des chiffres et des lettres

Page 1


CÔTÉ

COU R

·

COR R ESPON DA NCE

Isolée à Versailles, Marie-Antoinette reste très liée aux siens. Dans les lettres à sa mère, à son frère Joseph II et plus tard à Fersen, elle renseigne la cour de Vienne sur son emploi du temps, la vacuité de ses jours… et sa faible emprise sur le roi son époux.

De  chiffre  & de de lettre lettre

1.

2.

3.

à Marie-Thérèse

4.

Choisy, 12 juillet 1770 Madame ma très chère mère, à lire Marie-Antoinette, Correspondance (1770-1793), établie et présentée par Évelyne Lever, Tallandier, 2005.

a correspondance secrète de MarieAntoinette, réunie intégralement pour la première fois par Évelyne Lever, représente vingt-trois ans de la vie d’une reine. Ces lettres authentiques dévoilent son intimité et retracent le roman vrai d’un destin pathétique. Elles permettent de saisir l’évolution de la personnalité de cette jeune femme manipulée par sa famille autrichienne et de comprendre pourquoi et comment elle

1

a dû jouer un rôle politique. Celles

autograp h e retrouvé sur le ruban du livre de prières de la reine, 1793.

que nous présentons ici correspondent à des moments-clés de son existence.

© AKG-images

28

5.

Je ne peux vous exprimer combien j’étais touchée des bontés que Votre Majesté m’y marque, et je lui jure que je n’ai pas encore reçu une de ses chères lettres sans avoir eu les larmes aux yeux de regret d’être séparée d’une aussi tendre et bonne mère, et quoique je suis très bien ici, je souhaiterais pourtant ardemment de revenir voir ma chère et très chère famille au moins pour un instant. Je suis au désespoir que Votre Majesté n’a pas reçu ma lettre ; j’ai cru qu’elle irait par le courrier, mais Mercy a jugé à propos de l’envoyer par Forcheron 1, et c’est, à ce que je m’imagine, ce qui cause le retard. Je trouve que c’est bien triste de devoir attendre mon oncle, mon frère et ma belle-sœur sans savoir quand ils viendront 2. Je la supplie de me marquer si c’est vrai qu’elle est allée à leur rencontre à Graz, et que l’empereur est beaucoup maigri de son voyage ; cela pourrait m’inquiéter, n’ayant pas trop de graisse pour cela.

6.

7.

Pour ce qu’elle m’a demandé pour mes dévotions et la générale 3, je lui dirai que je n’ai communié qu’une seule fois. Je me suis confessée avant-hier à M. l’abbé Maudoux, mais comme c’était le jour que j’ai cru partir pour Choisy, je n’ai point communié, ayant cru d’avoir trop de distraction ce jour-là. Pour la générale, c’est le quatrième mois qu’elle ne vient point, sans avoir de bonne raison. Notre voyage de Choisy a retardé d’un jour, mon mari ayant eu un rhume avec de la fièvre, mais

marie-antoinette

HSMA-28-31-CORRESPx.indd 28

15/01/08 17:35:20


cela s’est passé dans un jour, car ayant dormi douze heures et demie tout de suite, il s’est trouvé très bien portant et en état de partir. Nous sommes donc depuis hier ici – où on est, depuis une heure, où l’on dîne, jusqu’à une heure du soir, sans rentrer chez soi – ce qui me déplaît fort, car après le dîner l’on joue jusqu’à six heures, que l’on va au spectacle, qui dure jusqu’à neuf heures et demie et ensuite le souper, de là encore jeu jusqu’à une heure et même la demie quelquefois, mais le roi, voyant que je n’en pouvais plus hier, a eu la bonté de me renvoyer à onze heures, ce qui m’a fait grand plaisir et j’ai très bien dormi jusqu’à dix heures et demie, quoique seule ; mon mari, étant encore au régime, est rentré avant souper et s’est couché tout de suite chez lui, ce qui n’arrive jamais sans cela.

1.

Huissier de la chambre impériale.

2.

Le voyage de Charles de Lorraine, de l’archiduc Léopold (1747-1792), futur empereur Léopold II et de sa femme n’aura pas lieu.

3.

Marie-Antoinette évoque ainsi ses règles.

4.

Cette lettre dont il sera question après le sacre du roi scandalisa Marie-Thérèse. Ci-dessous la lettre de l’impératrice datée du 31 juillet 1775.

