jeu (les « tasks » de la postmodern dance mais aussi Anne Teresa De Keersmaecker, Herman Diephuis, Mickaël Phelippeau), enfin les règles du folklore revisitées (avec Christian Rizzo ou Alessandro Sciarroni). » L’èvénement est organisé autour d’un écran de neuf mètres et d’un dispositif d’assises conçu par la jeune artiste Chloe Quenum : « Internet donne l’occasion de visionner de la danse sur son ordinateur, explique Valérie Da Costa. On a voulu, en complémentarité, réfléchir sur la manière d’exposer le film de danse, envisagé comme objet plastique à part entière. » Vidéodanse, du 20 mai au 15 juin, Espace 315 du Centre Pompidou

1 RADHOUANE EL MEDDEB, LA COMPAGNIE DE SOI : AU TEMPS OÙ LES ARABES DANSAIENT. PHOTO : AGATHE POUPENEY/PHOTOSCENE

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Portraits de grands choregraPhes contemPorains

LES ARCHIVES DU VIVANT

nécessité. Les centaines de fonds, qui s’étalent sur une période allant du début du XXe siècle à aujourd’hui, présentent une peinture culturelle complète de cette époque. Le mélange des genres permet de naviguer d’un fonds à l’autre, même dans des champs différents, afin de retrouver une sorte de maillage.

Peinture littéraire et culturelle du début du XXe siècle à aujourd’hui, l’IMEC est un lieu de recherches et de création autour d’une archive vivante. Par Céline Lamie. Perchée sur les hauteurs de Caen, l’Abbaye d’Ardenne offre depuis une quinzaine d’années un écrin de verdure aux collections de l’IMEC (institut Mémoires de l’Édition Contemporaine). Ce tout jeune institut de mémoire est né d’une envie de mettre au service des chercheurs les archives du présent et de faire bouger les frontières entre toutes les disciplines, littérature, philosophie, sciences humaines, ethnologie. En très peu de temps, nombre d’auteurs vivants ou ayants droit, séduits par cette ouverture d’esprit, ont donné leurs archives. Puis le théâtre s’est invité grâce à Jean Genet, Roger Blin, Vitez, Chéreau … et par osmose le champ culturel a été investi. Signe des temps pour Albert Dichy, le directeur littéraire de l’IMEC car « l’institut apportait une résonnance aux besoins d’une archive moderne et vivante ».

Le temps de la danse La danse contemporaine a fait son entrée à l’Abbaye par Dominique Bagouet puis par la venue des innombrables documents de l’imprésario Thomas Erdos. Homme de l’ombre lumineux, il fut à la fois le conseiller artistique, l’administrateur de tournées et le confident de nombreux artistes dont Pina Bausch, Alwin Nikolais, Carolyn Carlson ainsi que de nombreux musiciens. Quand à Bénédicte Pesle, agent artistique de Merce Cunningham et de Bob Wilson, elle a, elle aussi, livré sa mémoire aux 22 kilomètres linéaires de documents

abrités dans ce lieu magnifique où tout est prévu pour séjourner, et où chercheurs et artistes du monde entier se retrouvent compagnons de recherche. Dernièrement l’IMEC a reçu les archives de la revue Mouvement de Jean-Marc Adolphe qui traverse notamment une dizaine d’années de la danse très contemporaine et peut ainsi alimenter une recherche autour de l’art chorégraphique.

Place à la création Si l’IMEC est un lieu de recherche et de mémoire, il est aussi un lieu de créations où naissent des colloques et des spectacles pour rendre vie à l’archive ; Créer sur le lieu de l’archive est une

Symboliquement la danse y a toute sa place. En 2005, pour l’inauguration de la bibliothèque située dans l’abbatiale, la chorégraphe Susan Buirge a présenté une chorégraphie basée sur les gestes et pratiques des professionnelles de l’archive. Elle a par ailleurs créé un spectacle à partir du fonds de Marguerite Duras. Les carnets de Dominique Bagouet ont été investis par le chorégraphe Dominique Jégou qui est venu y puiser un fragment de la partition de So Schnell (1990), qu’il a réinterprété dans un jeu de compression et décompression. Pour Albert Dichy, un des créateurs de l’IMEC, Dominique Bagouet et Susan Buirge avaient une position très différente vis-à-vis de l’archive. « Les Carnets Bagouet ont opté sur la possibilité de recréer une chorégraphie, alors que Susan Buirge est opposée à l’idée qu’une pièce puisse être recréée. Mais le débat reste ouvert. »

Retrouvez nos collections en DVD

UET COMPAGNIE BAGO Cote : BGT : 1981-1993 ; 115 im pr im és Dates ex trêm es îtes d’a rc hives ielle : 144 bo tér ma ce an rt Im po d’étu de Bibliot hèque Bibliothèque : ég raphe e Bagouet, ch or ... uet, Do mi niqu Co mpag nie Bago Pr oducteu r : et ses ie, ses dessi ns ... de ch or ég raph istoi re de la que : Ses notes pital pour l’h ca rt po ue ap Notice histori un i n ch or ég raph iq ue nt au jou rd’hu ai l de notatio te xtes constit ission ont été im portant trav sm Un an tr ne. de ai or ns estio da nse conte mp ie su r les qu en av ri l 1993 ion ap pr ofond ciation cr éée et une réflex Bagouet – asso recr éation de ets la rn Ca is s rm Le pe r a qu i entr ep ris pa co mpag nie – ce que Bagouet. ni la mi de Do rs de eu ns pa r les da ch or ég raph ies des pr incipa les quelques-unes gouet en 1996. les Ca rnets Ba ds déposé pa r Fon : e ré nt d’e Mo da lité vont des ag nie Bagouet es pa r la Co mp ses assista nts ives conser vé ch de ar ou s Le uet : go An alyse mi nique Ba ue cr éation ph iq ues de Do es. Pour ch aq x ph otographi notes ch or ég ra au ve r tous et ou e tr re ess pr ble de es de , il est possi le son, jusq u’a ux revu plus ancie nnes) s, l’éclai rage, me les tu ur po cos té les (excep nt les cors, na dé er nc les co nt ns na matio concer les élé me nts iq ues, des in for élé me nts tec hn co mplètes. les di ffé re nts stratives sont ni mi ad s ive ar ch tour nées. Les : Fon ds clos. Acc roisse ments

Disponible également en VOD

www.filmsdocumentaires.com

www.vodeo.tv

EXEMPLE DE DESCRIPTION D’UN FONDS D’ARCHIVES IMEC : LA COMPAGNIE BAGOUET

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Distribution : Albalena Films - email : distribution@albalena.com


L A M S A P E C N A L A B ÇA !   E S U O L U O T À

UNE VILLE QUI DANSE

eux de j n e s de ie par ne ville aux s i a s , u lle ulture oulouse est quatrième c é t i s T la er de div importants : danse dans eloppement n a r g la ue a Dév Une nomiq place pour Centre de mpagnies, l o c é t n n le o ppeme ettes. Quel nd ballet, u vivier de c breuses et o l e v é c d les fa tre un gra âtres et un es sont nom ville à se p i t l u é m En nt nce ? ique, des th ais les atte é ramène la balance a r F e ville d Chorégraph néreuse, m i, l’actualit tre dans la cale, lo é et hu e est g s. Aujourd’ danse et m nfiguration nale, u q i m io co a dyna très vaste ir de l s avec la re réforme rég ser ? n e s v r i ’a l s les dé nner pour . Aux prise opole et la el pied dan el. s o u k tr positi ieurs projet la mé -t-elle sur q Nathalie Yo e d r s o ra plu Par l’ess se sau u o l u o T

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’est une ville à l’identité culturelle marquée qui nous ouvre ses portes. D’une grande richesse, elle exporte ses produits et ses grandes figures tant et si bien, qu’on lui associe instantanément sa fameuse saucisse, son canal du Midi et son regretté Nougaro ! Ville d’histoire, au cœur de l’Occitanie et au carrefour de migrations importantes, elle a réussi le tournant des XXe et XXIe siècles en se dotant de pôles industriels de pointe (aéronautique, aérospatiale, chimie …) dont Airbus reste une figure de proue. Si le rayonnement de Toulouse n’est plus à discuter à bien des égards, reste encore à savoir si la danse fait partie du lot. Son dynamisme et sa diversité sont un atout, mais comment prend-elle sa place sur ce territoire, marqué par la tradition d’un corps guerrier, combattant et virtuose ? La place du rugby dans l’imaginaire collectif n’est pas anodine, de même que l’écho public et politique réservé aux arts du cirque.

La valse des grandes figures La danse fait réellement son entrée à Toulouse en 1949, par le biais du Théâtre du Capitole, qui se dote d’une véritable compagnie. L’héritage classique y bat son plein pendant de nombreuses années, grâce à Nanette Glushak qui sut littéralement transformer cette « compagnie d’opérette ». L’arrivée soudaine de Kader Belarbi (ancien danseur étoile de l’Opéra de

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Paris) comme directeur de la danse en 2012 permet ensuite aux trente-cinq danseurs d’élargir leur répertoire vers la création contemporaine. Une envie de prestige, doublée d’une stratégie de dépoussiérage et d’ouverture, pour mieux convier le ballet à faire « un pas de côté » … Dans les années 80, c’est une autre figure de la danse qui s’installe, portée par l’élan décentralisateur de l’Etat qui pousse certaines grandes compagnies à s’implanter en région : l’américain Joseph Russillo, dont le Ballet Théâtre deviendra, en 1984, Centre Chorégraphique National de Toulouse. Son énergie jazz et néoclassique aura marqué le territoire pour un temps, mais la diffusion s’essouffle et l’aventure s’arrête en 92. Cela fait plus de vingt ans et l’obsession reste toujours grande pour la ville de garder en son sein les grands artistes : « C’est vraiment dommage, nous confie Francis Grass, élu à la culture de la ville, de ne pas pouvoir garder à Toulouse ces artistes de valeur qui ont su par leur travail se faire reconnaître ailleurs ». A l’heure où il parle, c’est précisément Maguy Marin qui vient de jeter l’éponge. Toulousaine de naissance, chorégraphe mondialement reconnue, elle pensait trouver dans sa ville un espace de travail pour sa compagnie, après avoir transmis les rênes du CCN de Rillieux-laPape. Un retour raté, faute d’accord. Fallait-il passer par là pour que la ville se déclare aujourd’hui sur le point de trouver une solution au même problème que rencontrent Pierre Rigal et Aurélien Bory ?

Des équations à résoudre Toulouse, c’est 150 millions d’euros consacrés chaque année à la culture, soit le premier budget de la ville. Un million reviennent directement à une trentaine de compagnies. Dans un contexte de très fortes réductions budgétaires (quel la ville a d’ores et déjà annoncé à tout le monde, et dues notamment à la baisse des dotations de l’Etat qui touche l’ensemble des collectivités), le risque serait que la culture devienne une variable d’ajustement. Donner à une compagnie un lieu de travail ne nécessite pas les mêmes investissements que ceux qui se

1 BOUZIANE BOUTELDJA, CIE DANS6T : REVERSIBLE, PRÉSENTÉ AU FETIVAL CDC. PHOTO : GILLES VIDAL 2 GIGA BARRE 2013. PHOTO : PATRICE NIN

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▸ cristallisent actuellement autour du projet tant

attendu et avorté de la Cité de la Danse. C’est le Centre de Développement Chorégraphique (CDC), acteur incontournable de la danse contemporaine à Toulouse depuis vingt ans, qui porte ce projet réunissant une salle de spectacle, quatre studios, une salle d’exposition, une médiathèque spécialisée, un espace de vie pour le public … au sein même de l’hôpital de La Grave. Coup de théâtre en septembre dernier, où le maire annonce que « le projet n’est plus d’actualité ici ». Incompréhension de tous les acteurs du milieu chorégraphique. Francis Grass s’en explique : « Nous avons repris ce projet après l’élection de la nouvelle équipe municipale en avril, et constaté qu’il était resté dans les cartons. Il entraîne deux questions : celle du prix du lieu, et celle du fonctionnement. Il faut que l’on arrive à résoudre cette équation économique. L’hôpital ne peut pas brader ses parcelles, nous butons sur des questions de prix de l’immobilier. On aimerait trouver le bon lieu, avec un niveau d’investissement et des coûts de fonctionnement qui correspondent à nos moyens d’aujourd’hui ». De l’eau a coulé sous les ponts de la Garonne depuis 2007 où Annie Bozzini, directrice du CDC, déposait le projet ! Mais il semble que d’autres enjeux se nouent autour de cette grande idée d’un lieu dédié à la danse en centre-ville, pourtant ouvert dès sa conception aux croisements. « Ce que j’entends du monde de la danse, nous confie l’élu, c’est que ce soit partagé. Ils ne veulent pas que ce soit le lieu de la danse d’une partie des compagnies, mais le lieu de tout le monde, pour que tout le monde s’y retrouve ». C’est, là aussi, un autre type d’équation à résoudre…

Voir et vivre la danse à Toulouse … et ailleurs En attendant, à Toulouse, on continue à danser, et à voir de la danse. Avec le Conservatoire à rayonnement régional, puis le Centre de Développement Chorégraphique qui prend la relève pour former des artistes chorégraphiques, et le Centre d’Etudes Supérieures de Musique et Danse qui conduit au professorat, tous les éléments de la chaîne sont réunis ! Sans oublier le Centre James Carlès, une école de danse amateur doublée d’un centre de formation professionnelle. Il s’appuie sur le savoir-faire et la personnalité du chorégraphe James Carlès – que l’on a vu dernièrement dans un Coupé-décalé signé par la sud-africaine Robin Orlyn – véritable passeur

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sur les cultures noires des Amériques, des Caraïbes, d’Afrique et d’Europe. En témoigne son festival Danse et Continents noirs, chaque automne dans différents lieux de la ville. Dans cette ville cosmopolite, on danse aussi le flamenco : rendez-vous à la Fabricá Flamenca, chez la danseuse Stéphanie Fuster (voir Ballroom n°4) ! Si le hip hop est très pratiqué dans de nombreuses associations, peu d’artistes passent le cap de la création. Mais non loin de là, à Tarbes, Bouziane Bouteldja se démarque par la singularité de son propos et l’intelligence de sa danse : après Altérité, chorégraphié avec Coraline Lamaison, il vient de créer Réversible, un solo coup-de-poing qui ne manquera pas d’intriguer et de faire réfléchir. Cette proposition sur-mesure a fait l’ouverture et la clôture cette année du Festival International CDC, temps fort du Centre de Développement Chorégraphique qui irrigue Toulouse et ses environs. Sinon, on peut se rendre au Théâtre Garonne qui a la même exigence de programmation pendant toute la saison et qui cette année donne la part belle à la danse dans son festival IN EXTREMIS, du 25 février au 10 avril. Au TNT, Centre Dramatique National, c’est plutôt la présence affirmée d’Aurélien Bory, circassien bien implanté, qui insuffle un peu plus de corps dans le projet du lieu. Toulouse n’a pas pour autant « sa » scène nationale comme beaucoup de grandes villes, et la comparaison révèle également une faible ouverture des plateaux à la danse. Il faut pousser vers Blagnac pour découvrir les grandes formes chorégraphiques d’Odyssud : comment Toulouse doit-elle désormais penser la danse dans l’espace de sa métropole ? Le rapprochement des régions nous rappelle que de nouveaux enjeux sont à envisager pour le territoire. Ils riment, nous dit-on, avec « rayonnement », « mutualisation » et « optimisation ».

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S N A 0 2 S E D T N A N R U O T E L

ÉES : N É T R Y N PEME USE MIDI-P P O L E V DE DÉ E DE TOULO E R T N CE PHIQU A R G É CHOR

el. lie Yok a h t a Par N

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’est de la Danse Contemporaine » : depuis 2005, le festival du Centre de Développement Chorégraphique affirme haut et fort, dans son appellation même, une identité toute tournée vers la création. Alors que sa onzième édition vient de s’achever sur 25 représentations dans neuf lieux de Toulouse et des environs, il n’est plus besoin d’attester de la place de la danse contemporaine dans ce grand temps fort et dans la ville. Désormais, le festival arbore avec simplicité ses initiales CDC, se mêlant, se confondant, avec celles de la structure qui lui a donné vie. Une façon peut-être de lui donner plus de visibilité, alors qu’elle se sent aujourd’hui

1 OSONS DANSER 2012. PHOTO : PATRICE NIN 2 L‘ENTRÉE PUBLIQUE DU CDC. PHOTO : PIERRE RICCI 3 LE PROJET D‘ACTION CULTURELLE AU CDC KIDBIRDS. PHOTO : PIERRE RICCI

contrariée dans son développement. Un comble pour un Centre de Développement Chorégraphique !

Le développement de la danse dans toutes ses dimensions Lorsqu’Annie Bozzini pose, en 1995, les bases du Centre de Développement Chorégraphique de Toulouse, c’est d’abord en réaction aux modèles existants (les CCN, et notamment celui de Joseph Russillo) et au manque d’outils appropriés pour les territoires : « Il fallait reprendre une stratégie de développement de la danse, construire des liens entre la création et les références, car les références de la danse contemporaine n’existaient pas », explique celle qui était alors une journaliste passionnée de danse et tout autant engagée. Se doutait-elle à ce moment-là que son projet deviendrait le modèle pour les neuf autres structures qui prirent ensuite la dénomination de Centre de

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▸ Développement Chorégraphique ? En vingt ans,

l’idée a fait tache d’huile sur tout le territoire français et les CDC se posent en véritables lieux structurants pour le développement de la danse. Avec, aujourd’hui, « un label » octroyé par l’Etat, qui va de pair avec un cahier des missions et des charges et un financement spécifiques. Qu’est-ce qui fait aujourd’hui du CDC la fourmilière pleine à craquer qui ne tient plus dans ses murs ? A la question du soutien à la création, le CDC répond par un ensemble de coproductions et d’accueils-studio, où les chorégraphes bénéficient d’un véritable lieu de résidence pour des périodes de création. Mais Annie Bozzini veut aller plus loin : « Je travaille actuellement sur l’idée d’un artiste associé pendant trois ans. Offrir des moyens de production, et aider une génération à trouver sa place, en organisant des rencontres avec des publics très différents comme on a à Toulouse … ». A celle de la sensibilisation des publics, renvoie tout un programme d’actions en écoles, lycées, à l’hôpital, ainsi que des « parcours du regard », des mallettes pédagogiques … et un centre de documentation. Côté formation, le dispositif « Extensions » s’adresse aux danseurs professionnels sur une durée de deux ans, en équivalence pour l’année prochaine avec

l’Université Toulouse-Mirail (Licence 3), tandis que les stages ouverts avec différents chorégraphes ne désemplissent pas. Alors que le CDC ne dispose que d’une jauge de 100 places dans un de ses studios, la directrice fait feu de tout bois pour pouvoir diffuser des spectacles tout au long de l’année. Avec une nouveauté en 2015 : le festival Nanodanses, temps fort dédié au jeune public.

intéressant de constater que ce sont, vingt ans après, les mêmes questions qui reviennent sur la table : celle d’un lieu dédié, et celle du renforcement d’un milieu chorégraphique local. Seulement chacun veut désormais sa part dans le projet : vingt ans de développement de la danse à Toulouse porté par le CDC auront suscité un grand nombre d’élans ! Mais le malaise demeure : « La question du contemporain, qu’elle soit dans les arts ou dans la danse, n’est à mon avis toujours pas réglée à Toulouse », estime Annie Bozzini qui se bat pour qu’un « plan B » dégage l’horizon du CDC. Il n’aura de pertinence que dans la force d’un bâtiment – et c’est une problématique qui dépasse le seul cas toulousain. « Qu’au moins le public puisse être accueilli et que la danse s’inscrive dans l’architecture de la ville ! ». Une « Maison de la danse » pour le CDC ? Affaire à suivre.

A la recherche de la Cité perdue C’est en 2007 qu’émerge l’idée d’une Cité de la Danse sur le site de l’hôpital de La Grave, portée par Annie Bozzini pour répondre au développement du CDC. « 5000 m2 d’échanges, de croisements, d’accueils de publics très divers en plein centre-ville. Un véritable lieu de partage de savoirs différents, qui touche aussi bien à la danse savante, qu’aux pratiques amateurs, et qu’aux nouvelles danses populaires inventées par les jeunes, raconte-t-elle avec regret. Nous étions arrivés à définir le projet avec la précédente Municipalité, à faire des comités de pilotage. Pas suffisamment, nous dit-on aujourd’hui, faute de moyens pour faire ce projet à cet endroit-là ». L’ambition de la Cité de la Danse, ou « comment une ville peut être récipiendaire des gestes de chacun », doit être réinterrogée. Il est

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NANODANSES Avec : Choy Ka Fai!, Sophie Laloy et Marion Muzac, Julie Nioche, Eric Minh Cuong Castaing et David Daurier, Thomas Lebrun, Compagnie Vlovajob Pru du 2 au 10 avril 2015, CDC Toulouse Midi-Pyrénées  5 avenue Etienne Billières, 31300 Toulouse. www.cdctoulouse.com 2

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ZAC U M N MARIO Formée à la danse classique en Conservatoire, Marion Muzac a ensuite suivi à New York l’enseignement de la technique Cunningham et a parfait sa formation au CDC de Toulouse. Depuis 2013, elle est responsable du département danse du Conservatoire de Toulouse tout en enseignant au CDC et à l’ISDAT. Pédagogue et chorégraphe, elle collabore avec des plasticiens, des metteurs en scène et intervient auprès des jeunes comédiens du Théâtre National de Toulouse. En 2010, elle réalise avec la plasticienne Rachel Garcia le Sucre du printemps, un projet chorégraphique pour 27 jeunes danseurs.

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Suite à cette création, elle prépare un film documentaire, 17 printemps, avec la réalisatrice Sophie Laloy, sur le parcours initiatique d’un danseur de 17 ans qui entre dans le monde adulte par l’expérience de la danse. Ayoub, danseur de hip hop, après avoir participé au Sucre du printemps veut approfondir ses connaissances en danse contemporaine. Marion lui propose de rencontrer deux artistes et d’apprendre à danser quelques heures avec eux. La caméra saisit ces moments de transmission où un néophyte s’interroge sur son avenir.

sur le déficit de représentation féminine dans le champ artistique et chorégraphique. 15 à 20 adolescentes rendraient hommage aux danseuses du siècle dernier qui ont ouvert la voie de la modernité, de Loïe Fuller jusqu’à Joséphine Baker. P. C.

Pour la saison 2015/16, Marion travaille sur Ladies first, projet qui fait suite à une réflexion

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IE N G A P COM L MATHIEU SAMUE La reprise, l’année dernière, d’US-Band, une pièce de 2004, confirme le chemin parcouru par Samuel Mathieu en quinze ans de créations, dans une danse toujours physique, une confrontation des corps où le rythme et la musique prennent une grande place. Lui-même intervient au son, à la vidéo, pour la scénographie … et réalise des courtmétrages. Récemment, il créé R., « un rondeau qui ne retient qu’une lettre, la première de son nom », pièce tournée vers la réappropriation d’une forme chorégraphique traditionnelle.

La pédagogie et la transmission font partie de son projet de compagnie, partout en France comme au conservatoire de Toulouse ou à l’Université Toulouse-le-Mirail. Pendant cinq ans, il porte l’initiative du Neuf9, festival de danse contemporaine, faisant d’Auterive, où il était en résidence près de Toulouse, une véritable « ville en mouvement » avec événements in situ, travail avec les habitants … le tout balayé d’un revers de manche par la nouvelle municipalité. Samuel Mathieu poursuit un travail de recherche, basé sur un processus de rencontres, d’exploration, de lieux et de personnes ayant à voir avec la question de l’oppression. Un matériau fait de récits, de sons, de traces, qui le conduira à sa

1 ANNIE BOZZINI. PHOTO : DUPUY  2 LE STUDIO POUR LES RÉSIDENCES AU CDC. PHOTO : DR 3 MARION MUZAC. PHOTO : DR 4 SAMUEL MATHIEU : R. PHOTO : PIERRE RICCI

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prochaine création Assassins, et portera une nouvelle fois les corps au plus fort de leur engagement. N. Y.

