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Rencontre avec
MATHILDE MONNIER Invitée au Festival DañsFabrik – Brest 2014
JEUNE DANSE LIBANAISE Les dessous du ballet romantique
BALLET BLANC
Art sacré et danse d’aujourd’hui
KATHAKALI
Création pour le ballet de l’Opéra National de Bordeaux
M 07238 - 1H - F: 9,50 E - RD
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CAROLYN CARLSON PNEUMA
www.ballroom-revue.net
ÉDITORIAL
Ballroom – Revue de danse.
B
allroom, c’est une petite salle de bal ouverte à tous ceux pour qui la danse est un art suffisamment immense pour entraîner avec lui les traditions d’ici et d’ailleurs, les écritures contemporaines, les arts plastiques et graphiques, la musique et les silences. Un art suffisamment intense pour parcourir la multiplicité des époques et des territoires humains, pour s’inspirer des dernières découvertes des sciences comme des rituels immémoriaux, pour bousculer la morale et réparer les blessures, pour dessiner les contours d’identités à venir et construire des systèmes. Ballroom accueillera tous les amoureux de la danse et donnera la parole à tous ceux qui la font et la défont : autant le public que les interprètes, les auteurs, les chorégraphes, les administrateurs, les programmateurs, les régisseurs, les créateurs lumières, les compositeurs, les costumiers, les scénographes, les notateurs,
les critiques, les constructeurs, les professeurs, les musiciens, les cinéphiles, les metteurs en scène … Ceux-là et bien d’autres encore pour montrer la danse dans sa diversité et son unité. Ballroom veut faire découvrir dans chacun de ses numéros les lieux et les courants de la création contemporaine – ici et maintenant – les traditions classiques et régionales, les territoires urbains et les campagnes du bout du monde. Ballroom, c’est une revue trimestrielle que l’on a envie de garder pour ses entretiens, ses documents, ses réflexions, ses découvertes, ses émotions. C’est aussi un site internet qui réagit à l’actualité, développe des dossiers multimédia sur l’univers des artistes et propose un agenda qui, au quotidien, annonce les événements : créations, représentations, stages, auditions, séminaires. Rendez-vous sur www.ballroom-revue.net Alors prenez le temps d’entrer dans Ballroom, pour venir avec nous voir danser les mots et les images !
BALLROOM
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Photo Š Alice Blangero
7 > 9 mars COSTA MESA (Los Angeles) Segerstrom Center for the Performing Arts
14 > 16 mars NEW YORK New York City Center
9 > 12 avril LONDRES Coliseum Theatre
21 > 25 mai LYON Maison de la danse
5 > 13 juin PARIS Theatre National de Chaillot
SOMMAIRE
DANSE EN VRAC
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Festivals Films Livres CD
CRE ATION
016 DOSSIER CAROLYN CARLSON Carlson : Inspirations, intuitions, 018 Carolyn improvisations par Marie Juliette Verga
016 CAROLYN CARLSON
trame c’est le temps et l’espace » 020 « Notre Entretien avec Carolyn Carlson par Marie-Charlotte Rossato un poème de l’univers 023 Pneuma, par Laurent Croizier
« Carolyn, c’est un esprit » Rencontre avec 030 Charles Jude par Aurélien Richard
046 BALLET BLANC « Débauches de blancheur … » 046 par Laurent Croizier
TERRITOIRES DE DANSE
ces rôles avec son âme » 049 « Danser Entretien avec Isabelle Ciaravola
En direct de la création par Marie-Charlotte Rossato BD
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Le carnet de François Olislaeger
TRADITIONS
036 LA JEUNE DANSE LIBANAISE ville occupée par la danse 038 Beyrouth par Marie Juliette Verga une poétique du corps 042 Beyrouth-Brest, (sur)exposé par Nathalie Yokel
016 CAROLYN CARLSON EN RÉPÉTITION POUR PNEUMA. PHOTO : FRÉDÉRIC DESMESURE
par Aurélien Richard Éros et satin rose 052 par Bérengère Alfort Un ballet blanc-cassé 059 par Bérengère Alfort
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PHOTO : MYRIAM TIRLER
062 MATHILDE MONNIER
086 CRITIQUES
070 KATHAKALI
CRITIQUES ETAT DES LIEUX
COUVERTURE Illustration originale de Michael Prigent
LES LONGS OUBLIS 086 BOIRE Alban Richard
062 MATHILDE MONNIER AU CND Rencontre avec Mathilde Monnier 063 par Énora Rivière et Aurélien Richard
087 CARTEL Michel Schweizer NOISETTE COMPAGNIE 088 CASSE Jean-Christophe Maillot
067
La danse en partage par Nathalie Yokel
089 DEMOCRACY Maud Le Pladec
V UES D’A IL L EURS
070 KATHAKALI Kathakali, art sacré et danse d’aujourd’hui 070 Le par Pierre Cléty 074
« Il fallait juste que je tienne bon et je me suis dépassé »/Julien Touati par Aurélien Richard
LIFESTYLE
082
La musique se balade par Olivier Waché
TRIBUNE LIBRE
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Art Majeur. Une danse fiction de Daan Larjew et Jemma Laupié
062 MATHILDE MONNIER. PHOTO : TRISTAN JEANNE-VALÈS 070 JULIEN TOUATI. PHOTO : MYRIAM TIRLER 086 PENTHESILEES DE CATHERINE DIVERRÈS. PHOTO : CAROLINE ABLAIN
MOYI 090 DUMI François Chaignaud
091 MONOLOOG Cindy van Acker 092 PENTHESILEES Catherine Diverrès pièce pour Kaori Ito 093 PLEXUS, Aurélien Bory SANG DES ÉTOILES 094 LEThierry Malandain
095 SUN Hofesh Shechter
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DANSE EN VRAC FESTIVALS
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FESTIVAL ARTDANTHÉ Vanves, 25 janvier au 5 avril 2014.
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Avec sa seizième édition, le festival qui nous fait passer de la rigueur de l’hiver au renouveau printanier place une fois encore sa programmation sous le signe de l’émergence et de l’audace. José Alfarroba et l’équipe du Théâtre de Vanves nous accueillent pour plus de deux mois de soirées fiévreuses et hautes en couleurs. Au menu, 62 spectacles, 53 compagnies et 11 créations, excusez du peu. On y trouve des valeurs sûres – Loïc Touzé & Latifa Laâbissi, Fabrice Lambert, les frères Ben Aïm ou l’inclassable et toujours réjouissante Gaël Depauw – des artistes qui promettent – Liz Santoro, Eric Arnal
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Burtschy – des nouveaux venus : on note l’arrivée au festival de Matthieu Hocquemiller et sa compagnie À contre poil du sens qui flirte allègrement et sans tabous avec ses recherches en genre politique et sexualité à l’EHESS. Artdanthé, c’est aussi et surtout l’effacement du programmateur tout puissant au profit des artistes de danse et de théâtre, le désir de partager, de mêler les genres, quitte à surprendre voire à choquer. Sans oublier les mémorables afters au Pina Bar, où José Alfarroba et son équipe vous feront pousser la chansonnette, danser sur les tables et boire des coups à la santé d’un art chorégraphique qu’ils défendent contre vents et marées. B. A. www.theatre-vanves.fr/artdanthe
1 POST DISASTER DANCE PEOPLE DE MATTHIEU HOCQUEMILLER – DR 2 TO ESCAPE FROM EL NOTHING BETTER THAN HEELS DE GAËL DEPAUW – DR
RENCONTRES CHORÉGRAPHIQUES INTERNATIONALES DE SEINE-SAINT-DENIS 6 mai au 14 juin 2014 Quand l’écriture chorégraphique contemporaine investit un territoire avec force et engagement, cela donne les « Rencontres », un projet ambitieux issu du fameux Concours de Bagnolet qui a révélé tant de grands noms dans les années 80. Aujourd’hui, ce festival soutenu courageusement par le département de Seine-Saint-Denis et
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animé au sens propre par Anita Mathieu persévère et présente un point de vue original sur la création chorégraphique. Les artistes qui signent la programmation 2014, souvent de fidèles compagnons du festival, interrogent les malaises d’une société déchirée entre individualisme et emprise du collectif. Ils développent une réflexion poétique sur le corps et les moyens de l’habiter, intéressant contrepoint du contexte social actuel. On retrouvera des valeurs sûres comme Myriam Gourfink, Simone Aughterlony, Jérôme Brabant ou Daniel Linehan. Du côté des jeunes pousses, Mélanie Perrier, que nous avions découverte au festival ZOA à l’automne dernier, créera un solo pour Julie Guibert. A. F. www.rencontreschoregraphiques.com
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3 GUT GIFT DE YASMEEN GODDER/FRANCESCA FOSCARINI. PHOTO : PAOLO PORTO 4 PARADE DE ADAM LINDER. PHOTO : SHAHRYAR NASHAT 5 DEMOCRACY DE MAUD LE PLADEC. PHOTO : KONSTANTIN LIPATOV
FESTIVAL JUNE EVENTS Atelier de Paris, Vincennes, 4 juin au 19 juin 2014. Le festival JUNE EVENTS se tiendra pour cette 8ème édition, du 4 au 20 juin 2014, dans les théâtres de la Cartoucherie et hors les murs. L’Atelier de Paris-Carolyn Carlson permet ainsi la diffusion auprès du public de spectacles conçus au long de la saison par les compagnies en résidence. Parmi les chorégraphes invités, six créations soutenues en production seront présentées : Danya Hammoud interrogera la distance qui nous sépare de nos actes et le rapport à autrui. Claire Croizé reviendra à l’origine, à travers une ode à la jeunesse et à la force vitale. Maud Le Pladec confrontera l’organicité d’un corps commun-dansant à un dispositif musical radical. Tomeo Vergès examinera les différentes strates de nos états émotionnels par la décomposition du mouvement et DD Dorvillier questionnera la représentation du corps dans le temps et l’espace en regard d’un lieu mystique. Rosalind Crisp inventera des « foundenvironements », réponse à des lieux et environnements spécifiques. E. Ph. www.junevents.fr
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DANSE EN VRAC FESTIVALS, FILMS, LIVRES FESTIVAL UZÈS DANSE L’Évêché, Uzès, 13 au 18 juin 2014 Ce qui frappe d’emblée chez Liliane Shaus, l’éminente programmatrice de ce festival, c’est sa détermination toujours intacte à défendre les artistes et les œuvres, sans peur de la prise de risque. Car son ambition est de fidéliser le public à des œuvres différentes, décalées, qui donnent du monde une vision multiple et colorée. Ainsi, cette année, elle a choisi d’accueillir les créations de trois jeunes chorégraphes belges . Gaëtan Bulourde créera sa version d’un Sacre du Printemps dont la partition musicale sera jouée sur des objets manipulés par les danseurs. Diederick Peeters et Clément Layes créeront de leur côté des œuvres dont le décalage jusqu’à l’absurde amènera une part non négligeable de questionnements sur l’onirisme et sa capacité de déploiement au plateau. A ne pas manquer également, la création de l’artiste associé au CDC d’Uzès, Fabrice Ramalingom, intitulée D’un goût exquis et basée sur des écrits d’Antoine Pickels, ainsi que la reprise de la pièce Postural en ouverture du festival, dont deux versions seront données : l’une par les interprètes de la création, l’autre par des jeunes stagiaires encadrés par le chorégraphe durant toute la saison. Danya Hammoud, Emmanuel Eggermont ainsi que Maria Munoz feront partie de cet intelligent programme, qui ne s’appuie sur aucune thématique précise mais va chercher du côté du sensible, du coup de cœur. Enfin, un
hommage sera rendu à Alain Buffard lors d’un focus sur son œuvre : on y retrouvera notamment, et avec force émotion, l’incontournable Mauvais genre dans la dernière version qu’Alain avait donnée en novembre dernier au théâtre de Nîmes. Le droit de mémoire que Liliane Shaus a
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1 MAUVAIS GENRE DE ALAIN BUFFARD. PHOTO : MARC DOMAGE
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toujours défendu en reprenant des pièces emblématiques du répertoire prend ici une couleur tout-à-fait particulière, dans ces circonstances. Une édition 2014 rare, donc, à ne pas rater. A. F. www.uzesdanse.fr
LIVRES OB.SCENE – Récit fictif d’une vie de danseur Énora Rivière
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FESTIVAL CINÉ-CORPS Strasbourg, 13 au 15 juin 2014. Non, le film de danse n’est pas un genre à part. C’est en tout cas l‘idée que défend Virginie Combet, elle-même réalisatrice de documentaires liés à l’art chorégraphique. Depuis 2012, elle est également programmatrice du festival au cinéma Odyssée de Strasbourg. Pour sa troisième édition, elle propose un focus sur l’expérimentation et une valorisation
de films d’auteurs mais aussi des sessions jeunes publics et un atelier de réalisation pour les adolescents du quartier des coteaux à Mulhouse. Ce festival a par le passé fait la part belle à Charles Picq et Dominique Bagouet ou traversé en images l’Inde et la Chine. Parions que cette édition riche et variée ravira les amateurs de danse en leur rappelant qu’elle est aussi affaire de salles obscures. B. A.
Les cours et auditions, la représentation, les saluts, la reconversion, les vexations, les questionnements, la peur, le plaisir et toujours cette sensation d’être au bord, à côté, sur un fil. Le livre d’Énora Rivière traverse les témoignages d’interprètes danseurs, à propos de ce qui les meut, en corps et en pensée. C’est un véritable délice de plonger dans cette poignée de pages où l’auteur a l’intelligence de laisser aller la parole du danseur et de la reconstituer autour d’un processus fictionnel où les identités, quoique brouillées, sont suffisamment fortes pour faire émerger des expériences et des pans de vie. Ce qui frappe est la force avec laquelle Énora Rivière affirme que le danseur est un être humain, dans toute sa force et toute sa faiblesse. À noter et à ne pas rater, la proposition spectaculaire construite autour de ce travail de recherche que la danseuse-chorégrapheauteure présentera lors du Festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de Verre en novembre 2014. A. F. Infos pratiques : OB.SCENE – Récit fictif d’une vie de danseur, Énora Rivière, coll. Parcours d’artistes du Centre national de la danse, 2013, 10 €.
www.cine-corps.com
2 DANSE GROZNY, DANSE, CINÉ-CORPS. PHOTO : EDDY VAN WESSEL 3 PORTRAIT DE VIRGINIE COMBET. PHOTO : PAUL-HENRI TEXIER
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DANSE EN VRAC LIVRES, CD Un pas de deux FranceAmérique, 30 ans d’invention du danseur contemporain au CNDC d’Angers. Gérard Mayen
Lucinda Childs – Temps / Danse Corinne Rondeau En consacrant son ouvrage au travail de Lucinda Childs, Corinne Rondeau comble un manque : seule Susan Sontag, trente ans auparavant, s’était essayée à parler de cette grande dame. En ce début de XXIème siècle, que nous restera-t-il des fameuses figures de la danse américaine, Cunningham, Nikolais, Brown, Rainer ? À leurs côtés, parce qu’elle ne théorise pas, qu’elle n’expose aucun discours, aucune anecdote, aucun concept, Lucinda Childs est trop souvent résumée à Einstein on the beach ou Dance. Ce livre remet les choses en ordre, en proposant avec sensibilité une autre façon de voir ses pièces, jusqu’à toucher l’infime et difficile notion d’intervalle, « lieu de la sensation du spectateur ». Le tout ponctué de belles citations de la chorégraphe et d’incroyables diagrammes. N. Y. Infos pratiques : Lucinda Childs, Temps / Danse, Corinne Rondeau, coll. Parcours d’artistes du Centre national de la danse, 2013. 27,50 €.
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Gérard Mayen a mené un véritable travail d’archéologue en plongeant dans les archives du CNDC d’Angers, lieu incontournable de l’invention et de l’histoire de la danse contemporaine en France. Il compile des centaines d’entretiens avec ceux qui ont été les acteurs de son évolution et choisit de décrire sa mutation via la transmission et la formation. Il visite les nuances d’un rapport au modèle américain, parcourant les directions d’Alwin Nikolais, de Viola Farber, Michel Reilhac, Nadia Croquet, Bouvier et Obadia ou Emmanuelle Huynh. Il remet en perspective Carolyn Carlson, Merce Cunningham, la politique de Jack Lang, les élèves, leurs joies et leurs difficultés. L’auteur a le bon goût d’ouvrir son ouvrage par des remerciements mais c’est lui qu’il faut remercier pour ce travail de fourmi, si utile pour tous les amateurs de danse. Ma-J V. Infos pratiques : Un pas de deux FranceAmérique, 30 ans d’invention du danseur contemporain au CNDC d’Angers, Gérard Mayen, L’Entretemps, coll. Lignes de corps, 2012, 28 €.
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Le Ballet de l’Opéra Trois siècles de suprématie depuis Louis XIV Sous la direction de Mathias Auclair et Christophe Ghristi
grandes figures de la danse à l’Opéra. Dommage que le titre soit à ce point condescendant. L’ouvrage sait pourtant aborder certains sujets comme la mise au pas des corps, le Foyer de la danse, ou les périodes de dysfonctionnement de l’école et d’essoufflement du ballet. Au lecteur de faire la part des choses, et de mettre en perspective cette fresque monumentale. N. Y. Infos pratiques : Le Ballet de l’Opéra, Trois siècles de suprématie depuis Louis XIV, sous la direction de Mathias Auclair et Christophe Ghristi, Albin Michel 2013. 60 €.
Parce que l’Opéra de Paris vient de fêter le tricentenaire de l’école française de danse, il fallait une « encyclopédie » pour en raconter toute l’histoire : voici donc un « beau livre », pour tous les curieux des coulisses de l’institution. Les passionnants articles, riches d’anecdotes et d’images, balayent les époques ou les
1 DECOR POUR GISELLE, ACTE I, 1948. MAQUETTE À L’AQUARELLE ET À LA GOUACHE D’ALEXANDRE BENOIS. PHOTO : BNF/BMO
Figures de l’attention – Cinq essais sur la spatialité en danse Julie Perrin Après une pleine et précise description de ce qu’est pour elle « l’être-spectateur » et une définition de son concept de spatialité en danse, Julie Perrin choisit cinq pièces chorégraphiques qui seront les matrices de cinq états de spatialité. Les logiques
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DANSE EN VRAC LIVRES, CD CD Eight studies for automatic piano Seth Horvitz de la perspective et du visible dans Self – Unfinished de Xavier Le Roy, l’envers du cadre, la projection et les images pour Trio A d’Yvonne Rainer, le plateau contrasté et ses seuils dans Au fond tout est surface d’Olga Mesa, la défiguration et le récit dans Con forts fleuve de Boris Charmatz, pour finir avec Variations V de Merce Cunningham qui serait la figure malgré tout. Une magnifique étude des pièces chorégraphiques capables de hanter les lieux de la représentation, servie par un texte dense et très écrit. Une véritable oeuvre critique. Un voyage dans l’art de la création. Ma-J V. Infos pratiques : Figures de l’attention – Cinq essais sur la spatialité en danse, Julie Perrin, Les presses du réel, 2012, 18 €. Projet de la matière – Odile Duboc : Mémoire(s) d’une œuvre chorégraphique, Julie Perrin, CND/Les presses du réel, 2007, 30 €.
Le fil d’Ulysse – Retour sur Maguy Marin Sabine Prokhoris Avec Le fil d’Ulysse, la psychanalyste Sabine Prokhoris répare une erreur des publications critiques : mis à part le livre
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Il faut bien l’admettre, cette œuvre pour piano mécanique du musicien et designer Seth Horvitz nous avait bluffés lors de la représentation de la pièce du chorégraphe Brice Leroux, Flocking-quintet, présentée en 2012 au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles.
de photographies consacré à May B aucun ouvrage n’avait jusqu’à présent fait le pari de suivre le processus de création de la précieuse chorégraphe française. Celle qui n’a de cesse de questionner le monde et l’élan historique parle d’un « lent tourbillon sur lequel nous posons lentement nos yeux ». L’auteur parvient à reproduire cette façon de construire une œuvre chorégraphique à travers la forme même du livre : un tissage de témoignages et d’observations, d’analyses, de voix enregistrées, d’images filmées, extraits de partition, tableaux de composition … Une somme qui met le texte au centre du travail, rédigée dans une langue à la hauteur de l’exigence que Maguy Marin a fait sienne. Ma-J V. Infos pratiques : Le fil d’Ulysse – Retour sur Maguy Marin, avec un CD et un DVD, Sabine Prokhoris, Les Presses du Réel, 2012, 36 €. Fabriques de la danse, PUF, 2007 (Prix du Syndicat de la Critique), 16,50 €.
Imaginez donc un piano mécanique se déplaçant en diagonale de cour à jardin en un mouvement continu pendant une heure, contraignant les danseurs à se mouvoir en fonction de lui, dans une pénombre quasi-totale et malgré une rotation virtuose des corps en présence ! L’écoute du disque permet à la fois de retrouver les émotions fortes du spectacle de Brice Leroux, tout en restant une œuvre en elle-même (n’oublions d’ailleurs pas que ces pièces ont été composées indépendamment du spectacle). Si les influences de György Ligeti, compositeur hongrois totalement génial de la fin du siècle dernier, et des compositeurs minimalistes américains (Steve Reich, Terry Riley) se font sentir, si l’on garde également en tête et dans le cœur les merveilleuses œuvres pour piano mécanique du si peu connu Conlon Nancarrow, on reste sidéré par la puissance des procédés mis en œuvre par Seth Horvitz dans ces pièces.
Partant de prétextes structurels simples, à l’instar de Claude Debussy dans ses propres Études pour piano, le compositeur arrive à créer une myriade d’effets surprenants, tour-à-tour oniriques, maléfiques ou simplement détraqués. L’utilisation des registres extrêmes de l’instrument (grave comme aigu), la vitesse et la précision d’exécution extraordinaires (atteintes grâce au
numérique) et la polyrythmie très fouillée mais non moins lisible par l’oreille ( je tiens à cette expression ici, tant Seth Horvitz détaille et rend les textures d’une clarté absolue) permettent d’entrer dans un univers insolite et troublant, dont on ne sort absolument pas indemne. A écouter également, son album intitulé On Bach, signé sous un autre nom,
Sutekh, plus électronique sans doute, mais dont la page d’orgue finale est un pur bonheur pour ceux qui aiment l’humour en musique et la relecture sensible et fine d’œuvres déjà existantes. A. R. Infos pratiques : Eight Studies for Automatic piano, Seth Horvitz, Line, 2011, 10 $. On Bach, Sutekh, Creaked, 2010, 10 £. Disques disponibles sur la toile.