5.

Pierre Victor, baron de Besenval (1721-1794), servait en France comme lieutenant-colonel des Suisses. Cette charge l’avait attaché au duc de Choiseul et ensuite au comte d’Artois. Écrivain à ses heures, Besenval a laissé des romans et surtout des Mémoires sur la Cour de Louis XV et celle de Marie-Antoinette.

6.

Armand Jules, comte, puis duc de Polignac en 1780 (1745-1817), avait épousé Gabrielle Yolande

Votre Majesté est bien bonne de vouloir bien s’intéresser à moi et même de vouloir savoir comme je passe ma journée. Je lui dirai donc que je me lève à dix heures ou à neuf heures, ou à neuf heures et demie, et, m’ayant habillée, je dis mes prières du matin, ensuite je déjeune, et de là je vais chez mes tantes, où je trouve ordinairement le roi. Cela dure jusqu’à dix heures et demie ; ensuite à onze heures je vais me coiffer. À midi, on appelle la chambre et là tout le monde peut entrer, ce qui n’est point des communes gens. Je mets mon rouge et lave mes mains devant tout le monde, ensuite les hommes sortent et les dames restent et je m’habille devant elles. À midi est la messe ; si le roi est à Versailles, je vais avec lui et mon mari et mes tantes à la messe ; s’il n’y est pas, je vais seule avec M. le dauphin, mais toujours à la même heure. Après la messe nous dînons à nous deux devant tout le monde, mais cela est fini à une heure et demie, car nous mangeons fort vite tous les deux. De là, je vais chez M. le dauphin, et s’il a affaires, je reviens chez moi, je lis, j’écris ou je travaille, car je fais une veste pour le roi, qui n’avance guère, mais j’espère qu’avec la grâce de Dieu elle sera finie dans quelques années. À trois heures je vais encore chez mes tantes où le roi vient à cette heure-là ; à quatre heures vient l’abbé chez moi, à cinq heures tous les jours le maître de clavecin ou à chanter jusqu’à six heures. À six heures et demie je vais presque toujours chez mes tantes, quand je ne vais point promener ; il faut savoir que mon mari va presque toujours avec moi chez mes tantes. À sept heures, on joue jusqu’à neuf heures, mais quand il fait beau, je m’en vais promener et alors il n’y a point de jeu chez moi, mais chez mes tantes. À neuf heures nous soupons, et quand le roi n’y est point, mes tantes viennent souper chez nous, mais quand le roi y est, nous allons après souper chez elles, nous attendons le roi, qui vient ordinairement à dix heures trois quarts, mais moi en attendant, je me place sur un grand canapé et dors jusqu’à l’arrivée du roi, mais quand il n’y est pas, nous allons nous coucher à onze heures. Voilà toute notre journée. Pour ce que nous faisons les dimanches et fêtes, je me le réserve à lui mander une autre fois.

de Polastron, qui devint l’amie intime de Marie-Antoinette. 7.

Henri Louis Marie de Rohan, prince de Guéméné (17451808) qui avait épousé en 1761 sa cousine Victoire Armande Joséphine de Rohan, fi lle du prince de Soubise

Je vous supplie, ma très chère mère, de pardonner si ma lettre est trop longue, mais c’est mon seul plaisir de m’entretenir avec elle. Je lui demande encore pardon si la lettre est sale, mais je l’ai dû écrire deux jours de suite à la toilette, n’ayant pas d’autre temps à moi, et si je ne lui réponds pas exactement, qu’elle croie que c’est par trop d’exactitude à brûler la lettre. Il faut que je finisse pour m’habiller et aller à la messe du roi ; j’ai donc l’honneur d’être la plus soumise fille.

et gouvernante des enfants de France, en survivance de la comtesse de Marsan.

