L'AG de la CCBF vue par un partenien

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Découverte de la planète C.C.B.F par un diocésain de Partenia Compte-rendu de visite autour du nomadisme

« Brûle nous du feu qui réveille, Dieu fait chair pour notre vie » « Sois, nuit et jour notre seul désir Remplis-nous de ton amour » « Laudato si o mi Signore »

J’écoute ce samedi 6 octobre 2012 la prière qui ouvre l’Assemblée générale de la C.C.B.F. Cette année, je n’ai pu assister au rassemblement de Partenia. A l’invitation de Claudine Onfray et de Monique Hébrard, Marie-Agnès et moi nous sommes donc là pour la première fois chez les Franciscains de Paris. Pas de réfugié basque dans la salle, pas de banni du Liban ou de Tunisie, pas de dame du voyage venue présenter son carnet de déplacement et ses poèmes, pas de Jean-Claude Amara à l’horizon, ni de militant du logement avec un badge revendicateur « Un toit c’est un droit » accroché au revers déglingué du veston défraîchi, pas d’évêque sans domicile fixe non plus pour conclure l’A.G par un bel envoi évangélique. Pourtant la prière qui s’élève vers la salle me souffle aux oreilles et au cœur les mots de ceux qui se retrouvent eux aussi tous les ans (depuis dix sept ans) dans la lumière rallumée par Rome d’un diocèse du désert. « Etre veilleur d’espoir, demander à Dieu de dissoudre nos peurs, de l’avenir, de l’étrange ou de l’étranger, de l’autre, se présenter devant Lui comme mendiants d’espérance, d’avenir, Peuple rassemblé pour le partage, être des ouvriers de paix, des bâtisseurs d’amour, répondre à l’infinie tendresse de Jésus dite en St Jean, Je vous laisse une joie parfaite, Père, Je ne te demande pas de les retirer du monde mais de les préserver du mal, ou chantée par St François dans son merveilleux cantique des créatures Laudato sii, o moi Signore ». Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père disait Jésus il y a 2000 ans : cet Evangile est confirmé aujourd’hui encore. Plus de deux cents personnes sont là, leurs looks sans doute n’ont pas la bigarrure des diocésains de Jacques GAILLOT, et le matelas de 20 000 euros du rapport financier ferait rêver le trésorier de Parténia ! Mais l’intensité de l’attente de ceux qui sont venus, leur attention dans la prière, leur écoute du rapport moral présenté succinctement - c’est une qualité -par Christine Pedotti et Anne Soupa donnent à penser. Dans nos différences sexuées et associatives, historiques et sociales, laïcs et prêtres, nous sommes l’Eglise. Quelle richesse expressive ! Christine et Anne sont rassurées, les voilà maintenant bardées d’un commissaire aux comptes et surtout elles ont magnifiquement œuvré par toute la France : livres, conférences, site internet, en deux ans ont réussi l’objectif principal, construire un pôle d’opinion publique des catholiques. Elles sont naturellement un peu fatiguées toutes les deux d’avoir