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CRE ATION
DOSSIER
CAROLYN CARLSON Pneuma, le souffle de la poésie
La dernière création de Carolyn Carlson, Pneuma, réalisée pour le ballet de l’Opéra National de Bordeaux, nous donne l’occasion de rendre hommage à l’une des plus grandes chorégraphes actuelles. A travers sa carrière, sa parole, mais aussi le témoignage de ses danseurs et l’analyse de ses pièces, retrouvons l’univers de cette grande dame de la danse. Un voyage dans la poésie de son inspiration, de son geste dansé, de son univers scénographique.
CAROLYN CARLSON EN RÉPÉTITION POUR PNEUMA PHOTO : FRÉDÉRIC DESMESURE
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CRE ATION
CAROLYN CARLSON INSPIRATIONS, INTUITIONS, IMPROVISATIONS par Marie Juliette Verga
L
orsque l’on rencontre Carolyn Carlson, il n’est pas possible de passer outre son regard. Un regard ouvert, dirigé tout à la fois vers l’intérieur et le lointain, un regard qui vous traverse sans rien déranger, qui passe, comme un souffle. L’air est un élément majeur pour la chorégraphe américaine venue de Finlande. Dans un entretien accordé à Laurent Dauzou et Claude Rabant en 1993, Carolyn dit combien le silence finlandais sait être un rugissement empli du vent. Pour cette fervente adepte de l’inspiration et de l’improvisation, le vent est une source d’intuitions depuis de longues années. Aujourd’hui, après plus d’une centaine de créations dont Blue Lady et Signes, Hydrogen Jukebox et We are horses1, Rituel pour un rêve mort et Synchronicity, Carolyn Carlson continue à se considérer plutôt comme une poétesse visuelle. Elle écrit beaucoup2 et s’assoit souvent pour exercer la calligraphie, cet art si semblable à son vocabulaire dansé ; l’encre et l’eau, le pinceau qui glisse, à mi-chemin entre l’extrême maîtrise et la complète liberté. A 71 ans, la danseuse est toujours adepte du bouddhisme zen. Elle inspire ses danseurs plutôt
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qu’elle ne les dirige, n’impose aucun pas. Sans doute n’a-t-elle pas oublié les réflexions de John Davis, le philosophe-éclairagiste qui travaillait avec elle au GRTOP3 : « inscrire le mouvement dans l’éternité et considérer la verticalité comme un pont entre ciel et terre ». Reconnaissante de pouvoir trouver l’esprit à travers le corps, Carolyn Carlson croit au pouvoir de guérison de la danse. Elle chorégraphie en affirmant que voir l’autre c’est devenir lui, que produire une forme c’est en faire partie, que créer le mouvement, c’est être le mouvement. La définition du terme danse a peu d’importance pour elle : « Nous sommes la danse », celle-ci ne peut être abstraite des corps qui la portent. Toujours, l’attention est portée à l’incarnation d’un souffle et aux traces laissées derrière soi lorsque la représentation s’achève, offrande faite au monde.
1 Avec Bartabas 2 Le soi et le rien 2001, Brins d’herbe et Trace d’encre 2011 chez Actes Sud, Solo, 2003 chez Alternatives, Inanna, 2006 Ed CCN, Dialogue avec Rothko, 2011, Invenit. 3 Groupe de Recherches Théâtrales de l’Opéra de Paris dont elle est responsable pendant 7 ans.
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LA NOUVELLE DANSE FRANÇAISE Carolyn Carlson est une de ces rares chorégraphes connues au-delà du cercle des amoureux de danse. Elle est l’une des figures emblématiques de la Nouvelle danse française, ce courant qui grandit dans les années 70 et dont la principale orientation était de se détacher du vocabulaire de la Modern dance américaine et de l’Opéra de Paris comme institution. Parmi ces jeunes chorégraphes se trouvaient François Verret, Dominique Bagouet, Susan Buirge, Odile Duboc, Daniel Larrieu ou encore Maguy Marin. Il s’agit de
1 CAROLYN CARLSON EN RÉPÉTITION POUR PNEUMA. PHOTO : FRÉDÉRIC DESMESURE 2 CAROLYN CARLSON DANS LES FOUS D’OR, 1975. PHOTO : CLAUDE LÊ-ANH, BNF
ceux pour lesquels le Ministère de la Culture de 1981 crée les Centres Chorégraphiques Nationaux, ceux que défendront tout à la fois le Théâtre de la Ville à Paris, le Festival Montpellier Danse et la Biennale de la danse de Lyon. Pour tous l’influence d’Alwin Nicolais est déterminante. Carolyn Carlson, qui a passé sept ans au Alwin Nicolais Dance Theater de New York, demeure pourtant plus attachée à la poétique de l’espace chère à Bachelard qu’à l’abstraction de l’espace qui fascinait le maître.
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CAROLYN CARLSON EN RÉPÉTITION POUR PNEUMA. PHOTO : FRÉDÉRIC DESMESURE
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« Notre trame c’est le temps et l’espace » Entretien avec l’artiste au moment où se dessine Pneuma. Propos recueillis par Marie-Charlotte Rossato.
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uatorze ans après Hydrogen Jukebox à l’Opéra National de Bordeaux, qu’est-ce qui a motivé la création de Pneuma ? C’est le souhait de Charles Jude, je dois dire que je respecte profondément son travail et celui de Thierry Fouquet que j’ai bien connu à l’Opéra de Paris. Revenir à Bordeaux c’est un peu comme retourner à la maison. J’ai proposé à Charles de faire une création en 2014. J’avais déjà travaillé avec trois danseurs de sa compagnie, et comme moi, Charles vit dans un monde de poésie. Pourquoi avoir choisi le titre Pneuma ? D’abord c’est le livre L’air et les songes de Gaston Bachelard qui m’a fascinée car il évoque beaucoup de poètes. Bachelard peut donner juste deux ou trois mots qui m’inspirent totalement et portent la création. Il parle de l’air comme d’un élément matériel : tous les objets prennent forme par l’air. J’ai d’abord pensé au titre Oxygen, mais Pneuma c’est le poumon, c’est à la fois l’air que nous respirons mais c’est aussi l’« air » du cosmos et de l’univers. Carl Jung parle de pneuma comme d’énergie vitale, Nietzsche évoque l’air de l’univers. Pneuma c’est aussi le rêve, l’aspiration « vers », le mouvement perpétuel entre attraction terrestre et aspiration vers l’immensité ; c’est aussi la chute comme dans le mythe d’Icare caractérisé par la gravité.
Comment germe la création dans le corps et l’esprit de Carolyn Carlson ? Quand les gens me demandent de parler de mes créations c’est impossible : « When you explain something it disappears » (Quand on explique quelque chose cela disparaît). J’ai des séquences pour Pneuma, des esquisses. Pour nous danseurs-chorégraphes, notre trame c’est le temps et l’espace. Et l’espace c’est tout. Je n’ai jamais écrit de pas durant ma carrière. Je suis une artiste visuelle. Je lis de la poésie, des livres : les mots me fascinent. Je suis aussi une danseuse verticale. J’utilise le sol mais je suis portée vers ce qu’il y a au-dessus. Je ne sais jamais ce qu’il adviendra quand je crée, c’est très excitant. Tous les danseurs sont angoissés car je ne sais pas toujours comment je vais créer, ce qui va arriver. Vous avez demandé aux danseurs de l’Opéra National de Bordeaux de lire Bachelard, c’est assez inhabituel. Pourquoi ? Je ne suis pas seulement intéressée par les pas, j’ai besoin de penser et de stimuler l’imagination des danseurs, je veux qu’ils imaginent et transcendent les idées qu’ils ont lues. Je leur propose de la poésie, leur demande de s’en imprégner, puis donne des cours de suspension, de poids … et je les laisse faire leur propre interprétation avec une improvisation. Il est important que les danseurs ne se voient pas, je
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« Je n’ai jamais raconté d’histoires. Ma création est ouverte et la poésie ne raconte rien, elle donne une perception. C’est bien justement tout mon travail qui est là. » 1
▸ mets des rideaux sur les miroirs après le travail
technique. Il faut que la création sorte d’eux-mêmes, pas de leur reflet. Pneuma est-t-elle également une « poésie visuelle » comme vous qualifiez vos créations ? Pneuma a tellement d’acceptions. Philosophie et poésie donnent une dimension bien plus grande et universelle à ma création. Je n’ai jamais raconté d’histoires. Ma création est ouverte et la poésie ne raconte rien, elle donne une perception. C’est bien justement tout mon travail qui est là. Nous sommes partout et nulle part. C’est ce que j’ai voulu montrer dans le film Synchronicity où les ralentis perdent le spectateur. Pneuma est une perception qui naît de l’imagination de chacun. Vous avez déjà collaboré avec le compositeur Gavin Bryars, comment travaillez-vous ensemble ? C’est notre sixième création ensemble. Je l’aime beaucoup, sa musique est mystique et extrêmement puissante. Nous nous voyons et nous échangeons sur des mots qui nourrissent la création car Gavin travaille beaucoup avec la poésie. Nous parlons de cosmos, d’étoiles … cela m’évoque une musique méditative et cérémoniale. Pneuma nécessite une suspension et la musique de Gavin ici suspend l’action dans l’air puisqu’il ne faut pas oublier que l’homme est entre la terre et l’infini. Mais ce que j’aime surtout avec Gavin c’est qu’il prend une direction et subitement en change totalement. Il est très mélodique, méditatif et tout à coup me surprend.
Vous collaborez souvent avec le créateur lumières Rémi Nicolas, cette année même dans Dialogue with Rothko. Quelle sera l’atmosphère de Pneuma ? Rémi est incroyable. Je ne sais jamais d’où vient la lumière avec lui, il fait de l’espace quelque chose de magique ! Je lui donne des indications mais c’est un échange entre nous. Nous avons décidé de faire de la scène un décor vide. L’air demande du vide. Le seul moyen de montrer de l’air est d’utiliser quelques objets : des champs de blés par exemple qui se meuvent grâce à un ventilateur, une bulle d’hélium … Il a également quelques idées de changements du noir au blanc en une seconde par exemple. Y aura-t-il des costumes ? Je vais concevoir les costumes avec l’aide des ateliers de l’Opéra National de Bordeaux. J’ai beaucoup d’idées. C’est encore à l’étude. J’imagine les danseuses nues avec des sortes de vêtements en plastique ou enveloppées d’un voile transparent, peut-être un peu futuristes. Pneuma aujourd’hui avant la création sera-t-elle Pneuma demain ? Je saute dans l’inconnu : c’est ça la création ! Parfois, nous pensons trop. Nous essayons de mettre les choses dans des cases, mais on ne sait jamais ce qui va arriver, ce qu’il va se passer. Ne projetons rien. Peut-être tout ce que je projette de faire finalement aujourd’hui ne sera pas créé ainsi ! C’est ça la danse : l’énergie de l’instant et l’imagination. L’entretien a eu lieu au Centre chorégraphique national de Roubaix le 18 novembre 2013 en anglais. Il a été traduit par Marie-Charlotte Rossato.
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1 CAROLYN CARLSON EN RÉPÉTITION POUR PNEUMA. PHOTO : FRÉDÉRIC DESMESURE
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UN POÈME DE L’UNIVERS par Laurent Croizier
ILLUSTRATIONS DU DOSSIER : ESQUISSES DE CAROLYN CARLSON POUR PNEUMA
« Si j’avais des ailes Pour m’envoler seule au loin Mais je n’ai pas d’ailes J’ai un corps qui est lourd J’ai un coeur qui bat J’ai un esprit qui s’enraye J’ai une âme qui vibre Poussent mes ailes au vent » Tirés de Solo – Poèmes et encres publié en 2003, ces vers de Carolyn Carlson, en forme de parabole intime du mythe d’Icare, traduisent l’une des contradictions spirituelles et physiques de l’humanité : l’aspiration à l’élévation et la contrainte de la pesanteur.
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de la transformation […], nous ouvrons les portes de notre perception de l’Existence vers une dimension cosmique, une dimension qui symbolise le flux et le reflux constant entre envol et attraction terrestre »1 indique Carolyn Carlson, avant d’ajouter : « Le souffle, par la force furtive de l’Imagination, est essentiel dans le réel. L’air est plus que ce que l’homme respire, c’est la respiration »2.
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anser n’est rien d’autre que la conjugaison de ces paradoxes. Vivre aussi. Pneuma est le nom choisi par Carolyn Carlson pour intituler sa nouvelle création. Du rêve d’Icare à l’écriture musicale, du souffle vital à l’aspiration spirituelle, la chorégraphie interroge ces différents éléments. « Voyageant dans le royaume des rêves et
C’est logiquement dans L’Air et les songes (sous-titré Essai sur l’imagination du mouvement) de Gaston Bachelard (publié chez José Corti en 1943, année de naissance de la chorégraphe !) que Carolyn Carlson puise son inspiration. Car l’artiste se sent manifestement proche du philosophe et épistémologue lorsqu’il précise : « On veut toujours que l’imagination
Pneuma, en direct de la création par Marie-Charlotte Rossato
BORDEAUX, LE 5 DÉCEMBRE 2013 « On aura un porteur d’étoiles ». Le regard brillant, le créateur lumière parle de la technique avec poésie. Faire de multiples lumières LED un firmament. Tout doit servir la danse. Un plan du plateau est étalé sur la table. Première réunion technique. Des accessoires aux ateliers couture, du plateau à la logistique, du théâtre aux tournées. Tout doit être pensé. Sur la scène, Rémi dessine dans l’air. Là.
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La bulle transparente sera là, portant la danseuse. Faut-il garder l’hélium ? 1 m³ d’hélium correspond à 1 kilo. Le régisseur ballet s’inquiète de la finesse du matériel pour les tournées. Mieux vaut cercler le ballon d’une structure rigide et privilégier l’air. C’est décidé, la bulle sera créée dans les ateliers de Bordeaux. Pneuma commence déjà.
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LE PNEUMA SOURCE DE VIE
soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception. […] Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire »3. Et l’imaginaire, depuis des décennies, guide la démarche chorégraphique – mais aussi poétique et calligraphique – de Carolyn Carlson. Pneuma, la prolonge en contant donc le fameux rêve du vol, invariablement contrarié par les chaînes (psychologiques ou physiques) de la pesanteur. Si la psychanalyse « classique » a longtemps affecté à ce fameux rêve du vol une interprétation de désir sexuel, Bachelard, à l’inverse, rejette cette vision qu’il juge réductrice et insiste sur un aspect ignoré par la psychanalyse : sa dimension esthétique,
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L’origine du souffle vital interroge l’homme depuis des siècles. Fondée par le célèbre médecin Athénée d’Attaleia, originaire de Cilicie (1er siècle de l’ère chrétienne), la doctrine des pneumatistes4 attribuait la cause de la vie à l’action du pneuma – que l’on pourrait traduire par souffle – lequel circulait, mêlé au sang, dans les artères. Le pouls permettait de mesurer le tonus de celui-là. Sa mauvaise répartition dans l’organisme provoquait des maladies que les pneumatistes s’empressaient de soigner en pratiquant des saignées qui, selon eux, rétablissaient l’équilibre du pneuma et la santé du patient. On sait combien ce (funeste) traitement fit fortune au cours des dix-sept siècles qui suivirent ! Mais ce pneuma – souffle de vie – allait aussi volontiers revêtir une dimension spirituelle : pour les Chrétiens, il représenterait bientôt l’âme, ou un esprit dépourvu de toute matière. Le mot lui-même servirait en outre de racine au vocable désignant les signes d’un nouvel alphabet musical apparu au Moyen Age : les « neumes », du grec ancien νευ˜ μα (neûma : signe), altération du pneuma (πνευ˜ μα) précédemment évoqué, lequel se trouve alors – par un singulier concours de circonstances sémantique – rattaché à la musique.
PARIS, LE 20 DÉCEMBRE 2013 La création se mène conjointement. Rémi et Carolyn se retrouvent pour envisager ensemble les matériaux du décor et des accessoires. Ils discutent sans doute de la « méduse », cet objet suspendu comme un voile qui tombe sur les danseurs. Du tulle probablement. Les croquis de la chorégraphe sont entre les mains des ateliers de l’Opéra de Bordeaux. Rémi
leur a suggéré de rassembler des tissus pour poétiser les costumes : « Elle aime les choses floues mais avec une ligne, une notion verticale ». Il faut imaginer la texture de la robe de mariée cousue avec le costume d’un homme, donner aux corps des danseurs le souffle de l’air avec de grands manteaux, de grandes robes, des pantalons amples … Toujours des choses fluides.
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▸ laquelle est générée par le rêveur lui-même,
qui devient ainsi inventeur de grâce. Et nous voyons là combien la pensée de Bachelard rejoint les préoccupations esthétiques et sensibles de Carolyn Carlson. En d’autres termes, la chorégraphie explore l’imaginaire en opposant la verticalité, l’aspiration à l’altitude ou l’élévation à la descente, à l’effondrement, à la chute. Pneuma met tout simplement en scène l’homme – avec ses rêves et ses doutes –, lequel, pour la chorégraphe, n’est pas un animal ordinaire mais un être extraordinaire vivant entre ciel et terre dans un espace mystique, les yeux tournés vers l’immensité céleste. Celle-là, précisément – les astres, le cosmos et leur énergie – hante la pensée de Carolyn Carlson.
« Je prête une attention particulière aux couches supérieures de l’atmosphère : nuages, étoiles, soleils, pluies, lunes, les origines mystiques des anges et les possibilités d’autres dimensions. Combien de fois dans nos vies matérielles bondées, levons-nous les yeux au ciel pour scruter ce vide invisible. […] je souhaite créer cette œuvre pour poursuivre cette réflexion. Une inspiration de possibilités infinies. Un poème de l’univers écrit depuis la naissance du monde »5. Pneuma déploie une atmosphère scénographique ayant pour objectif de rendre « visibles » ces vibrations de l’univers, cette poésie sous-jacente à chaque chose, cette circulation de l’impalpable, de l’immatériel, du rêve. On y perçoit l’ondulation du vent, la légèreté de la matière (voiles, pulsions d’air, ballon
BORDEAUX, LE 15 JANVIER 2014 Retour à l’Opéra. Deuxième réunion. La scène accueillera un escalier épuré en métal. Les traits grossiers sont devenus de véritables croquis détaillés. La création n’est pas encore lancée par les improvisations des danseurs et déjà les tournées sont à l’étude : le gigantisme du cyclo blanc du fond, le support usb des vidéos et leur possible montage … La bulle est abandonnée, la danseuse sera portée dans les airs sans elle.
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Un ballon d’1 m 50 de diamètre est conservé dans les cintres et descendra rempli d’hélium. Le voilage de la « méduse » sera tissé par une artiste japonaise. Ils ont sorti les plans, métré les écrans, les coulisses, calculé les coûts, sorti des échantillons de tulle des ateliers … mais la poésie reprend ses droits et le « porteur d’étoiles », ce ciel étoilé empli de laines, fibres et micromiroirs, illumine leur regard qui imagine déjà cette voûte céleste.
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1 PHOTO : FRÉDÉRIC GUY
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flottant), la nature (herbes au sol, projection vidéo d’arbres et de ciel nuageux) et le caractère insaisissable de l’espace (sol blanc, transparences, tulles, lumières froides, musique minimaliste et répétitive). Déjà, dans Ballons, créé à New York en 1968, Carolyn Carlson jouait avec l’apesanteur en usant de ballons de tailles différentes accompagnant les mouvements des danseurs6. Des sphères roulant sur les corps habitaient également Chalk Work en 1983. Dans Blue Lady, c’est une montgolfière qui flottait dans le décor. Jeu récurrent avec l’apesanteur et l’air7 qui habitait aussi Commedia en 1993 par le truchement d’une silhouette féminine en fond de scène dont la robe de voiles s’élevait vers le ciel par un mouvement d’air ascendant.
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BORDEAUX, LE 27 JANVIER 2014 Carolyn est arrivée pour les danseurs. Premières répétitions. Premiers pas. Sur scène, les décors se précisent. Champ de blé comme des herbes folles. Le ventilateur soufflera côté jardin. Deux grands cyclos, écrans de tissu, seront utilisés pour projeter la lumière. Le vidéoprojecteur est sous le pont. Devant le cyclo du fond, du tulle avec une entrée. La dimension
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est celle d’une porte classique : 2 m 40, peut-être moins … Au fond, un réflecteur rond mime une Lune. De la salle, Rémi désigne la scène : les lumières entreront latéralement. Noires et blanches. L’ensemble du décor reste naturel, des gris au beige, seuls les costumes clameront la couleur.
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Et que dire de la nature ? Leitmotiv majeur, s’il en est ! Sait-on que la chorégraphe est allée jusqu’à la « capturer » dans un carnet dédié à sa famille, le California Flower Garden Book’ 97, où les fleurs séchées se conjuguent aux poèmes ? Pneuma reflète évidemment cette cyclique réminiscence naturelle.
▸ Autre fascination carlsonienne irriguant
Pneuma : la voûte céleste et les astres. En 1983, une toile représentant des nuages illustrait Blue Lady (deuxième âge). Puis en 1991, dans un croquis préparatoire pour Maa, l’artiste montrait l’importance des cieux qui surplombent l’homme et la terre.
La musique, signée du « post-minimaliste » Gavin Bryars, emplit l’espace d’une matière sonore dense mais par définition … insaisissable. Le compositeur divise sa partition en sept sections correspondant à des moments poétiques clefs de l’ouvrage de Bachelard relevés par Carolyn Carlson. Ces sections sont entrecoupées de préludes et intermèdes joués par l’improvisateur électro-acousticien Philip Jeck à qui Bryars avait notamment fait appel pour ses
BORDEAUX, LE 3 MARS 2014 Dans quelques jours, le compositeur Gavin Bryars donnera une première lecture musicale avec l’orchestre à l’auditorium. Dans le Grand-Théâtre, le temps est au montage. Deux jours entiers de préparation. Intense. Machines à fumée, ventilateur, rétroprojecteur, balançoire,
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escalier, végétaux … tout prend enfin forme. L’imaginaire devient réalité. Tous s’agitent sur la scène pour monter à temps. Ce sont eux le ballet. Les particules élémentaires. La poésie sert la création. Eux serviront la danse. La danse, la chorégraphe, les danseurs. Et puis … nous. Surtout nous.
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oeuvres The Sinking of the Titanic et The Stones of the Arch8. La musique est écrite pour un petit orchestre et bénéficie d’une instrumentation atypique excluant le violon9, dont l’objectif est l’homogénéité, la richesse et la résonance du son propres à créer le climat poétique revendiqué. Quant aux costumes de Pneuma , ils sont eux aussi vecteurs de rêve, entretenant une ligne qui rappelle l’esprit carlsonien par l’usage de la longueur, de la fluidité, de la transparence, de la surabondance des voiles. Ces tenues ont pour objectif de nous faire percevoir la présence de l’air qui, modelant à l’envi le vêtement, prolonge, amplifie, rehausse, poétise le mouvement du danseur.
scénographique imaginé par Rémi Nicolas, du caractère des danseurs-interprètes – « chaque danseur doit être un poète » aime-t-elle à dire. Parfois, des techniciens impliqués dans la confection des décors, costumes et accessoires du spectacle mettent à jour les difficultés posées par la concrétisation, sur le plateau, des idées esquissées par la chorégraphe dans ses croquis préparatoires, la poussant à réinventer sans cesse son projet artistique jusqu’à la première représentation. L’art de Carolyn Carlson ne réside pas seulement dans l’exposition de son talent propre mais dans sa virtuosité à fédérer autour d’elle des énergies complémentaires qui se conjuguent et s’enrichissent.
