MONGOLIE LES CHEMINS DE L’HIVER
voyages au hasard des rencontres
Pascal Gertsch
MONGOLIE
LES CHEMINS DE L’HIVER
ISBN 978-2-8399-3039-0. Dépôt légal en octobre 2020.
Photographies et textes : Pascal Gertsch.
Editions ASCSUMO
Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction,
Photogravure : Grégoire Montangero et Bruno Voidey.
rue des Pilettes 37
même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie,
Direction artistique et réalisation : Grégoire Montangero.
CH – 1784 Courtepin (Suisse)
est interdite.
Adaptations cartographiques : Mathieu Pierson.
pascalgertsch@bluewin.ch
A Marie-Jo.
L'hiver, l'astre éteint-il sa flamme ? Dieu ne retire rien du ciel ; Ne retire rien de ton âme ! Victor Hugo – Les Contemplations
La photographie, c'est mieux qu'un dessin, mais il ne faut pas le dire. Jean-Auguste-Dominique Ingres
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AVANT-PROPOS DE L’AUTEUR
« Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible
encore, à avancer toujours. La rapidité de l’entrée dans la dernière
été », disait Camus. Depuis huit ans, tous les mois de l’année
partie de l’année peut surprendre : en quelques jours, l’eau
m’ont vu parcourir la Mongolie. Mais mon cœur va, sans
froide des rivières se couvre de nénuphars de glace qui, déjà,
hésiter, aux saisons froides.
s’entrechoquent dans un bruit de cigales à l’agonie… La neige ne
Pour gagner cette longue période de frimas, mes pas suivent
suit pas forcément. Elle peut même s’abstenir de tomber toute une
tout d’abord les chemins de l’automne, portique enflammé
saison, condamnant à une soif mortelle le petit bétail : il ne peut
des dernières lumières d’or dans le froid naissant. Cette
comme les chevaux, de leurs sabots, casser quelques morceaux
approche m’est indispensable, initiatique, comme si, pour
de glace, pour les croquer.
me fortifier en prévision des rudesses à venir, je devais
La distribution du manteau blanc, d'ordinaire peu abondante, est
engranger ces couleurs encore chaudes.
plus probable au nord et à l’ouest, plutôt qu’à l’est, mais cela n’est
En Mongolie, les premiers frissons annonciateurs de la
pas une règle.
saison glaciale débutent à la mi-septembre, et il neige
Domine alors ce silence énorme, rompu de temps à autre par
souvent jusqu’en mai… A l’automne, le vent se calme, un
quelques tempêtes aux vents hurlants, qui transpercent la peau du
tonitruant silence s’installe pour durer. Seul, sur l’herbe
visage d'aiguilles de givre, et font rêver d’un abri. Celui-ci trouvé
parfumée encore, je peux alors m’asseoir, et dans l’espace
sera, sans exception, ouvert, accueillant, réconfortant. En ce lieu
immense et vide, laisser longuement vagabonder mon âme
d’échange avec les nomades, sans même parler la même langue,
mélancolique, fascinée, recueillie, nostalgique, émerveillée.
on partage nos émotions. Parfois, de simples gestes et mimiques
D’ordinaire en l’absence d’étendue, on désire atteindre une
permettent d’aller loin dans la compréhension mutuelle. Un repas
limite comme pour se réconforter ; ici, nul besoin de courir,
vous sera toujours offert, accompagné, bien sûr, d’un coup de
Le prix à payer ? Arpenter obstinément l’immensité, marcher,
l’espace, même convulsé de reliefs infranchissables au
vodka ! Entre l’étranger que je suis et mes hôtes, la communion de
marcher, marcher toujours, comme le pilote Guillaumet,
regard, entre en nous, nous transforme. Nous devenons
nos vécus en cette nature si extrême – j’y ai expérimenté −57 °C –,
ami de Saint-Exupéry, et découvrir des visages inconnus,
espace. Et ce de manière si intense, que même la pensée
suscite d’emblée fraternité, spontanéité, accueil : autant de motifs
des histoires, des coutumes, et faire encore de nouvelles
disparaît. La retrouver, c’est prendre conscience d’un pur
qui me lient si fort aux saisons froides de Mongolie.
rencontres.
bonheur vécu – sans souvenir. Nulle part dans le monde
Malgré la chaleur du moment, je reprends toujours la route. Car,
Cette insatiable envie m’a incité, aux froides saisons, à courir
que j’ai largement sillonné, je n’ai éprouvé pareil moment
au fond de moi, je sais qu’une autre rencontre m’attend quelque
la Mongolie. Mais aussi ma fascination pour les lumières
d’intimité avec moi-même – unique et précieux cadeau
part. Un pays inhabité ne m’intéresse pas (tout comme, d’ailleurs,
pures, transparentes, glaciales et chaudes à la fois, un peu
offert par la Mongolie !
une ville grouillante d’individus). Mais si, dans l’espace sans limite,
de la peinture d’Hodler. Et, comme Ella Maillart, convaincu
Passé le bref automne, survient l’hiver intense, celui qui
un abri, espère peut-être mon passage, je suis alors impatient de
qu’en voyageant il faille faire quelque chose de plus, depuis
empêche la rêverie assis sur une pierre, et oblige à marcher
le trouver.
2016, je sillonne le pays pour y développer le ski nordique
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– j’en ai quelques connaissances –, en quête d’entraîneurs
nous ne savons jamais que faire de notre cargaison. »
complices et de jeunes talents à découvrir. Un espoir à offrir
Comme lui, pourtant, je me dois de partager avec vous,
à des enfants qui manquent d'activités ludiques hivernales.
lecteurs, par ce livre, quelques-uns des moments captés
Mes pérégrinations m’ont comblé au-delà de mes rêves les
et des trésors entrevus qu’il m’aurait paru bien égoïste de
plus insensés par la participation de deux filles et de deux
garder pour moi seul.
garçons aux Jeux Olympiques de la Jeunesse, Lausanne 2020. Mais je devais bien cet effort en retour à un pays qui m’a tant donné ! « En revenant de voyage, prétendait Bouvier, nous sommes comme des galions pleins de poivre et de muscade, et autres épices précieuses, mais une fois revenus au port,
Pascal Gertsch
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MONGOLIE Échelle : 1 : 2 000 000
Tracés des vingt voyages la quasi totalité des itinéraires empruntés par l'auteur au cours de ses pérégrinations en Mongolie.
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Les épis, leur barbe dressée : des tringles de laiton ? Plutôt une couleur-matière, quelques fois plus proche de l'argent que de l'or. Philippe Jaccottet
Les aimags (départements) Tov, Selenge et Bulgan sont de gros producteurs de céréales. Les récoltes subissent une importante influence de la météorologie : dégel, pluie, neige. La saison des cultures est 24
particulièrement courte. Et, souvent trop précoce, un hiver anihile le travail des agriculteurs : ce beau champ de blé, quelques jours après cette prise de vue, recouvert de neige, devint irrécupérable.
On n'essaie pas de fixer une corde de yak sur une tête de mouton. Proverbe tibétain
Le yak, arrivé du Tibet avec le bouddhisme, constitue une population de près de deux millions de têtes. Les Mongols apprécient les capacités de transport et de trait de l'animal,
ainsi que son lait, sa laine, chaude et résistante, sa viande et son cuir. En automne, sa toison s'embellit, se fournit, pour supporter aisément de très basses températures. 25
C'est un pays doux illuminé de plaine Où circulent de longs troupeaux Dont on voyait les laines Blanchir les prés et se mirer dans l'eau. Emile Verhaeren
Depuis la colline, chèvres et moutons dans une lumière d'automne, sur les berges du lac de l'Oiseau, Hargal nuur, Teshig Sum. 26
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Et dire que l'automne vient, et le froid vient, et que ce sera bientôt l'hiver. Charles Ferdinand Ramuz
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Les glaces charriées par le fleuve engourdi Nous rappelaient, si blanc sur l'eau luisante et brune, Les larges nénuphars cueillis pendant l'été. Ernest d'Hervilly
L'hiver survient, très rapide, en peu de jours, préparé par des nuits aux températures profondément négatives. Les rivières charrient des nénuphars de glace et, en quelques heures, se figent pour des mois. 30
Rivière Egiyn.