Je lui envoie la liste des présents que j’ai reçus, croyant que cela pourrait l’amuser.

au

comte de

Rosenberg 17 avril 1775 4 Le plaisir que j’ai eu à causer avec vous, monsieur, doit bien vous répondre de celui que m’a fait votre lettre. Je ne serai jamais inquiète des contes qui iront à Vienne tant qu’on vous en parlera. Vous connaissez Paris et Versailles, vous avez vu et jugé. Si j’avais besoin d’apologie, je me confierais bien à vous ; de bonne foi j’en avouerai plus que vous n’en dites : par exemple mes goûts ne sont pas les mêmes que ceux du roi, qui n’a que ceux de la chasse et des ouvrages mécaniques. Vous conviendrez que j’aurais assez mauvaise grâce auprès d’une forge. Je n’y serais pas Vulcain, et le rôle de Vénus pourrait lui déplaire beaucoup plus que mes goûts, qu’il ne désapprouve pas. Les princes sont tous revenus, à l’exception de M. le prince de Conti, qui a encore la goutte et qui m’a fait dire tous ses regrets par sa nièce. On ne parle plus du tout de cette tracasserie. Notre vie actuelle ne ressemble en rien à celle du carnaval. Admirez mon malheur, car les dévotions de la semaine sainte m’ont beaucoup plus enrhumée que tous les bals. Vous trouvez sûrement que cela est bien fait pour cela. J’ai établi chez moi un concert tous les lundis qui est charmant. Toute étiquette en est ôtée. J’y chante avec une société de dames choisies qui y chantent aussi. Il y a quelques hommes aimables, mais qui ne sont pas de la jeunesse : il y a M. de Duras, le duc de Noailles, le baron de Besenval 5, d’Esterhazy, M. de Polignac 6, de Guéméné 7 et deux ou trois autres. Cela dure depuis six heures jusqu’à neuf, et ne paraît long à personne. Je suis bien fâchée que vous ayez de si bonnes raisons de ne pas continuer les voyages. C’est un grand malheur pour mon frère. J’espère que vous l’aurez bien prêché avant son départ. Vous savez qu’il faut un style un peu vif pour l’animer. Dieu veuille que vous en soyez venu à bout. Je ne vous pardonne pas vos excuses sur la longueur de votre lettre. Il faudrait que vous me crussiez bien fausse pour douter de mes sentiments pour vous et du plaisir que j’aurai à recevoir de vos lettres. J’y compte.

 29

HSMA-28-31-CORRESPx.indd 29

15/01/08 17:35:21


à Joseph



22 septembre 1784 Je ne vous contredirai pas, mon cher frère, sur le défaut de vue de notre ministère 8. Il y a déjà du temps que j’ai fait une partie des réflexions que vous me faites dans votre lettre. J’en ai parlé plus d’une fois au roi, mais il faudrait le bien connaître pour juger du peu de ressources et de moyens que me fournissent son caractère et ses préjugés. Il est de son naturel très-peu parlant, et il lui arrive souvent de ne me parler des grandes affaires, lors même qu’il n’a pas d’envie de me les cacher. Il me répond quand je lui en parle, mais il ne m’en prévient guère, et quand j’apprends le quart d’une affaire, j’ai besoin d’adresse pour me faire dire le reste par les ministres, en leur laissant croire que le roi m’a tout dit. Quand je reproche au roi de ne m’avoir pas parlé de certaines affaires, il ne se fâche pas, il a l’air un peu embarrassé et quelquefois il me répond naturellement qu’il n’y a pas pensé. Je vous avouerai bien que les affaires politiques sont celles sur lesquelles j’ai le moins de prise. La méfiance naturelle du roi a été fortifiée d’abord par son gouverneur, dès avant mon mariage. M. de La Vauguyon l’avait effrayé sur l’empire que sa femme voudrait prendre sur lui, et son âme noire s’était plu à effrayer son élève par tous les fantômes inventés contre la maison d’Autriche. M. de Maurepas, quoique avec moins de caractère et de méchanceté, a cru utile pour son crédit d’entretenir le roi dans les mêmes idées. M. de Vergennes suit le même plan, et peut-être se sert-il de sa correspondance des affaires étrangères pour employer la fausseté et le mensonge. J’en ai parlé clairement au roi et plus d’une fois. Il m’a quelquefois répondu avec humeur, et comme il est incapable de discussion, je n’ai pu lui persuader que son ministre était trompé ou le trompait. Je ne m’aveugle pas sur mon crédit. Je sais que, surtout pour la politique 9, je n’ai pas grand ascendant sur l’esprit du roi. Serait-il prudent à moi d’avoir avec son ministre des scènes sur des objets, sur lesquels il est presque sûr que le roi ne me soutiendrait pas ? Sans ostentation ni mensonge, je laisse croire au public que j’ai plus de crédit que je n’en ai véritablement, parce que, si on ne m’en croyait pas, j’en aurais encore moins. Les aveux que je vous fais, mon cher frère, ne sont pas flatteurs pour mon amour-propre, mais je ne veux vous rien cacher, afin que vous puissiez me juger autant qu’il est possible de la distance affreuse, où mon sort m’a éloignée de vous. Vous entendrez assez parler du prince Henri 10, pour que je ne vous en ennuie pas. La comparaison du roi de Suède a augmenté l’admiration des enthousiastes prussiens. Pour moi, je ne l’ai vu que deux ou trois fois et si passagèrement, que je ne puis m’en faire encore qu’une idée fort vague. Tout le monde est étonné du bon état dans lequel mon fils est revenu de la Muette. Ma fille a dans ce moment-ci une petite indisposition, mais qui ne sera rien, j’espère. Ma santé et ma grossesse 11 vont toujours fort bien. Adieu, mon cher frère, je vous aime et vous embrasse tendrement.