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I B R A L E B R E D A K vrait

e e r d è i e t « Il n ir ni fron o v a y e r è i r r ni ba la danse » dans e apitol C u d llet c du ba danse ave r u e t la rec , le di chelons de euvent en f i t c a Hyper é tous les é acilité qui p rencontre f p a a grim nce et une . Jusqu’à s e n dr isa une a rter plus d’u a fait pren at de i ét ce décon ureev qui lu nse est un a o on et avec N ce que la d . Une passi ’hui n rd en consci une passio pulse aujou et m corps rgie, qu’il i nne Hyafil. e ri une én tole. Par Co pi au Ca 1

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ON I T A I C L’ASSO STE MANIFE Isabelle Saulle et Adolfo Vargas se sont rencontrés alors qu’ils dansaient dans la compagnie de Maguy Marin. Cinq années de travail fructueux, doublées de collaborations avec d’autres chorégraphes ou metteur en scène (Andy De Groat, Cesc Gelabert, Guy Alloucherie …), les ont poussés vers la voie de la création. Ils fondent leur compagnie en 2001, pour intégrer, dix ans plus tard, La Vannerie, ancienne fabrique de meubles en rotin et nouveau lieu de Toulouse dédié aux

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omment êtes vous arrivé au Capitole ? Quatre ans après ma retraite de l’Opéra, j’ai décidé de faire une coupure avec Paris, je suis parti seul sur les routes. Puis un jour, deux propositions, dont celle de Toulouse, m’ont été faites. Je ne suis pas un carriériste, je n’ai jamais pointé du doigt là où je devais aller. C’est peut-être pour ça aujourd’hui que je suis au Capitole. J’ai toujours pensé que les évènements se présentaient à vous à un moment donné parce que vous aviez, consciemment ou inconsciemment, su donner une impulsion. Vous avez monté la Reine Morte, avez-vous d’autres projets à partir d’une œuvre littéraire ? Oui, j’en ai deux autres mais je ne peux pas encore en parler. J’aime bien m’adosser à sorte de vivier d’écriture ou bien de réalité. Montherlant a mis trente ans à écrire son œuvre avec une langue tellement belle, ça m’a donné une assise incroyable. Ça m’intéresse de savoir comment transcrire une idée, un sentiment, une émotion à travers le geste. Mais toute la difficulté en classique, c’est d’éviter la traditionnelle pantomime, pour dire des choses par la simple incarnation de la présence. Pour la première fois, vous êtes devenu directeur ? Je suis avant tout dans le dialogue, je ne travaille

pas du tout dans une forme d’autoritarisme. Je suis dans le partage d’idée, je suis d’accord ou je ne suis pas d’accord mais j’essaye de mener les différences avec cohérence. Cette nécessité du dialogue je la demande en début de saison. Je ne suis pas là comme un professeur face à ses élèves, je fais tout pour qu’ils comprennent que ce sont eux les maîtres, pas ceux qui sont en face. Même si parfois je suis préoccupé par des casse-têtes administratifs, je veux continuer à avancer avec curiosité et passion. Pour moi cette place est aussi une place de création et je me considère toujours comme un saltimbanque. Comment avez-vous perçu le revirement de la mairie par rapport à la Cité de la danse ? J’avais été sollicité pour avoir un regard sur la future Cité de la danse et j’en avais beaucoup discuté avec Annie Bozzini, initiatrice du projet depuis une dizaine d’année. Il est important que les régions du sud-ouest puissent avoir une sorte de centre, de carrefour. Cela ne peut être qu’un bienfait de faire une réunion de tous les domaines de la danse à Toulouse. Malheureusement les économies ont fait que le projet a été reporté, j’espère qu’il en sera fait quelque chose. Pour avoir des discussions avec les chorégraphes et les compagnies de la région, il me semble que c’est une question de cohabitation

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IE N G A P COM RE MINUTE DERNIÈ

résidences d’artistes, notamment de street art. Voilà qui tombe à pic pour cette compagnie, dont l’espace public est un de ses terrains de jeu favoris ! En témoigne le projet Point de vue sur coin de rue, série chorégraphique en forme d’aller-retour entre l’Europe, Cuba, le Maroc, les Etats-Unis, la Chine … où l’échange entre artistes reste fondateur. Parallèlement à ce travail qui mêle corps, vidéo, photo, musique et paysages urbains, la compagnie Manifeste se lance dans une création jeune public, Suis moi part 2, autour de la fugue comme thème musical ou comme état de fuite. A découvrir courant 2015, année qui scellera leur avenir à la Vannerie. Leur résidence serat-elle renouvelée ? Affaire à suivre ! N. Y.

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Aussi à l’aise avec les danseurs de l’Opéra de Paris, pour qui il vient de créer Salut, qu’avec des danseurs hip hop (Asphalte, Standards) ou un groupe de rock (Micro), Pierre Rigal a fait de son profil atypique une vraie force. Cet ancien athlète, diplômé en économie mathématique et en cinéma, n’était pas prédestiné à devenir le chorégraphe prolifique que l’on connaît, et qui signe, depuis plus de dix ans, des pièces parfois hybrides, à la croisée des champs artistiques. Le corps et le mouvement restent toujours au centre de ses projets, et témoignent pour la plupart d’une certaine vision du monde, teintée même de fantastique. Pierre Rigal est aussi homme d’ouverture et de collaborations : son nom est

intimement lié à celui du circassien Aurélien Bory avec qui il met en scène son premier solo (Erection) mais aussi sa première pièce de groupe (Arrêts de jeu), deux spectacles créés au Théâtre National de Toulouse. Avec Hassan Razak, Pierre Rigal prend à bras-le-corps sa technique des percussions corporelles pour créer Bataille, et remporter un vif succès au Festival d’Avignon. Restant longtemps au répertoire de la compagnie, ses pièces lui assurent une grande visibilité, en France et à l’international, quand il ne décide pas lui-même de partir donner des ateliers à Séoul ou à Saint-Pétersbourg. Pas étonnant de la part de ce touche-à-tout, avide d’expériences mais toujours insaisissable … N. Y.

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1 KADER BELARBI. PHOTO : DAVID HERRERO  2 LA COMPAGNIE MANIFESTE EN RÉSIDENCE À L‘USINE DE TOURNEFEUILLE PRÈS DE TOULOUSE, POUR SON PROJET POINT DE VUE SUR COIN DE RUE. PHOTO : DR 3 PIERRE RIGAL : ARRÊTS DE JEU. PHOTO : PHILIPPE TROUSSIER

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IE N G A P COM MAALEM HEDDY

à trouver et à équilibrer. Je pense que, comme il y a vraiment ici des identités différentes, il faut définir ce que l’on peut mutualiser. Le lieu oui, il n’y a aucun problème, parce que l’on sait très bien que plus il y a d’espaces de danse, de studios, plus c’est facile à mutualiser. Oui aussi à un lieu de présentation ou de représentation, c’est absolument indispensable. Mais attention, la Cité de la danse doit être une réunion de plusieurs maisons de la danse. Ce n’est pas uniquement « Une » maison de la danse qui serait une sorte de centre socioculturel contemporain. Il faut mélanger toutes les formes de danse, qu’il n’y ait aucune frontière, aucune barrière. Comme le fait d’avoir plusieurs chorégraphes en résidence permettrait d’être dans une forme d’actualité. Pour mettre cela en place, il faut la clarté d’un administrateur neutre qui puisse dire : « je vais donner la possibilité à chaque communauté de danse d’exister ». Fonder le projet sur l’idée d’un partage, c’est important, parce que sinon chacun restera protectionniste. Pensez vous que les publics peuvent se mélanger ? Quand je parle de cohabitation je parle aussi au niveau du public. J’aimerais que les publics puissent se croiser. J’ai fait intervenir ici Maggy Marin avec Eden. Il y a quelques jours j’étais à Garonne voir un spectacle. Est-ce que le public de Garonne et celui du Capitole se mélangent? Je pense que le mélange est encore balbutiant mais il faut persévérer. Nous sommes dans une ville universitaire ; je travaille sur la venue du jeune public mais c’est encore très insuffisant. Il est indispensable que nous ne restions pas dans nos chapelles. Avez-vous lancé des projets pour faire découvrir la danse ? Oui, j’ai créé « Osons danser », c’est une invitation à un processus chorégraphique. Ce sont les participants qui deviennent leur propre moteur d’un geste chorégraphique. Cela se passe sur les places de Toulouse pendant trois jours. C’est intergénérationnel et multiculturel et nous avons réuni aussi bien des enfants de 7 ans que des dames de 80 ans. Ce qui est formidable c’est de voir comment ces personnes s’investissent. Je les traite comme mes danseurs, simplement dans le dialogue. Je leur explique qu’il n’y a besoin d’aucune connaissance, simplement d’un imaginaire et de laisser monter une émotion,

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un instinct ou une raison de faire un geste. C’est extraordinaire de voir comment, une fois qu’ils sont accompagnés, tous les gens sont des danseurs. J’ai eu les larmes aux yeux de voir un type d’environ 50 ans me faire un solo sur la fatigue. Il se passe des phénomènes dansants formidables sur ces places à Toulouse. Vous faites des tournées mondiales mais tournez-vous aussi dans la région toulousaine ? Oui bien sûr. Pour que le public comprenne notre démarche et voie que le ballet du Capitole est mobile et peut s’adapter à des situations différentes, nous allons sans doute aller jouer au Théâtre Garonne et puis la saison prochaine à St Pierre des Cuisines, dans une église. Je suis en train de faire un pré-travail sur le musée des Augustins et sur les Abattoirs. C’est intéressant de voir comment faire vivre différentes propositions. Je suis en pourparler avec des chorégraphes toulousains pour travailler ensemble. Mais je ne peux pas aller trop vite, je dirige un ballet qui est connaît une nouvelle naissance. Je dois amener progressivement le public et les danseurs à aller sur d’autres routes pour essayer d’avoir un nouveau visage, de nouvelles impulsions, un nouvel élan. Et qu’importe si c’est un jour classique, un jour néo, un jour jazz, si c’est happening ou contemporain, moi je m’en moque ; l’important c’est que la danse essaime auprès d’un public toujours grandissant.

2015 s P e CTa C l es P e r fO r m a N C es r és i D e N C es

C’est en 1989 qu’Heddy Maalem fonde sa compagnie à Toulouse. Pour cet homme pris entre deux rives de la Méditerranée (France et Algérie), la danse a toujours été affaire de voyage. Des voyages vers des langages inconnus, qu’ils viennent de pays lointains ou du plus profond des corps de ses interprètes. Sa gestuelle épurée semble toujours cousue main sur le corps de ses danseurs, produisant des solos d’une extrême précision (Un Petit Moment de faiblesse, Petite Logique des forces). En 2000 et 2004, il invite des danseurs africains à expérimenter avec lui la question de l’identité : c’est Black Spring, puis Le Sacre du Printemps, deux pièces où l’image vidéo prend une belle place. Avec des artistes venus des quatre coins du monde (Europe, Afrique, Asie), il crée Mais le Diable marche à nos côtés, pièce pour laquelle il reçoit le Prix de la Fondation Beaumarchais. Dernièrement, le succès d’Eloge du Puissant Royaume le propulse sur les grandes scènes internationales, montrant sous un autre jour le Krump, danse urbaine née à Los Angeles dans les années 90. Un beau challenge que d’avoir magnifié ces cinq jeunes danseurs qui ne connaissaient pas la scène, tout en décortiquant leur propre langage ! Aujourd’hui, Heddy Maalem travaille sur d’autres croisements : c’est une belle rencontre qui le guide, porté par deux danseurs de haut vol. Er Ge Yu vient de Chine, Romual Kaboré du Burkina Faso. A eux deux, ils surferont Toujours sur cette mer sauvage, dans l’élan et le flux de leurs deux corps virtuoses. N. Y.

25 février..20 mars

INFRA / arno veyrat 27..28 février

SAgA / Jonathan Capdevielle 3..11 mars

The QuIeT Volume / ant Hampton / Tim etchells 11..13 mars

golem / Pascal Delhay - Philippe Dupeyron 18..19 mars

All eARS / Kate mcintosh 20 mars

KARAoKe(ART) / Davis freeman 19..20 mars

AIR / vincent Dupont 26 mars..8 avril

ulySSe(S) / isabelle luccioni 27..28 mars

PAR coeuR / Tiago rodrigues 27..28 mars

AdIeu eT meRcI / latifa laâbissi • CHANTIERS - entrée libre • Kaori ito Théâtre Tattoo Trajal Harrell

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1 KADER BELARBI : LA REINE MORTE. PHOTO : DAVID HERRERO 2 HEDDY MAALEM : ELOGE DU PUISSANT ROYAUME. PHOTO : PATRICK FABRE

© Laurent Paillier

05 62 48 54 77

tarifs spéciaux à partir de 8€


L A DA N S E À L A P H I L H A R M O N I E D E PA R I S OUSE … L U O T À

N O S I A M C* LA NE LAMAISON I CORAL Metteur en scène et chorégraphe, Coraline a créé la compagnie C* LAMAISON en 1997. Soutenue par le CDC de Toulouse depuis 2008, elle est également artiste associée au Théâtre Sorano de 2013 à 2015. Après un cycle de travail sur le narcissisme qui a donné naissance aux trois volets du projet Narcisses écrits pour Kate Strong, Annabelle Chambon et Els Deceukelier, elle poursuit toujours son exploration des comportements sociétaux. Ses recherches portent depuis 3 ans plus particulièrement sur le système adaptatif, la

vulnérabilité, l’émotion et le sentiment, avec la volonté d’être à l’endroit d’une subversion humaniste en réponse à l’accélération égocentrique de notre temps. Coraline veut « sonder les âmes avec une fascination pour l’ambigüité ». Son travail, évoluant entre danse et théâtre, l’a ainsi conduite à ouvrir des laboratoires de réflexion, à donner des cours, à mélanger les disciplines : hip-hop, danse contemporaine, rugby, théâtre classique etc., et à collaborer avec d’autres créateurs. Coraline Lamaison définit les enjeux esthétiques de son travail par le questionnement des zones de flou, le déplacement du regard pour créer un espace d’étrangeté et de beauté ; « métamorphoser,

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laisser flotter, respirer, dans un besoin de poésie, de lyrisme et de réflexion tendre ». C’est le propos de sa pièce La Mort des Sentiments qui sera reprise en 2015, et c’est le projet qu’elle défendra encore dans ses prochaines créations, tout en poursuivant son processus d’écriture d’un corps émotionnel. P. C.

du 3 au 8 mars

Philippe Decouflé / Wiebo

Philippe Decouflé Sophie Hunger, Jehnny Beth (Savages), Jeanne Added, chant Mise en scène

OUSE … L U O T À

Rachel Garcia et Hélène Iratchet ont conçu leur première pièce au CDC de Toulouse quand Hélène y était en formation et que Rachel étudiait aux Beaux Arts. Elles l’exécutaient sur le rythme d’un métronome, vêtues de costumes à base de cheveux. « Les éléments qui tendent notre travail actuel étaient déjà présents : un questionnement sur la rigidité, sur une possible deshumanisation, et mon attachement à fondre les danseurs en objets. » Depuis, Rachel Garcia tisse aussi des liens étroits avec d’autres artistes en qualité de collaboratrice, scénographe et costumière. Dans le travail développé d’abord avec Hélène Iratchet et David Wampach, et qui domine maintenant son activité, la notion de travestissement ou de transformation opère en préalable. Lors des créations, elle

14 mars

Music for 18 musicians (Spectacle participatif)

est au cœur du processus en proposant des « dispositifs » de travestissements et d’espaces aux interprètes, qui stimulent leurs improvisations. « Avec David nous postulons qu’un corps est avant tout nu, et que tout revêtement va induire une posture inédite et singulière. Travailler sur le corps nu en tant que support pictural et sujet autorise le voyeurisme du spectateur. On créé les conditions d’un consentement mutuel vis à vis de la nudité : c’est ce que nous appelons le nu-habillé. » Dans ce but, Rachel Garcia a d’abord expérimenté la peinture et revisité le body painting pour créer un trompe-l’œil de vêtement (BASCULE, de David Wampach), puis la résille, le maquillage, le velours d’ameublement, la pâte à pain, la mousse à raser, le plastique, la laine, la fourrure… En novembre, à l’occasion de la création de ROSE, pièce performée en jardin, Rachel et Hélène ont tenté de définir la chorégraphie et les interventions plastiques dans un

Chorégraphie de Sylvain Groud Musique de Steve Reich

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rapport de dépendance mutuelle. Elles travaillent aujourd’hui à la conception d’une pièce à partir de ce principe, dans une version scénique. « Nous allons continuer à expérimenter nos capacités de métamorphose et approfondir le lien entre la plasticité du corps et celle des matériaux. » P. C.

Photo : Zayda Gomez - Licences E.S. : 757541, 757542, 757543.

IA C R A G L RACHE IRATCHET HÉLÈNE

14 et 15 mars

Gallotta / Le Sacre et ses révolutions Chorégraphie de Jean-Claude Gallotta Musiques de Xenakis, Webern et Stravinski

19 et 20 mars

Boulez / Béjart Ballet Lausanne Chorégraphie de Maurice

Béjart Musiques de Grisey, Bartók, Webern, Cerrha et Boulez

philharmoniedeparis.fr - 01 44 84 44 84 -

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1 C* LA MAISON : LA MORT DES SENTIMENTS. PHOTO : SIMON GOSSELIN 2 RACHEL GARCIA, HÉLÈNE IRATCHET : ROSE. PHOTO : DR

Porte de Pantin


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AIR DU TEMPS

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LA DANSE MACABRE Parmi les différents thèmes que compte l’art macabre du Moyen-Age 1, la danse macabre est une étape marquante dans la représentation de la mort. C’est aussi le résultat d’une maturation intellectuelle, artistique, morale, religieuse, philosophique et sociale. Dans tous les arts, elle symbolise la brièveté de la vie, l’incertitude du lendemain, la vanité de la puissance et de la gloire. Bienvenue dans la farandole de la mort. Par Dominique Pillette.

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ILLUSTRATIONS DE CY EST LA DANSE MACABRE DES FEMMES, 1491. SOURCE : GALLICA.BNF.FR/BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

u XIVe siècle à la fin du XVIe, guerres, famines, épidémies s’abattent sans trêve sur l’Europe chrétienne dont les routes sont jonchées de cadavres pourrissants. Un tiers de la population périt lors de la grande peste de 1348, tandis que grippe, variole et coqueluche déciment le reste, sans oublier les innombrables victimes de la Guerre de Cent ans (1337–1453). Bref, partout la Grande faucheuse entraîne sans distinction jeunes, vieux, hommes, femmes, riches et pauvres dans sa danse impitoyable. Comment parvenir à accepter une réalité si violente ? Les puissants se noient dans les plaisirs luxueux, les philosophes, les moralistes et les poètes s’emparent du thème de la Mort dans des œuvres de réflexion rédigées en vers ou par le biais de vieilles légendes comme le Dit des trois morts et des trois vifs, colportées par des troupes de théâtre de rue2. Quant aux pauvres, aux illettrés, ils n’ont d’autre réconfort que les sermons des moines franciscains ou dominicains qui insistent sur la vanité des biens de ce monde et le caractère égalitaire de la mort, laquelle « frappe aussi bien le seigneur que le miséreux en sa chaumière, qui fauche le pape comme le pauvre prêtre, l’empereur comme le lansquenet. » Toutefois – et c’est là un aspect essentiel de la danse macabre – cette égalité ne doit pas être vue comme une revanche sociale, mais bien spirituelle. C’est à Paris en 1424 qu’apparaît la première représentation iconographique de danse macabre, sous forme d’une fresque peinte sur le mur sud du cloître du cimetière des Saints-Innocents3. On la considère comme le point de départ et le modèle d’une tradition qui verra les murs de nombreux charniers, ossuaires, églises, cloîtres et chapelles d’Europe s’orner de ces fresques au riche répertoire symbolique et jouissant d’une grande popularité. La foule qui se presse pour les admirer y voit une succession de personnages (les vifs) défiler dans un ordre hiérarchique bien établi, un laïc alternant avec un ecclésiastique, chacun flanqué d’une momie

ou d’un squelette gesticulant drapé (ou non) d’un linceul et souvent porteur d’une faux, d’une lance, d’un instrument de musique. Chaque image de couple s’accompagne d’une sentence versifiée, véritable dialogue entre le mort qui ironise ou insulte, et le vif qui supplie. Car ces danses macabres sont plus ou moins sarcastiques, plus ou moins bouffonnes, voire grotesques. Celle des Saints Innocents a été détruite, mais en 1485, l’éditeur parisien Guyot Marchant l’avait reproduite – voire imitée « un peu librement » – sur papier, avec son texte en français, et diffusée avec un grand succès dans toute l’Europe. Si le genre est très codifié, le nombre des personnages varie selon les artistes, les pays, les époques et … la place disponible pour peindre. La plus simple se compose d’une vingtaine de couples mort-vif quand d’autres peuvent en comporter quarante. A noter que les premières danses macabres sont exclusivement masculines, les femmes n’apparaissant que tardivement et ayant même leur propre danse4. Plusieurs documents confirment que la danse macabre a réellement été pratiquée, dans les églises5, aux parvis, aux cimetières et même dans les rues en processions. Quant à savoir s’il y a d’abord eu des spectacles qui auraient inspiré les peintres ou d’abord des peintures qui auraient généré des danses, historiens et historiens d’art semblent s’accorder : « Les danses en peinture furent destinées à reproduire de véritables danses en nature et en action », écrit Michelet dans son Histoire de France. Pour Emile Mâle : « Jouée dans l’église au XIV e siècle, la danse macabre fut peinte au XV e. Ici encore, le drame a précédé l’œuvre d’art. »6 Plus près de nous, la chercheuse Anne Collod propose une vision originale : « Forme figée, elle (la fresque) serait mise en mouvement par la lecture du spectateur qui devait vraisemblablement se déplacer, défiler devant cette fresque pour en prendre

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▸ connaissance. Elle 7activerait un jeu de relation et d’identification (…) »

Du point de vue de la danse proprement dite, si les fresques montrent une danse de type médiéval, plusieurs hypothèses se dégagent selon leur disposition sur les parois. Certaines, au vu des corps reliés les uns aux autres par les squelettes qui saisissent des pans de vêtements ou tiennent leur victime par la barbe, les cheveux, le coude ou la main, évoquent une sarabande, une sorte de farandole, c’est le schéma le plus classique. D’autres donnent l’impression d’une danse circulaire en chaîne ouverte ou fermée, ronde, carole, tresque ou branle. Dans les œuvres les plus tardives, on parle de défilé, de procession, de cortège, mais les instruments de musique présents laissent à penser qu’il s’agit plus d’une véritable danse que d’un simple défilé. A noter que c’est toujours le squelette qui danse, sautille, agite les bras, se hisse sur demi-pointe, tandis que le vif est passif, comme pétrifié d’horreur. Certaines de ces fresques, aux couleurs parfois somptueuses, sont de véritables merveilles artistiques dont les auteurs demeurent anonymes pour la plupart. Commandes du clergé ou financées par de riches donateurs, elles ont plus ou moins été créés sur le modèle des Saints Innocents.

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Aujourd’hui, il en subsiste en Europe du nord, plus ou moins bien conservées ou restaurées (lire notre encadré). Par la suite, la danse macabre a connu d’infinies variations dans le fond comme dans la forme. Avec les Holbein ou Albrecht Dürer, qui publient diverses œuvres ou suites de danses macabres, la gravure sur bois supplante la fresque. En 1538, dans les Simulacres de la Mort,8 Holbein le Jeune en renouvelle le thème et l’esprit en privilégiant l’idée d’une lutte individuelle et quotidienne de l’homme seul contre la mort plutôt que la farandole tragicomique exécutée par une communauté. Désormais le couple mort-vif est isolé, ce qui peut aussi s’expliquer par le format du livre qui ne permet pas l’illustration de longues chaînes de personnages. Jusqu’au XIX e siècle, on retrouve cette forme de danse macabre dans des livres, des pamphlets illustrés et des tableaux, dont beaucoup en Allemagne. Plus tard, elle a inspiré de grands artistes. Des écrivains ou poètes comme Baudelaire, Cazalis, Strinberg, des musiciens comme Liszt ou Saint-Saëns, des peintres tels Rodin, Rouault, Kupka, James Ensor, Max Slevogt ou Kirchner. Ce dernier réalisa une grande huile sur toile intitulée Totentanz der Mary Wigman d’après la pièce de la chorégraphe

allemande créée en 1926. En 1953, sur la musique de Saint-Saëns, le chorégraphe Sigurd Leeder créa également une Totentanz. Récemment, le dessinateur Yann Taillefer et le scénariste Yohan Radomski en ont adopté l’esprit dans leur bande dessinée intitulée … la Danse macabre. Quoi d’étonnant lorsqu’on voit se déployer images et phylactères dans des fresques comme celle de Bernt Notke à Talinn (Estonie, entre 1486 et 1493) ou encore la reproduction en aquarelle par Feyerabend de celle du Grand Bâle (1440) qu’on peut effectivement s’amuser à lire comme une BD.

1 Le Dit des trois morts et des trois vifs, le Triomphe de la Mort, l’Ars moriendi, le Mors de la Pomme, les Vanités et Memento mori. 2 Le Dit des trois morts et des trois vifs : genre littéraire et pictural à ne pas confondre avec la danse macabre, même s’il s’en rapproche. Il existe une nuance philosophique importante: la danse macabre est sans pitié et n’offre pas au vivant la possibilité de faire acte de contrition. 3 Aujourd’hui place des Saints-Innocents, quartier des Halles. 4 Publiée par Guyot Marchant en 1486, les vers sont de Martial d’Auvergne. On y trouve, entre autres, la Sotte et la Bigotte ! 5 On sait, par exemple, qu’en 1453, les Franciscains de Besançon firent représenter une danse des morts dans l’église Saint-Jean, par des hommes à qui l’on distribua ensuite quatre mesures de vin. 6 Emile Mâle : l’Art religieux de la fin du Moyen Age en France, Armand Colin éd. 7 Danses macabres par Anne Collod, travail de recherche soutenu par le ministère de la Culture en 2010–2011. 8 Suite de 41 gravures sur bois exécutées vers 1526 et publiées 12 ans plus tard à Bâle.

OÙ VOIR DES FRESQUES DE DANSES MACABRES En France : Meslay-le-Grenet (Eure-et-Loir, église Saint-Orien) Brianny (Côte-d’or, église Sainte-Apolline) La Ferté-Loupière (Yonne, église Saint-Germain) La Chaise-Dieu (Haute-Loire, église Saint-Robert) Kernascléden (Morbihan, église Notre-Dame) Plouha (Côtes-d’Armor, chapelle de Kermaria an Iskuit) En Suisse : Bâle, danse macabre du Grand-Bâle, fragments au musée historique de Bâle. En Italie : Clusone, mur extérieur de l’oratoire des Disciplinaires. En Estonie : Tallinn, église Saint-Nicolas. En Slovénie : Hrastovlje et Beram, église Sainte-Marie. Et aussi au Danemark, en Finlande, Pologne, Suède…

POUR EN SAVOIR PLUS Hélène et Bertrand Utzinger : Itinéraires des danses macabres, beau livre. J. M . Garnier éd. 1996. André Corvisier : Les Danses macabres, PUF, 1998.