sillonné le pays. Elles en appellent donc à combler le grave déficit de moyens humains de la C.C.B.F. il importe maintenant de gérer l’accueil, de construire un maillage, de faire vivre des cellules, un réseau. Je me dis qu’à Evreux, grâce à Claudine et Monique, nous sommes sur cette piste d’une disponibilité des uns pour les autres et d’un service à rendre ou d’une diaconie généreuse en vue d’une Eglise ouverte au monde, conviviale, libérale au sens de respectueuse de la conscience individuelle et des droits humains, sociaux et culturels, en vue aussi d’une Eglise éprise de Justice et de Miséricorde, ces deux autres noms de Dieu. C’est maintenant l’heure de la conférence de Nicolas de Bremond d’Ars. L’homme n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Il est vicaire dans une paroisse à Paris mais aussi historien et sociologues des religions. Voici ce que j’ai retenu de son exposé riche d’une approche historique objective, documenté donc mais également très engagé au plan personnel, allant souvent à des formulations ou à des interrogations audacieuses, alimentées d’une intériorité ardente. J’ai essayé de comprendre ce que Nicolas nous a dit en relisant mes notes. Souvent je me suis senti interloqué par son propos et j’ai cru bon vérifier certaines analyses historiques ou des intuitions plus subjectives du chercheur. Passant ses provocations dans ma propre moulinette interrogative, j’espère ne pas les avoir déformées ni surtout affadies. La vocation de Nicolas est née auprès du prêtre de son village qui toute sa vie a exercé son ministère au même endroit. Aujourd’hui le sociologue constate combien le modèle ministériel a changé : on exige des prêtres la plus extrême mobilité. Les beaux modèles du XVII ème siècle, St Vincent de Paul, St François de Salles restent attractifs. Ils ont su inventer quelque chose de l’ordre du partenariat ou de la collaboration si nécessaire entre le ministère ordonné et celui des baptisés dont on devrait s’inspirer encore. Mais la crise actuelle du clergé, sa souffrance implique que l’on réexamine la situation à nouveaux frais. Que s’est-il passé dans l’histoire qui explique la perte d’identité du clergé catholique et presque sa disparition, son exténuation aujourd’hui ? Comment répondre à cette question sans désespérer ? Nicolas propose de distinguer deux formules : Eglise de l’avenir et avenir de l’Eglise. Elles ne sont pas tout à fait superposables. Elles nous invitent plutôt à quitter le langage de la restauration et de l’autorité pour chercher une nouvelle manière d’être plus confiante justement dans le rapport de collaboration entre les membres du peuple de Dieu. Une Eglise de l’avenir dépendra nécessairement de ces valeurs nouvelles qui ont pour nom « démocratie organique » et « influence des femmes » dans la société moderne. Résumons à gros traits l’histoire pour mieux comprendre les enjeux du présent. Louis XIV est un roi de droit divin, il nomme les évêques, il ne peut en aucune manière s’aliéner l’Eglise qui jusqu’en 1682 avec Bossuet affirme la supériorité des Conciles sur le Pape et l’indépendance complète du pouvoir temporel des souverains. Le roi, seul sujet libre, ne doit des comptes qu’à Dieu. Or cette doctrine du gallicanisme va voler en éclats en 1789. Soudain, ce n’est plus le roi qui exerce la souveraineté, mais le Peuple ! Le pouvoir devient impie, en particulier aux yeux des prêtres réfractaires. La Nation se constitue et le clergé constitutionnel ne réussit pas à faire en sorte que l’autorité catholique ne soit exclue de cette orbite nouvelle et attractive de la nation. Les conséquences sont encore fortes pour aujourd’hui : les prêtres ne reçoivent plus de prébendes, ils n’existent plus qu’aux yeux des


croyants, seuls les laïcs sont habilités à intervenir dans le champ politique, un prêtre ne peut être maire… Pour apaiser la querelle religieuse engendrée par la constitution civile du clergé, Napoléon va accorder au Pape des droits qu’il n’avait pas (ô surprise, ô paradoxe !) en particulier sur l’organisation des diocèses et la destitution des évêques nommés par la Révolution. Le Concordat de 1801 peut donc être considéré comme l’acte de naissance de l’ultramontanisme, doctrine réactive qui visera au XIX ème siècle à renforcer (hypertrophier ?) la primauté spirituelle du pape et à étendre ses pouvoirs dans tous les domaines de la vie sociale. Le concile de Vatican I en 1870 consacre cette tendance par sa condamnation des idées modernes et la promulgation de l’infaillibilité pontificale. Ce retour du balancier vers une influence et un pouvoir clérical fort (on n’a jamais construit autant d’églises qu’au XIXème siècle !) engendre surtout l’anticléricalisme et la loi de 1905 qui nous apparaît pourtant aujourd’hui comme un apaisement des antagonismes. Voici comment Pie X, le saint Pape (1903-1914) dont la Fraternité sacerdotale de Mgr Lefebvre a emprunté le nom (en 1970), parlait : L’Eglise est par essence inégale, c’est-à dire comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau, ceux qui exercent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie et la multitude des fidèles. Ces catégories sont tellement distinctes entre elles que dans le corps pastoral seul résident le droit et l’autorité nécessaire pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société. Quant à la multitude, elle n’a d’autre droit que de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs. » Les effets de ce discours restent sensibles aujourd’hui : on ne peut pas le nier, malheureusement. Entre 1920 et 1950, pour compenser la perte d’influence politique de l’Eglise (refus par Pie X d’une reconnaissance internationale d’Israël, silence de Pie XII sur la Shoah) les prêtres seuls sont considérés comme acteurs, véritables fonctionnaires de la République spirituelle qu’est l’Eglise. La liturgie devient alors une arme politique, juridique, dogmatique. Mais cela reste insuffisant… La visibilité de l’Eglise s’affaiblit. Deux guerres mondiales, l’extermination du peuple juif par le nazisme allemand pèsent lourd, accentuent la perte d’influence civile du clergé. La condamnation des prêtres ouvriers en 1954, douze ans avant Vatican II, est un autre signe de cette dévitalisation : les prêtres sont décivilisés ! Toute cette histoire est bien celle d’une souffrance qui mène à Vatican II. Mais évidemment le Concile ne met pas un terme à ces divisions ou à ces fractures. Il permet de les manifester. Beaucoup de prêtres quittent le ministère, les séminaires se vident, la fréquentation de la messe dominicale faiblit. Mais quelque chose d’indivisible reste, survit presque invisible comme reste, comme soulte. Une fois qu’on a divisé l’église institutionnelle entre enseignants, les clercs, et enseignés, les laïcs, qu’est-ce qui reste ? Une église célébrante, Peuple de Dieu, une église invisible, fruit de la coopération, du partenariat, de l’amitié, de l’écoute mutuelle entre les personnes et les groupes ou verts à l’Evangile ? En quoi ce reste peut-il être un cadeau, une source ? Comment cette semence disséminée des disciples de Jésus peut-elle porter fruit ? Nicolas esquisse deux pistes réjouissantes, créatrices d’énergie et de joie pour ceux qui s’y engagent : la paroisse, la démocratie. La paroisse comme lieu de recréation des forces vives des disciples. Il ne s’agit plus comme au XIX ème siècle de contrôler un territoire. Etre paroissien, ou redevenir comme au