Si l’inspiration de Carolyn Carlson – tournée vers la nature, l’indicible et les nues – demeure pérenne dans ses productions (Pneuma compris), son vocabulaire chorégraphique, lui, est sans cesse réinterrogé. De fait, celle qui fut jadis – au sein du GRTOP10 – l’un des piliers des recherches sur le mouvement, n’a jamais cessé de questionner son art, lequel se ressource insatiablement au contact de ses rencontres, de ses voyages, de ses collaborations. Et Pneuma se colore ainsi, pêle-mêle, de l’influence de la partition créée par Gavin Bryars, de l’écrin
Sous les yeux du public s’anime alors en Pneuma une fresque mouvante où les gestes des danseurs sculptent l’espace, soumis aux tentations du rêve et aux lois contradictoires de la matière. Et l’on ressent – dans cette atmosphère à la fois très personnelle et tellement universelle – l’exceptionnelle intensité d’une forme chorégraphique évoquant un art plastique vivant, disant la poésie du monde.
www.opera-bordeaux.com
1, 2, 5 Extrait de la note d’intention de Carolyn Carlson pour Pneuma , Opéra National de Bordeaux, 2013. 3 Citation tirée de : BACHELARD, Gaston, L’Air et les Songes, essai sur l’imagination du mouvement, Paris, Editions José Corti, 1943 (reparu en Livre de Poche, 2013). 4 Les pneumatistes (opposés à la théorie des humeurs) s’inspiraient eux-mêmes tant du stoïcisme que des idées d’Erasistrate de Céos, médecin et anatomiste grec du IIIe siècle avant notre ère, promoteur du pneuma comme source du vivant. 6 C’est justement après l’une des représentations de ce ballet au Henry Street Playhouse qu’Alvin Nikolais avait lancé à la jeune artiste : « Now, you are a choreographer ! » …
ILLUSTRATIONS DU DOSSIER : ESQUISSES DE CAROLYN CARLSON POUR PNEUMA
7 Echo ici évident à l’ouvrage de Bachelard L’Air et les songes. 8 Commandées à l’occasion du 70e anniversaire de Steve Reich. 9 L’instrumentation rassemble clarinette basse, basson, contrebasson, deux cors, deux trombones, percussions accordées et non accordées, ainsi que des cordes à l’exclusion notable des violons. Bryars – qui avait imposé cette spécificité pour son premier opéra, Medea, en 1984 – considère que le mariage des couleurs de 2 altos, d’un violoncelle et d’une contrebasse (sans violon donc) offre un son onirique digne d’intérêt. 10 Groupe de Recherche Théâtrale de l’Opéra de Paris.
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CHARLES JUDE DANS HYDROGEN JUKEBOX PHOTO : SIGRID COLOMYÈS, 2003
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« Carolyn, c’est un esprit » Charles Jude, directeur du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux nous raconte quarante ans d’amitié et de travail avec la chorégraphe. Propos recueillis par Aurélien Richard.
J’ai rencontré Carolyn Carlson lorsqu’elle a été nommée danseuse étoile en 1973 à l’Opéra de Paris. J’ai fait partie du GRCOP (Groupe de Recherche Chorégraphique de l’Opéra de Paris) que Carolyn dirigeait, conçu par Rolf Liebermann, le directeur général d’alors. Ça m’a tout de suite plu de travailler dans un autre univers qui
UN PRÉSENT INESTIMABLE Non contente d’avoir exposé ses archives papiers et les costumes de certaines de ses pièces à la BNF en janvier, Carolyn Carlson a offert ses archives personnelles au public. L’Atelier de Paris a inventorié plus de 900 documents dont 150 ont été numérisés. Voici une collection vidéo impressionnante que l’on peut découvrir sur Numeridanse. tv ainsi que sur le site de l’Atelier qui valorise la collection en proposant des sélections régulièrement. Captations de spectacles mais aussi de répétitions, d’improvisations et de masterclasses – choix de films documentaires, un voyage dans l’épaisseur d’une vie au travail. Ma-J www.numeridanse.tv www.atelierdeparis.org
était à l’époque assez fermé, puisque le contemporain est entré à l’Opéra par la volonté de Liebermann et de Carolyn. Grâce à cette dernière j’ai commencé à travailler un autre mouvement, un autre style de danse, tout en restant dans des normes classiques. La danse classique a une certaine rigidité dans la verticale et l’horizontale, le néo-classique a permis d’avoir toutes ces positions décalées imaginées par Serge Lifar et George Balanchine. Avec Carolyn, c’était du mouvement ainsi que de l’improvisation. Au départ ce n’était pas évident de comprendre cette gestuelle, mais ça m’a permis petit-à-petit de connaître mon corps, de savoir que je pouvais faire autre chose que du classique, et surtout d’introduire ces nouveaux mouvements dans le classique : ça a révolutionné ma pensée du mouvement. Par la suite, j’ai eu l’occasion de danser avec Carolyn un ballet intitulé Tristan du chorégraphe Glen Tetley, qu’il avait créé pour elle et Rudolf Noureev. Ce dernier ne pouvant danser toutes les représentations, Glen m’a proposé de danser le rôle. C’est ainsi que j’ai
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▸ eu la joie de partager la scène avec Carolyn, une
joie immense car pour moi, Carolyn était une icône ! Et moi j’arrivais tout juste à l’Opéra ! J’ai continué à travailler avec elle lors de ses cours et de ses recherches, puis Liebermann est parti, Carolyn aussi. On se voyait de temps en temps, mais je n’ai pas eu l’occasion de travailler avec elle sur une création.
Quand je suis arrivé à Bordeaux, j’ai commandé à Carolyn une création pour le ballet qui était Hydrogen Jukebox et elle m’a dit que puisque j’étais là et que je dansais encore, j’allais danser dans ce spectacle. J’ai retrouvé intacte la joie de répéter et d’être avec elle. Carolyn, ce n’est pas seulement le mouvement, c’est aussi l’intellect. C’est la recherche, la pensée, la poésie du geste également. Des années ont passé, et puis il y a deux-trois ans, j’ai appelé Carolyn pour lui demander une création pour le Sacre du Printemps en 2013, puisque c’était le centenaire de la création du Sacre de Stravinski. Elle m’a dit : « Ecoute, non, je ne veux pas faire le « Sacre » parce que, pour moi, le plus beau « Sacre » c’est celui de Pina Bausch, donc je ne veux pas toucher à cela.
Par contre, je veux bien faire une création pour la compagnie, je vais penser à quelque chose ». Pneuma est donc né, avec une musique spécialement composée pour cette création. Carolyn est venue à Bordeaux, elle a fait deux jours d’auditions, de recherches puis elle a choisi ses danseurs. Elle leur a donné un petit fascicule avec de la poésie, des textes de Nietzsche … Elle leur a dit ceci : « On peut voir l’eau ou le mouvement de l’eau mais l’air est invisible. Il faut traduire cela par le mouvement. » C’est très abstrait ! Ils ont adoré. Il faut dire que Carolyn a une aura tellement particulière, on ne peut rester indifférent devant cette personne !
Dans Hydrogen Jukebox, Carolyn défendait la vision suivante : s’insurger contre tout ce qu’on fait de mal sur la Terre, contre le gaspillage des énergies. Je me souviens d’images fortes, à l’instar de ces jeunes femmes avec des casques, qui criaient parce que la pollution était là … Aujourd’hui, dans Pneuma, il s’agit davantage d’une poésie sur la nature, sur l’environnement, sur ce que l’on peut respirer … Une pièce de vie, sans doute.
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Avec Carolyn, on partage cet amour de la poésie. Dans notre façon d’être, on est un peu en-dehors du temps. Je ne reste jamais bloqué dans un registre, la danse, c’est la danse avec un grand D, qui regroupe toutes les formes de danse. Mon parcours est un peu étrange, car j’ai commencé la danse très tard à 16 ans, et je n’ai pas adhéré à ce genre de formation. Un professeur m’a finalement poussé, et puis j’ai rencontré Noureev, et là j’ai mieux compris ce qu’était ce métier. J’avais une ouverture très grande et quand on m’a proposé de travailler avec Carolyn, j’ai accepté de suite. Je n’étais pas dans un carcan !
Et je me pose toujours la question : est-ce je suis vraiment un danseur classique, ou non ? C’est peut-être pour cela que la poésie nous rapproche avec Carolyn, car elle a eu elle-même un parcours atypique, elle a, elle aussi, appris à bouger autrement. Quand nous sommes sur scène, nous sommes des poètes, nous sommes là pour raconter une histoire, même si elle n’est pas racontée comme dans les ballets classiques avec un livret, mais c’est une pensée. Nous nous devons de laisser au spectateur une ouverture pour qu’il s’approprie cette matière et
1, 2 CAROLYN CARLSON EN RÉPÉTITION POUR PNEUMA. PHOTOS : FRÉDÉRIC DESMESURE
qu’il l’interprète comme il a envie de l’interpréter. Dans le ballet classique, on ne lui permet pas cela ! A l’inverse, dans ces ballets contemporains, il y a un propos, parfois un texte, et après c’est l’imaginaire qui travaille. Vous savez, tous les chorégraphes ont besoin de la matière. Cette matière, c’est une rencontre. Est-ce que l’osmose va se faire avec le chorégraphe et le danseur ? Car le danseur aussi est créateur. Le travail de Carolyn, c’est de s’approprier la matière et de la mouler, de nous mettre en confiance, et d’aller jusqu’au bout dans la recherche de l’essence de chacune des personnes.
Carolyn est atypique, elle est surprenante parce qu’on ne sait jamais ce qu’elle va produire comme mouvement. On est en attente, elle est là, elle ne bouge pas, et tout d’un coup, elle fait un geste, un truc, et on se dit : « Waow ! il faut refaire ça ? comment a-t-elle fait ? » C’est en tout cas une grande créatrice, c’est un esprit. Dès que je l’ai vue à l’Opéra, je l’ai trouvée magique. Et en tant que personne, je l’adore parce qu’elle a toujours été là quand j’avais besoin d’elle, c’est quelqu’un de très fidèle et de très simple à la fois. Vous rentrez dans son monde, et tout se passe toujours bien.
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LE CARNET DE FRANÇOIS OLISLAEGER
« Zeitung », Anne-Teresa de Keersmaeker
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LA JEUNE DANSE
LIBANAISE Si au Liban les conditions de production sont difficiles et sans réelles structures, la création contemporaine se porte bien. L’art vivant y mérite son nom et témoigne jour après jour que ça bouge encore, que le corps peut s’émanciper des étouffements les plus anciens et incarner, encore et encore, les questions les plus immédiates. Les jeunes chorégraphes occupent la ville et ne lâchent pas ce territoire qui leur appartient autant qu’ils lui appartiennent. En donnant la parole à la jeune danse libanaise, le Festival DañsFabrik de Brest met en lumière un territoire d’émergence riche et passionnant.
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MAHALLI DE DANYA HAMMOUD PHOTO : MEIKE LINDNEK
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PHOTO : RANDA MIRZA, A CHARMING RESIDENTIAL BUILDING
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BEYROUTH VILLE OCCUPÉE PAR LA DANSE
Que sait-on de Beyrouth ? Pour la plupart d’entre nous, il s’agit d’une ville agitée par les affrontements communautaires, détruite par les bombardements au point que soit née dans la langue française une expression utilisée face au chaos : c’est Beyrouth ici ! Ballroom part à la découverte des chorégraphes libanais qui bataillent et créent, quoi qu’il en coûte. Par Marie Juliette Verga.
L
’histoire du Liban est complexe. Rappelons toutefois que le pays a des frontières communes avec la Syrie et Israël, que l’état libanais fut créé par la France dans ses frontières actuelles en 1920 par division du territoire ottoman de la Grande Syrie. 15 ans de guerre civile (1975–1990) ont laissé des traces indélébiles dans le paysage comme dans les esprits et la guerre israélo-libanaise est encore récente (2006). Aujourd’hui les contrôles sont fréquents dans les rues de Beyrouth, la violence quotidienne, la peur, la colère et le découragement omniprésents. Tout cela doublé d’un ras-le-bol grandissant pour les familles politiques dirigeantes, tellement poreuses aux puissances régionales. Une division en deux grands blocs qui s’opposent, dans ce qui ressemble plus à une lutte acharnée pour le pouvoir et ses avantages qu’à une bataille pour l’avenir d’un pays souverain.
Culture au quotidien Évidemment meurtris par le symbole d’une bibliothèque incendiée à Tripoli, nous savons que
la culture y est ancienne, diverse et fait partie du quotidien des libanais. Du Liban, on connaît sur le bout des doigts la gastronomie, du coin du tympan la musique, du bord des cils, la littérature. Khalil Gibran, Amin Maalouf ou encore Wajdi Mouawad ; Matar Muhammad, Rayess Bek, Yasmine Hamdan de Soapkills et les membres irrésistibles de Mashrou’Leila … Ballroom c’est le point de vue de la danse, alors ce sera de ce côté que nous irons voir si nous y sommes. Une fois encore, demandons-nous ce que nous connaissons déjà. Nous pensons à la danse du ventre, évidemment. Appelée Raqs al sharqi – danse orientale – dans sa forme classique ou Baladi – ce que l’on peut traduire par folklorique – dans sa forme populaire – cette danse ne se réduit pas aux ondulations hypnotiques du bas-ventre, summum de l’érotisme exotique. Il s’agit de savoir jouer des contractions de l’ensemble des muscles, d’explorer une grande souplesse du dos et une vaste amplitude avec des bras déliés. Une danse de tensions, prise entre la souplesse et la ligne d’une part et les contractions
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LIEUX DE CRÉATION Comme l’explique la chorégraphe Claire Sfeir, les tarifs des studios privés – environ 70 €/jour – sont prohibitifs pour la plupart des artistes. Mais il existe quelques lieux différents : le plus ancien, Zicco House propose des espaces pour la danse, le théâtre, la vidéo. Il y a également le festival Nehna Wel Amar Wel Jiran (Nous, la lune et les voisins) porté par le collectif Kahraba qui soutient la création. Mais également Mansion, une ancienne demeure bourgeoise de 800 m2 que le propriétaire, Imad Fawaz, met à disposition des peintres, metteurs en scène et chorégraphes en échange de travaux de rénovation ou pour des tarifs très amicaux. Rudimentaires mais spacieux, ces espaces sont animés par l’énergie de Sandra Iché, danseuse et Ghassan Maasri, architecte. Le collectif Zoukak loue un appartement à Furn el-Chebbak, en proche banlieue, dans lequel ses membres travaillent chaque jour et qu’ils prêtent à des artistes invités pour créer, répéter, donner des ateliers. La solidarité et la débrouille comme ciment d’une communauté artistique engagée en actes.
creusent leurs sillons. Nous pourrons en découvrir certains – mais aussi des musiciens, photographes et vidéastes – au Festival DañsFabrik du Quartz de Brest. La chorégraphe Yalda Younes, qui a un temps travaillé avec Israel Galván, est la commissaire de l’invitation faite à Beyrouth. Elle a choisit de titrer sa programmation Les Lucioles, une référence directe à Pier Paolo Pasolini qui a pensé longuement le rapport d’équilibre et de force entre les lumières éblouissante des puissants et les lueurs survivantes des contre-pouvoirs. Après avoir pris connaissance du travail de jeunes chorégraphes libanais, on pense plutôt à La Résistance des Lucioles de Georges DidiHuberman et à l’idée selon laquelle la disparition des lucioles n’a eu lieu que pour ceux qui ne sont pas au bon endroit pour voir leurs fragiles signaux lumineux éclairer la nuit.
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▸ et ondulations de l’autre. Précision importante :
il s’agit d’une des plus anciennes danses de l’humanité et les hommes la dansent également depuis son origine. Jetons un oeil à une danse de groupe appelée Dabkeh – coup de pied. Une danse en ligne pendant laquelle femmes et hommes croisent leurs pas puis frappent le sol, menés par un chef d’orchestre qui peut laisser libre cours à l’improvisation. Nous retrouvons là la répétition hypnotique et la puissance de danses attachées aux cérémonies humaines, aux rites dont les significations s’effacent mais pas la force.
Arrêt sur image Qui sont aujourd’hui les danseurs de la ville ? Que font-ils ? Les boites de nuit sont pleines à craquer, la jeunesse se défoule de manière quasi maladive et la fête est étroitement liée à la danse mais aussi à l’alcool. Un besoin d’exutoire, de défoulement, d’expulsion des tensions accumulées par la violence de la ville, l’insécurité de leur avenir, l’instabilité des repères. Et les créateurs ? Au milieu des reconstructions permanentes, les chorégraphes contemporains
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Si chacun travaille une matière dansée qui lui est propre, si les esthétiques sont différentes ; force est de constater que ces créateurs s’ancrent dans un engagement politique et social solide. Alexandre Paulikevitch cherche à faire entrer dans les théâtres la beauté volcanique d’une danse orientale prisonnière des cabarets. Cela ressemble à une métaphore faite danse et on ne dira jamais assez combien une métaphore peut sauver des vies. Il affirme avec simplicité qu’il place sa danse au cœur de la ville même, avec le souhait de la confronter directement aux événements politiques majeurs et mal compris qui secouent la région. Danya Hammoud, qui parle d’une quinzaine de chorégraphes aujourd’hui à Beyrouth, estime que la création chorégraphique libanaise monte ses fondations, se libérant de l’imitation, de l’importation, des références inappropriées. L’indépendance et l’ouverture d’une danse dont les créateurs sont nomades, citoyens du monde à l’ancrage solide. Caroline Hatem souligne que la plupart des pièces créées à Beyrouth portent « un discours contextualisé, ce que j’apprécie d’ailleurs : la situation arabe, les femmes, l’enfermement, l’absence de politique, etc. ». Une métaphore, encore : la pièce que Khouloud Yassine présente à DañsFabrik s’intitule Le Silence de l’abandon. Elle piège le spectateur dans
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son regard, crée un lien inévitable avant de disparaître, définitivement.
NOUS SOMMES À BREST EN 1982. JUIN EST INSOLENT, LA RADIO AUSSI.
Et s’il n’existe pas un courant de la danse contemporaine libanaise, il est toujours bon de rappeler que la danse, comme l’exprime avec justesse Aurélien Zouki, « est forcément traversée de tout ce dont nous sommes l’héritage, de tout ce dont nous nous faisons l’éponge en étant présent physiquement à Beyrouth et dans le reste du pays, et de tout ce que cela peut nourrir en nous d’aspirations. Notre corps et nos mouvements sont chargés de ces mémoires récentes, anciennes, oubliées ou niées, des incursions violentes, des absences accumulées, et des nouvelles forces qui s’inventent en nous pour maintenir toujours un souffle. » Son travail à la croisée du théâtre, de la danse et de la marionnette bouscule les genres pour poser la question de nos responsabilités face aux relations humaines boiteuses sur lesquelles nous laissons se construire nos sociétés.
« En Bretagne, la bataille de Brest fait rage mais les efforts diplomatiques se poursuivent pour tenter d’éviter la guerre civile … » Les ruelles de la ville, étouffées ; Brest égrenait les bottes de l’envahisseur sur les rives de la Penfeld. On entendait au loin des chevaux hennir. Rumeur de massacre, doux comme le chant des oxymores, perfide comme des alexandrins blafards. Allitérations écorchées, alphabet atrophié. Du fond de mon abri, prostré dans une arrière boutique de la rue de Siam, je faisais fi du monde. N’était cette chanson lancinante: « Each man kills the things he loves ». Dans mes mains, un livre, « Querelle de Beyrouth ».
1 LE SILENCE DE L’ABANDON DE KHOULOUD YASSINE. PHOTO : ALI BEIDOUN
« Nous sommes à Beyrouth en 1982. Il fait Juin dans le monde. Au Liban, la bataille de Beyrouth fait rage mais les efforts diplomatiques se poursuivent pour tenter d’éviter la guerre civile … » Nasri Sayegh pour Ballroom
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TERRITOIRES DE DANSE
BEYROUTH – BREST UNE POÉTIQUE DU CORPS (SUR)EXPOSÉ Troisième édition pour ce temps fort de la danse à Brest, dans sa formule réinvestie par Matthieu Banvillet, directeur du Quartz. Pourrait-on dire qu’il atteint là une vitesse de croisière ? Oui, si l’on en croit la place qu’il donne à son artiste associé Mickaël Phelippeau, aux valeurs sûres comme Maguy Marin, aux créations de danseuses-chorégraphes identifiées, ou aux poils à gratter prompts à démontrer que rien n’est établi. Mais c’est sans compter la présence de la danseuse libanaise Yalda Younes, qui déjoue l’invitation en offrant un regard ouvert sur les formes et sur ce que peut être l’identité libanaise dans la création. Par Nathalie Yokel.
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ffirmer la danse. Appuyer sa présence dans une ville. Ce sont les idées fortes sur lesquelles repose Dañsfabrik, festival hérité du précédent Antipodes créé par Jacques Blanc. Chaque nouvelle édition est l’occasion de mettre le focus sur une région du monde – ici le Liban. La danseuse Yalda Younes en est aujourd’hui l’inspiratrice. Ses propositions cherchent à prévenir tout écueil en allant au-delà de la notion identitaire, ou de l’enfermement dans une forme ou une esthétique. Après tout, que danse-t-elle elle-même quand elle martèle le sol dans NON de Zad Moultaka ? Les balles qui pleuvent sur Beyrouth ou les ravages des guerres ? Que montre-elle dans Je suis venue avec Gaspard Delanoë ? Le conflit israélo-palestinien ou l’absurde séparation entre les peuples aujourd’hui ?
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S’engager en tant qu’artiste sans endosser le rôle de porte-drapeau, défendre une parole poétique profondément ancrée dans une réalité tout en pointant l’universel, voilà l’angle qu’elle défend en invitant des danseurs, des musiciens, des plasticiens, photographes, vidéastes … Ce qui les unit peut-être : leur façon d’exposer le corps. C’est un corps d’emblée et tout le temps exposé, qui subit beaucoup, et résiste considérablement.