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Tout ceci est immense calme et pur et, si l’on essaie de l’entendre, prodigieusement silencieux. Philippe Jaccottet
La piste de Bayanzurkh. 37
Les brebis s’en vont dans la neige Flocons de laine [‌] Guillaume Apollinaire
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Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi et marcher seul, au chaud sous la laine, sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique. Nicolas Bouvier
Village d’Arbulag. 40
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Si le ciel vide s’agrandissait Cet arbre solitaire Disparaîtrait. Paul Eluard
La piste et le pont d'accès à Bayanzurkh. 43
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Quittant la route asphaltée qui relie Moron à Hatgal (cf.
draperies minérales aux couleurs crayeuses. Un pont flottant,
pages 34-35), une piste incertaine serpente à l’ouest vers la
en été, conduit à cet endroit par la très difficile piste de Tsagaan
Russie. En été, trop souvent boueuse, elle est difficilement
Uul. L’ouvrage d’art passe l’hiver sur la berge pour survivre à
praticable ; en hiver, d’abondantes chutes de neige peuvent
la débâcle. Subsiste la possibilité, bien risquée, de traverser la
aussi défendre l’accès à un pur joyau : la région de Bayanzuch,
grande rivière Delgermörön sur une glace traîtresse ; les locaux
l’une des plus captivantes de Mongolie. Nichée au fond d’une
me l'ont fortement déconseillé !
profonde vallée, plus qu’ailleurs, la bourgade vit en semi-autarcie ;
Chaque fois que je quitte ce trésor géographique, j’y laisse une
un réseau de vallons et de canyons révèle un paysage tissé de
partie de mon cœur.
Bayanzurkh : ambiances villageoises. 45
Cubes de glaces découpés dans la rivière : la seule réserve d’eau disponible en hiver pour l’unique estaminet de Bayanzurkh.
Bienheureux, j’allongeais les jambes sous la table Verte : je contemplais les sujets très naïfs De la tapisserie. Arthur Rimbaud
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Sur la bruyère infiniment, Voici le vent hurlant, Voici le vent cornant de novembre. Emile Verhaeren
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Je me rappelle un morceau de silence Cloué sur un tesson de gel. Gillbert Troillet
Rivière Delgermörön. 51
Sous un grand ciel gris, dans une plaine poudreuse sans chemin, sans gazon, sans chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbĂŠs. Charles Baudelaire
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Plus qu’aucune autre saison, j’aime ces contrées, l’hiver qui les dépouille et les purifie. Philippe Jaccottet
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Le pont de barges mis Ă terre, seules les motos franchissent la glace en sĂŠcuritĂŠ. 56
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C’est presque une enceinte de pierre, sauvage, où règne une lumière grave qui émane de ces lieux, froide, comme immémoriale. Je m’étonne de la paix qui émane de ces lieux. Philippe Jaccottet
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Là-bas, dans le lointain, que signifie ce groupe serré, silencieux, à peu près immobile ? Ce sont des bêtes douces, domestiques […] amies de la terre nue, de la poussière et des pierres. Philippe Jaccottet
Camp d’hiver nomade, à flanc de coteau, comme le plus souvent. 60
Vieux portique près de Sumber. 61
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Lentement, sans bruit, sans secousse, La porte s’ouvre sur la nuit douce. Charles Van Lerberghe
On s’approche, on court, la main touche la main, Et nous nous souvenons que nous marchons ensemble, Que l’âme est immortelle, et qu’hier c’est demain. Alfred de Musset
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Ci-dessus :
Ici prendre son temps est le meilleur moyen de n’en pas perdre. Nicolas Bouvier
Ce festin sera, gourmand, Si charmant Et cette odeur si divine Que toute pudeur en bas, Tu voudras n'être qu'une narine. Paul Verlaine Eté comme hiver, les garnisons de l’armée des frontières m’accueillent à Ulaan-Uul, grâce à mon ami Batsengel, colonel à la retraite. Les soirées s’écoulent dans la bonne humeur et la narration de nos dernières aventures respectives. Puis nous 64
dormirons tous ensemble dans la même pièce bordée de lits. Plats ci-dessus : khuushuur, baignets frits, farcis de viande et tsuivan, pâtes sautées, avec viande, carottes, choux et poivrons.
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Ulaan Uul.
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Ici où l’on use les machines jusqu’à la ruine, les garagistes ignorent ce répertoire de mimiques consternées ou méprisantes qui, chez nous, fait honte au propriétaire d’un « clou » et l’oblige à acheter du neuf. Ce sont des artistes, pas des vendeurs. Nicolas Bouvier
UAZ, 4×4 russe, souvent en panne, toujours réparable. 70
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Quand reverrai-je, hélas de mon petit village Fumer la cheminée et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ? Joachim du Bellay
Maison solitaire à 30 km de Tsagaan Nuur, non loin du camp d’hiver des Tsataanes de l’est. 72
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Regard frais comme un coup de vent. Philippe Jaccottet
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Un enfant c’est un ange, à cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé. Victor Hugo
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Quand tout se fait petit, Femmes vous restez grandes. Victor Hugo 78
Yourte ou cahute, la machine à coudre, la batterie alimentée par un panneau solaire font partie de l’équipement luxueux de base. 79
Mais aussi une bouche fraîche et gracieuse, des dents d’une blancheur éblouissante ; sur la peau des tons de chair, vigoureux, blancs et bruns, admirablement nuancés de rouge. Les paupières, fournies de beaux cils bien recourbés, avaient un charme indéfinissable… Ô enfance !
Il y a aussi un vieux buffet Qui sent la cire, la confiture La viande, le pain et les poires mûres. C’est un serviteur fidèle qui sait Qu’il ne doit rien voler. Francis James
Honoré de Balzac
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Comme un ange qui se dévoile Tu me regardais dans ma nuit, Avec ton beau regard d’étoile Qui m’éblouit Victor Hugo 80
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Donne-moi ta main, afin que, jour après jour, Sur les doigts délicats Je compte les éternités. Alfred de Musset
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Je passe, enfant, troupeau, s’effacent dans la brume ; le crépuscule étend ses longs sillons gris. Victor Hugo 85
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C’est que le nomadisme rend sensible aux saisons : on en dépend, on devient la saison même et chaque fois qu’elle tourne, c’est comme s’il fallait s’arracher à un lieu où l’on a appris à vivre. Nicolas Bouvier
Tsataanes de l’est, camp d’hiver, non loin de Tsagaan Nuur. 88
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Depuis quelques années, rencontrer les Tsataanes ou, plus
de lointains ancêtres turcs et un cousinage, au moins par
justement les Dukhas, est un must pour quiconque visite la
leur mode de vie, avec les Samis de Laponie.
région. Plus accessibles, ceux de l’est reçoivent, en été, de
Une micro-ethnie de quelques centaines de membres,
nombreux touristes, bravant taïga et insectes voraces.
soutenue par le gouvernement central, et qui tient, comme
En hiver, ceux de l’est se rapprochent de Tsagaan Nuur, ceux
chez nous « les gens du voyage », à sa vie incroyablement rude.
de l’ouest restent éloignés de la civilisation. Même avec l'aide
Cette solitude hivernale inspire une sérénité bouleversante.
de l'armée des frontières, il n'est pas aisé de les localiser.
