Mongolie mon amour par Pascal Gertsch

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MONGOLIE MON AMOUR


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Pascal Gertsch

MONGOLIE MON AMOUR voyages au hasard des rencontres



Je sais par expérience que courir le monde ne sert qu’à tuer le temps. On revient aussi insatisfait qu’on est parti. Il faut faire quelque chose de plus. Ella Maillart

Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. Certains pensent qu’ils font un voyage, en fait, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. Nicolas Bouvier

Mieux vaut des souvenirs que des regrets, donc voyagez. Mieux vaut un fou voyageur qu’un sage assis. Paroles mongoles

À Christina. À mon père.


Éditions Favre SA

Dépôt légal en octobre 2016.

Siège social

Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction,

Photogravure : Christophe Racat.

29, rue de Bourg – CH – 1002 Lausanne

même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie,

Maquette et mise en pages : Grégoire Montangero.

Tél. : 021 312 17 17 – Fax : 021 320 50 59

est interdite.

Adaptations cartographiques : Mathieu Pierson –Threeeyes.

lausanne@editionsfavre.com

Photographies et textes : Pascal Gertsch.

Imprimé en France.

www.editionsfavre.com Adresse à Paris 7, rue des Canettes – F – 75006 Paris

ISBN : 978-2-8289-1579-7

© 2016 by Éditions Favre SA, Lausanne.


PRÉFACE

Comment préfacer le livre de mon collègue Pascal Gertsch ?

finance lui-même et apporte aux plus vulnérables, il ne peut

Nous avons deux manières si différentes de voyager : moi dans

masquer la sensibilité propre à sa profession de médecin,

les airs, lentement, lui à terre, bien plus lentement encore !

celle d’aborder ses rencontres avec pudeur et discrétion ; mais

Mais la passion de la découverte, découverte de soi-même et

avec quelle qualité il réussit à mettre dans ces photographies

des autres, le désir de partager nos expériences, d’aider, nous

l’intensité de ses contacts et de ses regards. On sent ici que

réunissent fraternellement.

tout l’intéresse, tout l’émerveille.

J’ai survolé la vaste Mongolie, fasciné par des étendues où

Ce livre est simplement vrai et je suspecte mon ami d’avoir

rarement apparaît trace d’activité humaine. En parcourant le

hérité quelques gênes d’Ella Maillart !

livre de Pascal Gertsch, à la place de ce qui me paraissait d’en

Sur les pistes de Mongolie, en rêve, partez, et prenez autant

haut presque monotone, je découvre un pays aux contrastes

de plaisir que j’en ai eu à le suivre en parcourant cet ouvrage.

surprenants, aux paysages incroyables et variés. La force captivante de cet ouvrage est sa spontanéité, loin des clichés habituels. Si l’auteur reste discret sur l’aide médicale qu’il

Dr Bertrand Piccard

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CLIN D’ŒIL

I have known Pascal for over a decade, in fact he is my

Pascal is a humble man who would never boast about his

neighbour, next to our holiday home in the mountains of

humanitarian work but you can take it from me that he has on

Switzerland. I have always enjoyed his passion for life and in

each of these trips through the country delivered much needed

particular his stories of his many trips to Mongolia.

medical supplies.

For someone like me who was used to travelling at over

I hope you enjoy discovering Mongolia as much as I have and it

300 kph it’s difficult to imagine travelling for thousands of

has aroused your curiosity to slow down and take in the beauty

kilometers in a truck only capable of a top speed of 80 kph !

around us.

That said the result of his slower journey through Mongolia is this fantastic book. The pictures capture beautifully the diversity of the landscape and its rich history.

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David Coulthard Formula One racing driver


INTRODUCTION

Mongolie ! Trois syllabes, une consonance féminine pour une

près, je n’ai pas cherché à préciser la date des images de la

capable d’apporter de l’aide à quelques hôpitaux, gravement

fée enchanteresse, presque inaccessible au bout du monde,

belle saison, mais j’ai groupé celles d’hiver dans un chapitre

démunis, non pas de compétences, mais de moyens pour

un rêve d’étreinte que tout aventurier, baroudeur ou voyageur

à part : la Mongolie hivernale diffère tellement de l’estivale ! Ces

les mettre en valeur. Aménagé par nos soins, ce 4×4 de 7,5

intrépide aimerait vivre.

vues proviennent de cinq épisodes : le premier en 2012 par la

tonnes et de 120 CV roule à une vitesse maximale de 85 km/h

Insaisissable Mongolie, insondable pays chargé de visions

« voie Sud » (Iran, Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan,

et possède une autonomie de 2000 kilomètres. Il nous loge

oniriques, de parfums surprenants, lourd d’une histoire

Kirghizistan et Chine) jusqu’à la ville frontière de Zamyn-

et son vaste coffre accueille le matériel médical à offrir, les

fantastique.

Uud, sur la ligne ferroviaire Pékin – Ulaanbaatar – Irkoutsk –

indispensables pièces de rechange et trois roues de secours

Plus de 7400 kilomètres séparent Paris de la première bourgade

Moscou. Les autres voyages ont lieu en 2013, 2015 et 2016

(100 kg la pièce)… 70 000 kilomètres parcourus avec les

d’importance située à l’ouest du pays : Olgii ; 7400 kilomètres

par la Sibérie et l’Altaï, bien plus directement.

mêmes pneus et sans la moindre crevaison !

de routes pas toujours faciles, au trafic souvent périlleux,

À défaut de l’entier des parcours, disponibilité temporelle

J’aurais pu tomber amoureux d’Emilie, de Sidonie, d’Ophélie…

tout un périple à travers le Vieux Continent et la Sibérie. Que

oblige, il vous sera plus facile de choisir les paysages et la

Mais c’est Mongolie qui m’a apprivoisé et a pris mon cœur !

rencontrerez-vous, les douanes russe de Tashanta et mongole

nature dans lesquels, j’en suis sûr, à votre tour, vous réaliserez

Un amour né peu à peu, au fil des voyages, des rencontres,

de Tsagaannuur, franchies ? Certainement aucune monotonie

une aventure dont le souvenir ému et lumineux ne vous quittera

des partages. À travers cet ouvrage, je vous souhaite, lecteur,

dans ce pays, vaste comme trois fois la France, peuplé d’à

jamais !

d’éprouver le même enthousiasme, la même tendresse pour

peine trois millions d’habitants !

Cet ouvrage n’a pas l’ambition de remplacer les excellents guides

cette contrée pure et perdue au cœur de l’Asie.

Ce livre aimerait vous amener sur des parcours envoûtants

disponibles et indispensables : il propose de les accompagner

Je vous souhaite d’y aller vous-même, sans chercher de « faire la

où, tel le Petit Poucet, j’ai semé des photographies dont vous

d’images, comme l’aurait fait Hergé s’il avait choisi ce terrain

Mongolie », mais de l’apprivoiser lentement, respectueusement,

repérerez le lieu de la prise de vue sur les cartes jointes à la fin

d’exploits pour Tintin, son héros.

et d’y trouver un bonheur tel que celui que j’ai vécu en la

de l’ouvrage. C’est aussi là, l’originalité de ce livre. Plus d’une

Notre héros, ici, est le petit camion Steyr 680 G, quarante-sept

parcourant et en vous la présentant.

fois, j’ai parcouru les mêmes itinéraires. À quelques exceptions

ans d’âge et pas une ride, adapté à nos besoins de voyage et

Pascal Gertsch

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AVANT-PROPOS

Circuler en Mongolie, c’est accepter un tout autre mode de

Une moyenne de 5 à 10 km/h n’a rien d’exceptionnel et mes

édition militaire soviétique des années 70. Hélas, largement

conduite. L’entrée dans ce pays se marque par l’abandon

étapes quotidiennes n’ont souvent pas dépassé 150 km, à

dépassée et éditée à l’échelle du millionnième : il en faut dix-

des excellentes routes asphaltées de l’Altaï russe et par

l’image de Nicolas Bouvier, nous nous refusions « tous les luxes

sept pour couvrir le pays ! Et faire du homing nous conduit

la découverte brutale de la piste. Mais à pas de géant, la

sauf le plus précieux : la lenteur ». Je n’ai jamais circulé de nuit

souvent à une barrière naturelle infranchissable. La meilleure

construction de voies de communication modernes progresse :

pour deux raisons, la première, celle de ne pas voir les pièges

solution consiste à engager un pisteur qui, même s’il n’a jamais

en 2017, près de 90  % du trajet Tashanta-Olgi-Khovd-

du parcours, la seconde, bien meilleure : tout est tellement

parcouru les itinéraires escomptés, trouve souvent – pas

Arvayheer-Ulaanbaatar s’effectuera sur du bitume. Les voies

beau sous la lumière du jour !

toujours ! – le bon chemin. Renzen sera mon poisson-pilote.

Chine-Ulaanbaatar-Russie, celles de la capitale au lac Hovsgol,

Des sept cartes routières en ma possession, aucune ne donne

Manque encore la communication verbale : Nasaa sera mon

la route de l’Est jusqu’à Choybasan et celle de Bulgan à

les mêmes informations ! Les noms des bourgades, des rivières,

interprète et deviendra, au fil des ans, une fidèle amie. C’est

Manhan, comme le trajet Russie-Ulaangom-lac Hyargas, qui

des cols s’orthographient de nombreuses manières quand

elle qui nous permettra de comprendre l’esprit du pays, elle

bientôt rejoindra Tariat, sont devenus de véritables boulevards.

ils ne diffèrent pas complètement ! De plus, dans un rayon

encore qui traduira toutes nos conversations, aussi avec les

La majorité du réseau, cependant, reste un défi pour le

de 50 km, on peut trouver plusieurs villages de même nom !

médecins et les patients. Elle a également exploré des régions

conducteur comme pour le véhicule, mais un bonheur pour le

Les itinéraires prévus aussi varient beaucoup d’une édition

où jamais, sans ma soif de découvertes, elle n’aurait mis les

voyageur ! Oui ! la piste oblige à la lenteur, à l’attention, à la

cartographique à l’autre, le meilleur choix étant, par expérience,

pieds. La joie de voyager n’aurait pu, pour moi, être si totale,

rencontre et déploie son charme et sa fascination, gravant son

ceux que propose Mongolia Road Network Map, de l’éditeur

sans la présence à mes côtés de la téméraire aventurière

trajet dans la mémoire. Je n’ai jamais cherché la difficulté de

Zurag Zuy LLC, à Ulaanbaatar.

Marie-José, ma compagne, relayée par mon fils Nils, tout aussi

la conduite, essayant toujours d’emprunter les passages les

Malgré les ouvrages géographiques, trouver son chemin tient

baroudeur.

moins risqués.

de la roulette russe ! Les rares panneaux indicateurs montrent

Aller en Mongolie ? La période de début mai, encore dominée

Cela dit, même des routes goudronnées peuvent se transformer

des destinations fantaisistes auxquelles ne conduit nulle

par les derniers assauts de l’hiver, pourtant tellement belle,

en champ de mines devant les assauts du gel, incitant à rouler

piste. Le GPS est de peu d’utilité car aucune carte n’indique

jusqu’à mi-septembre est la plus favorable. Mais juillet et août

sur l’ancienne piste qui les longe.

les coordonnées de longitude et de latitude. Il y a bien une

peuvent se révéler très pluvieux, même dans le Gobi.