1 LA DANSE MACABRE DE BERNT NOTKE, ÉGLISE SAINT-NICOLAS, TALLINN. PHOTO SOURCE : WIKIPEDIA.ORG/WIKEDKENTAUR

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ÉCRIRE LE MACABRE AUJOURD’HUI Rencontre avec le travail d’Aurélien Richard Cet artiste inclassable, musicien et chorégraphe, crée Revue Macabre au Centre national de la danse de Pantin après sa première au festival DañsFabrik de Brest. Une pièce composée à partir des traces chorégraphiques allemandes et françaises du début du vingtième siècle et puissamment sous-tendue par la musique qu’il joue lui-même au piano. Par le biais du travail sur l’archive, Aurélien Richard crée depuis 2009 une œuvre chorégraphique totalement originale. Par Thomas Adam-Garnung, suite à une conversation avec Christine Caradec.

Inclassable

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’est d’abord une rencontre. Une manière de procéder. Découvrir comment un artiste invente, agence et façonne. Etre là, dans son atelier, à scruter les techniques qu’il invoque. Mais c’est aussi une injonction : il faut se mettre au travail. Il y a tant à faire. Peut-être même une certaine urgence. Parce que c’est peut-être ça qui caractérise ce touche-à-tout, à la fois interprète,

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musicien, compositeur, chorégraphe, directeur artistique d’une revue … La liste sera longue. Il n’y a pas mis un terme. Il s’échine, facétieux, à brouiller les pistes, à mettre à mal les grands classificateurs. Il semble que ce soit un travers français, encore un héritage du cartésianisme sûrement : chaque étiquette vaut pour exclusion et la transgression sera proscrite. Tentez une sortie de la boîte qu’on vous a attribuée et on hurlera au fou. Il y a chez Aurélien Richard un peu de cette folie, lui qui est à la fois musicien et chorégraphe. Mais ce serait aller vite en besogne que de tout réduire à un diagnostic. Il faut prendre à son compte la réponse des trois sorcières de Macbeth, lorsque ce dernier leur demande ce qu’elles font et qu’elles répondent « un faire qui n’a pas de nom ». C’est peut-être ça, être un artiste : un artisan sans métier. Et si Aurélien Richard est inclassable ce n’est pas tant pour s’adonner à une joyeuse facétie qui mènerait la vie dure aux programmateurs que parce qu’il est un véritable artiste.

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avant tout comme un musicien, compositeur ou interprète, avec un répertoire aussi bien classique que contemporain. Là-dessus tout le monde s’entend. Mais c’est justement parce qu’il est un bon musicien, qu’on interroge son travail chorégraphique : une lubie ? un passe-temps ? Sauf qu’une lubie qui durerait plusieurs années, produisant une dizaine d’œuvres peut difficilement en être une. Aurélien Richard a beau être musicien, il a la nécessité d’être au plateau, de travailler à produire des images. Toutes ses pièces témoignent d’une urgence, à dire, à montrer : ce qu’on oublie, ce qu’on ne veut pas voir, ce qui est difficile à entendre. Et c’est justement ses techniques musicales qui lui apportent une singularité dans le champ chorégraphique.

Une autre méthode

Musicien et chorégraphe

Pianiste, les mouvements partent pour lui du haut du corps, non des appuis alors que c’est ce qui en danse est le fondement des gestes et des mouvements. Cela produit une danse désaxée, un déséquilibre à récupérer, et surtout un corps particulier, analogue dans sa particularité à ceux des danses de l’entredeux-guerres. Et comme lorsqu’il est compositeur, il applique à sa partition chorégraphique des techniques et des procédés musicaux : il fait varier le temps, l’intensité, produit des boucles, manie le direct et l’enregistré, use du contrechamp à l’instar d’un contre chant … C’est bien parce qu’il est un musicien, qu’il est un chorégraphe.

Aurélien Richard dénote, même au sein de ceux qui dénotent par nature. Bien souvent, on le définit,

Mais Aurélien Richard est aussi un chorégraphe qui ne danse pas, battant en brèche l’acception

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commune selon laquelle les chorégraphes sont forcément des danseurs. Le contraire nous semble incongru. Pourtant on oublie un peu vite ces grands noms de la danse qui composent sur ordinateur, ceux qui donnent au concept la primauté sur le mouvement, ceux enfin qui ne font qu’agencer selon des combinatoires précieuses des compositions proposées par les interprètes eux-mêmes. La danse s’est diversifiée. Et le métier de chorégraphe n’est plus ce qu’il était. Oui, Aurélien Richard n’est pas danseur. Et il ne transmet pas lui-même les partitions à ses interprètes. Il travaille avec Christine Caradec, danseuse et notatrice Laban. C’est elle qui va transmettre aux interprètes les partitions, offrant à Aurélien Richard la liberté de pouvoir construire la structure de la danse, de la pièce, de s’extraire du travail pour mieux le préciser, le ciseler, de concevoir des variations qui édifieront un ensemble. Là où les assistantes chorégraphiques en sont bien souvent réduites à n’être que des regards extérieurs, ce duo-là réinvente et transforme une relation professionnelle, parfois frustrante, en une véritable collaboration qui permet de prendre le temps du recul et du regard, d’analyser ce que l’on est en train de dire et de faire, quand la plupart des productions actuelles sont contraintes à l’urgence. Et c’est bien parce qu’il n’est pas danseur, qu’il peut être chorégraphe.

Faire avec l’existant Alors d’où lui viennent ces gestes, ces mouvements, ces danses qu’il donne à voir sur un plateau ? C’est un véritable travail de recherche qu’il mène en dialogue perpétuel avec son assistante. Et le matériau est

1–3 AURÉLIEN RICHARD : REVUE MACABRE. PHOTO : THOMAS ADAM-GARNUNG & MAXIME MICHEL 1. D’APRÈS LES FRÈRES LUMIÈRE, 2. D’APRÈS VALESKA GERT, 3. D’APRÈS ROSALIA CHLADEK

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des plus divers. On pourrait croire qu’ils se cantonnent à cette danse si étrange des années 20, qu’ils se feraient tous deux archéologues, exhumant des poussières de l’histoire de l’art chorégraphique des partitions désuètes, et qu’ils nous les présenteraient telles quelles, aujourd’hui. Il n’en est rien. Oui, la danse est pour eux une mine de matériaux, mais ils préfèrent dénicher des sources qui n’ont pas ou peu été réactivées. Et entendons bien ce terme, « réactiver », il n’y a pas lieu de donner à voir la partition telle quelle a été conçue à l’origine. Aurélien Richard sait bien que les sources sont lacunaires, parfois trompeuses et mensongères. Il sait aussi en musicien qu’il est vain de vouloir reproduire à l’identique une œuvre d’art. Les partitions de Bach n’ont pas été écrites pour piano. De même, les corps des années 20 ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Pour préserver l’étrangeté, la force de ces gestes artistiques, leur rendre une vitalité, plutôt que d’être servile, il faut pratiquer le détour, déplacer le regard, moduler l’énergie, jouer avec l’espace. Et l’on voit bien ici qu’il ne s’agit pas d’hommage, l’autre mot pour dire plagiat. Aurélien Richard cite ses sources. Et les transforme. C’est la trahison nécessaire, tout bon traducteur nous le dirait.

Un humour virtuose

Ses sources ne se cantonnent pas aux années 20, la danse la plus contemporaine est ici convoquée, Keersmaeker notamment. Mais aussi le cinéma. On pense à l’expressionnisme allemand, bien sûr. Mais ce touche-à-tout va piocher chez Méliès le burlesque, le grotesque, l’extraordinaire. Il se nourrit de l’étrangeté, de tout ce qui peut déranger, voire angoisser chez David Lynch. Il réinterprète la scène mythique de La Règle du jeu de Renoir sur la Danse macabre de Saint-Saëns. Aurélien Richard n’est pas un historien de la danse. Il est un véritable chorégraphe contemporain pour lequel tout est matériau. Après Duchamp, il sait que le geste artistique n’est pas d’informer la matière, de peindre des paysages, encore moins de produire des collages gracieux et aléatoires, mais de choisir. Un véritable engagement. Peut-être encore parce qu’il est musicien, il sait l’importance du patrimoine, du répertoire et combien il est vital de ne pas être dans une redondance du passé. On peut bien concevoir de nouveaux gestes, de nouveaux mouvements, mais on peut aussi faire avec ceux qui existent déjà. Il n’y a pas tant besoin de faire du neuf, surtout pour des arts millénaires. Tout est déjà là.

Prochaines représentations : 11, 12 et 13 mars 2015, Centre national de la danse, Pantin 30 mai, Rencontres Chorégraphiques d’Eure-et-Loir 18 juin, La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc Tournée en 2015–2016

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De même que ses doigts se déplacent avec dextérité sur le clavier, Aurélien Richard va produire une danse virtuose, exigeante, avec cette exigence qui prend racine dans l’urgence de dire et de faire, nécessaire à une certaine élévation. La difficulté des partitions est réelle, elle remet en cause la question de l’interprète. La réception aussi est ardue. L’univers est sombre, les références parfois lointaines et obscures, la musique pointue, le rapport est souvent frontal. Il n’hésite pas à traiter du sale, du monstrueux, du morbide, de nos tabous. Il ne s’agit pas tant de provoquer à la manière d’un garnement, appuyant, avec un malin plaisir, là où ça fait mal, mais de témoigner d’un profond humanisme, d’un amour certain : il nous sait capables d’entendre, de comprendre, de transcender les frontières. Et finalement dans la Revue Macabre qu’il crée cette année à Brest et au CND de Pantin, le voyage auquel il nous convie est empli d’un humour décalé, provoquant un rire authentique qui nous vient du plus profond, une pulsion de vie irrépressible : même morts, nous danserons encore.

SOURCES ET TRACES MACABRES Dans sa Revue Macabre, Aurélien Richard transforme des matériaux multiples, allant de la danse à la peinture en passant par le cinéma tout en restant dans un territoire historique et géographique précis, la France et l’Allemagne du début du vingtième siècle. Quelques exemples : CINÉMA : Le squelette joyeux (1897) des frères Lumière, Le rêve du Maître de ballet (1903) de Georges Méliès, Danses cosmopolites à transformation (1902) de Segundo de Chomón, Les Vampires (1915) de Louis Feuillade, La Revue des revues (1927) de Joe Francis, Le sang d’un poète (1930) de Jean Cocteau, La règle du jeu (1939) de Jean Renoir DANSE : Totengeleite (1936) de Rosalia Chladek, traces filmées de Valeska Gert, Totentanz (1935) de Sigurd Leeder PEINTURE : les œuvres de Max Beckmann, Otto Dix, Egon Schiele, Walter Grammate Mais on y verra aussi quelques clins d’œil plus contemporains avec des références à Steptext de William Forsythe, à Possession d’Andrzej Żuławski ou à Single ladies de Beyoncé ! Un étonnant abécédaire macabre.

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LE PARLEMENT DES INVISIBLES « Se laisser mettre en mouvement par des œuvres disparues » : tel est le leitmotiv qui nourrit le travail chorégraphique d’Anne Collod. Aujourd’hui, avec la danse macabre, elle créée un Parlement des invisibles profondément empreint de tous ces fantômes, qu’ils viennent du moyen-âge, du Mexique, du Japon ou du chorégraphe allemand Sigurd Leeder. Plongeons avec elle dans ce travail, où il est autant question de recherche, d’histoire, d’interprétation que d’altération … Propos recueillis par Nathalie Yokel.

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u’avez-vous découvert de la danse macabre quand vous vous êtes plongée dans ce sujet ? Cette forme de représentation, qui place sur un même plan des vivants et des morts dans une dimension de fiction, m’a d’abord frappée. J’ai été troublée par cette autorisation que s’étaient donnée les artistes du moyen-âge à représenter des morts tout à fait actifs, en mouvement, dans une forme d’amusement et de moquerie qui pouvait être cynique, même plus désinhibée que les vivants, figurés de façon figée, statique.

1 ANNE COLLOD : LE PARLEMENT DES INVISIBLES. PHOTO : LAURENT PHILIPPE

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Chorégraphe et danseuse, ANNE COLLOD s’intéresse de très près à la cinétographie Laban, ce qui l’amène, au sein du Quatuor Knust (1993–2001), à recréer des œuvres du XXe siècle à partir de partitions. Elle se distingue également par son travail autour de la chorégraphe américaine Anna Halprin. La réinterprétation de sa pièce Parades and changes lui vaut un Bessie Award à New York en 2010.

▸ Quelle est votre analyse de la danse

macabre du point de vue du mouvement ? La représentation des vivants se fait d’une façon très frontale, sur deux appuis, dans quelque chose d’assez stable qui ramène l’idée du poids et d’un certain empêchement du mouvement. On ne se situe ni dans la danse, ni dans la marche, mais dans une posture assez frontale. Avec des attributs qui sont ceux de leurs fonctions, de leur statut social, comme des habits, des accessoires … Les vivants ne sont même pas dans une attitude de fuite : de temps en temps ils tournent un peu la tête, le buste légèrement en retrait par rapport à ce mort qui les empoigne, qui les entraîne. Les mouvements des morts sont très variés et d’une grande complexité : un jeu avec les membres dans la flexion, dans des rotations multiples, des dos soit très arrondis, soit très cambrés, des têtes tournées dans une autre orientation que les bustes. Les pieds sont fléchis, leurs bras peuvent passer derrière le dos pour empoigner les vivants en tordant tout le tronc. C’est un ensemble d’organisations, presque une architecture du corps et du geste, qui développent une forme de sur-expressivité mais en jouant uniquement sur des caractéristique spatiales (rotations, flexions, orientation des membres). On remarque tout un jeu avec la mâchoire, très largement décrochée ou un peu tordue, et avec les

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orbites, travaillés pour que le visage prenne une forte expressivité, ce qui s’ajoute à la complexité posturale. Comment s’exprimait la dimension sociale de la danse macabre ? Par le fait d’être ensemble, lorsque les morts nous emmènent tous vers un ailleurs inconnu, dans une sorte d’en commun. Cela créé une forme d’unité sociale, car tout un chacun est concerné quels que soient les niveaux de pouvoir et de richesse. En même temps, il y a une figure du renversement, dans le sens où se sont les plus puissants qui sont les premiers touchés. Cette désarticulation des normes sociales, ce débordement, rejoignent en ce sens le charivari ou le carnaval. C’est l’idée du passage d’une saison à une autre, d’une époque à une autre, pour signaler que ce qui existait ne serait plus. Une façon de rebattre les cartes et faire en sorte que le nouveau apparaisse, s’invente … Quelles autres formes de danses macabres êtes-vous allée creuser pour construire votre création Le Parlement des invisibles ? Je suis allée au Japon travailler le butō avec le chorégraphe Akira Kasaï. Son fondateur Tatsumi Hijikata a beaucoup travaillé sur l’idée d’un corps malade, d’un corps fragile, d’un corps faible, « un cadavre qui danse », ainsi qu’il définissait le butō. Mais Akira Kasaï a ouvert des pistes encore plus variées sur la transformation de la matière, ou le devenir animal et végétal, qui n’ont pas directement à voir avec les morts, mais qui inspirent de façon très lointaine mon projet. Et, tout en faisant des liens avec la danse macabre du moyen-âge, je me suis intéressée au Mexique, avec la présence du squelette dans les imageries populaires, et les célébrations du Jour des Morts. Au Mexique, comment se traduit la dimension festive ?

J’y ai découvert une dimension festive mais aussi sensorielle. Il y a beaucoup de couleurs, de la musique, des fleurs, des odeurs, de la nourriture avec des offrandes … C’est presque un négatif coloré de la danse macabre occidentale : il s’agit non pas de morts qui entraînent les vivants vers un autre monde, mais des vivants qui invitent leurs morts à partager un moment de fête extrêmement tendre, joyeux, où tous les plaisirs sensoriels de la vie sont sollicités. Les danses seraient ainsi utilisées davantage pour inviter les morts à se rendre chez les vivants, et ensuite à leur signaler le moment du départ. Quitte à chasser les morts qui auraient tendance à vouloir rester chez les vivants, avec notamment beaucoup de jeux de frappés du sol et de martèlement. C’est une tradition toujours vive aujourd’hui, mais cette fête des morts au Mexique existe-t-elle depuis longtemps ? C’est en fait un syncrétisme, une conjonction entre la culture aztèque et la culture catholique baroque apportée par les espagnols. Sans oublier tout l’apport du caricaturiste José Guadalupe Posada, qui faisait des gravures satiriques à travers des représentations de personnages politiques ou puissants, sous forme de squelettes, dans des situations assez grotesques. Il reprend la dimension satirique, politique et sociale de la danse macabre pour l’importer chez lui au Mexique, ce qui deviendra un fondement de la culture populaire mexicaine. Pour votre création, pourquoi avoir choisi tout d’abord de reconstruire avec des étudiants la Danse Macabre de Sigurd Leeder, qui date de 1935 ? Je voulais travailler à partir d’une forme écrite dont on avait la partition. Il s’agissait vraiment de faire un pas de côté par rapport au travail de recréation que je fais depuis plusieurs années. Je pars de l’idée que déchiffrer et réinterpréter des pièces à partir d’une partition, c’est

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se laisser mettre en mouvement par des œuvres disparues, par des êtres disparus. J’y trouve une belle résonnance dans la figure de la danse macabre où des vivants sont emmenés par des morts vers un ailleurs inconnu. C’est ça qui m’a donné envie de décaler mon travail, de la notion d’interprétation vers celle d’altération. Ne plus chercher à rendre compte d’une œuvre, ou à la montrer dans une forme qui pourrait être proche de ce qu’elle aurait été, mais plutôt partir de l’œuvre comme d’une matrice, un gisement qui offrirait plusieurs trésors, plusieurs couches, dont je me saisirais pour développer une autre œuvre. La façon dont elle apparaît dans la pièce, dont elle est projetée, est très intéressante : on devine une sorte de palimpseste, avec plusieurs couches, et la présence des danseurs par-dessus. Ils se croisent dans l’ombre, dans le réel, dans l’archive … Dans Le Parlement des invisibles, je traite la pièce de Sigurd Leeder comme un

fantôme, un spectre. Elle n’est jamais réellement déployée sur le plateau, même avec le film et les cinq danseurs (contre dix-huit dans la pièce d’origine). Cette notion de palimpseste était déjà présente dans mes travaux précédents, et cette idée que les morts ont plusieurs temporalités et peuvent passer d’une strate à l’autre, d’une époque à l’autre, rejoint pour moi celle de la danse macabre. C’est l’idée d’un transport, d’une procession, mais aussi d’un voyage à travers les époques. Si cette danse-là est une base, votre pièce tend vers la lumière … Tout ce que j’ai pu lire de nature anthropologique me ramène à cette idée que les morts transforment les vivants. Les endeuillés vivent une série d’étapes très souvent ritualisées par une société ou par la religion, et la transformation des vivants accompagne la transformation des morts. Elle passe par la décomposition, par quelque chose d’un peu sauvage, d’un peu sombre, et

1 ANNE COLLOD : LE PARLEMENT DES INVISIBLES. PHOTO : LAURENT PHILIPPE

qui va aller progressivement vers un état beaucoup plus stable, tranquillisé, qui est celui des os où l’on arrive à une forme de blancheur. Le spectacle se construit ainsi en plusieurs étapes, en plusieurs mouvements, et en plusieurs couleurs. C’est peut-être l’envie de proposer une forme collective qui conjure un peu la peur et la solitude auxquelles nous renvoie le deuil, ou notre propre disparition à venir … Prochaines représentations : Le Parlement des invisibles, le 14 mars 2015 au Théâtre Jean Vilar de Vitrysur-Seine et le 14 avril à l’Apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise.

Danseur, chorégraphe et pédagogue allemand, SIGURD LEEDER (1902–1981) s’associe très tôt au chorégraphe Kurt Jooss. Soliste et maître de ballet, il est en même temps l’un des artisans de l’élaboration et de la promotion de la cinétographie Laban.

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V UES D’A IL L EURS

UNE EXPÉRIMENTATION NOMMÉE

Né dans les années 60 du travail de recherche du japonais Tatsumi Hijikata, le butō a très vite trouvé son public en France. Marqué par des références littéraires et picturales, Genet, Sade, Klimt, Bacon … le danseur et chorégraphe a exacerbé la fragilité et le déclin des corps, tentant ainsi de faire cohabiter la vie et la mort. S’il y a une grande diversité d’esthétiques butō (le grotesque, le frénétique, le torturé) elles se rejoignent toutes dans un geste dansé composé de micro-mouvements et dans une sensation « d’être mû ». Des questionnements qui sont venus naturellement croiser les préoccupations de la danse contemporaine occidentale. 066

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_ REPÈRES SUR LE BUTO Par Sylviane Pagès

ILLUSTRATION ORIGINALE DE ADRIEN CICERO

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i le butō est diffusé et pratiqué en France depuis plus de trente-cinq ans, il demeure pourtant méconnu. Depuis Le Dernier Éden de Kô Murobushi avec Carlotta Ikeda dansé à Paris en 1978, qui marque le début d’un engouement international pour cette forme artistique venue du Japon, de nombreux artistes japonais ont été invités ou se sont installés en France. Malgré la diversité de leurs projets esthétiques – des performances de Min Tanaka au travestissement de Kazuo Ôno, du grotesque kitsch du Dairakudakan à la sophistication de Sankai Juku –, une image du butō s’est construite en se figeant autour de quelques stéréotypes : la

couleur blanche sur la peau, les visages grimaçants, les corps torturés, la lenteur … Les pièces de Sankai Juku, régulièrement créées au Théâtre de la Ville et diffusées lors de grandes tournées, ne sont pas pour rien dans la construction d’une représentation du butō, réduite à ces signes. Les corps blanchis de cette compagnie, évoluant souvent lentement dans des scénographies spectaculaires, ont nourri une perception exotique de cette danse, reçue comme étrange et mystique, et évoquant les notions de cérémonie ou de rituel. Le butō suscite alors une fascination teintée de méconnaissance et de malentendus.

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▸ L’association la plus forte, mais aussi la plus

problématique, est celle qui lie le butō aux explosions atomiques sur le Japon. Le leitmotiv faisant du butō une « danse née sur les cendres de Hiroshima » soustend que la tragédie nucléaire serait à l’origine du style apocalyptique de cette « danse des ténèbres ». Or c’est dans les années 1960 que Tatsumi Hijikata commence à développer ses expérimentations artistiques, qu’il nommera plus tard « butō ». C’est donc dans cette décennie de radicalisme esthétique et politique et au sein des avant-gardes pluridisciplinaires de Tokyo que le butō émerge. Dans cette communauté artistique autour de Hijikata, la référence à Hiroshima est absente. Le contexte d’émergence du butō est certes marqué par les grands bouleversements sociaux et culturels de l’aprèsguerre au Japon, mais le lien de cette danse aux explosions atomiques est plus indirect et souterrain qu’il n’y paraît1. Le butō ne peut en outre être réduit

OÙ VOIR DU BUTO¯ À PARIS ? Parmi les prochains rendez-vous, Gyohei Zaitsu danse les 20 – 21 mars à la MPAA Broussais (Paris 14e) et le 17 mai au Théâtre de Verre (Paris 18e). Maki Watanabe propose une performance mêlant danse, arts plastiques et musique les 11 – 12 mai au Générateur
de Gentilly. Plusieurs événements au mois de juin avec la 16e édition du festival butō de l’Espace culturel Bertin Poirée, la venue de la compagnie Dairakudakan du 4 au 20 juin à la Maison de la culture du Japon, et une projection de films sur le butō organisée par le Centre National de la Danse à la Cinémathèque française le dimanche 14 juin.

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à une figuration de la tragédie nucléaire. Loin de vouloir représenter la mort de masse, les recherches de Hijikata se portent sur le morbide et le macabre au sein même du travail du danseur. Hijikata a en effet expérimenté dans sa danse la fragilité et le déclin des corps, qu’il nomme le suijakutai. Marqué par des références littéraires comme Genet, Sade et Bataille, et picturales comme Klimt, Bacon ou Goya, Hijikata explore avant tout le « corps obscur », les dimensions oubliées ou dévalorisées du corps humain. Il tente aussi de ne pas opposer la mort et la vie, de les faire coexister même, lorsqu’il danse pour – ou avec les morts –. Une de ses phrases célèbres – « je laisse ma sœur habiter mon corps 2 » – résume bien la recherche de qualité gestuelle d’ « être dansé » par un « autre », par de l’autre, qui est au cœur même des projets butō. Cette pratique qui bouleverse l’opposition irréductible entre vivant et mort s’inscrit dans le processus de l’informe proposé par Bataille, et repris par Hijikata dans un travail de métamorphose corporelle, de devenir au-delà des catégories binaires traditionnelles, telles qu’humain/animal, homme/ femme, jeune/âgé … L’informe trouble autant les catégories de perception que la figure dansante, qui devient ambivalente et peu lisible. En France, le glissement du macabre à la mort de masse et le regard sur le butō par le prisme de Hiroshima ont privilégié les pièces aux corps

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torturés, et rendu plus difficile la réception d’autres esthétiques butō comme les pièces grotesques du Dairakudakan, peu diffusées jusqu’aux années 2000, ou les danses frénétiques d’Akira Kasai, récemment redécouvert. Difficile de nommer en quelques mots la grande diversité des butōs3, de citer les multiples pistes lancées par Hijikata, et plus encore les différents projets esthétiques développés par ceux qui s’en réclament. Pour autant, par delà les nombreuses différences, c’est dans leur travail de la « présence » que peuvent se rejoindre les artistes butō, c’est-à-dire dans les processus de fabrique du geste. Et ce qui les réunit tient à la prédominance du travail sensoriel et de l’imaginaire comme moteurs du geste dansé : plus que le résultat d’une figure clairement dessinée dans l’espace, c’est le processus d’élaboration du geste qui est exposé. La concentration du danseur sur de micro-mouvements, la projection multidirectionnelle de sa conscience et la recherche d’une qualité d’« être dansé » transforment son état de corps comme son état de conscience, réduisant son intentionnalité au profit de la sensation d’être mû. Si, à son arrivée en France à la fin des années 1970, ce projet corporel était en décalage avec les esthétiques dominantes tournées vers les abstractions américaines, le butō suscite ensuite de nouvelles formes de curiosité. Depuis les années 2000, c’est la figure de Hijikata et sa dimension d’avant-garde qui sont redécouvertes. Les

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questionnements posés par le butō autour du visible et de l’invisible, du trouble de la figure dansante et de l’informe croisent alors les préoccupations de la danse contemporaine. Dans cet intérêt presque constant pour le butō se donnent ainsi à voir les désirs et les manques qui traversent la danse en France. Et dans l’histoire du butō et de son exportation en France et dans le monde, s’ouvre la possibilité d’une histoire de la danse qui porte son regard sur les circulations de gestes et les allersretours entre Japon et France.