Libérer le corps A chacun sa manière. Khouloud Yassine, elle, sourit. Une grâce qu’elle s’octroie, comme une danse du petit rien qui devient vite essentielle. Son Silence de l’abandon aurait pu se cantonner
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ASOBI (JEUX D’ADULTE) DE KAORI ITO. PHOTO : CHRIS VAN DER BURGHT
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▸ à une chorégraphie musculo-faciale. Dans les
infimes variations de son visage, elle avance une certaine obstination, et déploie un jeu étroit entre futilité, nécessité et virtuosité de l’instant. Quant à Alexandre Paulikevitch et Nancy Naous, ils partagent une façon toute personnelle de puiser dans la danse même, à travers ses formes et son histoire. A l’instar du flamenco de Yalda Younes qui devient un langage contemporain, ils s’appuient sur le Baladi (danse orientale) et la Dabkeh (danse d’ensemble que l’on retrouve lors des fêtes et des cérémonies). Paulikevitch, danseur homosexuel en lutte contre les agressions directes et indirectes et contre toutes les maltraitances, déjoue tous les attendus de la « danse du ventre » avec Tajwal. Qu’en serait-il d’une révolution, si le corps lui-même n’était pas libéré ? Nancy Naous déconstruit le folklore et la joie communautaire pour placer côte à côte les corps de l’homme et de la femme. La violence de l’un envers l’autre ne fait que traduire la souffrance subie, de toute part. Le plateau leur offre le choix de l’immobilisme dans un fauteuil ou de l’explosion des corps dans la danse – subissement contre soulèvement. Sa pièce These shoes are made for walking, au-delà de la brutalité qui peut en surgir, met sa force et son humour au service d’un corps prompt à interagir avec les réalités qu’il rencontre.
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A côté, les musiciens de l’ensemble Alif, venus du Liban, d’Egypte, de Palestine et d’Irak, montrent à quel point les corps dépassent la notion de lieu. De même que Tanya Traboulsi, photographe dressée entre l’Autriche et le Liban : son exposition Home défait ce qui peut être le « chez soi ». Un arbre, un souvenir, un paysage, les traces d’une culture ?
Fenêtre ouverte Ces traces, la cinéaste Ranwa Stephan les a compulsées, puis déconstruites dans le film Les trois disparitions de Soad Hosni, en hommage à la célèbre actrice égyptienne. En montrant ce travail, Dañsfabrik prolonge un certain regard – ici, sur le sort d’une femme libre dans le monde. Mais ces femmes et ces hommes du festival oeuvrent ensemble pour que la fenêtre ouverte sur cette région du monde ne soit pas celle de minorités ou communautés en lutte, mais encore au-delà, d’une humanité en marche. Les autres spectacles qui s’inscrivent dans la programmation du Festival en marge des propositions de Yalda Younes participent de la dynamique habituelle du Quartz : des créations, une grande forme du répertoire (Cendrillon de Maguy Marin), des jeunes auteurs, des perturbateurs, des découvertes … Bien sûr, le corps dont ils travaillent la matière n’a rien du corps (sur)exposé à l’oeuvre
1 TAJWAL DE ALEXANDRE PAULIKEVITCH. PHOTO : CAROLINE TABET 2 POUR ETHAN DE MICKAËL PHELIPPEAU. PHOTO : MICKAËL PHELIPPEAU
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chez les artistes libanais. Mais ce qu’ils tentent parfois, c’est justement d’en déplacer l’exposition et la représentation même. Mickaël Phelippeau, lorsqu’il travaille sur le mode de la rencontre avec des personnes qui ne sont pas des danseurs, cherche comment le lieu de la représentation peut se défausser de ses propres modèles. Avec Set-up, sa nouvelle création, il va plus loin en faisant du lieu et du plateau un personnage à part entière : c’est lui qu’on habille et qu’on déshabille, en mettant en lumière ces instants cachés qui sont habituellement ceux de la technique. Mettre en scène cette transformation de l’espace à vue est l’enjeu de ce spectacle, habité par des danseurs et les musiciens du groupe Melody for Aliens. Quelles présences, pour quels gestes ? Quelle organisation, pour quelle utilité ? Quels déplacements, pour quelle danse ?
Actualité de la création Deux créations 2013 traduisent l’élan de deux danseuses magnifiques pleinement engagées aujourd’hui dans la chorégraphie. Kaori Ito, sous l’égide des Ballets C. de la B., livre Asobi, jeux d’adulte. Ici, la surexposition du corps est à lire dans l’idée du voyeurisme, des jeux de miroirs et de regards, du désir. Chez Maud Le Pladec, le désir est tout autre, qui guide les corps dans un dispositif
DAÑSFABRIK, FESTIVAL DE BREST, DU 17 AU 22 MARS 2014. 02 98 33 70 70 www.dansfabrik.com – www.lequartz.com
musical porté par les quatre batteries de l’ensemble TaCTuS. Democracy relie la danse contemporaine à la musique contemporaine … immersion pleine et entière ! En revanche, le décalage est total avec la nouvelle pièce de Martine Pisani. Elle réunit sur scène des interprètes fétiches de son parcours pour poursuivre son cycle « Relativité Générale » avec Rien n’est établi. Où la physique moderne côtoie les principes d’organisation gravitaire du corps dansant … A mettre en perspective avec le travail tout à fait métaphysique du belge Clément Thirion, qui brille en Klaus Nomi comme en homme préhistorique dans un [Weltanschauung] plus que déjanté ! Danse de l’espoir, danse du sourire, danse du regard, danse des zygomatiques, Brest poursuit l’expérience du mouvement, où qu’il demeure.
3 [WELTANSCHAUUNG] DE CLÉMENT THIRION. PHOTO : CHARLOTTE SAMPERMANS 4 THESE SHOES ARE MADE FOR WALKING DE NANCY NAOUS. PHOTO : MOHAMED CHARARA 5 ASOBI (JEUX D’ADULTE) DE KAORI ITO. PHOTO : CHRIS VAN DER BURGHT
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BALLET BLANC « Débauches de blancheur … » Sous influence romantique, le ballet ne pouvait que devenir blanc. Par Laurent Croizier
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uteur du livret de Giselle, Théophile Gautier adorait le blanc. Mieux, il ne put résister à la tentation de lui dédier quelques-uns de ses vers les plus enflammés. De fait, sa Symphonie en blanc majeur est un hymne à cette non-couleur, laquelle – n’en doutons pas – reflète, à elle seule, maints aspects de la sensibilité romantique. Car le blanc, c’est pêle-mêle la lune dont les pâles rayons déchirent la nuit ; les cygnes, oiseaux
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merveilleux qui hantent les peintures1, poésies2, opéras3 ou ballets ; la neige, visage glacial de la nature, mortelle et douce à la fois ; les anges, idéaux de beauté céleste ; la brume, gage de mystère, s’élevant des forêts sombres ; les hosties et les cierges, chemins du dialogue avec les cieux ; l’au-delà lui-même où règne la blanche lumière divine ; l’innocence ; la virginité ; le mariage ; les spectres, blancs quant à eux depuis l’Antiquité ; le sein maternel et le lait, réconfort et nourriture de vie ; la dentelle
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ISABELLE CIARAVOLA DANS GISELLE PHOTO : MICHEL LIDVAC
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▸ dont on recouvre corps et meubles ; la paix ; le lys
et le camélia blanc dont on se pare politiquement et esthétiquement ; l’albâtre et le marbre d’où jaillissent silhouettes et minois sculptés ; le teint, forcément blanc par élégance aristocratique – le bronzage étant l’apanage du paysan –, ou encore par fascination pour la mort qui offre au visage une envoûtante pâleur …4
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Et les théâtres, alors, exposeraient aux yeux médusés du public des « régals de chair nacrée, […] des débauches de blancheur »5 …
Sous influence romantique, le ballet ne pouvait que devenir blanc. Les âmes mortes, « wilis », esprits légendaires, formes éthérées et autres elfes ou sylphes hanteraient désormais la scène chorégraphique afin de traduire la sensibilité nouvelle. Les danseuses, elles, incarneraient ces êtres fantastiques, détachés de la pesanteur (d’où l’invention de la pointe) dont le caractère singulier se lirait invariablement dans le blanc. Blanc comme leur peau (cadavérique), blanc comme leur vêtement (tulle vaporeux traduisant l’impalpable, l’immatérialité, l’inaccessibilité), blanc comme leurs âmes (innocentes et pures) …
1 Citons la toile Cygnes dans les roseaux aux premières lueurs de l’aurore de Caspar David Friedrich (vers 1820). 2 En témoigne Le Chant du cygne de Sophie d’Arbouville tiré du recueil Poésies et Nouvelles (1840). 3 Songeons au Lohengrin de Wagner (1850). 4 Si, en 1797, dans Don Giovanni, Mozart contait de manière légère, la liste hallucinante des conquêtes féminines de son héros, les romantiques, eux, allaient peindre leurs amours de manière plus sombre en choisissant – singulier paradoxe – le blanc comme allié indispensable. Sans doute fallait-il éclairer la nuit ! Au siècle des Lumières succédait le romantisme. Au catalogue des belles, succédait le catalogue des blancs … La sensualité, elle, demeurait intacte … 5 Mots tirés du poème Symphonie en blanc majeur de Théophile Gautier (extrait du recueil Emaux et Camées, édition Charpentier, 1872).
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1, 2 ISABELLE CIARAVOLA DANS GISELLE (1) ET LA SYLPHIDE (2) PHOTOS : MICHEL LIDVAC
TRADITIONS
« Danser ces rôles avec son âme » Isabelle Ciaravola, une des plus éminentes Etoiles de l’Opéra de Paris nous dévoile son appréhension, son sentiment et son ressenti du ballet blanc. Sans oublier quelques détails techniques. Propos recueillis par Aurélien Richard.
C
omment abordez-vous, en tant qu’interprète, cette notion si particulière au ballet blanc de l’apparition ou du fantôme ? J’aime beaucoup ce côté immatériel du personnage, de chimère transcendant l’humain, surnaturel … Finalement, il faut danser ces rôles avec son âme et oublier son enveloppe corporelle … En quoi vous sentez-vous proche des rôles de Giselle ou de la Sylphide ? J’ai eu la chance d’interpréter le rôle titre de la Sylphide de Pierre Lacotte en 2004 en tant que première danseuse aux côtés de Mathieu Ganio. Cette prise de rôle reste pour moi un souvenir formidable. C’était la première fois que j’allais interpréter un rôle d’étoile ! J’ai adoré me fondre dans la peau de cet être très féminin, impalpable et espiègle. La séduction, dans ce rôle, est très présente, et la technique de bas de jambes extrêmement rapide et précise. La difficulté est de parvenir à allier cette vélocité du travail de jambes à la douceur et à la retenue du haut du
corps pour donner cet effet éthéré et aérien. Un des moments forts de ce ballet reste pour moi le moment fatal où la sylphide perd ses ailes, à cause d’un maléfice de la sorcière, et donc perd la vie. Ce moment est très touchant, car, elle qui était pleine de vie se vide petit à petit de son énergie jusqu’à son dernier souffle. Il me reste un souvenir très fort : lorsqu’en interprétant cette scène, je ramasse une de mes ailes tombées pour la porter avec une infinie tendresse contre ma joue où perlait une larme, consciente de ce qui va m’arriver … A ce moment du ballet, on ressent le profond amour qu’elle a éprouvé envers James, lui rendant avec émotion sa bague de fiançailles, lui rendant en quelque sorte la liberté alors qu’en réalité elle la perd. La découvrir tout d’un coup si sensible, si délicate dans l’interprétation de ses derniers gestes, ralentis par la perte d’énergie est, je pense, très puissant, l’ayant connu au fil du ballet très mutine, pleine de vie et dotée d’une rapidité extrême. Je garderai un merveilleux souvenir de ce rôle, que j’avais travaillé avec Pierre Lacotte ainsi qu’avec Noëlla Pontois …
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ISABELLE CIARAVOLA ET STEPHANE BULLION DANS GISELLE. PHOTO : MICHEL LIDVAC
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« Le fait de mourir chaque soir sur scène, c’est à la fois une sorte de jouissance, de grande émotion et de paix retrouvée. »
▸ Quant au rôle de Giselle, il reste un de mes rôles
fétiches. Je voulais faire ce rôle dans le seul but d’interpréter la scène de la folie à la fin du premier acte. Toujours ma quête de théâtralité qui ressurgit ! Mais en découvrant l’acte blanc, je me suis régalée. Rien à voir avec celui de la Sylphide. Giselle est beaucoup plus douce, bienveillante. Je la vois plus comme l’ange protecteur d’Albrecht, qui essaie de le sauver des griffes de Myrtha. Malgré de grandes désillusions qui la mèneront à la folie puis à la mort (elle est malade du cœur dès le début du ballet), elle pardonnera à son bien-aimé et l’empêchera de mourir à son tour. A l’inverse de la sylphide, Giselle est en quelque sorte une revenante, puisque décédée au premier acte. Elle ne vient pas torturer le prince, bien au contraire. Après beaucoup de fraicheur et d’entrain au premier acte, cette jeune paysanne naïve s’est transformée en une femme à l’esprit serein. Il m’a été très agréable de danser ce deuxième acte, de le penser comme si on évoluait dans de l’eau, en slow motion, de mettre en quelque sorte en veille tous les muscles du visage pour ne traduire mon ressenti que par l’expression de mon regard, une inclinaison de tête, un port de bras ou une présentation de pied. Le port du tutu long accentue la mise en valeur des pieds, et c’était un bonheur pour moi de leur accorder un soin tout particulier. Un moment très fort de ce deuxième acte, c’est lorsque les cloches se font entendre, indiquant le lever de soleil … Enfin, tous mes efforts à maintenir en vie Albrecht sont récompensés, car dès l’aube, nous autres wilis1 regagnons le royaume des ténèbres et laissons la vie sauve à tout homme égaré dans les bois. Ces wilis, toutes mortes de chagrin d’amour,
déçues un jour par l’impardonnable mensonge d’un homme … mais Giselle a pardonné … Quelles sont les exigences techniques requises pour de tels rôles ? Sincèrement, pour le rôle de la sylphide, il vaut mieux ne pas être trop âgée ! (rires), car les pas sont tellement rapides, avec beaucoup de petites batteries et de sauts … Giselle en revanche peut se danser relativement tard … même si l’on doit rester fraîche au premier acte, le deuxième acte est très différent de celui de la Sylphide. On doit avoir un grand contrôle de soi. Que représente pour vous le fait de mourir chaque soir sur scène ? Je ne saurais vraiment l’expliquer … C’est à la fois une sorte de jouissance, de grande émotion et de paix retrouvée … Une anecdote ou un souvenir particulier ? Oh la oui ! En parlant de Giselle, j’ai vécu le pire des cauchemars ! Nous étions en tournée avec l’Opéra en Australie. A cause du décalage horaire, j’ai eu une panne d’oreiller et c’est le téléphone qui m’a fait sursauter : il était 19 h, et tout le monde s’inquiétait au théâtre de mon absence alors que le spectacle commençait trente minutes plus tard ! Imaginez l’angoisse ! J’ai sauté dans un taxi, fort heureusement on a pu décaler le lever de rideau de quinze minutes, le temps que je me prépare … et hop, en scène ! Je ne le souhaite à personne, même si au final tout s’est bien passé !
1 Créatures fantastiques de la mythologie slave.
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EROS ET SATIN ROSE A la naissance du Ballet Blanc par Bérengère Alfort
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’allez pas dire que le « ballet classique » est ennuyeux et parle de tout sauf d’érotisme. D’abord, si le Lac des cygnes auquel on pense tout de suite est bien une œuvre « classique », il arrive longtemps après le « ballet romantique », qui, lui, signe les premiers pas du ballet blanc.
Drôle d’année pour une naissance Le ballet blanc a vu le jour à Paris, rue Le Peletier, à l’Académie Royale de Musique, qui avant de flamber et de céder la place à l’Opéra Garnier, était the place to be de tous les gens à la pointe : nobles (qui soufflent de ne s’être pas fait couper la tête une seconde fois à l’issue des barricades), bourgeois montants, et paysans, fer de lance de Louis-Philippe, roi des français de la Monarchie de Juillet. Le 12 mars 1832, a lieu rue Le Peletier la première de La Sylphide créée par Philippe Taglioni pour sa fille Marie. Au foyer, avant d’entrer en salle, les abonnés s’impatientent ; tous ont un droit de cuissage sur les danseuses, soigneusement
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sélectionnées par le Docteur Véron, directeur du lieu, qui compte dans son cahier des charges des danseuses plus légères de la cuisse que du mollet pour satisfaire les notables … Marie, qui a déjà œuvré pour la mise en avant de la danse avec son interlude Le ballet des Nonnes, dans l’opéra Robert le Diable, attend sagement son heure
▸
LE CORSET Cet objet fétiche issu du latin « corpus » qui signifie « corps » et qui se disait « cors » en vieux français apparaît au XVIème siècle pour les dames de la cour. Ce n’est qu’au début du XIXème que les ballerines s’emparent du corset. Si aujourd’hui on a tendance à penser que cet objet douloureux, composé de plusieurs épaisseurs de carton rigide et de baleines, rehausse la poitrine, il était à l’époque utilisé pour affiner la taille. En 1870 il s’assouplit pour céder dans les années 30 la place au bustier ou guêpière, réalisé avec un tissu élastique qui le rend beaucoup plus agréable à porter.
THE CELEBRATED PAS DE QUATRE COMPOSED BY JULES PERROT, AS DANCED AT HER MAJESTY’S THEATRE JULY 12TH 1845, BY THE FOUR EMINENT DANSEUSES CARLOTTA GRISI, MARIE TAGLIONI, LUCILE GRAHN & FANNY CERRITO. DESSIN DE ALFRED CHALON, MIS EN COULEURS PAR BALLROOM. SOURCE : BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE.
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▸ depuis sa loge. Tandis que l’épidémie de choléra
bat son plein, Marie, elle, lutte contre elle-même : « J’avais une maladie pulmonaire qui me forçait à me tenir droite, ainsi je priais tous les soirs pour la garder et ainsi conserver des postures gracieuses. » Icône plus qu’idole, incarnation de la souffrance transcendée en technique et beauté, parmi les premières à porter hauts et fiers corsets et chaussons de pointes, Marie est la sublimation faite femme. L’essence d’un érotisme lent et puissant, à coups de moelleux dans les réceptions des tours, contre le sex appeal sec et rapide de Fanny Elssler, créatrice de la « cachucha » ou danse de scansion ibérique des talons. Sur pointes, on vous dit, sur pointes …
Le sexe des anges Le rideau se lève. Depuis la chaumière où est assis un James songeur, à la veille de ses noces avec Effie, jeune fille fraîche et en pleine santé, mais peut-être trop simple pour provoquer en lui des fantasmes délirants, surgit la sylphide.
LES POINTES La première danseuse à monter sur pointes est Amelia Brugnoli en 1823, suivie de près par Geneviève Gosselin, mais c’est Marie Taglioni en 1832 dans La Sylphide qui leur donne leurs lettres de noblesse et leur notoriété. A l ‘époque, la boîte de la pointe est souple ce qui rend la pose très difficile et très brève. La pose ne se fait que sur des relevés. Il faut attendre les années 20 pour qu’un homme, le danseur burlesque Harriet Hector, les orne de semelles métalliques rigides, afin de tenir dessus et de faire des claquettes ! A la même période, certaines ballerines ont essayé les chaussons à roulements à billes mais l’histoire a choisi la rigidité.
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Les dés sont lancés : le naturel et le surnaturel font bon ménage, pour que, hallucination du désir à l’appui, l’intrigue ou du moins sa cohérence rationnelle éclate en mille morceaux. Le poétique prime sur le narratif. D’entrée de jeu, les dés sont pipés. Impossible de « croire » à l’histoire d’un être ailé qui passe du salon à l’arrière de la
« Deux corps qui s’enlacent racontent déjà une histoire. » maison en volant. Nous sommes dans l’abstraction chorégraphique, scénographie de Cicéri à l’appui. Or comme le dira Balanchine, « deux corps qui s’enlacent racontent déjà une histoire » … James est dans un entre-deux du rêve et de la réalité. La sylphide, ange ensorcelant malgré elle, lui monte littéralement à la tête, l’emportant en des rêveries inavouables qui le détachent d’un mariage qui, déjà, ne l’enchantait guère … Le plus beau pas de trois de l’histoire du ballet est sans doute à rechercher de ce côté-là : James dansant avec Effie, la sylphide au-dessus d’eux, qui voit les deux humains, alors qu’Effie, elle, ne voit que James … Symbole de la tromperie adultérine ? Plutôt principe du désir et recherche de l’absolu.