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À plusieurs reprises, j’ai dû renoncer dans le sud aux itinéraires

À dessein, je n’ai présenté Ulaanbaatar que de façon marginale.

prévus : la boue peut former une barrière infranchissable pour

Cette capitale n’est pas connue – à juste titre – comme la plus

plusieurs jours. L’hiver se montre incroyablement fascinant.

attrayante du globe ! Elle offre pour beaucoup de ses citoyens

Alors attention aux déplacements sous les frimas, souvent

une terrifiante précarité, en triste communion avec bien de ses

hasardeux et dangereux. Exclu alors de s’y rendre seul.

consœurs européennes. Mais, il y a tant de belles choses à

L’aventurier prudent et courageux y ressentira des émotions

découvrir en dehors de cette mégapole de plus d’un million

nouvelles, malgré des températures dépassant les −40 °C et

d’habitants…

il y fera des rencontres encore plus chaleureuses qu’à la belle saison.

Avec ses quatre dromadaires Don Pedro d’A lfaroubeira courut le monde et l’admira il fit ce que je voudrais faire si j’avais quatre dromadaires. Guillaume Apollinaire Douane mongole Tsagaannuur–Tashanta.

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MONGOLIE Échelle : 1 : 2 000 000

Tracés des cinq voyages Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes L’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! Charles Baudelaire

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Lorsque le village se montre comme des enfants en tablier blanc qui, las de jouer se seraient assis au milieu des prĂŠs pour passer le temps. Charles Ferdinand Ramuz

Village de Tsagaannuur. 17


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Je fixe cette image dans ma tête en attente. Je suis dans un temps où les choses ont cessé d’être proches, intelligibles, compatissantes. Nicolas Bouvier

Un soir de mai descend sur Olgiy, capitale de l’aimag (province) de Bayan-Olgiy. 19


Là où j’allume un feu sera ma demeure. Proverbe mongol

Yourte de type kazakhe, aimag de Bayan-Olgiy. 20


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On avance peu à peu Comme un colporteur D’une aube à l’autre. Philippe Jaccottet

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Jusqu’à fin mai, d’abondantes chutes de neige souvent

la plupart des lacs de l’ouest, du nord et du centre jusqu’en

localisées risquent de surprendre le voyageur : une couche de

début juin. Rien d’étonnant, puisque l’altitude moyenne de ces

50 cm en 24 heures n’est pas rare. Les glaces emprisonnent

régions avoisine les 2000 mètres.

Tolbo Nuur, 11 mai 2016. 23


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La vie n’est pas seulement respirer, c’est d’avoir le souffle coupé ! Alfred Hitchcock

Tolbo Nuur, le lac aux mille couleurs.

Pages  26-27 :

Je suis le premier homme qui dépouille une à une sur la montagne bleue les inflexibles roches de la divinité. Charles Ferdinand Ramuz 25


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Car déjà se replie l’éventail du jour. Philippe Jaccottet

Tolbo Nuur. 29


Ne t’étonne point, ô montagne sublime Si la première fois que j’ai vu la cime j’ai cru le lieu trop haut pour être d’un mortel. Alfred de Musset

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La forme molle au loin montre des collines Comme un amour encore mal défini, Et le brouillard qui s’essore des ravines Semble un effort vers quelque but réuni. Paul Verlaine

11 mai 2016 : rencontres hivernales, par un froid mordant, au pied du Tsambagrav uul. Pages  32-35 :

En été, au pied du Tsambagrav uul (4165 m). 31


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Cette double page :

Au Hashaatyn davaa, troupeau de chèvres et de moutons… autour, des loups ! et pas de berger ! 36


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En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ; puis entre deux maisons on passe à l’aventure, des chevaux, de la route et des fouets étourdis, l’œil fatigué de voir et le corps engourdi […] Et sans penser à rien on regarde les cieux… Hélas ! une voix crie : « En voiture messieurs ! » Gérard de Nerval

Le relais routier de Hongio.

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Dans mon bol de fer En guise d’aumône la grêle ! Taneda Santoka

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Tout n’était que lumière, poussière, cris, joies, tumulte. Charles Baudelaire

Eriin gurvan naadam ou « trois jeux virils », chaque 11 et 12 juillet, caractérisent la fête nationale. Bien souvent, loin des centres, ces dates diffèrent et l’on célèbre de mai à fin juillet ! Dès lors, toute autre activité passe à l’arrière-plan. Avec enthousiasme, chaque Mongol qui tient debout assiste à la course de chevaux, aux épreuves de lutte et à celles de tir à l’arc. Longuement préparées, les montures du concours parcourent, suivant leur âge, une distance de 15 à 35 kilomètres. Le cavalier, un gosse, quelquefois une fillette, de 6 à 10 ans, légèreté oblige, monte d’ordinaire à cru, pousse des cris stridents et donne force coups de cravache. En cas de victoire, honneur à l’entraîneur puis au cheval, l’enfant est presque oublié ! Les lutteurs s’affrontent en poule éliminatoire, avec un rituel très établi, et dans les naadam les plus spontanés, ceux des petits villages, sans catégorie de poids. Les tireurs à l’arc mesurent leur adresse sur des cibles basses placées à même le sol.

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Un cheval lâché peut être rattrapé, un mot lâché ne peut pas l’être. Proverbe mongol

Mieux vaut user son tapis de selle que son oreiller. Proverbe mongol

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Le cheval est dangereux devant, dangereux derrière, et inconfortable au milieu. Winston Churchill

Nadaam (fête nationale), épreuve de la course de chevaux. 46


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Dansez petites belles toutes en rond, les oiseaux avec leurs ailes applaudiront. Victor Hugo

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De tous les sentiments, le plus difficile à feindre c’est la fierté. Il n’est pas au pouvoir des âmes vulgaires de l’imiter. Gaston, duc de Lévis Nadaam (fête nationale). 49


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Si nous portons des bottes, c’est pour ne pas blesser la terre. Proverbe mongol

Khovd, Naadam (ĂŠpreuve de lutte). 51


Et la terre n’a rien, ni l’onde, ni l’azur, qu’on ne possède en toi plus brillant et plus pur. René-François Sully Prudhomme

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La rivière Hovd prend naissance dans l’Altaï Tavan Bogt et ses sommets de 4000 m. Elle traverse des paysages très variés, d’une stupéfiante beauté : à mon sens un des plus beaux cours d’eau de Mongolie. Son parcours final, entre le lac Achit et celui de Khar-Us où il se perd offre un enchantement dont on ne peut se lasser… moustiques et taons mis à part ! Attention, la piste est ici peu visible et semée d’embûches.

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Nous faisons, nous, une différence entre la chèvre et le mouton ; mais distinguons-nous une chèvre d’une chèvre et un mouton d’un mouton ? L’individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu’il ne nous est pas matériellement utile de la percevoir. Henri Bergson

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Là-haut de grands nuages tors s’échevèlent avec furie. Paul Verlaine

Plaine de la rivière Hovd. 57


C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent ; où le soleil de la montagne fière, Luit ; c’est un petit val qui mousse de rayons. Arthur Rimbaud

La rivière Hovd, avant les rapides de Sojigt. 58


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Il n’y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n’y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel.

Des missionnaires tibétains ont importé le bouddhisme en

staliniennes des années 30 ont détruit plusieurs centaines

Mongolie vers le XVI  siècle. À cette période, les Mongols ont

de monastères, n’en laissant partiellement intacts que trois,

créé et défini le terme de Dalaï-lama (Océan de sagesse).

massacrant des dizaines de milliers de moines.

De nombreuses convulsions ont émaillé l’histoire de cette

La chute du communisme dans les années 90 a permis la

Le Dalaï-lama

pensée, entrant en conflit avec le chamanisme. Les purges

renaissance du bouddhisme et de son riche passé.

e

Tsambagarav Uul et village de Bayannur.

Double page suivante :

Rivière Hovd et village Hovd. 61


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Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ; Couchez-vous-y bien ; tâchez d’y faire bonne figure, car vous y resterez. François-René de Chateaubriand

Région charbonnière d’Hotgor, Kereksuur (tombe) et pierre à cerf, datant du IIe au Ier millénaires avant J.-C. 64


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S’il n’y avait plus d’humains sur cette planète, celle-ci serait un endroit plus sûr. Pour des millions d’animaux, ce serait une véritable libération. Le Dalaï-lama

Au col de Bayramyn.

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Tu me perdras, tu m’emporteras au milieu du ciel splendide en ta demeure où peu à peu le matin éternel réveillera mon âme. Marie Noël

La nationale A16 Tsagaannur - Ulangom, vers le col Ulaan. 67


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Fuyez, fuyez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! À vous le jour, à vous l’espace ! À vous les ailes qui promènent les yeux aussi loin que les cœurs ! René-François Sully Prudhomme

Vautours. 71


Un chevreau vient de naître au milieu de la Nationale. Je

sa présence : il lui faut, pour s’attirer les bonnes grâces des

m’arrête pour le mettre en sécurité, bientôt rejoint par un

Esprits de la terre, du ciel et de l’eau, en faire le tour trois

berger venu prêter main-forte ; ce peuple de nomades montre

fois, dans le sens des aiguilles d’une montre, en y jetant trois

un grand respect et de la gentillesse pour les bêtes.

pierres, mais mieux encore, des biscuits, du lait et de la vodka,

Un peu plus loin, à l’ovo du col Ulaan, une famille en tran­shu­

dont les innombrables bouteilles vides jonchent le sol alentour.

mance a installé confortablement sur la remorque de son 4×4,

Souvent, têtes de chevaux, béquilles, pièces de véhicule ornent

pour la soigner, une chèvre à la patte cassée ; en Europe, on

ces lieux, tels des sortes d’ex-voto. On y joue volontiers aux

l’aurait abattue.

osselets. Certains ovos sont flanqués de moulins à prières et

Un ovo est une construction de pierres, quelquefois de bran­

quelquefois un chien profite des offrandes des voyageurs.

chages, surmontée d’un poteau décoré de bandes de tissus bleus (les adaaks). Cet édifice retrouve une connotation bouddhique jadis perdue. On en rencontre à des endroits remarquables, cols, montagnes, sources où s’exercent les forces de la nature. Difficile, alors pour un Mongol, d’ignorer

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Voir le monde dans un grain de sable Et le paradis dans une fleur sauvage Tenir l’infini dans le creux de sa main Et l’éternité dans une heure. William Blake

À la mi-mai, le lac Uvs, à forte salinité, commence à se libérer des glaces. Les troupeaux en profitent pour s’abreuver et se délecter de chlorure de sodium ! Dans quelques semaines, des moustiques envahiront les rivages ; Myagmarjav le berger, ses compagnons et ses bêtes, ne s’y aventureront plus.

