41,5 % des paroisses excluent les femmes de services liturgiques. Premier bilan de notre cartographie. 17 octobre 2012
Beaucoup d’entre nous connaissions personnellement des situations de discrimination sexuelle pendant les messes des paroisses catholiques que nous fréquentions : des jeunes filles et des femmes exclues de fonctions liturgiques ouvertes aux laïcs comme le service de l’autel (enfants de chœur), la distribution de la communion, voire les lectures de la Bible. Mais qu’en était-il au-delà de notre expérience personnelle ? Pour répondre à cette question, le 24 mars 2012, le Comité de la Jupe lança une cartographie des pratiques d’accueil ou d’exclusion des femmes dans la liturgie dominicale des paroisses. Le but annoncé était triple : « donner une information aux femmes et aux hommes qui souhaitent rejoindre une communauté manifestant leur égale dignité ; rendre visible l’exclusion des femmes afin que les pratiques arbitraires et silencieuses de certains curés soient débattues ; faire prendre la mesure par nos évêques des exclusions non autorisées par le droit canonique concernant la distribution de la communion et les lectures. » La Croix et Témoignage Chrétien informèrent de l’initiative et très rapidement la carte reçut des milliers de visite. Aujourd’hui nous dressons un premier bilan de l’initiative et alertons les responsables par une « lettre ouverte aux curés ». Voici les principaux résultats de l’enquête, menée non pas à partir d’un échantillon représentatif mais à partir des informations recueillies localement par nos sympathisant.e.si, concernant à ce jour 340 paroisses et regroupements paroissiaux, principalement en France. Dans 41,5 % des paroisses que nous avons recensées, les femmes sont exclues au minimum du service de l’autel. A cette exclusion 13,5 % des paroisses ajoutent celle des femmes de la distribution de la communion. En plus de l’ampleur de la discrimination, nous avons aussi découvert que l’invention du service de « servantes de l’assemblée » n’est pas une bonne nouvelle pour la participation des femmes aux services liturgiques : leur existence aggrave le taux d’exclusion des femmes de la distribution de la communion ; en effet 40 % des paroisses où existe un « service de l’assemblée » excluent aussi les femmes de la distribution de la communion, contre 28 % des paroisses avec exclusion pure et simple des filles du service de l’autel.
Abordons en détail les résultats de notre enquête.
Comité de la Jupe, 15/10/2012, Premier bilan de notre cartographie.
Pas d’exclusion : 58,5 % des paroisses On recense 199 paroisses qui n’excluent pas les femmes du service de l’autel, de la distribution de la communion ou des lectures, soit 58,5 %. Merci à elles ! Il manque probablement à ce recensement un bon nombre de paroisses plus conservatrices qui comptent peu de personnes sensibilisées à l’égalité des sexes et sympathisantes du Comité de la Jupe. D’autre part, pour les paroisses plus accueillantes nous n’avons pas tenu compte de l’absence pure et simple d’enfants de chœur, ni des fréquents cas où les femmes qui distribuent la communion sont reléguées dans les endroits les moins visibles de l’église, ni de l’exclusion des femmes du rite du lavement des pieds le Jeudi Saint (que nous recenserons en 2013).
Exclusion des filles du service de l’autel : 41,5 % 141 paroisses excluent les filles du service de l’autel (enfants de chœur), soit 41,5 %. Parmi les paroisses qui excluent les filles du service de l’autel, 50 d’entre elles confient aux filles un service non mentionné dans le missel romain, créé pour leur sexe : le « service de l’assemblée », qui porte parfois un nom plus explicitement féminin. Cette ségrégation donne certes un rôle aux filles mais il ne revalorise pas la participation des femmes. En effet 40 % des paroisses où existe un « service de l’assemblée » excluent aussi les femmes de la distribution de la communion, contre 28 % des paroisses avec exclusion pure et simple des filles du service de l’autel. De ce point de vue le nouveau service proposé aux filles ne signe pas la fin des exclusions et le début d’une nouvelle ère de « complémentarité entre les sexes » ou « d’égalité dans la différence » ; c’est plutôt un lot de consolation pour mieux justifier l’exclusion par la différence (des femmes par rapport à la norme masculine).