Phénomène érotique Et puis il y a Madge, la sorcière au chaudron magique, qui permettra à la sylphide d’être enlacée par James, mais provoquera en ce baiser la mort de l’être ailé et aimé. Dans l’acte de la forêt magique, où des dizaines de sylphides volent et glissent sur scène, en une machine infernale, James ne sait plus où donner de la tête. Le monde féminin, de ses ombres et de ses subtilités, lui est inaccessible. Désir et plaisir ne font jamais bon ménage. « La profonde amertume
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Marie Taglioni, portrait d’époque « Le début de Marie Taglioni fit époque dans l’histoire de la danse : ce jour-là, la décence et la volupté découvrirent qu’elles étaient sœurs ; Marie Taglioni devint l’objet d’un culte ; les journaux l’admiraient et l’admirent toujours, sous les noms d’admirable, d’inconcevable, de prodigieuse, d’inimitable. Pour rentrer dans la langue de la danse, dans l’expression technique de la chorégraphie, nous dirons que son talent diffère de celui qui est mécaniquement consacré sur notre scène, en ce qu’il offre l’assemblage impossible des grâces d’habitude au théâtre,
et de celles qui sont obligées dans le monde. Sa danse est tout ensemble celle de l’Opéra et la danse des salons. Par cette fusion opérée avec autant d’art que de naturel, les lignes télégraphiques, les figures géométriques disparaissent ; plus de ces poses laborieusement voluptueuses, plus de ces scènes soit-disant lascives qui se jouent avec le sourire et les yeux ; plus de coudes pointus, de poignets cassés, de petits doigts détachés ; en un mot rien qui sente le travail d’une profession, les artifices d’un métier ou le caractère d’une école. Toutes ses proportions sont pleines d’harmonie ; elle dessine, dans son ensemble, des contours délicieusement arrondis ou des lignes d’une pureté admirable. Il y a dans
1 MARIE TAGLIONI, ILLUSTRATION: LOTHAR RUTTNER D’APRÈS UNE LITHOGRAPHIE DE FRANÇOIS SÉRAPHIN DELPECH, 1837.
toute sa personne une souplesse remarquable, dans tous ses mouvemens une légèreté qui l’éloigne de la terre ; si on peut l’exprimer ainsi, elle danse de partout, comme si chacun de ses membres était porté par des ailes. En un mot, elle n’a pas fait de la danse un métier pour arriver à la fortune, un art pour s’en faire une gloire ; la danse en elle est un don de la nature, un instinct, un génie. Marie Taglioni est et restera le type idéal du genre gracieux, le modèle de la perfection. » Jules Canonge. Extrait de « Les Adieux à Mlle Taglioni, suivis d’une Notice biographique sur cette célèbre danseuse ». Paris, 1837
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LE TUTU C’est en 1784 qu’apparaît sur scène, porté par Marie Sallé, le premier tutu. Cinquante années plus tard, à la création de La Sylphide, Marie Taglioni immortalisera ce vêtement de danse qui ne portera ce nom de tutu qu’en 1881. Il tirerait son origine du mot « tulle », ou pour certains historiens de « panpan tutu » car les abonnés de l’Opéra de Paris avaient un droit de cuissage sur les ballerines. Pour d’autres encore carrément de « cucul » ! A l’origine de 50 à 60 centimètres de hauteur, tenus par une ceinture de 15 centimètres de large, il devient au milieu du XIXème siècle « l’uniforme » des danseuses des écoles de danse. Sa longueur diminue progressivement : en 1890 il passe du mollet au genou puis, après la seconde guerre mondiale, autant pour des raisons économiques que par le choix des chorégraphes, il laisse voir toutes les jambes. Emma Livry, élève de Marie Taglioni au XIXème siècle, mourra de la longueur de ces deux rangs de tarlane et de tulle qui n’ont pas résisté à un incendie à l’Opéra où elle sera brûlée vive …
▸ d’un amour torturant se révèle une sensation aussi
tonique et aussi grisante que sa consommation la plus extatique » écrivait Nabokov. La sylphide meurt, non de s’être fait tromper comme dans Giselle, non d’avoir été déçue comme Odette dans Le Lac des Cygnes, mais simplement d’avoir tenté de pénétrer dans le monde ordinaire des mortels. Le spectateur, qui n’a pu croire un seul instant en ces abracadabrantes mises en scène où réel et imaginaire se mêlent, ressort ému certes, mais surtout grisé par le moelleux des tours, la souplesse des pas, la célérité des sauts sur pointes, en un mot la technique pour laquelle ici tout n’est que prétexte. Pour Jean-Christophe Maillot « La pointe élève la femme au-dessus de sa féminité naturelle et fait d’elle une créature de désir impossible ». Kenneth Mac Millan,
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qui fera danser Lynn Seymour jusqu’à l’extrême, faisait de la pointe un instrument d’expression des sentiments troubles qui, selon Lynn Seymour, symbolisait l’expression sex and violence. Ce n’est pas que seule l’abstraction provoque le fantasme, mais il s’agit plutôt de l’exigence acérée de tenir sur pointes avec le minimum de points d’appui et le maximum de force, le tout avec le moins de « corporéité » possible.
« La pointe élève la femme au-dessus de sa féminité naturelle et fait d’elle une créature de désir impossible » La Sylphide, qui fit rêver Hugo, Gautier, Musset, est aussi à l’origine des premiers régimes des bourgeoises du XIXème siècle, mais également d’étoles, de crèmes parfumées pour le corps, jusqu’à l’affligeante ligne de produits fromagers de notre siècle … A l ‘époque, Louis-Philippe apprécia modérément que Marie se fasse offrir tant de fleurs et de compliments, la couleur blanche de la madone rappelant trop au souverain sa lignée royale en des temps démocratiques controversés … Marie Taglioni faisait rêver. C’est là que réside le danger pour une société qui se veut de consommation et sans complications. Un être sur pointes plante le décor d’une suspension, d’un inassouvi, d’un inachèvement dans la perfection même. Virginal et rougissant, plutôt promesse que préhension, le phénomène érotique remonte bien au Ballet Blanc.
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UN BALLET BLANC-CASSÉ Comment adapter à la scène d’aujourd’hui vivre un ballet blanc classique? Une réponse avec « Lac » de Jean-Christophe Maillot. Par Bérengère Alfort.
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epuis la version inaugurale de Petipa et Ivanov, grisés par la partition dramatique et entrainante de Tchaïkovski, Le lac des cygnes a connu gloires et avatars …
Notre problème est de savoir comment, après l’émergence du ballet blanc à la période romantique, puis le classicisme instauré par Marius Petipa à la fin du XIXème siècle, on peut aujourd’hui faire vivre
1 LAC DE JEAN-CHRISTOPHE MAILLOT. PHOTO : ALICE BLANGERO
un Lac des cygnes moderne, tout en conservant son authenticité. Avec Lac, le chorégraphe Jean-Christophe Maillot prouve une fois de plus qu’il est précurseur en matière de dépoussiérage des poncifs, clichés, liés à l’historicité d’un ballet devenu mythique, et qui a connu maints galvaudages … Depuis son Roméo et Juliette, jusqu’à sa Belle, le directeur artistique
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TRADITIONS
▸ des Ballets de Monte-Carlo casse le blanc du ballet académique pour en faire ressortir la netteté d’un érotisme foudroyant et la profondeur des tentations malsaines qui hantent tout un chacun.
Foisonnement de signes C’est qu’en assistant à son Lac – la sobriété du titre ne vous aura pas échappé – vous ne trouverez pas force cygnes, mais un foisonnement de signes. Lesquels ? Rien d’autres que ceux du Bien et du Mal, mais, dans la lignée de Nietzsche, par-delà les catégories usuelles. Bernice Coppieters, incarnation de la figure du Mal, fascine, envoûte, détruisant tout sur son passage. L’hyménée du Prince avec le cygne blanc finira par une mort orgasmique à deux, comme celle de Roméo et Juliette, orchestrée en puissance par la montée dionysiaque de la férocité de l’ange déchu, le démon que campe Bernice Coppieters. Ici le thème de la noirceur des sentiments troubles
et troublant l’ordre blanc d’Odette, cygne blanc, apparaît dans la pièce sur un mode constant et perturbant tout au long des quatre actes.
Messe noire Après un prologue en clin d’œil à Casse Noisette, avec des enfants qui font la part belle aux désirs malsains enfouis dans notre inconscient, advient la messe noire d’un double maléfique, celui d’Odile, cygne noir, qui plante le décor. Avec le Lac de Maillot, tout n’est que prétexte à une apologie des sentiments et des attractions charnelles … précisément par-delà le Bien et le Mal. Bernice Coppieters habite ainsi l’espace démoniaque d’un tableau de chasse ravageur : le mal pour le mal, la vengeance, le plaisir de gagner, séduire ou tromper, prend le dessus. Face à elle, la blancheur de la virginale idylle du cygne blanc au Prince se fane,
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et, si l’amour ne périt pas, il est synonyme de mort. Le cygne blanc, tout comme Giselle dans la scène de la folie du Giselle de Coralli et Perrot, meurt cheveux aux vents, détachés, égarée dans sa quête de pureté absolue perdue d’avance … La modernité du ballet blanc, ici, tient à la force des expressions des interprètes, véritables artistes chorégraphiques, ainsi qu’au jeu théâtral de Bernice Coppieters, soutenue par une compagnie qui préfère faire envie que pitié : provoquer des spasmes érotiques plutôt que de s’enliser dans une technique obsolète. Et puis on ne change pas une équipe qui gagne : avec Ernest Pignon-Ernest à la scénographie, Philippe Guillotel aux costumes, pour ne citer qu’eux, a lieu tout comme avec la Belle, la confrontation de deux mondes bien marqués ; le monde virginal du cygne blanc est rond, vaporeux, éthéré, évanescent, tandis que le monde noir emmené par Bernice Coppieters n’est qu’outrage, volupté incandescente, folie, excès, nourri d’une envie de nuire et de gagner pour se prouver sa propre existence. Ainsi, le noir du Mal l’emporte sur l’immaculée conception du ballet blanc romantique puis classique. La volonté de puissance, la méchanceté gratuite ou pire, pour assouvir son plaisir, la perversité d’un chemin que le cygne noir parsème d’embûches, ont leur heure de gloire.
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C’est que le Mal du monde d’Odile vainc non pas la véritable blancheur divine d’Odette, mais l’idolâtrie d’un amour qui n’en a que le nom. Car le cygne blanc de Maillot n’est pas sans taches. Tout comme le monde noir, il n’existe au fond que par un désir de sexe trouble, une envie de se trouver en se perdant, une ambiguïté démoniaque. Bref, une icône noire sous les traits de l’immaculée conception … Blanc, dites-vous ?
1– 3 LAC DE JEAN-CHRISTOPHE MAILLOT. PHOTOS : LAURENT PHILIPPE (1, 2), ALICE BLANGERO (3)
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ETAT DES LIEUX
ENTRETIEN AVEC
MATHILDE MONNIER Après vingt ans passés à la direction du Centre chorégraphique National de Montpellier, Mathilde Monnier prend la direction du Centre national de la danse. Autre maison, autre projet. Entretien réalisé par Énora Rivière et Aurélien Richard.
« Ce qui a motivé mon désir de proposer un projet pour le Centre national de la danse, c’est d’abord l’expérience que j’ai eue en tant que directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon (CCN) pendant vingt ans, expérience qui m’a permis non seulement d’exercer mon travail d’artiste mais aussi d’ouvrir le CCN à de très larges activités. Ce lieu a été un observatoire et un laboratoire incroyable pour la danse. Le dynamisme de la région, son histoire et son rapport particulier à la danse, mais aussi l’accueil et
PHOTO : TRISTAN JEANNE-VALÈS
la présence d’étudiants pendant toutes ces années au CCN, tout cela a contribué à aiguiser mon regard sur la profession. Mon arrivée en 1994 correspond à une période féconde au cours de laquelle les artistes ont engagé une réflexion productive sur les conditions propices au développement de leur projet. Nous avons alors assisté une véritable mutation dans les processus de travail que j’ai tenté d’accompagner du point de vue des conditions de diffusion, de production, de monstration des œuvres. Toutes
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▸ ces questions ont été posées en acte avec toute
l’équipe du Centre chorégraphique : la formation, la transmission, la programmation, le public.
Au fur et à mesure des années, je me suis rendue compte que l’histoire du CCN de Montpellier prenait forme mais j’ai aussi commencé à y voir des limites. Une limite d’abord territoriale dans la mesure où chaque Centre chorégraphique s’inscrit dans une région, imposant elle-même son propre périmètre, sachant que l’histoire institutionnelle de la danse en France est très différente d’une région à l’autre. Une limite éthique dans le sens où cela me paraît impudique de rester dans un lieu longtemps, moi-même j’y suis restée bien au delà de ce qu’est la récente limite légale des mandats des directeurs. Une limite artistique aussi, puisqu’à un moment donné, en tant qu’artiste, se pose la question de la capacité ou de la possibilité de se renouveler. Et puis, une limite financière parce que nous avions atteint un fonctionnement maximum. Aujourd’hui, les Centres chorégraphiques rencontrent de plus en plus de difficultés à générer de nouvelles ressources. La mesure accueil studio est plafonnée par l’Etat depuis la création du dispositif en 1998. Les coûts augmentent tandis que la marge artistique stagne ou diminue et je pense que cela est valable pour tous les CCN ces dernières années. A Montpellier, nous avons disposé, à un moment, de plus de 160.000 euros pour engager des coproductions et des résidences. Aujourd’hui, avec une enveloppe réduite de moitié, cela devenait difficile pour Jean-Marc Urrea, directeur délégué du CCN et moi-même de nous projeter sur de nouveaux projets. En termes de fonctionnement cela a créé une grande distorsion.
Toutes ces réflexions m’ont amenée à faire un choix : soit redevenir une compagnie indépendante afin de poursuivre mon travail d’artiste, soit développer quelque chose de plus vaste et dans ce cas il me fallait aller vers un autre projet, une autre perspective. J’étais aussi
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arrivée au bout d’un cycle, d’une époque artistique. Il y avait eu un premier cycle au moment de la manifestation « Potlatch, dérives » dans les années 1998–2000 qui a entrainé une restructuration de la compagnie et puis un autre cycle jusqu’à mon départ fin 2013, lié à la formation ex.e.r.ce et sa refondation en master1. En arrivant au bout de ce projet institutionnel, j’arrivais aussi au bout d’un projet artistique. Mais je dois dire aussi que « l’aventure Montpellier » a été très satisfaisante et incroyable à tous les niveaux, pour mon travail d’artiste, pour l’équipe qui n’a cessé d’inventer, pour les 160 étudiants et artistes qui sont passés à ex.e.r.ce, pour le rapport à la ville et la région et aussi pour ma vie. Mieux vaut partir quand tout va et laisser un outil en pleine forme pour un(e) futur(e) successeur(e). Après trente années d’expériences artistiques et de tournées en France et à l’étranger, je mets mon travail de chorégraphe en veille. Mais en réalité, le Centre national de la danse est aussi un projet d’artiste.
Après deux directions différentes et des réorganisations, les équipes du CND ressentent le besoin de mieux travailler ensemble. Aussi, ce qui me semble important aujourd’hui et c’est le point de départ de ma réflexion, c’est la coordination des équipes autour d’un projet fédérateur, transversal pour permettre à tous d’avoir plusieurs objectifs de travail commun. Depuis mon arrivée, j’ai pris le temps de rencontrer les équipes pour les écouter et échanger sur leurs modalités de fonctionnement, sur la manière dont ils perçoivent leurs postes, leurs perspectives, leurs attentes. De fait, la programmation étant arrêtée jusqu’en juin 2015, cela nous permet d’avancer et d’évoluer ensemble sereinement. Cela fait un mois et trois semaines que j’ai pris mes fonctions. Je commence à me sentir bien, j’apprécie beaucoup les équipes, il y a de grandes compétences, des personnes attentives et hautement qualifiées. La maison a envie d’évoluer et je me sens accompagnée. S’agissant du cahier des charges, la lettre de mission sera en partie adaptée au projet que j’ai écrit. Cela pose d’emblée une différence importante dans la mesure où j’arrive avec un projet et j’ai été nommée
Remettre l’artiste au cœur du cela CND, signifie privilégier les résidences d’artistes mais sous un autre mode de fonctionnement. Une des idées est de mutualiser plus de moyens autour des artistes en collaborant avec plusieurs autres institutions ou structures. L’enjeu est pour le CND d’accompagner des artistes sur deux ou trois années et de parvenir à les associer à la réflexion du fonctionnement de la maison. Cela pourrait impliquer par exemple la présence d’un artiste missionné trois mois par an pour réfléchir avec l’équipe pédagogique. L’idée est non pas de plaquer une pensée institutionnelle sur une pensée artistique mais de voir comment la pensée de l’artiste peut insuffler l’institution.
pour le mettre en œuvre. Le contrat de performances et les indicateurs seront donc liés à la lettre de mission et au projet. Pour le moment, le contrat de performances court jusqu’à la fin de l’année 2014. A partir de 2015, les missions ne seront pas modifiées mais ce sont les objectifs qui évolueront et seront définis par le Ministère conjointement au projet. Deux personnes rejoignent l’équipe, Jean Marc Urrea qui est en charge du projet global à mes côtés et de la coordination des équipes (il est actuellement à mi-temps puisqu’il assure la transition au CCN de Montpellier), et Aymar Crosnier qui est en charge de la création et de l’international.
ILLUSTRATION : CÉCILE TONIZZO POUR BALLROOM
Un autre axe s’articule autour de la notion de commande. Une des idées importantes, qui verra le jour au dernier trimestre 2015, s’intitule « le CND s’expose » dont l’enjeu est de mettre en pratique l’archive, afin de potentialiser ce que la maison détient en terme de ressources patrimoniales. Des commandes seront adressées à des chorégraphes, à des danseurs, des critiques, des chercheurs, des artistes visuels ou issus d’autres domaines autant sur le champ du contemporain, que celui du baroque ou encore du hip hop. Il s’agira de leur demander de réfléchir à des questions partitionnelles, de travailler sur des archives, des textes et ce, non pas pour « faire événement » ou être dans le fantasme de « sortir des trésors souterrains », mais de penser l’archive comme une pratique expérimentale qui permette de créer des écarts de perception, de remettre en jeu son propre regard sur l’histoire, elle-même en perpétuel mouvement. Ce projet doit aussi être pensé dans une perspective de présent : comment notre regard sur l’histoire est aussi une façon de regarder la scène contemporaine.
Dans cette même perspective, je souhaite continuer à réfléchir avec mon équipe à l’éducation artistique et culturelle. J’ai commencé à écrire un projet intitulé « J’ai la mémoire qui danse », qui stimulerait le potentiel mémoriel de l’enfant, de ses souvenirs et donc de ses traces. Replacer l’enfant au cœur du dispositif et non pas présupposer à sa place. Avec tous les outils dont
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▸ disposent les danseurs et les médiateurs, qu’ils
soient créatifs, sociologiques, anthropologiques, cognitifs ou encore kinesthésiques, ceux-ci sont en mesure d’aider l’enfant à parler de la manière dont il voit l’espace, dont il vit son geste, dont il se représente le monde. De même, au niveau pédagogique, nous allons proposer dès juin 2015 un Campus qui serait un rassemblement de danseurs sortis des écoles supérieures et ouvert aux professionnels, comme un lieu de rencontre annuelle de deux ou trois semaines, en partenariat avec des écoles d’art nationales et internationales. Ce Campus sera pensé comme une plateforme d’échanges où il sera possible de prendre des cours, rencontrer des chorégraphes, assister à des conférences, montrer des travaux, des pièces achevées ou en cours.
Avec une grande salle de 139 places et deux plateaux plus petits, nous pouvons programmer des longues séries, ce qui permet « le bouche à oreille » pour le public et donne aux artistes la possibilité de jouer sur des temps plus longs. Le CND comme lieu d’hospitalité est aussi un thème majeur. Nous allons repenser, réorganiser l’espace, modifier le mobilier, créer un véritable espace d’accueil où le public pourra rester, s’asseoir, boire un café en feuilletant des livres et des journaux. Il faut laisser au public la possibilité d’être juste là, de passage et ne rien faire, c’est très important. Il s’agit de retravailler le rapport intérieur-extérieur.
Il est vrai que je suis identifiée à une certaine esthétique mais mon idée est de travailler dans l’ouverture. Il s’agit de présenter des artistes différents, des personnalités qui ont des choses à dire. Il faut avoir constamment en tête cette
idée : quel est le meilleur moment pour montrer telle pièce, tel artiste, comment, dans quel espace, dans quelles conditions, pourquoi, dans quel contexte, comment accompagner un travail et comment accompagner le public dans ses interrogations, dans la compréhension des œuvres. Soutenir le développement de la danse africaine est très important et c’est quelque chose que j’ai toujours fait depuis 1992 mais il faut aussi se mettre au diapason de l’international en stimulant les échanges et les partenariats au sein du champ chorégraphique et en lien constant avec les autres arts.
Parce qu’il y aura toujours plus de compagnies, le CND doit donc faire preuve, à cet endroit, d’exemplarité au niveau des budgets, du temps et des conditions de travail, c’est à dire ne pas être dans une politique de saupoudrage mais décider de ne pas descendre en dessous d’un montant décent de co-production, présenter les pièces plus de deux fois, accompagner véritablement l’artiste et donc mettre en place un certain nombre de dispositifs autour de lui, montrer que l’on peux travailler différemment et être assez volontaire dans cette exemplarité. Dans ce sens, il faut aussi se poser la question de comment aller plus loin dans la reconnaissance de la danse en tant qu’art et comment augmenter notre audience publique, la danse doit pouvoir être sur un terrain d’égalité avec les autres arts en terme de budgets, de jauges, de séries, de reconnaissance. L’idée des rétrospectives d’artiste va dans ce sens : inscrire les artistes contemporains dans une certaine histoire. De même, j’aimerais mettre en place davantage de résidences de chercheurs, développer un nouveau projet éditorial en direction du grand public et un projet de publication plus pointu de chercheurs. Il y a beaucoup d’idées de projets. Maintenant, il nous faut les mettre en œuvre concrètement dans les mois qui suivront. »
L’entretien a été réalisé le 14 février 2014 au Centre national de la danse et retranscrit par Énora Rivière. 1 Ex.e.r.ce est une formation universitaire créée en 1998 par Mathilde Monnier à Montpellier donnant aujourd’hui un diplôme de niveau Master.
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LA DANSE EN PARTAGE Qu’est-ce qui a fait danse, ou plutôt la danse depuis quarante ans ? Des figures, bien sûr, des personnalités, souvent. Si Mathilde Monnier a traversé cette aventure, c’est en revêtant, à sa manière et selon les époques, les habits de la danse contemporaine. Toujours du cousu main, que ce soit dans un petit atelier de confection ou une maison de haute couture. Par Nathalie Yokel.
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efaire l’histoire de Mathilde Monnier revient aujourd’hui à croiser à la fois le cheminement dans une œuvre, le développement d’un champ artistique dans l’institution française, et l’histoire d’un art. Trois sillons qui participent de
1 SOAPÉRA DE MATHILDE MONNIER. PHOTO : MARC COUDRAIS
la construction d’un espace où la danse s’autorise à assumer sa prise de liberté, pour devenir une expérience de l’inter-relation et du faire ensemble. Passer par la communauté, certes, mais dans un devenir collectif, une construction publique.
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Sur les fronts de deux décennies de création
▸ Cette mise en commun, on peut la lire rapidement
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dans la démarche de l’artiste. Il faut d’abord dépasser le portrait austère lié à la figure tutélaire du chorégraphe ou de la directrice et s’arrêter sur les jeux d’associations qui posent les jalons de son parcours : Il y a la Monnier-Duroure, la Monnier-Antigone reliée à l’Afrique, la Monnier des grands plateaux et celle des simples duos, la Monnier de l’Agora, la Monnier du Potlatch et de l’ex.e.r.ce … Chez toutes ces Monnier, Mathilde n’est jamais seule. Tous les lieux inventés et habités le sont au travers d’interprètes, de groupes, de rencontres, d’amateurs, d’artistes, d’auteurs qui contribuent à rendre collectif et public son espace d’intervention. Marie-France, l’héroïne du film Bruit Blanc de Valérie Urrea (1998), rend compte à sa façon et sans concession des interstices dans lesquelles Mathilde se glisse pour provoquer la rencontre. Comprendre l’autre. Les années 90 sont pleines de cette envie, qui lui ouvrent les portes des hôpitaux en dialogue de corps avec des psychotiques. C’est le temps des grands spectacles comme L’Atelier en pièces (1996), où l’individu se démarque de l’enfermement par le groupe, suivi par Arrêtez, arrêtons, arrête (1997) qui questionne la part d’autobiographie et de fiction dans les errements de chacun, jusqu’aux Lieux de là (1998), formidable jeu de construction/ déconstruction de la masse, où la tentative d’une société fait œuvre. Auparavant, c’est en Afrique que Mathilde est allée puiser dans la question du partage : son Antigone (1993) préfère confronter les langages et les hommes. Sur les plateaux, les interprètes africains et occidentaux bouleversent l’idée même de métissage pour la rendre obsolète. Ses questionnements d’alors sur les lieux de l’humain semblent bien loin de ce qui l’a constituée,
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1 DEROUTES DE MATHILDE MONNIER. PHOTO : MARC COUDRAIS
jeune danseuse des années 80, et pur produit du mouvement d’explosion de la jeune danse. Elle part à New York se former auprès de Merce Cunningham, apprenant la rigueur de la forme et de l’abstraction. Mais c’est avec sa disciple Viola Farber qu’elle fait ses armes, engagée dans la compagnie de la nouvelle directrice du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers … qu’elle quitte en transfuge pour le trublion François Verret, chorégraphe invité à faire prendre au groupe d’interprètes quelques chemins de traverse. Mais c’est sans doute au nom de Jean-François Duroure que celui de la chorégraphe est alors le plus souvent associé : en véritable tandem, les deux « enfants gâtés » forment la compagnie De Hexe, et c’est une danse pétillante, joyeuse, presque théâtrale qui est mise au jour, bien dans l’air du temps. Insouciance et poésie sont au rendez-vous de cette période effervescente. Mais c’est sans naïveté aucune que Mathilde Monnier aborde le fameux concours de Bagnolet, dont elle ressort primée avec Cru en 1986, comme un regard acéré et décalé sur le système.