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La terre de verts pâturages qui dansent avec le vent, la terre des plaines ouvertes, remplie de mirages fantastiques. Dashdorjiin Natsagdorj

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Montagnes derrière, montagnes devant, batailles rangées d’ombre et de lumière, l’univers est là qui enfle le dos. Jules Supervielle

Convulsions géologiques près de Tess. 78


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Si profonde soit-elle, la rivière a un fond ; si haute soit-elle, la montagne a un sommet. Proverbe mongol

Rivière Tess. 81


Le logis c’est le temple de la famille. Le Corbusier

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Rivière fraîche et claire Ne m’en veux pas Et laisse-moi faire Dans ton eau quelques pas. Pascal Dominik

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Lac Chiargas. 83


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Le sable fume… Embaume et devient roux Tout l’horizon n’est qu’un blême rideau. René-François Sully Prudhomme

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Nationale A 1102, vers Tsogot.

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Nomrog. 89


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Ces villages ressemblent à des aérolites, à des morceaux d’astres habités, tombés dans la campagne. Ezequiel Martinez Estrada

Burenhaan et sa station-service. 93


Qu’il est grand, qu’il est profond, Qu’il est multiplié, le pays enchanté de notre joie. Louise Meyer

Col Khukh khutul. 94


Venez jusqu’à la rive, auprès des peupliers ; je veux que nous écoutions, réunis, la chanson de la vie. Eugenio de Nora

Rivière Delger Moron. 95


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On ne se lasse pas de l’arc parce que l’on est revenu bredouille de la chasse. Proverbe mongol

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J’ai eu vent d’un « mini-naadam » privé, organisé le 19 juin,

suis essayé au tir à l’arc, en prenant soin d’éviter les quelques

près de Moron. Après l’avoir repéré aux jumelles depuis les

lutteurs occupés à leur danse rituelle de l’aigle !

contreforts des montagnes ferreuses Erchimin Nuruu, j’y suis

Ces fêtes campagnardes ont tellement plus de charme et

arrivé à la fin de la course de chevaux. Je me suis mêlé à la

d’authenticité que celles des grandes agglomérations…

fête, partageant thé, biscuits, soupe et huushuur. Puis je me

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Pourquoi voyagez-vous ? Pour trouver ceux qui savent vivre encore en paix. Ella Maillart

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Fin mai, le lac Hovsgol, timidement dégèle. Pourtant, les ferrys devront attendre quelques semaines avant de pouvoir naviguer. Alors gare à qui se risquerait d’emprunter la piste hivernale sur la glace : chaque année, quelques conducteurs téméraires disparaissent avec leur véhicule dans les eaux du lac.

Le fer se rouille faute de s’en servir, l’eau stagnante perd sa pureté et se glace par le froid. De même l’inaction sape la vigueur de l’esprit. Léonard de Vinci

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De ces villes, il restera ce qui les traverse : le vent. Bertolt Brecht

L’eau, dans les grands lacs bleus Endormie Est le miroir des cieux. Théodore de Banville

Hatgal. Page 109 :

lac Hovsgol. 108


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Et ma monture hennit pour m’assurer que c’est elle. Jules Supervielle

Hovsgol. Double page suivante :

Yaks dans la plaine de Darkhad et montagnes Khoridal Saridag. 111


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Cette vallée longue de 150 kilomètres, large de 30, plus

L’imposante chaîne de montagnes, Khoridol Saridag, dont les

étroite au sud, abrite près de trois cents lacs (même mille dit-

plus hauts sommets atteignent 3000 mètres, borde l’est de la

on). Marécageuse, elle comporte aussi de très nombreuses

plaine où nichent de très nombreux oiseaux. Le beau village de

étendues de sable qui la rendent souvent infranchissable

Renchinlhumbe s’y blottit. Un bac primitif permet de traverser

en été. En hiver, les cours d’eau, malgré des températures

la rivière Shishged. Mais comme il n’avait transporté que des

très basses, cachent en certains endroits des faiblesses

véhicules légers, je n’ai pas osé y confier les sept tonnes de

indécelables dans la glace, pièges mortels pour les véhicules

mon Steyr, préférant choisir un très long détour semé de gués

qui s’y aventurent.

périlleux.

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Moi je suis resté, Suis resté longtemps là les bottes bien ancrées dans le limon doré rôdeur ensorcelé trop ébloui pour oser faire un pas. Nicolas Bouvier

Plaine de Darkhad et chaîne de montagnes Khoridol Saridag. 115


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Parcourir la taïga sans connaissance du terrain : mission

un camp intermédiaire au pied d’une colline hors des marais,

impossible ! Le capitaine Ootgonsuren commande le poste

dans une petite clairière entourée de rhododendrons, bouleaux

militaire de Tsagaannuur et craint de nous voir partir seuls à

et mélèzes. Bientôt un feu crépite sous la marmite où Tsogo

cheval. Il désigne Tsogo et Kuchee, soldats sous ses ordres,

mitonne une soupe mongole : pâtes et viande de mouton.

pour nous guider sur la piste des Tsaatans. Deux montures de bât emportent les indispensables bagages : tentes, sacs de couchage, provisions, vêtements chauds. Nous dresserons

Le soldat Kuchee. 117


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C’est un petit village, ou plutôt un hameau, bâti sur le penchant d’un long rond de colline, d’où l’œil s’égare au loin dans les plaines voisines. Nicolas Boileau

Page de gauche :

Sur la piste des Tsaatans, les montagnes d’Ulaan Taïga. Ci-dessus :

Campement d’été des Tsaatans de l’est. 119


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Page de droite :

Le chef des Tsaatans de l’est : Gombodorj. 124


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Les montagnes Ulaan Taïga, à l’extrême nord de la Mongolie,

une simple bâche habille les perches formant l’ossature de leur

tout près de la frontière russe, abritent « ceux qui vivent avec

tente. Lors de la transhumance, ils abandonnent sur place tout

les rennes » : les Tsaatans. Cette peuplade de moins de 300

ce qui encombre, ne conservant que les tissus et le fourneau.

individus perpétue dans la taïga un mode de vie un peu

L’été, dès l’arrivée des insectes, ils gagnent les régions froides,

similaire à celui des Samis dont ils partagent quelques racines

en altitude, indispensables à la survie des rennes avec lesquels

turques. À la différence de leurs lointains cousins du nord de

ils vivent en symbiose.

l’Europe, leur faible nombre fragilise leur pérennité. Ils

En hiver, ils se rapprochent de la région de Tsagaannuur,

s’abritent dans des tipis, élèvent exclusivement des rennes

certains préférant la commodité de ses isbas à celle de leur

dont ils utilisent lait, viande, cuir et fourrure. Leurs conditions

tente.

d’existence s’avèrent des plus rudes : les abris n’ont pas les

Des aides gouvernementales et l’apport d’un tourisme – pas

qualités thermiques des yourtes, aucune isolation de feutre,

toujours positif… – atténue la précarité de leur situation.

126


Les « Gens de la Taïga », comme ils aiment à se nommer, se

Tout autour des tipis, les rennes circulent librement, peu

composent des Tsaatans (ou Dukhas) de l’ouest, les plus

farouches, en poussant des petits grognements sourds. Et,

nombreux, et ceux de l’est, chez lesquels Kuchee et Tsogo, les

Saintsetseg, la chamane, dans son tipi à l’écart des autres,

deux soldats mis à ma disposition, m’ont conduit. En deux

nous prédit l’avenir, soufflant sur son miroir de bronze et jouant

jours de cheval, par monts et par vaux, par forêts et cols

de la guimbarde !

enneigés, on gagne leur campement d’été, dans la fraîcheur de

Quitter le campement, c’est s’arracher d’une immersion dans

la montagne, mais dans la chaleur de leur accueil : ceux qui ont

l’enfance de l’humanité.

le moins donnent le plus ! Puis c’est la tournée – obligatoire ! – de chaque tente, accompagnée d’une troupe piaillante d’enfants ; on boit le thé, on goûte le lait, très crémeux, le pain, le fromage, on converse longuement.

127


128


Les enfants sont sans passé et c’est tout le mystère de l’innocence magique de leur sourire. Milan Kundera

Anuijn, la petite-fille du chef Gombodorj. 129


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133 133


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Pages 132-133 :

Le chef Gombodorj et la chamane Saintsetseg.

Page  137 :

Un gigantesque incendie de forêt illumine le ciel et progresse à une vitesse incontrôlable… 135


136


137


J’ai un foulard à acheter, mais, ces foulards, c’est des pitiés, c’est de la soie tout en coton. Charles Ferdinand Ramuz

Munkhuu trait son renne. 138


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Double page précédente :

La taïga ! 145


Cinq jours passés avec nos deux guides dans la taïga

dans son cœur, l’élevage des chevaux de course dont il nous

de pierres. Une fois la nourriture à point, la cuisinière retire

inhospitalière, sauvage et fascinante, favorisent l’éclosion

détaille les qualités avec passion. Ses montures participent au

la viande et les galets bouillants que l’on se passe de main

d’une sincère camaraderie. Au retour de la chevauchée

Naadam annuel, du modeste village où il vit, lequel attire mille

à main avec une vitesse inversement proportionnelle au

dans les montagnes glaciales d’Oulaan Taïga, Kuchee nous

spectateurs et autant de chevaux !

courage du convive ! Le bouillon de ce repas de fête révèle un

invite chez ses parents, éleveurs sédentaires, non loin de

La mère, énergique et rayonnante, nous a préparé un boodog :

authentique délice.

Tsagaannuur. Le père a comme activité principale, en tout cas

viande de chèvre cuite dans une marmite couverte, garnie

146


147


Il y a l’air il y a le vent Les montagnes l’eau le ciel la terre Les enfants les animaux Les plantes et le charbon de la terre. Blaise Cendrars

Pages 150-151 :

Ulaan Uul. 148

Les Tsaatans de l’ouest, eux, s’assemblent par familles en

Mai, chez les rennes, saison des naissances : les femelles

petits camps de quelques tipis. Ils occupent un territoire

mettent bas au milieu des tipis. Bijee ne les approchera pas

beaucoup plus vaste que leurs frères de l’est et bien plus

avant quelques jours pour éviter de rompre le lien entre la mère

difficilement accessible. Cet éloignement leur confère une

et son petit. En revanche, Bombooloi et sa sœur Anujin ne sont

sauvage noblesse et ne diminue en rien leur qualité d’accueil.

pas en reste et s’occupent déjà avec assurance du troupeau.


149


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Le marché de Moron offre au chaland tout ce dont il peut avoir besoin : habits, souliers, lunettes, viande, pneus de moto, selles, cravaches, farine, riz, sucre par sacs de 20 kg, meubles, yourtes, tôle colorée pour les toits, tire-pipe, produits laitiers, herbe miraculeuse, fourneaux, pièces de rechange pour tout véhicule… L’inventaire est aussi inépuisable et saugrenu que Prévert aurait pu l’imaginer, raton laveur y compris. Et je ne parle pas du bruit, des odeurs que distillent les estaminets ni de l’agitation frénétique des chalands. Devant les sorties de ce labyrinthe à la turque stationnent, résignés, les chevaux campés entre les bras de leur charrette, les Jeep et les minibus Uaz.