Les illustrations de ce dossier ont été réalisées par Adrien Cicero, qui exposera ses œuvres du 20 au 22 mars 2015 à l’ATELIER V – 5, rue Casimir Delavigne 75006 Paris (France) atelierv.fr

Sylviane Pagès vient de publier Le butō en France, malentendus et fascination. Éditions du CND, 2015. 1 Voir Patrick De Vos, « Danser après la bombe », Europe, juin – juillet 2006, p. 141 – 154. 2 Jean-Marc Adolphe, Annie Bozzini, « Le buto sans Hijikata », Pour la danse, n° 123 – 124, avril 1986, p. 14. 3 Diversité bien soulignée par le titre de l’ouvrage dirigé par Odette Aslan, Butō(s) paru aux éditions du CNRS en 2002.

1 PERFORMANCE DE SANKAI JUKU AU FORUM DES HALLES, 1980. PHOTO : JEAN-MARIE GOURREAU, MÉDIATHÈQUE DU CND 2 CARRÉ SILVIA MONFORT : LE DERNIER ÉDEN, 1978. PHOTO : JEAN-MARIE GOURREAU, MÉDIATHÈQUE DU CND 3 ILLUSTRATION ORIGINALE DE ADRIEN CICERO

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omment êtes-vous venu à la danse ? J’ai toujours aimé bouger, être actif physiquement. J’avais 20 ans en 1968 et j’étais étudiant.

KO MUROBUSHI

UN JEUNE HOMME EN RÉSISTANCE Nous nous sommes donné rendez-vous à la gare, près de la prestigieuse université de Waseda où le danseur et créateur Ko Murobushi a fait ses études. Il nous emmène au Café Renoir, un des cafés-salons où les Tokioites viennent passer du temps, un lieu inchangé depuis des dizaines d’années, parfait pour un entretien. Propos recueillis à Tokyo par Arnold Groeschel.

En pleine révolution estudiantine les cours étaient suspendus et je m’interrogeais sur ma vie future tout en m’intéressant à l’avant-garde. Je lisais Nietzsche, Arthaud et Beckett, mais je m’orientais vers des modes d’expression non verbaux. Il y avait le High Red Center, un groupe qui faisait des spectacles d’humour politique corrosifs. Un de ses membres me recommanda Tatsumi Hijikata. J’ai vu son spectacle Révolte du Corps et mon envie de devenir danseur était née. Je suis allé le voir avec un ami et il nous immédiatement enrôlé dans un tournage de film cinéma auquel il participait. Hijikata fascinait plein de gens. Dans son studio Asbestos Hall (Salle d’Amiante) il y avait toujours du monde et Hijikata parlait sans cesse en buvant. Ces longues discussions se transformaient graduellement en performance. A l’époque on appelait cela action ou happening. Ces performances constituent pour moi un de ses enseignements principaux. Je suis resté un an. Puis je suis allé étudier avec les Yamabushi, des moines

de montagne. Ces descendants de révolutionnaires qui avaient combattu l’ordre impérial intègrent dans leurs pratiques chamanisme, bouddhisme et shintoïsme ainsi que des légendes pittoresques. J’ai participé à leurs disciplines, comme rester à prier sous l’eau glacée d’une cascade. Dans certains de leurs temples, il y a des moines momifiés qui s’étaient fait enterrer vivants dans une noble position assise et qui sont vénérés comme protecteurs. Ils m’ont servi d’inspiration pour mes spectacles. Pour gagner ma vie, je dansais dans les cabaret-shows qui étaient très populaires avant que la télé ne devienne omniprésente. Il y avait aussi de la danse contemporaine, mais moi et une fille, nous étions presque nus et enduits de fard doré. C’était un genre de cette époque. Avec l’argent gagné j’ai crée mes propres oeuvres et cofondé Dairakudakan avec Akaji Maro et Ariadone avec Carlotta Ikeda. J’ai aussi publié un journal papier sur le butō. Comment êtes-vous venus danser en France en 1978 ? Deux organisatrices voulaient inviter Hijikata mais il refusa. Puis elles

proposèrent à Akaji Maro. Mais comme il voulait emmener le Dairakudakan avec ses 40 danseurs, c’était infaisable. J’y suis allé et j’ai proposé de danser dans un cabaret parisien, mais les danseuses du lieu ne voulaient pas se voir associées à notre style trop décalé. Pour finir, le Nouveau Carré Sylvia Monfort nous a accueilli. Nous y avons dansé pendant un mois devant une salle pleine. Il y avait Carlotta avec ses danseuses, et moi je faisais ma « momie » suspendue. A partir de là, j’ai multiplié les collaborations et travaillé en France, Italie, Allemagne, Autriche et dans toute l’Europe. Puis sont venus les voyages en Amérique centrale et en Inde du sud. Plus récemment, j’ai collaboré avec Bartabas pendant deux ans, sur sa proposition. Comment concevez-vous vos activités ? J’invite souvent de jeunes danseurs à travailler avec moi, mais je pense que la chorégraphie est quelque chose qui s’offre, et surtout pas une hiérarchie. Mon pouvoir sur scène ne concerne que mon propre corps. Aussi, je donne des workshops régulièrement, mais je ne cherche nullement à former une technique d’école, des adeptes ou une secte ! J’appelle cela « l’école du moment ». La rencontre est le moment le plus stimulant. Chez moi, il n’est pas

LE BUTO¯ AU JAPON AUJOURD’HUI Actualité au Japon : Le festival annuel commémorant Kazuo Ohno est actuellement le seul événement Butō institutionnalisé au Japon. Si la plupart des danseurs et groupes de Butō historiques sont encore en activité, aujourd’hui peu de jeunes danseurs et chorégraphes se revendiquent du Butō ; la frontière entre danse contemporaine et Butō étant imprécise. Les fondations japonaises pour la culture municipale et régionale ont depuis 1994 multiplié les programmes de soutient à la danse contemporaine. Il est donc plus facile de revendiquer cette appellation pour se faire sponsoriser.

KO MUROBUSHI PHOTO : ARNOLD GROESCHEL

Pour le critique de danse Tatsuro Ishii, du Asahi Shimbun, le plus grand quotidien japonais, « le Butō reste aujourd’hui un mouvement underground au Japon ». Mais les choses changent en 2015 Sankai Juku créera pour la première fois une grande pièce dans un théâtre du Japon alors qu’en France le Théâtre de la Ville les a soutenu pour la création de treize pièces depuis les années 1980. Tatsuro Ishii conseille de s’intéresser également au travail de 3 danseurs plus jeunes : Neji Pijin, Azu Minami et Mayako Okura (les deux derniers étant des femmes).

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« Un excès d’équilibre rend schizophrénique. »

Danse

Dairakudakan

▸ impératif de participer à un stage

Sentez-vous une relation du butŌ avec la danse macabre ? Il n’y a pas de relation directe, bien que Hijikata parlait de « danse des morts » et qu’une large part de son travail portait sur le corps en déclin. Il disait qu’il faut « inviter la crise dans le corps ». Le « corps mort debout » n’existe que dans le butō. Par « inviter la crise », j’entends une interrogation sur l’équilibre et le déséquilibre. Un excès d’équilibre rend, selon moi, schizophrénique. Je me plais à dire que le plus bel équilibre est le déséquilibre. J’aime choisir mon identification parmi un grand nombre d’options. Yukio Mishima, par son suicide ritualisé, voulait créer une rupture dans le tissu du temps, un grand vide qui permette de se remettre des valeurs essentielles à l’esprit. Je sens un parallèle avec cette créativité quand Deleuze parle de la logique du sens. Je pense que la créativité se situe dans l’échelle de temps géologique,

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Ode à la chair 4 > 6 juin 2015

et non le temps chronologique. Les étudiants avaient invité Mishima à leur parler pendant leur révolution. Mishima leur disait qu’il voulait créer un temps particulier. Les étudiants, eux, voulaient créer de l’espace. Pour Hijikata, le corps mort c’est ce qui annule l’espace et le temps. Ce qui est en question, c’est la possibilité ou l’impossibilité du temps. La danse est-elle vecteur de communication ? Mon interrogation principale porte sur la nature de l’art. C’est un langage en lien avec la société et la communauté. Quelle magie, quelle communication ? Répété, un mouvement devient musique ou danse. Comment communiquer grace à cette faculté revient à un questionnement d’ordre politique. A l’époque Edo il y eut une période où tout le monde dansait dans la rue de manière très enthousiaste. La nécessité d’une telle explosion d’énergie est la part la plus magnifique de la danse, mais c’est aussi un danger par la subversion que cela représente. Je pense à cette problématique quand je crée une oeuvre, à l’indépendance, à la résistance.

20h Chorégraphie et interprétation : Emiko Agatsuma Direction artistique : Maro Akaji Pièce pour 10 danseuses

d’information et de communication rapide. Mais quand j’écoute la télé ici, je me sens étranger en mon propre pays. Le discours politique véhiculé par la télévision et les médias japonais me rend très mal à l’aise. Son identification nationale est trop forte et à sens unique. La plupart des Japonais acceptent cette opinion majoritaire trop facilement. Je voudrais voir naître un nouveau mouvement de contestation parmi les étudiants ! Je pense aussi que le butō à un grand potentiel dans cette situation. Nous pouvons initier une nouvelle dimension avec de nouvelles idées. Quels sont vos projets pour cette année ? Au printemps nous allons répéter Les Innombrables Nijinski à Paris en mai, je participerais au projet de Boris Charmatz 20 danseurs pour le 20 e siècle à la Tate Modern de Londres et à un festival butō au Mexique. En juin Sao Paolo et Munich, en juillet des projets à Vienne et Budapest. Fin novembre nous montrerons Les Innombrables Nijinski à la Villette à Paris. Et je suis toujours à la recherche de nouvelles possibilités, de rencontres et de collaborations !

Quel avenir pour le butŌ ? Nous vivons une époque de globalisation,

1 KO MUROBUSHI, PHOTO : ARNOLD GROESCHEL

La planète des insectes 11 > 13 juin 2015 18 > 20 juin 2015 20h Chorégraphie, direction artistique et interprétation : Maro Akaji Pièce pour 22 danseurs

Conception graphique : Juanma Gomez, Hands-up! Studio / Photo : © © Hiroyuki Kawashima

complet. Chaque jour est une unité qu’on peut aborder indépendemment. Nous travaillons surtout la respiration, l’axe intérieur du corps et l’intersection de ces deux éléments. J’essaie de communiquer mon concept de edge, d’état limite, d’équilibre et déséquilibre. Le butō contient la dangerosité fragile des organismes vivants et parfois des états proches de la mort.

Maison de la culture du Japon à Paris 101bis, quai Branly 75015 Paris — M° Bir-Hakeim / RER Champ de Mars Réservation 01 44 37 95 95 — www.mcjp.fr MCJP.officiel @MCJP_officiel


INSTITUTIONS

VENUS D’AILLEURS INSTITUTIONS : LE CHOC DES CULTURES ?

L’Israélien Yuval Pick au Centre Chorégraphique National de Rilleux-la-Pape, le Suédois Petter Jacobsson au Ballet de Lorraine, l’Italien Ivan Cavallari au Ballet de l’Opéra national du Rhin, le Belge Frédéric Flamand puis l’Italien Emio Greco et le Néerlandais Pieter Scholten au Ballet National de Marseille, l’Américain Robert Swinston au CNDC d’Angers … Jamais il n’y a eu autant d’artistes étrangers à la tête de structures chorégraphiques françaises. Phénomène nouveau, changement d’époque ou changement de cap ? Premier volet d’une série sur ces chorégraphes venus d’ailleurs. Par Ariane Dollfus.

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ais dans le fond, comment expliquer cette tendance désormais profonde ? D’où vient qu’après l’émergence de « la jeune danse française » et l’installation de ses chorégraphes exclusivement français à la tête des nouveaux Centres Chorégraphiques Nationaux, la liste de leurs directeurs soit aujourd’hui résolument plus cosmopolite ? Curieusement, les professionnels interrogés ont d’abord trouvé la question « spécieuse », à croire que l’on touchait là un sujet sensible, alors qu’il résulte d’une simple réalité factuelle. Et lorsqu’on leur pose la même question, ils apportent des raisons très multiples. Il y a à l’évidence l’attirance des artistes étrangers pour cette spécificité française du paysage chorégraphique de l’hexagone. Comment ne pas être séduit par un tel financement public là où, dans tous les autres pays, il faut consacrer un temps fou à séduire des mécènes privés, seule condition pour que sa compagnie survive ? Aujourd’hui, la réputation des CCN après trente ans d’existence n’est plus à faire au niveau mondial, et de nombreux chorégraphes étrangers connaissent cette exception française. La scène chorégraphique française s’étant largement internationalisée, le label « CCN » est connu. Le ministère public y a d’ailleurs mis du sien. Dans les années 2000, lorsque les chorégraphes français de la première génération sont arrivés à un terme (souvent long) de leur mandat, le ministère de la Culture s’est posé la question du renouveau des directions, et a estimé qu’il était temps d’ouvrir plus largement ces postes à des artistes étrangers. Le sentiment européen a joué, l’envie de multiplier

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PETTER JACOBSSON, RÉPÉTITION DU CCN BALLET DE LORRAINE, SEPT. 2013. PHOTO : ARNO PAUL

les esthétiques également. Le Ministère a donc de lui-même activé ses appels d’offres auprès de réseaux internationaux, incitant largement des chorégraphes étrangers à candidater. Même si, au final, les responsables de l’époque le jurent, il n’y a pas eu de discrimination positive en faveur des candidatures venues d’ailleurs. D’autant qu’avec l’accroissement de la décentralisation des financements, les villes et régions – qui sont les bailleurs de fonds majoritaires des CCN aujourd’hui –, ont largement leur mot à dire dans le choix de leur directeur, puisque c’est le Conseil d’Administration qui décide, choix validé ensuite par le Ministère. Or, ces édiles peuvent avoir intérêt et envie de mettre en avant l’aura internationale de leur ville. Ils peuvent avoir aussi envie d’une rupture nette de style, comme l’a fait Marseille en nommant après Roland Petit et Pietragalla, Frédéric Flamand puis le duo Greco-Scholten. Enfin, il n’est pas dit que les jeunes chorégraphes français d’aujourd’hui aient tellement envie de se frotter aux exigences d’une direction de CCN. Le cahier des charges est de plus en plus lourd, il faut assumer des activités de créations, de transmission, de recherche, de formation, sensibilisation, médiation, accueil, programmation … qui peuvent faire hésiter à candidater pour diriger des structures complexes dont les moyens financiers ne suivent pas toujours. Il faut avoir une âme gestionnaire qui ne sommeille pas forcément en chaque chorégraphe, lequel souhaitera avant toute chose exister en tant que créateur.

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PETTER JACOBSSON  AU BALLET DE LORRAINE

« Les institutions ne doivent pas rester figées » Londres, Stockholm, New York, et aujourd’hui Nancy … Qu’est-ce qui fait courir Petter Jacobsson ? Ce Suédois, à la tête du Ballet de Lorraine depuis juillet 2011, fut aussi étoile du Sadler’s Wells Royal Ballet et directeur du Royal Swedish Ballet. Regard d’un danseur et chorégraphe international au cœur de l’institution française : Propos recueillis par Nathalie Yokel.

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vant d’être nommé au centre chorégraphique, quel regard portiez-vous sur le paysage institutionnel de la danse en France ? D’abord, l’image de la France à travers le monde est celle d’un pays de culture, où il y a donc beaucoup de danse. Mais peut-être que l’on ne sait pas vraiment comment tout cela fonctionne. Après, le fait qu’il existe dix-neuf Centres Chorégraphiques Nationaux est une chose spécifique et unique au monde, et c’est très identifié par le milieu de la danse en Europe et ailleurs. On reconnaît non seulement la forte présence de la danse contemporaine en France, mais aussi son soutien par l’Etat. C’est une évidence. Pourquoi avoir postulé à la direction du Ballet de Lorraine ? Précisément parce que c’est un Centre Chorégraphique National. Leurs buts et leurs missions de création et de développement de la danse m’ont vraiment intéressé. Je travaillais en Suède avec Thomas Caley au sein de notre propre compagnie1, et nous défendions chaque projet un à un, tout en essayant de trouver les financements. Avoir un CCN, c’était aussi la possibilité

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d’inviter d’autres chorégraphes : une belle perspective ! Mais vous aviez eu les deux casquettes, celle de chorégraphe indépendant, mais aussi celle de directeur artistique du Ballet Royal de Suède. Vous aviez donc déjà été à la tête d’une institution … Exactement, et c’est pour cela que je connaissais le fonctionnement d’une structure, les possibilités, les savoirfaire … et les difficultés d’une troupe permanente. En Suède, j’avais été invité pour faire avancer la compagnie, et introduire de nouveaux créateurs. Un grand challenge, car il fallait composer avec toute la politique qu’il y a derrière la danse aujourd’hui. Nous avons imaginé d’autres façons de faire des spectacles, comme des performances ailleurs que sur la scène de l’Opéra, avec des chanteurs, des musiciens … dans tous les recoins ! Nous avons également invité un groupe de Death Metal qui a joué live à l’Opéra pour une création. De nombreux spectateurs n’étaient jamais entrés à l’Opéra, et d’autres n’avaient jamais vu ce type de groupe. C’était important de se demander : qui est le propriétaire de l’Opéra à Stockholm ? Qui est le public qui peut rentrer dedans ? Ma philosophie :

ne jamais sous-estimer un public. Les institutions ne doivent pas rester figées, ce n’est ni bien pour les arts, ni pour les artistes, ni pour le public. Comment avez-vous abordé votre projet pour le CCN ? Avec plus de liberté. D’abord, nous sommes indépendants, nous n’avons pas de directeur de l’Opéra au-dessus de nous – c’est une chose dont la danse souffre encore beaucoup. C’est moi qui ai le « final word ». Les missions des CCN sont bien claires dans leurs statuts, mais celui-ci est spécifique car il y a 26 danseurs permanents. L’idée était de se projeter sur l’avenir pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui, tout en présentant des pièces « historiques », pour un public d’aujourd’hui qui ne les connait pas. Dès le début, j’ai dû affirmer ce projet, construit sur un thème différent chaque année2, y compris à l’attention des politiques pour les éclairer. Déjà, notre appellation pose problème et porte à confusion sur ce que nous sommes : « Ballet » de Lorraine ! Le mot ballet est souvent attaché à une esthétique, mais quelle esthétique ? Qu’est-ce qu’un ballet, aujourd’hui ? Le mot ballet veut simplement dire danse, rien de plus que

cela. Bien sûr, il y a une forte histoire en France et dans notre métier. Le challenge est de voir ce qu’on peut faire avec ça. C’est plus important de montrer ce qu’on fait à travers nos spectacles, plutôt que de rester sur une idée, un nom. Quand j’ai vu ce que Didier Deschamps avait fait précédemment, j’ai dit formidable, on va continuer sur cette piste. Il faut du temps pour s’inscrire dans une région, dans une ville, au monde, et aussi pour que les danseurs et le public comprennent. Un projet, ça prend dix ans ! A votre arrivée, y a-t-il eu un décalage entre votre vision des choses, vos attentes, et la réalité ? Il y a des choses très différentes culturellement entre la France et la Suède. Par exemple la hiérarchie, qui est très lourde ici en France. En Suède, même dans le cas d’un ballet, les structures sont plus « plates » que pyramidales : dans la mesure où tout le monde sait que vous êtes le directeur, c’est très important de ne pas le montrer, c’est très malpoli. Dans ce sens, je parle beaucoup de « responsabilité » à mes danseurs. C’est un esprit à avoir. Ensuite, j’ai presque découvert une compagnie dans une compagnie, comme s’il y avait deux

esthétiques différentes. Il fallait réunir le tout, et travailler sur une globalité. Le défi a été relevé grâce aux nombreux chorégraphes que j’ai invité ici, comme Mathilde Monnier, La Ribot, Giselle Vienne. Je pose chaque saison un thème, une question, pour expliquer pourquoi on fait telle ou telle chose, et mieux comprendre ce qu’est une compagnie d’aujourd’hui. Quel regard portez-vous sur l’outil CCN en lui-même ? Je pense que les CCN sont des superstructures, qui renforcent la danse d’aujourd’hui. Il est important qu’elles évoluent. Il y a du changement dans ce sens, car un directeur ne peut pas rester toute sa vie dans un CCN. Concernant notre structure ici à Nancy, je dirais que nous manquons d’un vrai plateau pour la danse. On donne toujours nos spectacles ici à l’Opéra de Nancy. C’est déjà lourd de sens : on danse dans la maison de l’opéra. On hérite d’une histoire qui hiérarchiquement place l’opéra au-dessus de la danse. Le plateau n’est pas fait pour la danse, et le partage pose des problèmes logistiques. C’est très important d’avoir un lieu où le public peut identifier la danse, et le CCN n’est

1 PETTER JACOBSSON. PHOTO : ARNO PAUL 2 ANDONIS FONIADAKIS : SHAKER LOOPS, PAR LE BALLET DE LORRAINE. PHOTO : ARNO PAUL

pas un lieu en soi. C’est difficile de le faire exister sans pouvoir accueillir du public. Notre studio-plateau qui fait cent places n’est pas l’outil adéquat. Je pense que nous ne sommes pas assez utilisés, et qu’on pourrait l’être mieux avec un lieu d’accueil identifiable. Je trouve ça dommage parce que j’entrevois des possibilités, et dans un sens plus large, c’est la question de l’attractivité d’une ville comme Nancy qui est aussi en jeu. L’identification, c’est hyper important. Le projet doit être clair, et le lieu doit être clair. Prochains événements : 5 – 8 mars 2015 : LIVEXTASE Avec Hok, solo pour ensemble d’Alban Richard, et Cover, d’Itamar Serussi 12 – 14 mai 2015 : LIVEXPERIENCE Avec Duo de William Forsythe, et Création 2015 de Cecilia Bengolea et François Chaignaud A l’Opéra national de Lorraine, avec l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy. www.ballet-de-lorraine.eu 1 La compagnie Scentrifug. Aujourd’hui, Thomas Caley est coordinateur de recherche au Ballet de Lorraine. 2 Cette année une saison « LIVE ! » sous le signe de la rencontre entre la musique et la danse.

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ROBERT SWINSTON AU CNDC D’ANGERS

« La question est de savoir si je serai à la hauteur, pas si je suis américain » Robert Swinston, héritier de Merce Cunningham, a été nommé directeur du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers (CNDC) en janvier 2013. Claire Rousier, directrice adjointe, et lui forment un binôme qui entend développer l’école et les échanges internationaux. Conversation à trois voix en français, anglais et franglais. Par Corinne Hyafil.

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ous travaillez en binôme depuis votre arrivée au CNDC … ROBERT : Oui. Nous avons travaillé ensemble pour monter le dossier et nous continuons tous les deux. Claire est partie prenante du projet à mes côtés. Le CNDC est un lieu de danse particulier. Non seulement c’est un Centre chorégraphique national, mais nous gérons aussi une école et la programmation des spectacles de danse de la ville. De plus, pour quelqu’un qui vient d’une autre culture, il faut comprendre les politiques culturelles locales, leurs combinaisons, leurs organisations, la façon dont elles se complètent. Donc, objectivement, il est essentiel d’être bien accompagné par quelqu’un qui connaît la culture et les réseaux du pays concerné. CL AIRE :

Pourquoi avez-vous postulé à ce poste ? ROBERT : Angers est un endroit symbolique. Les deux premiers directeurs du CNDC, Alwin Nikolais et Viola Farber étaient américains. Le fait que Merce Cunningham ait été sollicité pour diriger le CNDC à son ouverture est important pour moi. L’idée de renouer avec cette l’histoire de cette maison, de renouer avec son américanité, m’a poussé à poser ma candidature.