Être ensemble C’est au risque de se perdre dans le vertige de la liste que l’on cherchera les multiples influences qui habitent chaque nouvelle création. Considérées comme de nouveaux espaces de liberté à explorer, les pièces égrènent sources et collaborateurs particuliers. On retrouve une Monnier très pop-rock avec Philippe Katerine ou P. J. Harvey (2008 Vallée en 2006, Publique en 2004), une Monnier-performeuse en quête d’elle-même et de ses questionnements sur sa propre place, dans la société comme dans l’art (La place du singe avec Christine Angot en 2005 et Gustavia avec La Ribot en 2008). « Être ensemble » sur un plateau s’exprime alors dans la confrontation avec l’intime, qu’elle entrelace de présences. Et la danse de garder
cet esprit sans quitter son histoire, qu’elle cherche du côté du ballet (Pavlova 3’23’’ en 2010) ou des incroyables marathons de danse très populaires aux Etats-Unis (Twin paradox, 2012). Parfois même, les communautés qui peuplent la scène sont directement issues de l’espace du public, comme autant de groupes sociaux – amateurs, enfants, sportifs … – prompts à porter un discours sur leur vie, leur ville, leur place dans l’art comme dans City Maquette en 2007, ou tout dernièrement dans Qu’est-ce qui nous arrive ?!?. Et si la danse, ce n’était pas seulement écrire, mais aussi inscrire ? Inscrire ses pas dans ceux d’une danse en marche : les débuts se font au CNDC d’Angers, la suite se glisse dans les traces de Dominique Bagouet au Centre Chorégraphique National de Montpellier, dans l’Agora. L’aventure de l’Afrique lui permet d’« instituer », avec Alphonse Tiérou, un concours chorégraphique devenu événement majeur. En 2000, son projet Potlatch, dérives donne à la danse la dynamique d’une pensée en mouvement, à transmettre. Dix ans plus tard, le Master ex.e.r.ce fait des études chorégraphiques une vraie spécialité universitaire en lien avec la création. Faire de la danse un bien commun ? Dans ses conversations avec Jean-Luc Nancy (Allitérations, aux éditions Galilée), Mathilde Monnier préfère parler de la question du partage, et des outils : « La question du partage, c’est d’abord, bien sûr, la question des outils, mais ces outils ne sont pas seulement (je dis bien pas seulement) des lieux ou de l’argent, ni même de la responsabilité : il me semble que cela va plus loin. Ce qui est à partager, c’est la question du « grandir ensemble ». Comment créer les conditions du « grandir ensemble », comment les partager ? Comment garder vivant ce rapport à des connaissances multiples, partageables, qui sont souvent plus qualitatives que quantifiables? Le partage de l’espace artistique, c’est d’abord un décloisonnement incessant des idées ». C’était il y a dix ans.
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LE KATHAKALI ART SACRÉ ET DANSE D’AUJOURD’HUI
V UES D’A IL L EURS
L’Inde. Un pays en pleine explosion économique, fort de plus d’un milliard d’habitants, affichant une soif de modernité technologique, mais aussi profondément attaché à sa culture ancestrale. Dans la province du Kerala, au sud du pays, le boom touristique lié aux paysages pittoresques n’a pas éteint la flamme d’un art quatre fois centenaire : le Kathakali. Et un simple frémissement de rideau peut toujours faire trembler tout un public … Par Pierre Cléty.
L
e kathakali est d’abord un théâtre du divin. La représentation d’un drame héroïque a pour but l’élévation des âmes et met en jeu les forces essentielles du monde en faisant intervenir dieux et personnages légendaires. Un cheminement vers cette félicité qui est l’aboutissement de la bhakti, voie hindouiste de libération intérieure et d’union avec l’absolu. La posture de l’acteur de kathakali doit être la dépossession de soi, afin d’incarner au sens propre le dieu ou sa manifestation ; la scène se trouve transcendée en un lieu à mi-chemin entre le réel et le divin, au propre coeur du mythe. De nombreux rites nous rappellent que public, acteurs et musiciens évoluent, le temps de la représentation, dans cet univers de transcendance : lorsque l’acteur entre sur scène (toujours du pied droit) il touche en signe de respect le plancher qu’il foulera, car la scène est bel et bien devenue la déesse Terre elle-même.
Un art total Du vaste répertoire traditionnel, une quarantaine de pièces sont encore aujourd’hui régulièrement jouées. Leur intrigue, puisée dans les récits héroïques de l’hindouisme comme le Mahabharata, est simple
ILLUSTRATION ORIGINALE DE JEAN-CLAUDE CARRIÈRE
et d’ordre symbolique. Assistant au kathakali, un spectateur occidental pensera naturellement à l’opéra, car tous deux associent intimement la musique, le texte chanté et la danse, le tout dans une profusion de codes scéniques. Une complexe cérémonie de préparation à la représentation, combinant invocations, présentation des mouvements dansés et des structures musicales, installe d’abord une atmosphère de transe et de recueillement. Place ensuite à l’action. Les personnages, quel que soit leur sexe, sont tous traditionnellement incarnés par des hommes. Les textes sont chantés par deux chanteurs sur le côté de la scène, tandis que les acteurs-danseurs restent muets, concentrés sur l’expression des sentiments par le pas, le geste et le visage (essentiellement les yeux). Tous sont accompagnés par les percussions joués par deux instrumentistes, qui adaptent leurs sonorités aux situations et aux personnages. Le texte alterne des versets en sanscrit ou sloka, qui décrivent les grands ressorts de l’action, et des paddam, dialogues ou monologues, en malayalam. L’usage du malayalam, langue populaire du Kerala, permet une compréhension directe par le public. Le rythme général d’une pièce de kathakali suit un principe de tension croissante tout au long de l’oeuvre. Au dénouement, le principe divin triomphe pour apporter paix et prospérité. Une invocation conclut la pièce et permet de replacer la dimension spirituelle du spectacle.
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KATHAKALI Le mot est composé de « katha », histoire, et « kali », jeu ou danse. La tradition dit que Kottayam Tampuran, un des maîtres fondateurs du Kathakali au XVIIème siècle, passa un an en méditation avant de rédiger, sous l’impulsion de la déesse Kali, quatre pièces majeures qui établirent les canons de ce nouveau genre. Fidèle aux grands principes du Natya Sastra, traité sanscrit sur le théâtre datant du premier siècle de notre ère et qui attribue la création de l’art dramatique à Brahma lui-même, Kottayam Tampuran mit en place un système hautement sophistiqué s’affranchissant des formes antérieures, telles que le Kuttiyatam.
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DURYODHANA Dément Vrkodara ! Prépare-toi à un combat Qui va rendre le spectacle de la guerre encore plus captivant ! Assez de bavardages ! Tu peux être sûr que je vais, sans ambages, Faire cesser tes airs méprisants. Tu m’as couvert d’injures car tu te croyais seul. Vaines jactances ! Souviens-toi que le vent, Même capable de la plus formidable violence Et capable de déraciner les arbres les plus imposants, Devant une montagne fait preuve d’impuissance.
BHIMA Les hurlements des chacals n’impressionnent en rien le lion ! Si tu tiens à la vie, retourne vite d’où tu viens ! Mais si tu es décidé à périr, Prends ta puissante massue et viens livrer combat ! Au trépas je vais te conduire. Pauvre fou ! Prépare-toi à combattre, ô Suyodhana, Pour rendre le spectacle de la guerre encore plus captivant ! Extrait de la scène finale de « L’anéantissement de Duryodhana » de Vayaskara Aryan Narayanan Mussatu (traduction de Martine Chemana).
occuper un rôle essentiel : d’abord délimiter (très symboliquement) la frontière entre le manifesté et le non-manifesté, mais aussi selon les moments : commenter ou expliciter l’action, annoncer une arrivée, induire une émotion. Les personnages démoniaques ou méchants entrent précédés de tremblements de rideau sinistres ; quant aux dieux, le rideau différencie leur présence sous forme divine (tenture à demi baissée devant eux) ou sous un avatar (rideau neutre). Quant aux accessoires, ils peuvent être stylisés, voire simplement suggérés et un tabouret est alors l’unique objet présent. La profusion du maquillage et des costumes. Un lourd harnachement donne aux acteurs une allure surnaturelle : coiffes en bois sculpté, corsets, larges jupes, bracelets de grelots, voiles, parfois jusqu’à trente pièces … Le maquillage aux couleurs fortement tranchées indique au spécialiste la condition du personnage, la noblesse ou la bassesse de son âme. Le vert indiquera un dieu, un roi ou un héro vertueux. Vêtu et maquillé l’interprète a un rôle déjà pleinement défini.
L’oeil et la main Minimalisme et profusion
▸ Le minimalisme de la scène et des décors. Un
spectacle s’organisera sous un simple auvent de bambou et de feuilles de palme (pandal) dressé pour abriter la scène. Là, un mince rideau viendra
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L’acteur-danseur ne reste toutefois pas prisonnier de l’archétype et exprime une très grande palette d’émotions. Pour cela, il se réfère d’abord à un corpus de neuf « rasa », types de sentiments, qui commandent l’interprétation d’une scène. Toutes les qualités du mouvement sont teintées du rasa. Quant au mouvement lui-même, il s’appuie sur
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une base corporelle ancrée dans le sol, « hara » (ventre) stabilisé par une posture basse, les pieds fichés sur l’extérieur. La partie supérieure du corps peut alors développer une gestuelle complexe et finement nuancée. On distingue vingt-quatre mudra, mouvements de base, qui dans leurs déclinaisons permettent de former 874 gestes-symboles. Ces mudra unissent de façon intime la main et l’œil, ce qui demande une agilité oculaire proprement extraordinaire, fruit d’un long apprentissage. Le kathakali laisse à l’interprète des plages d’improvisation dansée qui sont pour lui autant d’opportunités d’enrichir que d’affiner la présentation de son personnage. Le public ne s’y trompe pas et les fans de kathakali goûtent avec délectation chaque subtilité expressive. Loin d’une survivance historique, c’est un art vivant lié à la vivacité des mythes hindouistes dans la société indienne. Des écoles, sous l’égide de mécènes ou d’institutions publiques, continuent à former des artistes, des festivals le popularisent. Le kathakali évolue, il s’ouvre aux femmes, aux étrangers, les durées des spectacles se raccourcissent pour mieux rentrer dans le cadre de vie actuel. Le kathakali reste un art divin, total, et vivant.
1, 2 IMAGES EXTRAITES DU FILM LA TABLE AUX CHIENS, KATHAKALI
UNE JOURNEE DE L’ACTEUR-DANSEUR EN ECOLE DE KATHAKALI Avant le lever du soleil : Exercices d’yeux, « meyurapadavu » (enchainement d’exercices d’échauffement et d’assouplissement), massage (avec les pieds) Matinée : Pratique des danses d’invocation, exercices de torse, pratique des mudra dansés, accompagnés par le maître et/ou par les musiciens. Début d’après-midi: Cours de sanskrit Après-midi : Répétition des rôles. Après-diner : Travail pur (assis) de l’expression des 9 rasa, les rythmes, les mudra. Récitation des textes, échange avec les maîtres.
Pour aller plus loin : Kathakali, Théâtre traditionnel vivant du Kerala, Martine Chemana et S. Ganesa Ayar – Gallimard, Connaissance de l’Orient – 1994 The language of Kathakali, G. Venu – Natana Kairali, Research and Performing Centre for Traditional Arts, Kerala – 2000 Dictionnaire amoureux de l’Inde, Jean-Claude Carrière – Plon – 2001 La Table aux chiens-kathakali, film documentaire sur l’enseignement du Kathakali dans une école traditionnelle en Inde, réalisé par Cédric Martinelli et Julien Touati, est régulièrement projeté dans les festivals européens dédiés aux arts de la scène ou à l’Inde.
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« Il fallait juste que je tienne bon et je me suis dépassé » Rencontre avec Julien Touati, danseur, comédien et chorégraphe, qui depuis dix ans vit et crée au rythme du kathakali. Propos recueillis par Aurélien Richard.
Il s’assied à la table, le thé est déjà prêt, l’enregistrement commence. Pour le mettre à l’aise, je lui dis à peu près ceci – qui est la vérité : que je ne connais rien au kathakali, que l’interview, de ce fait, est un peu surréaliste, mais que ça va aller. Il sourit. Je tairai ici les questions que j’ai posées afin que vous puissiez faire plus directement la connaissance de Julien Touati, acteur, danseur et chorégraphe. J’emprunterai simplement à Jean-Luc Lagarce, auteur de théâtre, une figure de ponctuation que j’aime, qui me semble représenter très simplement ce temps que Julien prend à réfléchir, à laisser en suspens une phrase ou une réponse. Un temps non pas arrêté, mais bien en pensée et en mouvement.
« Ma définition du kathakali? C’est une forme de théâtre dansé qui porte une dimension sacrée et qui raconte les grandes épopées indiennes. Une forme de pantomime avec un langage codifié. Pour moi c’est juste du théâtre, après il y a des codes pour le comprendre parce que ce n’est pas notre culture, mais un peu comme dans toutes formes de théâtre (…) Pour moi, la découverte du kathakali a été une simple suite de rencontres et d’événements. J’étais comédien au théâtre, avec l’envie d’un travail sur le corps. C’est à l’occasion d’un stage que j’ai fait en 2004 avec Pippo Delbono, appelé « l’acteur qui danse », que j’ai pris contact avec des formes de théâtre, de danse, venues d’ailleurs. Peu de temps après cette découverte, je m’étais rendu en Inde pour participer à un stage. J’ai alors pu
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« Etre pris dans cette école était un signe, ce genre de choses que l’on vit en Inde où l’on trouve l’évidence. »
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▸ véritablement aborder le kathakali. Ma première rencontre avec le pays a été un vrai choc culturel, une découverte forte par rapport à cet art et à son exigence.
Dans la transmission du kathakali, il y a au départ un rituel au cours duquel le maître s’engage à transmettre tout son savoir pour qu’un jour, l’élève dépasse le maître. J’ai été tout de suite sensible à cette dimension sacrée de la transmission d’un art. J’ai vite senti que ce mode de « passage » m’apporterait la discipline dont j’avais besoin. Je suis retourné deux ans plus tard en Inde dans l’idée d’intégrer une école, j’avais besoin de creuser, d’aller plus loin dans l’apprentissage et la connaissance d’une culture et d’un art apparemment si différents de ce que nous connaissons en Occident. J’ai commencé par prendre des cours particuliers pendant un mois. Ensuite j’ai fait le tour des écoles qui existent au Kerala jusqu’à trouver celle de Kottakkal où je suis resté. C’est une école très traditionnelle et j’ai été le premier étranger à y être accepté depuis plus de vingt ans. Etre pris dans cette
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école était un signe pour moi, ce genre de choses que l’on vit en Inde où l’on trouve l’évidence. Je pensais rester six mois à ce moment-là, je suis resté quatre ans. J’ai été intégré d’une façon incroyable. La hiérarchie se fait en fonction de l’arrivée des membres de la troupe dans l’institution, les plus anciens sont donc les aînés. Chacun doit le respect à son supérieur. Il y a un maître qui est le principal. Tout s’organise autour de cette hiérarchie, les cours, la distribution des rôles lors des représentations, etc. Ce système de hiérarchie existe entre les élèves eux-mêmes. Il peut arriver qu’un jeune élève se trompe, alors c’est un élève du niveau du dessus qui se fera réprimander pour ne pas avoir transmis suffisamment bien.
L’enseignement dure onze ans. Pendant huit ans, il y a l’apprentissage des principaux rôles et des principales histoires du répertoire, et enfin on peut intégrer la troupe : être officiellement intronisé. Les trois dernières années sont dédiées à la spécialisation, ce qui veut dire : se diriger davantage vers un certain type de personnage. Il y a cette question de l’apprentissage qui ne s’arrête
« La notion de souffrance fait partie du kathakali. C’est assumé ! » 2
jamais. Il y a certes onze ans de cours, mais on apprend toujours. Là-bas, un artiste est très reconnu autour de 50 ans. C’est donc vraiment un parcours de vie. (…) Il y a des histoires et des rôles qu’on peut apprendre quand on a 20 ans et qu’on ne jouera pas sur scène avant d’en avoir 40 ou 45.
C’est une gestuelle qui demande beaucoup de rigueur, de précision, d’endurance, de souplesse. On forme les corps au kathakali très jeune, on commence l’apprentissage vers l’âge de 13 ans, moi je suis arrivé à 26 ans, c’est juste le double... (rires) La gestuelle est un langage comme un langage parlé, sauf que c’est avec des gestes, donc c’est très codifié. C’est la combinaison de ce qu’on appelle les mudra, qui sont des signes des mains (il y en a vingt-quatre, c’est comme un alphabet), des expressions du visage et des pas, qui correspondent à des rythmes donnés. Il y a donc énormément de combinaisons possibles de mixages et de nuances …
l’anglais pour la plupart. Et aussi de l’intensité du travail, les cours commencent à 4 h du matin, et se terminent le soir à 21 h. Il y a énormément de fatigue physique qui s’accumule et qui fait qu’on se retrouve dans un état où l’on fait ce qu’on vous demande, sans avoir le temps de penser à autre chose.
J’étais motivé, j’avais envie, j’étais très honoré d’avoir été accepté là et de vivre cette expérience pour moi surréaliste. Ca a bien fonctionné, je me suis accroché malgré les difficultés – c’était vraiment dur, j’ai souffert au début, enfin pas qu’au début, d’ailleurs (rires) – mais sans doute le fait d’être le plus vieux, de voir que les autres jeunes peinaient autant que moi mais qu’ils ne disaient rien faisait que je ne pouvais pas m’arrêter au milieu d’un exercice parce que j’étais fatigué, ça aurait été déplacé. Je ne pouvais pas me permettre de moins travailler que les autres, (…) c’était comme naturel vis à vis du groupe, des professeurs. Il fallait juste que je tienne bon et je me suis dépassé. (…)
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Pour moi, c’était particulier d’entrer dans cet univers. Il y avait la question de la langue, le malayalam que je ne parlais pas, eux ne parlaient pas très bien
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« Les personnages sont ceux de la mythologie indienne, ce sont des Dieux, des demi-Dieux, ou alors des démons ou des grands héros légendaires. »
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La notion de souffrance fait partie du kathakali. C’est assumé. Elle est subie parfois, comme ces élèves qui étaient envoyés dans les écoles contre leur gré parce que c’était leurs parents qui décidaient pour eux. Moi j’ai fait le choix d’apprendre, donc d’accepter aussi la souffrance. Ça fait partie pour moi des mystères de l’Inde ou des contradictions de l’Inde. En tout cas des choses qui s’opposent totalement. Il y a souffrance et difficulté dans le kathakali mais aussi satisfaction et bonheur à atteindre des choses insoupçonnées de soi: il y a comme une exacerbation des contraires.
Ce qui me paraît le plus difficile, ce sont d’une part les postures qu’on ne connaît pas du tout ici, les appuis sont sur la tranche extérieure des pieds, les genoux en ouverture, les jambes forment une sorte d’arc de cercle; et d’autre part, il faut aussi énormément d’endurance, les scènes peuvent être très longues, un spectacle dure souvent toute la nuit. Mais ces choses s’acquièrent à force d’entrainements, de répétitions et de massages (massages avec les pieds, qui sont réalisés également
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pour permettre d’être formé à cette organisation posturale particulière).
Il y a quelque chose d’extravagant dans les costumes, très colorés, très volumineux. Les personnages sont ceux de la mythologie indienne, ce sont des Dieux, des demiDieux, ou alors des démons ou des grands héros légendaires. Ce n’est pas un théâtre réaliste. Dans le kathakali, le costume et le maquillage servent à « déshumaniser » l’acteur pour qu’il entre dans la peau d’un Dieu : il faut qu’il soit complètement différent des hommes, que son apparence s’éloigne de la nôtre. C’est pour cela que certains costumes sont complètement disproportionnés, comme ces grandes robes qui peuvent avoir un diamètre d’1 m 50 avec des jupons en-dessous pour leur donner du volume. On porte aussi sur la tête des couronnes de bois sculptées qui peuvent être très hautes. Ensuite, tout le visage est recouvert de maquillage. Il est délimité par une sorte de collerette blanche, le chuti, qui est fait de papier collé sur le visage, qui servait à la base
à refléter la lumière, et donc à éclairer, à illuminer le visage. Ensuite, il y a des codes de couleur suivant les personnages que l’on incarne.
Il y a une écoute permanente entre les acteurs, les chanteurs et les percussionnistes. Ce qui est chanté est traduit par les acteurs au travers de leur gestuelle, avec les mains, le visage, les yeux … les percussionnistes rythment la danse. Les histoires sont écrites même si certaines scènes permettent une part d’improvisation. Dans ces moments là, l’interaction et l’écoute entre les danseurs et les musiciens sont indispensables. Tout est très imbriqué, très maillé. Le récit est porté par tous.
Le kathakali s’exporte un peu. En France, et pendant de nombreuses années, Milena Salvini, directrice du Centre Mandapa à Paris, a contribué à faire connaître le kathakali en montant des tournées avec la troupe
du Kalamandalam, qui s’est produite notamment au théâtre du Soleil à Paris, en province et aussi à l’étranger … Ces dernières années, depuis que je m’intéresse au kathakali, donc depuis 2004–2005, j’ai dû en voir seulement trois fois à Paris. C’est tout. En mars 2015, il y aura une tournée en France organise par Michel Lestréhan de la Compagnie Prana. Nous y participerons tous les deux, le reste de la troupe sera composé d’artistes indiens qui viendront spécialement pour l’occasion.