J’ai parcouru le monde sans, hélas, trouver ni ville ni pays où l’on vendit la chance au bazar. Orfi Shirazi

Pages 152-153 :

Moron, son temple et son luna-park. Pages 154-159 :

Au marché de Moron. 154


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Et le vent passe dans les feuilles : on dirait qu’on entend rire des petites filles au bord d’un ruisseau. Charles Ferdinand Ramuz

Au pays de la Selenge, la plus grande rivière de Mongolie qui se jette dans le lac Baïkal. 160


Écoute : une rumeur va jusqu’à l’horizon. Elle a l’odeur du ciel et l’odeur de la terre, Elle a tous les parfums, elle a tous les mystères, Elle est à l’infini, le plus large frisson. Francis Carco

161


162


Au-delà de cette région, le ciel des bêtes s’étendait à l’infini. Francis Jammes

La rivière Mukhart naît au pied d’une immense dune en forme d’odéon, à l’extrémité est de Bor Haryn, et se perd plus loin dans les sables.

Source de la rivière Mukhart. 163


Les dunes que se partagent l’aimag Zavhan et celui du Govi altaï sont les plus importantes, et à mes yeux les plus belles de toute la Mongolie. Elles s’étendent sur plusieurs centaines de kilomètres, mais peu visitées car éloignées des axes touristiques. La grande rivière Zavhan coule sur le côté nord des dunes de Mongol Els et se fond dans les eaux saumâtres du lac Hyargas.

164

L’océan de sable crayonne l’infinie courbe des dunes qui se prélassent avec nonchalance leur dos gondole pour faire des vagues géantes, lisses et lasses à la beauté sulfureuse de cuisses déharnachées. Jean-Claude Abada Medjo


Uliastay, une des plus anciennes bourgades de Mongolie. 165


Veux-tu vivre heureux ? Voyage avec deux sacs, l’un pour donner, l’autre pour recevoir. Goethe

166


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Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin, je coulais ma douce existence, sans soucis du lendemain. Gérard de Nerval

Fête de fin d’année scolaire à Jargalant. 168


169


Les poutres finement sculptées et peintes du monastère ruiné de Mandal ne survivront guère aux outrages du temps…

Page de droite :

Pierres funéraires néolithiques, non loin de Jargalant. 170


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Double 172-173 :

Village de Shine Ider. Zoolongiyn davaa. 174


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Comme la terre me paraĂŽt vide quand je regarde le ciel. Ignace de Loyola

Plaine de Tariat, au bord de la rivière Chuluut. 178


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Le rocher de Taikhar, bloc de granit couvert, entre autres, d’inscriptions runiques et barbouillé de graffitis iconoclastes, fait partie de la mémoire mythologique mongole. Plusieurs légendes expliquent sa présence solitaire et surprenante dans la plaine : l’une d’elles raconte l’histoire du géant Bukhbilegt qui aurait écrasé d’un jet de pierre un dangereux reptile envahissant le pays ; une autre, plus romantique et mélancolique, témoigne de l’attente pétrifiante de Tamir, jamais rejoint par sa belle bien-aimée Taikhar. 180


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Les montagnes de Khanghi, sous le sommet du Schireet

Dans la créativité et le recueillement, il passa trente années

Ulaan Uul, abritent le monastère Tövkhön Khiid. Fondé en

de sa longue existence au monastère Tövkhön Khiid, diffusant

1663 par Zanabazar, il n’a pas survécu à la folie meurtrière

le bouddhisme gelugpa. Il occupe maintenant, avec Chinggis

et destructrice du dictateur communiste Choybalsan. Il a été

Khaan, une place dans le cœur et la fierté de chaque Mongol.

reconstruit dans les années 90.

L’itinéraire venant de Tsetserleg par les sources d’eau chaude

Le Dalaï-lama a reconnu Zanabazar, né en 1635, descendant

de Tsenher se faufile dans une succession de vallées sauvages,

direct de Chinggis Khaan, comme Bogdo Gegeen, saint

bordées de collines densément arborisées et fleuries, où la

illuminé. Et il le fut. Personnage puissant et novateur par

rencontre avec un véhicule est rare.

son rayonnement religieux, politique, artistique (sculpture,

À la fin de la piste, en une petite heure de cheval, on rejoint le

musique, peinture), scientifique (astronomie, architecture et

sommet de la montagne. D’ici, on comprend que la méditation

médecine). Il mérite pleinement le surnom de Michel-Ange de

devait prendre tout son temps à ce sage hors du commun.

l’Asie. Sa vie fut mouvementée, tantôt adulé, tantôt poursuivi, voyageant entre la cour de Chine, les lamaseries du Tibet et la Mongolie.

La perfection de Bouddha est plus belle que celle du Christianisme parce qu’elle est désintéressée. Alfred de Vigny

Pages 182-183 :

Tsetserleg, en français : jardin. 185


186


Temeen Chuluu, tombes avec pierres à cerfs (IIIe-Ie millénaires avant J.-C.).

Double page suivante :

Kharkhorin. Les 108 stupas du monastère Erdene Züü. 187


188


189


Un enfant C’est le dernier poète D’un monde qui s’entête À vouloir devenir grand. Jacques Brel

190


Est-ce que Dieu existe ? Si tu crois en lui, il existe. Si tu n’y crois pas, il n’existe pas. Maxime Gorki À Kharkhorin, capitale de Chinggis Khaan, le monastère d’Erdene Züü. 191


192


Nul n’a besoin de temple, nul n’a besoin de philosophie compliquée. Notre cerveau et notre cœur sont nos temples. Le Dalaï-Lama À Kharkhorin, les trois temples d’Avdai, Sain et Khan. Pages 194-196 :

Erdenet. 193


194


195 195


196


197


La grandeur de la prière réside d’abord en ce qu’il n’y est point répondu. Antoine de Saint-Exupéry

Pages 197-199 :

Monastère d’Amarbaïasgalant – monastère de la félicité tranquille (1727-1736), rescapé des destructions communistes de 1936. 198


199 199


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201


Comme nous approchions de la Mongolie Qui ronflait comme un incendie Le train avait ralenti son allure… Blaise Cendrars

Transmongolien (Pékin – Ulaanbaatar – Irkoutsk – Moscou). 202


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Deux distractions fréquentes en Mongolie : le basket-

L’exode de la campagne vers Ulaanbaatar oblige la

dispose chaque yourte se résument à un profond puit,

ball, dont même le plus petit hameau possède son

ville à s’étendre. On y construit à tour de bras de petits

une cahute à la porte branlante, un plancher troué et

panier, quelquefois rudimentaire, presque incongru

immeubles, même des villas. Pourtant, possesseurs

une chaise sans placet.

dans le paysage et le billard lequel, jusque dans

d’une maison en dur, les Mongols préfèrent l’intimité

les petites bourgades, à la belle saison, invite les

de leur yourte dressée dans l’enclos du jardin, laissant

passants à des parties souvent endiablées.

leur appartement souvent inhabité ! Les toilettes dont

La ville, ce n’est pas la solitude parce que la ville anéantit tout ce qui peuple la solitude. Pierre Drieux

Pages  204-207 :

Sortie est d’Ulaanbaatar. 206


J’ai conquis pour vous un vaste empire, mais ma vie est trop courte pour conquérir le monde entier. Chinggis Khaan

Pages  208-209 : Tsonjin Boldog. Statue équestre (la plus grande au monde) de Chinggis Khaan. 207


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210 210


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Deux doubles pages précédentes :

Relais routier. Cette double page :

Un des nombreux Moron, aïmag (département) de Khenty. 214


Oh ces villages qui passent et ne me verront plus ! Jules Renard

Double page suivante :

Préparation du nadam d’Ondörhaan : cavaliers et contorsionnistes. 215


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Océan de sable et de pierre Eau absorbée et évaporée Mirage d’un espace infini Fascination d’un instant. Dashdorjiin Natsagdorj

Pages 218-219 :

Monastère Gimpil Darjaalan (fin du XVIIIe siècle) à Erdenedelai. Un des rares monastères à avoir survécu aux destructions de 1937. Fermé depuis lors, il a rouvert en 1990. Le Dalaï-Lama lui a rendu visite en 1992. Ci-dessus :

Village de Saikhan Ovoo. Statue d’un cheval, emballé « à la Christo », de khadags (étoffes sacrées bleues). 220


221


222


Agite, bon cheval, ta crinière fuyante ; que l’air autour de nous se remplisse de voix ! Que j’entende craquer sous ta corne bruyante le gravier des ruisseaux et le débris des bois. René-François Sully Prudhomme

Ci-dessus :

Montagnes Gurvan Saikhan. Ci-contre :

Canyon Yolyn Am. Double page suivante :

Dunes de Khongoryin Els, « sable chantant » et les montagnes de Zoolongiyn Nuruu. 223


224


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Khongor, j’y retourne fasciné par son approche, par la diversité

Avec comme gain, une nécrose importante du talon… Depuis

de ses paysages, par les montagnes bleues qui enserrent l’or

un mois, grabataire, chaque mouvement fait pointer sous sa

des dunes.

peau, un des nombreux fragments osseux de sa lésion. Me

Mon ami, Zorigoo est couché sur un lit, résigné : un bout de

voilà donc sollicité : après réduction clinique de la fracture,

carton ondulé, tenu par deux ficelles, enserre une partie de sa

avec les moyens du bord, je lui fais une immobilisation qui

jambe. Il y a un mois, il s’est fait une très méchante fracture du

aura au moins le mérite d’atténuer sa souffrance. Au bout d’un

tibia. On le transporte sur le pont d’une camionnette jusqu’au

jour, il déambule aidé de ses béquilles, une lumière nouvelle

plus proche hôpital, à 180 kilomètres de là. Après radiographie,

dans les yeux, mais laissant dans mon cœur une lancinante

le médecin lui confectionne un plâtre si constrictif que, par

inquiétude sur le devenir de sa guérison.

bonheur, Zorigoo s’en défait le même jour, de retour chez lui…

227


228


Les poils de cette chèvre et même ceux d’or pour qui prit tant de peine Jason, ne valent rien au prix des cheveux dont je suis épris. Guillaume Apollinaire

Bayasgalan, fille de Zorigoo. 229


Où se dresse cette yourte ? Je ne le sais que très approxima-

Et voilà que je tombe sur cette yourte « à mille milles de toute

tivement. Aucune piste ne m’y a conduit ; je roule vers l’ouest

terre habitée » ! Trois chameaux et un chien, pas content du

depuis Hongor, tantôt dans un reg (désert de pierre), tantôt

tout de ma venue, en défendent les abords. Alertés par tout ce

dans une forêt de saxauls rabougris, quelquefois dans un sable

tintamarre, un adulte et trois grands enfants apparaissent sur

meuble, véritable piège à véhicule.