V ème, celui qui habite à côté du centre, dans les faubourgs de la ville, hors les murs, et apparaît comme étranger… aux mœurs de la cité épiscopale. Abraham le premier dans la Genèse, lorsqu’il arrive en Egypte, est désigné comme paroikos, séjournant dans un pays comme étranger. Ce terme sera utilisé ensuite pour les chrétiens avec sa valeur métaphorique parce que ceux-ci se considèrent comme des citoyens de l’au-delà, de passage dans la cité terrestre. Nicolas nous invite donc à retrouver notre nature fondamentalement pérégrinante. S’attacher à un territoire, être sédentaire est une attitude défensive, propice à la violence. Les chrétiens sont plutôt appelés au voyage, à la marche conviviale, à ne pas s’embarrasser de ce qui empêche de donner gratuitement. « Ne vous procurez ni or, ni argent, ni monnaie à mettre dans vos ceintures, ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton… » (Matthieu 10,9). Ce nomadisme fondamental de l’Evangile, voilà la nouveauté qui nous est recommandée encore aujourd’hui : s’installer dans les faubourgs ou à la périphérie des centres, aller sur les routes, être porteurs de la Parole : « Paix à cette maison ! » La deuxième piste à explorer est celle d’une réactivation de la démocratie. On assiste aujourd’hui à son dessèchement. La société, plus particulièrement, les jeunes, sont minés dans leur conscience démocratique. Les élites accèdent au pouvoir mais la minorité hurle… On se retire du système électoral: le taux d’abstention voisine les 40 %. A la Courneuve, par exemple, seuls 3600 personnes votent soit 26 % des inscrits, 9 % du corps électoral. La République devrait s’alerter de cette désaffection autant que l’Eglise des signes de décatholicisation. Pour l’ensemble de la France, la « pratique » régulière moyenne chez les adultes chute de 22 % en 1970 à 8 % en 1995 (Pierre Pierrard. Un siècle de l’Eglise de France. DDB. P 211). Ces chiffres de sociologie électorale ou religieuse devraient attirer l’attention sur le lien qui se délite entre le Peuple et ses élites, entre le Peuple et les corps constitués. Et pour l’Eglise entre les laïcs et les ministres ordonnés ? Quelle prise de conscience va permettre à la démocratie de retrouver une nouvelle vitalité ? Du temps de Sénèque la République romaine formait un corps qui excluait les esclaves. Ne serions-nous pas aujourd’hui en attente de la Révolution engendrée par St Paul quand il a expliqué que les esclaves eux aussi faisaient partie du corps en tant qu’organe de la Liberté voulue par le Christ ? Or actuellement les évêques sont dans le désarroi. Ils ne savent pas comment faire face à la désagrégation du tissu diocésain. Les jeunes prêtres recrutés ont souvent une identité fantasmée. Ils vivent leur chemin d’humanité dans des tensions exacerbées et leur fragilité psychologique apparaît sous forme de blocages. Au lieu d’avoir recours à la collaboration, à la concertation, à l’échange, au dialogue, à la dynamique de groupe, savoirfaire qui demandent du temps, ils préfèrent couper court et décider dans la solitude de leur bureau ce qui urge. On peut s’inquiéter d’une nouvelle évangélisation qui s’esquisse sur ces bases : un clergé qui se voit refuser sexualité, famille, enfants, argent et donc compense en se crispant sur le pouvoir, un corps épiscopal usé, « rongé » par la cooptation, totalement inapte à transmettre à Rome les besoins des communautés. Ne sachant pas quoi faire pour intégrer le processus démocratique, en soi, sain, les évêques regardent les nomades aller