Le kathakali a été un vrai tournant dans ma vie. Au bout de deux ans là-bas, j’ai eu envie de travailler avec les danseurs de kathakali sur autre chose que du kathakali traditionnel. J’ai passé beaucoup de temps à observer les élèves, les professeurs, à échanger avec eux sur nos visions du monde, de l’art. Et de ces observations, j’ai commencé à avoir des images, des envies d’expérimenter des choses avec eux. J’avais d’abord un projet ambitieux pour neuf danseurs de kathakali, neuf personnages inspirés par certains de mes camarades et leurs
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JULIEN TOUATI EN QUELQUES PROJETS 2009 – Et je veux … : ce duo d’après un extrait de Manque de Sarah Kane, prend la forme d’un poème d’amour entre deux hommes, dont on ne sait s’ils sont parents ou amants. 2010 – La table aux chiens : ce film sur la transmission du kathakali est un document important qui témoigne de l’apprentissage d’une tradition théâtrale. 2011 – N’importe où je repose ma tête : sous l’écho des Beats, Julien offre un vagabondage insolite entre confusion des genres et spiritualité, dans lequel s’inscrit la présence live de Denis Teste avec son esraj, sa guitare électrique et sa voix. 2012 – Le livre de l’amour : cet autre duo propose la rencontre de deux êtres, un homme et une femme, dont les cultures sont très éloignées : d’un côté, l’Inde avec sa tradition, ses codes et ses tabous ; de l’autre, l’Europe avec ses prétendues modernité et liberté.
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« J’ai commencé à avoir des images, des envies d’expérimenter des choses avec eux. »
▸ personnalités. J’ai alors proposé des ateliers sur
nos temps de pause avec deux artistes à chaque fois en travaillant sur des thèmes actuels et universels, principalement autour des addictions et de l’amour. C’était formidable, j’ai vu à la fois leur expérience de la scène, des présences incroyables et en même temps une fraicheur et une fragilité extrêmement touchantes. Puis j’ai vite compris qu’une production de cette envergure ne serait pas évidente à mettre en place pour un premier projet, je l’ai alors décompose en plusieurs petites formes. Nous avons créé un premier spectacle en 2009 avec deux danseurs là-bas et puis en tournée sur l’ile de la Réunion. Le premier projet auquel je me suis attaché est un film, la Table aux chiens, que j’ai conçu totalement par rapport à cette expérience au sein de l’école de kathakali. Quand j’étais en première année, j’ai reçu la visite de mon frère à qui j’ai prêté ma petite caméra pour filmer les cours. A la fin de cette première année, en visionnant ces images, j’ai été impressionné par ce que j’ai vu. De l’intérieur, avec la fatigue et l’intensité des cours, je ne réalisais pas ce que c’était, je n’avais aucun recul. J’ai été bluffé par l’intensité de ce que je voyais, la force des images, l’état de concentration des élèves, le travail et la beauté des corps. Ça m’a semblé important, même nécessaire de faire un film sur cette école, avec aussi l’urgence de filmer l’enseignement et le charisme de mon maître, Kottakkal Chandra Seikaran Assan, qui aujourd’hui est parti à la retraite même si il joue encore. (…) J’ai alors rencontré Cédric Martinelli, vidéaste, qui vit à Paris mais travaillait à ce moment-là sur un sujet à Calcutta (encore une rencontre évidente !). Nous avons co-réalisé le film. Il a su habillement capter toute la beauté et la force du lieu et de ses personnages. Quand le film a été terminé, je l’ai montré à la troupe. Ils n’ont pas été étonnés. C’est tellement leur vie,
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leur quotidien! Par contre, au même moment, j’ai pu récupérer un film tourné vingt ans plus tôt par Renuka George dans la même école, et ils étaient mille fois plus fascinés de voir leurs maîtres plus jeunes! Mais ce qui s’est exprimé le plus est en fait quelque chose de l’ordre de la pudeur. Il y a des cours où l’on est quasiment nu parce qu’il y a les massages. Dans le film, disponible en VOD, on montre ce rapport qui peut paraître très sensuel et charnel. D’ailleurs, nous avons été sélectionnés dans des festivals de films LGBT, sans même y postuler ! Mais c’est vrai que c’est un univers d’hommes, pouvant jouer des personnages féminins. Et lors des massages, les corps sont huilés, c’est très beau, et Cédric a su vraiment capter cette sensualité.
Venant du théâtre,
j’avais un peu de mal avec le terme de « chorégraphe » pour signer des projets. Quand j’ai commencé à travailler en atelier avec les artistes indiens, je partais de textes, tout en sachant qu’ils ne le diraient pas. Je ne me voyais pas leur faire dire du texte, ou très peu, en français ou en anglais ça n’aurait pas été confortable pour eux. Je pars quand même d’un schéma théâtral que je transpose dans la danse. Chez nous, il faut dire si c’est du théâtre, de la danse, ou autre chose, pour moi c’est un tout. Le kathakali, c’est le chant, la danse et la musique, tout est lié. S’il faut catégoriser, alors je dirai que je suis dans le champ de la danse même si je me sers toujours d’une narration, du rapport à l’histoire qu’on raconte. A partir de ce canevas théâtral, je construis une histoire, des situations, des images et des personnages. (…)
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Quand on répète le kathakali, on ne porte ni costume ni maquillage, ce qui permet de voir le travail du corps que je trouve hallucinant. Mon travail opère un zoom avant sur ce travail du corps et ses aspects techniques, sur ces appuis particuliers et sur le travail du visage. Je veux mettre le corps à vue, le révéler. Aujourd’hui ma compagnie (AVS ROAD) est basée en France, je collabore avec des artistes français qui partagent ma passion pour l’Inde – il y a entre autres Denis Teste, compositeur, sitariste et guitariste, Anne Dubos qui est anthropologue, artiste multimédia et scénographe – et le désir de mettre en scène différemment le kathakali et ses artistes avec toute leur puissance.
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Notre prochaine pièce Eleven, ou le devenir humain mettra en scène onze danseurs de kathakali autour d’un travail sur les émotions définis dans le kathakali par neuf expressions du visage qu’on appelle les navarasas. Chacune d’entre elles sera incarnée sur scène, observée par deux narrateurs, un vieillard et un enfant.
Il y a une histoire terrible dans un film que j’aime bien, c’est une femme qui tombe amoureuse d’un acteur de kathakali. Mais en fait, elle tombe amoureuse du personnage qu’il interprète, pas de l’homme qui se trouve sur scène.
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LIFESTYLE LA MUSIQUE SE BALADE Dématérialisée, la musique est plus que jamais mobile. Voilà qui tombe bien : le marché du son regorge d’enceintes et stations d’accueil nouvelles génération. À emporter partout avec soi. Par Olivier Waché. Etanche
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ostalgiques du bon vieux Ghetto Blaster, soyez rassurés, la relève est en marche ! Comme à la grande époque du hip hop, emporter sa musique avec soi dans la rue est non seulement possible, mais aujourd’hui bien plus facile. Avec les nouveaux équipements, plus besoin de se démettre l’épaule pour porter son appareil ! Bien sûr, depuis les années 1970, d’autres révolutions ont eu lieu, grâce notamment à Sony, qui invente le Walkman en 1979, et réitère en 1984 avec le Discman. Mais grâce aux progrès technologiques, à la miniaturisation et à la dématérialisation, l’offre s’est diversifiée et prend désormais des allures nouvelles, pour des tarifs très accessibles. Le Ghetto Blaster version XXIème siècle s’appelle aujourd’hui mini enceinte et dock (ou station d’accueil), et permet de bouger au rythme de sa musique préférée sans plus aucune contrainte. Mieux, les technologies de communication (Bluetooth, NFC, AirPlay) permettent de partager ses playlist en passant simplement d’un appareil à l’autre, qu’il s’agisse d’un lecteur MP3 ou d’un téléphone. Sur piles ou batterie rechargeable (sur secteur ou par USB), ces équipements offrent plusieurs heures de musique dans la plus
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parfaite liberté, et sont le plus souvent stéréo. Lorsque cela n’est pas le cas, il est parfois possible d'appairer plusieurs appareils ( jusqu’à dix pour certains modèles).
Exercice de style Plus que jamais associés à la mode, enceintes portables et stations d’accueil se déclinent dans une multitude de tons. Les coloris se font vifs ou tendance, en couleurs primaires ou pastel, les looks affirmés. On trouve même des appareils coordonnés au style vestimentaire, aux revêtements empruntés aux vestiaires ou à la décoration intérieure. Pour protéger ces équipements, un brin fragiles tout de même, certains modèles sont proposés en version étanche ou avec une protection (housse) contre les intempéries, le sable, les salissures … Quant à la forme, les modèles s’affranchissent du style et déclinent un design éclectique, très éloigné parfois des lignes classiques. Grâce à la miniaturisation, à l’absence de fils, les enceintes d’une agréable légèreté se glissent dans la poche, se portent en bandoulière ou autour du cou … Une fois adoptés, le plus difficile sera d’arriver à se passer de ces nouveaux compagnons de voyage et de danse !
Avec cette enceinte Bluetooth, emportez votre musique par tous les temps. Etanche, en plastique avec housse en caoutchouc, elle offre 12 heures de musique non stop en version mono. H 19 × L 9 × P 9 cm. « Go New York », 129 €, Sonoro.
Sobre Équipée Bluetooth et NFC, cette enceinte nomade est dotée de deux haut-parleurs en néodyme et d’un PowerBass. Elle affiche 12 heures en fonctionnement. H 12,9 × L 22,5 × P 4,5 cm. « DA-F60 », 299 €, Samsung.
Déhoussable Avec sa technologie PlayDirect, cette enceinte nomade est compatible avec AirPlay sans nécessiter de wi-fi. Elle émet à 360°, offre 6 heures de musique et une capacité de 60 W. Elle est revêtue d’une housse en laine interchangeable avec poignée de cuir. H 26 cm, D 12 cm. « Zipp », 399 €, Libratone.
Colorée 5 teintes très tendance pour cette enceinte Bluetooth compatible avec tous les appareils. Dotée de deux hautparleurs, elle libère 12 W de puissance audio et offre jusqu’à 12 heures de musique. H 18,2 × L 10,8 × P 7 cm. « A2DP Disco 3 » 69 €, SuperTooth. Du son à 360°, jusqu’à 15 heures d’autonomie, une déclinaison de coloris pour un revêtement résistant l’eau et aux tâches, cette enceinte portable Bluetooth et NFC vous suit partout. H 18 cm, D 6,5 cm. « UE Boom », 199 €, Ultimate Ears.
Puissante 8 heures d’autonomie, dotée de la technologie NFC et du Bluetooth, cette enceinte au cadre aluminium brossé mémorise jusqu’à 5 appareils et affiche 40 W de puissance avec ses 2 haut-parleurs et son woofer. H 10,5 × L 24 × P 5,1 cm. « Speaker 2go », 269 €, Loewe.
Miniature 255 grammes seulement pour cette enceinte Bluetooth, version mini de la déjà célèbre Jambox. Conçue en une seule pièce d’aluminium déclinée en 9 couleurs, elle dispose d’une autonomie de 10 heures en fonctionnement. À personnaliser grâce à son application. H 5,8 × L 15,4 × P 2,45 cm. « Mini Jambox », 179,99 €, Jawbone.
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Résistante Compacte, cette enceinte nomade se connecte à vos appareils en NFC et Bluetooth. Sa puissance est de 5 W (2 haut-parleurs) et son autonomie de 10 heures. Revêtement Splashproof. H 7 × L 17,5 × P 6,5 cm. « SRS-BTS50 », 130€, Sony.
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Des technologies pour bouger sans contraintes AirPlay : créé par Apple, ce protocole permet de partager les contenus sur un iPhone, iPad, iPod via un réseau wi-fi. La compatibilité AirPlay est nécessaire. Bluetooth : utilisant la technique radio courte distance, sans fil, le Bluetooth s’est imposé comme le protocole de communication pour les périphériques. NFC : cette technologie de communication sans fil (near field communication) à courte portée permet de faire communiquer téléphone, tablette ou lecteur MP3 et enceinte mobile, sans contact, si chacun en est doté.
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Lumineuse Son et lumière avec cette enceinte nomade Bluetooth avec NFC. Son jeu de lumière programmable s’accorde à la musique diffusée par ses 2 hautparleurs (12 W). Autonomie 10 heures. H 18,2 cm, D 7,9 cm. « Pulse », 199 €, JBL.
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Lookée Développée conjointement par Habitat et Elipson, cette enceinte nomade au look affirmé affiche 6 à 8 heures d’autonomie en fonctionnement, 2 hautparleurs (30 W). Homologuée IP44 (projection d’eau), Bluetooth 2.1. H 36,8 × L 16,5 × P 17 cm. « Lenny », 299 €, Elipson/ Habitat.
Classe Une nouvelle façon de partager le son avec ce haut parleur à porter autour du cou, dans la poche, à poser … Il est possible d’en relier jusqu’à 10 entre eux ! Autonomie de 5 heures. H 3,6 cm. D 7,3 cm. « Monocle », 49,99 €, Native Union.
Adaptée Cette nouvelle gamme déclinée en 3 tailles pour tous les goûts, avec ou sans fil (Bluetooth), offre jusqu’à 8 heures d’autonomie en fonctionnement. Sa dragonne permet de l’emporter facilement. H 3,9 × L 7,9 × P 7,9 cm (modèle S). « Move S/M/L », à partir de 29,99 €, NudeAudio.
XXS Efficace Ce haut-parleur Bluetooth au look de brique colorée offre 10 heures d’autonomie en fonctionnement. Fonction téléphone. 2 haut-parleurs (6 W). H 6,2 × L 15,8 × P 4,1 cm. « SP1 », 99 €, Antec.
Elle tient dans la main, ne pèse que 250 grammes, mais offre toutefois 3 W de puissance et jusqu’à 3 heures de musique. Fonctionnant en Bluetooth, elle se recharge sur port USB. 5 couleurs proposées. H 8,5 × L 6 × P 6 cm. « BTS-110 », 39,90 €, Lenco.
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CRITIQUES
BOIRE LES LONGS OUBLIS Alban Richard Centre national de la danse, novembre 2013
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’est sous la forme d’un poème d’un genre tout à fait nouveau qu’Alban Richard a écrit sa pièce Boire les longs oublis. Il faut le dire, cette pièce déroute. D’abord par sa forme : la pièce se compose de trois parties : Oratorio, Fragments cinématographiques et Nocturne. L’auteur laisse au bord toute forme de séduction à l’endroit de la danse, ce qui l’intéresse précisément ici, c’est de la contenir dans le carcan du matériau littéraire choisi. La pièce déroute encore parce qu’Alban Richard dévie sensiblement des propositions qu’il a égrenées ces dernières années. Une déviation salutaire puisqu’elle autorise des errances, des vides, des déflagrations que l’on n’avait pas vus et ressentis avec autant de puissance jusqu’ici, grâce à une écriture segmentée mais totalement cohérente qui met en tension l’ensemble des paramètres scéniques composant cet opus.
S’inspirant du tableau l’Ile des morts d’Arnold Böcklin et de la musique éponyme de Serge Rachmaninov, Boire les longs oublis se structure autour d’un texte écrit par une collaboratrice au long cours, Valérie Sigward, qui signe aussi les lumières. Ce texte bref s’énonce puis s’atomise durant la pièce, en autant de propositions où la voix et le corps sont
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intrinsèquement liés, comme s’ils ne pouvaient plus jamais être séparés. Et même lors de très beaux moments d’attente et d’écoute de la part des interprètes, on sent bien toute cette propension des corps prêts à hurler, même dans le silence. Cette qualité de mise en tension et de correspondances entre les corps est malheureusement desservie par une scénographie pauvre, une lumière qui zoome par trop souvent sur les situations (dans une relation pléonastique à l’écriture du mouvement), une spatialisation de la musique qui manque d’inventivité et une version de L’île aux morts de Rachmaninov remixée par Laurent Perrier qui alourdit considérablement la proposition.
Et quand le trop court Nocturne arrive, magnifique conclusion chorégraphique où les corps dans la pénombre tournoient comme les astres, on se dit que la danse d’Alban Richard apparaît telle qu’elle est : une fascinante mise en scène des rapports complexes que nous entretenons avec nos fantômes. Prochain spectacle de la compagnie : Pièce de chambre – Opus 2 : 22/23 mars : Chapelle de la commanderie des Templiers, Élancourt
Antoine Ferras
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CARTEL Michel Schweizer Compagnie La Coma 20–21 mars : Le Manège, Reims 11 avril : Le Gymnase, CDC, Lille 22–23 mai : Théâtre d’Orléans
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i Michel Schweizer a coutume de mettre au plateau des communautés singulières, à l’image des adolescents de Fauves, c’est pour mieux confronter leurs individualités, tenter de les accorder par l’habitude. Il relance les dés cette saison avec sa création, Cartel.
Deux anciens danseurs classiques, Jean Guizerix et Cyril Atanassoff sont ici convoqués. Or dès le soir de la première, il n’en reste qu’un. Le second, blessé, persiste pourtant sur scène, figure faussement absente. A l’ancien, riche de ses expériences comme de ses rencontres, s’ajoute un jeune danseur, Romain di Fazio, en quête de reconnaissance autant que de réussite ; une chanteuse lyrique Dalila Khatir les accompagne, tandis que Maël Iger, d’éclairagiste, se fait le sévère alter ego du chorégraphe, lui-même en scène du début à la fin. Les codes de la représentation classique sont de fait transgressés : tout demeurant à vue, l’au-delà du fond de scène se révèle en embarras de matériel. L’alimentation électrique, justifiée dans le prologue par
1 BOIRE LES LONGS OUBLIS DE ALBAN RICHARD. PHOTO : AGATHE POUPENEY/PHOTOSCENE.FR 2 CARTEL DE MICHEL SCHWEIZER. PHOTO : DIDIER OLIVRÉ
Michel Schweizer, se résume en prétexte écologique mâtiné de décroissance et s’incarne résolument dans la puissance musculaire de trois cyclistes. L’hétéroclite humain rassemblé ici traduit l’apprivoisement de la diversité. La salle, elle, n’est pas disjointe du plateau et l’invitation préliminaire énoncée par le maître de cérémonie reste bien une circulation des émotions, aussi bien dans le temps des mémoires mises en scène que dans l’espace de la représentation. Les récits de souvenirs s’entrelacent aux corps, le jeune danseur y fait état de ses craintes, de ses déceptions, déjà. Jean Guizerix, en son nom, transmet même un faune des plus émouvants. Tous au bout du compte exhibent leur désir d’exception, dont le premier revers est la violence faite au corps. La métaphore électricoénergétique n’a alors de cesse de signaler la consumation des êtres volontairement réduits, non plus à se couper du monde le plus commun et quotidien, mais plutôt à s’abstraire, pour se résoudre en figure dansante. Juste une émanation, même plus un être, à peine un corps … Point de salut donc ? Mais si, bien heureusement dans cet être-ensemble qui s’appuie sur une sincère attention à l’autre, seule réponse satisfaisante à ce qui fait violence.
Edwige Phitoussi
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CASSE NOISETTE COMPAGNIE Jean-Christophe Maillot Ballets de Monte-Carlo Grimaldi Forum de Monaco, janvier 2014
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maginez ! Un Casse-noisette sans flocons, sans sapin, mais avec un orchestre philharmonique. C’est possible. Maillot n’a pas eu froid aux yeux, et vingt ans après son très réussi Casse Noisette Circus sous le chapiteau de Fontvieille, il crée un autre ballet emblématique de Noël, sous la figure de Tchaïkovski, mais sans autre conte que celui de sa propre danse. Le parcours initiatique de la petite Clara n’est plus tant ici celui d’une petite fille qui rêve d’ailleurs, que celui d’une compagnie qui retrace vingt ans de créations sur le Rocher. De Roméo et Juliette à La Belle, en passant par Le Songe ou autant de classiques revisités sur un mode érotique et chic, imaginaire et cultivé. On pourrait penser que se réapproprier l’histoire traditionnelle pour en faire un flash back sur son œuvre est complaisant, mais d’une part la donation et la transmission du répertoire sont au cœur de l’intrigue, ce qui en fait un acte de générosité et non de narcissisme égoïste, et d’autre part, le fait de reprendre tous les grands thèmes de deux décennies sur le Rocher sous la Présidence de S.A.R. La Princesse de Hanovre est un geste de gratitude, or la gratitude est une qualité de l’avenir, non du passé. On a donc droit avec cette création qui ouvre le bal des vingt ans de Maillot sur le Rocher, à une
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féérie de couleurs, de saveurs, d’odeurs, de réminiscences, qui ne laisseront ni indifférents ni indemnes. Revoir Coppieters et Morlotti, découvrir un corps de ballet techniquement encore plus performant qu’auparavant, recevoir une pluie de confettis et de rubans sur soi, les cinq sens comblés : non, ça ne rend pas nostalgique, ça rajeunit. Et nous, on aime ça, l’éternelle jeunesse. Faust l’avait bien compris.
Bérengère Alfort
DEMOCRACY Maud Le Pladec 7 juin : Festival June Events, Atelier de Paris Carolyn Carlson, Paris. 19/20 septembre : Biennale de la Danse de Lyon
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rise à la fois dans un rapport à la musique et au corps politique, Maud Le Pladec livre une pièce dont la forme est brillante, mais reste terne sur le fond. Ils sont avant tout neuf sur le plateau, filles et garçons animés par une énergie brute, vitale. Jeans slims en dégradé de gris, baskets montantes, tee-shirts
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pailletés et sweat-shirts décontractés, leur look glam’rock est aussi soigné et étudié que la partition lumineuse ou l’agencement du plateau, occupé par quatre batteries mouvantes. La pièce commence par les mettre en jeu dans une diagonale danse-musique, entre marche et course, tous mus par une volonté de se frotter physiquement à la fois à la rythmique, mais aussi à l’instrument. C’est une belle chorégraphie qui émane de ce va-et-vient aux élans nécessaires, où chacun est danseur, où tout le monde est musicien. Un premier pas dans le partage de l’espace et du temps, une première expérience de la démocratie. Lorsqu’ils reprennent leur rôle, c’est pour interpréter les compositions de Julia Wolfe (Dark Full Ride) et de Francesco Filidei (Silence = Death). C’est là que la chorégraphe situe un des enjeux de sa pièce, qu’elle construit sur le lien danse-musique. Sa recherche s’est avant tout tournée sur le travail du collectif new-yorkais Bang on a can, puisant dans les œuvres de David Lang, Julia Wolfe et Michael Gordon sa matière première. Alors que son précédent opus Ominous Funk donnait au danseur Julien Gallée-Ferré l’occasion de prendre toute l’amplitude de la musique dans la singularité de son corps et d’une danse étonnante et explosive, Democracy se poursuit sans retrouver cet état de grâce. Bien sûr, la musique live et ses résonances joue pleinement son rôle, mais le mouvement des danseurs se positionne souvent dans une illustration de ce que l’on entend, accents pour accents. On suit alors les évolutions d’une communauté cherchant ses moyens d’existence, dans cet environnement comme dans « l’être ensemble », mais ne sachant véritablement comment s’illustrer. Etrangement, cette démocratie reste un système dont les éléments constitutifs peinent à s’affirmer.