Eté comme hiver, ils m'offrent, quelques jours, l'abri de leur
« Les gens de la taïga » comme ils aiment à se nommer, ont
tipi.
Cesser d’aimer et d’être aimante, C’est une mort insupportable, Cesser de vivre, ce n’est rien. Voltaire
Aïeule et nouveau-né partagent cette vie d’un autre temps. 90
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Les montagnes Bayan Nuruu, tout près de la frontière russe, dépassent les 3000 mètres d'altitude. 94
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Regarde ton chien dans les yeux et tu ne pourras pas affirmer qu’il n’a pas d’âme. Victor Hugo
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Leurs deux visages malicieux, noircis, usés comme des sous, sont les seuls que je puisse lire, parce qu’à leur âge, mais à leur âge seulement, on retrouve cette liberté et cet abandon qui font ici tout le charme des vieux. Nicolas Bouvier
Saintseteg, chamane des Tsataanes de l’est, agite son bouquet incandescent de résineux odorants ; la fumée dissipe en elle les brumes du futur qu’elle cherche à percer. 98
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[…] la nuit on croit entendre, A travers l’ombre immense et sous le ciel béni Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.
Les maisons n’y sont pas plus hautes que les arbres ; Et de vastes enclos Font taire l’horizon.
Victor Hugo
Jules Romains
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Renchinlhumbe.
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C’est presque l’invisible qui luit Au-dessus de la pente ailée ; Il reste encore un peu d’une nuit claire A ce jour en argent mêlée. Rainer Maria Rilke
Le Maraat Uul (2409 mètres d'altitude). 106
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Plus rien qu’un arbre qui penche, dans l’opacité de ses branches, avec son ombre, de côté, comme un poids qui l’accable ; et cet arbre se laisser aller en avant, comme un dormeur qui a les coudes sur la table.
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Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage. Lao-Tseu
Charles Ferdinand Ramuz
Le lac Hovsgol gèle profondément, envoyant à l’assaut de ses rives une armée désordonnée de blocs de glace. Et lorsque l’on s’aventure sur sa carapace striée de motifs artistiquement géométriques, il tonne des bruits sourds qui viennent de nulle part, percussion musicale qui entre en nous, comme une sorte de communion avec son âme. 109
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Ecoute le chant du traîneau dans sa course. Partons nous perdre là-bas au loin ! La brise timide nous caresse, laissant tinter la cloche dans les airs. Va traîneau, va traîneau ! Sergueï Essenine
Début mars, s’organise à Hatgal, sur le lac Hovsgol, le Festival de la glace. Evénement très prisé des Mongols, accourant de toutes parts, il réunit sculptures éphémères, patinage de vitesse, et même bicyclette. Mais l’intérêt et le charme de la fête réside dans les nombreux traîneaux participants. Une fois n’est pas coutume, les chevaux sont ferrés de larges crampons. Ils galopent et font chanter la glace sous le martèlement de leurs sabots. 112
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Tourner le dos à la neige, encore une fois, se hisser dans le froid comme des skieurs pour le plaisir de la descente, vers ce pays qui reste, à travers le pire que l’histoire lui impose, lui inflige, celui du bonheur, celui qui aide à en retrouver des bribes. Philippe Jaccottet
Au col Zoolongiyn Davaa. 116
L’animal est la fin du connu, l’homme est le commencement de l’inconnu. Victor Hugo
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Les seules bêtes qui s’accommodent de ces pâtures de pierre sont les moutons qui en ont la teinte, avec leur naïveté farouche, presque muette, portant leur fourrure effilochée et sale, tels des saint Jean-Baptiste. Philippe Jaccottet
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En réglant son compte à l’espace, le nomade freine la course du temps. Sylvain Tesson
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Sur le versant sud du Solongotiyn Dava, col culmi- est né un veau, chargé et emmitouflé, il fait −40 °C ; nant à plus de 2700 mètres, rencontre d’une cara- un jeune animal épuisé, bénéficie de l’attention des vane d’une dizaine de chars moyenâgeux tirés par bergers et d’une ration de foin qu’il n’a pas la force des yacks. Ceux-ci sont au repos et se ravitaillent d’aller brouter dans la neige. Il reste encore une non loin de la route. Leurs conducteurs font de centaine de kilomètres avant d’arriver à destination ; même. Ils sont partis il y a quelques semaines la progression est lente : pas plus de 4 km/h… d’Arvayheer, bourgade distante de 400 km. En route Les nomades ont tout leur temps ! 125
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Des ailes légères de l'amour j'ai volé sur le haut de ces murailles ; car des barrières de pierre ne sauraient interdire l'entrée à l'amour ; et tout ce que l'amour peut faire, l'amour ose le tenter. William Shakespeare
Temple d’Erdene Zuu, l’enceinte des cent huit stupas et des quatre portes. 128
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De temps en temps il faut se reposer de ne rien faire. Jean Cocteau
Dans le froid, les ĂŠchoppes pour touristes dorment. 131
Le peuple aime extrĂŞmement ce qui a trait au divin. Fedor Dostoievski
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Kharkhorin, destination de tout voyage en Mongolie, fut pour quelques dizaines d’années, la capitale de Chinggis Khan. De celle-ci, il ne reste que très peu de chose.
Mais à la fin du XVIe siècle, naît un imposant monastère, Erdene Zuu. Les visiteurs, nombreux en été, se font très rares en hiver. D’ailleurs, ils y trouvent difficilement de quoi se loger.
Pourtant, sous la neige et le vent, la fascination des lieux vaut mille fois l’inconfort de la saison. Les échoppes à touristes sont closes, les temples ouverts, le charme opère !
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De nombreux volcans ont façonné la vallée de l’Orkhon, dont l’imposant Khairkhan (3019 mètres d’altitude). 133
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J'aime m'intituler avec un certain orgueil, ingénieur des ponts et chansons. Guy Béart
A chaque passage, le pont sur la rivière Orkhon grince, chante et s'affaisse un peu plus. Le franchir nécessite insouciance et prières… 136
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Le blason de l'hiver est de sable, d'argent et de sinople ; d'hermine le jour, s'il neige, et la nuit de contre-hermine. Philippe Jaccottet
En hiver, toute la vallée en amont des chutes de l’Orkhon n’est qu’une plaine de glace, long ruban argenté que franchissent avec beaucoup de crainte des hardes de chevaux. 139
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Et si c’était par désespoir que les cascades se précipitent du haut des montagnes ? Sylvain Tesson
Accéder au fond du canyon et rejoindre le pied de la chute de l'Orkhon impose vingt mètres d’une descente hasardeuse… 141
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Tout est un, et un en un, et tout en un Et un en Dieu Et Dieu présent dans le tronc d’arbre mort. Pierre Jean Jouve
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Un goût de cendres vole dans l'air ; une odeur de bois suant dans l'âtre […] Arthur Rimbaud
Bat Olziit, un des berceaux du ski nordique mongol. 147
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Eaux prodigues et qui ne reviendront jamais sur leurs pas. Philippe Jaccottet
L’Orkhon taille son lit dans la roche volcanique, grande architecte du paysage de la longue vallÊe.
Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s’épanouir La puanteur était si forte, que sur l’herbe Vous crûtes vous évanouir. Charles Baudelaire
Pas de pitié pour les plus faibles : à la fin de l’hiver, de très nombreuses carcasses jonchent la steppe, offrant leur pourriture aux vautours. Souvent, les nomades les rassemblent et tentent par-là de limiter les épizooties. 150
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Si nous nous trouvons tellement à l’aise dans la pleine nature, c’est qu’elle n’a pas d’opinion sur nous. Friedrich Nietzsche
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La lumière se trouble et s’enfuit dans l’espace, Un frisson long descend dans la chair de la terre, Les arbres sont pareils à des anges en prière. Rémy de Gourmont
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Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature et à une conformité secrète entre ces monuments détruits et à la rapidité de notre existence. François-René de Chateaubriand
Les monts Khögnö-Khan forment un cirque granitique au fond duquel se blottissent les ruines du monastère Övgön. Important, au XVIIe siècle, ce sanctuaire abritait en ses diverses
dépendances plus de mille moines. Détruit à plusieurs reprises, dont la dernière lors des exactions communistes des années 1930, il n’en subsiste que quelques ruines, émouvantes
dans la solitude hivernale. A chaque visite, cet endroit me rappelle les paysages du marabout de Mouley Hassan et de l’Arak, dans le Hoggar. 155
J’ai entendu cette nuit une voix d’enfant derrière ma porte Douce Modulée Pure Ça m’a fait du bien. Blaise Cendrars
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Ami, je t’invite, dans mon modeste asile, si tu es fatigué des choses de la ville à venir simplement goûter le mois de Mars. Francis James
… et j’ai goûté, ici, à l’hospitalité des nomades. 157
Devant moi, une harde de takis. Je la contourne et, solitaire, m’en approche contre un vent violent. Tout à coup, passé un monticule, me voici au milieu d’eux. Ils me considèrent alors comme l’un des leurs. 158
Ce petit équidé indomptable, nommé aussi cheval de Przewalski, diffère de ses congénères domestiques, entre autres par son patrimoine génétique, (deux chromosomes supplémentaires). Dès la fin des années soixante,
l'espèce a totalement disparu d'Asie. En 1990, sa réintroduction est due à l'enthousiasme de défenseurs de la nature et à la collaboration de plusieurs zoos européens, sauveurs de la race.
Dans un premier temps, les takis multipliés en Europe ont été transportés par avion dans trois réserves mongoles, dont celle, ici, de Khustai Nuuru.
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La couleur est l'endroit où notre cerveau et l'univers se rencontrent. Paul Klee
Tsagaan Suvarga : des airs de Zabriskie Point à Death Valley (USA). 161
J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence. Antoine de Saint-Exupéry
Khongorin Els. 162
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Dans les montagnes Gurvan Saykhan, Omnogovi. 164
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Je voudrais une fête, mais en l’honneur de qui ? Une fête et chanter avec d’autres. Friedrich Hölderin
Bulgan : la Fête des mille chameaux. 167
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Début mars, pour autant qu’une épizootie de peste (yersinosepasteurella pestis) n’impose pas une quarantaine, la région de Bulgan, au sud du Gobi, devient le théâtre de la rencontre des mille chameaux. Mille n’y sont pas, mais près de trois cent, une armée déjà très impressionnante ! Imaginez cet animal d’aspect antédiluvien (camelus bactrianus) de plus de 800 kg, capable de supporter, d'après les Mongols, une charge approchant la tonne ! Au cours de cette fête dont il est le héros, il va montrer tout ce dont il est capable ! Trois jours durant, un nombreux public mongol et quelques rares étrangers découvrent le monde fascinant de ce vaisseau du désert. Capture, dressage, course de vitesse, agilité, polo, caravane, – la plupart des aspects liés à l’animal sont abordés. Les courses de vitesse se disputent par catégorie d’âge. Epreuve de six kilomètres pour les chameaux d’une année, neuf kilomètres pour ceux de trois ans, et douze kilomètres pour les adultes. La vitesse dépasse largement les 55 km/h. En concours de dressage, plusieurs équipes s’affrontent. L’accent porte sur la rapidité à capturer le chameau domestique encore indompté, la façon de transpercer d’un bois de saxaoul sa cloison nasale – attribut indispensable à sa conduite –, la tonte et le tressage de cordelettes, enfin la première monte – rodéo vif et fort risqué ! Le chameau ne dispose pas de l’agilité du cheval. Tout l’art du chamelier consiste à amener sa monture à exécuter un exercice de précision, jouer au polo et le faire virevolter à la poursuite de la balle. Animal considéré trop souvent comme stupide et têtu, il s’avère, à le côtoyer, malicieux, enjoué et complice de son maître. Une bête attachante, comme le peuple qui la vénère.
Souviens-toi que chameau mal acquis ne profite jamais ! Hergé
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Ah ! l’éléphant, l’hippopotame, que de grâce ! Le chameau que d’élégance. Guy de Maupassant
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Contrôle de l’âge d’après la dentition. 176
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Les concurrents rejoignent la ligne de dĂŠpart. 179
J’ai tellement aimé ses créatures que Dieu doit me considérer comme un ami. Jean-François Millet
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Tu vas me donner de la vanité ; moi qui avais l’orgueil de ne pas en avoir. Gustave Flaubert
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Exercices d’adresse bien plus ardus qu’il n’y paraît ! 186
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L’esprit d’équipe… C’est des mecs qui sont une équipe, ils ont un esprit ? Alors ils partagent ! Coluche
Une fois l’animal couché sur le flanc, tonte puis tressage de cordelettes. 190
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L’animal, plein de joie, Dès qu’il se vit paré, D’or de velours et de soie, Et de croix décoré Fit venir de province Ses frères et ses sœurs. Gérard de Nerval
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Tout y est tumultueux et tranquille comme la suite d’un grand événement. Charles Baudelaire
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Moi, j’admire, ébloui, la grandeur des petits. Victor Hugo
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Double page suivante :
Vous deux, rien qu'à vous regarder, on sait que vous êtes comme les doigts d'une main ; mieux même, comme les yeux d'un visage, l'un ne tourne pas sans l'autre. Claude Michelet
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Ainsi nous vivons, prenant toujours congé. Rainer Maria Rilke
Masqués pour protéger leurs yeux de la poussière, les chameaux vont franchir trois cent kilomètres sur le pont de la camionnette pour rejoindre leur campement. 206
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Çà et là quelques rochers y levaient leurs têtes, et vous eussiez dit des animaux gigantesques couchés dans les dunes. Honoré de Balzac
Bayan Zag : ces falaises « enflammées », pourvoyeuses de squelettes de dinosaures. 209
L'escalier de la science est l'échelle de Jacob, il ne s'achève qu'aux pieds de Dieu. Albert Einstein
Terelj, temple d’Aryapala. 210
Toutes les croyances sont des idĂŠes chauves. Francis Picabia
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On n’a pas besoin de lumière quand on est conduit par le ciel. Molière
Monument de Chinggis Khan à Terelj : la plus grande statue équestre au monde (40 mètres de haut sur son socle). 213
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Il faut voir les hommes de loin, dit le sage, sur l’horizon ils se confondent avec le ciel, mais moi qui suis encore naïf je les aime de près : le ciel de leur regard me fascine. Michel Seuphar
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Non loin d’Hurh : une construction soviétique dans une plaine céréalière. 216
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Double page précédente :
Il y a en ces fins d’après-midi d’hiver, une fragilité de cristal sur fond sombre, quelque chose où le mot « violet » jouerait peut-être la note juste. Philippe Jaccottet
Depuis plusieurs années, je sillonne la Mongolie, apportant,
surnomment Grand-papa, – eh ! oui, ma jeunesse depuis
en été, une aide médicale à quelques hôpitaux périphériques
longtemps s’est écoulée le long des sentiers du monde. Les
gravement démunis et, en hiver, développant le ski nordique, en
deux enfants ne me lâchent plus et, au moment de reprendre
particulier chez les enfants.