ailleurs… Donc il importe d’inventer, de chercher, des voies nouvelles en vue du nomadisme évangélique et de la confiance à l’égard de la démocratie. Notre petit groupe de recherche comporte huit personnes (Le Mans, Caen, Paris, Evreux, Angers, Vanves). Nous sommes d’accord pour mettre l’accent sur la condition de nomade du chrétien. Mais elle se vit difficilement. A l’évêque nomade J.Gaillot, que n’a-t-on reproché ? Trop d’ouverture risquerait le dérapage vers le manque d’unité ? Mais l’inverse qui débouche sur le monolithisme et la fermeture n’est-il pas autrement stérilisant et dangereux ? Si le nomade est un bon modèle d’inspiration, cela tient à ses capacités d’accueil. Il faut être nomade pour accueillir des nomades en vérité. Etre nomade c’est inventer, répondre à la demande d’accueil, d’écoute de ceux qui ont besoin de partager. La fin dernière d’une communauté chrétienne est dans la Paix reçue de Jésus et qu’elle propage entre ses membres parce qu’ils sont à l’écoute les uns des autres, quel que soit leur degré d’adhésion à l’Institution. Christine Pedotti fait la synthèse de la production de tous les groupes. Les axes découverts sont les suivants : le nomadisme ne peut se vivre qu’en petits groupes dont la règle principale est d’accueillir. La tradition originelle des chrétiens est bien de marcher ensemble, de se déplacer, d’aller en pèlerinage ou en mission. Il y a bien entre baptisés (laïcs/ministres) une division qui produit à la fois de la séparation, de l’égalité et/ou de l’inégalité, une différence, un reste indivisible, invisible, spirituel… Ai-je bien compris la fonction de ce reste ou de cette soulte? En quoi est-elle un risque de repli sur soi ou une source de créativité ? Cela reste pour moi à éclaircir. Et pour vous ? Toujours est-il que nombre de baptisés sont en rupture avec l’institution qui les a accueillis. Ils partent sans faire de bruit, comme ceux qui ne votent plus par désintérêt, par ennui ou lassitude devant l’éloignement institutionnel ou la surdité des responsables à leurs questions. D’autres décident une rupture volontaire, fruit d’une décision plus consciente. Après ce temps de récapitulation, la salle débat avec le conférencier. C’est pour lui l’occasion d’apporter des précisions aux interrogations. Le nomadisme est un art de l’accueil, de l’ouverture autour des tentes, des puits et de la parole. Les nomades se posent quelque part. Ils circulent, se déplacent, vont à la rencontre d’autres nomades, d’autres nomadismes. Ils sont habités par l’esprit d’un lieu qui les appelle à aller plus loin sur le chemin. Ils ont du bonheur à se rencontrer, à être ensemble, à demeurer un moment dans l’écoute mutuelle, se recueillir dans le partage des paroles et de la Parole : ils accueillent et sont accueillis. Leur imaginaire réagit, est sollicité par la rencontre : où va-t-on aller ? Vers quel projet ? Pour changer quelque chose, il faut d’abord rêver, être habité par un rêve. On ne peut pas se satisfaire de l’immobilisme de jadis où le vieux curé mourrait sur place. Bouger, partir vers soi, c’est se laisser interpeler par la Parole. C’est Elle qui nous déplace. L’Islam est une hérésie judéo-chrétienne portée par des nomades que les sédentaires byzantins n’ont pas su intégrer à cause de leur violence ethnocentrique. Aujourd’hui la démocratie semble figée, le gouvernement ne paraît plus pouvoir jouer sur la réalité. Quand les hommes d’action sont


découragés, le moyen de leur redonner prise sur la réalité est d’en appeler aux vertus du nomadisme, solution créative pour l’Eglise et pour le monde. Ainsi de nouveau, un rêve aidera notre société à reprendre souffle. « Dieu me juge sur l’amour que je manifeste et non sur mon aptitude à survivre confortablement. ». Les nomades campent à la lisière de la ville. Ils sont comme un appel au réveil, à l’imagination.


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