Nathalie Yokel
1, 2 CASSE NOISETTE COMPAGNIE DE JEAN-CHRISTOPHE MAILLOT. PHOTOS : ALICE BLANGERO 3 DEMOCRACY DE MAUD LE PLADEC. PHOTO : KONSTANTIN LIPATOV
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DUMI MOYI François Chaignaud 12/13 avril : TAP, Scène Nationale, Poitiers 17 juin : Latitudes Contemporaines, Lille
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ans l’intimité d’un couvent, au centre d’une audience posée sur des assises aériennes comme suspendue dans l’instant et le geste, François Chaignaud bouleverse telle une apparition. Invention d’un rituel sacré qui puise dans de multiples sources la force d’une évidente clarté, la performance éclot dans les noires vibrations d’un chant rauque, puissamment tellurique. Lente marche qui se déploie au gré des mouvements sinueux d’un serpent albinos, les bras d’albâtres du danseurs se faisant le prolongement du reptile pour dessiner sous le costume immense, frémissante, une figure humaine. Elle tourne, emportant dans son mouvement la masse circulaire des regards attentifs,
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se pâme en cambrés sublimes et délicats effeuillements. Au lourd costume succède une coiffe extravagante, habillant une quasi nudité à la grâce androgyne. Voix de tête aux accents multiples, évocations des music-hall et d’un exotisme de rêverie, le cérémonial n’en finit pas de se redéfinir pour peu à peu célébrer une forme dansée devenue aussi rare que les références qu’elle convoque : généreuse, délicate, sensuelle et drôle … Et pourtant rien de plus sérieux que cet art chorégraphique qui vous interpelle du regard, intense et sincère, au plus près de son propre souffle qu’il dépouille à l’aide de tant de merveilleux artifices. Un art d’être présent au public avec une joie sublime qui rayonne depuis sa centrale gravité. Sophie Grappin
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MONOLOOG Cindy van Acker Cie la Greffe
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e noir est épais, le silence planant. À mesure que notre œil s’accoutume à cet univers sombre, un dos nu, de face, sans tête, nous apparaît, lentement. Il nous faut les longues premières minutes pour que la présence de ce corps quasi imperceptible nous saisisse. Aucune musique, pour un silence comme une apnée. Aidé par une lumière caressante, laiteuse et chaude, ce dos nous fait face et va se mettre en mouvement délicatement et de manière continue pour laisser se découvrir chaque territoire de peau, chacun de ses contours. Ce mouvement s’apparente à une onde qui vient dessiner en permanence tout le corps, ou plutôt redessiner l’image de cette surface offerte. Là où l’apparition des épaules devient un événement, là où la disparition d’une omoplate dans l’ombre offre soudainement un paysage.
1, 2 DUMI MOYI DE FRANÇOIS CHAIGNAUD. PHOTO : ODILE BERNARD SCHRÖDER 3 MONOLOOG DE CINDY VAN ACKER. PHOTO : ISABELLE MEISTER
Ce corps est alors cette forme en perpétuelle transformation et métamorphose comme si son impossible arrêt sur image devenait la condition de dire un passé révolu en continuelle actualisation. La danse est ici millimétrée, n’est plus là pour porter des formes mais davantage pour reformer le corps par le mouvement et jouer à même la persistance rétinienne de l’image scénique. Ici il s’agit bien de plonger le spectateur dans une situation bouleversant ses repères spatiaux et temporels. Monoloog, pièce écrite en 2010, reste emblématique du travail de Cindy Van Acker, en cela qu’elle nous offre une écriture ciselée, de l’infime, où le mouvement se déploie dans une progression, quasi invisible, qui en fait toute la virtuosité. Prochaine reprise de Cindy Van Acker : Drift, (Création 2013), Rencontres chorégraphiques de Seine St Denis, CND 14–16 mai
Floriane Dupuis
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PENTHESILEES Catherine Diverrès 21 mars: Le Volcan, Le Havre 3–5 avril: Théâtre National de Chaillot, Paris
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a tâche est ardue pour arriver à parler succinctement de la dernière pièce de Catherine Diverrès. En effet, l’on sent ici, poussé à l’extrême, l’appétit de cette chorégraphe pour le baroque, le tragique, l’amour et la mort se décupler au contact de son extraordinaire équipe de danseurs. Certains états de corps, proches de l’extase ou d’une violence non dénuée d’humour et de distance, restent en mémoire. On s’attache à la corporalité inouïe d’une Capucine Goust, assaillie de visions meurtrières, à l’extrême précision du geste de Pilar Andres Contreras, à la force d’incarnation d’Emilio Urbina ou enfin au décalage inquiétant des personnages campés par Thierry Micouin.
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Catherine Diverrès prend ici le prétexte d’une figure mythologique pour faire imploser la narration en autant de régurgitations de monstruosité guerrière, avec cette façon tellement reconnaissable chez cette chorégraphe de pressuriser le corps de l’interprète, de le révéler avant son éclatement et sa dissolution dans l’espace scénique. Si le sensible n’est jamais loin et parfois même, grâce à une distance salutaire, la drôlerie (on pense à ce moment d’« audition » où chaque personnage se doit de montrer une scène devant un jury composé d’un seul homme leur opposant toujours le même NON ), on sort
de cette pièce complètement abasourdi par les bruits terrifiants de la guerre, et bouleversé par ce que montre Catherine Diverrès en à peine quatre-vingt-dix minutes : le fracas de la vie en marche, son chaos. Grâce à de multiples incarnations du même personnage féminin Penthésilée, ces « Penthésilées » créent une armée d’ombres dont le dessein est peut-être de nous révéler notre extrême fragilité face au monde et à l’adversité.
Antoine Ferras
Le plexus est un entrelacs de nerfs et de vaisseaux, sanguins ou lymphatiques. Le lieu des émotions, le seuil que traversent les flux. Dans l’évocation du paysage intime apparaît alors le désir d’une architecture. Aurélien Bory, qui signe ses scénographies, est un ingénieur dans l’âme. Ici, un cube : deux plateaux mouvants reliés par des centaines de fils transparents. De fait une cage, un effet Doppler, des lianes suspendues ou des tiges qui tendent vers le haut. Sur les fils, joue la lumière. Lorsque la danseuse les met en mouvement, des ombres naissent, des partitions de vibrations, des disparitions. Ils la piègent parfois et lui permettent aussi de s’élancer vers les cieux.
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PLEXUS PIÈCE POUR KAORI ITO Aurélien Bory 28/29 mars : Teatro Central, Seville (Espagne) 3–12 avril : Théâtre Garonne, scène européenne, Toulouse
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vec Plexus, Aurélien Bory trace un portrait en ombres immenses et en lumières fragmentées de la danseuse Kaori Ito. Un portrait intime, comme un paysage intérieur exposé, projeté dans un dispositif qui se joue des perceptions visuelles comme de la danse, contrainte visible qui mène à la simplicité des lignes.
1 PENTHESILEES DE CATHERINE DIVERRÈS. PHOTO : CAROLINE ABLAIN 2 PLEXUS DE AURÉLIEN BORY. PHOTO : FRANK BERGLUND
D’abord Kaori Ito est un cœur battant, amplifié par un micro qu’elle applique en divers endroits de son corps. Souffles, vibrations, pas qui frappent le sol – la partition de Plexus est au plus près de l’organique. Entre les fils, la danseuse échappe, ploie, se tend. Elle arpente le sol, explore les possibilités de cet enfermement. Poursuivie par l’ombre, elle disparaît plusieurs fois par la magie du théâtre. Le Japon appartient à cette femme comme elle lui appartient, une appartenance dont l’essai de Junichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre, révèle certains secrets. La pénombre est un seuil, un lieu privilégié pour qui désire réellement voir, ou montrer. Si le dispositif peut paraître plus important que le mouvement dansé qu’il contient, cela s’explique par sa force de représentation. Il est une métaphore matérialisée du plexus, symbole des fils tissés de l’expérience humaine. Kaori Ito, prise dans sa propre expérience et Aurélien Bory, sculpteur d’espaces intangibles, nous offrent l’écho d’une structure de pensée lointaine et puissante. Marie Juliette Verga
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LE SANG DES ÉTOILES Thierry Malandain à l’Opéra National du Rhin Opéra de Strasbourg, novembre 2013
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ous nous le dirons jamais assez, Thierry Malandain est le plus contemporain des chorégraphes dits néo-classiques. Invité par Ivan Cavallari, le nouveau directeur de l’Opéra du Rhin, il réalise avec la collaboration de Françoise Dubuc, un travail de transmission remarquable pour les seize interprètes impeccables convoqués à cette entrée au répertoire. La création chorégraphique s’inspire du mythe grec de Callisto, qui met en scène des astres et des humains, en fait ressorti ce qu’il y a de bouleversant dans la perdition humaine face à la jalousie de Zeus, à la puissance du désir et de la rivalité. Nous y reconnaissons la gestuelle du chorégraphe, toujours simple avec une grande sobriété dans le travail des bras, une utilisation maximale de la puissance des jambes et un placement corporel irréprochable. Les lumières de Jean-Claude Asquié forment un écrin magique et incandescent, les costumes sont tantôt bleutés et froufrouteux, tantôt dans l’esprit du faux nu, caché montré, cher au chorégraphe contemporain David Wampach. Thierry Malandain reprend en outre les partitions musicales de Mahler, Strauss, Waldteufel et Minkus, identifiées
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aux ballets narratifs, pour en faire des partitions chorégraphiques parfaitement abstraites et dépouillées d’autres arguments que ceux de l’émotion. Le grand moment de la création demeure l’arrivée sur scène des danseurs vêtus de costumes d’ours, animaux en voix de disparition, ce qui est le thème central de al pièce. Et nous notons là la capacité magique de Thierry Malandain à rendre proche le lointain, et à faire entrer les étoiles dans les yeux. Prochain spectacle de la compagnie : Cendrillon, Le Malandain Ballet Biarritz 9–18 avril : Théâtre National de Chaillot, Paris
Bérengère Alfort
SUN Hofesh Shechter 14/15 mars : Teatro Central de Séville 20/23 mars : Sadler’s Well de Londres
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ofesh Shechter tente avec Sun de subvertir son univers par le biais de l’humour afin d’accéder à plus de légèreté. Une pièce irrégulière qui retire à la danse son pouvoir immédiat.
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Ceux qui ont vu Political Mother ou Uprising n’en doutent pas : Hofesh Shechter sait comment mener un spectacle. Formé à la Batsheva Dance Company de Tel Aviv, ancien interprète de Wim Vandekeybus, le jeune chorégraphe israélien a fait sienne une danse de l’énergie, des courbes et des torsions. Ses danseurs sont remarquables de précision et de présence, capables de tous les changements de rythme. Et
c’est sur une pulsation forte que se déroulent ses pièces, scandées par de fréquents passages au noir, des bandes-son puissantes, des mouvements de groupe dont l’unisson amplifie la force. Et puisqu’il y ajoute un engagement personnel et une préoccupation permanente de la guerre, la charge est souvent violente. Ici, l’alternance entre les différents tableaux affaiblit l’ensemble. L’énergie reçue dans la salle est intermittente, retenue. Si la bande-son est impeccable, volume poussé au maximum et mélange de Wagner et de Let’s face the music, de mantras et de fracas, la danse n’a pas la force de rituel qui a forgé sa réussite. Le second degré affadit les envolées folkloriques fondues en défilés militaires, la folie du meneur de troupe, la beauté d’un solo sous les ampoules. La légèreté du divertissement n’en est pas une et les possibilités hystériques de la danse sont réduites à un extrait. La volonté affichée de chorégraphier la violence larvée de nos sociétés est plus intellectuelle que physique dans Sun : des moutons, des silhouettes d’indigènes et de colons, de jeunes à capuches et de costumes-cravates traversent le plateau. Soit. Le monde s’amuse jusqu’à l’indifférence face à une bastonnade. Bien. Retenons que le passage de la danse à la parade peut se faire dans l’autre sens et que toujours des corps échappent à l’ordre pré-établi malgré les blackout.
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1, 2 LE SANG DES ÉTOILES DE THIERRY MALANDAIN. PHOTOS : JEAN-LUC TANGHE 3 SUN DE HOFESH SHECHTER. PHOTO : GABRIELE ZUCCA
Marie Juliette Verga
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TRIBUNE LIBRE
ART MAJEUR Une danse fiction de Daan Larjew et Jemma Laupié En direct live de la MMINRC (méta-maison internationale de non-retraite des chorégraphes), le 27 février 2033 Daan et Jemma, à plus de 2000 kms de distance, évoquent le passé en partageant un thé sencha de Kyoto. Daan porte une combinaison en mérinos recyclé à gros boutons. Il réside dans l’ancienne Amérique, devenue 3DMétropolis dans les années 20. Jemma en robe para-nucléaire verte, vit dans l’ancienne Asie unifiée, devenue MidoriX, forêt reconstituée d’après les paysages du Taketorimonogatari de Murasaki Shikibu (850). Jemma : Ah ! Daan, c’est comme si tu étais là … très fluide cette nouvelle connexion! Daan : Je te vois encore mieux, sans pop-up, ah ! … C’est génial, le flux parfait! Ça me rappelle … Souviens-toi dans les années 2014 – 2015 quelle histoire de dingue, quelle mouise, quel drôle de sentiment d’effondrement ce coup de crack culturel! Tout a pété d’un seul coup, mieux qu’un barrage! J : Ahh, j’avais oublié! On a failli tous y passer, les institutions, l’état, les collectivités territoriales, tout le monde
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n’en faisait qu’à sa tête ou n’en faisait qu’à la tête du client ou les deux. Il n’y avait aucune politique, aucune réflexion ou trop! Ha ha ha, la PIPOlitique ! Ils nous avaient tellement bien subordonnés … Quelle humiliation pour notre art et pour nous tous, complètement peoplelitisés … T’imagines pas, s’ils avaient dû payer pour leur condamnation pour « abus sur artiste ». Ah! Avec la période low cost culturelle des années 2000, forcément tout a pété! Et BOUM ! on a bien fait péter le tutu …
J : Aujourd’hui plus d’ordi, vive la télé-transportation! D : Arrête avec ta technologie … Essaie plutôt la télépathie choré3./moov/grafik, c’est beaucoup plus naturel et hyper facile pour les danseurs ! J’ai carrément téléchargé l’application sur ma puce cephalo-implantée, c’est super pour apprécier le répertoire de Balanchine sans courbature!
Rires … Souvent ils rient.
J : Hola, moi je ne veux pas ce truc, je tiens à garder mes pensées personnelles secrètes.
D : Ha! Quelle sacrée révolution en 2014! Toute l’année, les grèves, les manifs, les plateaux TV en otage, tous dans la rue, dans les théâtre, les cinés … partout … et le must, avec le hacking des Artnonymous. Sur tous les ordis du ministère de la Culture et des Collectivités Territoriales, 72 h de revendications qui passaient en boucle … « on vaut des ronds, on veut des ronds » – « le mouvement c’est maintenant, demain c’est crétin » – « danse ta politique, bouge ton pouvoir » – « droite, gauche c’est fini! le haut et l’bas, c’est ici ». Et tu te rappelles de tout le raout Facebook avec les 50 000 likes en 2h ? Ah ! Et le Palais Royal envahi pendant trois semaines … Pourtant on n’y croyait plus trop … depuis le temps qu’on s’agitait !
D : Ne perdons pas le fil, parlons encore de cette époque tourmentée. On était tous là: les chorégraphes, les interprètes, les profs de danse, les conservatoires, les centres de formations, les scènes conventionnées, les CCNs, les CDCs et même des Scènes Nationales et même le public … Ah, quand ils s’y sont mis, c’était beau … « on veut du beau et du pas beau, on n’est pas des blaireaux ! » – Sous la pression, le Ministère avait fini par créer le Bureau de la Danse et au passage, celui, très réclamé, des écritures scéniques transmédiales! Dans les années 80, il n’y avait absolument rien. En 2014, nous avons plus que légitimé nos efforts pour notre art, créé notre nouvel espace, réussi à doubler le budget sans avoir à dépendre des autres disciplines ! Et quand les collectivités
ont enfin décidé de rendre obligatoire la pratique de la danse dans les 101 départements français, la poilade ! En deux secondes, il y avait du boulot pour tous et on a même embauché à tour de bras … oh la la … et puis aussi, la grève des Festival de théâtre et de musique en soutien, Avignon qui n’avait programmé que de la danse, les messages envoyés de l’Europe entière pour nous encourager dans la lutte, c’est du bon souvenir, ça, tout de même. Et même le changement de titre des Conservatoires « Conservatoire de Danse et de Musique » … dans l’ordre alphabétique ! Ah la tronche! … Dire qu’on était à peine parvenu à la parité H/F … C’était bon ce mouvement solidaire ! J : Oui, mais alors, question valorisation et rémunération … dix ans avant d’arriver à fixer les seuils et plafonds des salaires des artistes toutes disciplines confondues … 1er janvier 2025, un grand pas ! C’était aussi énorme quand tous les politiques du monde ont signé la charte internationale pour instaurer une zone de protection écologique pour l’art de la danse et le traité mondial de Moscou pour les droits des artistes. D : Ah oui … Il en aura fallu du temps. C’était génial d’avoir une ministre de la Culture ex-chorégraphe … Ah, je ne me rappelle plus de son nom! Tu parles de l’ancien régime là, quand il fallait encore lutter pour avoir un contrat d’auteur dans les opéras, ou savoir se faire oublier pour ne pas avoir de droits sur les vidéos de chanteurs … Avant la Fédé des écritures corporelles, le mime dépendait du théâtre … n’importe quoi …
D : … je ne me rappelle plus de son nom, tu vois, je perds un peu la boule à facettes, moi. Tu reprendras du thé ? Mmmm, c’était pas facile de lâcher prise pour certains. Du côté de la scène comme du côté de l’institution. Et puis les chapelles pffff … vingt ans après c’est toujours des querelles de clochers, mais on a bien avancé, même s’il n’y a plus de clochers, ho ho ho. J : Le problème restait la tension permanente entre l’esthétique et le politique; les éthiques des deux étaient souvent contradictoires. Mais bon, comme la société était en mutation et que la coopération était devenue la pratique indispensable à sa survie, c’est passé … en force, mais c’est passé. Finalement, le réchauffement climatique nous aura tous rendu éco-responsables, qui l’eut cru ? D : On peut quand même être fiers de nos « 10 règles d’or pour la pratique et l’art de la danse dans les sociétés contemporaines », rédigées sur la nappe en tissu au bistrot. Tu l’as toujours? J : Tu n’avais pas vu qu’elle était accrochée dans le hall de la centrale du CMD1 (Centre Mondial de la Danse) à Kampala ? Au passage, c’était génial l’inauguration de 2025, la ville fêtait sa nomination de « capitale mondiale des amours libres » !
D : D’ailleurs tu vas à la prochaine séance de kwasakwasa-butô-jazz donnée par Momi Tchaïkovska, tu sais, la super prof de release? J : J’adorerais, mais demain, je m’occupe de mettre en place la retraite chorégraphique minimum pour les seniors, dont nous, je te rappelle! D : Enfin moi, n’exagère pas tout de même pour toi … Bon courage ma jeune vieille! Depuis l’époque ancienne ou Audiens et l’Agessa ont crashé, et que les Congés Spectacles ont perdu leur procès, je ne sais pas où tu vas trouver de l’argent … à part à la fondation des amis de la danse … c’était bien quand on ponctionnait la Française des Jeux pour financer l’action sociale … Quel boulot complexe, mais on pouvait être fier … Tout ce beau travail … Et le coup de poker en obligeant la publicité qui utilisait la danse pour financer la création … c’était bon ça !!! J : Ah non, je ne toucherai pas à la fondation, promis! C’est le dernier fond d’aide pour les jeunes chorégraphes. Et dis ! On pourrait faire du troc? On lâche le salaire des profs senior de la formation et on en fait une rente artistique à vie. D : Jemma … tu dérives
D : Ah oui, c’est vrai! On l’avait rêvé en 2015, et puis, en 2025, hop, on l’a inauguré, tous ensemble sur UpperSkype … dommage qu’il ait disparu … j’aimais bien UpperSkype!!! J : La faute à Mark Zuckerberg Junior !
J : … comment s’appelait cette Présidente de la République écolo qui avait posté sur sa page une reprise perso du sacre de Pina dans la forêt de Rambouillet et qui avait été élue grâce à ça ? Je crois que c’était la deuxième femme à présider après le scandale de harcèlement sexuel qui a fait éjecter la première … hi hi!
chacun des 207 pays!
D : Sérieusement, dix années de boulot pour tout créer au CMD … les départements, les objectifs, la formation à la chorégraphie pour tous et obligatoire! J : Et le forum permanent des pratiques chorégraphiques! Et ses antennes dans
J : Non Daan … je rêve. D : Excuse-moi je dois te laisser, c’est virtualinternationaldeliveryexpress qui me livre la réédition des Ballroom de 2014 à 2024 avec des suppléments HQ-VOD … trop chouette ! Ils étaient un peu frappés pour l’époque, non? J : Comme nous!
1 CMD : Ex – Centre International Virtuel de la Danse de Lyon et Pantin
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PROCHAIN NUMERO BALLROOM #2 Spécial Festivals d'Eté Juin 2014.
RETROUVEZ BALLROOM SUR LA TOILE www.ballroom-revue.net
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Olivier Tholliez Aurélien Richard Bérengère Alfort, Pierre Cléty, Mié Coquempot, Laurent Croizier, Floriane Dupuis, Antoine Ferras, Sophie Grappin, Daniel Larrieu, François Olislaeger, Edwige Phitoussi, Aurélien Richard, Énora Rivière, Marie-Charlotte Rossato, Nasri Sayegh, Marie Juliette Verga, Olivier Waché, Nathalie Yokel Corinne Hyafil Michael Prigent, Cécile Tonizzo, Hervé Walbecq Myriam Tirler Lothar Ruttner Vincent Lalanne/Fugu Arnaud Bourgeois Axelle Van de Voorde-Lévi Otto Borscha/BO Conseil Léonce Déprez Presstalis OTH SARL, 22 rue de Bellefond, 75009 Paris en cours en cours à parution
ILLUSTRATION : HERVÉ WALBECQ
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centre national de la danse directrice générale mathilde monnier 1, rue victor hugo 93507 pantin cedex 40 ter, rue vaubecour 69002 lyon 01 41 83 98 98 reservation@cnd.fr www.cnd.fr