ma route, j’offre à ma « Petite chandelle » au sourire enjôleur un
Janvier me voit sur la route de Dadal, petite bourgade au nord
ours en peluche qu’elle serre sur son cœur : « Tu dois revenir, me
est d’un immense pays et patrie de Chinggis Khan. Egaré, j’ai
dit-elle, tu le dois ! »
abordé une famille nomade, comme il en existe tant, pour
Quelques semaines ont passé. Je sais que la famille m’attend !
demander où franchir la glace de la rivière. Mais impossible,
Or, entre janvier et mars, les conditions de cheminement
en Mongolie, de recevoir un renseignement sans partager un
changent : à la fin du jour, je distingue la yourte de mes amis,
moment d’échange et de paix.
mais la débâcle a fait monter les eaux. Impossible alors
Dans la yourte, bientôt le thé au lait, discrètement salé,
d’atteindre le campement. Chaque tour de roue butte sur une
accompagne un repas préparé sur-le-champ : buzz (raviolis cuits
glace fragile, infranchissable ; bientôt, une nuit sans lune me
à la vapeur), pâtes sautées à la viande de mouton, puis confiture
condamne à l’arrêt, véritablement égaré. Pourtant, sur une
de baies sauvage et borzug, sorte de cuisses de dame non
hauteur, au loin, une lueur qui tremblote me guide vers un
sucrées, sans oublier la traditionnelle verrée de vodka.
campement de nomades : fait toujours surprenant dans ce pays
La maisonnée vibre des rires d’Altan Zuul (Bougie d’or), petite
vaste comme trois fois la France, peuplé d’à peine trois millions
fille malicieuse, et de son grand frère. Sans tarder, ils me
d’habitants, la téléphonie sans fil permet des communications
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dans les endroits les plus reculés. Et d’entrer en contact avec le
devant elle yaks, chevaux, chèvres et moutons. Et me voici saisi
père d’Altan Zuul qui me demande d’allumer mes phares et de
d’une torturante inquiétude : il y a moins de trois jours, j’ai vu
l’attendre. Il arrive sur son cheval. Mais lui non plus ne retrouve
un véhicule tenter de rouler sur la glace de 50 cm d’épaisseur
ni un passage praticable ni sa yourte ! Suit une longue errance
et plonger dans l’eau glaciale d’une rivière ! J’ai peur, vraiment
de plus de deux heures, laquelle – enfin ! – nous fait rejoindre le
peur, pour mes amis ! Quel soulagement de les savoir sains et
logis tant désiré. Ma petite Bougie dort sur une natte à même le
saufs sur l’autre rive, dans les collines aux tendres contours où
sol, et ni les éclats de joie de son frère ni notre conversation ne la
l’herbe commence à verdir… et qu’ils m’attendent à nouveau !
dérangeront ! Le matin, ô surprise, elle découvre, incrédule, son
Novembre, troisième visite. Altan Zuul ne me lâche plus la main :
grand-père d’adoption, tombé de la planète Mars ! Tout de suite,
chut ! aucun mot ne peut traduire notre émotion.
c’est la fête. Et les deux bambins de me montrer les nombreuses naissances du cheptel familial.
Bougie d’or, fragile lumière de mes errances
Avec peine, je dois m’arracher à cet îlot de bonheur et
Tu me racontes la vie avec des mots que je ne comprends pas
d’insouciance pour continuer mon chemin vers Dadal et mes
Mais qui n’ont aucun secret pour mon cœur !
jeunes fondeurs.
L’insouciance de ton enfance heureuse, sur cette plaine heureuse
En dépit des dangers grandissants de la glace fragilisée, la famille
Rappelle à mon âme ces vers bouleversants de Hugo :
m'avait attendu ; elle se met en route pour traverser le cours
« Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête
d'eau, profond, et gagner son campement printanier, poussant
Sans que rien ne manque au monde, immense et radieux ».
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La fraternité unissant par un heureux hasard cette famille à
de l’internat des écoles, le campement familial étant trop
peignée à la fin de l’hiver. Comme Barshbold, le père d’Altan
l’étranger que je suis m’a, peu à peu, révélé la réalité de la
éloigné. Musique d’avenir pour Altan Zuul, encore trop jeune.
Zuul, possède un imposant troupeau de chèvres, il engage des
vie nomade. Les enfants suivent les errances de leurs parents
Réalité pour son frère Altan Shagai, déjà soumis à ce régime.
étudiants d’Ulanbaatar pour l’aider à cette tâche.
jusqu’à la scolarité obligatoire. A proximité de leur village,
L’économie familiale dépend en tout point de l’élevage. Le
De cet environnement sommaire se dégage une étonnante
Omnodelger, ils peuvent, dès trois ans, profiter des crèches. En
cheptel se compose, certes, de vaches et chevaux, mais
sérénité, si perceptible sur ces visages que j’ai appris à
revanche, à partir de leurs six ans, ils devront compter sur la
les moutons fournissent la principale réserve de viande et
connaître et que j’aime.
parenté ou des connaissances pour les héberger ou bénéficier
les chèvres produisent un lucratif cachemire. Leur laine est
Peignage des chèvres pour leur cachemire. 226
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Que ne puis-je entourer d’un balustre d’or cette heureuse place. Jean-Jacques Rousseau
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Une sensation émotive accompagne l'appétit, qui prouve à quel point dans la vie de voyage, les nourritures du corps et celles de l'esprit ont partie liée. Projet de mouton grillé, café turc et souvenir. Nicolas Bouvier
Buzz (raviolis cuits à la vapeur, farcis de viande), confiture de baies sauvages, aruul (fromage de chèvre déshydraté) et crème glacée parfumée de myrtilles… et ce ne sont que les amuse-gueule ! La suite vient avec ce quartier de viande… entre autres ! 232
Le rire c'est le soleil ; il chasse l'hiver du visage humain. Victor Hugo
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Quand une femme vous parle Ecoutez ce que disent ses yeux. Victor Hugo
Ci-contre : Barsbold et Altan Zuul. 234
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Ă” mon ange, pourvu que tu aies tout, le reste me suffit. Victor Hugo
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L’histoire de Rashaan khad, lieu totalement isolé, commence au paléolithique et se poursuit durant des millénaires. Si le sous-sol a livré de nombreux trésors archéologiques, les falaises de granit laissent admirer des pétroglyphes et des inscriptions en vieux mongol, turc, perse, tibétain, qidan… 241
Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les rues. Francis Picabia
Rares sont maintenant les transhumances à dos de chameau ou à l’aide de charrettes. Une simple camionnette et sa remorque peuvent contenir tous les biens du nomade. Les bêtes, elles, suivent comme elles le font depuis des siècles, même si la moto quelquefois, remplace le cheval du berger. 242
Le gardien du troupeau chante doucement Tandis que lentes et meuglant, les vaches abandonnent Pour toujours ce grand prÊ mal fleuri par l’automne. Guillaume Apollinaire
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Un grand soleil d’hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le cœur me fend. Louis Aragon
Rivière Omon, avant Dadal. 246
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Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace. Alexandra David-Néel
Le cavalier tient une perche munie d'une sorte de lasso, attribut mongol destiné à capturer les chevaux. 248
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Aujourd’hui je suis reine. Autrefois j’étais libre. Victor Hugo
Bayan Adarga : village de Borte, l’épouse de Chinggis Khan, comme celui de l’ultime reine mongole. Un mémorial coloré imite la forme de leur chapeau (bortok) et renferme un petit musée. 250
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Le jeu change de caractère avec l'âge. Il consiste pour l'enfant à représenter la vie ; pour l'adolescent, à la rêver ; pour le jeune homme, à l'activer ; pour l'homme fait à s'en distraire. Sully Prudhome
Sur la rivière gelée, la fête du village, à Dadal. Le musun deerh shagain kharvaa consiste à renverser au moyen d’osselets ou de petites pastilles de métal une poupée distante de quatre-vingts mètres… et les joueurs
y arrivent, dans une liesse rythmée d’exclamations modulées, tout en levant les bras. Le maire et ses scribes protocolent les résultats et récompensent les vainqueurs d’un peu d’argent.