le pas de la porte ; ils se protégeaient à l’intérieur d’un soleil de

Des gazelles survivent dans ce paysage minéral. Elles fuient

plomb et nous invitent à en faire de même… sans refus de ma

apeurées et bondissantes dès notre approche. L’estime me

part. Thé, biscuits, fromage, mais – à la bonne heure ! – pas de

place à mi-chemin entre Sevrey et Bayanling, dans cette zone

vodka, breuvage qui ne supporte pas d’être consommé par les

de marais qui devient, dès qu’il pleut, une dangereuse étendue

grandes chaleurs du Gobi. La maman, qui complète la famille,

de boue prête à se refermer sans espoir de libération sur les

souffre d’une sévère maladie neurologique. Les adolescents,

roues imprudentes. Plus d’une fois, ici, par mauvais temps,

maintenant en vacances, étudient à Bayanhongor, à plus

saint Christophe m’a gratifié d’un regard très bienveillant !

de 200 kilomètres de là. Chaque petit Mongol est scolarisé,

230


même chez les Tsaatans ; l’enfant quitte alors son domicile et

fonctionnaire Sherlock Holmes enfourche sa moto, roule une

profite de l’hospitalité de parents ou de structures d’accueil

demi-journée, livre les photographies et s’en retourne, le soir

gouvernementales.

venu, au bureau de poste ! Je le suspecte, lui, d’avoir reçu une

Maintenant, toute la maisonnée désire être photographiée :

belle ration de vodka…

à l’intérieur, dehors, avec ou sans moto, en compagnie des

Peu avant cette rencontre, je me suis approché de deux

chameaux – heureusement sans le chien, décidément très

yourtes vides de tout occupant. Alors que je préparais le repas,

agressif ! Je leur promets qu’ils recevront les instantanés,

arrivent deux chiens, ils titubent et s’effondrent à l’ombre du

mais pas tout de suite : et ils les ont reçus ! Imaginez le

camion, mourant de soif. Mon réservoir contenant 250 litres

parcours de l’envoi : Europe – Mongolie – Bayanhongor –

d’eau, je ne risque pas le même sort qu’eux. Je leur prépare

Bayanling ; là le postier, zélé, enquête sur la position du

donc une écuelle de breuvage et une de nourriture à laquelle

destinataire nomade ; ce dernier pourrait bien faire brouter

ils ne toucheront pas. Mais chacun de ces survivants du désert

son cheptel dans une zone de 50 kilomètres de diamètre et le

boira huit litres de liquide ; que sont-ils devenus ?

231


Non loin de Bayan Ondor, le monastère d’Amarbuyant, difficile d’accès, se blottit au pied de montagnes arides. Une quarantaine de moines y séjourne encore. On est loin des mille religieux qui y célébraient les cultes avant les massacres communistes de 1936-1937. Mais en se cachant, quelques rescapés ont continué sans interruption à assurer, jusqu’à ce jour, la prière matinale de trois heures. De ce paysage désolé émane une atmosphère étrangement paisible, malgré une restauration partielle et peu élaborée des bâtiments.

Il y a deux jours dans l’année où l’on ne peut rien faire : ils s’appellent hier et demain. Pour le moment, aujourd’hui est le jour idéal pour aimer, croire, faire et principalement vivre. Le Dalaï-Lama

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Ce petit hôtel en forme de pagode pourrait rivaliser de tenue avec un homologue tyrolien ! Tout est impeccable, les deux chambres proprettes, la literie soignée. Aucune miette ne subsiste à la salle à manger. Au Gault & Millau mongol, la nourriture bénéficierait de 3 toques ! Mais les sourires tellement accueillants de la cuisinière et de la serveuse mériteraient surtout une étoile !

Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas peine de vous mêler de cuisine. Colette

Hôtel de Chandmani. Friture de Hushuur (beignets à la viande), har shöl (soupe noire de mouton à la farine) et tsuivan (nouilles au mouton et aux légumes). 235


Le rire d’un enfant comme une grappe de groseilles rouges. Philippe Jaccottet

Près de Myangan. 236


Pages 238-239 :

Vallée Suhaytyn, au pied des montagnes Tayangiyn Nuruu. 237


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Gris, le ciel des nuages. Ocre sont les rochers, Rencontre sauvage de deux mondes ĂŠtrangers. Pascal Dominik

Asgat Ulaan Uul (2700 m). 240


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J’ai enfin trouvé ce que je voulais devenir plus tard : un petit garçon. Joseph Heller

École et terrain de sport de Bugat. Pages 244-247 :

Sur la piste du col Bugatyn. 243


Courons vers l’horizon, Il est tard, courons vite, Pour attraper au moins Un oblique rayon. Charles Baudelaire

Double page suivante :

Toujours au col Bugatyn… 244


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Pages 248-249 :

Le ciel, le ciel C’est comme un grand manteau bleu accroché sur les épaules de la nuit. Gilbert Bécaud

Petite Mona Lisa, étrange, où va ton regard mélancolique ? Je crois qu’il veut rejoindre un ange… Pascal Dominik

À celui qui frappe à la porte On ne demande pas : qui es-tu ? On lui dit : assieds-toi et dîne ! Proverbe sibérien

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Le soir tombe, étendant son manteau rouge sur l’immensité

À grand-peine, je parcours l’immensité et soudain, au creux

des rochers. Avec précaution, le petit camion redescend dans

d’un vallon, entre deux rochers, mes amis sont là ; et c’est

la vallée. La beauté de l’instant me serre la gorge. Soudain,

la fête mesurée, chaleureuse, comme si nous nous étions

du paysage désert, au détour d’un monticule, surgissent trois

quittés hier.

yourtes dans une tache d’herbe encore verte. Il fait froid, très

Le lendemain, Galbadrakh, le chef de famille, me présente

froid, ce soir, au sud du Gobi. Nasaa, mon amie et interprète,

son cheptel, objet de sa fierté, et plus particulièrement celui

demande l’abri pour la nuit, c’est naturel. À l’intérieur, avec

composé de ses chameaux. Il consulte avec curiosité l’ébauche

retenue, tout le monde s’agite. Bientôt, nous sommes quinze

du livre que vous avez sous vos yeux. Ensuite, toute la tribu y

dans cet espace réduit ; on sert le thé, puis circule la vodka alors

va de ses commentaires.

que la maîtresse de maison prépare le repas : pâtes fraîches et

S’échapper de ce petit paradis et trouver un itinéraire qui

brouet de mouton. Insensiblement, une compréhension au-delà

n’abîme pas davantage mon camion me semble impossible !

des mots s’installe – comme si nous avions toujours été là !

Vain souci car nous héritons d’un « poisson-pilote ». Juché

L’année suivante, retrouver ce campement me donne beaucoup

sur sa moto, il nous guide dans un long et fantastique dédale

de peine. Les torrents grossis par la pluie avaient arraché la

de canyons sauvages aux roches colorées d’or et de pourpre

piste et rendu les passages dans la montagne infranchissables.

jusqu’à la grande plaine de Bij Altaï, sans autre souffrance pour

L’eau ravinant les pâturages avait chassé mes amis aux confins

le vaillant Steyr.

des pâtures. Mon véhicule souffre et gémit pour traverses les oueds, je l’entends se plaindre et grincer quand il arrache sa barre stabilisatrice.

On est de son enfance comme on est d’un pays. Antoine de Saint-Exupéry

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Plus le visage est sérieux Plus le sourire est beau. François-René de Chateaubriand

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Ami ne t’en va pas plus loin D’un peu d’aide j’ai grand besoin Quoi qu’il m’advienne. Je ne sais où va mon chemin Mais je marche mieux Quand ma main serre la tienne. Alfred de Musset

Ci-dessous :

Mon pisteur, Renzen.

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Moi je ne vais pas décrire les aubes je vais les garder pour moi seul. Blaise Cendrars

Alag Hayrhan Uul (3789 m) et, au premier plan, « dunes » de pierre. 259


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Le cheval Kertag, Takhi ou Przewalski (du nom de son

prennent dans les années quatre-vingts, la tête d’une vaste

découvreur, officier naturaliste russe) est un animal sauvage,

collaboration européenne pour rendre à la nature cet animal

indomptable, ancêtre comportant 66 chromosomes du cheval

unique. Ambitieux projet qu’émaillent mille péripéties, mais, en

préhistorique. Il y a cinquante ans, le braconnage surtout et

2016, un cheptel de plus de trois cents chevaux pâture dans

les épizooties l’ont rayé à tout jamais de ses aires d’évolution

les réserves mongoles de Hustai Nuuru et du Grand Gobi B,

naturelles. N’en subsistait que dans la captivité des zoos.

près de Bij Altaï. Leurs plus grands ennemis ? La consanguinité

Inge et Jan Bouman, Hollandais passionnés par cette race,

et les loups !

C’est un cheval Comme on n’en voit pas, Tête de coursier Robe de délire Un vent qui hennit En se répandant. Jules Supervielle

Chevaux sauvages Przewalski ou takhi, seul équidé indomptable au monde avec le zèbre. 261


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– Et qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? – J’aime les nuages… Les nuages qui passent… Là-bas… Là-bas… Les merveilleux nuages ! Charles Baudelaire

Près de Bulgan. 263


Aller de Bulgan à Bulgan ne signifie pas faire une boucle pour revenir à son point de départ, mais suivre la rivière Bulgan sur une route de 100 kilomètres reliant ces deux bourgades homonymes. Le trajet commence par une piste à travers un vaste marécage entrecoupé d’un réseau de cours d’eau paresseux. Puis on aborde la vallée plus étroite où le tracé devient un chemin aménagé à flanc de montagne. Le premier goulet me semble infranchissable en camion : un tel dévers risque de nous propulser au fond du défilé ; après une bonne heure de recherche et d’errance, je trouve un passage scabreux, mais franchissable. Toute la montée le long d’une eau vive, bondissante, est un dur, un épuisant combat au volant du Steyr ; mais quel enchantement offre ce parcours sauvage, dominé par des parois de rochers aux couleurs chatoyantes. À mi-chemin entre les deux bourgades, j’établis le camp pour la nuit, autour d’un feu bienvenu pour éloigner les moustiques et griller de la viande. Tout à coup, de l’obscurité surgissent deux phares, ils foncent sur moi et s’arrêtent au dernier moment. Le conducteur d’une camionnette saute à terre, court et me prend dans ses bras ! Interloqué, je comprends un peu plus tard qu’il a reconnu mon véhicule. Il y a trois ans, à 1500 kilomètres de là, je l’avais tiré d’un bien mauvais pas ; chargée d’émotion, rencontre tout aussi improbable que de tirer le gros lot à l’Euro Millions… Me vient à l’esprit ce mot d’Einstein : « Le hasard c’est Dieu qui se promène incognito. » C’est peut-être pour cette raison que la vodka dégustée eut un goût de champagne !