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L’école surtout m’intéressait. Claire et moi nous avons eu l’idée de faire travailler les étudiants sur les grandes techniques de la danse américaine et européenne, afin qu’elles leur permettent de développer leur personnalité et leur servent de tremplin pour des créations futures. J’ai la chance d’être passé par la formation de Merce Cunningham et j’espère être capable de former une nouvelle génération de danseurs contemporains. Il y a énormément de créateurs en France parce qu’ici ils ont les moyens de créer et sont considérés comme des artistes. La situation est bien différente aux USA où les gens doivent travailler à côté pour pouvoir créer. En plus j’aime la nature, la douceur des bords de Loire, et je suis heureux de vivre en France. Votre pédagogie mise sur l’immersion des étudiants … CL AIRE : Oui, toute la scolarité de l’école est fondée sur des systèmes d’immersion. Nous construisons une pédagogie avec une programmation, comme une saison. De plus, puisque la compagnie de Robert est à Angers, les étudiants croisent ses danseurs comme ils croisent les artistes en résidence et les compagnies programmées. C’est dans cette richesse des échanges que le CNDC est unique.

Le fait que nous ayons une équipe pédagogique fixe très réduite nous permet de solliciter des professeurs en activité partout dans le monde. Dernièrement, Germaine Acogny est venue faire des cours dans le cadre d’une session consacrée aux danses noires et Robert a été enseigner 15 jours au Sénégal. Nous avons fait un échange avec des étudiants d’Austin (Texas), d’autres sont partis en Allemagne dans le cadre d’Erasmus. Tout cela crée du rayonnement, de l’échange, du réseau. Et il est certain que l’appartenance très marquée de Robert à Cunningham favorise aussi ce phénomène. Votre nomination est-elle le signe d’une réouverture à la danse américaine ? ROBERT : Je pense que c’est le hasard. Tout le système de nomination est très compliqué, il dépend du conseil d’administration, de la DRAC et je pense que rien n’a été programmé à l’avance. Il est vrai que, venant d’une autre culture, j’ai probablement sur certaines choses un regard différent de celui de mon prédécesseur. Mais je ne suis pas sûr que cela vienne du fait que je sois américain et qu’il soit français. La question est de savoir si je serai à la hauteur de ce challenge et non pas de savoir si je suis américain.

Faire venir un étranger à la tête d’une structure culturelle, c’est pour une ville une assurance de rayonnement car cet artiste crée des ponts avec son pays d’origine. Il y a en France un désir de la part de l’état et des villes que les outils qu’ils mettent en place et pour lesquels ils investissent des budgets importants – il faut bien le dire – aient un véritable impact, un rayonnement international. Clairement, de la part de la ville d’Angers, il y a aujourd’hui le fantasme du CNDC des origines, celui de l’époque de Nikolais, de l’histoire avec Cunningham. CL AIRE :

Comment s’est passé votre arrivée, ce changement de direction ? CL AIRE : Cela a pris du temps, mais ça c’est bien passé. Quand nous sommes arrivés, il y avait déjà une équipe en place qui avait été dirigée par quelqu’un d’autre avec un autre projet donc il a fallu que nous prenions le temps de l’impliquer dans le nouveau projet, de lui expliquer nos objectifs et nos méthodes. Nous avons une équipe qui aime profondément la danse et qui peu à peu à appris à goûter les valeurs que nous représentons, qui ne sont pas les mêmes que celles de la précédente direction.

1 ROBERT SWINSTON. PHOTO : THIERRY BONNET 2 MERCE CUNNINGHAM : EVENT. PHOTO : DR

Ce qui a été un vrai casse tête pour moi, c’est de comprendre le droit du travail français qui n’est pas du tout le même qu’aux USA : les congés payés les RTT, etc. Mais je commence à intégrer tout ça. ROBERT :

Appréhendez-vous la création différemment ici à Angers? ROBERT : Bien sûr. Ici la vie est différente, les paysages sont différents et surtout les gens sont différents. Au CNDC, le fait d’avoir des facilités et un soutien financier, d’avoir le temps de faire répéter les danseurs de ma compagnie, de les voir progresser et de monter des projets, c’est un formidable cadeau. Ma dernière création, la Boite à Joujoux, est un coup de cœur pour la musique de Debussy et un hommage au patrimoine français. Pour Shadowsplay, j’ai été inspiré par les rochers de Bretagne, les menhirs et les mystères qui les entourent. Travaillez-vous en anglais ou en Français ? ROBERT : Je mixe anglais et français. Aux étudiants je parle seulement en français, enfin j’essaye, et aux danseurs en franglais. Le franglais est devenu ma langue.

Quelles différences vous sautent aux yeux entre les danseurs français et américains ? ROBERT : Il y a surtout deux choses. La première est qu’en France les danseurs sont considérés comme des interprètes et cela leur donne un esprit très différent. Ils sentent qu’ils peuvent donner ce qu’ils sont tout en restant dans la simplicité. En Amérique, nous avons plus des techniciens. Je pense que cela vient vraiment du fait qu’ils ne sont pas appelés « interprètes ». La deuxième remarque concerne l’analyse et la parole. En France les danseurs parlent beaucoup, ils ont besoin de comprendre de façon intellectuelle. Aux USA les danseurs ne parlent pas beaucoup, ils font et refont pour mémoriser les mouvements, leur approche du mouvement est très différente. Avec Merce Cunningham, dans le studio, personne ne parlait. Je comprends très bien que mes danseurs veuillent comprendre mais c’est une question de temps ; nous n’avons pas toujours le temps de comprendre avec la tête, notre temps est limité. J’aimerais parfois qu’ils commencent à observer avant de faire. Mais j’ai bien compris qu’ils ont besoin de parler. Alors je les laisse parler… même si parfois je dis « silence ! ».

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DOSSIER

Le corps du danseur, sa vie, son âme, son objet de plaisir et de carrière. Comment préserver ce lien unique et si fragile ? Comment apprendre dès le plus jeune âge à en prendre le plus grand soin ? Nous sommes allés rencontrer des spécialistes de la santé, psychologue, nutritionniste, chirurgien, des directeurs d’écoles et de ballets pour faire avec eux un état des lieux. Un tour d’horizon qui nous emmène aussi du côté des pratiques somatiques. Pour aller plus loin, nous avons souhaité élargir notre propos jusqu’à revisiter des œuvres chorégraphiques fortement teintées du sida et mettre en avant les endroits où les danseurs peuvent aider les non-danseurs confrontés à la maladie.

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ILLUSTRATION : CECILE TONIZZO

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LE CORPS PRIS EN MAIN Ostéopathie, kinésithérapie, prévention des blessures, massages etc. Ballets et écoles commencent à se mobiliser pour permettre aux danseurs une meilleure connaissance de leurs corps et prévenir les risques. Par Isabelle Calabre. En matière d’actions santé, les choses évoluent et certaines compagnies françaises sont plus performantes que d’autres. C’est le cas du Malandain Ballet Biarritz, l’un des pionniers en la matière. « Depuis 2011, explique Georges Tran, son secrétaire général, nous avons mis en place un programme spécifique réunissant un médecin du sport, un kiné et un ostéopathe qui assurent en continu un suivi et une prévention des blessures. Il a fallu d’abord convaincre les danseurs eux-mêmes, qui ont plus tendance à se considérer comme des artistes que comme des sportifs. La première année, nous les avons filmés

« en action » afin que les médecins puissent identifier leurs problèmes. Ces données nous ont permis d’établir, l’année suivante, des dossiers médicaux personnalisés, pour lequel chacun a accepté de lever la clause de confidentialité afin que les informations puissent circuler jusqu’aux maîtres de ballet et à Thierry Malandain. Nous avons aussi mis en place un bilan cardio, des séances de massage et de soins qui sont assurés même en tournée avec l’aide de praticiens locaux grâce à la transmission des données médicales. Enfin, nous avons institué des cours de yoga, de Pilates, de sophroplogie, ainsi que des séances de préparation physique en fin de journée. Résultat, alors que sur vingt-deux danseurs, trois en moyenne étaient blessés chaque saison, aujourd’hui nous n’en comptons plus qu’un. » De son côté Pierre-Marie Quéré, directeur administratif de l’Ecole supérieure de

A CHAQUE DANSE SES BOBOS Chirurgien orthopédiste, le Dr Boni Rietveld est directeur du Centre médical pour danseurs et musiciens de La Haye. « Le relevé, propre à la danse classique, est une position extrême qui fait porter tous les chocs sur les structures osseuses de la cheville et du pied. 43 % des blessures touchent la cheville ou le pied et 25 % les genoux. Au total, 68 % de lésions portent sur l’extrémité de la jambe du genou au sol. Leur incidence est plus forte chez les danseuses, à cause des pointes qui mettent le talon en situation de risque, et du forçage de l’en dehors qui tire genoux et chevilles vers l’extérieur. Dans la danse de claquettes et le flamenco, les problèmes se déplacent sur l’avant-pied. Les hip hopeurs, eux, rencontrent souvent des problèmes sur les membres supérieurs, au poignet par exemple. Ils peuvent aussi se blesser à la tête lors de leurs figures acrobatiques. »

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danse de Cannes et de l’Ecole nationale supérieure de danse de Marseille, met l’accent sur la formation : « Nous avons la chance d’avoir parmi nos professeurs l’ex-danseur Pieter Lewton Brain – par ailleurs époux de Paola Cantalupo notre directrice –, qui est également ostéopathe, chercheur et responsable chez nous du pôle Santé. Ce domaine est pour nos écoles un projet moteur, que nous menons en lien direct avec la recherche, à l’image de l’étude engagée avec la Faculté des sciences du sport de Nice. Tous nos cours sur la santé se passent en studio et en présence des professeurs de danse, afin que nos étudiants aient une approche pratique des notions enseignées. Notre but est qu’ils apprennent à gérer au quotidien leur santé ».

Ces exemples font des émules : A Monaco, Jean-Christophe Maillot a engagé un masseur pour prendre soin de ses danseurs avant et après les entrainements. A Angers, Robert Swinston et Claire Rousier, directeur et directrice adjointe du Centre National de Danse Contemporaine, qui ont déjà mis en place un suivi individuel des étudiants par un praticien Feldenkrais et un ostéopathe, souhaitent développer autant pour les élèves que pour les danseurs professionnels un partenariat avec une clinique du sport: « C’est très important de les traiter comme des sportifs de haut niveau car ce sont des sportifs de haut niveau. » Plan d’action santé au sein du Ballet de l’Opéra de Lyon, prévention des traumatismes dans la danse hip hop au CCN de La Rochelle, cours d’anatomie appliquée à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris … un tournant indéniable se dessine. Et les grandes institutions ne sont pas en reste. Depuis sa prise de fonctions en novembre dernier, Benjamin Millepied dit haut et fort sa volonté de faire de la santé des danseurs de l’Opéra

de Paris l’une de ses priorités. Le nouveau directeur a, en la matière, consulté tous azimuts afin de mettre en place « un système qui a du sens ». Quant au Centre National de la Danse, outre l’organisation du premier forum international en novembre dernier, il développe nombre d’actions : fiches pratiques, information et sensibilisation auprès des professionnels, remise en place de rencontres régulières baptisées « Lundis santé », installation de planchers sur plots élastomères amortissant afin de diminuer les risques de blessures. Pas de doute, la culture globale des professionnels sur le sujet est en train de changer. Et si, comparé au milieu sportif, le chemin à parcourir est encore long, nul ne peut désormais ignorer les travaux et études menées, ni les premiers succès de leur mise en œuvre.

SOUS LES PIEDS, LE PLANCHER Pour les danseurs le plancher est un élément déterminant. Les sols trop durs promettent des lendemains douloureux et risque de provoquer, à court terme, des tendinites et des fractures, et à long terme des déséquilibres et une instabilité permanente. Trop mous ils obligent à compenser, le poids se déplace sur le talon, ce qui abîme la cheville. L’équilibre, en la matière, est particulièrement difficile à trouver. Les planchers sur plots élastomères amortissant à double densité ont progressivement été adoptés dans la plupart des grandes salles, du Bolchoï aux deux salles de l’Opéra de Paris. Ils garantissent une prévention optimale des blessures et absorbent jusqu’à 67 % des chocs tout en restituant plus de 20 % d’énergie. A la Briqueterie, Centre de Développement Chorégraphique du Val-de-Marne, on a opté pour un système d’amortissement fabriqué à partir de demi-balles de tennis : plus de 15000 sous les parquets de quatre studios !

Dorothée Gilbert : « Donner à mon corps les meilleures conditions » Il fut un temps où une entorse, voire une fracture, n’empêchaient pas de s’élancer sur scène, d’autant que l’on avait soigneusement dissimulé toute douleur afin d’éviter le drame suprême : ne pas être distribué. Aujourd’hui, kinésithérapeutes et ostéopathes aident les danseurs à mieux connaitre leur outil de travail. La danseuse étoile nous parle de son expérience en la matière. Par Isabelle Calabre. « Ma première blessure était une fracture de fatigue », raconte Dorothée Gilbert, qui a connu plusieurs blessures depuis le début de sa carrière. « Faute de soins appropriés, elle ne s’est pas bien consolidée. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à réfléchir. J’ai pris conscience que je

ILLUSTRATION : CECILE TONIZZO

devais absolument donner à mon corps, qui est mon outil de travail quotidien, les meilleures conditions d’exercice. N’étant pas du tout, à l’époque, encadrée à ce niveau-là par l’institution, j’ai appris ‘sur le tas’. » Parmi les facteurs de risques, la ballerine a très vite identifié quelques ennemis dangereux : « D’abord les sols ! Plus jeune, lors de galas hors de l’Opéra, j’ai parfois dansé sur des sols très durs. Le lendemain, j’avais mal partout. Sur ce genre de planchers, on ressent au moindre saut l’impact dans les articulations. Quand à l’inverse ils sont trop mous, on manque de résistance lors des relevés sur pointes. Et pour compenser, on utilise différemment la cheville, ce qui la fragilise. » « L’idéal est de répéter et de danser sur le même sol, comme c’est le cas désormais à

l’Opéra, apprécie Dorothée Gilbert. Ainsi, les sensations sont les mêmes en studio et sur scène, ce qui est encore un moyen de minimiser les risques de blessures. » Autres précautions à prendre, selon la danseuse : savoir récupérer. « Après l’effort, je porte des chaussettes spéciales de récupération, au tissage serré, qui ont un effet drainant ». Dorothée n’hésite pas, non plus, à recourir à des séances de massages lorsqu’elle doit travailler simultanément une œuvre classique et une pièce contemporaine. « Répéter en parallèle deux ballets de style différent est très difficile, surtout lors des premières séances car ils sollicitent les muscles de façon contradictoire. Dans ces cas-là, un bon massage est indispensable. »

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LA CARRIÈRE DANS L’ASSIETTE Manger pour vivre sa passion. L’alimentation, carburant du corps, est une des composantes essentielles d’un bon entrainement et d’une carrière équilibrée. Si dans les grandes écoles de sport, les nutritionnistes sont aujourd’hui toujours présents, ce n’est pas forcément la même chose dans toutes les écoles de danse et les grandes institutions de ballet. Par Corinne Hyafil. Un bon petit déjeuner pas trop sucré, et deux repas équilibrés. Ce n’est pas compliqué et pourtant … de nombreux facteurs nous font passer bien loin d’un comportement alimentaire équilibré. Pour Paule Nathan, endocrinologue et nutritionniste, qui a travaillé pendant des années avec le Conservatoire national supérieur de danse de Paris, « Dans la tête des danseurs, ce n’est pas toujours très clair car on leur demande d’avoir une silhouette plutôt maigre. A l’adolescence émerge le problème que l’on a toujours faim

et pour les filles c’est aussi le moment des premières règles. Ces dernières, n’étant pas encore établies et régulières, on tendance à les faire gonfler encore plus. La silhouette ne va donc se stabiliser que vers l’âge de 18–20 ans. » Et de plus, chez les enfants et les adolescents, aux besoins liés à l’activité physique s’ajoutent les besoins liés à la croissance. Pour Véronique Rousseau, diététicienne nutritionniste à l’Institut national du sport et ancienne championne de judo, il est important d’aménager son régime alimentaire afin de pouvoir garder une vie sociale tout en évitant de culpabiliser. « Avec les sportifs, on va identifier les éléments plaisir et on va autoriser un dosage à la semaine pour ne pas tout interdire d’un coup puis mettre en place des ajustements, une fois qu’on s’est fait plaisir. Quand on fait un sport esthétique, il y a des contraintes inévitables au niveau des choix alimentaires et malgré tout, il faut trouver une dimension sociale et un

ANOREXIE : ATTENTION DANGER Les nutritionnistes connaissent bien l’anorexia athletica, sorte de burn out qui se manifeste par une dénutrition temporaire et se règle quand la pression baisse. Mais elle peut aussi se transformer en anorexie mentale, une maladie grave qui peut laisser des séquelles pour la vie entière et même provoquer la mort. Pour lutter contre ce phénomène, qui touche, dès le plus jeune âge, presque autant les garçons que les filles, le dépistage, la prévention et le suivi sont indispensables. Pour le docteur Nathan, qui a été auditionné par le Sénat au sujet d’une loi visant à condamner l’incitation à l’anorexie : « Lorsqu’une personne se met à maigrir, qu’elle ne prend plus ses repas avec le groupe, qu’elle sort de table dès qu’elle a mangé pour aller se faire vomir ou qu’elle commence à trier le gras dans son assiette, il y a urgence à mettre en place une prise en charge psychologique. »

confort psychologique. » Cet équilibre est primordial, car si on n’arrive pas réguler son alimentation, la carrière peut être remise en cause. Pour le docteur Nathan « on laisse sur le chemin beaucoup de danseurs et danseuses avec une grande plaie narcissique. S’ils ratent un concours, ils peuvent se dire que le concours était trop dur. Mais s’ils n’ont pas pu maîtriser leur alimentation, ils gardent un sentiment de honte de n’avoir pas été à la hauteur ». Si le grignotage est conseillé, il est par contre conseillé de manger lentement pour permettre aux signaux de satiété de se déclencher et aux aliments d’arriver prédigérés dans l’organisme, ce qui facilite la digestion. Dernière découverte en matière de nutrition, une hormone de croissance qui permet de renouveler la barrière intestinale. Cette hormone se trouve dans la salive générée par une bonne mastication. Un régime équilibré permet aussi, selon le docteur Nathan, d’avoir une belle silhouette : « Je vois des danseurs qui ont un rapport poids-taille correct et qui paraissent un peu gonflés et adipeux. Ce sont des gens qui ne mangent pas équilibré, qui ne mangent que des pâtes ou que des salades, sans protéines. Le problème c’est que s’ils se restreignent, ils perdent des muscles mais ne règlent pas leur problème. » A force de se restreindre, le régime de famine va se mettre en place : la feuille de salade assortie d’une pomme … et cette dénutrition amène tout droit à l’anorexie. C’est parfois une anorexie passagère, comme l’anorexia athletica qui est particulière au monde sportif et qui se règle quand la pression baisse. Ce phénomène, visible chez les danseurs et athlètes de haut niveau, touche presque autant les garçons que les filles. Il faut surtout éviter que cette anorexie passagère se transforme en anorexie mentale. Pour éviter ce phénomène, la prévention et le suivi sont indispensables, dès le plus jeune âge.

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LE CORPS EN QUESTIONNEMENTS Rencontre avec Meriem Salmi, première psychologue à avoir fait partie de la délégation olympique française en 2008. Celle qui fut aussi athlète revient sur l’accompagnement des sportifs de haut niveau, dont font partie les danseurs. Par Corinne Hyafil. Pourquoi les danseurs viennent-il vous voir ? Ce que vivent les danseurs est de l’ordre de l’exceptionnel, mais c’est aussi un investissement colossal. Ils sont amenés régulièrement au-delà de leurs limites, ce qui forcément les fragilise tout en les rendant plus forts. Mais dans tous les milieux où l’on vise la perfection, l’exigence, parfois cruelle, se mélange à l’extra-ordinaire. Au départ les gens peuvent venir me voir pour des raisons variées : parce qu’ils sont angoissés ou blessés ou pour des soucis d’ordre alimentaire, mais toujours pour des choses plus globales que le simple fait d’être danseurs ou sportifs. Que l’on prépare un concours de danse ou les jeux olympiques, ça doit être et rester un rêve et non pas devenir une obsession. On n’existe pas à travers une performance, on existe plutôt à travers le chemin que l’on a construit pour réaliser cette performance. L’image du corps est-elle primordiale pour eux ? La question du corps est toujours présente, c’est un élément fondamental parce que c’est ce qui définit leur métier. Ils sont attentifs à leurs corps, ils n’ont pas le choix, ça fait partie de leur vie, c’est intrinsèquement lié. Donc s’il y a un

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souci, que ce soit sur leur poids, ou une atteinte physique (blessure, douleur), il va y avoir un impact sur leur état de santé psychique. C’est un des rares endroits où le soma et la psyché sont liés, indéfectiblement. Et si l’image du corps est primordiale pour eux, il faut savoir qu’il n’y a jamais de corps parfait : même le plus grand danseur étoile, pour ne parler que de la danse classique, a été critiqué parce qu’il était trop ceci ou pas assez cela. Cette angoisse de ne pas correspondre au modèle idéal peut créer des troubles psychopathologiques. Il faut s’efforcer de sortir de l’obsession car bien entendu la perfection n’existe pas. Il faut se construire avec ce que l’on est et non pas avec une illusion perpétuelle qui peut nous rendre malade. La danse est-elle un milieu anxiogène ? La danse est un milieu extrêmement exigeant dans son approche, un monde de passions qui peut être débordant d’amour et extrêmement destructeur en même temps. Il ne faut pas l’oublier. On va trouver des troubles anxieux, ce qui est logique, ce sont des milieux d’élite, des milieux de concurrence, des milieux où la recherche du toujours mieux est chronique. De ce fait, c’est un contexte plus anxiogène mais l’anxiété, lorsqu’on arrive à la gérer, peut être un formidable moteur. Il arrive comme partout de rencontrer des épisodes dépressifs. Mais un danseur blessé et immobilisé pendant six mois qui ne développerait pas un épisode dépressif, ce ne serait pas un être humain. Etre obligé d’arrêter peut être dramatique pour certains, c’est parfois vécu comme une petite mort.

Pour vous c’est une histoire d’amour, de passion ? Personne à part eux ne peut ressentir le bonheur que peut apporter cette passion. Evidemment, il ne faut pas se mettre en danger sur le plan de sa santé, c’est sur cette question que je me bats, pour les sportifs comme pour les danseurs. Il ne s’agit pas de se détruire sous prétexte de bonheur mais plus on est dans l’exigence plus on est potentiellement en danger et plus il faut avoir un staff sérieux autour de soi. Il faut leur apprendre à utiliser ce corps, à en prendre soin, à y faire attention, à l’écouter. Ce n’est pas rien quand le corps envoie des signes, il faut l’entendre. La porte du psychologue est encore rarement poussée … Si les danseurs comme les sportifs sont des experts de leurs corps, ils connaissent moins leur tête. Il faut leur faire prendre conscience qu’ils sont souvent leurs propres maltraitants. Ils ont les défauts de leurs qualités : ils ne lâchent rien, ce sont des énormes bosseurs. Il faut les approcher en prenant en compte leur passion et aussi ce qu’ils sont, leur personnalité, leur contexte, leurs compétences et leurs limites et c’est avec tous ces paramètres que l’on va construire leur propre chemin. Pensez vous qu’il faille favoriser l’encadrement systémique ? Les staffs d’encadrement devraient être plus diversifiés qu’aujourd’hui. Si on est confronté à un problème de nutrition, il va y avoir un impact sur le plan psychologique et vice versa. On ne peut pas s’en sortir seul ! Comment voulez-vous que je traite des troubles de conduite alimentaire sans nutritionniste ? C’est la multiplicité des intervenants et de leurs lectures qui va permettre d’apporter au mieux toutes les compétences que l’on a à notre service. Si je ne suis pas compétente pour leur apprendre à manger, je peux leur apprendre à résister à certaines tentations ou débordements.

Pour les enfants, la prévention est-elle assez présente ? Le corps n’est pas vécu de la même façon quand on commence jeune. Les enfants peuvent s’abimer beaucoup plus facilement, contrairement à ce que l’on pense, surtout quand on ne sait pas les accompagner. Même s’ils vivent mieux leurs corps que des jeunes qui n’ont pas d’activité physique, je considère que l’on a énormément de travail à faire auprès de cette population qui est beaucoup trop livrée à elle-même. Plus on est dans une passion précoce, plus les parents doivent avoir un rôle prépondérant et c’est nous professionnels qui devons les les aider à développer des compétences, à y voir clair, à répondre à certaines questions. Je trouve qu’on juge beaucoup les parents alors que alors que bien souvent ils sont dans l’ignorance. Qui leur apprend, qui leur dit ? Y a-t-il encore du chemin à faire ? Effectivement, nous avons encore beaucoup de travail. Je pense que nous avons avancé mais il nous faut encore beaucoup progresser pour faire passer ces idées et ces messages. Aux Etats-Unis, dans les années 70, il y avait déjà des psychologues dans les équipes sportives ou dans les écoles de danse. En France, nous sommes très en retard. C’est vrai que nous, les psys, nous n’avons pas été très bons, nous sommes souvent restés dans un monde opaque avec le règne de la psychanalyse. Mais trop d’idées fausses circulent. Nous ne sommes pas là pour dire aux gens, « vous devez faire ceci, vous devez résister à cela », ou pour les juger. Je considère le travail psychologique comme un processus très concret : si nous avons identifié un problème ou une question à résoudre, nous de trouver ensemble des solutions, main dans la main, en tenant compte de tous les paramètres. C’est une formidable aventure.