Ci-dessus :
Le personnage de droite porte coiffe et costume traditionnels bouriate (ethnie de l’aimag Khentniy). 253
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L'expression a des frontières, la pensée n'en a pas. Victor Hugo
Poste de garde ouvrant sur l'infini mongol, et borne sur la frontière avec la Chine. 256
Immensité de la plaine de Menem dans laquelle ne se « cultive » que du pétrole. Elle s’enchâsse dans la Mandchourie, et les Mongols surveillent attentivement sa frontière avec la Chine. 257
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Doutez de tout et surtout de ce que je vais vous dire. Gautama Siddhartha Bouddha
Ce que tu penses, tu le deviens. Ce que tu ressens, tu l’attires. Ce que tu imagines, tu le crées. Gautama Siddhartha Bouddha
Ikh Burkhant (Bouddha couché sur le dos), au bord de la rivière Halhyn gol, aux confins du pays, scrute, avec l’aide de l’armée des frontières l’horizon d’où, en 1939, avait surgi une attaque de l’armée impériale japonaise (bataille d'Halhgol). Double page suivante :
Frontière mongolo-mandchoue (zone militaire, interdite aux civils). 259
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Ton silence et tes beaux yeux Sont clairière en ce monde, Et les petits sabots Pudeur de la terre ronde. Jules Supervielle
Gazelles à queue blanche ou gazelles de Daourie. Elles se regroupent par centaines en hiver, dans l’aimag de Dornod, un des plus grands écosystèmes connus au monde. 262
Plus qu’aucune saison, j’aime ces contrées l’hiver qui les dépouillent et les purifient. Philippe Jaccottet
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N’érigez point de monuments. Laissez la rose chaque année à sa gloire seulement fleurir. Rainer Maria Rilke
Geste aujourd’hui universel : « dégainer » son portable. Je m’étonne : même au milieu de nulle part, il y a du réseau ! Monuments nomades, les pierres à cerfs datent de l’Age du bronze ; leur signification reste quelque peu mystérieuse. Aucun ossement humain n’est enfoui à leur proximité. La face tournée vers l’est montre, pour les plus élaborés, des cerfs ou des rennes volants, d’une modernité surprenante, sculptés dans le granit. 265
J'aurai rêvé ma vie à l'instar des rivières Vivant en même temps la source et l'océan Sans pouvoir me fixer même un mince moment. Jules Supervielle
La rivière Onon, près de Binder… ces berges qui ont vu naître Chinggis Khan. 266
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Le temps passe à toute vitesse, Roulez, jeunesse. Louis Chedid
La fête au village de Binder : concours de ski nordique, de patinage, de tir à l’arc, par une température sibérienne. 269
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C’est une plaine profonde avec les méandres indistincts d’un fleuve, des collines au loin qui paraissent le gonflement d’une respiration, un très haut ciel avec quelques nuages, et tout ce grand espace comme chargé en rayonnement, absorbé, ravi par la lumière. Philippe Jaccottet
Près de Binder, la rivière Onon. 273
Et l’incendie alors hurla s’élevant, Querelle énorme d’aigles rouges, noyée Au remous noir de la fumée et du vent. Paul Verlaine
Un incendie, parti de Sibérie, a envahi les forêts de Mongolie, dévorant arbres et pâtures. Depuis six semaines, les villages de l’aimag luttent à coups de pelles contre un front de feu de soixante kilomètres. Il n’y a pas d’eau. Tout le monde prie pour que tombe la neige… Elle arrive en avril, abondante, mettant en vingt-quatre heures un terme au désastre. 274
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Lune, en notre mémoire, De tes belles amours L’histoire T’embellira toujours. Alfred de Musset
À Christina. À mon père.
Fin d’un hiver sans neige à Binder… demain, une verdure naissante disparaîtra sous cinquante centimètres de flocons ! 277
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Binder, maison mĂŠdicale. 279
Et le cortège passa à côté de moi et s’enfonça dans l’atmosphère de l’horizon, à l’endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain. Charles Baudelaire
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Je vous envie, oiseaux, qui de vent et d’orgueil Vos plumages gonflant parcourez votre voie, Sans doute ignorez-vous et l’espoir et le deuil, Vous pour qui tout l’azur N’est qu’une vaste proie. Vincent Muselli
Grues, appelées aussi demoiselles de Numidie. Elles reviennent à la fin de la saison froide de leur migration au Rajasthan. Les mâles commencent alors leur parade nuptiale. 283
Rare est l’observation d’une naissance de chameau. 284
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Ulaan Baatar, l’ancienne Urga, terrible capitale à l’architecture désordonnée, enserrée au fond d’une dépression où stagne, en hiver, la pestilence noire des fumées. Je ne m’y arrête que par nécessité, mais tente d’y trouver tout de même çà et là quelque charme. 286
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Dans cette ville tentaculaire, il y a tout de même un peu de place pour un petit centre nordique que j’ai équipé. De la campagne, son concepteur mongol apporte de la neige avec sa camionnette pour construire une piste d’un kilomètre. Le succès est au rendez-vous : nombre de skieurs en profitent la journée. 288
Si l’on ne peut plus guère progresser aujourd’hui dans l’art de détruire, il y a encore du chemin à faire dans l’art de comprendre. Nicolas Bouvier
Limpide et pure coule la rivière Tuul Gol, à l’est de la capitale. Lorsqu’elle en ressort, elle n’est plus qu’un triste cloaque… 289
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Voyez du haut des monts ses clartÊs ondoyantes Comme un fleuve de flamme inonder les coteaux, Dormir dans les vallons, ou glisser sur les pentes [‌] Alphonse de Lamartine
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BĂŞtes et habitants doivent se contenter du puits du village, car, Ă Jargalant (Tov aimag) comme dans maintes bourgades, l'eau courante n'existe pas. Le bĂŠtail cherche un peu de chaleur le long des palissades. 294
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Championnats nationaux junior de ski nordique à Jargalant (Tov aimag) où chaque région de Mongolie est représentée. 296
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Trois postes de douane permettent à un étranger autre que chinois ou russe d’entrer en Mongolie. Sükhbaatar est la ville frontière où pénètrent route et voie ferrée venant d’Irkoutsk. Ici se marient les rivières Orkhon et Selenge qui
Une locomotive se fâche dans la gare, pas plus fort qu'un siphon dans un apéritif. Léon-Paul Fargue
se déversent, sous le nom de la dernière, dans le lac Baïkal.
Confluence des rivières Orkhon et Selenge. La voie de chemin de fer suit l’Orkhon (au premier plan) et, derrière la colline, entre en Russie. 300
Gare de triage de Sükhbaatar.
Une locomotive se fâche dans la gare, pas plus fort qu'un siphon dans un apéritif. Léon-Paul Fargue
Gare de triage de Sühbaatar.