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Double page précédente et celle-ci :

Vallée et rivière Bulgan. 267


À force de tonnerre Le firmament se craquelle aujourd’hui. Philippe Jaccottet

La route vous dit non en pleine figure comme elle vous cracherait dessus et s’en va rejoindre sous terre les autres routes qui n’en sont plus. Jules Supervielle

Ulaan Davaa. Double page suivante :

Ulaannad : tonte des moutons. 268


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La piste qui mène de Delun à Altaï longe, dans une solitude complète, la frontière chinoise et ses sommets aux glaciers étincelants : grandiose ! Mais pas pour ma pauvre monture qui gémit, grince et finit par ne plus vouloir avancer. Les cahots, les gués, les ornières, les champs de pierre, la boue ont eu raison de sa robustesse : les deux brides à écrous fixant le ressort sur l’essieu se sont brisées net. Le pont arrière, désolidarisé comme une épaule luxée, interdit la poursuite du voyage. Là, mes compétences, mes ressources physiques et mécaniques atteignent leur limite. Abandonnant le camion, à la recherche de secours, je poursuis à pied. Un peu plus

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loin, en plein territoire kazakh, je tombe sur quelques yourtes

fileté des bouts de fer à béton, le réparateur, assisté de son

mongoles. Toute la communauté Uriankhai s’affaire à la tonte

fils, a quitté son atelier à deux heures du matin. Six heures plus

des moutons et à la castration des béliers. Le patriarche,

tard, son petit bus Uaz s’est arrêté à côté de mon Steyr blessé.

Tomorchuluun, surnommé « Monsieur mille yaks », comprend

Aidé de mes outils et de mes deux crics, il nous faudra quatre

ma détresse. Après m’avoir réconforté avec thé, biscuits et

heures pour effectuer une réparation provisoire. Le même soir,

bien sûr vodka, il m’offre son installation radio. De relais en

j’atteins Olgi. Là, nous finirons le travail en consolidant encore

relais, j’entre en contact avec Sandalkhaan, mécano à Olgi,

les deux lames maîtresses des ressorts avant, elles aussi sont

ville distante de 200 kilomètres. Je lui décris les pièces à

rompues ! Prix de l’intervention tout compris : 50 € ! Ils seront

refaire : pas de problème ! C’est le soir, 19 heures, mais elles

vite transformés en bouteilles de vodka.

seront là demain. Tout cela me semble invraisemblable. Pourtant, après avoir travaillé une partie de la nuit, soudé et

Monsieur « Mille yaks » : Tomorchuluun, avec sa petite-fille. 275


Le premier qui vit un chameau s’enfuit à cet objet nouveau ; Le second approcha ; Le troisième osa faire Un licou pour le dromadaire. Jean de La Fontaine

Camp de base de Tavan Bogd. 276


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Je ne connais aucune exception à cette règle, qu’il est moins coûteux d’acheter son lait que d’avoir une vache. Samuel Butler

Quel coup de hache dans les rochers ! L’eau n’est pas toujours gracieuse. Philippe Jaccottet

Traite des yaks. Rivière Tsagaangol (« rivière blanche »). 278


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Montagnes ! Poignards dans le ciel bleu Qui n’émousse pas la pointe. Le ciel s’écroulerait S’il ne se reposait pas sur elles. Mao Zedong

Les montagnes du Tavan Bogt (« les cinq saints »).

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Pour accéder aux glaciers Potanin et Alexander au pied des

Même aux yeux d’un habitué de l’Arc alpin, le paysage vaut

4000 mètres d’Altaï Tavan Bogt, mieux vaut louer un cheval. Le

cette peine. Il pourra ainsi admirer la respiration des vastes

chemin est long et, à 3000 mètres d’altitude, le souffle devient

glaciers qui coulent de chaque vallée, les sommets enneigés,

plus court.

les parterres fleuris de gentianes, d’edelweiss et d’anémones,

Souvent, les nuages masquent ce vaste cirque glaciaire ; il

la grande solitude et le tonitruant silence.

est donc avisé de prévoir suffisamment de temps dans cette région pour pouvoir bénéficier d’une éclaircie.

Distillation du lait de yak fermenté (« arkhi »). Bayarsaikhn, de l’ethnie Tuva, et son fils. 283


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Nos lointains ancêtres ont été des artistes (et même de très grands artistes !) très longtemps avant de pouvoir devenir des intellectuels. Jean-François Guédon

Pétroglyphes du haut Tsagaan Gol (11 000 à 6 000 ans avant J.-C.) 285


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La Mongolie de l’Ouest, plus que tout autre région du globe,

dessinées préhistoriques. Plus récentes sont les statues

abrite une densité unique de pétroglyphes intacts. Les plus

(Balbal) des périodes scythe et turcique du VIe au VIIIe siècle

anciens datent de 11 000 avant J.-C. Ils décrivent des animaux,

après J.-C. En général, elles représentent un guerrier

des scènes de chasse et même des chars tirés par deux

moustachu tenant de sa main droite sur son cœur une coupe,

chevaux. Que ce soit dans la région de Mankhan ou le long de

la main gauche d’ordinaire serrant la poignée d’une épée. On

la rivière Tsagaan, on accède facilement à ces sites, à pied ou

en rencontre partout au hasard du chemin, dans les Aimag de

à cheval. Émotions garanties à la rencontre de ces bandes

Bayan Olgi, de Kovd ou d’Uvs, entre autres.

Je suis le fleuve, Je traverse les prés, Il y a des arbres aux alentours Couverts de colombes, Les arbres chantent avec le fleuve Les arbres chantent Avec mon cœur d’oiseau, Les fleuves chantent avec Mes bras Javier Heraud

Ci-dessus :

Balbal, statues scythes (VIe siècle après J.-C.) Bras de la rivière Tsagan. 287


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Voyage d’hiver

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Si c’était la lumière qui tenait la plume, L’air même qui respirait dans les mots Cela vaudrait mieux. Philippe Jaccottet

Camp d’hiver de nomades à l’est d’Ondorhaan. 297


Nous sommes de douces gazelles Nous ne sommes pas jumelles Mais nous nous ressemblons Et en troupeau nous vivons Robert Casanova

Gazelles de Mongolie (Procapra gutturosa) dans la plaine Menen, la plus vaste étendue herbeuse au monde restée à l’état sauvage. 298

Des hardes de centaines de gazelles sillonnent la plaine de

mince couche de neige. Elles sont les victimes désignées des

Menen. Craintives, elles détalent à l’approche des véhicules.

loups, toujours invisibles la journée, mais dont les traces de

Elles se mêlent aux troupeaux de chevaux, d’ovins et de

pattes en trahissent la présence. Victimes aussi désignées

bovins, broutant une herbe couleur paille, hérissée à travers la

des braconniers !


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Aucune pierre ne s’émeut Aucun souffle ne vient caresser la lumière… Tout est vide L’esprit prend l’air. Pierre Reverdy

Double page suivante :

La neige a appris qu’elle est neige Les mauvaises herbes savent qu’elles sont mauvaises Et le vent… le vent. Seuls les hommes méconnaissent ce qu’ils sont. Ion Caraion

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L’extrême est de ce pays m’était inconnu. En hiver, presque

de kilomètres gardés par de jeunes recrues, souriantes,

personne ne circule dans la steppe que balaye un blizzard

enthousiastes et fières, bien qu’éloignées une année durant

glacial. Les possibilités de logement sont inexistantes,

de toute civilisation ! Qu’observent-ils donc ? Pour beaucoup,

sauf ? sauf avec l’aide de l’armée !

des voleurs de troupeaux venus de Chine ou de Russie ;

Me voici parti pour le tour des postes-frontières : magnifique

tâche dangereuse, les bandits armés n’hésitant pas à tirer !

accueil où, de proche en proche, on annonce mon passage.

Mes amis soldats et officiers m’ont conté de nombreuses

Nous n’aurons aucun souci de subsistance ni d’orientation

histoires à faire frémir…

La joie de l’homme viril, la steppe inhabitée. Proverbe mongol

car un éclaireur nous accompagne jusqu’aux confins de la Mongolie et de la Mandchourie. Jamais je n’aurais imaginé une frontière si étroitement surveillée : des milliers

À gauche :

Berger aux bottes de feutre, plaine de Menen. Ci-dessus :

Le capitaine G. Erdenebayar, sa fille et sa femme médecin, au poste militaire isolé du lac Buir. 305


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À gauche :

Chaque poste militaire possède une structure d’accueil souvent

nourri, partageant dans la bonne humeur avec le commandant

L’aurore agite ses mains roses.

faite d’une à deux chambres à plusieurs lits et avec chauffage.

du poste un repas soigné et abondant.

En hiver, lorsqu’il n’y a pas de radiateur, un soldat vient

De la caserne de Buir, à l’aide de deux soldats qui percent les

régulièrement la nuit, alimenter le fourneau en bois ou en

quarante centimètres de la glace du lac, nous avons pêché des

charbon, luxe apprécié lorsqu’au-dehors, le thermomètre

carpes : à peine sorties de l’eau, les voici congelées.

Charles Ferdinand Ramuz

dépasse largement les −40 °C. Si on y est logé, on y est aussi

Page de gauche :

Prise de drapeau au lever du soleil, au poste de Buir. Ci-dessus :

Structure d’accueil de la caserne. Page suivante :

Pêcherie du lac Buir. 307


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Ikh Burkhant, Bouddha, couché sur le dos, jambes écartées,

est du pays. La statue fait face au soleil levant et à l’Empire du

rare position symbolisant l’infini bonheur, fut érigé de 1859

Milieu, gardant aujourd’hui le petit poste militaire isolé, blotti

à 1864 par Ilden Jun B. Togtokhtur. Préoccupé par l’exode et

à ses pieds.

quelquefois par l’esclavage des Mongols en Chine, il construisit

Mon ami, Battsengel Dugarjav, colonel retraité, vécut huit ans

cette représentation de pierre, tant pour retenir ses compatriotes

dans ce lieu perdu, glacial en hiver et infesté de moustiques en

sur le sol mongol que pour protéger spirituellement la frontière

été ! « Les plus belles années de ma vie », me dit-il.

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Poste militaire au pied du Bouddha. 312


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Du 9 mai au 16 septembre 1939, la rivière Halyn a été le

de Menen, construite sous les ordres de Joukov, grâce à deux

Russes et Mongols laissent leur vie sur ce champ de bataille

théâtre d’une bataille – maintenant effacée des mémoires,

mille cinq cents camions. De plus, les Soviétiques disposent

oublié préfigurant par l’engagement mécanique les massacres

mais alors sans merci – entre les Japonais du Kwangtung et la

d’une position dominante d’où leur artillerie lamine l’infanterie

de la Deuxième Guerre mondiale en Europe.

Mongolie avec son alliée l’Union soviétique. Durant toute la

japonaise. Les chars T26, T37, BT5-7, les chasseurs aériens

De ce drame, il ne subsiste pas grand-chose : quelques vagues

période de 1938 jusqu’au printemps 39, des escarmouches

Polikarpov, en grand nombre, surclassent les armes des

fortifications, tranchées et cratères d’explosion ; en revanche,

ont émaillé la frontière du Mandchoukouo et de la Mongolie sur

Japonais. La tactique de Joukov, combinée à l’incurie du

les Soviétiques ont érigé deux monuments : un à la mémoire de

des territoires revendiqués par chacun des belligérants. Forces

commandement nippon, aboutit à la défaite de l’Empire du

leurs pertes, l’autre, gigantesque obélisque de métal, sévère

en présence très disparates : à un contre deux pour les Russes.