ILLUSTRATION : CECILE TONIZZO

L’ENGOUEMENT DU SOMATIQUE Regroupées sous le titre générique d’Education somatique, toute une kyrielle de méthodes, techniques, approches ou disciplines psychocorporelles se sont fortement développées en Europe et en Amérique depuis les années 70. Elles proposent une gamme très variée d’exercices et d’activités pour apprendre en douceur à mieux sentir son corps en mouvement. Par Dominique Pillette. Si les danseurs ont très tôt compris leur intérêt – augmenter l’amplitude gestuelle, acquérir plus d’efficacité dans le mouvement, plus de flexibilité, d’agilité et d’expression, améliorer l’équilibre, la coordination, prévenir les blessures –, chaque individu quel qu’il soit peut en retirer des bénéfices. Trouver la bonne méthode

nécessitera peut-être d’en expérimenter plusieurs, mais il faut savoir qu’elles s’appuient toutes sur des concepts fondamentaux communs, soit une approche holistique de l’être et une prise de conscience du corps. Le terme holistique (du grec holos : totalité, entier) suppose l’individu dans sa globalité, corps et esprit sont envisagés comme un tout et non plus dissociés. Quant à la prise de conscience du corps, elle est nécessaire pour identifier et se débarrasser de certains automatismes inefficaces, voire toxiques, provoquant crispations, tensions, douleurs, blessures. Ce qui implique de prêter attention aux signaux corporels, à l’espace intérieur du corps comme à nos processus physiologiques, à nos sensations et pensées. En séances individuelles ou en groupe, le travail avec un praticien comprend des

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▸ exercices d’étirement, d’élongation ou

de détente, au sol ou debout, avec ou sans objets propriocepteurs (balles, ballons, bâtons, briques, coussins, élastiques) parfois sur table ou avec l’aide de machines sophistiquées, parfois par des massages précis, plus ou moins profonds.

coordination entre tête, cou, torse et membres. Le travail est individuel et basé sur le toucher, dit « toucher Alexander », le professeur guidant l’élève avec des indications verbales et tactiles.

A noter que plusieurs de ces méthodes (Alexander, Pilates, Feldenkrais, Eutonie) ont été créées à partir d’une expérience personnelle – blessure, maladie ou souffrance psychique –, par des gens qui n’avaient pas trouvé de réponse adéquate à leur problème dans les techniques existantes. C’est en devenant leurs propres cobayes qu’ils sont parvenus à mettre au point quelque chose de novateur. Le produit de leurs recherches a donné lieu à d’importantes théorisations.

La méthode Feldenkrais ou prise de conscience par le mouvement (PCM) a été mise au point par le physicien et judoka, Moshe Feldenkrais (1904–1984) qui considérait le système nerveux comme siège de la conscience. Le travail consiste en une combinaison de séquences de mouvements doux, lents, sans efforts, guidés par la voix du praticien qui demande d’observer, de ressentir, de comparer chaque réaction corporelle pendant le travail. Des phases de repos permettent l’intégration de l’information par le système nerveux.

Parmi les plus connues aujourd’hui, la technique Alexander est une méthode d’autocorrection posturale. On la doit à l’acteur australien Frederick Matthias Alexander (1869–1955) qui souffrait d’aphonie. S’observant déclamer devant un miroir, Alexander prit conscience que son blocage était dû à une mauvaise utilisation de son corps causée par un désir inconscient de « bien parler ». D’où une contraction des muscles du cou, une rétraction du crâne vers l’arrière et vers le bas, un raccourcissement et un resserrement du haut du dos et un relèvement des épaules. Il mit au point une série de directions (les directions Alexander) visant à rétablir une bonne

L’Eutonie (du grec eu : bien, juste, harmonie et tonos : tonus, tension) créée par Gerda Alexander (1908–1994) a pour but de rechercher l’équilibre harmonieux du tonus musculaire dans chaque mouvement, y compris les plus infimes. Les participants sont amenés à utiliser des objets proprioceptifs qui les aident à détecter, à relâcher et à équilibrer les tensions. La Gymnastique holistique du docteur Lili Erhenfried (1896–1994) est un travail de restructuration du corps entier visant à lui faire retrouver son axe naturel. Les mouvements simples font ressentir l’interdépendance entre les différentes parties du corps. Par exemple, un mouvement de la cheville permet

POUR EN SAVOIR PLUS Découvrir et pratiquer la Méthode Alexander, Jeremy Chance, éd. Eyrolles. Exercices fondamentaux de Bartenieff, A. Loureiro & J. Challet-Haas, éd. Ressouvenances, coll. Pas à pas. Penser les somatiques avec Feldenkrais, sous la direction d’Isabelle Ginot, éd. L’Entretemps, coll. Lignes de corps. Vivre en harmonie avec son corps par l’eutonie, Mariann Kjellrup, éd. Dangles, coll. Psycho-soma. La Force expressive du corps, Daria Halprin, éd. Le Souffle d’or. Association Education somatique France : 06 34 46 63 75 (Vladimir Latocha, président), contact@education-somatique.fr

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de détendre les muscles de la nuque, tandis qu’un mouvement d’étirement de la mâchoire contribue à libérer le diaphragme. Les Fondamentaux Bartenieff sont une série de six exercices de base enrichis de nombreuses variations et mis au point par Irmgard Bartenieff (1900–1981) d’après les recherches de Rudolf Laban sur la relation corps/espace, les changements de forme, la dynamique et l’expressivité du mouvement. Ces exercices renforcent le support interne du corps, la relation de ce support à la respiration et à l’espace, la mobilité, l’adaptabilité et la disponibilité au changement. L’Idéokinesis (ideo : pensée et kinesis : mouvement) conçue par Mabel Todd (1880–1956) est une technique de visualisation du mouvement qui utilise les images mentales comme moyen de modifier les mauvaises habitudes musculaires. La programmation de modèles neuromusculaires vise à améliorer l’alignement et l’équilibre mécanique. Plus récemment, le Body-Mind Centering ou BMC, élaboré par Bonnie Bainbridge Cohen, consiste à étudier l’anatomie et la physiologie grâce au mouvement, au toucher, à la voix et l’imaginaire. Le toucher permet la perception profonde des systèmes et des tissus du corps, de leurs réactions et corrélations, d’où un ressenti et une mobilité affinés. On peut y ajouter le Pilates, technique de renforcement des muscles posturaux profonds basée sur le contrôle du mouvement et de la respiration. Elle s’inspire du yoga, de la danse et de la gymnastique. Mise au point par Joseph Pilates (1880–1967) selon huit principes de base : concentration, contrôle, centre de gravité, respiration, fluidité, précision, enchaînement et isolement. Le Pilates utilise des objets proprioceptifs (ballons, élastiques, etc.) ainsi que des appareils (Reformeur, Cadillac et Chaise Wunda).

Il existe bien d’autres méthodes somatiques moins connues mais tout aussi intéressantes, comme l’antigymnastique, la gymnastique sur table TCP, la méthode de libération des cuirasses, la technique Nadeau, la méthode Trager, le Rolfing, etc., qu’il serait trop long de développer ici. Quant à la Force expressive du corps de Daria Halprin, même si elle relève davantage de l’art thérapie que des méthodes somatiques, c’est une recherche très aboutie qui ne se contente pas d’utiliser certains concepts somatiques, mais les élève à un degré plus spirituel. NB : la plupart de ces méthodes sont des marques déposées. 1

LES PIONNIERS DE L’ANTIGYMASTIK Le XXe siècle voit naître une approche globale du travail du corps, basée sur l’écoute et la respiration. Au tout début du XXe siècle, Isadora Duncan, avec sa gestuelle naturelle, spontanée, sa totale liberté d’expression, révolutionne non seulement la danse, mais l’approche même du corps, qui, débarrassé de ses corsets physiques et mentaux, peut enfin respirer. Beauté et harmonie du corps sont également la préoccupation d’artistes allemands, tel le chorégraphe Rudolf von Laban (1879–1958), qui ouvre un cours de danse d’été en 1912 sur le Monte Verità, près du lac d’Ascona en Suisse. Il y enseigne une manière de danser en toute liberté, nu ou à demi, en contact avec les forces vitales de la nature. Dans ce même esprit, c’est en réaction au mouvement européen de la fin du

XIXe siècle appelé Gymnastik – un entraînement viril du corps inspiré du modèle militaire – que les pionniers de l’éducation somatique, François Delsarte, Emile Jaques-Dalcroze et Bess Mensendieck conçoivent une approche plus naturelle, basée sur l’écoute des signaux corporels résultant de la respiration, du toucher et du mouvement. Delsarte (1811–1871), un ancien chanteur qui avait perdu sa voix, est le premier à s’intéresser à la dimension émotive, physiologique et cognitive du mouvement expressif : il réinvente littéralement la relation entre le geste et l’émotion. Ses travaux passionnants constituent la matrice de la plupart des méthodes somatiques en Europe et aux Etats-Unis. A la toute fin du XIXe siècle, le Suisse Jaques-Dalcroze (1865–1950) s’inspire du delsartisme pour mettre au point une pédagogie fondée sur l’appréhension corporelle de la musique : la rythmique ou gymnastique rythmique. Tout

comme Mensendiek (1866–1959) avec sa gymnastique fonctionnelle et esthétique basée sur les mouvements de la vie quotidienne. Parallèlement FrederickMatthias Alexander, Moshe Feldenkrais, Gerda Alexander, Lili Erhenfried, Irmgard Bartenieff développent leurs propres techniques. Lesquelles se diffusent largement jusqu’aux Etats-Unis où, en 1962, est fondé le très couru Centre Esalen de Big Sur (Californie). A l’ère du New Age, dans une nature sauvage, face à l’océan, voient le jour un certain nombre de méthodes alternatives et éclectiques à la croisée du développement personnel et de la spiritualité orientale : gestaltthérapie, méditation, yoga, massages, etc. En France, deux kinésithérapeutes aux idées révolutionnaires, Françoise Mézières en 1947 et Thérèse Bertherat dans les années 1970, créent respectivement la Méthode Mézières et l’antigymnastique qui connaissent un grand succès. DP

1 ISADORA DUNCAN AVEC LE MAJOR SMITH DE LA CROIX ROUGE AMÉRICAINE, 1919. PHOTO : AGENCE DE PRESSE MEURISSE. SOURCE : BNF

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DU DEGRÉ ZÉRO AU TROP PLEIN : BEL ET BÉJART FACE AU SIDA L’épidémie de sida altéra profondément l’idée qu’on se faisait de la représentation d’un corps. La danse s’en trouva affectée, de multiples manières, parfois détournées. Rien de commun entre Jérôme Bel et Maurice Béjart. Par Gérard Mayen.

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a dernière édition du Festival d’Automne à Paris avait mis à son programme une reprise de la pièce Jérôme Bel, signée de Jérôme Bel. A cette occasion, ce chorégraphe avouait avoir lui-même été choqué par la sécheresse de cette pièce. Au point d’avancer cette explication : « Je pense que j’étais dans une douleur indicible : je vivais deux deuils et cette pièce était la réponse inconsciente à la disparition d’amis morts du sida. Elle est une cristallisation de cette horreur, en même temps qu’une réflexion sur la danse ».

Ainsi, vingt ans après sa création originale (en 1995), cette pièce revêt une signification nouvelle, risquant d’apparaître comme « une pièce du sida ». Lors d’un colloque provoqué en 2007 par le festival Montpellier Danse, autour de la double question Ce que le sida a fait à la danse – Ce que la danse a fait du sida, le philosophe Alain Ménil caractérisait cette épidémie comme « un fait social total », et la rangeait parmi « les maladies qui, dans l’histoire, ont symbolisé, exprimé ou représenté un état de société ». Or il n’y a dans Jérôme Bel strictement aucun élément qui évoque, encore moins illustre, quoi que ce soit du sida. On y trouve en revanche une déconstruction de la représentation des corps tellement radicale que cela stupéfia le public voici vingt ans. Cette pièce est emblématique d’un nouveau courant esthétique qui battait alors son plein. Au seul fait que les danseurs y renonçaient à la virtuosité des grands déplacements, certains journalistes réduisirent le phénomène à de la « non-danse ». C’était mal reconnaître tout ce que ces artistes inventèrent pour inviter à regarder les corps d’une

1 JÉRÔME BEL : JÉRÔME BEL. PHOTO : HERMAN SORGELOOS 2 MAURICE BÉJART : LE PRESBYTÈRE. PHOTO : FRANÇOIS PAOLINI

manière totalement nouvelle. Les interprètes de Jérôme Bel s’exposent nus, le plus souvent à l’arrêt. En jouant sur les moindres détails de leurs apparences, en procédant à des tracés à même la peau, ils donnent leurs corps à lire quasiment comme un texte. S’il y a un degré zéro, un minimalisme radical de la représentation dans Jérôme Bel, on se rend compte d’autant mieux que, même nu, un corps est déjà porteur d’une multitude de signes puisés dans la culture. Un corps qui se présente devant des spectateurs est toujours déjà construit par les représentations qui animent l’esprit de ces spectateurs. Le lien au sida est à chercher dans le contexte d’une époque, dans une culture du sida, à un moment où la maladie est très présente dans les rangs de la communauté de la danse. Tout poussait à une compréhension plus complexe de ce que disent les corps. On se passionnait pour la lecture du philosophe Michel Foucault. Avec lui on faisait son deuil de l’idée un peu naïve, néo-hippie, selon laquelle les corps étaient le lieu de la liberté, sur lesquels la culture et la société exercent leur

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DIRECTION PETTER JACOBSSON

En 1997, Maurice Béjart signait une pièce du sida, qui continue de remplir les plus grandes salles, comme encore ce printemps, Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat. On la perçoit comme un hommage au danseur étoile Jorge Donn, dont la relation élective avec le chorégraphe tenait du non-dit crypté au point d’être entendu de tous. Jorge Donn s’était éteint sous l’assaut de la maladie le 30 novembre 1992, une semaine après Freddy Mercury (dont la musique soulève l’humeur du spectacle), une semaine avant Dominique Bagouet, six semaines avant Rudol Noureev, tous emportés par le sida.

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La pièce de Maurice Béjart fait allégorie de l’épreuve d’une génération qui vient dire sur scène : « Vous nous avez dit Faites l’amour, pas la guerre. Pourquoi l’amour nous fait-il la guerre ? ». De façon bien convenue, le chorégraphe n’annonce rien d’autre qu’« un ballet sur la jeunesse et l’espoir, puisque, indécrottable optimiste, je crois aussi malgré tout que The show must go on, comme le chante Queen ».

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Prochainement : Le Presbytère de Maurice Béjart 31 mars – 1er avril, Dôme de Marseille 4–6 avril, Palais des Congrès de Paris 9 avril, Zénith de Dijon 11/12 avril, l’Amphithéâtre de Lyon 15 avril, Zénith de Nantes 18 avril, Zénith de Rouen 22–24 avril, Colisée de Roubaix.

▸ répression. Les corps devenaient le lieu même des relations de pouvoir et de discipline.

Dans pareil contexte la danse pouvait-elle continuer de se fantasmer comme l’art de la perpétuelle jeunesse, de la vie trépidante, et des corps parfaits ? On se mit à y regarder à deux fois, pour procéder à un immense examen critique. Il y aurait quelque chose d’un diagnostic philosophique dans cette manière d’examiner les questions à même la peau. D’autres artistes auront fait le choix de porter le thème même du sida sur scène. Mais alors les significations ne sont jamais les mêmes, car le sens de l’art travaille dans le langage de l’art, dans la manière dont il fait formes, et non simplement dans les sujets qu’il illustre. Vu ainsi, Maurice Béjart se situe aux antipodes de Jérôme Bel, dans son souci de composer de grandes pièces consensuelles, qui comblent les attentes de ses foules de spectateurs, sûrs de retrouver sur scène les idées bien arrêtées qu’ils se sont faites sur ce qu’est la danse.

Les représentations de Le presbytère … se déroulent dans une ambiance épatante. Les illustrations y sont explicites, qu’il s’agisse d’évoquer les transes sexuelles d’une backroom, l’embrasement des amours et la désolation hospitalière. On y retrouve la représentation toute puissante de corps néo-classiques éblouissants, comme Béjart aime à les représenter. Tout est reconduit comme toujours. Rien ne risque de semer le trouble dans l’esprit du spectateur, gratifié d’une forme conforme aux canons institués. Alors qu’on parle du sida, alors que tout est bouleversé, en fait rien ne bouge. Ou plutôt on bouge, parce que la danse ça bouge, ça ne saurait se discuter. Il faudrait porter attention à une autre tournure, assez discrète, dont use le chorégraphe dans la présentation de sa pièce : « le danseur que je ne suis plus se réincarne à chaque fois en des interprètes qui le dépassent ». Où l’on lit, noir sur blanc, ce mythe finalement stupéfiant sur lequel s’est bâti l’essentiel du monde de la danse, qui voudrait se bloquer dans l’illusion d’une jeunesse perpétuellement reconstituée, pour l’immortalité. Jérôme Bel passe à un tout autre stade lorsqu’il indique : « c’est sans doute cette conscience de la mort qui m’a fait naître en tant qu’artiste ».

À L’OPÉRA NATIONAL DE LORRAINE

5, 6, 7, 8 MARS 2015

L IVEXTASE

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L IVEXPERIENCE Entrée au répertoire

Création 2015

William Forsythe Thom Willems

Alban Richard Louis Andriessen

Création 2015

Création 2015

Cécilia Bengolea et Francois Chaignaud Philip Glass

Itamar Serussi Hector Berlioz

avec l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy et le chœur de l’Opéra national de Lorraine GRAPHISME : LES GRAPHIQUANTS

1 JÉRÔME BEL : JÉRÔME BEL. PHOTO : HERMAN SORGELOOS 2 MAURICE BÉJART : LE PRESBYTÈRE. PHOTO : FRANÇOIS PAOLINI

12, 13, 14 MAI 2015

PHOTOGRAPHIE : ARNO PAUL

N° LICENCES ENTREPRENEUR DU SPECTACLE : 1–1057128 / 2–1057129 / 3–1057130

WWW.BALLET-DE-LORRAINE.EU 3 rue Henri Bazin — 54000 Nancy TÉL : 03 83 85 69 08


se transforme dans les différents lieux. Comme danseuse, j’ai été au service de chorégraphes ; en tant que praticienne je suis au service des contextes dans lesquels j’interviens, ce qui m’amène finalement à travailler dans une composition permanente avec l’espace et le temps ; dans ce sens je reste « artiste ». Le cœur de la pratique somatique est là mais mes stratégies sont toujours dans un processus d’ajustement vis-à-vis des personnes que j’accompagne : ma manière d’aborder le contexte, comment je déplace et « brasse » mes outils selon les situations. L’imaginaire du geste est-il si courant dans une pratique somatique orthodoxe ? La prise en compte de l’autre est-elle si évidente dans une pratique artistique en danse ?

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LES CONTRE-ALLÉES DU GESTE Entretien avec Nathalie Hervé Après avoir traversé le travail de plusieurs chorégraphes (Didier Théron, Mark Tompkins, Charles Cré-Ange, Nadège MacLeay), Nathalie Hervé s’est formée à la Méthode Feldenkrais puis a intégré en 2010 le Diplôme d’Université « Techniques du corps et monde du soin » de l’université Paris VIII. Présente dans de nombreuses institutions médicales, médico-sociales ou associations, elle fait partie de cette génération de danseurs qui s’est vite préoccupée d’une suite à sa vie d’interprète sans pour autant se situer dans une « reconversion » radicale. Engagée mais pas dogmatique, cette « praticienne tout terrain » comme elle aime à se définir accompagne le corps des non-danseurs avec le souci de toujours défendre un imaginaire du geste, là ou on ne l’attend pas toujours. Par Michel Repellin.

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ans quels contextes travaillez-vous de façon régulière? J’interviens comme praticienne Feldenkrais dans le domaine de la santé et du travail social depuis six ans. Ma plus longue expérience demeure en milieu carcéral et en hôpital notamment dans le cadre d’un projet Culture et Santé1. Depuis l’an dernier je travaille deux jours par semaine à l’association « Dessine moi un mouton » qui accueille et propose un suivi global à des enfants, adolescents et familles concernés par le VIH ou une maladie chronique. Ces différents terrains sont le fruit d’opportunités qui se sont transformées en véritables espaces d’engagement. Il y a une grande différence entre aller dans un contexte occasionnellement et vouloir y travailler sur la longueur. Il faut accepter de changer le regard sur notre métier, qui est bien plus qu’un savoir-faire technique ou une vision « poétique » un peu déterritorialisée. Comment définissez-vous aujourd’hui votre métier … art-thérapeute, praticienne, artiste du geste? Je ne me situe pas dans l’art-thérapie, mais dans un travail d’éducation somatique qui lui-même

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1 PHOTO : VÉRONIQUE BAUDOUX 2 NATHALIE HERVÉ. PHOTO : MICHEL REPELLIN

Quels sont les contraintes et les avantages d’un travail dans le domaine de la santé ou de médico-social ? Pour moi il s’agit de trouver les « contre-allées » dans les lieux qui m’invitent ; en tant que praticiens ou danseurs nous exerçons notre action à la fois avec l’institution et en parallèle de celle-ci. On a tendance à dire qu’il faut affronter l’institution, mener un combat. Je m’interroge de plus en plus sur cette notion de confrontation. Laisser l’intérêt et la curiosité des professionnels se construire pour venir vers la pratique importe parfois plus que l’affirmation d’une « contre-vérité », toujours relative. Sur la durée les choses changent et s’inscrivent, je le constate quotidiennement. Ainsi « Dessine moi un mouton » a ouvert depuis un an une salle entièrement dédiée aux pratiques corporelles et ce lieu est « soigné » par la structure et ses professionnels qui savent ce qui s’y joue. Il n y a pas de place libre à occuper mais un endroit à inventer et à construire, un « tiers espace » : c’est ce qui rend nos parcours parfois difficiles dans l’institution. Ceci a pour moi une résonnance politique forte. Quelles sont les attentes des différentes structures et publics que vous avez rencontrés ? Souvent, au point de départ émergent des attentes fortes exprimées par un professionnel convaincu avant que cela ne devienne un enjeu collectif dans la structure. En prison, par exemple, c’est par le biais du coordinateur culturel que la question du corps est arrivée. Il y avait une évidence qu’à cet endroit le corps était en souffrance, donc la pratique

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vie. Du coté des usagers, les attentes sont toujours nombreuses, multiples et centrées autour du « bienêtre ». C’est dans un second temps qu’ils construisent une autre expertise et que peu à peu ils constatent à quel point le travail du geste affecte toutes les sphères de leur quotidien.