Confluence des rivières Orkhon et Selenge. La voie de chemin de fer suit l’Orkhon (au premier plan) et, derrière la colline, entre en Russie. 301
Les obélisques de l’industrie vomissent contre le firmament leurs coalitions de fumées… Charles Baudelaire
Erdenet, deuxième plus grande ville du pays, développée par les Russes pour la richesse en cuivre de la région, dont on voit les terrils, au fond à gauche, derrière la grande roue ainsi que l'une des deux seules pistes de ski alpin du pays. 302
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Avant de s'engager sur la piste de Teshig, il est sage de faire le plein à Bulgan‌ 304
Il fait froid lourd sur la route et le vent pousse la lumière sur la route. Tristan Tzara
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Dans l'interminable Ennui de la plaine La neige incertaine Luit comme du sable. Paul Verlaine
Ayrhan nuur (Bulgan aimag). 309
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Teshig, petit village isolé au nord ouest de l'aimag de Bulgan, abrite de nombreux skieurs nordiques. Je m'y rends donc fréquemment afin d'organiser des camps d'entraînement pour jeunes et assister aux concours. La neige, souvent insuffisante, ne permet alors la tenue de courses que sur le lac Hargal, couvert d'une épaisse couche de givre. Les villageois installent sur les rives tentes et yourtes, guidés par le colonel Jama, grand organisateur du sport local. La fête est animée, même par des températures glaciales (au plus chaud −35 °C). A l'arrivée, une escouade empressée de bonnes âmes dispense force massages aux compétiteurs frigorifiés !
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Elle fauve comme une hirondelle. HonorĂŠ de Balzac
MĂŠlodie essaie les skis qu'elle vient de recevoir. 317
Entre deux courses, je suis parti à la « campagne », déserte, hormis, à deux heures de Teshig, la présence d'un minuscule hameau où gambadent des enfants. 318
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C'est une question d'échelle, dans un paysage de cette taille, même un cavalier lancé à fond de train aurait l'air d'un fainéant. Nicolas Bouvier
La rivière Egiyn, confluente de la Selenge. (Photo prise en janvier, à comparer avec celle de la page 21, du début novembre.) 320
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Que d'amitié avec l'armée frontière, grâce à mon ami Batsengel, colonel à la retraite, qui, ici grimpe si élégamment sur sa monture. 322
En route pour Teshig – surprise ! Le colonel Jama a installé un ravitaillement intermédiaire avec une escouade de ses hommes : thé, biscuits, fromage arul et pain… J'ignorais que le Pays de Cocagne était si près !
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L'hiver, l'arbre se recueille. Philippe Jaccottet
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient, Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche. Charles Baudelaire
Dans la nuit naissante, nous regagnons le village derrière la colline pour assister à une production musicale et partager un repas. 325
D'invitation en invitation, je fais le tour du village. Ici, dans la famille de Gambayar, venu à deux reprises à la Vallée de Joux pour tenter de participer aux Jeux Olympiques de la Jeunesse. 326
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Arunjargal, jeune sportive et sa famille. 329
Mais tu suis, à travers l'immensité sans bornes, Pâle, et les bras crispés à l'airain de ses cornes, Ce taureau mugissant qu'on nomme l'Avenir ! Louis Bouilhet
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Accompagné de trois soldats, je parcours le long no man's land pour rejoindre la frontière russe, distante de soixante kilomètres. En chemin, rencontre d'un surprenant enclos : l'histoire raconte qu'il y a bien longtemps, les bovins succombèrent à une épizootie. Les nomades cherchèrent alors un taureau en Sibérie. Et le vaillant animal fertilisa les vaches survivantes et régénéra le cheptel ; depuis lors, toute femme en mal de grossesse fait le pèlerinage du Taureau bleu. 331
Quel rayon que le regard d'un enfant, saintes étoiles ! Victor Hugo
Perdues au plus profond de la Taïga, quelques maisonnettes. Avec mon escorte, j'entre dans l'une d'elles : surprise, elle héberge une charmante crèche où six bambins tentent de faire une sieste.
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La route reliant Teshig à Zakomansk (Sibérie) est, du moins sur les cartes, importante. A la frontière, étonné de la solitude régnante, je m'enquiers de sa fréquentation auprès de mes guides. D'abord perplexes, les soldats échangent entre eux et finissent par conclure : « la dernière voiture est passée il y a trois ans » ! 334
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Tu veux avoir la vie facile ? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui. Friedrich Nietzsche
Ce qui grince, ce qui coince de plus en plus souvent dans le corps, les jointures ; l'effort à faire pour rester droit. Philippe Jaccottet
337
L'aube est celle qui me dit : « attends encore un peu et je m'enflamme ». Philippe Jaccottet
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Vous comprenez cela, vous bêtes, n'est-ce pas ? Puisque le soir venu, ralentissant le pas, Dans votre âme, par l'homme oublieux abolie, Vous sentez je ne sais quelle mélancolie. Jean Richepin
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Je n'aime que ma tente, mes chevaux et le dĂŠsert. Alexandra David-NĂŠel
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Si tu dois choisir entre la femme et le cheval, choisis toujours le cheval. Parce que si tu as le cheval, tu pourras attraper la femme. Mais si tu choisis la femme, tu ne pourras pas rattraper le cheval. Proverbe mongol
Chose curieuse en regard du dicton ci-dessus, Chinggis Khan était un pionnier du féminisme au Moyen Âge ! « Notre société occidentale revendique les droits de l'homme et 344
l'égalité des sexes… Et pourtant, bien avant nous, les Mongols donnaient des droits aux femmes», selon Marc Fayad, journaliste au magazine Le Point. ˚
Double page suivante :
Uvs nuur, le plus grand lac de Mongolie, caractérisé par une très forte salinité et une absence de vie aquatique. Pages 348-349 :
Lac Ureg (Bayan-Olgii aimag). Derrière les montagnes, la Sibérie (Russie). 345
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A l'allure d'animaux de trait, ils cheminent, parfois pendant des semaines, vers un bazar perdu, et tout aussi sûrement vers des pannes et des ruptures qui les immobilisent pour plus longtemps encore. Le camion devient alors maison. Nicolas Bouvier
Frères de panne au col Hashaa davaa. À droite, derrière le yack, la montagne mythique de Tsanbagarav uul, qui culmine à 4202 mètres. 352
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Lac Tolbo. 356
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Routes et déroutes…
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A qui voudrait voyager loin, et donc ménager sa monture, quelques conseils, remarques et mises en garde pour goûter aux joies de l'aventure hivernale et s'épargner de fâcheux et dangereux aléas…
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Nous sommes de douces gazelles Nous ne sommes pas jumelles Mais nous nous ressemblons Et en troupeau nous vivons Robert Casanova
Gazelles de Mongolie (Procapra gutturosa) dans la plaine Menen, la plus vaste étendue herbeuse au monde restée à l’état sauvage. 362
Des hardes de centaines de gazelles sillonnent la plaine de
mince couche de neige. Elles sont les victimes désignées des
Menen. Craintives, elles détalent à l’approche des véhicules.
loups, toujours invisibles la journée, mais dont les traces de
Elles se mêlent aux troupeaux de chevaux, d’ovins et de
pattes en trahissent la présence. Victimes aussi désignées
bovins, broutant une herbe couleur paille, hérissée à travers la
des braconniers !
363
Impatient de l’espace. Théophile Gautier
Porté par le chant du moteur et le défilement du paysage, le flux du voyage vous traverse, vous éclairant la tête […] aucun besoin d'intervenir, la route travaille pour vous. Nicolas Bouvier
364
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L'ĂŠvĂŠnement futur se respirait dans les carrefours. Alfred de Vigny
368
L’extrême est de ce pays m’était inconnu. En hiver, presque
de kilomètres gardés par de jeunes recrues, souriantes,
personne ne circule dans la steppe que balaye un blizzard
enthousiastes et fières, bien qu’éloignées une année durant
glacial. Les possibilités de logement sont inexistantes,
de toute civilisation ! Qu’observent-ils donc ? Pour beaucoup,
sauf ? sauf avec l’aide de l’armée !
des voleurs de troupeaux venus de Chine ou de Russie ;
Me voici parti pour le tour des postes-frontières : magnifique
tâche dangereuse, les bandits armés n’hésitant pas à tirer !
accueil où, de proche en proche, on annonce mon passage.