Soleil levant. Le général Kamatsubaru se fera hara-kiri,

glorification des vainqueurs.

Logistique impressionnante d’Ulaanbaatar jusqu’aux plaines

rejoignant dans la mort près de 9000 de ses soldats. Dix mille

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Tortueux trajet dans une nature vierge et sublimée de lumières tendres et pastel que seuls les militaires peuvent parcourir pour arriver à la borne frontière 1403. Au sommet d’une colline, un petit baraquement en rondins, à l’allure scandinave, abrite une escouade de six hommes. Tour à tour, par une température diurne de −45 °C, ils montent une garde de deux heures tandis que deux cavaliers patrouillent devant l’étrange délimitation des territoires : la Mandchourie est cultivée et fauchée, la Mongolie laissée en pâture aux troupeaux ; une ligne de barbelés ondule et zigzague à perte de vue entre les deux nations. Un de ces soldats fête son anniversaire : vingt ans ! Par bonheur, je n’ai pas mangé tout le chocolat emporté, et à l’occasion de cette célébration, je peux équiper d’une plaque chacun des gardiens. Et tous de me demander de prendre des photos, qui pour sa mère, qui pour le souvenir de mon inattendue visite, adoptant des attitudes martiales qui finissent dans un rire plein de fraîcheur.

Page de droite :

La Mandchourie chinoise fauchée, à droite la Mongolie. Pages 320-321 :

Poste frontière mongole de la borne frontière 1403. 318


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Le patriotisme est la source du sacrifice, par la seule raison qu’il compte sur aucune reconnaissance quand on fait le sien. Louis Kossuth

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Bayan Uul. Aimag de Dornod. 322


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La tradition, avec quelque vraisemblance, place à Dalal, la

Moscou, au nord une grande partie de la Sibérie. Son petit-fils

conquistador local et affublés d’un matériel aussi désuet que

naissance de Chinggis Khaan ; un pays de collines peu arborisées,

Kubilai Khaan recevra Marco Polo en Chine !

disparate. Mais quel plaisir pour eux – et pour moi – de

de plaines et de cours d’eau aux méandres paresseux. De ce

Aujourd’hui, en ce lieu, le capitaine Jamsrandorj assure une

partager un moment d’exercice et d’éducation où tout est à

paysage paisible, Temujin, premier nom de ce personnage hors

suite bien pacifique à ses prédesseurs : il s’occupe avec

apprendre et à démontrer, aussi bien l’art de faire une trace,

du commun, débutera l’établissement du plus grand empire

passion d’une petite équipe de fondeurs et organise un

une piste, dans une neige parcimonieuse et sans consistance,

jamais constitué. Après sa mort en 1227, l’étendue de son

concours régional pour les adeptes de ce sport. Apprenant

que l’apprentissage des pas élémentaires du style classique.

empire touchera à l’est la mer du Japon et la mer de Chine, au

mon engagement dans cette discipline, il convoque ses

Rendez-vous est pris pour de prochains cours hivernaux !

sud les frontières du Vietnam, le Tibet, Samarcande, la Perse, à

protégés pour un entraînement surprise ; ceux-ci se présentent

l’ouest l’Irak, la mer Noire, la Pologne, la Hongrie, la Russie et

avec un enthousiasme aussi grand que le fut celui du mythique

Région de Dalal. Sculpture de glace illustrant les douze signes du zodiac chinois. 324


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Le ciel n’est bleu que par convention, mais rouge en réalité. Alberto Giacometti

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Sitôt quitté Dalal, la piste s’efface et l’on continue dans ce que

ne survivrait pas sans protection ; cette nuit, il dormira donc

l’on suppose être la bonne direction, sans certitudes. Au détour

avec elle dans la chaleur de la yourte. Le moment de partir

d’un vallon apparaît une petite ferme avec sa yourte et son

arrive ; la retraitée nous indique la bonne direction. C’est avec

enclos. Je m’approche, personne ; seule une vache beugle

un sentiment mêlé d’incompréhension et de profonde

devant la porte d’un abri en forme d’igloo. Bientôt, alertée par

admiration que je la quitte.

les aboiements du chien de garde, une paysanne surgit. Avant

Au village suivant, Binder, quelle ne sera pas ma surprise

de nous aborder, elle libère un veau – né le matin même – de

de rencontrer une interniste mongole qui a choisi la même

sa crèche de fortune. Puis la conversation s’engage avec cette

occupation que sa consœur ! Malade, fiévreuse, elle s’est

cheffe gynécologue d’un important hôpital, depuis peu retraitée.

réfugiée au dispensaire local, impeccablement tenu, mais qui

La voici revenue aux occupations de ses ancêtres, loin, bien

ne dispose d’aucune infrastructure technique. J’ai peu de

loin de tout, pour élever du bétail.

choses à lui offrir : une auscultation, un diagnostic de pneumonie

Son visage resplendit de sérénité et de bonheur… Un tel

du sommet droit, une boîte d’antibiotiques. Une semaine plus

parcours serait-il possible en Europe ? J’en doute fort : partageant

tard, j’apprendrai qu’elle est retournée soigner ses bêtes ! Belle

thé et biscuits, elle nous explique que le veau né précocement

leçon d’humilité.

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Quel contraste avec la saison chaude ! L’hiver transforme la Mongolie plus que tout autre pays que je connais. Au marché de Moron, l’activité grouillante de juillet se réduit à des passages rapides d’une échoppe à l’autre ; l’air limpide de l’été devient couleur sable sous le nuage des fumées de charbon que libère le chauffage de chaque isba, chaque yourte. D’ailleurs, même le plus petit village hérite de cette caractéristique que l’on supposait n’être que l’apanage d’Ulaanbaatar. L’haleine des bêtes, le souffle des hommes ajoute encore à l’impression de vivre dans un tableau de Turner.

Marché de Moron. 330


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Toom : sur la carte, une bourgade ; en réalité un pont branlant, trois ou quatre maisons inhabitées, quelques petites granges, une yourte en dur et une habitante qui y tient un estaminet ouvert tous les jours de 7 heures à 23 heures ! Son unique spécialité ? Pâtes sautées aux légumes et à la viande, le tout produit et cuisiné sous vos yeux. Mais vu la rareté de sa clientèle, le bruit des automobiles ne la dérange pas souvent !

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Le vent ne dérange même pas les fumées.

Philippe Jaccottet

Ulaan Uul. 337


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Retour chez les Tsaatans, dans leur camp d’hiver, au pied de

en Mongolie où j’ai répété ce geste. La température a chuté à

la montagne sacrée des chamans, le mont Renschinlhumbe

−57 °C, insuffisante pour refroidir la chaleur de leur accueil.

(2623 m). Lors de mon passage, aucun renne n’y séjourne par

Peu à peu, j’apprends davantage de leurs coutumes dominées

manque de neige et de lichen, indispensables à leur survie. À

par la croyance en les forces de la nature. À lui seul, leur rite

tour de rôle, une famille les garde à quatre-vingts kilomètres

funéraire en témoigne : au décès d’un des leurs, on dépouille

de là, où les conditions leur sont meilleures. Ganba prend soin

le corps pour l’abandonner dans la taïga. Les animaux se

de la communauté très réduite, la majorité de la tribu vivant

chargent alors de le rendre à la terre et de libérer l’âme du

dans le confort des isbas et des yourtes de Tsagaannuur.

défunt. Toute la Mongolie d’avant les années 30 pratiquait

Remise des tirages des photographies prises lors de mon

largement ce rituel. Aujourd’hui, il ne subsiste guère que chez

dernier passage : ils en prennent grand plaisir, comme partout

les Dukha.

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Ci-dessus :

D. Odtgonsuren commande le poste militaire de Tsagaannuur. Page  341 :

Le chamane Gambat et sa petite-fille. 340


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Camp d’hiver le long de l’affluent du fleuve Yenisey, la rivière Shishged, riche en poissons taïmens. 344


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Enfants ! Si j’étais roi, je donnerais l’empire Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux Et ma couronne d’or, et mes bains de porphyre Et mes flottes à qui la mer ne peut suffire Pour un regard de vous. Victor Hugo

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Je me suis arrêté au bord de la rivière Shishged où une paysanne, après avoir creusé un trou dans l’épaisseur de la glace, abreuve son troupeau. À mon arrivée près d’elle, un petit veau tombe dans l’orifice, ses deux pattes emprisonnées dans l’étroit abreuvoir. Nous le libérons de ce mortel piège. Puis je m’approche de sa hutte où elle m’invite pour le thé au lait. À l’intérieur, deux moutons, trop petits pour survivre dans le froid de l’enclos et quatre enfants, impressionnés par ma présence, profitent d’un feu qui ronronne dans le fourneau. Séance photo, bien sûr, dont toute la maisonnée attendra avec impatience les tirages que je leur ai apportés l’été suivant.

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Pages 352-353 :

Renchinlhube. La grande roue du luna-park de Bayangovi. 355


Chameau de Bactriane mâle – Camelus bactrianus. En période de rut (janvier et février), il devient agressif et dangereux pour qui s’en approche trop ; le museau plein de bave gelée, il n’hésite pas à charger et à piétiner l’intrus. Étrange est sa danse nuptiale : il prend des positions acrobatiques, se roule à terre, fait moult révérences sous l’œil apparemment indifférent de ses femelles.

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Alors fous-moi la paix avec tes paysages ! Parle-moi du sous-sol. Samuel Beckett

Ninjas : ainsi s’appellent les chercheurs d’or illicites, affublés

n’aiment pas qu’on les dérange : ici on opère à visage découvert !

de leur batte verte, portée sur le dos, ressemblant aux célèbres

Attention : cachez votre appareil photo, sans quoi la communauté

tortues.

des mineurs s’en saisirait pour le détruire sur-le-champ.

Les terres aurifères en attirent de partout, mais surtout de

La trace empruntée ne menait donc pas à ma destination, mais

régions urbaines. Ils cherchent un peu de richesse dans cette

finissait sur un terrain d’exploitation. Les orpailleurs m’ont

activité. Creusant le sol, ils criblent grossièrement la terre et

prévenu de l’impossibilité de franchir la montagne devant

chargent le résidu dans leurs véhicules pour le trier loin des

l’accumulation de l’or blanc ! Vrai ? Faux ? Je n’ai eu d’autre

regards indiscrets. La dimension des pépites varie beaucoup,

choix que de retourner, au crépuscule, sur mes traces, déjà

à l’image de ce que l’on trouvait à même le sol dans Klondike :

presque effacées par le blizzard insistant et musclé.

de quelques grammes à plusieurs kilos !