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▸ corporelle y trouvait son sens. Par la suite ce

travail a été intégré dans le parcours d’insertion. Aujourd’hui c’est une activité qui n’est plus remise en question et acquise sur le long terme. Dans les programmes associatifs, il s’agit plus de projets pluridisciplinaires autour de la qualité de

Précisément, comment travaillez-vous avec les équipes en place, sur quelles bases développez-vous un dialogue ? N’oublions pas que ce résultat est enfin possible grâce à la pluridisciplinarité. Sans les échanges entre intervenants soignants, il est difficile pour chacun de « faire le lien » et de mesurer les effets du travail. C’est là aussi que nous comprenons que « nos » résultats ne sont pas seulement ceux de notre pratique mais d’un ensemble de facteurs dont nous ne sommes qu’une partie. Chez « Dessine moi un mouton », j’interviens avec ma collègue en Body Mind Centering, dans le cadre d’une réunion d’équipe mensuelle. Un protocole d’orientation et de suivi est mis en place avec les

LE DIPLÔME D’UNIVERSITÉ « TECHNIQUES DU CORPS ET MONDE DU SOIN » DE PARIS VIII – ST DENIS : VERS UN NOUVEAU DÉPART Depuis 2009, Isabelle Ginot, enseignante chercheur à l’Université Paris VIII, dirige une formation professionnelle de niveau licence : « Techniques du corps et monde du soin ». Sa réouverture programmée en janvier 2016 s’inscrit dans le contexte des nouvelles dispositions réglementaires qui amènent les formations longues à se modulariser. Un niveau master (DEFSU) sera de plus proposé à l’automne 2016. Sur trois ans, plus de 40 étudiants ont pu bénéficier de ce cursus privilégié de dix huit mois (une semaine par mois). Associant théorie (Discours sur le corps, Théories du corps et du handicap, Textes somatiques, Gestes d’Ailleurs, etc), pratique et méthodologie de projet, ce DU porté par la formation permanente de l’université s’intègre pleinement dans la tradition du Département Danse. Il s’est principalement distingué par son ouverture au travail de terrain en développant des partenariats avec des structures sociales et médico-sociales, ainsi qu’en bénéficiant de l’accueil d’importantes structures culturelles d’Ile de France (le 104, puis La Briqueterie/CDC du Val de Marne) Cette formation défend une véritable autonomie des danseurs et des praticiens somatiques dans leur contribution au monde de la santé

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et du travail social. Une autonomie qui passe par l’acquisition de compétences spécifiques pour développer un discours adapté au sein des diverses structures et institutions. Chaque étudiant est ainsi invité à se confronter à la description de sa pratique, à la construction de projets de terrains sur la base d’outils méthodologiques adaptés aux contextes, et à l’élaboration d’outils de co-construction pour engager un travail avec d’autres professionnels. Ouvert aux danseurs, chorégraphes, responsables culturels, mais aussi professionnels du secteur de la santé et du champ social intéressés par le développement de projets autour du geste, le DU a ainsi permis à de nombreux étudiants de rentrer dans l’institution comme formateurs, intervenants réguliers ou porteurs de projets.

soignants et nous sommes le plus souvent possible intégrés aux entretiens et rencontres avec les jeunes ou les familles. Vous avez suivi une formation à l’Université, le DU « Techniques du corps et monde du soin », quel a été pour vous l’apport de cette formation ? Cette formation a été fondamentale dans l’évolution de mon travail. Elle m’a permis de structurer ma démarche en m’appuyant sur une méthodologie claire. Quand cela ne marche pas, je situe le lieu de blocage et je peux agir en conséquence. On devient de vrais chercheurs « in situ », en capacité de moduler nos intentions et de freiner certains de nos aprioris, d’apaiser aussi nos frustrations. Si tout se discute, même dans l’institution, tout débat ou désaccord ne doit pas affecter nos capacités d’agir vis à vis des usagers. C’est parfois le plus difficile à tenir. Comment avez-vous travaillé avec Alice et quelle est votre histoire avec cette jeune femme ? J’ai rencontré Francoise Davazoglou de l’association « T21 Marne » en 2010. Elle m’a demandé de conduire des ateliers de danse et d’improvisation pour l’association qui réunissait des familles de jeunes trisomiques. Après ce premier contact, Françoise a créé ART 21 dont le bureau est constitué en partie de jeunes trisomiques et non plus de familles. Elle m’a à nouveau sollicitée pour mettre en place un projet artistique avec Alice, jeune femme trisomique de 30 ans. Ce travail s’est concrétisé par un solo « Universalice » qui a été montré en région. Aujourd’hui je continue d’accompagner Alice – qui poursuit son chemin d’artiste – mais aussi comme pédagogue dans les écoles primaires et pour des cours donnés à l’association. Cette aventure est atypique ; je perçois avec Alice comment nos actions permettent de construire des contextes où peuvent émerger de nouveaux désirs et permettre aux personnes fragiles de s’approprier le travail du geste et, pourquoi pas, d’en faire leur propre métier. Site de l’association : www.art21.com

Voir les mémoires professionnels réalisés dans le cadre des DU 2009–2013, sur le site du département danse : www.danse.univ-paris8.fr Site de la formation professionnelle de Paris VIII : www.fp.univ-paris8.fr

1 Projet « culture et santé » à l’Hôpital Jean Jaurès, piloté par l’association A.I.M.E dirigée par Julie Nioche

1 PHOTO : VÉRONIQUE BAUDOUX


DANSE VS MUSIQUE

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ous avez collaboré avec des chorégraphes, Annabelle Bonnéry pour Corps Déployés ou l’éventualité improbable (2010), ainsi qu’avec Amandine Bajou et Géraldine Kosiak, pour Les recluses (2014). Dans quelles expériences s’enracine votre goût pour le geste, instrumental d’abord, pour vous conduire ensuite vers la danse ? Mon rapport au geste instrumental naît d’un goût pour la danse en premier lieu. Quand je sortais de mon adolescence j’ai rencontré Le Sacre du Printemps, d’abord la musique puis sa tradition chorégraphique. J’admire cette capacité qu’ont certains chorégraphes à penser la scène comme un instrument à part entière : plastique, sonore, chorégraphique et architecturale. Les œuvres qui m’ont marqué par la suite ont été nombreuses : Palermo Palermo et Café Muller de Pina Bausch, le très beckettien et obsessionnel May B de Maguy Marin, Under Construction de Gilles Jobin, organique et très musicalement processuel, et surtout The Power of Theatrical Madness de Jan Fabre. 2

Ensuite, j’ai participé à un séminaire il y a presque 15 ans à Bruxelles avec Thierry de Mey et l’ensemble Ictus dont les locaux sont partagés avec ceux de la compagnie de Anne Teresa de Keersmaeker, où j’ai pu découvrir leur travail, ainsi que celui de Wim Wandekeybus. Cette relation entre musique et danse est donc née depuis cette notion de geste instrumental.

SEBASTIAN RIVAS

LA MUSIQUE DE L’INDISCIPLINE Sebastian Rivas est compositeur et artiste sonore. Son intérêt va de l’écriture instrumentale jusqu’aux installations sonores. Après une pratique des musiques électrifiées et de l’improvisation, il suit une formation en conservatoire et à l’Ircam. Celle-ci ouvre sur des collaborations qui lui permettent alors de passer par différentes expériences du sonore, au-delà de la seule composition de pièces de concert. Par Edwige Phitoussi.

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J’ai un peu cherché dans ce sens à l’Ircam puis au Grame1 avec Christophe Lebreton : j’y ai travaillé sur les dispositifs de captation du geste instrumental et du mouvement dansé. Annabelle Bonnéry et moi-même avons ainsi coécrit Corps déployés, « pièce » que nous avons présentée à la Biennale de Lyon en 2010. C’est là que s’est posée la question de la lutherie globale : créer un seul instrument scénique interactif et écrire pour celui-ci, avec les outils de composition sonores et du mouvement, afin d’y trouver des relations nouvelles entre musique et danse. Nous avons utilisé des capteurs sur 3 danseurs, une percussionniste et une accordéoniste afin de relier différents modèles de gestes et de mouvements instrumentaux et chorégraphiques, et créer un complexe maillage d’interactions sonores entre eux. Il y était question du suivi, du contrôle et du pouvoir : de l’impossible démocratie ou égalité, tant au niveau humain et social que pour la musique et la danse. Il n’en reste que des relais ou des

contraintes, et cette tension finissait par se résoudre dans une simple déambulation sur un plateau semé de percussions éparpillées par les danseurs, et où chacun avait fini par perdre son identité (danseurmusicien) au service d’un unisson de synthèse et de présence. Pour ce projet déjà certains éléments de notation du mouvement en relation au son ont été ébauchés. Cela m’a donné des éléments de dialogue poursuivis dans d’autres expériences, dont la dernière est le fruit d’une collaboration avec l’écrivaine-plasticienne Géraldine Kosiak et la chorégraphe Amandine Bajou. Ce travail intitulé Les recluses est une installation performative, fruit d’une résidence à la Villa Medicis. Au Moyen-Âge, les recluses étaient des femmes qui, adoptant une forme extrême de pénitence, s’enfermaient parfois pour une vie entière dans un espace très restreint ne possédant qu’une petite ouverture pour faire passer la nourriture. Les recluses ne pouvaient donc s’y tenir que debout ou allongées. Deux structures très étroites, blanches, inversées en forme de L2, délimitent un espace réduit à l’intérieur d’une salle plus vaste, plongée dans le noir. Dans cette obscurité ambiante, la lumière et le mouvement des danseurs ne s’offrent à la vue qu’à travers une

1 SEBASTIAN RIVAS. PHOTO : DR 2 PARTITION DE SEBASTIAN RIVAS POUR LA SECTION « CRISSEMENTS » DANS CORPS DÉPLOYÉS. PHOTO : DR

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▸ mince fente taillée dans chaque structure. Le

spectateur est invité à s’approcher pour mieux observer. Enveloppé dans l’environnement sonore généré par les frottements et autres impacts des danseurs sur les structures, il s’aperçoit rapidement qu’il est lui-même objet d’observation, des danseurs et du reste du public : il devient donc performeurspectateur au même titre que les deux danseurs. A la base il y a la notion d’inconfort : les danseurs sont debout, sans pouvoir s’asseoir ni s’allonger, sans même pouvoir faire un tour sur eux-mêmes 8 heures durant. Cette situation questionne la motivation au mouvement, depuis une contrainte extrême. C’est de là que surgit une danse … Les danseurs entièrement nus sont soumis au regard du public à travers des fentes découpées dans les structures. Maîtres de leur

propre éclairage, ils jouent de leur position et de la lumière pour se dérober au regard du public ou au contraire éclairer celui-ci et renverser ainsi le rapport regardé/regardant. L’inconfort change de camp et devient alors le dénominateur commun au public et aux performeurs. Et leur propre déplacement dans l’espace, leur regard, leur écoute, complètent l’œuvre. Le son a été conçu dans une pensée conjointe entre perceptions de l’espace, de la texture et du mouvement. Les structures sont « sonorisées » par des micros captant les moindres frottements et effleurages du public, et surtout des danseuses enfermées. Les sonorités ont été travaillées selon des modèles physiques de cloches qui font entendre d’une part, une sonorité métallique et continue à forte connotation spirituelle ; d’autre part, un son réagissant à chaque contact avec le bois des structures, et enfin de démultiplier et d’accumuler dans l’espace et le temps des microparticules sonores en rapport avec l’énergie corporelle déployée. Ainsi la dramaturgie sonore amplifie et donne à entendre le spectre dynamique chorégraphique – de l’immobilité au mouvement le plus ample et véloce – que l’œil ne peut pas voir entièrement. Ces « gestes-sons », possibilités sonores propres à la pensée chorégraphique d’Amandine Bajou, ont été répertoriés puis dérivés en une série de « cartes à jouer », sorte de vocabulaire gestuel et sonore qui permet d’aborder le dispositif en son entier.

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INFLUENCES ? « Je me sens plus proche d’une musique organique que d’une musique structurelle. Ensuite, c’est affaire de rencontres : notamment avec des compositeurs tels Ivan Fedele, Georges Aperghis, Brian Ferneyhough ou Jonathan Harvey, et d’autres comme celles de Peter Sellars et Abbas Kiarostami, qui m’ont insufflé un réel élan créatif en rapport avec le monde qui nous entoure. Mais peut-être plus fortes ont été les rencontres avec des œuvres relevant d’autres champs artistiques. Elles ont façonné ma démarche qui évolue en trois cercles perméables : le concert, la scène, l’espace d’exposition. On trouve ainsi le spectralisme, le mouvement Fluxus, l’Opéra mozartien, mais aussi Marina Abramovic, l’arte povera, Jorge Luis Borges, Rimbaud et le surréalisme ; sans compter Pina Bausch, Jan Fabre, Beckett … »

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C’est ainsi, au fil des projets et de leurs nécessités expressives ou de leurs contraintes de lutherie scénographiques, gestuelles et sonores, qu’apparaît de plus en plus nécessaire une notation singulière, compromis entre différents éléments scéniques qui méritent parfois d’être fixés par de nouvelles notations hybrides. Mais cela relève plus des « moyens » que du fond même du propos. Le sens. Aliados, un opéra en temps réel, créé en 2013 lors du Festival Manifeste au Théâtre de Gennevilliers, s’inscrit dans le contexte de la guerre des Malouines. Quelle importance donnez-vous à la dimension politique et sociale de votre démarche de compositeur ? L’artiste est soumis à la loi du marché, au fait de plaire à un public dont il ne partage pas forcément les valeurs. Il a alors le choix entre deux positions :

ne se reconnaître pour juges que les exigences de son art et donc oeuvrer pour ses pairs et pour soi, ou bien dire la vérité de la société. Pour un compositeur, le territoire où ces deux forces agissent est celui de l’Opéra, genre vers lequel je me suis tourné. Aliados3 est avant tout un opéra documentaire, dans la lignée du docu-fiction, sur la « révolution conservatrice » sous l’angle de la Guerre des Malouines et de l’alliance entre le Royaume-Uni de Margaret Thatcher et le Chili d’Augusto Pinochet. Plusieurs temporalités cohabitent : la Guerre des Malouines (1982), la rencontre entre Thatcher et Pinochet (1999) ; et le moment présent où l’œuvre est créée, cherchant à « télescoper » le présent par le passé, au sens benjaminien du terme. Les personnages se confondent avec leurs espaces scéniques : les deux anciens puissants, leurs deux jeunes assistants qui représentent la raison d’État, et le fantôme d’un conscrit déserteur de la Guerre des Malouines. Le tout est filmé et retransmis en temps réel sous un autre angle par des cameramen présents sur le plateau. On peut donc voir le non-pouvoir, le pouvoir et la représentation du pouvoir. Le projet a donc dès l’origine été pensé sous la forme de trois espaces : la fosse, la scène et l’écran. La fosse où est sensé être enfermé le conscrit constitue la mécanique de l’opéra, ainsi que celle de l’histoire ; c’est l’espace de non-pouvoir. L’espace réel du pouvoir est celui de la scène, où se trouvent Thatcher et Pinochet, ainsi que l’infirmière et l’aide de camp. Enfin, l’espace de la représentation politique est celui de l’écran, le prisme à travers lequel les puissants se donnent à voir dans de fines mises en scènes. Cette répartition tripartite se retrouve dans l’écriture musicale du projet au travers des trois états qui sont le « net », le « filtré » et le « saturé ». Du point de vue de la théorie de la communication, la saturation correspond à l’excès d’information ou à l’excès d’une substance dans un milieu, tandis que le filtrage s’assimile au contrôle de l’information. Saturation et filtrage sont ainsi clairement perceptibles dans le rapport aux médias qu’implique ce projet à travers la propagande de guerre, la manipulation télévisuelle, les flux incessants de contre-vérités. Quant à l’état « net », il correspond à la quête impossible de l’objectivité, de la vérité historique qui, comme le timbre instrumental traditionnel, est perdu à jamais.

1 SEBASTIAN RIVAS. PHOTO : DR

Quels sont vos projets ? Je travaille toujours sur 2, 3 chantiers à la fois. Au niveau instrumental je me concentre actuellement sur l’Orchestre avec le Philharmonique de Radio France pour qui je viens de finir une première pièce et pour lequel j’en écris une deuxième qui sera créée en 2016 pendant le Festival Présence Italie. Je commence un nouvel Opéra-documentaire avec le metteur en scène Antoine Gindt, pour 2017. En ce qui concerne la danse, je converse avec Aurélien Richard depuis plus d’un an. Nous nous sommes rencontrés un peu par hasard, j’avais vu ses Noces au CND et il était venu voir mon monodrame Le Plancher de Jeannot au Quartz à Brest. On s’est trouvé des problématiques communes sur le geste, le son, la musique et l’écriture partitionnelle. Aurélien a eu ensuite l’idée de dériver les différentes problématiques entre musique et danse qui sont sorties de nos discussions, dans trois sens différents et c’est ainsi qu’est née l’idée d’un triptyque Paradis, Purgatoire, Enfer. Dans Paradis, la musique est enregistrée et diffusée telle quelle en accompagnement d’un duo dansé, filmé et réinjecté en un éternel feedback. Dans Purgatoire, une partie de la musique est enregistrée, à laquelle s’ajoute la création en direct d’une musique captée au plus près du corps et de l’espace investi par 5 danseurs enfermés dans des membranes amplifiées par des micros-contact. Dans Enfer, solo pour Mié Coquempot, la musique est déclenchée par des pédales et remixée parmi d’autres musiques n’ayant a priori rien à voir entre elles (Gloria Gaynor, le Lac des Cygnes de Tchaïkovski), jusqu’à une infernale saturation … Ce triptyque sera créé au festival Manifeste en juin 2016. Pour finir, plus que la pluridisciplinarité ou l’interdisciplinarité, me plaît l’indiscipline, à partir du moment où elle prend en charge la solidité technique de chaque média et de l’histoire de l’art, composantes essentielles d’une pensée artistique. www.sebastian-rivas.com

1 Grame, centre national de création musicale à Lyon. 2 Référence aux L-Beans de Morris. 3 Aliados, a été coécrit avec le librettiste Esteban Buch et Antoine Gindt, metteur en scène. Pour une analyse plus étendue du travail de Sebastian Rivas, voir le n°7 de Théâtres et Musiques, septembre 2012.

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CRITIQUES 2

et de la contre-culture américaine. La transgression politisée de la représentation du monde à travers la nudité et plus encore l’exposition de la pratique sexuelle. Elle s’engage contre l’idée d’une sexualité renvoyée à l’intime, d’une sexualité du secret et des portes closes.

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69 POSITIONS Mette Ingvartsen

Vu au centre Georges Pompidou, Paris.

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ette Ingvarsten fait la brillante démonstration que lorsqu’on arpente l’histoire de l’art avec application, on atteint un territoire au-delà la réactivation. 69 positions, est une œuvre majeure qui allie pensée référencée, présence corporelle solide et joie combative. Face au projet de remonter le chaotique Meat Joy avec les interprètes d’origine, Carolee Schneemann, figure radicale de l’art-performance des années 60–70, rechigne : il lui semble qu’il y a mieux à faire. Réjouissons-nous de ce refus. 69 positions s’empare de la question de l’interprétation des archives de la performance, souvent rabaissée à un gimmick tendance. Elle déborde de son point de départ vers d’autres actions artistiques de cette période, vers une cartographie de la lutte sexuelle en marche et englobe l’œuvre de Mette Ingvarsten. La pièce est une installation performative dont la scénographie évoque une galerie d’art, espace historique de l’art-performance. L’accrochage est sobre. Une visite guidée et politique est menée par l’artiste. Elle lit, elle décrit, elle interprète. Son Manifeste du oui ; son solo 50/50 et sa nudité-costume ; des vidéos d’époque. De son habile critique de Sade à sa relation au public : la maîtrise est éclatante, sans prétention. Elle intègre la dimension publique d’une performance, organise un chœur d’orgasmes ou une expérience d’immobilité. Elle comprend le combat des féministes

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Cela va au-delà de l’hommage. L’artiste expose et argumente l’appartenance de la pratique sexuelle aux champs sociaux et culturel. Elle fait montre d’une nudité ni trash, ni séduisante. Elle lit un extrait de Testo Junkie et lèche une lampe d’architecte. Son corps tout entier est engagé, intelligence et peau, mêlé deux heures durant aux spectateurs. Une mise à nue support à un discours intense qui amène chacun à bouger ses lignes, physiques d’abord, et très certainement mentales.

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Marie Juliette Verga

CONTACT Philippe Découflé

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vec Contact, Philippe Découflé s’approche encore un peu plus de son rêve de comédie musicale. Un pas de côté, évidemment. Il convie le spectateur à découvrir l’envers du décor, l’agitation qui porte une création, le vivant qui s’installe en coulisse, la communauté utopique que forment les interprètes, « ce rassemblement éphémère » ainsi qu’il appelle sa compagnie. Comme une troupe de cabaret se décline la galaxie Découflé : Christophe Salengro, Alice Roland, Clémence Gaillard, Éric Martin, Alexandra Naudet, Stéphane Chivot, Flavien Bernezet, Sean P. Mombruno, Meritxell C. Estaban, Violette Wanty, Julien Ferranti, Ioannis Michos, Lisa Robert et Suzanne Soler. Auxquels il faut absolument ajouter Nosfell et Pierre Le Bourgeois, musicien hors

pair qui pousse l’étrangeté dans la vibration sonore. Et ils nous offrent un grand spectacle, un collage visuel fourmillant d’idées, une ode à la forme même. Un music-hall avec tout le respect et l’irrévérence qu’on lui doit. Les interprètes revisitent le mythe de Faust et les diableries s’enchaînent sans faiblir : jeu, chant, danses de groupe, numéro de contorsion, femme coupée en deux, acrobates de cordes, fumées … Mais aussi des projections qui, à partir d’enregistrements du direct, créent des effets optiques vintages superbes et font passer de nombreux projets « numériques » pour de vagues supercheries technologiques. Burlesque et grave, faisant la part belle aux travestissements et aux constructions formelles – il y a du Friedrich Murnau, du Oskar Schlemmer et du Nikolais dans la mise en espace et la scénographie – Contact est une pièce réjouissante, capable de trouver un point d’équilibre proche du carnaval. Références dansées – de Pina Bausch à l’effeuillage, de West Side Story au voguing, de la danse jazz tendance « beat generation » aux déhanchés rock’n roll – multitudes de costumes époustouflants, drôlerie et trouble : tout y est. Une pièce qui s’adresse à l’intellect et aux sens, capable d’être d’une grande rigueur formelle et d’une folle liberté de ton. Contact, c’est l’art de l’ambivalence joyeuse. Le monde comme représentation. Prochaines représentations : 19–22 mars 2015, DeSingel, Anvers, Belgique 26–28 mars 2015, Espace Malraux, Chambéry 1–2 avril 2015, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines 7–10 avril 2015, Odyssud, Blagnac 15–17 avril 2015, Espace des Arts, Chalon-sur-Saône 23–24 avril 2015, La Filature, Mulhouse 28–30 mai 2015, La Comédie, Clermont-Ferrand 2–10 juin 2015, Théâtre de Caen 15–17 juin 2015, Sadler’s Wells, Londres, Angleterre

Marie Juliette Verga

1 METTE INGVARSTEN : 69 POSITIONS. PHOTO : VIRGINIE MIRA 2 PHILIPPE DÉCOUFLÉ : CONTACT. PHOTO : ELENE USDIN


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EN-JOY (UN MORCEAU DE MON ESPRIT) Emmanuelle Vo-Dinh et David Monceau Fruit d’une complicité de presque quinze ans entre Emmanuelle Vo-Dinh, directrice du CCN du Havre et David Monceau, interprète et musicien, le duo enchante, fascine tout en faisant plonger le spectateur dans un univers étrange qui peut dérouter. De notre point de vue cependant, « Enjoy » peut parfaitement convenir à une découverte de la danse, voire par les enfants. En effet, la création scénographique est d’une poésie ludique à souhait : des objets, pris ça et là au hasard dans divers lieux par les artistes, jonchent le plateau. Métal, essentiellement. Des suspensions gracieuses évoquent les décorations de chambres de nouveaux nés, tandis qu’une guitare improvisée sature l’espace sonore. En fait, l’enjeu essentiel de la mise en scène réside dans le détournement de tous ces objets : de leur caractère usuel, ils sont déviés en instrument de musique, œuvre d’arte povera, qui et deviennent des phénomènes à part entière. Qui n’existent que pour leur valeur esthétique. Ce sont pourtant eux qui vont créer comme une entrave à la rencontre des deux interprètes. Les objets usuels, transcendés en œuvres, se glissent entre Emmanuelle et David. La rencontre aura pourtant lieu, par-delà les obstacles. Elle se fera par une danse plutôt horizontale que verticale, bien ancrée dans le sol, presque à l’instar de la danse contact, avant de devenir sauvage et enlevée par le rythme rock saturé.

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GARDIEN DU TEMPS François Lamargot

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’est une des belles et humbles surprises du Festival Suresnes Cités Danse de cette année. Nul besoin de s’attarder sur des superproductions hautes en couleurs portées par les gardiens du temple du hip hop. Il suffit de regarder d’un peu plus près du côté des jeunes pousses, qui font confiance aux pleins et déliés du corps pour porter l’écriture hip hop vers une finesse encore à conquérir. François Lamargot est de ceux-là. Il n’est pas du sérail, a flirté avec la comédie musicale, la danse contemporaine, la danse africaine, tout en expérimentant son propre travail et en assistant le chorégraphe hip hop Anthony Egéa … Sa pièce Gardien du temps montre bien cette pluralité d’approches, quand le mouvement ne peut se réduire à un forme, une énergie, un espace. Il exprime sa capacité à construire un univers, à modeler l’espace et ses infimes variations, sans artifice, mais en puisant dans les fondamentaux de la danse. Appliqués au hip hop, cela donne une pièce vibrante, d’une grande simplicité, mais qui, si l’on gratte un peu, révèle une multitude de détails qui saisissent au vol notre regard pour mieux l’interpeller.

Toutefois, une certaine douceur est instaurée par le principe de répétition des mouvements qui confinent à un travail de transe douce. Nous sommes enivrés par les envolées sonores qui prennent chair en Emmanuelle et David. Indissociables, musique et danse correspondent par synesthésie parfaite. Cette synergie invite à l’introspection, qui est redoublée par le travail magique de lumières en clair obscur onirique de Françoise Michel. Comme quoi, même une pièce hantée par les icônes Reed ou Bowie peut être revendiquée rock, l’être complètement et pourtant délivrer une douceur enfantine : celle de la curiosité pour les choses mouvantes que sont les objets et les rapports humains. Un éveil gracieux.

Si François Lamargot s’attache à l’idée d’un personnage – le fameux gardien – issu de ses lectures, la pièce ne prend sens qu’avec sa seule écriture et la présence des danseurs : huit corps très différents, d’abord informes, sans tête et culs renversés qui éprouvent le malaise à s’ériger. Ce sera chose faite, et sans cesse une quête pour chacun à trouver sa place, expérimentant à la fois une manière de se distinguer, et de se fondre dans le groupe. Un duo se forme avec des jeux de poids et de contrepoids, qui devient trio, qui se mêle et se démêle, se porte et s’emporte, jusqu’à intégrer la « tribu » des interprètes. L’intérêt de la chorégraphie réside dans les multiples façons dont le groupe se forme et se déforme, et dont chacun, au cœur des ensembles, cultive sa singularité. Et c’est un geste de tête, une façon de tourner, un bras ou une jambe qui traîne ou se décale … qui nous interpellent par petites touches. Des corps ciselés par fragments en plein mouvement, qui témoignent d’une belle intelligence de la danse.

Vu au Phare, Le Havre, dans le cadre du Festival Pharenheit

Vu au Festival Suresnes Cités Danse

Bérengère Alfort

Nathalie Yokel

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1 EMMANUELLE VO-DINH ET DAVID MONCEAU : EN-JOY. PHOTO : LAURENT PHILIPPE 2 FRANÇOIS LAMARGOT : GARDIEN DU TEMPS. PHOTO : DAN AUCANTE

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IM-POSTURE Fabrice Lambert

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« Le corps est le corps il est seul et n’a pas besoin d’organe le corps n’est jamais un organisme » Antonin Artaud

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inguliers sont ces corps mis en présence au plateau. Singulières aussi, les postures décrites par les interprètes de cet objet pour le moins questionnant. Décrivant une trajectoire sans résolution aucune, en autant de questions activées sans une once de réponses, les danseurs d’Im-posture s’abîment dans un spectacle résolument tourné vers l’abstraction.