Mes amis soldats et officiers m’ont conté de nombreuses
Nous n’aurons aucun souci de subsistance ni d’orientation
histoires à faire frémir…
La joie de l’homme viril, la steppe inhabitée. Proverbe mongol
car un éclaireur nous accompagne jusqu’aux confins de la Mongolie et de la Mandchourie. Jamais je n’aurais imaginé une frontière si étroitement surveillée : des milliers
À gauche :
Berger aux bottes de feutre, plaine de Menen. Ci-dessus :
Le capitaine G. Erdenebayar, sa fille et sa femme médecin, au poste militaire isolé du lac Buir. 369
370
Avoir arpenté la Mongolie aux saisons froides m'inspire
de −30 °C. L'épaisseur de la glace ne s'apprécie ni au volant
tout-terrain devient ainsi inconduisible. Dès lors, seuls burin,
quelques considérations.
ni à pied, d'ailleurs. En effet, sources chaudes et courants
marteau, lampe à souder et travail permettent de s'en sortir…
Eté comme hiver, lorsque l'on s'écarte des routes et des pistes
peuvent fragiliser la couche sans aucun signe annonciateur.
La boue crépit sans cesse le pare-brise. Par chance, la vodka
fréquentées, il est sage de circuler à deux véhicules. Je n'ai pas pu
Chaque saison, le piège se referme sur nombre de véhicules…
disponible partout remplace avantageusement le liquide lave-
souvent le faire, mais quelquefois regretté ! Le trafic, peu abondant
Et je n'ai échappé moi-même à une baignade forcée que grâce
vitre antigel, rare dans les campagnes !
à la belle saison, devient souvent inexistant hors des axes courus,
à l'assistance d'un deuxième 4×4 apte à extirper le mien avant
Pour ma part, j'essaie le plus souvent de circuler de jour,
réduisant une éventuelle assistance à une illusion…
qu'il ne coule complètement.
gardant à l'esprit que lenteur rime avec sécurité.
Circuler sur les rivières et les lacs gelés est tentant, mais
Au début de l'hiver comme à sa fin, la boue s'infiltre et gèle dans
Une tempête avec un vent hurlant efface reliefs et repères.
risqué, même s'il règne depuis des semaines des températures
les transmissions et les suspensions. Le meilleur des véhicules
Rien de tel pour vous contraindre à l'arrêt et à passer une nuit
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très inconfortable dans votre véhicule, à « mille milles de toute terre habitée ». Par bonheur, ces convulsions météorologiques sont d'ordinaire de courte durée. Mieux vaut disposer d'habits et de matériel adaptés ; je ne me déplace et ne skie qu'avec des chaussures de deux pointures supérieures à ce que je porte d'habitude, fort de l'expérience malheureuse des armées napoléoniennes et allemandes parties à l'assaut de la Russie avec des souliers ajustés… Passemontagne, chapka et larges moufles, voilà – entre autres –, des compagnons vestimentaires obligatoires. Ces quelques considérations, évidentes mais indispensables, font toute la différence entre un pur cauchemar et un voyage d'hiver inoubliable et lumineux.
Rencontre sur la piste Toom. 373
Participantes
Remerciements
Marie-José Manidi, compagne de l'auteur, qui l'a suivi durant deux hivers mongols et inlassablement soutenu dans ses projets.
Batnasan Dugarjav, dite Nasaa, interprète de l'auteur lors de ses vingt voyages. Depuis 2016, elle assiste Pascal Gertsch qui relance le ski nordique en Mongolie. Elle fut aussi la « maman de substitution » des sportifs en herbe durant leurs camps en Europe et pendant les Jeux Olympiques de la Jeunesse – Lausanne 2020.
À Battsengel Dugarjav, colonel à la retraite, qui m’a accompagné dans mes voyages d’hiver. Grâce à son dévouement, j’ai pu parcourir des régions inabordables. Merci aussi à ses amis, officiers et soldats, qui m'ont toujours accueilli et hébergé.
À Grégoire Montangero dont le sens artistique m’a, à nouveau, après Mongolie – Mon amour, permis de concrétiser un second livre. À Ian Logan, directeur général des Jeux Olympiques de la Jeunesse – Lausanne 2020. Par son soutien enthousiaste et inconditionnel envers l'équipe mongole, il m'a « obligé » à sillonner le pays de Chinggis Kahn. Il est donc, à ce titre, quelque peu « responsable » de l'abondante moisson photographique de ce livre
À Saraa Dash, de Zurag Zuy Cartography Co Ltd, qui m’a autorisé à publier les cartes Mongolia Road Network, les plus détaillées et les plus fiables du pays.
Auteur Entourant Pascal Gertsch : Zolbayar, Nomin-Erdene, Urango et Khongor, les mousquetaires des JOJ.
Dr Pascal Gertsch, médecin généraliste à la montagne, aux Diablerets, en Suisse, aujourd’hui à la retraite, est né en 1946. La paix retrouvée en Europe lui a permis, très jeune, avec ses parents et son frère, de sillonner le monde. En 1961, à la suite d’un voyage à travers le Moyen-Orient qui le conduira en Peugeot 403 jusqu’en Egypte, il écrit ses premiers articles entre autres dans le Journal Tintin. À la fin des années 60, il passe tout son temps libre en Scandinavie,
Précédent ouvrage
devient marin pêcheur aux Lofoten et court sur les pistes d’Holmenkollen, de Mora, de Falun ou de Zakopane. Membre de l’élite suisse du ski nordique, il est plusieurs fois champion suisse universitaire de relais 4×10 km, de 15 km et 30 km individuel. Il sera pendant douze ans médecin de la Fédération suisse de ski. Dès 2012, il retourne régulièrement en Mongolie où il apporte son aide à quelques hôpitaux périphériques.
Janvier 2016, il rencontre par hasard des skieurs de fond à l'équipement misérable. Depuis le départ des Soviétiques en 1980, ce sport a périclité. Il décide de les aider. Via la Sibérie, il leur fournit un considérable matériel (750 paires de ski, bâtons et souliers, une dameuse et un traceur), crée quatre pistes dont une homologuée par la Fédération internationale de ski (FIS). Il a la joie de voir quatre de ses sportifs participer aux Jeux Olympiques de la Jeunesse – Lausanne 2020.
MONGOLIE ! Trois syllabes, une consonance féminine pour une fée enchanteresse, presque inaccessible, au bout du monde, un rêve d’étreinte que tout aventurier, baroudeur ou voyageur intrépide aimerait vivre. Insaisissable Mongolie, insondable pays chargé de visions oniriques, de parfums surprenants, lourd d’une histoire fantastique. Tels sont les mots de Pascal Gertsch, médecin humanitaire sans limite et photographe émérite, pour évoquer le pays de ses amours. Dans cette seconde édition augmentée, l’auteur nous invite à le suivre, au fil de ses neuf premiers voyages couvrant plus de 70 000 km, afin de découvrir ce territoire méconnu – grand comme trois fois la France – loin des clichés habituels. Avec des contributions de Bertrand Piccard et David Coulthard.
ISBN 978-2-8289-1666-4 Editions Favre, Lausanne, Suisse, 2017.
Ainsi le voyage avait bien fini par devenir intérieur, on était revenu en soi, on avait finalement accueilli en soi que ce qui déjà s’y cachait plus ou moins farouchement. Philippe Jaccottet
ACHEVÉ D’IMPRIMER EN OCTOBRE MMXX. POUR LE COMPTE DES ÉDITIONS ASCSUMO PAR Vevey – Switzerland
Tous droits réservés. © 2020 Éditions ASCSUMO Courtepin (Suisse). pascalgertsch@bluewin.ch