Plus tard, j’ai retrouvé un ami indigène, chercheur d’or à ses

Suivant une piste qui me semblait aboutir, à travers les

heures, qui m’a proposé de m’instruire à la tâche, histoire

montagnes de la chaîne Baruun Sayhany, au nord de la plaine

d’ajouter une corde à mon arc !

de Hongoryn Els, je suis arrivé sur un lieu de fouille. Les Ninjas

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Bayangiyn Tal, camp hivernal. 361


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Dunes de Hongoryn Els. 363


Double page suivante :

On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va. Christophe Colomb

Ci-contre :

Zorigoo rétabli. Page de droite :

Fabrication des buzz, les « raviolis » traditionnels mongols et Timba, le chien perdu sans collier. 364


C’est l’hiver, un hiver que je découvre dans le Gobi, bien plus

Depuis six mois, aucune nouvelle de Zorigoo, « mon blessé ». Je

Vie animale, vie humaine ont l’habitude de ces dures condi-

difficile d’accès en cette saison : pistes effacées, petits ravins

décide d’aller à Hongor pour le revoir. Surprise : il marche sans

tions : chevaux, chèvres, moutons, chameaux grattent la neige

et oueds comblés de neige soufflée traîtresse, infranchissable.

boiter et fait – ô terreur ! – de la moto, risquant l’accident à

de leurs sabots pour brouter une herbe parcimonieuse et gelée.

Aucun traffic, hormis celui des Ninjas, ces chercheurs d’or

chaque tour de roue. Je lis l’émotion des retrouvailles dans ses

Et ce tout petit chien perdu, qui vient de nulle part, a dû mettre

illégaux. Si, en été, 180 kilomètres se parcourent en trois à

yeux, il doit en faire de même dans les miens. Rudes sont les

des jours pour arriver là, échappant aux crocs des loups et

quatre heures, en janvier, il en faut dix ou douze, à condition de

conditions hivernales, le bois rare, le fourneau de yourte souffre

à la morsure du froid. Je l’accueille au pied de mon lit et le

ne pas se perdre et de manier la pelle avec efficacité ! Mais, le

pour maintenir, la nuit, une température supportable : on est à

réconforte de quelques morceaux de gruyère. Il ne me lâche

cadeau est au bout de la peine, du froid et de l’immensité :

l’abri du vent, certes, mais le thermomètre, à l’intérieur, indique

plus d’un pas. Mes nomades m’ont promis d’en prendre soin.

quelques yourtes de nomades.

tout de même −25 °C au réveil…

Je sais qu’ils le feront !

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Voyage d’hiver 310-313

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Bibliographie Beaux livres Natural Wonders of Mongolia : thematic directory (3e édition), par Batbold Dorjookhuu. Éd. Selengepress, Ulaanbaatar, 2015.

Beauty of Mongolia, par Oktyabri Dash (photos) et Munkhdavaa Oktyabri (texte). Éd. Oktyabri, Séoul, 2015.

Mongolie, par Lacaze Gaëlle et Borel Catherine. Éd. Olizane, Genève, 2009

Mongolia : The Nation Born on Horseback (3e édition), par Bat-Erdene Namjildorj. Éd. Gereltuv Dashdoorov, Ulaanbaatar, 2015.

Mongolia, par Oktyabri Dash (photos) et Munkhdavaa Oktyabri (texte) (3e édition). Éd. Baasanjav Bayartai, Ulziinaran Luvsannorov, Purevsambuu Tserendorj, Séoul, 2014.

Guides nationaux

Mongolie : La Vallée du Grand Ciel, par Dehau Etienne (photos) et Sermier Claire (texte), (2e édition). Éd. Jacques-Marie Laffont, Vents de Sable, Paris, 2015. Mongolia… the Heart Land of Asia, par Ganzorig Lkhamsuren, (3e édition). Éd. Selengepress, Ulaanbaatar, 2013. Le monde pour passager, par Mellet Marc. Éd. Le Monde pour Passager – Kamtchatka, Paris, 2008.

Petit glossaire géographique

Guides internationaux Mongolie 2015-2016, par Hadj-Djilani, Saliha. Éd. Petit futé, Paris, 2015.

Le Parc National du Gobi Gurvansaikhan – Guide Nature n° 1, par Steinhauer-Burkart Bernd. ECO Nature Édition, Steinauer-Burkart OHG, Oberaula (D), 2011.

Ikh Nart Nature Reserve – Guide Nature n° 4 (2e Édition), par Reading Richard, Kenny David et Steinhauer-Burkart Bernd. ECO Nature Édition, Steinauer-Burkart OHG, Oberaula (D), 2011. Le Parc National de Hustai Nuruu – Guide Nature n° 5, par Steinhauer-Burkart Bernd. ECO Nature Édition, Steinauer-Burkart OHG, Oberaula (D), 2011.

Gorkhi-Terelj National Park and Khan Khentee Strictly Protected Area – Guide Nature n° 2, par Steinhauer-Burkart Bernd et Liegl Alois. Éd. ECO Nature Édition, Steinauer-Burkart OHG, Oberaula (D), 2001.

Mongolia, par Kohn Michael et Starnes Dean (6e édition). Éd. Lonely Planet Publications, Melbourne, London, Oakland, 2011.

Great Gobi B Strictly Protected Area : a wild horse refuge – Guide Nature n° 3, par Kaczensky Petra, Walzer Chris et Steinhauer-Burkart Bernd. ECO Nature Édition, Steinauer-Burkart OHG, Oberaula (D), 2004.

Bac birvaaz Boue shavaz Chaîne de montagne nuruu Col davaa Colline dov Désert govi District duureg Droite baruun Eau us Est domo

Gauche züün Gué gol gorhi Lac nuur Marécage namog Montagne uul Neige tsas Nord khoid Ouest baruun (aussi droite) Piste shoroon zam Pont guur Province aimag

Rivière gol Rivière (grande) moron Rocher chuluu Route zam Sable, Dune et Désert de sable els Steppe tal Sud ömnö Ville hot

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Participants

Dr Marie-José Manidi, psychothérapeute, aventurière intrépide, navigatrice, passionnée de relations humaines et avide de nouveaux horizons. Elle plonge dans les profondeurs du Pacifique et sillonne les climats les plus extrêmes. Scandinavie, Grèce, Turquie, États-Unis n’ont plus de secret pour elle. Sportive, elle a fait partie de l’équipe universitaire suisse de ski de fond et a participé à de nombreuses courses internationales avec succès. Elle a publié plusieurs ouvrages dans le domaine des sciences du sport.

Batnasan Dugarjav, dite Nasaa, a vécu six ans en Suisse. De formation universitaire, elle parle parfaitement le russe, l’anglais et le français. Ses compétences historiques, géographiques et culturelles de la Mongolie sont très étendues. Elle vit à Ulaanbaatar et, à la bonne saison, accompagne avec maestria les voyageurs qui décident de sortir des sentiers battus.

Rentsenpurev, dit Rentsen, commerçant, en été pisteur au volant de son 4×4, ouvre le chemin à ceux qui désirent simplement aller plus loin.

Nils Gertsch, le cinquième enfant de l’auteur, éducateur et musicien compositeur, a suivi dès sa première année de vie son père sur les routes de la découverte. Skieur, plongeur, il en est à son troisième voyage au volant du camion de l’aventure.

Dr Pascal Gertsch, médecin généraliste à la montagne, aux Diablerets, en Suisse, aujourd’hui à la retraite, est né en 1946. La paix retrouvée en Europe lui a permis, très jeune, avec ses parents et son frère, de sillonner le monde. En 1961, à la suite d’un voyage à travers le Moyen-Orient qui le conduira en Peugeot 403 jusqu’en Egypte, il écrit ses premiers articles entre autres dans le Journal Tintin. À la fin des années 60, il passe tout son temps libre en Scandinavie, devient marin pêcheur aux Lofoten et court

sur les pistes d’Holmenkollen, de Mora, de Falun ou de Zakopane. Membre de l’élite suisse du ski nordique, il est plusieurs fois champion suisse universitaire de relais 4×10 km, de 15 km et 30 km individuel. Il sera pendant douze ans médecin de la Fédération suisse de ski. Durant quarantecinq ans, il sillonne la Méditerranée sur son voilier. Il inocule le virus inguérissable du voyage à ses six enfants. Ses premières missions humanitaires, suivant l’exemple de son père chirurgien, il les réalise au

Burkina Faso en traversant le Sahara depuis Alger avec sa fille Laila. Il découvre dans les années 90 le monde sous-marin, acquiert une spécialisation de médecine hyperbare et réalise plus de mille plongées en Papouasie, aux Îles Salomon ou en Micronésie. Dès 2012, il retourne régulièrement en Mongolie où il apporte son aide à quelques hôpitaux périphériques.

Auteur

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Remerciements Ils vont tout d’abord à Grégoire Montangero dont le sens artistique doublé d’une patience sans limite m’ont permis de concrétiser ce livre. Sans Christophe Racat, je n’aurais pas su quelles photographies choisir. Sa sensibilité, son enthousiasme et ses compétences techniques sont également responsables de l’ouvrage que vous avez sous vos yeux.

Merci au docteur Anne-Sylvie Fontannaz, pharmacienne cantonale et au docteur Karim Boubaker, médecin cantonal vaudois, qui ont grandement facilité mes missions médicales en Mongolie. Battsengel Dugarjav, colonel à la retraite, m’a accompagné dans mon voyage d’hiver. Grâce à son dévouement, j’ai pu parcourir des régions inabordables. Merci aussi à ses

amis, officiers et soldats, sans lesquels j’aurais eu vraiment très, très froid ! Saraa Dash, de Zurag Zuy Cartography Co Ltd, m’a autorisé à publier les cartes Mongolia Road Network, les plus détaillées et les plus fiables. Merci à tous mes amis de Suisse et de Mongolie qui, de près ou de loin, m’ont apporté toute l’aide dont j’ai eu besoin.

Enfin, merci à Laïla, Sandrina, Annika, Fabian, Alexandre et Nils, mes enfants, ainsi qu’à leurs conjoints, qui m’ont dépanné et soutenu dans ma soif de découverte.

Cartographie Échelle 1:2 000 000 Mongolia Road Network. Éditeur : Zurag Zui, LLC, Ulaanbaatar, 2012 (carte du présent ouvrage). Échelle 1:2 500 000 (carte physique) Éditeur : Ch. Tsegmed. 2015. Échelle 1:2 400 000 Éditeur : Gazryn Zurag, Ulaanbaatar. Échelle 1:2 000 000 Éditeur : Gizi Map, Budapest, 2012. Échelle 1:1 785 000 Éditeur : International Travel Maps, 2013. Échelle 1:1 600 000 Éditeur : Reise Know-How Asien, Bielefeld, 2011.

Crédits Toutes les photographies sont de l’auteur sauf les suivantes : pages 176, 378 J, 379 B. : Marie-José Manidi. Pages 264 A et B, 382 (portrait de l’auteur) : Nils Gertsch. 383


Si je n’étais pas parvenu à écrire grand-chose, c’est qu’être heureux me prenait tout mon temps. Nicolas Bouvier

ACHEVÉ D’IMPRIMER EN MMXVI SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE SEPEC. Imprimé en France. Tous droits réservés. © 2016 by Éditions Favre SA, Lausanne. pascalgertsch@bluewin.ch


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