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GUERRIERI E AMOROSI Edmond Russo et Shlomi Tuizer Cie Affari Esteri

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uerrieri et Amorosi, des chorégraphes Edmond Russo et Shlomi Tuizer, présente deux intenses soli, entrecroisés de duos dansés par Aurore di Bianco et Yann Cardin, lors de Faits d’Hiver, ces 30–31 janvier. On retiendra sans conteste la précision et la délicatesse des mouvements, toutes deux mises en contraste par une tonicité physique propre au vocabulaire des deux chorégraphes. Ici le deux se décline en symétrie inversée : le solo féminin trouve son pendant dans le masculin, non seulement dans l’architecture globale de la pièce mais aussi par un jeu permanent de réponses et d’échos, qui vient signifier par la reprise d’une gestuelle, la présence persistante de celui – ou celle – qui auparavant fut là. Si le geste de l’un peut être dessiné dans l’espace selon une grande amplitude, il sera très finement repris, mais altéré et donc fait sien, dans ce corps qu’est l’autre. Des figures intemporelles de douceur, de colère, incarnant alors des tensions belliqueuses ou traduisant l’intime, se déploient autant en corps arc-boutés, qu’en respirations vives, heurtées, jusqu’au souffle éperdu. Guerrieri et Amorosi est par ailleurs tout entier soutenu par l’attention.

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Pas de vision flottante ni d’adresse directe au spectateur, mais sans cesse des intentions dynamiques entre les interprètes et offertes au public, traduites par des regards précis chargés d’affects. On fera peut-être l’hypothèse que la pièce gagnerait plus encore en puissance en étant plus resserrée. Reste avant tout qu’en regard de ce qui fait lien – tant dans le mouvement de l’un à l’autre, que par le travail subtil de la lumière, ou également par la charge émotionnelle de la musique des Elysian Fields – le spectateur prend plaisir à apprécier le subtil nuancier des intervalles : du conflit à l’étreinte, du soin jusqu’au geste mortifère, du battement du cœur au clignement de la paupière, tout se dilate, respire et vient désigner l’inévitable distance de la différence, et simultanément la puissance, en creux, de la rencontre avec l’autre. Edwige Phitoussi

Abstraction de la pensée, abstraction du corps, pour se tourner vers un au-delà de la perception, ce que décrit Antonin Artaud dans le texte auquel le chorégraphe se réfère : un corps « sans organes », placé au centre du dispositif. Seule possibilité de monstration de ce corps : la peau, la chair, jusqu’au sang. D’ailleurs, dans la salle, un intrus coud tranquillement une peau d’animal (ou d’homme ?), et la retransmission vidéo en fond de scène de cette action écrase l’être au plateau, le confond avec lui, l’absorbe. C’est toute la problématique de ce spectacle qui, sans développer beaucoup, expose énormément : corps différents « zoomés » jusque dans leurs éclats de voix, leur transpiration, leur impossibilité d’être plus que ce qu’il ne sont – des enveloppes, rien de plus, mais des enveloppes vivantes, encore possiblement animées ou à animer. La posture, jusqu’à l’imposture d’un projet en voie de décomposition avancée – Lambert se souvient de Francis Bacon dans la putréfaction – est ici empruntée, composée et donc totalement artificielle, comme si l’humain était incapable d’autre chose que de réitérer, toujours, les mêmes gestes, les mêmes discours, les mêmes affects. Sans état d’âme, sans amour, sans logique. Faire pour faire, paraître pour paraître, créer pour créer. Le propos de Lambert finit par contaminer l’œuvre elle-même mais nous fait malgré tout accéder à un en-deçà du mouvement : que regarder, que lire, que prétendre comprendre ou dire ? Im-posture est un moment de questionnement intense, qui ne laisse pas de répit au spectateur, même passé les portes du théâtre.

MEET ME AS A STRANGER 5

Andriana Seecker et Axel « Micky » Schiffler

Le festival Tanztage Berlin ambitionne de révéler les talents les plus prometteurs de la scène berlinoise, parmi la toute jeune génération de chorégraphes internationaux qui travaillent dans la capitale. Cette 24e édition est marquée par la nouvelle direction d’Anna Mülter, ancienne assistante à la direction artistique et dramaturge au Hebbel am Ufer. Telle la fine fleur de la programmation, le duo allemand formé par Andriana Seecker et Axel « Micky » Schiffler se distingue avec Meet Me As A Stranger. Soit l’histoire d’une relation entre deux êtres, et d’une rencontre entre deux courants : la danse contemporaine et la breakdance. Créant davantage d’intimité, le public forme un cercle autour de deux danseurs en jeans et chemise blanche qui se tiennent à distance, étrangers l’un à l’autre. Elle d’un mouvement délié, lui de manière saccadée, ils se rapprochent lentement sous l’influence d’une attraction réciproque. La proximité d’un face à face silencieux éveille le désir de l’autre, dont découle, dans une symbiose enthousiaste, l’aisance d’un mouvement en commun. L’exaltation cède au désir de possession, et l’emprise rompt l’harmonie, entravant la liberté de mouvement de l’autre. S’ensuivent une prise de distance, un conflit, une réconciliation. Comme par sursaut d’orgueil, les danseurs s’adonnent tour à tour à un jeu de démonstration marquant davantage leur style. Soit leur intégrité retrouvée par une essentielle affirmation de soi, sans que leur différence ne soit ni prégnante ni un frein. Car s’ébauchait alors la quête d’un équilibre dans le respect mutuel, et la fraternité d’un lien. Dans la relation à l’autre danseur, l’écoute est si sensible entre Seecker et Schiffler que même leurs respirations entrent en résonance, telles des gestes imperceptibles qui signalent leur sympathie. Quelle que soit la dynamique, l’intensité de leur présence rayonne pleinement, laissant l’une des plus belles impressions qu’il nous ait été donné de ressentir lors du festival. Vu aux Sophiensæle à Berlin, janvier 2015.

Sophie Lespiaux

Antoine Ferras

1, 2 EDMOND RUSSO ET SHLOMI TUIZER : GUERRIERI E AMOROSI. PHOTO : DR 3, 4 FABRICE LAMBERT : IM-POSTURE. PHOTO : RAPHAËL PIERRE

5 ANDRIANA SEECKER ET AXEL « MICKY » SCHIFFLER : MEET ME AS A STRANGER. PHOTO : JEANNINE SIMON

BALLROOM

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CHORÉGRAPHIE

JEAN-CLAUDE GALLOTTA

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NUIT BLANCHE À OUAGADOUGOU Serge Aimé Coulibaly

L

es artistes sont des éponges. Ils absorbent les élans de la vie, les remous du monde, les mouvements du corps social. Leurs gestes déposent et relancent ce qui reste au-dedans comme ce qui est à vif. De là à les dire visionnaires … Alerte sur ce qui se passe dans son pays natal, Serge Aimé Coulibaly se doutait-il de la résonnance incroyable que sa pièce prendrait avec l’actualité ? Nuit blanche à Ouagadougou plonge cinq interprètes dans les tensions et les attentes fébriles d’un peuple lorsque cela gronde au-dehors, lorsque la contestation embrase les esprits. Le slameur Smockey colle ses textes au plus près du contexte politique et social du Burkina Faso, alors que le président Blaise Compaoré s’apprêtait à s’octroyer une nouvelle fois le pouvoir. Si la révolte est bel et bien advenue, en pleine création du spectacle, le chorégraphe n’a pas pour autant voulu rejouer l’histoire et mimer l’insurrection. Serge Aimé Coulibaly a choisi de poser avant tout les corps dans tous leurs empêchements : quand la bouche est littéralement obstruée, quand la gestuelle caricature le discours, quand les signes semblent remplacer la parole. Ici les corps gisent, sont traînés, ou se lancent dans des solos électriques dont les secousses traduisent l’implosion plus que l’explosion. Aucune tentative formelle ne vient paralyser le mouvement. Mention spéciale à la danseuse Marion Alzieu dont la présence singulière de femme blanche s’impose sans artifice. Néanmoins, avec toutes les références que nous livre le flow de Smockey – qui ne quitte finalement pas son rôle de grande figure de la contestation – tous les fantômes qu’il convoque, on regrette que la place du texte et du sens se joue au détriment de la chorégraphie. Serge aimé Coulibaly a tout pour faire davantage confiance à la puissance de sa danse.

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D’APRÈS ALBERT CAMUS

PAUL / RIGAL / LOCK / MILLEPIED

I

l a fier allure, ce programme contemporain, constitué de quatre chorégraphes d’aujourd’hui, dotés de styles absolument différents, mais résolument complémentaires. La reprise de Répliques signé Nicolas Paul, danseur de l’Opéra, sur des musiques de Ligeti nous plonge dans un univers onirique, où huit danseurs évoluent avec une telle fluidité dans le mouvement et dans leurs costumes, qu’ils semblent presque être des créatures aquatiques. L’effet est saisissant et tranche avec la création attendue de Pierre Rigal. Le créateur français a su éviter le piège du chorégraphe résolument contemporain voulant imposer sa philosophie aux danseurs de l’Opéra. Tout comme Jérome Bel avec son solo Véronique Doisneau, il a au contraire interrogé les mythologies de la danse classique, et s’est arrêté aux saluts. Quelle est donc cette mécanique huilée et dans le fond très conventionnelle de venir saluer ? Débutant sur des saluts inattendus, Rigal part ensuite dans un tourbillon hilarant et rigoureux, très réussi et bien aidé en cela par les iconoclastes costumes de Roy Genty, ex-directeur artistique d’Issey Miyake. On repart vers un duo très fluide de Benjamin Millepied, ajouté in extremis. Créé sur de nouvelles pièces pour piano de Philip Glass pour Aurélie Dupond et Hervé Moreau, ce dernier a été remplacé au pied levé et avec talent par Marc Moreau, partenaire attentif d’une étoile qui vit ses derniers mois sur scène avant la retraite. Enfin, la technique classique pure est mise à l’épreuve avec l’Andréauria, crée en 2002 pour l’Opéra par Edouard Lock. La danse sur-vitaminée du Canadien sied aux danseurs parisiens, et même si la soirée s’étire un peu en longueur, on ressort, nous aussi, dopés aux mouvements d’une danse d’aujourd’hui décidément bien créative et multiple.

PRODUCTION CENTRE CHORÉGRAPHIQUE NATIONAL DE GRENOBLE

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GRENOBLE DU 9 AU 20 JUIN

04 76 00 79 00 | WWW.MC2GRENOBLE.FR

RHAPSODIE DÉMENTE François Verret

L

a dernière création de François Verret, Rhapsodie Démente, est une pièce de théâtre physique, politique et virulente. Sous le prétexte de la Première Guerre mondiale, tous les travers de la société en général et de la microsociété familiale lroom_CCNG.indd sont dénoncés : la marchandisation de soi, l’Europe, les standards de la famille, le sexe, Dieu bien sûr, et surtout les non-dits, qui ne sont plus tus mais littéralement gueulés. Le spectacle s’apparente plus à une performance et, si le reste n’est pas toujours efficace, on ne peut que louer l’investissement et le travail des acteurs. Tout est fait pour bousculer, agresser les sens du spectateur : le volume sonore de la musique, les cris, les voix surjouées et stéréotypées, le métal qui s’entrechoque, le métal qui se déchire, les lumières aveuglantes, puis le silence et le recommencement quand on espère que tout est fini. Un spectacle violent, malmenant, qui se veut culpabilisant pour le spectateur et le place dans une posture de fautif. Un parti pris, bien sûr … à aller voir en connaissance de cause ! Vu à Pôle Sud Strasbourg

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09/02/15 11:2

PROGRAMMATION DANSE DE MARS À JUIN 2015 Bruno Pradet, Les Blérots Ballets it dansa, Jove de RAVEL — Companya — Un Ballo, Wad Ras, Minus 16 L’homme d’habitude Fabrice Dugied — La collection Lise B.

Bouba Landrille Tchouda — La preuve par l’autre

Alban Richard — Trois études de séparation : Lointain, Luisance, Lacis

Compagnie José Montalvo — Asa Nisi Masa

Pierre Rigal — Standards Michaël Phelippeau — Bi-portrait Yves C., Bi-portrait Jean-Yves

Leela Petronio — Sem’elles Mossoux-Bonté — Migrations (Evènement

Escales hors les murs)

Yaëlle-Melinda May Une navette est mise en place au départ de Paris - Place de l’Étoile vers Bezons. Le retour est assuré. Réservation indispensable au 01 34 10 20 20 au préalable.

Vu à l’Opéra de Paris Palais Garnier Vu au Tarmac, Paris, dans le cadre de Faits d’hiver

Ariane Dollfus

Théâtre Paul Eluard, scène conventionnée danse, 162 rue Maurice Berteaux 95870 Bezons

Nathalie Yokel

Tél. 01 34 10 20 20 — www.tpebezons.fr

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1 SERGE-AIMÉ COULIBALY : NUIT BLANCHE À OUAGADOUGOU. PHOTO : PIERRE VAN EECHAUTE 2 PIERRE RIGAL : SALUT. PHOTO : AGATHE POUPENEY 3 FRANÇOIS VERRET : RHAPSODIE DÉMENTE. PHOTO : JEAN LOUIS FERNANDEZ

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stradda le magazine de la création hors les murs

34 numéros parus 3 hors série en anglais

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SO BLUE Louise Lecavalier

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ne expérience rare, une vitalité partagée : So Blue, première pièce signée par Louise Lecavalier, apparaît comme un écho amplifié de sa créatrice. Intense et tout en modestie, cet élan est aussi l’incarnation de cette vérité indépassable de la danse : le corps des danseurs est son seul véritable lieu de conservation. Et le corps n’est justement pas un lieu déterminé mais un paysage mouvant, périssable. Le corps peut être blessé, le corps sert bien d’autre cause que celle de la danse. Habillée en danseuse – jogging et T-shirt – Louise Lecavalier commence par arpenter le plateau. Pas latéraux qui glissent, pris par l’effet optique de la rapidité. La danse est un flux de mouvement qui ne se prend pas au piège de la seule rapidité, malgré la partition électronique du DJ turc Mercan Dede. Danseuse invraisemblable de maîtrise et de présence, ancienne égérie rock de Lalala Human Steps, du temps où la compagnie d’Edouard Lock faisait trembler les scènes internationales, jamais Louise Lecavalier ne se prend au piège d’une quelconque virtuosité technique. Sa danse est échange, rencontre, temps présent. Ainsi est accueilli Frédéric Tavernini qui dépose ses mouvements aux creux des espaces écrits par la chorégraphe tout autant qu’il dessine les siens. Louise Lecavalier fouille son corps pour trouver la danse. Au plus près des muscles, des tendons, des os mais aussi du souffle. Déesse d’air et de pierre, elle offre de la danse pure et ébranle le spectateur en titillant la mémoire du mouvement archaïque et fondateur. L’humilité entraîne le travail, la foi l’inspiration ; la sorcière bleue vous instille la danse, goutte à goutte. Prochaines représentations : 19 mai, Théâtre de l’Olivier à Istres 21 mai, Théâtre couvert de Châteauvallon

Marie Juliette Verga

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LES SOLI NOIRS

stradda n° 28 - avril 2013 – 7,5 e

Yvann Alexandre Les Soli noirs d’Yvann Alexandre trouvent leur source dans une vivace émotion, celle éprouvée pour une oeuvre d’art, la Chapelle Rothko, qui renferme quatre monochromes noirs, à Houston. Cette dimension plastique est évidemment gardée dans la création de ce chorégraphe qui divise le plateau à l’aide de cloisons très fines ajourées et souples. Chaque solo sera donc dansé dans un espace, le cinquième d’entre eux trouve sa résolution dans celui du premier, le dernier danseur étant rejoint ensuite par l’interprète initiale. Tour à tour, Claire Pidoux, Steven Berg, Yvann Alexandre, Anthony Cazaux et Christian Bourigault dansent des états de corps, ou plutôt des états de noirs. Pour exemple, Steven Berg porte « la tanière », « l’attente » et « la lune », entre hurlements de loup, musique et sonorités métalliques : les émotions que suscitent ces états se traduisent très justement en postures animales, entre tensions physiques et regard vigilant, presque anxieux. L’effort pour passer à la station debout n’est pas amoindri, le corps semble heurté, soumis à une rythmique de forces invisibles. Pour chacun des soli, un vocabulaire de mouvements à la sobriété graphique propre au chorégraphe est pris en charge par chaque interprète. L’appropriation de cette écriture s’effectue par des corps tous différents, depuis leurs expériences humaines, artistiques, générationnelles. Si le propos est de donner à voir comment chacun fait sien ce vocabulaire et comment le mouvement se singularise, alors qu’il est aux prises avec une identité et une écriture chorégraphique assignées, le spectateur goûterait peutêtre plus d’affirmation et de singularité chez les interprètes ; il y trouverait également plus de lisibilité. Le cinquième solo, par Christian Bourigault, est un exemple réussi. Il porte tout ce que la miroir, chute, face à celui de Claire Pidoux. Vu à Micadanses au festival Faits d’Hiver

Edwige Phitoussi

[ numéro spécial ]

le magazine de la création hors les murs

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Résistances aRtistiques

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strad a n° 24 - avril 2012 – 7,5 e

le magazine de la création hors les murs

stradda n° 23 - janvier 2012 – 7,5 €

le magazine de la création hors les murs

VOID ISLAND

NOUVELLES GÉOGRAPHIES CULTURELLES

(La) horde En programmant Void Island, Christophe Martin, le directeur artistique du festival hivernal sans doute le plus attendu sur Paris du point de vue contemporain, a eu du nez ; la main lourde diront certains ; un coup de folie diront d’autres … En tout état de cause, la création du jeune (nous soulignons) collectif (La) Horde peut déranger, dérouter, déprimer … mais pas laisser indifférents. Tout commence par un film. La cadence y est donnée : longs rushes ciblés sur des états d’âme et de peau de personnes dites du « troisième âge » ou encore « seniors ». Patience et sensualité décalée pour un montage au-dessus de tout soupçon d’approximation. Les corps attendent (leur fin ?), traînent, fument (comme quoi, on n’en meurt pas forcément). Puis vient la claque. Une pléiade de danseurs amateurs, qui n’ont pour trait commun que leur tranche d’âge avancé, se plient, se déploient, ploient aussi, les uns habillés, les autres nus et peints, au travers d’une fumée qui évoque la boîte de nuit où Dieu seul sait s’ils iront encore. La bande son d’Etienne Graindorge, ciselée d’un mystère aux accents électro, nimbe ces personnages en quête de l’auteur de leur mort d’un halo angoissant, mais en même temps d’un esthétisme qui transcende l’inquiétude en grâce.

1 LOUISE LECAVALIER : SO BLUE. PHOTO : ANDRE CORNELLIER 2 YANN ALEXANDRE, ENSA NANTES (ARCHITECTES LACATON ET VASSAL) : LES SOLI NOIRS. PHOTO : BENBEN 3 (LA)HORDE : VOID ISLAND. PHOTO : NOÉMIE BOTTIAU

Artistes de cirque inventeurs de mondes entretien avec daniel Buren recherche : le cirque en thèses ecoles : le bond des amateurs

stradda n° 19 - janvier 2011 – 7,5 €

le magazine de la création hors les murs

L’art est public Le cirque mène campagne Les Colporteurs, l’éthique des nomades Pierrot Bidon, l’arpenteur

stradda n° 18 - octobre 2010 – 7,5 €

le magazine de la création hors les murs

La rue s’invente de nouvelles scènes

Cirque et danse, performance

Corps extrêmes

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aux fêtes de bateaux de croisière (encore un cliché direz-vous, les « vieux » aiment ça), nudité … les tons se mélangent et créent la confusion. Rideau qui emporte en grande faucheuse les interprètes, enveloppements de chair qui élisent leur otage ou leur élu d’un sacre de l’hiver, défilé de mannequins burlesque (rappelons que cet adjectif signifie « tragi-comique ») … Toutes les scènes de Void Island se succèdent pour nous pénétrer de ce que l’avenir nous réserve. Autrement dit le rien, ou le point d’interrogation. Alors, interloqués, choqués ou perturbés, nous sommes cependant devant une évidence : (La) Horde est un jeune collectif qui sait manier son objet d’étude, pas très loin d’une Pina Bausch traitant du même, et renversant certaines formations de danseurs avancés (nous pensons au NDT 3), dont les codes éclatent ici en morceaux. Car non, ces corps ne sont pas beaux. Ils sont justes. Ils prennent des risques, dont celui de vous déplaire. Au moins, vous aurez médité. Vu à MPAA, festival Faits d’Hiver

Bérengère Alfort

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« Nos dernières pièces abordaient frontalement des problématiques sociétales comme le port du voile intégral dans Manta, explique Eric Lamoureux. Là, c’est comme si la commande de l’Opéra avait été l’agent déclencheur pour clore un cycle et retourner vers l’écriture des corps ». Sur le plateau, en effet, exit les thématiques politiques lisibles au profit d’une recherche plus abstraite sur les états des corps, à partir d’une image de base à fort pouvoir métaphorique : « Le banc de poisson. La façon dont les poissons s’organisent pour lutter contre le prédateur. C’était ça l’image de base. » A partir de là, la scénographie s’est imposée : un amoncellement de praticables (« un véritable enfer pour les danseurs ») destiné à provoquer instabilité, déséquilibres et chutes. Puis est venu ce travail de mouvements ascendants et descendants, ces trios et quatuors qui offrent aux spectateurs de belles images de flux, de reflux et de ressac. À sa façon, en virant à 90° C vers l’écriture du mouvement – une écriture apportée par les interprètes eux-mêmes – Waves s’inscrit dans une réflexion partagée par nombre de chorégraphes ces dernières années : les conditions de création d’une petite communauté, qui parviennent à concilier énergie collective et singularité individuelle. Un symbole politique que Waves a le mérite de laisser souterrain, en fuyant le didactisme pour explorer plusieurs modalités d’existence du groupe. Certains reprocheront peut-être le manque d’âpreté de la danse, qui peine parfois à contrer la grande charge émotionnelle de la musique. Mais les quelques moments de grâce s’impriment durablement, à l’instar de cette transe collective générée par un face à face épuisant entre danseurs et musiciens. Prochaines représentations :

UNTOUCHED Aszure Barton GEMINI Glen Tetley

SILK Ballet de l’Opéra national du Rhin

31 mars, Centre culturel Jean Moulin, Limoges 3 avril, La Parvis, Scène nationale de Tarbes 16 avril, Scène Nationale, Dieppe

WAVES Peter von Poehl Hela Fattoumi et Eric Lamoureux Un soleil poussif, un ciel laiteux, une luminosité fantastique, une culture « healthy » portée haut par le mouvement vegan local … L’atmosphère d’Umea, capitale du nord de la Suède et capitale européenne de la culture 2014 a de quoi intriguer et séduire. Les chorégraphes et nouveaux directeurs du CCN de Belfort,

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Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, se sont vus commander, par le NorrlandsOperan, la création de Waves – pièce pour huit danseurs et trois musiciens live. Le pop-singer Peter von Poehl, petit génie suédois installé en France signe la musique. Celui qui charme aussi bien les fans de rock indé’ que les gardiens de la musique minimaliste, a composé pour Waves une chanson d’une heure, virant du post-rock à la musique répétitive.

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Et aussi : Les concerts dansés de Peter von Poehl et Fattoumi/Lamoureux 6 mars, Théâtre Municipal de Coutances 21 mars, Théâtre de Béthune 9 avril, Espace Culturel François Mitterand de Canteleu 5 mai, Théâtre Anne de Bretagne de Vannes Eve Beauvallet

1 PETER VON POEHL, HELA FATTOUMI ET ERIC LAMOUREUX : WAVES. PHOTO : DR

Mulhouse lA sinne 25 > 28 avril ColMar ThéâTre 6 > 7 mai strasbourg opérA 21 > 26 mai

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WITHOUT Benjamin Millepied


N°6

PROCHAIN NUMERO Juin 2015 NOTER LA DANSE Pour conserver et pour transmettre, la notation de la danse est une activité aussi complexe que belle. PAYS BASQUE Une terre de danse(s) à découvrir LES REVUES, DANSES DE LA NUIT Enquête sur ces shows où plumes et paillettes ne doivent pas faire oublier l’extrême exigence de la danse. UN VENT D’AILLEURS SUR LES INSTITUTIONS CHORÉGRAPHIQUES Chapitre 2 : Paris et Marseille et bien d’autres sujets encore …

BALLROOM REVUE TRIMESTRIELLE (4 NUMÉROS PAR AN)

contact@ballroom-revue.net www.ballroom-revue.net Olivier Tholliez Aurélien Richard ARTIS TE INVITÉ : Fabrice Dugied DIRECTEUR DE L A PUBLICATION : ARTIS TE AS SOCIÉ :

Thomas Adam-Garnung, Bérengère Alfort, Eve Beauvallet, Isabelle Calabre, Pierre Cléty, Ariane Dollfus, Antoine Ferras, Arnold Groeschel, Corinne Hyafil, Céline Lamie, Sophie Lespiaux, Yaëlle-Melinda May, Gérard Mayen, François Olislaeger, Sylviane Pagès, Edwige Phitoussi, Dominique Pillette, Michel Repellin, Aurélien Richard, David Sanson, Marie Juliette Verga, Nathalie Yokel COORDINATION ÉDITORIALE : Corinne Hyafil, Nathalie Yokel ILLUS TR ATIONS : Thomas Baas, Adrien Cicero, Hervé Walbecq PHOTOGR APHIES : Arnold Groeschel, Sylvain Pelly, Myriam Tirler RÉDACTION :

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2273-0109 en cours à parution

COMMIS SION PARITAIRE : DÉPÔT LÉGAL :

ILLUSTRATION : HERVÉ WALBECQ



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