30

au

12.

comte

de Fersen

29 juin 1791 12

Je puis vous dire que je vous aime et n’ai même le temps que de cela. Je me porte bien. Ne soyez pas inquiet de moi. Je voudrais bien vous savoir de même. Écrivez-moi en chiffres par la poste à l’adresse

8.

Contraint d’abandonner ses vues sur les Balkans, Joseph II

de Mme Brown dans une

s’était tourné vers les Pays-Bas.

enveloppe double pour

rouvrir les bouches de l’Escaut,

Il avait sommé les Hollandais de afi n de redonner essor au port d’Anvers. Il réclamait, en outre,

M. de Gougens. Envoyez

la destruction des forteresses le long de la frontière : c’était

les lettres par votre valet

violer les clauses du traité de

de chambre. Mandez-moi

était garante. Encore une fois,

Münster (1648), dont la France l’empereur avait besoin de l’appui français, mais ses exigences

à qui je dois adresser celles

s’opposaient aux conceptions diplomatiques de Louis XVI. Le roi lui fi t savoir qu’il n’avait

que je pourrai vous écrire

pas l’intention de le soutenir. Aussi Joseph faisait-il de

car je ne peux vivre sans cela. Adieu le plus aimé et le plus aimant

nouveau appel à la reine. 9.

de la politique extérieure. 10.

Henri de Prusse, frère de Frédéric II, qui venait

des hommes. Je vous embrasse de tout cœur.

La reine veut parler

de faire un séjour en France. 11.

La reine commençait une nouvelle grossesse.

marie-antoinette

HSMA-28-31-CORRESPx.indd 30

15/01/08 17:35:21


24 juillet 1792 [ En chiffres ]

au

12.

Ce billet chiffré, conservé dans les papiers de Fersen, n’a pas été publié par le baron de Klinckowström. Il fut déchiffré et publié, pour la première fois,

comte de Fersen

par Lucien Maury dans la Revue

Archives nationales en 1984 et conservée sous la cote AP. 440. Cette lettre est la seule qui évoque clairement des relations amoureuses entre Marie-Antoinette et Fersen.

Blois et la suspension du roi. Chaque jour produit une scène nouvelle, mais tendant famille. Des pétitionnaires ont dit, à la

déchiffrée existe dans le dossier avec Fersen achetée par les

l’Assemblée doit décréter sa translation à

toujours à la destruction du roi et de sa

bleue. Une copie manuscrite de la correspondance de la reine

Dans le courant de cette semaine,

barre de l’Assemblée, que si on ne le destituait, ils le massacreraient. Ils ont eu les honneurs de la séance. Dites donc à M. de Mercy que les jours du roi et de la reine sont dans le plus grand danger ; qu’un délai d’un jour peut produire des malheurs incalculables, qu’il faut envoyer le manifeste sur-le-champ, qu’on l’attend avec une extrême impatience, que nécessairement il ralliera beaucoup de monde autour du roi et le mettra en sûreté ; qu’autrement personne ne peut en répondre pendant vingt-quatre heures : la troupe des assassins grossit sans cesse. 55

II

Bas.

s de

à la

aut,

du roi

la dernière l ettre, adressée par Marie-Antoinette à Mme Élisabeth, le 16 octobre 1793. © AKG-Images

ort

tre,

es

t

e

nce

s,

appui

ns

it

.

31 HSMA-28-31-CORRESPx.indd 31

15/01/08 17:35:24



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.