Exclusion de la distribution de la communion : 13,5 % 46 paroisses excluent les femmes de la distribution de la communion, soit 13,5 % de l’ensemble des paroisses. Cette discrimination s’accompagne toujours de l’exclusion des filles du service de l’autel. Elle concerne 32 % des paroisses excluant déjà les filles du service de l’autel. C’est un stade audessus, notamment canoniquement car rien n’autorise une telle exclusion de principe.
Exclusion des lectures : 1,2 % 4 paroisses excluent systématiquement les femmes des lectures en plus de les exclure du service de l’autel et de la distribution de la communion. Cette exclusion est très rare dans notre recensement. Peut-être parce que canoniquement rien ne l’autorise ; plus probablement parce que les lectures se font loin de l’autel et n’ont pas de rapport explicite avec l’Eucharistie qui est perçue comme le domaine réservé des hommes.
Comité de la Jupe, 15/10/2012, Premier bilan de notre cartographie.
Constat global sur les exclusions Les paroisses les plus accueillantes sont réparties sur tout le territoire tandis que certains grands centres urbains sont plus touchés par les exclusions. Faut-il y voir une question de milieu social plus conservateur, à la fois chez les fidèles et chez les prêtres (regarder le contraste entre l’ouest et l’est parisien) ? Ou un simple effet de la densité de population qui permet plus facilement aux curés d’imposer un style liturgique en se disant que les mécontent.e.s iront voir ailleurs ? Nous constatons par ailleurs que les exclusions sont cumulatives et toujours dans le même sens : l’exclusion du service de l’autel est l’exclusion de base à laquelle s’ajoute parfois l’exclusion de la distribution de la communion. Et à ces deux exclusions s’ajoute plus rarement l’exclusion des lecturesii. Quant à cette modalité de l’exclusion du service de l’autel qu’est le « service de l’assemblée », elle accélère l’exclusion de la distribution de la communion (40 % de passage au stade supérieur contre 28 % en l’absence de service de l’assemblée). Quelle est la logique du cumul des exclusions ? Plus on se rapproche de l’autel où est célébrée l’eucharistie présidée exclusivement par un homme, plus les femmes sont exclues. D’où la constance, parmi les exclusions, de celle du service de l’autel. La lecture de la Parole de Dieu se faisant loin de l’autel et sans lien immédiat avec l’Eucharistie, les femmes en sont moins souvent exclues ; mais elles le sont parfois quand le simple fait qu’une femme exerce un ministère est perçu comme une concurrence à la fois du rôle du prêtre (parce qu’elles sont des laïques) et du monopole masculin sur le presbytérat (parce qu’elles sont des femmes). Commission « liturgie » du Comité de la Jupe, 17/10/2012. ** Téléchargez notre recueil d’articles sur les exclusions dans la liturgie afin de comprendre, d’argumenter et d’agir. Contribuez à la cartographie en remplissant ce formulaire en ligne (cliquez). i
Avec aussi une marge d’erreur malgré nos recoupements. Ce cumul d’exclusions est représenté dans notre carte par des pictogrammes de couleur : vert pour l’absence d’exclusion ; orange pour l’exclusion pure et simple du service de l’autel sans autre exclusion ; rouge avec panneau de danger pour l’exclusion de la communion en plus de la précédente ; rouge avec incendie pour l’exclusion des lectures en plus des deux précédentes. Le pictogramme jaune précise quand l’exclusion des filles du service de l’autel s’accompagne d’une ségrégation dans un service de l’assemblée. ii
Comité de la Jupe, 15/10/2012, Premier bilan de notre cartographie.